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F RÉCIT Pierre Graveline Voyageur

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Du même auteur

Chansons d’icitte, Montréal, Parti pris, 1977

Prenons la parole, Montréal, Parti pris, 1978

Sur les ailes de ton cri, Glen Sutton, Le Pommier, 1991

Je me souverain, en collaboration, Montréal, Les Intouchables, 1995

Trente lettres pour un Oui, en collaboration, Montréal, Stanké, 1995

Une planète nommée Québec, Montréal, VLB éditeur, 1996

Une histoire de l’éducation et du syndicalisme enseignant au Québec, Montréal, Typo, 2003

Une histoire de l’éducation au Québec, nouvelle édition, Montréal, Bibliothèque Québécoise, 2007

Les cent plus beaux poèmes québécois, anthologie, Montréal, Fides, 2007

Québécoise !, en collaboration avec Pauline Marois, Montréal, Fides, 2008

Derouin, l’art comme engagement, en collaboration, Montréal, Fides, 2009

Une passion littéraire, Montréal, Fides, 2009

La liberté du Québec, Montréal, Fides, 2011

Les cent plus beaux poèmes québécois, nouvelle édition en poche, Montréal, Biblio-Fides, 2013

Dix journées qui ont fait le Québec, en collaboration, Montréal, VLB éditeur, 2013

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Pierre Graveline

Voyageur

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Mise en pages : Bruno LamoureuxConception de la couverture : Bruno LamoureuxEn couverture : © Andrew Gough / Planetwide Photo

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Graveline, Pierre, 1952-

Voyageur

ISBN 978-2-7621-3824-5 [édition imprimée]ISBN 978-2-7621-3825-2 [édition numérique PDF]ISBN 978-2-7621-3826-9 [édition numérique ePub]

1. Graveline, Pierre, 1952- — Enfance et jeunesse. 2. Graveline, Pierre, 1952- — Voyages — Pays-Bas — Amsterdam. 3. Québécois — Pays-Bas — Amsterdam — Biographies. 4. Amsterdam (Pays-Bas) — Conditions sociales — 20e siècle. I. Titre.

DJ411.A58G72 2014 949.2’352072092 C2014-941546-X

Dépôt légal : 3e trimestre 2014Bibliothèque et Archives nationales du Québec© Groupe Fides inc., 2014

La maison d’édition reconnaît l’aide fi nancière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition. La maison d’édition remercie de leur soutien fi nancier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). La maison d’édition bénéfi cie du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Gouvernement du Québec, géré par la SODEC.

imprimé au canada en août 2014

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Pour Lenaqui fera passer bien

des nuits blanches à ma fi lle

À la mémoire de ma mèreà qui j’ai fait passer trop de nuits blanches

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Il faut boire jusqu’à l’ivresse sa jeunesse …

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Chaque époque, aux yeux de chaque nouvelle génération de jeunes voyageurs, a sa ville fétiche. Aujourd’hui, c’est

Berlin. Hier, c’était Barcelone. Dans les années 1950, ce fut le Paris de Saint-Germain-des-Prés, puis, dans les années 1960, le San Francisco d’Haight-Ashbury.

Au début de la décennie 1970, c’est sans conteste Amsterdam, capitale culturelle des Pays-Bas, alors reconnue de par le monde pour l’ouverture d’esprit de ses habitants, qui joue ce rôle de destination phare : Amsterdam, port de toutes les arrivées, de tous les départs, de tous les rêves.

Et l’on y voit chaque jour, du moins à la belle saison, des-cendant des avions, des bateaux, des autocars, des trains, sortant des modestes auberges, des hôtels bon marché, des terrains de camping, voire des parcs publics, sac au dos et souvent guitare à la main, tenues débraillées, pupilles dilatées et crinières au vent, des centaines de jeunes provenant de la terre entière converger vers la place du Dam, centre historique de la ville aménagé à la fi n du xiiie siècle, point de convergence des principales artères de la ville, Nieuwendijk, Kalverstraat et Damstraat, bordée à son extrémité ouest par la principale église du pays, la Nieuwe Kerk de style gothique, et par le monumental palais royal op de Dam, longtemps considéré par les Hollandais comme la huitième merveille du monde, longtemps siège de la mairie, longtemps plus grand immeuble

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administratif d’Europe, érigé sur les treize mille six cent cinquante-neuf piliers de bois qui le soutiennent.

Dès ma descente d’avion — après mon premier vol transat-lantique qui, ponctué de violentes turbulences, se révélera le plus eff rayant de mon existence, mais aussi, par le sentiment d’aff ranchissement qu’il me procure, le plus exaltant —, vêtu d’un jean, d’un t-shirt, d’un manteau brun en suède à franges à la Davy Crockett et de bottes de même acabit, mes longs cheveux châtains retenus par un cordon en cuir qui ceinture ma tête, ne possédant pour tous biens qu’un seul rechange de vêtements, une trousse de toilette minimaliste, un léger sac de couchage, une gourde, un couteau, un calepin, une plume et une carte d’Europe jetés en vrac dans un sac en toile rose que je porte en bandoulière, le tout complété par un sac-ceinture banane, où j’ai rangé mon passeport et mes chèques de voyage American Express et que je porte à la taille, et par une montre-bracelet enroulée à mon poignet, je prends l’autocar KLM qui de Schiphol me transporte sur la place du Dam où, pigeon voyageur rejoignant sa volée de congénères, je m’assieds au pied du Monument national, pilier de pierres blanches érigé en 1956 en hommage aux victimes de la Seconde Guerre mon-diale, qui monte la garde en son centre.

Je suis dans un tel état d’excitation et de curiosité que je ne ressens aucune fatigue, pas l’ombre d’un symptôme de décalage horaire alors même que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, mais quel décalage culturel ! Tout dans ce monde ancien me parait nouveau. Ainsi, moi qui arrive en droite ligne d’un pays où l’automobile règne en maître absolu, où la bicyclette n’est alors qu’un jouet réservé aux enfants, où un adulte qui emprunte ce moyen de transport passe au mieux pour un excentrique bizarroïde, où l’idée même d’aménager des pistes cyclables relève encore de ces utopies qui font sourire, je suis frappé d’étonnement devant la myriade de vélos qui circulent autour de la place : des centaines, que dis-je, des milliers d’entre

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eux, en nombre plus considérable me semble-t-il que celui des autos, montés par des gens de tous âges et de toutes conditions, s’arrêtant sagement aux feux rouges, puis, dans un même mou-vement silencieux et harmonieux, reprenant leur élan en un incessant tourbillon de couleurs qui ne cessera de m’enchanter pendant les quelques jours que je passerai à Amsterdam.

* * *

C’est le lendemain de mon arrivée, par une belle matinée enso-leillée d’octobre 1971, en enfourchant l’un de ces fameux vélos blancs alors mis gratuitement à la disposition de ses habitants et de ses visiteurs par la municipalité d’Amsterdam, que je prends réellement conscience, pour la toute première fois, de ma nouvelle condition de voyageur. C’est à ce moment précis que je réalise pleinement que je suis sur un autre continent, en un pays inconnu, dans une ville étrangère.

Tout s’est passé si vite. Ce voyage entrepris sur un coup de tête alors que je viens à peine de fêter mon dix-neuvième anni-versaire de naissance, au grand désarroi de mes parents qui n’y voient que folie de jeunesse, sans préparatifs sinon l’achat d’un billet d’avion Montréal-Amsterdam avec un délai d’un an pour prendre le vol de retour, sans guère d’argent sinon les maigres deux cents dollars que j’ai en poche, sans réel objectif sinon le vague projet de rejoindre une bande de copains à Aix-en-Provence pour aller passer la Noël en leur compagnie sur une plage du Maroc, ce voyage donc ne me rend pas moins euphorique, que dis-je, bien plus qu’euphorique, absolument et intensément ivre de liberté.

Est-ce que je ne rêve pas depuis toujours de quitter mon cocon, de fracasser ma coquille, de prendre mon envol ? Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours bourlingué dans ma tête : petit enfant, sur le quai de la Tortue à Verdun, en regardant les navires, poupes tournées vers les Grands Lacs

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ou l’Atlantique, voguer sur le Saint-Laurent, dans les chambres de mon enfance en traçant sur les cartes d’un vieux Larousse racorni de fantastiques périples imaginaires, à mes pupitres d’école en faisant mine d’écouter des professeurs trop souvent ennuyants et bavards, dans les soirées de fête en écoutant la kena péruvienne, la kora sénégalaise, le sitar indien. « Tu tiens de ta grand-mère qui a eu la bougeotte toute sa vie », me répète sans cesse ma mère qui ne souff re pas de cette maladie-là.

Alors que je vagabonde dans les rues qui longent les canaux du vieil Amsterdam et sur les innombrables ponts qui les enjambent, j’ai l’esprit envahi de souvenirs…

… Souvenir de cette journée mémorable de mes dix ans où, parti à l’aventure sur ma bicyclette d’occasion, j’ai outrepassé les limites parentales, franchi les frontières de mon Verdun natal et pédalé à en perdre les pédales jusque sous le pont Jacques-Cartier où, haletant, je me suis fait cette enfantine promesse : un jour je franchirai ce pont ! …

… Souvenir d’une escapade accomplie vers mes quatorze ans alors que, profi tant de l’absence de mes parents partis faire le tour de la Gaspésie et mentant eff rontément à ma grand-mère qui me garde en lui affi rmant que je vais dormir chez un ami, je me suis rendu en auto-stop à Plattsburgh aux États-Unis — comme il est facile de franchir la frontière Québec - États-Unis à cette époque ! — où, naïf comme on peut l’être à cet âge, j’ai confi é mon sac de voyage à la garde d’un jeune couple d’apparence sympathique afi n d’aller me baigner dans les eaux du lac Champlain. À mon retour, couple et sac à dos ont disparu, de sorte que je dois revenir piteusement à Montréal vêtu de mes seuls costume de bain, t-shirt et san-dales, avant d’aff ronter — après avoir traversé à pied le pont Mercier au milieu de la nuit et marché jusque chez moi — la colère de ma grand-mère qui n’a d’égale que la consternation de mes parents lorsqu’ils sont informés de ma désastreuse expédition quelques jours plus tard …

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… Souvenir d’un grand tour du Québec réalisé l’été de mes dix-sept ans avec deux de mes compagnons d’armes du magazine étudiant Le Quartier Latin, François, bibitte à poils ébouriff ée de la tête aux pieds, laborieux, fébrile, au grand cœur d’idéaliste, et Milord, tout sec, tout maigre, enlu-netté à la John Lennon, l’esprit vivace, sarcastique et toujours angoissé : partis de Montréal, nous nous dirigeons, dans la vieille bagnole de Milord, vers Sept-Îles, sa ville natale, roulant sans nous presser et chantant en chœur et à gorge déployée les airs rejoués en boucle de Creedance Cleawater Revival, nous enivrant d’un très mauvais porto canadien que nous buvons à même une gourde reconvertie à cet usage — mais également d’un excellent pot issu des cultures domestiques clandestines de François —, nous arrêtant ici et là, à Trois-Rivières, à Québec, à La Malbaie, à Tadoussac, à Port-Cartier, dormant un soir à la belle étoile à Pointe-aux-Outardes, l’une de ces magnifi ques et méconnues plages de sable de la Côte-Nord qui échappent à une triste destinée de station balnéaire touristique grâce aux eaux qui les bordent et qui demeurent, même au cœur de l’été, irrémédiablement glaciales, contem-plant au hasard de la route les émouvantes beautés de ce pays sauvage, au premier rang desquelles ce vieux phare blanc et rouge de Pointe-des-Monts à jamais gravé dans ma mémoire. Rendus à Sept-Îles, nous faisons — ballottés de longues heures sans merci par une mer agitée — la tournée sur le vieux bateau de pêche d’un oncle de Milord des îlets De Quen et des îles Manowin, Corossol, Petite Basque, Grande Basque, Grosse Boule et Petite Boule, qui constituent l’archi-pel donnant son appellation à cette cité de pionniers nor-diques. Nous nous rendons enfi n jusqu’à la majestueuse rivière Moisie, au pays des Innus, alors ultime destination atteignable par la route.

Puis nous nous séparons, moi allant prendre à Baie-Comeau un traversier qui m’amènera en Gaspésie, Milord s’installant

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pour l’été dans cette contrée où il aime tant chasser et pêcher et qu’il fi nira par ne plus quitter, François s’en retournant sur ses pas vers un destin insolite sur les fl ots hasardeux de sa vie. N’est-ce pas entre Petite Boule et Grosse Boule qu’il attrapa cette irrépressible passion du Grand Bleu qui le conduira, quelques années plus tard, à quitter son métier de photographe où il excelle pourtant, à délaisser le combat pour l’indépen-dance du Québec dans lequel il s’est engagé corps et âme jusqu’à soutenir activement le Front de libération du Québec, à tout vendre, y incluant son antique deux-chevaux jaune dans laquelle il n’hésite jamais à risquer nos existences en roulant comme un dément sur les routes enneigées et glacées, à tout abandonner, à tout laisser derrière lui, pour aller s’établir à la Martinique, d’abord comme aspirant navigateur, puis comme propriétaire et skipper d’un petit voilier, avant de disparaître en mer lors d’une traversée entre Fort-de-France et Saint-Malo, probablement englouti par un de ces pétroliers géants qui sillonnent l’Atlantique Nord sans même que le mastodonte s’en aperçoive ?

Pour ma part, je poursuis mon chemin, accomplissant en auto-stop mon premier tour de la Gaspésie, couchant dans les auberges de jeunesse, gravissant un jour le mont Saint-Pierre dans un état extatique après avoir ingurgité en guise de petit-déjeuner des toasts au dawamesk, cette fameuse confi -ture — un mélange de résine de marijuana, de beurre, de miel et de pistaches — dont Baudelaire donne la recette dans Les Paradis artifi ciels, parvenant enfi n à Percé, dans cette Maison du pêcheur où toute la jeunesse rebelle du Québec semble s’être donné rendez-vous en cet été 1970. J’y fais la connaissance — en plus des felquistes y préparant leur Octobre révolutionnaire — d’une jeune Saguenéenne si jolie, si folâtre, si sexuellement captivante que j’en ai aujourd’hui occulté le nom, ne me souvenant, puisse-t-elle me pardonner, que de la légèreté à mes yeux inouïe de ses mœurs. Elle s’en va faire la

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famille, ma patrie, je prends un beau matin le chemin du retour vers ce pays enneigé, inhabité, inachevé, qui est le mien.

Il me semble parfois que ce n’est qu’hier que je suis revenu de ce voyage initiatique qui m’a transformé plus que je ne sau-rais le dire, qui a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui…

… C’était pourtant en un autre siècle, dans un autre monde, en une autre vie, au temps à jamais évanoui de l’ivresse de ma jeunesse.

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www.groupefides.com

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Ohdqqd Fq‘udkhmd

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1971. Rêvant depuis toujours de prendre son envol, un jeune homme de dix-neuf ans quitte le Québec et part sur les chemins aventureux du monde.

Seul et désargenté, il se déplace au gré des hasards de la route et dort souvent à la belle étoile. En huit mois, il parcourt 36 000 kilomètres, traverse l’Europe, explore la Turquie, puis l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan, « trois pays que les fous de Dieu ont désormais rendus inaccessibles », vagabonde en Inde et au Népal, à la rencontre des peuples de la terre, de leur histoire, de leur culture. Jour après jour, il observe le « cirque éternel de la vie des hommes » et découvre « étonné, captivé, troublé, l’infi nie, l’étrange, la sublime diversité de notre insensée humanité ».

En ces temps — pourtant pas si lointains — où la poste met des semaines à livrer une lettre d’un continent à l’autre, où les communications téléphoniques internationales ne sont accessibles qu’aux plus fortunés, où l’Internet n’a pas encore réduit la planète à une peau de chagrin, il est tout simplement, dans le merveilleux sens ancestral du terme, un voyageur.

Autodidacte, Pierre Graveline a été journaliste, conseiller à la CSN, directeur des communications de la CEQ, chroniqueur au quo-tidien Le Devoir, puis éditeur et directeur général du Groupe Ville-Marie Littérature. Il est aujourd’hui directeur général de la Fondation Lionel-Groulx. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Les cent plus beaux poèmes québécois (Fides, 2007, Biblio-Fides, 2013), Une passion littéraire (Fides, 2009), La liberté du Québec (Fides, 2011).