philosophie. conscience inconscient (cours de terminale)

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Le sujet et la connaissance du r ´ eel Que puis-je connaˆ ıtre de moi et du monde ?

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cours de Terminale de philosophie sur la conscience et l'inconscient

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Page 1: Philosophie. Conscience Inconscient (cours de Terminale)

Le sujet et la connaissance du reel

Que puis-je connaıtre de moi et du monde ?

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CoursMme Guernon

Le sujet et la raison et le reelConscience, inconscient, matiere et esprit

Introduction : Recherche d’unedefinition de la conscience

1 Recherche d’expressions concernant la conscience

– avoir la conscience tranquille = morale– avoir un meurtre sur la conscience = morale– etre totalement inconscient = morale + capacite de reflexion– ne pas avoir conscience de ses actes = ne pas se rendre compte, ne pas

agir en connaissance de cause, capacite de reflexion– en son ame et conscience (pour le juge qui doit juger de maniere

honnete et impartiale) = morale– perdre conscience (s’evanouir) = ne plus avoir de perception du monde– conscience politique– avoir bonne / mauvaise conscience = morale– conscience professionnelle (celui qui travaille avec application) = valeur

morale

1 2 3perdre conscience etre totalement inconscient avoir la conscience tranquille

ne pas avoir conscience de ses actes avoir un meurtre sur la conscienceconscience politique en son ame et conscience

avoir bonne / mauvaise conscienceconscience professionnelle

2 Les differents sens de la conscience

1. La capacite a eprouver quelque chose ou a percevoir le monde exterieur :sensation et perception. N’est pas veritablement la conscience.

2. Capacite de se rendre compte de ce qu’on sent, percoit ou fait : reflexion= retour sur ce qu’on vit, on rapporte la chose a soi, comme la reflexionen maths, effet de miroir, on ressent ou on fait quelque chose et on ena une image, une representation, on sait qu’on le fait. Implique laconscience de soi. Conscience au sens psychologique.

3. Capacite de percevoir ce qui est bien ou mal = conscience morale.Suppose la conscience au sens 2 = il faut avoir un retour reflexif sur cequ’on fait ou percoit pour savoir si c’est bien ou mal, il faut pouvoirse representer quelque chose et pas seulement le vivre dans l’immediat⇒ la conscience permet de se detacher de l’immediatete, d’avoir unerelation au temps par la memoire de ce qui s’est deja passe et l’antici-pation de ce qui va se passer ou de ce qu’on veut faire : pour agir, on se

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projette dans l’avenir. Memoire et anticipation, c’est la definitionque donne Bergson (fin xixe– debut xx e) de la conscience. Conscienceau sens moral.

3 Qui possede la conscience ?

3.1 Distinction inerte / vivant

• L’inerte n’a aucune conscience du monde qui l’entoure : ne percoitpas le monde qui l’entoure et ne peut pas agir sur lui.

• Dans le vivant, on peut distinguer plusieurs degres :– Les vegetaux, la bacterie ou le mollusque qui n’ont pas de

systeme nerveux central, reagissent a leur environnement, a desstimuli, changent leur comportement en fonction de l’environnementexterieur, mais ne semblent pas en avoir de representation, reactionchimique pour les bacteries et reflexe pour les mollusques. Ils sontsimplement en interaction avec le milieu.

– Les mammiferes : on a l’impression qu’ils percoivent le mondeexterieur, qu’ils en ont une representation et agissent en fonction decette representation et non par simple reflexe. On peut considerercette representation comme le 1erdegre de la conscience.

3.2 Distinction homme / animal

L’homme ajoute a cela la reflexion, en plus de la simple perception ourepresentation. En meme temps qu’il percoit, il sait qu’il percoit, en memetemps qu’il agit, il sait qu’il agit. C’est le sens veritable de « conscience » :cum-scire, savoir avec ⇒ conscientia = « accompagne de savoir ». La con-science proprement dite est donc la capacite a ajouter une connaissance, unsavoir a un fait : je ne me contente pas de voir, mais je sais que je vois, etc.

Bilan a noter On distingue 3 sens de la conscience : la conscience commesensation et perception, la conscience psychologique ou conscience commereflexion et la conscience morale ou conscience du bien et du mal. La con-science au 1er sens est possedee par les hommes et certains animaux et laconscience aux 2 autres sens seulement par les hommes.

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Premiere partie

La conscience est-elle la source detoutes nos connaissances ?

1 La conscience comme representation du mondeexterieur

1.1 Le 1erdegre de la conscience : perception et sensationest indispensable a la connaissance du monde qui nousentoure

1.1.1 Etre en relation avec le monde exterieur

On peut deja dire que les plantes ou animaux « inferieurs » sont en rela-tion avec le monde exterieur au sens ou ils apportent une reponse aux vari-ations du monde exterieur qui leur permet de subsister. Il s’agit de ressentirun stimulus et de reagir en consequence, mais on ne parlera pas encore deperception ni d’action, mais simplement de reaction reflexe. Ils sont simple-ment en contact avec leur environnement, avec lequel ils sont en interaction.

Toutefois, cette relation au monde exterieur, si elle est indispensable asa connaissance, puisqu’elle est ce qui nous permet d’etre en relation aveclui, d’etre en contact avec lui, ne suffit pas a le connaıtre (elle est necessairemais pas suffisante pour la connaissance). Il s’agit d’un rapport immediat 1

(direct, sans mediation) au monde, qui ne permet pas de le connaıtre : onse contente d’adherer au monde, de se confondre avec lui, sans la prise dedistance necessaire a la connaissance.

1.1.2 La sensation et la perception permettent de franchir undegre de plus dans la connaissance

L’aigle voit sa proie, l’objet lui est presente, et l’aigle agit en fonction dece qu’il voit, en fonction de l’objet qui lui est presente et qui n’a pas d’actiondirecte sur lui. Il y a donc une distance entre l’objet et l’aigle, l’objet n’agitpas directement sur l’aigle et l’aigle peut attendre le moment propice pourfondre sur sa proie. Il y a donc un debut de mise a distance de l’objet.L’aigle n’est cependant pas a proprement parler conscient d’etre en trainde chasser pour manger : il agit par instinct, il est tout entier a son actionet a donc encore un rapport immediat au monde, qui ne passe pas par unere-presentation de l’objet, qui lui est simplement presente, et encore moinspar une representation de cet objet comme etant distinct de lui. L’aigleest encore dans l’immediatete de l’action, ce qui lui permet d’ailleurs de

1Reperes : mediat / immediat.

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gagner en rapidite et en efficacite. On peut comparer cette situation a celledans laquelle on se trouve quand on joue a des jeux repetitifs : exemple,on doit tirer sur les soldats mais pas sur les civils, au debut on est lentparce qu’on reflechit a chaque fois, et au bout d’un moment, des que lepersonnage apparaıt, on tire, on a presque l’impression que ca ne passe pluspar le cerveau, parce qu’on est dans une action de type reflexe.

1.2 Mais seule la relfexion permet de le connaıtre vraiment

Sensation et perception sont necessaires a la connaissance mais ne sontpas suffisantes. Pour connaıtre, au contraire, il faut une re-presentationde l’objet, cad non seulement sa presentation, mais sa reconnaissance con-sciente, il faut un retour reflexif sur cet objet, qui cree un rapport mediatentre moi et le monde. Je ne reagis pas de maniere immediate a une percep-tion, mais je forme dans mon esprit une image de ce que je percois, imagequi peut rester dans mon esprit une fois que la perception a disparu. Je merepresente l’objet percu comme etant quelque chose qui est distinct de moi,et par la, je me connais necessairement en meme temps moi comme etantdistinct de cet objet et comme etant celui qui percoit cet objet. Comme nousle verrons avec la phenomenologie, la conscience est en effet toujours con-science de quelque chose, et la conscience naıt de la visee de quelque chosequi n’est pas elle, qui lui est transcendant, cette visee de ce qui n’est pas elle,c’est ce qu’on appelle l’intentionnalite de la conscience, qui est necessaire ala conscience de soi. Je prends en effet conscience de moi comme etant celuiqui vise cet objet qui n’est pas moi et qui m’est exterieur, transcendant.

La connaissance du monde exterieur suppose donc le passage par lamediation de la representation et, de maniere liee, la reflexion : cad le faitnon seulement de voir mais de savoir que je vois, et par la, de savoir enmeme temps qu’il y a un “je” qui voit et qui est distinct de ce qu’il voit. Laconnaissance du monde suppose donc en meme temps la conscience de soi.

Elle suppose egalement une mise a distance, a la fois spatiale et tem-porelle. Spatiale : l’objet percu ne se confond pas avec moi, il est place devantmoi, en face de moi. Temporelle : je ne suis pas oblige d’agir immediatementen reponse a ma perception, mais je peux prendre le temps de reflechir, et,par exemple, de me souvenir de situations passees qui ressemblent a cellea laquelle je suis confronte. La memoire est en effet caracteristique de laconscience, qui peut garder l’image, la representation, de ce qui n’est pluspresent.

La conscience est meme fondamentalement liee a la temporalite. Commele fait remarquer Bergson dans la conference “La Conscience et la Vie” deL’Energie spirituelle (cf. manuel Nathan p. 36), une conscience qui ne con-serverait rien de son passe, cad qui s’oublierait elle-meme a chaque instant,ne ferait en fait que perir et renaıtre a chaque instant et ne serait doncpas une conscience. Elle ne se connaıtrait pas elle-meme et ne pourrait rien

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connaıtre, puisqu’elle oublierait immediatement. Elle ne pourrait rien fairenon plus, car une action consciente a toujours commence dans le passe etenvisage toujours l’avenir. Quand je prononce une phrase, par exemple, laphrase, dont je dis que je la prononce au present, est en fait constituee dessons que j’ai deja prononces et de ceux que je n’ai pas encore prononces.Une fois que j’ai termine de la prononcer, elle est deja entierement passee.C’est en ce sens que Bergson caracterise la conscience comme memoire etanticipation, memoire du passe et anticipation de l’avenir.

C’est cette capacite de memoire qui permet la veritable connaissance, carconnaıtre, c’est aussi se souvenir et etre capable de reconnaıtre. Je connaisun poeme parce que je suis capable de le reciter, de m’en souvenir, je connaisquelqu’un quand je suis capable de parler de lui meme quand il n’est pas laet de le reconnaıtre quand je le vois. Des que j’oublie, je ne sais plus.

Comme nous l’avons vu avec le texte de Pascal, la memoire est aussi cequi garantit l’identite d’une personne par la continuite de sa conscience : jesais que je suis le meme parce que je me souviens de ce que j’ai vecu dansle passe. Si la conscience perissait et renaissait a chaque instant, je pourraisetre sans cesse quelqu’un de different. Je ne connaıtrais donc ni le monde nimoi-meme.

Transition : Pour connaıtre, il faut donc une conscience au sens 2 :conscience comme reflexion, qui consiste en une representation du mondeexterieur, cad en un retour reflexif sur ce que nous sentons et percevons,assorti de la capacite de se souvenir. Cela pose cependant deux problemes :

1. Nos sensations et perceptions sont-elles fideles a la realite du mondeexterieur ? Autrement dit, nos sens peuvent-ils nous tromper sur lemonde.

2. Les representations que nous nous faisons a partir de ces sensationset perceptions leur sont-elles fideles ? N’interpretons-nous pas ce quenous percevons, au risque de transformer la realite objective ?

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2 La conscience que j’ai du monde exterieur et demoi-meme peut-elle constituer une connaissancefiable ?

Pb : qu’est-ce qui me garantit que je ne me trompe pas en croyantconnaıtre le monde exterieur, qu’est-ce qui me garantit que j’en ai une visionjuste ?

2.1 Pourquoi douter ?

Descartes, dans les Meditations metaphysiques (1641), part du constatselon lequel il a « recu quantite de fausses opinions pour veritables » depuisses 1resannees. Opposition croire / savoir.

Descartes, mathematicien, physicien et philosophe, xviie siecle. Physique :loi de la refraction, loi de Snell-Descartes n1 sin(i) = n2 sin(r), avec i an-gle d’incidence et r angle refracte, n est l’indice du milieu dans lequel sepropage la lumiere. Maths : il invente la geometrie analytique au meme mo-ment que Fermat = application des methodes de l’algebre a la geometrie =vecteurs et equations qui portent sur les composantes des vecteurs (systemesd’equations). y = ax + b = equation cartesienne d’une droite, decrit parl’algebre quelque chose de geometrique : une droite.

Probleme du fait d’avoir certaines opinions fausses : ce qu’il a fonde surde tels principes doit etre faux et s’il sait que certaines de ses opinions sontfausses, il y en a probablement d’autres qui le sont sans qu’il le sache.

Comment se defaire de l’erreur ? Comment etre sur que tout ce qu’iltient pour vrai l’est effectivement ? Il faudra ne plus avoir le moindre doutesur ses opinions et donc rejeter comme fausses toutes les opinions dont ildoute. Pour rejeter une opinion, il n’est pas necessaire de savoir qu’elle estfausse, il suffit de ne pas avoir la certitude qu’elle est vraie : le moindre petitdoute suffira a la rejeter. C’est ce qu’on appelle le doute hyperboliquecartesien : pour etre sur, mieux vaut trop douter que pas assez, le moindresoupcon doit faire abandonner une opinion, il faut tenir pour faux ce quin’est en fait que douteux, et on va voir que ca peut mener tres loin. Pb :s’il faut passer toutes ses opinions en revue, ca va prendre des siecles. Pasla peine : il suffit de commencer par celles sur lesquelles les autres reposent,en commencant par les fondements, on fera ecrouler tout l’edifice qui reposesur ces fondations.

Origine / fondement : ici, le fondement, c’est ce sur quoi repose lereste, c’est d’un point de vue logique et non chronologique, contraire-ment a l’origine. Le but de Descartes va etre precisement de montrer quesi nos connaissances, ou du moins nos opinions ont bien leur source dans lasensation, et donc la sensation est a leur origine, elles naissent de la sen-sation, la sensation n’est pas un fondement fiable pour la connaissance :

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on ne peut pas deduire logiquement la connaissance de la sensation, on nepeut pas en etre certain. Fondement = base logique solide ; origine =source chronologique pas forcement justifiee. On a la meme opposi-tion en politique, concernant par exemple le fondement d’une loi : on peutcomprendre comment on en est arrive a adopter une loi, mais se demandersi cette loi est fondee. Ca rejoint alors la question de la legitimite. Exempledu manuel : Discours sur l’origine et les fondements de l’inegalite parmiles hommes, Rousseau (xviiie siecle) ⇒ l’inegalite est un fait, on peut re-monter a son origine, mais est-elle pour autant fondee, c’est-a-dire y a-t-ildes raisons pour qu’une telle inegalite existe, est-ce sinon juste, du moinsprofitable.

Bilan a noter Descartes s’est apercu que certaines de ses opinions, qu’ilcroyait parfaitement assurees, etaient fausses. Si certaines de ses opinionsetaient fausses, il se peut que d’autres le soient aussi, voire qu’elles le soienttoutes. Pour se defaire de l’erreur et etre absolument certain de ce qu’il tientpour vrai, il va alors falloir qu’il considere tout ce qui est douteux commefaux. Il va falloir qu’il abandonne toutes les opinions douteuses comme sielles etaient fausses.

2.2 De quoi faut-il douter ?

2.2.1 Les sens sont trompeurs

• Tout ce que je considere avoir appris de plus vrai, je l’ai recu des sens.(On pourra donc penser que s’il remet en doute le temoignage des sens,il remet toutes ses connaissances en doute, puisque les plus assureesd’entre elles seront deja douteuses).

• Or ces sens m’ont quelquefois trompe, et il ne faut jamais se fierentierement a ceux qui nous ont trompe une fois ⇒ il faut donc douterde ce que j’ai appris par la perception et la sensation.

• Objection possible : nos sens nous trompent pour les « choses peusensibles et fort eloignees », mais il y a peut-etre d’autre choses quenous recevons par nos sens et dont nous ne pouvons pas raisonnable-ment douter. Parmi ces choses, le fait que ces mains et ce corps-cisoient a moi.

• D’apres cette objection, que se fait Descartes a lui-meme, en anticipantune objection qu’on pourrait lui faire, s’il semble acceptable de mettreen doute la conscience que j’ai du monde par la perception et la sensa-tion, il ne semble pas possible de mettre en doute la conscienceque j’ai de moi-meme, et en particulier de mon corps, car j’enai une conscience intime et immediate (bien qu’immediate, elleest conscience, parce qu’elle est reflexive). Il ne semble pas possible dese tromper la-dessus, car il n’y a aucune distance de moi a moi-meme,

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contrairement au cas des objets, pour lesquels il y a une distance entremoi et mes sens et les objets percus par les sens. J’ai conscience nonseulement que ce corps m’appartient, mais que je suis ce corps.

• Or, pour Descartes, meme cette conscience que j’ai de moi-meme, demon corps, doit etre mise en doute. (Cf. sujet : « Suis-je ce que j’aiconscience d’etre ? »).

• Reponses que donne Descartes a l’objection de la connais-sance intime :

1. Les fous croient etre rois quand ils sont tres pauvres. Reponserejetee, car il serait extravagant que je me regle sur leur exemple.

2. Argument du reve : quand je reve, je me represente des chosesinsensees, par exemple que je suis habille pres du feu alors que jesuis nu dans mon lit. Contre-argument : je sens maintenant leschoses clairement, je n’ai pas l’impression d’etre assoupi. Rejetdu contre-argument : j’ai souvent eu de telles illusions quandje dormais. Conclusion : il n’y a pas d’indices concluants pour« distinguer nettement la veille d’avec le sommeil ». Admettonsdonc que nous soyons endormis.

3. Cependant, ce que nous nous representons dans notre sommeilne peut etre forme qu’a la ressemblance de choses reelles. Parexemple, on peut melanger et recomposer des tetes, des mains,etc., mais ces elements au moins representent des choses reelles,comme dans les tableaux des peintres. Passage a la limite : unpeintre d’une grande imagination pourrait peut-etre inventer quelquechose que nous n’ayons absolument jamais vu auparavant, maisau moins, les couleurs dont le tableau est compose doivent etreveritables.

Les choses ne sont donc pas forcement comme j’ai conscience qu’ellessont. Je ne suis pas non plus forcement moi-meme ce que j’ai conscienced’etre. Mais il semble y avoir au moins certaines choses dont j’ai conscienceet qui sont veritables, ces choses etant peut-etre a l’origine de toute connais-sance possible. Puis-je faire reposer toute ma connaissance sur ces quelqueselements dont j’ai conscience et dont il ne semble pas possible de douter ?

Bilan a noter Mes sens m’ont deja trompe. Si on applique le doute hy-perbolique, on peut donc dire qu’il est possible qu’ils me trompent toujours.Je ne peux donc pas tenir pour vrai ce qui me vient de la sensation et de laperception. Mais lorsque j’imagine, je ne peux pas tout inventer de A a Z :il faut au moins que certains elements me viennent de choses reelles que j’aipercues. Ces elements-la ne seraient pas douteux, ils pourraient etre la based’une connaissance certaine.

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2.2.2 Je peux me tromper sur tout ce que je crois savoir

• Il doit donc y avoir des choses plus simples et plus universellesqu’une tete ou une main, qui, tout comme les couleurs, permettentde former, par leur melange, les images qui sont dans notre pensee,les representations qui sont dans notre conscience. Ces choses seraientl’etendue (le fait qu’une chose se situe dans l’espace), la figure (=la forme), le nombre, la grandeur, le lieu, la duree et autres chosessemblables. Les sciences qui dependent de la consideration de chosescomposees, comme la physique ou l’astronomie seraient alors dou-teuses, parce qu’il pourrait y avoir une erreur sur la composition, maispas l’arithmetique ou la geometrie, immediatement constituees de ceselements simples. Elles traitent en effet de choses tres generales et necherchent pas a savoir si elles existent dans la nature. Deux ettrois feront toujours cinq, « soit que je veille ou que je dorme ».

• Objection : « J’ai en mon esprit depuis bien longtemps qu’il y a unDieu qui peut tout ». Dieu est donc peut-etre trompeur, c’est-a-direil peut n’avoir pas fait qu’il y ait de l’etendue, de la figure, etc., maisavoir fait que j’aie les sentiments de toutes ces choses. Il peut avoir faitque je me trompe chaque fois que je fais l’addition de deux et de trois.Je sais en effet que je me trompe parfois, des lors, pourquoi est-ce queje ne pourrais pas me tromper toujours ? Et s’il n’y avait pas un Dieutout puissant, mais que j’aie ete forme par quelque chose de moinsparfait, le hasard, par exemple, il serait d’autant plus probable que jesois imparfait et que je me trompe.

• Il se pourrait qu’un Dieu trompeur mette dans ma conscience des ideesfausses, des opinions qui ne sont pas des connaissances, meme pour leschoses qui ne relevent que de l’esprit et pas d’une confrontation avecla realite.

Bilan a noter Meme les elements simples sans lesquels je ne peux paspenser sont peut-etre faux. Il peut en effet y avoir un Dieu trompeur quis’amusent a mettre dans mon esprit des idees fausses.

Transition : Ce n’est donc pas la conscience comme perception et sen-sation qui pourra etre la source de toutes nos connaissances, parce que masensation peut ne pas refleter la realite, mais meme pas non plus les ideesqui sont directement dans ma conscience sans avoir besoin de me venir del’exterieur. Comment fonder alors toutes mes connaissances ? Est-il possiblede savoir quelque chose de certain ?

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3 Que puis-je savoir indubitablement ? Conscienceet connaissance du moi

2e Meditation.On a etabli a la meditation 1 qu’il fallait faire comme si ce qui est seule-

ment douteux etait absolument faux. Ca nous a conduits a rejeter commedouteux non seulement tous les objets exterieurs, mais meme notre proprecorps ou tout ce que nous pensons. En me persuadant qu’il n’y avait riendans le monde et que je n’avais ni sens ni corps, est-ce que je me suisaussi persuade que je n’etais pas ?

3.1 Je suis

• Si je me suis persuade ou seulement si j’ai pense quelque chose, c’estque, assurement, j’etais, sans quoi je n’aurais pas pu penser.

• S’il y a un mauvais genie qui me trompe, alors il n’y a pas de douteque je suis : le mauvais genie ne peut donc pas etre une objection amon existence.

• D’ou « il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Jesuis, j’existe, est necessairement vraie, toutes les fois que je la prononceou que je la concois en mon esprit ».

Descartes, Meditations metaphysiques, 2e meditation, manuel p. 25.

3.2 Que suis-je ?

• Je sais donc indubitablement que je suis, mais que suis-je ?• La seule chose que je ne puisse detacher de moi est la pensee.• « Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? A savoir

autant de temps que je pense ; car peut-etre meme qu’il se pourraitfaire, si je cessais de penser, que je cesserais en meme temps d’etre oud’exister ».

• Cela signifie que je ne suis sur d’exister que tant que je pense.• Il n’y a donc qu’une chose qui soit necessairement vraie : je suis

« une chose qui pense, c’est-a-dire un esprit, un entendement ouune raison ».

• Au passage, on remarquera le passage du « je pense » a la « chose quipense » : Descartes fait de la conscience une substance, c’est-a-dire quelque chose qui existe par soi-meme et independamment detoute autre chose, ce qui n’a rien d’evident et n’est pas vraiment jus-tifie par ce qu’il a dit precedemment. Substance, etymologiquement,signifie « ce qui se tient dessous ». La substance est quelque chosequi existe par soi-meme, qui n’a pas besoin d’autre chose pour exister,mais est au contraire le support des qualites. La couleur blanche, parexemple, n’est pas une substance parce qu’elle ne peut pas exister par

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elle-meme, il lui faut quelque chose pour exister : une table, un mur,etc., il lui faut un support, et ce support, c’est la substance. En ce sens,la substance est un sujet, c’est-a-dire quelque chose de constant,de permanent, a quoi on rapporte des qualites qui, elles peuvent etrechangeantes. Le sujet, c’est ce qui supporte des qualites, c’est un sup-port. Quant a ces qualites, on les appelle des « accidents », l’accidentetant ce qui existe non par soi-meme, mais grace a une autre chose etpar suite ce qui peut etre modifie sans que la chose elle-meme changede nature ou disparaisse. Rapport avec ce qu’on appelle aujourd’huil’accident ? L’accident est ce qui peut etre ou ne pas etre, ce qui auraitpu etre autre sans changer la chose : l’accident est contingent tandisque la substance appartient a l’essence de la chose, a sa na-ture profonde, a ce qu’elle est fondamentalement (quand on cherchece que je suis, on cherche mon essence). [Essentiel / accidentel] Exem-ple : il fait partie de l’essence d’un triangle d’avoir 3 cotes, mais il estaccidentel que ce triangle soit rectangle ou isocele.

• « Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-a-dire qui doute, qui concoit,qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et quisent. » Tout cela ne peut pas etre distingue de ma pensee, c’est-a-diresepare de moi-meme.

• Pour l’instant, je sais seulement que je suis un esprit, rien de plus.Je ne sais en particulier pas si j’ai (ou si je suis) aussi un corps.Cette possibilite de penser l’esprit (ou la conscience) comme substanceindependamment de tout corps est a l’origine du dualisme cartesien :il y a pour Descartes 2 substances distinctes et separees, le corps etl’esprit.

Bilan a noter Puisque je pense, je sais indubitablement que je suis, ettout ce que je sais de moi, c’est que je suis une chose qui pense, une substancepensante. Cette substance pensante, je peux me la representer independantede toute substance corporelle, de toute matiere.

3.3 Le morceau de cire

• Je ne peux cependant pas m’empecher de croire que je connais mieuxles choses corporelles, les choses materielles, que mon esprit, parceque je peux me les representer dans mon imagination, alors que jene peux pas imaginer mon esprit. Qu’en est-il alors de ces chosescorporelles ? Que puis-je en connaıtre ?

• Ce que nous croyons connaıtre le mieux, ce sont les corps que noustouchons et que nous voyons. Par exemple un morceau de cire.

• Mais que connaissons-nous en realite du morceau de cire ?• Cas du morceau de cire qui vient d’etre tire de la ruche. Il a

encore la douceur du miel qu’il contenait, l’odeur des fleurs dont il a

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ete recueilli. Sa couleur, sa figure, sa grandeur sont apparentes, il estdur, il est froid, on le touche, si on le frappe, il rend un son.

• Mais si je l’approche du feu, il perd sa saveur, son odeur, sa couleurchange, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, ils’echauffe, a peine peut-on le toucher, et si on le frappe, il ne rendraaucun son.

• Pourtant, c’est la meme cire qui demeure.• Mais si aucune de ces qualites sensibles ne fait la cire, qu’est-ce que je

connaissait de ce morceau de cire avec tant de distinction ?• Peut-etre seulement que c’est un corps qui me paraissait avant sous

certaines formes et me paraıt maintenant sous d’autres.• Tout ce qui reste de la cire qui ne soit pas changeant, c’est quelque

chose d’etendu, de flexible et de muable, c’est-a-dire capable d’uneinfinite de changements.

• Mais je ne peux pas percevoir une infinite de changements. Ce n’estdonc pas par la sensation que je peux connaıtre le morceau de cire.Ce n’est que par mon esprit que je le connais, par une introspectionde l’esprit : je ne vois pas de la cire, mais je juge que c’est de la cire,tout comme quand je vois des chapeaux passer dans la rue, je juge quece sont des hommes, mais je ne vois pas que ce sont des hommes.

• C’est donc de ma conscience que me vient la connaissance des chosesmaterielles. Je me connais moi-meme par une introspection de la con-science, mais je connais aussi les choses exterieures a moi par uneintrospection de la conscience.

Bilan a noter C’est de ma conscience que me vient la connaissance deschoses materielles. Je me connais moi-meme par une introspection de laconscience, mais je connais aussi les choses exterieures a moi par une intro-spection de la conscience. La sensation, en effet, ne me permet pas de direqu’un faisceau de sensations est une seule et meme chose ni qu’une chose estidentique a elle-meme dans ses changements.

Transition Y a-t-il une realite du monde que je juge etre le monde exterieuren dehors de ma conscience ?

3.4 Redecouverte du monde a partir de la conscience

A partir de la conscience, Descartes retrouve tout le reste : dans la 3e

meditation, il deduit du cogito l’existence de Dieu, defini comme un etreparfait (qui est la cause de l’idee d’infini et de perfection que nous avons ennotre esprit), dans la 4e , que « les choses que nous concevons fort clairementet fort distinctement sont toujours vraies », dans le 6e (exemple d’idee claireet distincte : un triangle est une figure a 3 cotes, elle est forcement vraie, ce

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qui ne signifie pas qu’il existe en dehors de moi un tel triangle), il apporte« les raisons desquelles on peut conclure l’existence des choses materielles ».

Raisons de l’existence des choses materielles :– Difference entre concevoir et imaginer. L’imagination, contraire-

ment a l’entendement, n’est pas uniquement spirituelle : elle a besoinde se tourner vers la nature corporelle, elle est a la fois spirituelle etcorporelle. L’existence de l’imagination rend donc tres probable uneexistence de la nature corporelle, dont je fais l’experience comme uniea ma pensee.

– J’attribue naturellement mes sensations a l’action de corps exterieurssur moi. Cette inclination naturelle ne peut pas etre tout le tempsillusoire sans quoi ca voudrait dire que Dieu m’a cree de sorte queje me trompe tout le temps, ce qui est impossible, puisqu’il estparfait et bon.

Mais Descartes admet que l’existence des choses exterieures n’estpas aussi certaine que celle de mon esprit, de Dieu et de mon ame. Parailleurs, savoir qu’il existe des choses materielles en dehors de nous ne nousgarantit pas que nous ne nous trompons pas sur ce qu’elles sont. L’existencedes choses materielles reste donc un point faible de la pensee de Descartes.

Probleme : Est-il possible de sortir de ma conscience pour connaıtre,depuis ma conscience, le monde exterieur. C’est le probleme qui se pose sion ne peut pas faire confiance aux sens. Une fois qu’on a detache les chosesmaterielles des choses spirituelles, qu’on a adopte une position dualiste, leprobleme est de pouvoir relier les deux, matiere et esprit pour comprendrecomment il peut nous etre possible de connaıtre le monde exterieur. Nous yreviendrons dans le cours sur la matiere et l’esprit.

Il nous faudra aussi nous demander si nous ne sommes que notre con-science et que ce que nous avons conscience d’etre ou si une partie de nous-memes n’echappe pas a notre connaissance. Nous y reviendrons dans lecours sur l’inconscient.

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Deuxieme partie

2e cours : Peut-on depasser laseparation entre l’esprit et lamatiere ?

1 Puis-je sortir de ma conscience pour connaıtrele monde objectivement ?

1.1 L’idealisme

Pb qui se pose = si je ne peux pas avoir d’acces au monde en dehorsde ma propre conscience, il ne m’est donc jamais possible de comparer unmonde exterieur qui serait objectif 2 a la representation subjective quej’en ai. Comment puis-je alors savoir que je ne transforme pas le monde,comment savoir si le monde est bien conforme a la representation que jem’en fais ? Il ne m’est pas possible d’avoir acces au monde tel qu’il est endehors de ma conscience.

C’est deja ce qu’on peut comprendre de l’analyse de Kant, dans laCritique de la raison pure, qui explique qu’on ne peut avoir acces qu’auxphenomenes, cad aux choses telles qu’elles nous apparaissent et non auxchoses en soi (noumenes), cad telles qu’elles sont en dehors des cadres quenos capacites cognitives projettent sur le monde. Le but de Kant est dedeterminer les conditions de possibilite de notre connaissance. Notre penseea certaines structures et c’est a partir de ces structures que nous connais-sons le monde, elles fonctionnent un peu comme un filtre qui met en ordrele monde. Kant dit que la connaissance des objets depend des “structures apriori [cad avant experience] de la sensibilite et de l’entendement”. L’espaceet le temps n’appartiennent pas au monde exterieur mais sont des “formes apriori de la sensibilite”. Les categories de l’entendement sont des conceptscomme l’unite, la causaite, etc.

C’est ce qu’on appelle un idealisme (= affirme la preeminence des idees,des representations mentales abstraites, sur la realite concrete et materielle).Chez Kant, on parle d’idealisme transcendantal (= ce qui rend possiblela connaissance independamment de toute experience). Cet idealisme n’ex-clut pas l’existence des choses exterieures, ne la remet meme pas en cause,mais dit qu’il serait vain de vouloir connaıtre les choses telles qu’elles sontindependamment de la maniere dont elles nous apparaissent.

La forme la plus extreme de l’idealisme est l’immaterialisme de Berkeley.2Objectif / subjectif. Est subjectif ce qui releve d’une perception personnelle, ce qui

est relatif au point de vue d’un sujet et objectif un fait, ce qui est reellement, les qualitesreelles d’un objet, independamment du jugement d’un sujet.

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Berkeley, philosophe irlandais du debut du xviiie siecle, dans les Principesde la connaissance humaine, 1710, §1–33, trouve absurde de remettre enquestion, comme le fait Descartes, l’existence des choses sensibles alors qu’ilest assez evident qu’un morceau de pain nous rassasie (Kant ne la remet pasen question non plus). Berkeley ne voit pas comment une chose peut etrereellement percue par les sens sans exister reellement.

Mais ce qu’il nie, c’est que les objets de notre perception soient en dehorsde nous, en dehors de notre esprit, de notre conscience. C’est ce qu’on appellel’immaterialisme. Si ce qui prouve l’existence de la chose que je percois estprecisement le fait que je la percoive, on ne peut pas separer l’existence dufait d’etre percu. On ne peut pas separer la chose qu’on percoit du fait dela percevoir. “Esse est percepi” (etre, c’est etre percu).

Or la perception est une idee. Comme nous l’avons vu, la perceptionconsciente et reflechie, qui est la base de la connaissance du monde exterieurconsiste en fait en une representation. C’est donc dans notre idee, dansnotre pensee, dans notre conscience, que la chose existe, et non en dehors denous. C’est en ce sens qu’on peut dire que l’immaterialisme est un idealisme,c’est meme le cas extreme de l’idealisme, puisqu’il supprime totalement lamatiere en disant que ce que nous prenons pour le monde exterieur n’existeen fait que dans notre pensee. Il n’existe pas de matiere consideree commeune substance exterieure a mon esprit, transcendante (6= immanente), d’ouproviendraient mes perceptions. Pour Berkeley, il n’existe rien en dehors dema conscience.

Principe d’economie (= Dieu ou la nature ne fait rien en vain) : s’ily avait des choses en dehors de notre esprit, nous n’aurions aucun moyende le savoir, puisque nous pourrions etre affectes de toutes les idees quenous avons maintenant meme s’il n’existait aucun corps qui leur ressemble.Supposer qu’il y a des choses en dehors de nous, c’est donc supposer queque Dieu a fait des choses inutiles.

On peut comparer cela avec les cerveaux dans une cuve de Putnam,nathan p. 375 : finalement, si le monde exterieur n’existe pas vraiment endehors de notre cerveau, ca ne change pas grand chose pour nous.

Experience de pensee : essayez de vous representer quelque chose quiexisterait en dehors de votre pensee, en dehors de votre perception. Lestables dans la salle d’a cote ou des arbres dans un parc ou il n’y a personne.Est-ce que c’est possible d’imaginer ca ? A partir du moment ou je l’imagine,c’est que je le pense, et je ne peux pas separer l’objet pense de la penseede l’objet. De la meme maniere que je ne peux pas separer le blanc de sonsupport : la table blanche, le mur blanc, etc.

Il n’y a pas d’objet en dehors de notre esprit, mais ces objets, nous lesconnaissons bien, nous les connaissons d’autant mieux qu’ils ne sont riend’autre que notre perception. En ce sens, la perception que nous en avonsest necessairement fiable. Nous percevons necessairement l’objet tel qu’il est,puisque l’existence de l’objet consiste a etre percu.

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Pourtant, nous avons bien l’impression que nos idees, nos imaginations,etc., ne sont pas la meme chose que ce que nous percevons comme des objetsen dehors de nous.

Bilan Puisque nous ne pouvons jamais sortir de notre esprit, nous ne pou-vons pas savoir s’il existe des objets en dehors de nous, s’il existe un mondeexterieur, ou si tout n’est fait que des idees qui sont dans notre esprit. Ilse pourrait que le monde que nous considerons comme nous etant exterieursoit en fait integralement inclus dans notre esprit. Pourtant, nous faisonsspontanement la difference entre ce qui releve uniquement de la fiction denotre esprit ou des pensees abstraites et ce que nous considerons commeexistant a l’exterieur de nous.

1.2 La phenomenologie

• Comme nous l’avons vu, la phenomenologie considere que la consciencese caracterise par son intentionnalite, cad que la conscience est tou-jours conscience de quelque chose. [Phenomenologie principalementrepresentee par Husserl, allemand, fin xixe– debut xxe]

• Contrairement a Kant, la phenomenologie considere qu’il n’y a pasd’essence de choses, de choses en soi, en dehors des apparences, au-delades phenomenes. Il n’y a rien d’autre que des phenomenes. L’essencedes choses, c’est l’apparence.

• Est-ce que cela suppose l’existence de quelque chose en dehors de laconscience, de transcendant a la conscience, qui serait a l’origine deces apparences ?

• La reponse n’est pas evidente, car on pourrait penser, comme le faitBerkeley, que si la conscience est bien conscience de quelque chose, ellepourrait tres bien viser quelque chose qui est inclus en elle.

• Pourtant, ce que nous montre la phenomenologie, c’est que nous nenous rapportons pas de la meme maniere a ce que nous percevonscomme nous etant exterieur et a ce que nous imaginons, a ce dontnous nous souvenons ou a ce que nous pensons, et dont nous con-siderons que cela se situe dans notre conscience, et non a l’exterieurde nous.

• La phenomenologie considere que la conscience est toujours consciencede qch et etudie les differentes formes que peut prendre ce qch (imag-ination, perception, etc.) pour etudier les differentes forme de con-science qui en resultent.

• L’imagination considere son objet comme absent, tandis que la per-ception considere son objet comme present et exterieur a la conscience.Husserl, dans Chose et Espace, parle d’un objet qui se tient la sur lemode de la presence-en-chair-et-en-os.

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• Mais la encore, tout cela pourrait venir de nous. C’est nous qui con-siderons l’objet percu comme present.

• Il y a cependant d’autres differences entre ce que je percois et ceque j’imagine ou ce que je pense : Textes de Husserl et de Sartre(francais, xxe siecle).

• Lorsque je concois une chose dans mon esprit, je la connais immedia-tement tout entiere, j’apprehende toutes ses facettes, toutes ses pro-prietes d’un seul coup. Rien ne peut m’echapper puisque l’objet n’estque ce que j’en pense, il n’a donc aucune autre propriete que cellesque je lui attribue.

• Lorsque, au contraire, j’ai conscience d’une chose comme percue, lorsqueje la vise comme etant exterieure a ma conscience, je dois en faire letour, c’est-a-dire percevoir successivement ses differentes facettes. Ilme faut alors unifier par la conscience ces differentes facettes que jevise comme etant les differentes facettes d’un seul et meme objet per-manent, il me faut en faire la synthese (poly analyse/synthese). Dupoint de vue de la connaissance, un certain nombre de problemes peu-vent se poser dans le cas de la perception :– Je n’ai acces qu’a une succession d’impression mais je considere l’ob-

jet comme constant, comme permanent. Je pourrais me tromper : ilpourrait etre changeant.

– Je pourrais egalement me tromper en groupant les sensations. Qu’est-ce qui me prouvent en effet qu’elles vont bien ensemble, qu’elle provi-ennent d’un meme objet qui a une unite ?

– Je n’ai que des apercus de l’objet, que des points de vue sur lui.Par exemple, quand on regarde un cube, les cotes n’apparaissentpas egaux. Il m’en faudrait une infinite pour etre sur de bien avoircerne l’objet, de lui attribuer les bonnes proprietes.

– Pour la meme raison, on ne peut pas connaıtre tous les details del’objet, soit parce qu’ils sont trop nombreux, soit parce qu’ils noussont inaccessibles (trop petits par exemple).

Transition : Je fais bien la difference entre des objets qui seraient al’exterieur de moi, ou plutot des choses que je peux percevoir, et ce quej’imagine ou ce a quoi je pense. Il semble donc bien qu’il y ait quelque choseen dehors de moi, a quoi je ne me rapporte pas de la meme maniere qu’a cequi est uniquement dans mon esprit. Mais qu’est-ce qui me garantit que ceque je percois correspond bien a la realite, qu’il y a bien dans la realite cetobjet tel que je le percois ?

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2 Peut-on connaıtre la realite telle qu’elle est oul’interprete-t-on toujours ?

Definition de l’interpretation : vient du latin interpretari = expliquer,traduire, prendre dans tel ou tel sens. D’ou les sens suivants :

1. rendre clair, trouver un sens cache, donner une signification ;

2. jouer une œuvre pour en exprimer le sens ;

3. deformer.

Ces sens sont souvent lies :– interpreter, c’est comprendre de facon que ca fasse sens pour nous,

que quelque chose dont le sens n’est pas imediatement evident (memesi parfois il peut nous le paraıtre) prenne sens pour nous

– ⇒ volonte qu’a l’esprit de donner un sens a ce qui paraıt equivoque,confus ou qui n’a pas de sens pas soi-meme (marc de cafe) ;

– ⇒ il peut y avoir une part d’invention (cf. interpreter une partition)ou de trahison ;

– → il y a pourtant l’idee de la justesse d’une interpretation : n’importequelle interpretation n’est pas acceptable.

Sujet : Interpreter, est-ce trahir ?Ici, pour la question qui concerne ce cours, on se demande si on ne voit

pas la realite autre qu’elle n’est, au sens ou on la trahirait.

2.1 Les sens sont-ils un intermediaire fiable entre mon espritet le monde exterieur ?

• Idee de la phenomenologie = je n’ai acces qu’a un faisceau de sensa-tions, et c’est moi qui unifie ces sensations pour en faire un objet. Jedis par exemple que toutes les sensations que j’ai : taches de couleur,forme, reflet, et meme douceur, durete, etc., se rapportent a un seulet meme objet qui est un table.

• Mais est-ce que je ne peux pas me tromper en associant dessensations a un unique objet ? A un objet determine ? Est-ce queje ne peux pas me tromper d’objet ?

1. Me tromper d’objet : le mirage. L’oasis dans le desert, maisaussi la flaque sur le goudron quand il fait chaud. La chaleur dusol devie les rayons lumineux ⇒ les rayons provenant de l’objetreel (le ciel dans notre cas) qui auraient du etre arretes par le solet qu’on n’aurait donc pas du voir, qui n’auraient pas du arrivera notre œil, sont devies par l’air chaud au niveau du sol (pluschaud pres du sol, la chaleur varie en fonction de la hauteur, doncl’indice de refraction varie en fonction de la hauteur — gradientde temperature — et une variation d’indice devie les rayons) etdu coup arrivent a notre œil et on a l’impression de voir l’objet

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au niveau du sol, alors qu’il s’agit en realite du ciel. Conclusion :on croit voir une flaque d’eau au sol, alors que ce qu’on voit, c’estle ciel. Nos sens nous font croire qu’on voit un certain objet, alorsque c’est un autre objet qu’on devrait voir ⇒ on croit voir unobjet qui n’existe pas dans la realite. C’est a cause de sensationsbien reelles qu’on croit voir un objet qui lui n’est pas reel : c’estune erreur d’interpretation portant sur ce a quoi il faut rapporternos sensations.

2. Me tromper sur l’objet, sur ce qu’est l’objet : l’illusiond’optique. Baton rompu. Quand on a un baton a moitie dansl’air et a moitie dans l’eau, c’est pas le meme indice de refractionde la lumiere. Du coup, le baton nous apparaıt rompu alors qu’ilest en realite droit. On voit bien le bon objet au bon endroit, maison ne le voit pas comme il est, parce qu’on interprete l’imagequ’on recoit comme etant celle d’un baton rompu, parce qu’onn’est pas capable de determiner d’ou viennent les rayons.

• Dans tous les cas, c’est nous qui constituons l’objet a partir de sen-sations. Dans le cas de la table, rien ne nous garantit qu’il y a unobjet « table » qui se detache du reste de la realite : c’est nous qui ladetachons.

Bilan La perception sensorielle consiste dans une somme d’impressionssensorielles. Notre esprit regroupe certaines d’entre elles pour les rapportera ce qu’il considere etre un seul et meme objet. C’est de cette maniere quenous pouvons dire que nous percevons differents objets. Mais qu’est-ce quinous garantit que nous ne nous trompons pas en affirmant que telle outelle sensation provient de tel ou tel objet, et donc que telle ou telle qualiteappartient reellement a tel ou tel objet ? Les illusions nous montrent quenous pouvons nous tromper en jugeant des caracteristiques d’un objet apartir de nos sensations.

Transition : L’illusion est cependant l’exception et non la norme. On peutse demander si elle n’est pas un cas limite d’un rapport de l’esprit au mondeexterieur qui fonctionne generalement bien. L’illusion ne montre-t-elle pasjustement par son caractere exceptionnel que nous avons d’habitude desperceptions conformes a la realite ? Notre esprit est habitue a certaines loisoptiques, notamment a celle selon laquelle la lumiere se transmet de maniererectiligne, et ce n’est que quand on s’eloigne du cas habituel qu’il peutmal interpreter des sensations qui sont habituellement fiables. On pourraitpenser que d’habitude, l’esprit n’a pas a retablir la realite, que d’habitude,la perception est l’exact reflet de la realite et que l’esprit n’a pas besoind’interpreter mais que la perception est immediate dans le cas general.

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2.2 L’inevitable interpretation

• Si on revient sur les exemples de Descartes, le morceau de cire etles chapeaux et les manteaux, on a pourtant l’impression que l’in-terpretation est le cas general, qu’on juge plus qu’on ne percoit. Maispeut-etre est-ce parce que ce sont des cas complexes. Ne peut-on pasen effet percevoir tout simplement un chapeau ou un manteau ?

? Figure 1 : Exemple d’Alan Chalmers (xxe siecle) dans Qu’est-ce quela science ? Qu’est-ce qu’on voit ? Est-ce que tout le monde voit la memechose ?

– On pense generalement que la vue nous donne un acces direct a cer-taines proprietes du monde exterieur et que deux observateurs humainsqui regardent la meme chose depuis le meme endroit verront la memechose.

– La figure 1 a pour but de montrer que ce n’est pas le cas.– La plupart d’entre nous voyons un escalier qui nous presente la face

superieure de ses marches. Mais on peut aussi voir un escalier quipresente la face inferieure de ses marches. Or l’objet vu reste le meme,donc l’image retinienne est la meme qu’on voie l’escalier d’une faconou d’une autre.

– Et surtout, des membres de nombreuses tribus africaines qui ne con-naissent pas dans leur culture la perspective bidimensionnelle d’objetstridimensionnels ont indique qu’ils ne voyaient pas un escalier, maisun arrangement bidimensionnel de lignes.

– Idee que ce qu’on voit est immediatement influence par ce qu’on saitet ce qu’on attend, immediatement interprete. Nous ne pouvons pasnous empecher de voir un escalier dans la 1re figure.

– L’image que nous avons sur notre retine est la meme, et pourtant,nous ne voyons pas la meme chose.

– ⇒ Ce que voit un observateur depend donc en partie de son experiencepassee, de ses connaissances et de ses attentes, et pas seulement del’image qui se forme sur sa retine.

? Figure 2 : le canard-lapin. Celebre dessin du psychologue americainJoseph Jastrow (fin xixe–debut xxe), commentee par Ludwig Wittgenstein(1re moitie du xxe) dans les Recherches philosophiques (ou Investigationsphilosophiques) et l’historien de l’art Ernst Gombrich (xxe).

Bilan Il nous est impossible de seulement voir ou percevoir sans immediatementinterpreter ce que nous voyons ou percevons. Plus exactement, ce que nouspercevons est deja interprete : il n’existe pas de perception non interpretee.Percevoir, c’est deja interpreter. Dans ces conditions, nous ne pouvons passeparer la realite percue de l’esprit qui la percoit, et nous n’avons pas d’as-surance que notre interpretation de la realite ne deforme pas cette realite.Nous ne pouvons pas savoir si ce que nous percevons correspond a quelque

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chose qui existe reellement de cette maniere hors de nous. Lorsque nouspercevons la matiere, nous ne pouvons pas separer totalement la matierepercue de l’esprit qui la percoit.

Transition : Il s’agit cependant la de perception ou d’observation ordi-naire, spontanee. Nous pouvons nous demander si la science ne peut pasvenir a notre secours en nous donnant acces a la realite telle qu’elle est.La science peut en effet nous dire que ce que nous voyons est un mirage etnous expliquer a quelle realite correspond ce mirage, et meme pourquoi nousvoyons le mirage comme nous le voyons au lieu de voir la realite telle qu’elleest. Pourrons-nous donc, par la science, avoir acces au monde exterieur anotre esprit tel qu’il est, sans l’interpreter et sans risquer par la de le modi-fier ?

2.3 Science et interpretation

2.3.1 La science n’est pas denuee d’interpretation

• La science, en decouvrant les lois de la nature, nous permet de nousdefaire des erreurs de nos sens. Elle nous explique, grace aux lois del’optique, pourquoi nous voyons un mirage, elle nous montre que bienque nous voyions le Soleil tourner autour de la Terre, c’est la Terrequi tourne en realite autour du Soleil. Connaıtre en sciences, c’estconnaıtre les causes des phenomenes, les lois qui les regissent.

• Nous pouvons alors nous demander si la science nous permet cet accesdirect a la realite que la perception ordinaire ne permet pas.

• Mais dire que je comprends les phenomenes par les lois qui les regissent,c’est dire que ce sont mes connaissances theoriques qui me permet-tent de guider l’interpretation de mes observations. Si la science est anouveau interpretation, peut-on avoir confiance dans les observationsscientifiques ?

• En fait, l’observation scientifique, parce qu’elle prend appui sur desexperimentations 3 est encore moins denuee d’interpretation que dansl’experience ordinaire, pour 3 raisons :

1. L’utilisation d’instruments.

2. La production d’enonces d’observation qui presupposent des theories.

3. L’observation est guidee par la theorie.

• Etudions ces 3 points :3On distingue generalement l’experimentation de la simple observation. L’-

experimentation repose sur la mise en place de protocoles experimentaux, sur l’interventionsur la nature, par opposition a la simple observation qui consiste a observer la nature sansla modifier, sans intervenir.

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1. L’utilisation d’instruments. Exemple de Polanyi (repris par Chalmersdans Qu’est-ce que la science ? : etablir un diagnostic a par-tir d’une radiographie X. Un etudiant en medecine regarde destraces obscures sur un ecran fluorescent et entend le radiologuecommenter a ses assistants dans un langage technique les car-acteristiques de ces zones d’ombre. L’etudiant est d’abord comple-tement perdu, car il ne voit dans la radio d’une poitrine que lesombres du cœur et des cotes et entre elles quelques taches enforme d’araignee. L’etudiant ne voit rien de ce dont parle le ra-diologue, qui semble tout droit sorti de son imagination. Mais enassistant a plusieurs seances de ce genre et en regardant atten-tivement, il finira par reussir a distinguer les poumons, puis, enperseverant, quantite de details significatifs. Meme s’il ne voit en-core qu’une fraction de ce que voient les experts, il commenceraa voir beaucoup plus de choses qu’avant. Sa perception est doncchangee par ce qu’il a appris. Il lui a fallu apprendre a voir, dememe qu’il faut apprendre a voir au microscope, a ne pas tenircompte des aberrations, par exemple, or considerer les aberra-tions comme non significatives, ce n’est pas evident, il faut l’avoirappris. Il faut avoir appris a faire la difference entre ce qui est sig-nificatif et ce qui ne l’est pas (d’apres Hacking, pas en apprenantles theories, mais par l’experience, par la manipulation). Or faireconfiance a ses instruments, c’est faire confiance aux theories quiont preside a leur fabrication et a celles qui reglent leur usage. Ilse peut toujours qu’on prenne un artefact pour une realite.

2. La production d’enonces d’observation qui presupposent des theo-ries. Pour communiquer a la communaute scientifique ce qu’ilvoit, le scientifique est oblige non seulement de voir, mais deformuler ce qu’il voit, de mettre des mots dessus pour le commu-niquer dans un langage comprehensible par tous. Quand on dittout simplement « Voici un morceau de craie », on suppose que lesbatons blancs trouves dans les salles de classe sont des batons decraie. On peut verifier en montrant qu’il laisse une trace blanchesur le tableau, mais c’est supposer que la craie laisse des tracesblanches sur les tableaux, si on plonge la craie dans de l’acidepour voir s’il s’echappe du dioxyde de carbone, et qu’on verifieen mettant le gaz dans de l’eau de chaux, on s’appuie encore plussur une theorie. Dans la science, les enonces sont souvent pluscomplexes : on va dire par exemple que « Le faisceau d’electronsest repousse par le pole magnetique de l’aimant ».

3. L’observation est guidee par la theorie. En science, il n’y a pasd’observation sans prejuge possible, car il faut toujours selectionnerles criteres que l’on considere comme pertinents. Exemple de

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Hertz et de la decouverte des ondes radio. S’il voulait n’avoir au-cun prejuge quant a son observation, il aurait du noter non seule-ment les dimensions du circuit, la presence ou non d’etincelles,etc., mais aussi la couleur de la table sur laquelle il travaillait, lesdimensions du laboratoire ou encore la pointure de ses chaussures.Or il faut bien selectionner les elements pertinents. La blague,c’est que les dimensions du laboratoire comptaient : les ondes ra-dios se reflechissant sur les murs interferaient avec ses mesures !La theorie testee avait pour consequence que les ondes radio de-vaient avoir la meme vitesse que la lumiere, ce qui n’etait pas lecas dans les mesures de Hertz.

• Comme nos theories peuvent etre fausses, les observations qui se fondentsur les theories peuvent l’etre aussi, et on peut croire voir des phenomenesqui ne correspondent en fait pas a la realite.

Bilan La science, pas plus que la perception ordinaire, ne nous garantit unacces certain a la realite. Les observations scientifiques, qui reposent sur desexperimentations, supposent en effet des theories qui peuvent s’averer etrefausses. Il n’existe pas d’observation brute, denuee de toute interpretation.

Il ne faut pas en deduire pour autant que la science n’aurait aucunacces a la verite ou ne serait d’aucune utilite. D’une part, elle fonctionneet d’autre part, on espere que la confrontation et rectification des theorieset des experiences nous amene vers une image de plus en plus fidele de larealite.

2.3.2 Mais on peut grace a la science esperer connaıtre de mieuxen mieux la realite, ou du moins les phenomenes (= larealite telle qu’elle nous apparaıt)

Les theories influencent nos observations et nos experimentations, maisnous avons des raisons de croire dans nos theories, parce qu’elles nouspermettent d’expliquer les causes de ce que nous percevons. La theorieest capable de me dire que je ne devrais pas voir le mirage ou quel’arc-en-ciel n’est pas un objet reel. Or, en me deplacant, je peux voir que lemirage ou l’arc-en-ciel n’existent pas. J’ai alors envie de faire confiance a latheorie. De plus, elle m’explique pourquoi je vois ce que je vois au lieude voir la realite telle qu’elle est. On pourrait penser qu’elle a ete faitede maniere ad hoc, parce que je cherchais precisement a expliquer pourquoije voyais cela. Mais ce qui va me donner confiance dans la theorie, c’estqu’elle va aussi etre en mesure d’expliquer un grand nombre d’autresphenomenes et surtout d’en predire. Elle me permet de dire pourquoiquand je regarde une preparation au microscope, je vois des arc-en-ciel aubord de la preparation (a cause des aberrations des lentilles).

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Ce qui fait que j’ai confiance dans mes theories, c’est qu’on n’a pas unsysteme isole constitue d’un ensemble d’observations et d’une theorie qui ala fois les explique et et permet de les interpreter, ce qui risquerait de menera une circularite : j’observe le phenomene grace a la theorie qui l’explique etle phenomene ne peut donc jamais etre en contradiction avec elle, mais uneimbrication de plusieurs theories et plusieurs observations. C’est dela coherence de toutes nos theories avec toutes nos observations que resultenotre confiance dans la science. Exemple de Hertz : on a pu rectifier l’er-reur parce que la theorie electromagnetique de Maxwell fonctionnait dans denombreux domaines et qu’on n’etait pas pret a l’abandonner si facilement.En comprenant que les ondes radios pouvaient se refleter sur les murs dulaboratoire et interferer entre elles, on a pu completer nos connaissancestheoriques tout en expliquant le phenomene qui se produisait dans le lab-oratoire de Hertz. Cela montre qu’en adaptant mutuellement nos theorieset nos observations, i.e. en interpretant mieux nos observations grace a nostheories et en modifiant nos theories grace a nos observations, on peut sesituer non pas dans un cercle vicieux ou l’observation est forcement en ac-cord avec la theorie, puisque c’est la theorie qui permet d’interpreter l’ob-servation, mais dans un cercle vertueux ou theorie et interpretation desobservations s’ameliorent mutuellement en se modifiant quand elles sont endesaccord. Pour que cela fonctionne, il faut qu’une observation mette enjeu plusieurs theories et qu’une theorie puisse expliquer plusieurssortes d’observations. C’est en effet dans la confrontation, et en ne faisantvarier a chaque fois qu’une theorie ou qu’une interpretation d’observationqu’on pourra trouver ou reside l’erreur. Exemple pour Hertz, on ne remetpas en cause toute la theorie electromagnetique, mais seulement le fait queles ondes radios ne se reflechissent pas sur les murs du laboratoire.

On a d’autant plus confiance dans les theories qu’elle predisent ungrand nombre de phenomenes en dehors de ceux pour l’explicationdesquels elles ont ete elaborees. Plus une theorie permet d’expliquer dephenomenes, plus on a confiance en elle, mais aussi et surtout, plus ellepeut en predire qu’on n’a encore jamais testes, plus on va avoir confiance,car on ne pourra pas dire qu’on a « bidouille » la theorie pour qu’elle ex-plique des phenomenes qu’on constatait. Relativite generale predisait que lesrayons lumineux qui viennent des etoiles sont devies par le soleil. On n’avaitjamais pense a regarder ca avant la relativite generale, et ensuite, on nel’avait jamais verifie parce qu’on ne voit pas les etoiles en meme temps quele soleil. L’eclipse de 1919 a permis d’observer cette deviation des rayonslumineux issus d’etoiles lointaines et cela a ete considere comme une impor-tant confirmation de l’ensemble des hypotheses rassemblees dans la theoriede la relativite generale. Elle a conduit un grand nombre des physiciens del’epoque a accorder leur confiance a cette theorie.

Le fait qu’on ait plus confiance dans des theories qui predisent plus dephenomenes explique qu’on applique le principe d’economie et qu’on prefere

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les theories qui expliquent le plus de phenomenes. Plus elle explique dephenomenes, plus elle prend de risques d’etre contredite, et doncplus on lui fait confiance quand elle ne l’a pas ete. On peut penser avoirprogresse vers plus de verite en passant de la mecanique newtonienne ala mecanique quantique, puisque la seconde non seulement rend comptede plus de phenomenes, mais explique pourquoi la mecanique newtoniennefonctionne bien pour les objets macroscopiques (elle est une bonne approx-imation).

Transition : Notre esprit a donc, par l’intermediaire des sens, un acces ala matiere, qu’il cherche a connaıtre le plus fidelement possible. Mais en serapportant a la matiere, l’esprit se projette toujours en partie sur elle, desorte qu’il n’a pas la certitude d’avoir acces au monde tel qu’il est. En cher-chant a connaıtre le monde exterieur, c’est aussi un peu lui-meme que l’espritconnaıt, de sorte que matiere et esprit, loin d’etre irreductiblement separessont au contraire difficiles a demeler l’un de l’autre. Existe-t-il d’ailleursquelque chose comme un esprit qui ne serait pas intimement lie a la matiere ?Le cerveau est-il le seul support de l’esprit ou y a-t-il un esprit qui existeindependamment de la matiere ?

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3 Existe-t-il un esprit separe de la matiere ?

3.1 Retour sur le probleme du dualisme

• On a vu que Descartes, par l’exercice du doute, en venait a decouvrirune conscience qui peut etre pensee independamment de tout corps,de toute matiere, et on a vu les probleme que ca nous posait quant ala possibilite de sortir ensuite de sa conscience pour connaıtre le reel.

• Mais nous avons reussi a surmonter ce pb notamment grace a laphenomenologie et a l’idee que la conscience est toujours consciencede quelque chose et se place donc toujours dans un rapport au monde.Le probleme qui se pose a nous est alors de demeler ce qui releve del’esprit et ce qui releve de la matiere.

• C’est un probleme auquel Descartes est egalement confronte. Il con-state que nous faisons l’experience en nous-memes, en l’homme, del’union de l’ame et du corps, de l’esprit et de la matiere. Nous sommesen effet un compose d’esprit et de matiere, or, apres avoir pose undualisme, c’est cette union qui devient difficile a comprendre : com-ment quelque chose qui est de l’ordre du spirituel peut-il etre uni aquelque chose qui est de l’ordre du materiel ? Quelles sont les relationsentre les deux, quel est le type de relation qui est en jeu ? Nous faisonsl’experience de l’union par le fait que l’ame fait se mouvoir le corps etque le corps agit sur l’ame en causant des sentiments et des passions.Descartes dit qu’on fait l’experience de l’union en allant au bal : quandon danse, c’est l’esprit qui fait bouger le corps. Lettres a Elizabeth du21 mai et du 28 juin 1643. Autrement dit, l’esprit a une efficace sur lamatiere.

• En termes plus modernes, il s’agit de comprendre comment la penseepeut etre reliee au cerveau, quel est le type de relation entre l’esprit etle cerveau. Est-ce que l’esprit est quelque chose de plus que le cerveau.Ce qui peut conduire a se demander, par exemple, si les ordinateurspourront un jour penser.

• Qu’est-ce qui se passe quand on est dans le coma ou qu’on est dansun etat vegetatif ? Qu’est-ce qui fait la difference entre un cadavre etl’etre humain qu’il etait quelques minutes auparavant ?

• Il se pose le meme type de probleme pour le passage du physique aubiologique, de l’inerte au vivant que pour le passage du biologique aupsychologique, de la vie a la pensee. L’exemple du cadavre regroupeles deux. Les problemes qui se sont poses a la biologie pourront doncpeut-etre nous eclairer.

Bilan a noter Les hommes ayant un corps et un esprit, il s’agit de com-prendre comment les deux sont relies entre eux. Y a-t-il un esprit qui seraitdans le corps en plus de la matiere et qui aurait des proprietes autres que

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celles de la matiere, ou l’esprit n’est-il que de la matiere, se reduit-il auxproprietes de la matiere ?

3.2 Les deux positions extremes : tout est esprit ou tout estmatiere

3.2.1 Tout est esprit

Idealisme, que nous avons deja vu.

3.2.2 Tout est-il matiere ? Vitalisme et reductionnisme

Le vitalisme• Le vitalisme est une tradition philosophique qui remonte a Aristote et

pour laquelle il est incomprehensible de reduire la vie a du physico-chimique, de dire que la vie n’est rien d’autre que de la matiere.

• Pour le vitalisme, il est donc impossible de dire que tout est matiere.• Pour les vitalistes, pour comprendre le vivant, il faut supposer un

principe vital qui donne vie a la matiere. Un peu comme si en rajoutantce principe vital, on pouvait donner vie a une statue, par exemple.

• Exemples. Grace a la fee, Pinocchio prend vie : quelque chose quise rajoute a la matiere, quelque chose d’un peu mysterieux, d’un peumagique. Ou la deesse Aphrodite qui donne vie a Galatee, la statuede Pygmalion dont ce dernier etait tombe amoureux.

• Le principe vital est une ame, un souffle de vie, qui s’ajoute a lamatiere. Chez Aristote, dans le De anima, la nature de cette amepermet meme de faire la difference entre les differents vivants, entreles differentes formes de vie (ame vegetative, sensitive, intellective).

• Ce principe permet d’expliquer la difference incomprehensible entrel’inerte et le vivant.

• Mais le vitalisme est pratiquement totalement abandonne au xix e

siecle, parce qu’on essaie d’enlever les entites mysterieuses de la scienceet qu’on fait de plus en plus de decouvertes, qui se poursuivent parla suite, sur les compositions chimiques, les cellules, les proteines, lagenetique, etc.

Le mecanisme et le reductionnisme• La position inverse, le mecanisme, consiste a dire qu’on peut ramener

tous les phenomenes vitaux a des phenomenes mecaniques et qu’il estinutile de postuler des principes occultes, mystiques, comme le principevital.

• Descartes, animal-machine, Discours de la methode, 5 e partie. L’or-ganisme vivant serait constitue sur le modele de l’horloge, avec unagencement de parties, de pieces mecaniques, de rouages, et une ex-plication de tous les phenomenes par contact.

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• Il n’y aurait rien de plus dans le vivant que dans l’inerte. Le vivantsuivrait totalement les lois de la mecanique. Quelle difference alorsentre le vivant et la machine ? Simplement la complexite.

Ce qui ne semblera nullement etrange a ceux qui, sachantcombien de divers automates, ou machines mouvantes, l’in-dustrie des hommes peut faire , sans y employer que fort peude pieces, a comparaison de la grande multitude des os, desmuscles, des nerfs, des arteres, des veines, et de toutes lesautres parties qui sont dans le corps de chaque animal, con-sidereront ce corps comme une machine qui, ayant ete faitedes mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnee,et a en soi des mouvements plus admirables, qu’aucunes decelles qui peuvent etre inventees par l’homme.

Descartes, Discours de la methode, 5 e partie.

• Pour Descartes, il serait impossible de faire la difference entre unemachine compliquee et un animal. La frontiere ne se situe pas entrel’animal et la machine, entre le vivant et l’inerte, mais entre l’animalsans raison et l’homme qui possede la raison. On comprend bien quepour lui, l’esprit n’est pas reductible a la matiere, puisque, commenous l’avons vu, il distingue la substance spirituelle de la substancecorporelle. Deux arguments pour separer l’homme, qui possede la rai-son, de l’animal :

1. On peut bien concevoir une machine qui parle, mais pas unemachine qui serait capable d’arranger a l’infini ses paroles pourles adapter a tout ce qui se dira en sa presence, pour declarer auxautres ses pensees.

2. Les machines font certaines choses beaucoup mieux que nous,comme l’horloge qui compte le temps beaucoup mieux que nous,mais elles ne peuvent pas s’adapter a l’infini, pour faire face atoutes les occurrences de la vie.

• Pourtant, le reductionnisme, qui herite du mecanisme cartesien, vaconsister a vouloir reduire non seulement le vivant, mais aussi l’espritau physico-chimique, aux lois et proprietes de la physique et de lachimie. Le reductionnisme est une position qui consiste a dire qu’onpeut ramener les phenomenes d’un niveau de complexite superieuraux lois et phenomenes du niveau inferieur. La sociologie se reduit ala psychologie, qui se reduit a la biologie, qui se reduit a la chimie,qui se reduit a la physique. Ce qui signifie que, en definitive, les lois,processus et entites de la physique permettent de tout expliquer.

• Tenir une telle position, c’est defendre l’idee selon laquelle la penseese reduit a des interactions physiques et chimiques dans le cerveau.

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Bilan a noter Pour comprendre la relation entre l’esprit et la matiere,deux positions sont possibles : considerer qu’il y a quelque chose de nonmateriel qu’on appelle esprit et qui vient s’ajouter a la matiere pour en faireun etre pensant ou considerer qu’il n’existe rien de mysterieux qu’on appelle« esprit » mais que la pensee est le resultat d’interactions physico-chimiquesqui se produisent dans le cerveau. Ces deux positions peuvent etre penseespar analogie 4 avec l’opposition entre le vitalisme et le mecanisme pour cequi concerne les phenomenes vitaux. Le vitalisme suppose un principe vitaltandis que le mecanisme considere que les lois de la physique suffisent aexpliquer la vie. Or nous avons vu que le vitalisme avait ete progressivementabandonne : cela signifie-t-il que la biologie a ete totalement reduite a laphysique ? Si c’est le cas, pourquoi existe-t-il encore une science biologiquedistincte de la physique ?

3.3 L’etude de differents niveaux de complexite

• De nos jours, tout le monde ou presque reconnaıt que les etres vivantssont presque exclusivement constitues de matiere et obeissent aux loisphysiques.

• Pourtant, la biologie n’a pas disparu en tant que science separee dela physique ou de la chimie, bien au contraire, elle se developpe.Pourquoi ?

• Parce que les biologistes n’etudient pas les memes phenomenes queles physiciens, ils ne se situent pas au meme niveau de complexite.Etudier l’evolution d’une espece au niveau des interactions entre lesatomes n’aurait pas beaucoup de sens.

• On retrouve au sein meme de la biologie des disciplines differentes enfonction des objets d’etude consideres et des techniques utilisees pourles etudier (these de Francois Jacob dans La Logique du vivant). Auxdeux extremites de l’eventail, on a :

1. L’etude de l’aspect physico-chimique du vivant, notamment labiochimie, qui etudie les reactions chimiques qui ont lieu au sein

4Reperes : ressemblance / analogie. Dans les deux cas, points communs entre deuxrealites. Mais la ressemblance est plus vague que l’analogie. Ressemblance = similituded’apparence ; analogie = similitude de structure ou de fonction. Identite de rapports entredes termes differents et qui peuvent meme n’avoir entre eux absolument rien de commun.a/b = c/d : a est a b ce que c est a d. Exemple : “le stylo est a l’ecrivain ce que lefusil est au soldat” est une analogie, alors qu’on dira que le stylo de Pierre ressemble acelui de Jean, mais pas que le stylo ressemble au fusil. Dans les deux cas, c’est l’outilqui correspond au metier. Structure, exemple : Ici, l’esprit est a l’etre vivant ce que leprincipe vital est a la matiere. La pensee est au vivant ce que la vie est a la matiere. Direqu’un etre vivant se comporte comme une machine, c’est aussi une analogie. L’analogiepermet de comprendre des choses compliquees. Exemple : un systeme hydraulique quifonctionne comme un systeme electrique, la resistance electrique est beaucoup plus facilea comprendre que les frottements hydrauliques. Les equations se fondent sur des analogies :on va representer tout systeme oscillant comme un pendule. Le courant alternatif.

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des cellules, qui etudie les molecules. C’est une branche reductionnistede la biologie. Seule difference : les methodes, parce que se situedans des organismes vivants.

2. L’evolutionnisme, qui ne cherche pas a dissocier l’organisme enses constituants, mais au contraire a l’etudier dans son milieuet comme element d’une population. Il s’agit d’etudier les rela-tions entre l’organisme et son milieu. Les organes ne sont parexemple plus etudies par leurs constituants mais par leurs fonc-tions, en fonction de leur adaptation au milieu, plusieurs archi-tectures physiques pouvant remplir la meme fonction. Le rein desdauphins n’a pas exemple pas du tout la meme structure que lerein d’un chimpanze, mais il a la meme fonction. Ou branchies vsou poumons.

• On ne comprendrait pas grand chose a l’evolution en restant au niveaude la cellule, de meme qu’on ne comprend pas grand chose au fonc-tionnement d’un moteur de voiture en restant au niveau des moleculesmetalliques.

• On doit avoir le meme type de pb entre microeconomie et macroeconomie :est-ce que en rester aux comportements des individus permet vraimentde comprendre les phenomenes macroeconomiques ?

Nous connaissons beaucoup de faits sur ce qui se passe effec-tivement dans le cerveau, mais nous n’avons toujours pas d’-analyse theorique unifiee de la maniere dont ce qui se passe auniveau de la neurobiologie permet au cerveau de faire ce qu’ilfait, pour ce qui est de causer, de structurer, d’organiser notrevie mentale. (...) Peut-etre s’apercevra-t-on finalement qu’essayerde comprendre le cerveau au niveau des neurones est aussi vainqu’essayer de comprendre le moteur d’une voiture au niveau desmolecules metalliques du bloc-cylindres.

Searle, Le Mystere de la conscience, 1999.

Transition : Cela signifie-t-il pour autant que la biologie ne soit pasreductible a la physique et que, par analogie, l’esprit ne soit pas reductibleaux phenomenes physiques a l’œuvre dans le cerveau ?

3.4 Organisation et emergence

• L’emergence designe l’apparition de nouvelles proprietes a un certainniveau de complexite, proprietes qui ne sont pas reductibles a unesomme de proprietes des elements du niveau inferieur, des elementsconstituants. Exemple : la vie au niveau de la cellule ou l’effet degroupe qu’on ne peut pas reduire a des comportements individuels(bon exemple, euphorie collective lors d’une victoire a un match de

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foot). Durkheim, dans Les regles de la methode sociologique (p. 6),parle des grands mouvements d’enthousiasme, d’indignation, de pitiequi se produisent dans une assemblee et n’ont pour lieu aucune con-science particuliere. Ils nous viennent du dehors et nous entraınentmalgre tout. Nous collaborons a l’emotion commune, mais l’impres-sion que nous avons ressentie est tout autre que celle que nous aurionseprouvee si nous avions ete seul. Parfois meme, une fois que nousnous retrouvons seul, ces sentiments nous font l’effet de quelque chosed’etranger ou nous ne nous reconnaissons plus et qui peuvent memenous faire horreur quand nous avons mal agi.

• On parle dans ce cas de proprietes emergentes.• Autre exemple : on a du mal a penser que ce sont les molecules des

chats qui sont attirees par les souris. La cause doit en etre chercheedans des structures plus complexes, organisees, comme la systemenerveux.

• Cela signifie-t-il que le niveau superieur soit constitue d’autre choseque des elements du niveau inferieur, et, pour ce qui nous concerne,que l’esprit est constitue d’autre chose que de matiere, que d’elementsphysico-chimiques ?

• L’hypothese actuellement la plus repandue est ce qu’on peut appeler lephysicalisme non reductionniste, qui consiste a affirmer deux choses :

1. Il n’existe rien d’autre dans le monde que les entites decrites parla physique fondamentale et les agregats formes a partir de cesentites.

2. Cependant, l’agregation des entites fondamentales conduit, a par-tir d’un certain niveau de complexite, a des totalites gouverneespar des lois d’un niveau different de celui de la physique fonda-mentale. C’est cette 2e raison qui explique qu’il faille une sciencespecifique, la biologie, mais aussi que la physique ne nous suffisepas a comprendre l’esprit.

• De meme que la beaute d’un tableau est plus que l’ensemble de ses pro-prietes physiques. Pourtant, il n’est constitue que d’elements physiques,et si on change par exemple les proprietes de la surface peinte, un col-oris harmonieux cessera de l’etre.

• C’est la notion d’organisation qui est ici fondamentale. C’est l’organi-sation des elements qui fait qu’emergent des proprietes qui n’existaientpas au niveau des elements.

• Pour comprendre l’esprit, il faudra donc s’interesser au type d’organi-sation biologique particulier qui donne lieu aux processus mentaux, ala facon dont le cerveau est organise. La biologie ne sera pas forcementen mesure d’etudier cela avec ses outils propres. Ce sont les sciencescognitives qui s’occupent actuellement de ce type probleme (sciencescognitives = domaine interdisciplinaire = neurosciences + psychologie,

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mais aussi philosophie, linguistique, anthropologie, intelligence artifi-cielle).

Nous voyons que les etres qui semblent posseder un esprit sontdes organismes biologiques (et en particulier des animaux). Parconsequent, il est naturel de supposer que c’est un type partic-ulier d’organisation biologique qui donne lieu aux processus men-taux. A l’evidence, donc, pour aborder le sujet de maniere sci-entifique, nous devons nous interesser a la facon dont le cerveauest organise.

Edelman, Biologie de la conscience, 1992 (prix Nobel demedecine, specialiste en neurologie).

Bilan a noter Les deux positions que nous avons envisagees (considererque l’esprit est quelque chose qui vient s’ajouter a la matiere ou considererqu’il n’est rien d’autre que le resultat d’interactions physico-chimiques quise produisent dans le cerveau) ne sont en realite pas exclusives l’une del’autre. La science contemporaine nous permet de penser l’esprit comme unphenomene emergent. De l’organisation complexe d’elements physiques dansle cerveau resultent des proprietes nouvelles qui n’existent pas au niveau deselements physiques.

Conclusion

Le fosse creuse entre l’esprit et la matiere par le dualisme nous empechaitde comprendre quelle pouvait etre la relation entre l’esprit et la matiere.Nous nous sommes alors demande s’il etait possible de depasser la separationentre l’esprit et la matiere. Pour cela, il nous a d’abord fallu comprendrecomment nous pouvions, par notre esprit, connaıtre la matiere exterieure al’esprit. Nous avons alors vu qu’il nous etait possible de faire la differenceentre notre pensee, notre imagination, et le monde reel, materiel, qui nousest exterieur. Notre connaissance de ce qui nous est exterieur n’est en effetpas immediate, mais necessite de faire le tour l’objet, d’apprendre l’objet.Nous avons donc bien acces au monde exterieur, mais avons-nous acces ace monde tel qu’il est ? Nous avons vu qu’il etait impossible de separer lemonde tel qu’il est de l’interpretation que nous en faisons. Notre problemes’est alors transforme : il ne s’est plus agi de se demander comment depasserla separation entre l’esprit et la matiere, mais au contraire de se demandercomment demeler l’esprit et la matiere. Existe-t-il quelque chose comme unesprit qui serait different de la matiere, qui ne lui serait pas intimement lie ?Le physicalisme non reductionniste semble pouvoir donner une reponse aumoins provisoire a ce probleme. Il admet que l’esprit n’est bien composeque des elements physiques du cerveau, mais ajoute que la complexite de

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l’organisation du cerveau fait apparaıtre des proprietes emergentes qui n’ex-istent pas au niveau des elements physiques. L’esprit n’est bien fait que dematiere, mais il ne se reduit pas pour autant a la matiere, aux proprietes dela matiere : il est une realite d’ordre superieur.

Ouverture : La matiere fait-elle moins probleme que l’esprit ? An-imisme depasse. Forces. Ether pour eviter l’action a distance. Forces, champsmagnetiques, energie, et meme le vide : concepts physiques qui semblent nepas etre materiels au sens de ne pas reposer sur quelque chose de concret,qui a une masse et une localisation. La matiere ne serait pas une realiteconcrete, mais un domaine de recherche.

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Troisieme partie

4e cours : L’inconscient est-il ce quien moi m’echappe ?

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