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Petit guide pédagogique pour « La leçon de discrimination » Richard Y. Bourhis Département de psychologie Université de Québec à Montréal (UQAM) Directeur : Centre des études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) Université de Montréal, Canada Et Nicole Carignan Département d’éducation et formation spécialisées Faculté des sciences de l’éducation Université du Québec à Montréal (UQAM)

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Page 1: Petit guide pédagogique pour « La leçon de …...Bristol en Angleterre (1977) sous la direction de Henri Tajfel et de Howard Giles. Il a été professeur au Département de psychologie

Petit guide pédagogique pour « La leçon de discrimination »

Richard Y. Bourhis Département de psychologie

Université de Québec à Montréal (UQAM) Directeur : Centre des études ethniques des universités montréalaises (CEETUM)

Université de Montréal, Canada

Et

Nicole Carignan Département d’éducation et formation spécialisées

Faculté des sciences de l’éducation Université du Québec à Montréal (UQAM)

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Table des matières

Préface : Petit guide pédagogique pour la « La leçon de discrimination » Notes biographiques Première partie : Chapitre 1 : Quelques conseils autour de La leçon de discrimination Chapitre 2 : Thèmes de discussion pour La leçon de discrimination

Chapitre 3 : Glossaire lié à l’explication du préjugé et de la discrimination Deuxième partie : Les textes connexes Introduction Legault, G. & Bourque, R. (2000). La diversité des visions du monde à travers les valeurs et les croyances. Dans G. Legault (Ed.). L’intervention interculturelle. Montréal, QC : Gaëtan Morin et Chenelière Éducation (pp. 53-83). Cohen-Emerique, M. (2000). L’approche interculturelle auprès des migrants. Dans : G. Legault (Ed.). L’intervention interculturelle. Montréal, QC : Gaëtan Morin et Chenelière Éducation (pp. 161-184). Bourhis, R.Y. , Moise, C.L., Perreault, S. & Lepicq, D. (1998). Immigration et intégration : Vers un modèle d’acculturation interactif. Montréal, QC : Cahiers des conférences et séminaires scientifiques no.6., Chaire Concordia-UQAM en études ethniques (pp. 52).

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PRÉFACE

Merci d’avoir choisi de visionner le DVD du reportage intitulé La leçon de discrimination,produit par Pascale Turbide et Lucie Payeur de l’équipe d’Enjeux de la Société Radio-Canada.Dans La leçon de discrimination, une enseignante fait vivre à ses élèves du primaire la dure réalité des personnes qui subissent la discrimination en divisant sa classe en deux groupes selon lataille de chacun des élèves : un groupe étant valorisé par l’enseignante et l’autre, dévalorisé. Ainsi,la discrimination est-elle subie par les « grands » la première journée, puis par les « petits » la seconde journée. Cette version DVD de La leçon de discrimination a été diffusée à l’émissionEnjeux pour la première fois le 27 septembre 2006. De plus, ce DVD contient une deuxième émission d’Enjeux, diffusée le 4 octobre 2006, qui présente une rencontre avec les parents desélèves ayant participé à La leçon de discrimination. Le volet visuel du DVD se termine par unecourte entrevue de Richard Y. Bourhis, professeur au Département de psychologie de l’Universitédu Québec à Montréal (UQAM) et directeur du Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM).

De plus, le DVD inclut un volet « textes » constitué de deux parties : un « guide pédagogique » qui accompagne le visionnement de La leçon de discrimination et des « textes connexes » qui proposent une sélection de chapitres portant sur les questions de diversité culturelle, d’intégration des immigrants et d’interculturalité. Ce dernier volet a pour but d’offrirquelques pistes pour faciliter le visionnement de La leçon de discrimination, que ce soit pour votreclasse ou votre groupe d’animation au travail ou en animation communautaire.

Nous tenons à remercier la Société Radio-Canada d’avoir bien voulu nous permettre de produire le petit guide pédagogique accompagnant le DVD de La leçon de discrimination.De plus, nous remercions vivement la maison d’édition Gaëtan Morin/Chenelière Éducationd’avoir libéré les droits d’auteurs des textes pertinents inclus dans ce DVD. Enfin, nous remercions Élisa Montaruli et Catherine Amiot pour leurs judicieux conseils sur l’aménagementde ce petit guide pédagogique. La Société Radio-Canada vous invite à faire parvenir vos commentaires et vos témoignages sur le visionnement de La leçon de discrimination à l’adresse:[email protected].

P.-S. : Dans ce guide pédagogique, le masculin est utilisé pour représenter les deux sexes, sans discrimination à l’égard des hommes et des femmes et dans le seul but d’alléger le texte.

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Notes biographiques

Richard Y. Bourhis a obtenu un baccalauréat ès sciences (B.Sc.) en psychologie de l’Université McGill et un doctorat (Ph.D.) en psychologie sociale de l’Université de Bristol en Angleterre (1977) sous la direction de Henri Tajfel et de Howard Giles. Il a été professeur au Département de psychologie de l’Université McMaster à Hamilton, en Ontario, de 1978 à 1988. En 1989, il est entré au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, où il est professeur titulaire. Il a été élu Fellow de la Société Canadienne de Psychologie en 1988 et membre de la Society for Experimental Social Psychology aux États-Unis en 1991. Richard Y. Bourhis a publié plus de 130 articles et chapitres dans les domaines de la discrimination et des relations intergroupes, de l’acculturation et de l’immigration, de la communication interculturelle et de l’aménagement linguistique. Il a été directeur à l’UQAM de la Chaire Concordia-UQAM en études ethniques de 1996 à 2006. Il est membre du groupe de recherche Immigration et Métropoles. En juin 2006, il a été nommé directeur du Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) à l’Université de Montréal.

Nicole Carignan a obtenu un baccalauréat en éducation (B.Ed.) de l’Université du Québec à Montréal; un baccalauréat et une maîtrise en composition musicale de l’Université de Montréal, sous la direction d’André Prévost, et un doctorat (Ph.D.) en éducation comparée de l’Université de Montréal, sous la direction d’Émile Olivier, sociologue et écrivain. Nicole Carignan est actuellement professeure en éducation interculturelle au Département d’éducation et de formation spécialisées de l’Université du Québec à Montréal. Elle a été professeure à l’Université de Cleveland, Ohio, ainsi qu’à l’Akademi Musik Indonesia de Yogyakarta, à Java. Elle a à son actif plusieurs publications en éducation et a composé plusieurs œuvres musicales qui ont été créées sur les cinq continents. Elle est compositrice agréée au Centre de musique canadienne (CMC) et chercheuse au Laboratoire de recherche et d’intervention sur le changement social, l’analyse des politiques et des professionnalités en éducation (CRIFPE) de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Nicole Carignan est aussi chercheuse au Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) à l’Université de Montréal.

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Chapitre 1 : Quelques conseils autour de La leçon de discrimination

Richard Y. Bourhis

Département de psychologie Université du Québec à Montréal

Directeur, Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) Université de Montréal (Canada)

et

Nicole Carignan

Département d’éducation et de formation spécialisées Faculté des sciences de l’éducation

Université du Québec à Montréal (Canada)

La leçon de discrimination démontre que les préjugés et les comportements

discriminatoires se manifestent facilement envers les membres d’un groupe dévalorisé et ce,

même chez les jeunes élèves d’un milieu culturellement et linguistiquement homogène. D’où la

nécessité de programmes d’éducation favorisant l’inclusion et l’ouverture à la diversité du

primaire à l’université en passant par le secondaire et le collégial. Aujourd’hui, le reportage La

leçon de discrimination devient VOTRE outil pédagogique pour aborder les questions d’inclusion

et d’exclusion souvent vécues par les élèves du primaire, du secondaire, du cégep ou de

l’université, de même que par les employés et les cadres dans le monde du travail et dans la

société civile. Voici quelques conseils qui vous permettront de mieux utiliser cet outil.

CONSEIL 1. Premièrement, suivez la recommandation de la présidente de l’Ordre des

psychologues du Québec : ne tentez pas de refaire l’exercice de La leçon de discrimination dans

votre propre classe, groupe d’animation ou unité de travail. Pour réaliser cette émission sur

l’exercice filmé, l’équipe d’Enjeux a eu recours à divers experts et a suivi des consignes précises

pour réaliser le reportage et l’interrompre en cas de dérapage. De plus, les permissions

nécessaires à la réalisation du reportage ont été obtenues non seulement auprès des parents des

élèves y ayant participé, mais auprès de la directrice de l’école et des instances décisionnelles de

la commission scolaire concernée. Comme vous l’avez constaté au visionnement du DVD,

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l’enseignante, Mme Annie Leblanc, connaissait bien ses élèves et maîtrisait sa classe, tant au

niveau disciplinaire que dans la relation de confiance qu’elle avait su établir. Le reportage a donc

été réalisé dans les circonstances les plus favorables possible.

CONSEIL 2. Si vous en avez l’occasion, regardez le film The eye of the storm de Jane Elliott

(1970) et vous serez étonné de la similitude des émotions et des comportements vécus par les

élèves américains et par les élèves québécois ayant participé à La leçon de discrimination. Au fil

des décennies, beaucoup d’élèves, d’étudiants, d’enseignants et de professeurs canadiens ayant

visionné The eye of the storm ont affirmé que les préjugés et les comportements discriminatoires

relevés dans l’étude menée aux États-Unis ne pouvaient s’appliquer aux Canadiens, moins

enclins au « racisme endémique » des Américains envers les groupes dévalorisés tels que les

Africains-Américains et les hispanophones. L’expérimentation québécoise de La leçon de

discrimination, menée 30 ans après l’étude américaine, était donc nécessaire pour démontrer

l’universalité et l’intemporalité de la force du préjugé et de la discrimination chez les jeunes

élèves. La force pédagogique de La leçon de discrimination est pleinement efficace dans le

contexte canadien, justement parce que l’auditoire de l’émission s’identifie aux jeunes élèves

canadiens partageant les mêmes repères culturels, linguistiques et géopolitiques. De là

l’importance de faire usage de La leçon de discrimination, afin de sensibiliser les jeunes

générations aux enjeux de la diversité et de l’acceptation de la différence individuelle ou

collective. Ainsi, ce DVD devient un outil privilégié pour aider les enseignants et les animateurs

à promouvoir une société plus ouverte et tolérante envers « les autres », c’est-à-dire les

individus stigmatisés ou les groupes dévalorisés par le hasard de l’appartenance à une catégorie

« mal aimée ».

CONSEIL 3. Comment gérer le visionnement de La leçon de discrimination dans votre classe,

votre groupe de travail ou votre groupe d’animation? Quelques jours avant de faire visionner

l’émission, pensez aux caractéristiques personnelles et aux appartenances de groupe de chacune

des personnes qui aura l’occasion de visionner le DVD de l’émission. Par exemple, dans votre

classe, pensez aux élèves issus de l’immigration qui sont membres de minorités visibles et qui

sont susceptibles d’avoir à vivre quotidiennement le sentiment d’être plus ou moins valorisés par

les membres de la communauté d’accueil. Évidemment, les personnes ayant déjà subi les méfaits

du préjugé, du mépris ou de la discrimination dans leur quotidien seront peut-être plus

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susceptibles de réagir fortement au reportage. Par ailleurs, les grands habitués de l’exclusion

seront peut-être moins émus que ceux ayant « un vécu » moins intense à cet égard. Il s’agit de se

préparer à bien gérer les émotions et les réactions de l’auditoire durant et après le visionnement

du reportage. À vous de bien préparer votre mode d’intervention et les thèmes de discussion

permettant ainsi de favoriser le dialogue, de valoriser le partage des bonnes ou mauvaises

expériences, et de promouvoir le respect et les apprentissages nécessaires afin de tirer profit des

leçons du reportage.

CONSEIL 4. Bien que ce guide et les lectures connexes du DVD apportent des éléments utiles à

l’atteinte de ces buts, il demeure que ce sont vos expériences en tant qu’enseignant, professeur,

formateur, travailleur social ou animateur, qui sont le plus susceptibles de vous aider. N’hésitez

pas à consulter vos collègues qui ont déjà une certaine expérience dans le domaine, à joindre des

organismes offrant de la formation en relations interculturelles ou des professionnels du milieu

capables de vous fournir d’autres conseils d’appoint. Pour ceux qui sont intéressés par la

formation interculturelle en contexte scolaire, nous vous invitons à consulter l’ouvrage de

Fernand Ouellet intitulé Les défis du pluralisme en éducation : Essais sur la formation

interculturelle, publié aux Presses de l’Université Laval en 2002. Pour les enjeux de la diversité

et l’intégration dans les écoles québécoises, veuillez consulter l’ouvrage de Marie McAndrew

Immigration et diversité à l’école, publié en 2001 aux Presses de l’Université de Montréal.

CONSEIL 5 : N’hésitez pas à visionner la vidéocassette et à consulter le guide pédagogique

intitulé Couleur cœur : le racisme chez les jeunes au niveau élémentaire, produit par la Fondation

canadienne des relations raciales (FCRR). Ce matériel pédagogique vise tout particulièrement à

accompagner les enseignants afin qu’ils puissent reconnaître la discrimination et le racisme en

classe et « être sensibles à ces réactions et prévoir un plan d’action pour y remédier » (FCRR,

2001 : Guide pédagogique, p. 5). Par ailleurs, le guide propose la démarche suivante : « Que nous

soyons dans un milieu scolaire, social, multiculturel ou non, nous devons contribuer à la

formation des jeunes qui nous sont confiés en combattant le racisme à l’avantage de tous et de la

paix sociale. » (FCRR, 2001 : Guide pédagogique, p. 5).

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Bibliographie

FCRR (2001) Fondation canadienne des relations raciales. Couleur cœur : le racisme chez les

jeunes au niveau élémentaire. Vidéocassette et guide pédagogique. Toronto. www.crr.ca.

Ouellet, F. (2002). Les défis du pluralisme en éducation : Essais sur la formation interculturelle.

Lévis : Les Presses de l’Université Laval.

McAndrew, M. (2001). Immigration et diversité à l’école : Le débat québécois dans une

perspective comparative. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.

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Chapitre 2 : Thèmes de discussion pour

La leçon de discrimination

Richard Y. Bourhis

Département de psychologie Université du Québec à Montréal

Directeur, Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) Université de Montréal (Canada)

et

Nicole Carignan

Département d’éducation et formation spécialisées Faculté des sciences de l’éducation

Université du Québec à Montréal (Canada)

Vous avez visionné La leçon de discrimination et bientôt vous la présenterez à votre

classe ou à votre groupe d’animation. Comme on vous le recommandait dans le chapitre intitulé

« Quelques conseils autour de la leçon de discrimination », vous avez déjà repéré les personnes

de votre groupe qui sont le plus susceptibles d’avoir été victimes de discrimination en raison d’un

stigmate personnel ou de l’appartenance à une catégorie sociale dévalorisée par une majorité

dominante (Croizet et Leyens, 2003). Ces personnes sont susceptibles de vivre des émotions plus

vives au visionnement de La leçon de discrimination, et vous devez être particulièrement attentif

à leurs réactions affectives, cognitives et comportementales. Vous avez peut-être déjà établi un

mode d’intervention pour venir en aide à ces personnes dans votre classe ou votre groupe

d’animation. Par ailleurs, ces personnes minorisées ou stigmatisées sont aussi celles qui sont le

plus susceptibles de fournir des témoignages touchants et révélateurs sur leurs expériences

personnelles de victimes de préjugés et/ou de discrimination. À vous d’animer votre groupe afin

de faire valoir la richesse de leur expérience psychologique et sociologique. Afin de faciliter

votre réflexion, nous vous proposons dans les pages suivantes la terminologie fondamentale

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nécessaire pour discuter de La leçon de discrimination. Cette section est suivie de cinq thèmes

qui peuvent alimenter vos discussions, à la suite du visionnement de l’émission.

Un peu de terminologie pour La leçon de discrimination

Nous faisons tous partie d’une multitude de groupes et de catégories sociales. Dans le cas des

catégories comme le sexe, l’âge, l’ethnie, la langue maternelle ou la nationalité, l’appartenance

nous est imposée par les hasards de la naissance. Les individus membres de ces catégories

sociales peuvent difficilement nier qu’ils sont membres de ces groupes et ne peuvent pas

facilement changer d’appartenance. Par contre, dans certains cas, nous décidons volontairement

de nous joindre à une catégorie : dans notre choix de faire partie d’une équipe sportive, notre

décision d’entreprendre une formation d’enseignant ou de travailleur social, ou notre adhésion à

un parti politique. Que notre appartenance à une catégorie sociale soit imposée ou choisie, nous

avons tendance à dire « nous » pour parler de notre endogroupe, c’est-à-dire un groupe composé

d’individus qu’une personne catégorise comme membres de son propre groupe d’appartenance et

auquel elle a tendance à s’identifier. Par ailleurs, on définit un exogroupe comme un groupe

composé d’individus qu’une personne a catégorisés comme membres d’un groupe

d’appartenance autre que le sien et auquel elle n’a pas tendance à s’identifier. Ainsi, lorsque nous

parlons d’un exogroupe, nous avons tendance à parler des membres du groupe « eux ».

Les groupes psychologiques évoqués par les termes « eux-nous » sont le produit d’un des

processus cognitifs les plus fondamentaux de l’être humain, la catégorisation. À l’aide de cet

outil cognitif, nous découpons, classifions et organisons notre environnement physique et social

(Tajfel, 1972). Nous regroupons ensemble des objets dans une même catégorie parce que nous

pensons qu’ils se ressemblent par certains aspects et diffèrent des objets qui ne font pas partie de

la catégorie en question. Lorsque le processus de catégorisation s’applique à des personnes, il

s’agit alors de catégorisation sociale. Les résultats de nombreuses études sur « l’assimilation-

différentiation » montrent que la catégorisation amène à accentuer les ressemblances perçues

entre les éléments d’une même catégorie et les différences perçues entre des éléments appartenant

à des catégories différentes (Tajfel, 1981). Ainsi, nous aurons tendance à dire « ils » sont tous

pareils ceux-là, et « nous » ne sommes vraiment pas comme « eux ». La catégorisation nous

permettrait de donner un sens à notre environnement et à le rendre plus prévisible, nous aidant

ainsi à déterminer le comportement le plus approprié selon les circonstances.

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Lorsque nous catégorisons des individus comme membres d’un groupe, nous attribuons

aux membres de cette catégorie une entativité : soit la propriété d’être un groupe cohérent et

homogène, unifié par les croyances et les actions, semblable et ayant un destin commun (Yzerbyt,

Judd et Corneille, 2004). Selon notre degré d’identification à l’endogroupe et le sentiment de

menace suscité par la présence d’exogroupes, cette perception de l’entativité peut aussi

s’appliquer aux membres de l’endogroupe. Plus nous jugeons les membres de l’endogroupe ou de

l’exogroupe comme ayant une forte entativité, plus nous sommes portés à croire à leur

essentialisme psychologique : leur appartenance à un noyau « pur et dur » rendant la réalité du

groupe fondamentale et naturelle. Notons que, lorsqu’une catégorie est objectivable visuellement

selon l’âge, le sexe, la langue ou l’ethnicité, la croyance en cette catégorie comme « naturelle »

sera facilitée. L’idée d’essentialisme psychologique suggère que les observateurs considéreront la

catégorie naturelle du groupe comme reflétant sa vraie identité, sa vraie nature, son essence

même, inaltérable et immuable. Les idéologies racistes, sexistes et nationalistes utilisent souvent

l’essentialisme psychologique pour légitimer la supériorité de l’endogroupe et « la différence »

des exogroupes dévalorisés (Sidanius et Pratto, 1999; Taguieff, 1997; Wieviorka, 1998).

Lorsque nous catégorisons des personnes, nous ne nous limitons pas à les regrouper dans

une catégorie, nous leur associons également des attributs que nous croyons être caractéristiques

des membres de cette catégorie. L’ensemble des attributs que les membres d’un groupe assignent

aux membres d’un exogroupe constitue ce que l’on nomme un stéréotype. Les stéréotypes sont

donc composés de traits physiques (par exemple : les Scandinaves sont grands et blonds), de

traits de personnalité (par exemple : les hommes sont ambitieux et agressifs) ainsi que de

comportements (par exemple : les Noirs jouent au basket-ball et font du rap) qui sont perçus

comme étant caractéristiques d’un groupe de personnes. Par ailleurs, les membres d’un groupe

peuvent également entretenir des croyances concernant les attributs qui caractérisent, selon eux,

les membres de leur endogroupe. On parle alors d’autostéréotypes. Les stéréotypes et les

autostéréotypes sont d’autant plus saillants et vigoureux quand ils sont perçus comme reflétant

des catégories naturelles : lorsque les groupes peuvent être identifiés sur la base de

caractéristiques physiques et visuellement repérables comme le sexe, l’âge, les attributs

physiques. Selon Fiske (1998), cela explique la puissance et la difficulté de changer les

stéréotypes basés sur les « catégories naturelles ».

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Les préjugés et la discrimination demeurent une réalité pour un bon nombre d’individus

d’ici ou d’ailleurs, et de nombreuses recherches en sciences sociales portent sur la compréhension

de ces phénomènes tout en cherchant les moyens d’en réduire la prévalence et les effets néfastes

(Brown,1995; Bourhis et Leyens, 1999; Oskamp, 2000; Renaud, Germain et Leloup, 2004;

Taguieff, 1997; Wieviorka, 1998). Le préjugé est un jugement a priori, un parti pris, une opinion

préconçue qui concerne un groupe de personnes ou un individu appartenant à ce groupe. Ainsi, le

préjugé est défini comme une attitude négative ou une prédisposition à adopter un comportement

négatif envers un groupe, ou envers les membres de ce groupe, qui repose sur une généralisation

erronée et rigide. Les sentiments les plus souvent associés aux préjugés peuvent aller du simple

inconfort en présence d’un membre de l’exogroupe jusqu'à la méfiance, la peur, le dégoût et

l’hostilité. On peut ainsi avoir des préjugés envers les membres d’une classe socioéconomique

(par exemple : les pauvres), d’une affiliation religieuse (par exemple : les musulmans), d’un

groupe ethnique (par exemple : les Anglo-Antillais), d’un parti politique (par exemple : les

conservateurs) ou même envers les membres d’une discipline scientifique autre que la sienne (par

exemple : les sociologues). Les préjugés sont parfois identifiés par une étiquette particulière

précisant la catégorie sociale visée. Ainsi, le sexisme désigne le préjugé basé sur le sexe, l’âgisme

représente le préjugé fondé sur l’âge, le racisme désigne le préjugé envers les individus d’un

autre groupe ethnique, l’antisémitisme correspond au préjugé envers les juifs, le linguicisme

exprime le préjugé envers un exogroupe linguistique, le classisme correspond au préjugé envers

certaines classes sociales et l’homophobie correspond au préjugé envers les homosexuels. Le

préjugé est aussi vécu par des individus stigmatisés socialement à cause de leurs caractéristiques

personnelles, notamment le poids, la taille, les traits physiques distinctifs, les troubles du

comportement, un physique ingrat, la déficience intellectuelle, auditive et physique.

La discrimination est un comportement plus favorable envers les membres de

l’endogroupe qu’envers les membres de l’exogroupe. La discrimination peut aussi inclure un

comportement négatif à l’égard des membres d’un exogroupe envers lequel nous entretenons des

préjugés. Bien que la discrimination émane souvent de préjugés, cette relation n’est pas

automatique. Notre comportement est tributaire à la fois de nos convictions personnelles et des

circonstances externes qui peuvent échapper à notre contrôle personnel. Par exemple, une

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personne peut avoir des préjugés ancrés contre une minorité ethnique, mais sentir qu’il lui est

impossible d’agir en fonction de ses sentiments négatifs parce que de tels comportements

discriminatoires sont socialement indésirables ou carrément interdits par la loi et les chartes des

droits de la personne. Par contre, un individu qui n’a pas de préjugés contre les femmes peut être

obligé de faire de la discrimination à leur endroit à cause de lois ou de règlements sexistes

existants dans l’organisation où il travaille ou dans le pays où il habite : il s’agit ici de la

discrimination institutionnelle. Au Québec comme ailleurs, c’est dans le domaine de l’emploi que

la discrimination fait le plus de tort à ses victimes et cause le plus de tensions intergroupes

(Bataille, 1997; Déom, Mercier et Morel, 2006). Par exemple, à la suite de l’ouverture du Québec

à l’immigration dans les années 1970, le gouvernement provincial a dû mettre sur pied des

campagnes de recrutement pour assurer une représentation équitable non seulement pour les

femmes, mais aussi pour les communautés culturelles (immigrants et allophones) et les minorités

anglophones et autochtones. Les programmes d’accès à l’égalité constituent des outils par

excellence pour lutter contre les biais institutionnalisés et la discrimination systémique en milieu

de travail (Barrette et Bourhis, 2004). À partir des données sur l’origine ethnique dans le

recensement, ces programmes visent à augmenter la représentativité de minorités en milieu

organisationnel et, grâce à la diversité culturelle ainsi atteinte, contribuent à la créativité et au

pouvoir d’adaptation des organisations (Cox, 2001).

À la suite du visionnement de La leçon de discrimination, vous pouvez demander à vos

élèves ou aux participants de donner leurs premières impressions et démarrer ainsi la discussion

sur les thèmes et les enjeux qui sont soulevés. Cette approche pédagogique vous permettra

d’aborder la plupart des thèmes qui se dégagent du reportage. Ce chapitre propose cinq thèmes

qui ressortent de La leçon de discrimination. Nous avons choisi de les présenter dans l’ordre de

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leur émergence dans l’émission plutôt que dans un ordre reflétant l’importance des thèmes

soulevés par le reportage. Certains des thèmes proposés sont mieux adaptés à des tranches d’âge

que d’autres selon que vous enseigniez au primaire, au secondaire, au collégial, à l’université ou

que votre animation se fasse en milieu de travail ou communautaire. Le traitement de chacun des

thèmes peut aussi être plus ou moins soutenu, plus ou moins détaillé ou complexe selon les

caractéristiques des participants visés. Ainsi, à vous de choisir, d’adapter, de combiner les thèmes

de discussion selon vos buts, les caractéristiques de vos participants ou les évènements de

l’actualité qui rendent certains thèmes plus pertinents que d’autres. Pour certains thèmes, nous

vous renvoyons aux « textes connexes » contenus dans le DVD. Les bibliographies incluses dans

ce chapitre et les textes connexes vous offrent un vaste éventail de sources scientifiques

pertinentes pour chacun des thèmes soulevés par le reportage.

Thème 1. Catégorisation « eux-nous », le PGM et la discrimination.

Comme nous l’avons vu dans l’émission, dans l’étude de laboratoire du psychologue

social britannique Henri Tajfel et ses collègues (1971), on manipulait la catégorie « eux-nous »

d’une façon arbitraire selon la préférence des élèves pour les toiles abstraites de Klee ou de

Kandinsky. Plus de trente ans plus tard, l’enseignante Annie Leblanc manipulait la catégorisation

« eux-nous » à l’aide d’une « catégorie naturelle » : la taille des élèves. Elle explique : « J’ai

choisi de diviser la classe en deux groupes selon la grandeur des enfants, petits et grands parce

que c’est un caractère qui est intouchable, les enfants n’ont pas de pouvoir sur ça, c’est arbitraire

comme caractère…quand on parle de discrimination, la couleur de la peau on peut pas changer

ça, donc la grandeur c’est aussi quelque chose qui est intouchable. »

La répartition d’individus en deux groupes sur une base arbitraire est-elle suffisante pour

susciter le préjugé et la discrimination? C’est justement la catégorisation arbitraire « eux-nous »

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qui constitue le fondement de la démarche de Henri Tajfel pour déterminer les conditions

nécessaires et suffisantes à l’apparition du favoritisme proendogroupe : le comportement plus

favorable envers les membres de l’endogroupe qu’envers les membres de l’exogroupe. En

invoquant que l’expérience du paradigme des groupes minimaux (PGM) avait pour but d’étudier

les processus de prise de décisions, Tajfel attribua aux élèves la tâche de distribuer des ressources

entre des individus membres de l’endogroupe et de l’exogroupe. Nous pouvons résumer les

éléments du PGM de la façon suivante :

1. Deux groupes sont créés sur la base d’une répartition arbitraire (préférences pour des toiles abstraites, un pile ou face);

2. Aucune histoire de conflits d’intérêts ou de compétition intergroupes n’existe entre ces groupes. Les groupes ne sont formés que pour les besoins immédiats de l’expérience d’une heure ou moins;

3. L’anonymat des participants est complet, tant sur le plan individuel que sur le plan de l’appartenance à un groupe, ce qui élimine les effets possibles des affinités interpersonnelles ou des conflits de personnalités préexistants;

4. Aucune interaction sociale n’a lieu entre les participants, ni entre les membres de l’endogroupe ni avec les membres de l’exogroupe, ce qui élimine le développement d’affinités ou d’incompatibilités interpersonnelles ou intergroupes;

5. Il y a absence de lien instrumental entre les réponses des participants et leur intérêt propre, les répondants ne s’allouant jamais de ressources personnellement.

C’est cette situation expérimentale, dans laquelle la catégorisation sociale « eux-nous » est

l’unique variable manipulée, qui constitue le PGM. Cette situation expérimentale visait à éliminer

tous les facteurs historiques, sociologiques, psychologiques et économiques habituellement

reconnus comme étant la cause de la discrimination entre les groupes sociaux. Une situation aussi

épurée et absurde pouvait-elle susciter des attitudes négatives et des comportements

discriminatoires à l’endroit de l’exogroupe? Tajfel et ses collaborateurs furent très surpris de

constater que, malgré le caractère minimal de la situation, la représentation d’un environnement

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social uniquement composé des catégories « eux-nous » semblait suffisante pour entraîner des

comportements discriminatoires en faveur de l’endogroupe. Les participants distribuèrent plus de

ressources aux membres de l’endogroupe qu’aux membres de l’exogroupe, constituant l’effet

classique du favoritisme proendogroupe. Cette discrimination se manifestait surtout chez les

répondants s’identifiant fortement au groupe arbitraire. Par contre, chez les répondants qui ne

s’identifiaient pas ou s’identifiaient peu à leur endogroupe, les résultats démontrèrent un

comportement paritaire : autant de ressources étaient attribuées aux membres de l’exogroupe

qu’aux membres de l’endogroupe. Le favoritisme proendogroupe obtenu dans les études du PGM

a été corroboré par une multitude d’études dans le monde. Ces études ont tenté de cerner les

balises du phénomène en faisant intervenir des facteurs aussi variés que l’âge, le sexe,

l’appartenance à une classe ou à une culture. De plus, l’effet de discrimination en faveur de

l’endogroupe a été confirmé à l’aide de diverses mesures telles que les perceptions intergroupes,

l’évaluation de traits et de rendement à des tâches variées, les biais de la mémoire et la

distribution de ressources diverses comme des points symboliques, de l’argent, des points bonus

pour un cours et des congés supplémentaires (Bourhis et Gagnon, 2001).

Henri Tajfel proposa une explication à la fois cognitive et motivationnelle du favoritisme

proendogroupe observé dans les études utilisant le PGM. Selon la théorie de l’identité sociale

(TIS), la catégorisation sociale permet à l’individu de se définir en tant que membre de groupes

particuliers au sein de la structure sociale (Tajfel et Turner, 1986). Le résultat de ce processus

d’autocatégorisation fait que l’individu en vient à s’identifier à certains groupes liés au genre, à

l’âge, à l’ethnie, à la classe sociale, etc. Dans le PGM, les individus s’identifiant fortement à la

catégorie endogroupe sont justement ceux qui discriminent le plus en faveur de l’endogroupe.

Selon Tajfel et Turner (1986), il serait fondamental pour l’individu de vouloir maintenir ou

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atteindre une identité sociale positive en tant que membre de son propre groupe d’appartenance.

L’identité sociale est cette « … partie du concept de soi des individus qui provient de leur

connaissance de leur appartenance à un groupe social, associée à la valeur et à la signification

émotive de cette appartenance. » (Tajfel, 1981, p. 255).

Pour développer une identité sociale positive, le groupe d’appartenance doit paraître

différent des autres groupes sur des dimensions jugées positives et importantes par les membres

de ce groupe. C’est par l’intermédiaire de comparaisons sociales favorables à l’endogroupe

qu’une identité sociale positive peut être établie. Les individus de l’endogroupe et de l’exogroupe

se comparent par rapport à des dimensions valorisées dans le contexte intergroupes donné (la

richesse, le statut de la langue, etc.). Plus les membres d’un groupe se comparent favorablement

aux membres d’un exogroupe, plus ils bénéficient d’une identité sociale positive. Par contre, les

comparaisons défavorables aux membres de l’endogroupe génèrent une identité sociale négative

qui peut avoir un effet néfaste sur l’estime de soi des individus. Cette identité sociale négative

peut entraîner le mépris pour son propre groupe d’appartenance, et même son rejet comme

groupe de référence. L’identité sociale négative peut aussi mener au favoritisme proexogroupe,

qui est une évaluation ou un comportement plus favorable envers les membres de l’exogroupe

que ceux de l’endogroupe (Tajfel et Turner, 1986).

Des études récentes ont révélé que les individus victimes de préjugés et de discrimination

souffraient non seulement d’une estime de soi négative, mais se sentaient plus tristes, plus

stressés et plus dépressifs que ceux qui ne subissaient pas ce genre d’abus (Branscombe, Schmitt

et Harvey, 1999). De plus, les recherches montrent qu’en général la discrimination représente une

menace pour l’identité sociale des victimes. Ce sentiment de menace amène parfois les victimes à

s’identifier plus fortement à leur endogroupe, ce qui a pour effet de provoquer un repli identitaire

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qui peut nuire à l’intégration des minorités au sein de la société d’accueil (Bourhis et Montreuil,

2004). À la longue, les conséquences de la discrimination sont lourdes à porter pour les victimes

et vont même jusqu’à entraîner une détérioration de la santé. Aux États-Unis, plusieurs études

épidémiologiques commencent à démontrer que les victimes chroniques de préjugés, de

discrimination et d’injustices, incluant les Africains-Américains, développent des sentiments

d’impuissance et de manque de contrôle qui les rendent plus susceptibles de souffrir

d’hypertension et de maladies cardiaques (James et Thomas, 2000).

À l’aide de ce premier thème, vous êtes en mesure de discuter des similitudes et des

différences entre les études des groupes minimaux de Tajfel (1971) et les expériences en classes

primaires des enseignantes Jane Elliott (Iowa, États-Unis, 1970, The eye of the storm) et Annie

Leblanc (Saint-Hyacinthe, Québec, 2006, La leçon de discrimination). Selon le niveau

d’enseignement ou du type de groupe d’animation, vous pouvez choisir d’aborder de façon plus

ou moins approfondie les questions suivantes. D’une part, les effets de la catégorisation « eux-

nous » peuvent-ils se manifester dans d’autres sphères? D’autre part, les effets de la

dévalorisation d’un jour subis par les élèves de La leçon de discrimination se comparent-ils aux

effets chroniques vécus par les élèves membres de minorités visibles qui peuvent subir à l’année

longue les préjugés et la discrimination, soit à l’école soit dans les commerces, dans la rue ou au

travail? Les conséquences de la catégorisation « eux-nous » et de la dévalorisation peuvent être

plus ou moins anodines quand il s’agit d’équipes rivales dans les tournois sportifs, mais peuvent

être plus graves quand il s’agit de clivages historiques, sociaux ou économiques menant aux

guerres civiles et aux génocides.

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Thème 2. L’intelligence, les comportements sociaux et l’origine ethnique

Nous avons vu dans La leçon de discrimination que l’enseignante Annie Leblanc a divisé

sa classe en deux groupes selon la taille en invoquant une (fausse) croyance qu’une certaine

catégorie d’élèves était plus intelligente qu’une autre catégorie d’élèves. Dans les classes

pluriethniques où les minorités visibles sont présentes, les questions de l’intelligence, de la

performance scolaire et des comportements sociaux selon l’origine « raciale » demeurent des

thèmes de discussion particulièrement délicats. Une préparation soutenue est nécessaire avant

d’aborder ces thèmes dans votre classe, qu’elle soit socialement homogène ou hétérogène.

Pour bien situer ces thèmes, nous devons faire un rappel sur le caractère arbitraire du

concept de « race » en sciences sociales. Le concept de race tire son origine de la biologie et

désigne une subdivision de l’espèce zoologique qui présente des caractéristiques héréditaires

discontinues et distinctives (par exemple : les lions sont une race différente des zèbres). Au XIXe

siècle, la plupart des anthropologues divisaient l’espèce humaine en trois « races » en fonction de

la couleur de la peau : noire, jaune et blanche. De 1850 à 1930, les théories racistes plaçant les

groupes ethniques européens en haut de la hiérarchie des « races » ont fleuri, tant en biologie, en

anthropologie, en ethnologie qu’en psychologie (Richards, 1997). Depuis cette époque, les

développements de la génétique ont permis de constater que les différences existant entre les

individus catégorisés dans la même « race » sont plus importantes que celles qui peuvent exister

entre les « races » (Stringer, 1991). Force est de constater qu’il est impossible de déterminer des

caractéristiques héréditaires discontinues qui distingueraient réellement une « race » humaine des

autres « races ». Par exemple, la couleur de la peau présente un continuum de nuances depuis le

teint le plus pâle jusqu’au plus foncé. En conséquence, les scientifiques de toutes les disciplines

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s’entendent sur le fait que le terme « race » ne peut s’appliquer aux êtres humains (Smedley et

Smedley, 2005; UNESCO, 1969).

Le concept de « race » constitue plutôt une construction sociale qui définit arbitrairement

un groupe à partir de critères physiques ou sociobiologiques. Ainsi, selon le critère utilisé, on

pourrait en arriver à la situation absurde de classer les humains en deux, quatre, cinq ou même

128 catégories « raciales », comme ce fut le cas à Saint-Domingue à l’époque coloniale (James,

1989). Dans ce contexte, nous utilisons le terme de « race » en le plaçant entre guillemets pour

bien souligner que ce concept correspond à une position idéologique et non à une réalité

sociobiologique. Par contre, des individus et certains partis politiques continuent à véhiculer ce

système de classification dépassé et à attribuer une supériorité à certaines « races » par rapport

aux autres. Ce type de racisme hiérarchique est même légitimé par certains universitaires de

diverses disciplines. Ainsi, des psychologues prétendent que certaines « races » sont plus

intelligentes et douées que d’autres (Rushton et Jensen, 2005), une position magistralement

réfutée par l’ensemble des psychologues contemporains (Gould, 1996; Nisbett, 2005; Sternberg,

2005). Au Canada, le débat concernant la supériorité des Asiatiques par rapport aux Caucasiens

et surtout par rapport aux négroïdes a fait rage entre le psychologue canadien Philip Rushton

(1988) et l’ensemble des psychologues canadiens et américains (Anderson, 1991; Weizmann et

al, 1990; Zuckerman et Brody, 1988). Récemment, les recherches sur le génome humain

renouvellent l’intérêt pour l’ethnicité et la génétique en psychologie, comme en témoigne le

numéro thématique de l’American Psychologist sur cette question (Anderson et Nickerson, 2005).

Notons de plus que le racisme n’est pas que le fait d’individus, il existe également sur le

plan institutionnel (inégalités systématiques résultant des pratiques institutionnelles) et culturel

(imposition de la culture dominante au détriment des cultures minoritaires). Il demeure que

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l’idéologie raciste demeure un instrument politique souvent employé pour légitimer le traitement

inégal et injuste réservé à des groupes dévalorisés par des groupes dominants (Sidanius et Pratto,

1999; Smedley et Smedley, 2005; Tagiueff, 1997; Wieviorka, 1998). Pour un survol des autres

types d’idéologie raciste, dont le racisme différentialiste et le néoracisme, voir Bourhis et

Gagnon (2006).

Thème 3. Groupe valorisé vs groupe dévalorisé et antagonismes intergroupes : comparaison

transculturelle États-Unis vs Canada

En dévalorisant les élèves aux yeux bruns et en valorisant les élèves aux yeux bleus le

premier jour de l’expérience, et en renversant cette relation le deuxième jour, l’enseignante

américaine est troublée par les résultats obtenus avec ses élèves blancs du primaire en Iowa.

Plusieurs générations d’élèves canadiens ont visionné le film The eye of the storm. Bien que les

résultats de l’exercice des années 1970 soient impressionnants et semblent sincères et véridiques,

bon nombre de Canadiens ont invoqué le racisme endémique des Américains, surtout envers les

Africains-Américains du fait du poids de l’histoire esclavagiste, comme un élément social

rendant improbable l’obtention de résultats semblables au Canada.

Les résultats canadiens de La leçon de discrimination sont surprenants pour Annie

Leblanc qui observe : « Quand les enfants ont pris leur dossard, quand j’ai nommé les privilèges,

je pense que déjà, à ce moment-là ça commençait à changer. Parce que les enfants qui avaient

droit aux privilèges étaient très contents d’en avoir, et les autres très déçus de ne pas les avoir ces

privilèges-là. Donc, déjà en début de journée, l’atmosphère était changée, contrairement à ce que

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je pensais. Moi, je pensais que ça allait être très long avant d’établir ça, et qu’ils ne se sentent pas

bien. Mais ça a été très rapide. »

Après la première journée, Annie Leblanc espère qu’avec le renversement des rôles prévu

le deuxième jour, les élèves du groupe dévalorisé qui ont subi la discrimination le premier jour

seront sensibilisés aux effets et aux conséquences néfastes de la discrimination à la suite de leur

assignation au groupe « valorisé » le lendemain : « …ils vont en faire moins de la discrimination

vis-à-vis des autres, dire moins de bêtises, des commentaires négatifs. J’espère qu’il y en aura

moins… Parce qu’ils vont avoir compris! …ils vont l’avoir vécu, ils vont l’avoir intériorisé ». À

mi-parcours au jour deux, Annie Leblanc constate que : « L’inversion des rôles s’est installée

assez rapidement…Je pensais qu’il allait y avoir beaucoup plus d’élèves qui allaient se rebeller,

se défendre, l’égalité...tout ça. Et ça n’a pas eu lieu tellement ce matin : ils ont décidé

d’embarquer dans le jeu et de le faire... »

En fin d’après-midi, Annie Leblanc dresse le bilan de l’exercice et en arrive à la

conclusion suivante : « Hier, j’avais l’impression à la fin de la journée que oui! Que le message

avait passé et que c’était clair pour les enfants. À la fin de la journée d’aujourd’hui, je n’avais pas

l’impression que c’était clair. Il y avait beaucoup d’agressivité encore, beaucoup de dénonciation

entre les enfants. En fait, ils n’ont pas dit ce que je voulais entendre. Est-ce qu’ils ont compris?

Peut-être, mais ce que je voulais entendre clairement….je ne l’ai pas entendu et ça, ça me déçoit.

Parce qu’avec tout ce qu’ils ont vécu, et avec tout ce qu’ils ont subi et tout ça, ça n’a pas donné le

résultat que je pensais. »

Ainsi, force est de constater que les résultats obtenus avec les élèves francophones du

Québec ne sont pas tellement différents des résultats obtenus avec les élèves anglophones de

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l’Iowa, et ce, trente ans plus tard chez des élèves canadiens qui ne portent pas le fardeau du

climat social plus ou moins raciste des années 1970 aux États-Unis. Comment expliquer ces

résultats obtenus avec les élèves québécois francophones? Pouvons-nous émettre l’hypothèse

que, socialement, les élèves canadiens peuvent avoir autant de comportements discriminatoires

que les élèves américains? Vous pouvez discuter des deux études (Iowa et Québec) du point de

vue des ressemblances et dissemblances entre les époques, des contextes sociaux, historiques et

juridiques. Vous pouvez aussi discuter des résultats obtenus aux États-Unis et au Canada par

rapport au développement social des préjugés et de la discrimination chez les jeunes élèves du

primaire (Aboud, Amato, 2001). Tout du moins, les résultats obtenus dans La leçon de

discrimination suggèrent l’intemporalité et l’universalité du développement du préjugé et de la

discrimination chez les élèves du primaire au Canada.

Thème 4. L’importance de faire comprendre les méfaits des préjugés et de la

discrimination

Au début du film, l’enseignante Annie Leblanc observe : « Chaque année, ou presque,

dans chaque groupe, ou presque, il y a un enfant qui est discriminé dans une classe... Parfois c’est

des raisons physiques, mais il y a d’autres fois ce n’est pas des raisons physiques. Ça peut être la

pauvreté, ça peut être un enfant qui est efféminé, mais c’est rare qu’il n’y a pas un enfant dans un

groupe qui est pris comme bouc émissaire. »

Comment les enseignants peuvent-ils prévenir ce genre d’attitude et de comportement

désobligeant chez leurs élèves? Ceux qui on subi le préjugé et/ou la discrimination sont-ils les

seuls à comprendre? Faut-il nécessairement avoir subi l’un ou l’autre pour comprendre?

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Comment faire pour qu’ils comprennent tous, ceux que le hasard a favorisés comme les moins

favorisés? Comment les aider à se prémunir?

Pour faire comprendre les méfaits des préjugés et de la discrimination, Annie Leblanc a

décidé de prendre un autre moyen que les approches pédagogiques classiques, qui lui semblent

peu efficaces. « On a beau essayer de faire des choses, mais juste le fait d’en parler, les préjugés

ils restent là. Et les enfants qui sont victimes de discrimination, ils en sont encore victimes,

malgré toutes les interventions qui ont été faites…moi, je le sais, j’investis, je fais des choses, des

activités, à partir de livres, à partir des évènements concrets... pis ça rentre, mais oups! On a

l’impression que ça sort de l’autre côté, pis que c’est pas ancré dans leur mentalité, que ça reste

pas…Ce que je vais faire, c’est vraiment leur faire vivre la différence, la discrimination, à partir

de deux groupes. Je vais séparer mon groupe en deux...les petits et les grands. Et je vais traiter les

deux groupes d’une façon différente. »

Dans la majorité des cas, les témoignages reçus par courriel à la suite de la diffusion de La

leçon de discrimination étaient en faveur de la pratique de ce genre d’activités pour sensibiliser

les élèves aux méfaits des préjugés et de la discrimination. La majorité des 450 courriels, dont

plusieurs venaient d’enseignants, favorisaient cette approche. Trois semaines après l’exercice, en

entrevue avec l’équipe d’Enjeux, Annie Leblanc commente la pertinence de refaire

éventuellement l’exercice : « Je le ferais pas dans n’importe quel contexte, je le ferais pas non

plus dans un but éloigné, je suis contente, les enfants ont associé beaucoup plus à leur vécu par

rapport à Pierre-Luc, par rapport à la discrimination qui se faisait dans ma classe que par rapport

aux noirs…Ça vaut la peine d’être vécu quand on a un problème à régler…voilà , sinon c’est trop

difficile pour l’impact que ça peut avoir tout de suite au quotidien des enfants. »

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L’enseignante Annie Leblanc est évidemment consciente des inconforts qui ont été subis

par ses élèves durant l’exercice. Idéalement, on considère que les inconforts et les inconvénients

subis par les répondants doivent être compensés soit par le potentiel des connaissances

scientifiques acquises, soit par l’apprentissage obtenu grâce au visionnement de l’expérience. Qui

aurait pu prévoir que les élèves québécois de 2006 se comporteraient comme les élèves

américains des années 1970? À ce titre, cette réplique québécoise des résultats obtenus trois

décennies plus tôt en Iowa démontre brillamment l’intemporalité et l’universalité du

développement du préjugé et de la discrimination chez les jeunes d’âge scolaire. Les

inconvénients vécus par les élèves québécois de la classe d’Annie Leblanc peuvent aussi être

compensés par l’usage pédagogique de La leçon de discrimination. Comme pour le visionnement

du film The eye of the storm depuis les trente dernières années en Amérique comme en Europe (le

film a été traduit dans une multitude de langues), le visionnement de La leçon de discrimination

peut servir d’outil pédagogique et de sensibilisation aux méfaits du préjugé et de la

discrimination pour des générations d’élèves au Canada, en France, en Belgique et dans

l’ensemble des pays de la francophonie. Les témoignages reçus par les réalisateurs de l’émission

à la suite de sa diffusion abondent dans ce sens en proposant de faire de La leçon de

discrimination un outil pédagogique dans l’ensemble du système scolaire canadien.

Thème 5. Interventions pour réduire la discrimination

Avec un exercice comme La leçon de discrimination, Annie Leblanc a souhaité inoculer

ses élèves contre la tentation du préjugé et de la discrimination. A-t-elle réussi? Seul l’avenir

nous le dira. Pour bien des éducateurs, « l’ignorance de l’autre » demeure la base des préjugés et

de la discrimination. Selon cette prémisse, l’apprentissage social en famille, avec les pairs et à

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l’école, ainsi que la conformité aux normes culturelles locales sont les éléments de socialisation

qui expliquent le préjugé et la discrimination. En capitalisant sur ces mêmes processus de

socialisation, certains chercheurs ont proposé des activités scolaires et des séances d’information

sur l’histoire, la culture et le mode de vie de minorités culturelles, afin d’aider les élèves à

acquérir de nouvelles attitudes favorisant la diversité culturelle, la tolérance et l’égalité des

chances. De nombreux programmes d’éducation interculturelle antiraciste ont été proposés ou

implantés en contexte scolaire, auprès d’élèves et d’étudiants appartenant au groupe majoritaire

aux États-Unis, au Canada et au Québec (Carignan, Sanders et Pourdavood, 2005; Potvin,

McAndrew et Kanouté, 2006). Les résultats d’évaluation de ce type de programme suggèrent que

leur efficacité demeure assez faible, portant à croire que le simple fait de fournir de l’information

afin de combattre l’ignorance a peu d’effets sur l’atténuation des préjugés (Aboud et Levy, 2000).

Par ailleurs, la présentation d’informations factuelles sur les minorités discriminées

montre qu’une discussion entre les élèves ayant des niveaux différents de préjugés contribue à

diminuer le niveau de préjugés de ceux qui sont particulièrement xénophobes. L’expression

d’attitudes tolérantes et leur justification par un pair ayant peu de préjugés à un effet positif sur

les élèves ayant un niveau élevé de préjugés (Aboud et Levy, 2000).

L’expérience de La leçon de discrimination fait partie des approches qui misent sur

l’empathie en adoptant les jeux de rôles dans lesquels les élèves, issus de groupes majoritaires,

deviennent des victimes de préjugés et de discrimination. Ce genre de jeux de rôle active

l’empathie, mais risque aussi de susciter de la pitié ou de la compassion sans que les élèves

prennent vraiment conscience de leur propre responsabilité dans la situation que vivent les

victimes du préjugé et de la discrimination. Ce genre de pitié peut aussi confirmer les préjugés du

groupe majoritaire envers les minorités dévalorisées. Par contre, les discussions répétées qui ont

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eu lieu entre les élèves et avec l’enseignante à la suite de l’expérience de La leçon de

discrimination sont justement le genre d’activités susceptibles de changer plus profondément les

attitudes et les comportements des élèves, favorisant une appréhension plus ouverte et tolérante

de l’altérité. Ainsi, plus de trois semaines après l’expérience de discrimination, les élèves

d’Annie Leblanc poursuivent leurs discussions dont voici quelques extraits en rappel. L’élève

Sabrina déclare : « Pourquoi on se ferait différencier. À quoi ça sert de différencier les autres si

on sait qu’ils ont tous quelque chose de bon. Nous on a des défauts, pis eux aussi. Donc à quoi ça

sert? » Pour Jimmy, La leçon de discrimination a eu un impact bénéfique sur le comportement de

ses compagnons de classe : « Avant, on écœurait les personnes mais on a arrêté depuis qu’on a

vécu l’expérience. » (Pascale Turbide : « Ah bon! Qu’est-ce que vous avez arrêté de faire? »)

« Ben de faire de la discrimination des personnes qui étaient pas comme nous…Comme Pierre-

Luc. Parce que Pierre-Luc lui, il est gros. Mais avant, tout le monde le discriminait. Mais

maintenant, quand il y a quelqu’un qui le discrimine, on est avec lui, on leur dit de pas faire ça. »

Cette leçon de discrimination aura-t-elle l’impact voulu jusqu'à l’âge adulte?

Il existe d’autres approches pour réduire les préjugés et la discrimination incluant les

contacts intergroupes, la décatégorisation, la recatégorisation, l’identification double et les

identités sociales multiples, le recours aux mesures légales contre la discrimination et les

programmes d’action positive (Aboud et Levy, 2000; Bourhis et Gagnon, 2006; Oskamp, 2000).

Libre à vous, selon les caractéristiques de vos participants, de discuter des avantages et des

désavantages de chacune de ces approches pour réduire les préjugés et la discrimination.

Bibliographie

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Chapitre 3 : Glossaire lié à l’explication du préjugé et de la discrimination

À la suite du visionnement de La leçon de discrimination, vos discussions nécessitent un

usage précis de certains termes et concepts portant sur les préjugés et la discrimination. Ce

glossaire peut aussi vous être utile si vous avez l’occasion de lire les chapitres de Bourhis et

Gagnon, 2006; le volume de Bourhis R.Y. et Leyens, J.P. (1999) et celui de Vinsonneau, G.

(1997) ainsi que les Textes connexes de ce DVD ou d’autres ouvrages sur le sujet.

Accommodement raisonnable : Selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, il s’agit d’une « obligation juridique découlant du droit à l’égalité, applicable dans une situation de discrimination et consistant à aménager une norme ou une pratique de portée universelle en accordant un traitement différentiel à une personne qui, autrement, serait pénalisée par l’application d’une telle norme. Il n’y a pas d’obligation d’accommodement en cas de contrainte excessive ». Acculturation : ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes. Ces changements culturels peuvent être plus soutenus et profonds chez les membres du groupe culturel minoritaire que chez ceux du groupe culturel dominant et majoritaire (voir : orientation d’acculturation). Action positive : ensemble cohérent de mesures prises par les organisations gouvernementales et privées pour assurer l’emploi et la promotion de personnes qualifiées provenant de groupes défavorisés (p. ex., femmes, minorités visibles, allophones), en proportion équivalente à leur présence démographique dans une région donnée. Activation automatique d’un stéréotype : processus cognitif permettant à un stéréotype auquel nous n’adhérons pas d’influer sur notre perception d’une personne sans que nous nous en rendions compte. Agression : tout comportement physique ou verbal dirigé vers une personne avec l’intention de lui causer du tort sur le plan physique ou psychologique. Altérité : ce qui se rapporte à l’existence et à la reconnaissance de l’autre, différent de soi. Appartenance : phénomène par lequel la réalité des acteurs sociaux se relie intimement à celle des groupes (sexe, ethnicité, religion) où s’inscrit leur destin. Assimilation-différenciation : processus cognitif qui mène à l’atténuation des différences perçues entre les individus membres d’une même catégorie sociale et à l’accentuation des différences perçues entre les individus membres de catégories sociales distinctes.

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Attitude : état affectif général et persistant, positif ou négatif, ressenti à l’égard d’une personne, d’un objet, d’un thème ou d’un concept. Attribution : inférence à propos de la cause d’un évènement ou du comportement d’une personne. Attribution dispositionnelle : attribution portant sur les traits de personnalité d’une personne afin d’expliquer son comportement. Attribution intergroupe : biais attributionnel portant à attribuer les comportements positifs (actes charitables) de l’endogroupe à des causes dispositionnelles, mais à des circonstances externes dans le cas d’acteurs appartenant à des exogroupes. Autocatégorisation : selon la situation et le contexte intergroupe, activation et saillance d’une des multiples catégories sociales auxquelles les individus peuvent appartenir. Autostéréotype : croyance qu’une personne entretient au sujet des caractéristiques des membres de son endogroupe. Les croyances concernant les caractéristiques de l’endogroupe sont souvent favorables bien qu’elles puissent aussi être défavorables selon le statut dévalorisé du groupe d’appartenance dans une société donnée. Biais acteur-observateur : tendance des acteurs à attribuer leurs comportements à des facteurs situationnels et à attribuer les comportements des autres à des facteurs dispositionnels. Biais proendogroupe : tendance à adopter une attitude plus favorable à l’égard des membres de son endogroupe qu’à l’égard de ceux d’exogroupes. Cette tendance peut se manifester tant sur le plan des évaluations (préjugés) et des croyances (stéréotypes) que sur celui des comportements (discrimination). Caractère national : configuration de cognitions et de conduites, repérable chez les membres d’une société donnée. Il s’agirait d’un noyau de structure caractérielle, résultant du type d’expériences communément traversées par ces individus, spécialement dans leur enfance, et les préparant à fournir des réponses similaires aux situations identiques auxquelles ils ont à faire face à l’âge adulte. Cas exceptionnel : l’information individualisante qui contredit un stéréotype est considérée comme un cas d’exception, ce qui permet de maintenir intact le contenu du stéréotype. Catégories naturelles : types de catégories regroupant les individus sur la base de caractéristiques physiques et visuellement repérables comme le sexe, l’âge et les attributs physiques (faciès blanc, asiatique, noir). Catégorisation : processus cognitif par lequel l’être humain segmente son environnement physique et social en catégories, et classe différents éléments dans ces catégories. Le terme « catégorisation sociale » renvoie au processus de la catégorisation appliquée aux êtres humains.

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Catégorisation croisée : situation dans laquelle deux catégorisations dichotomiques se combinent pour créer des groupes qui partagent une catégorie tout en étant différents dans l’autre catégorie (p. ex., femme blanche vs femme noire; homosexuel francophone vs homosexuel anglophone). Comparaison sociale : processus de comparaison avec les autres qui permet de se former une idée de soi-même et de s’autoévaluer ou d’évaluer le groupe dont on fait partie. Compétition sociale : forme de compétition motivée par l’autoévaluation, à la suite d’une comparaison sociale, et qui vise à établir et à maintenir une distinction en faveur de l’endogroupe par rapport aux exogroupes. Conformisme : changement dans les croyances ou dans les comportements suscité par la présence réelle ou imaginée d’une personne ou d’un groupe de personnes. Conformisme public : il y a conformité publique si l’individu se conforme devant les autres, mais demeure convaincu de la justesse de ses idées personnelles. Conventionnalisme : adoption des valeurs de la société sans qu’il y ait de pression sociale. Croyances : constituent les bases de l’existence, les convictions des personnes, leurs certitudes, ce qu’elles croient vrai et en quoi elles ont foi. Culture : système relativement cohérent, à la fois du point de vue synchronique et diachronique, des productions symboliques et pratiques d’un groupe humain, historiquement constitué, rassemblé le plus souvent par une territorialité physique. Degré d’interculturalité : étendue de la différence quant aux valeurs, aux normes et aux codes langagiers dans la communication entre individus de cultures différentes. Différenciation : ensemble des mécanismes par lesquels l’individu crée ou accentue la différence entre lui-même et autrui, qu’il s’agisse d’un individu ou d’un groupe social. Discrimination : tout comportement négatif dirigé contre une personne et reflétant une attitude défavorable uniquement fondée sur l’appartenance à un exogroupe donné. Discrimination institutionnelle : système de lois et de règlements d’un gouvernement ou d’une organisation publique ou privée qui institutionnalise le traitement inégal de certains groupes dévalorisés par rapport au traitement dont jouissent des groupes avantagés (p. ex., pas d’embauche de minorités visibles à certains postes). Discrimination systémique : pratiques institutionnelles touchant également tous les individus, mais qui a comme conséquence involontaire de nuire à certaines personnes, en raison de leur appartenance de groupe (femmes, minorités visibles), quant aux possibilités d’emplois ou de promotions (p. ex., test d’embauche biaisé culturellement).

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Double catégorisation : situation dans laquelle deux catégorisations dichotomiques sont combinées pour créer des groupes d’individus qui sont différents dans chacune des catégories dont ils font partie (p. ex., au Québec : la minorité anglophone antillaise; au Canada : la minorité haïtienne francophone). Duperie : processus par lequel les chercheurs cachent le vrai but de l’étude aux participants. L’utilisation de cette technique provient de la croyance selon laquelle les participants qui ne connaissent pas le vrai but de l’étude ne modifieront pas leurs comportements, et l’attitude observée sera la plus sincère et réelle possible. Effet du cas exceptionnel : tendance à créer une sous-catégorie pour mettre à part les personnes qui ne correspondent pas aux stéréotypes du groupe dans lequel elles ont été catégorisées. Les stéréotypes sont maintenus pour l’ensemble des membres de ce groupe, à l’exception des cas mis à part, plutôt que d’être modifiés ou abandonnés. Enculturation : appropriation par l’individu, tout au long de son existence, des éléments de culture au sein de laquelle il évolue en famille, par la scolarité, le culte et les modes de production économique. Les corps, les esprits et les dynamiques identitaires et psychosociales endogroupes prennent forme au cours de l’enculturation. Endogroupe : groupe d’appartenance d’une personne composé de l’ensemble des individus que cette personne a catégorisés comme membres de son propre groupe et auquel elle a tendance à s’identifier. Entativité : perception des caractéristiques d’un groupe comme étant cohérentes et homogènes, unifiées par les croyances et les actions, semblables et ayant un destin commun. Essentialisme psychologique : perception qui mène à la croyance qu’une catégorie naturelle (sexe, âge, ethnicité) reflète non seulement des attributs de surface, mais aussi des essences (génétiques, raciales, linguistiques) révélant la vraie nature, inaltérable et immuable du groupe. Ethnocentrisme : tendance chez un individu à surévaluer les caractéristiques de son endogroupe, à mépriser celles de l’exogroupe et à croire que l’endogroupe est supérieur à l’exogroupe. Ethnocide : phénomène lié à la présence d’un groupe culturel dominant et/ou majoritaire qui volontairement ou involontairement cause la destruction des productions symboliques et pratiques d’un groupe culturel minoritaire avec qui il est en contact soutenu. Évolutionnisme : théorie d’après laquelle le développement d’un peuple et de sa culture serait unilinéaire : partant d’un stade initial archaïque (« primitif »), il tendrait à évoluer jusqu’à un degré supérieur (de « civilisation »). Exogroupe : tout groupe autre que le groupe d’appartenance d’une personne. L’exogroupe est composé de l’ensemble des individus catégorisés comme membres d’autres groupes et auxquels la personne n’a pas tendance à s’identifier.

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Favoritisme proendogroupe : tendance à favoriser les membres de son propre groupe par rapport à ceux de l’exogroupe, tant lors de l’évaluation des groupes que dans la distribution de ressources valorisées (p. ex., l’emploi, la promotion, le salaire, le logement locatif; voir aussi biais proendogroupe). Favoritisme proexogroupe : tendance à favoriser les membres de l’exogroupe par rapport aux membres de l’endogroupe, tant lors de l’évaluation des groupes que dans la distribution de ressources valorisées. Groupe : ensemble d’individus interdépendants qui s’influencent mutuellement et se perçoivent comme membres de la même catégorie sociale. Groupe de référence : groupe qu’un individu adopte comme cadre de référence relativement à ses attitudes ou à ses valeurs. Hypothèse du contact : hypothèse voulant que certains types de contacts intergroupes aident à combattre « l’ignorance de l’autre » et permettent aux individus de corriger leurs conceptions erronées des exogroupes et, ainsi, de réduire leurs préjugés et leurs comportements discriminatoires. Identification : ensemble des mécanismes par lesquels l’individu fait l’expérience de la similitude entre lui-même et autrui, qu’il s’agisse d’un individu ou d’un groupe social. Identité personnelle : désigne à la fois l’ensemble des phénomènes par lesquels les acteurs sociaux reconnaissent et/ou revendiquent les aspects de leur être, en leur donnant un sens, et le contenu auquel ces phénomènes aboutissent pour l’individu. Identité sociale : ensemble des aspects du concept de soi découlant de l’appartenance à différents groupes et à différentes catégories sociales. Interculturalisme : interpénétration entre les cultures, sans atténuer l’identité spécifique de chacune d’elles, mettant le multiculturel en mouvement pour le transformer en interculturel. La pratique de l’interculturalisme inclut plus qu’une information sur les autres cultures, elle implique le développement d’attitudes positives à l’égard de l’autre, le respect de la diversité, et les échanges culturels continuels sur une base égalitaire. Interdépendance négative : relation intergroupe dans laquelle le gain d’un groupe se fait aux dépens de l’exogroupe, attisant ainsi la compétition entre les groupes. La compétition sociale entre les groupes pour l’obtention de ressources rares explique en partie les préjugés et la discrimination. Interdépendance positive : relation intergroupe dans laquelle l’atteinte d’un but commun supra-ordinal ou la défense contre une menace commune exige la coopération intergroupe. La coopération entre les groupes peut réduire les préjugés et la discrimination tout en favorisant l’harmonie intergroupe.

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Intériorisation : processus par lequel on se soumet aux attentes du groupe parce qu’on croit que le groupe a raison. L’individu fait siennes les valeurs véhiculées par le groupe. Justice distributive : standard social selon lequel la distribution des ressources doit se faire de façon telle que les récompenses sont proportionnelles aux coûts encourus et que les profits sont proportionnels aux investissements. Laïcité : principe préconisant le dépassement de tous les particularismes culturels, linguistiques et religieux afin de rallier les acteurs sociaux autour d’un projet visant l’homogénéité institutionnelle (p. ex., le monde scolaire et l’administration publique). Langue : système de communication verbale normalisé propre à une communauté linguistique. La langue est porteuse de la culture et peut servir de symbole identitaire reliant ses locuteurs aux productions culturelles du passé, du présent et du futur par la transmission intergénérationnelle de la langue maternelle. Métastéréotype : idée qu’un individu se fait des stéréotypes que les exogroupes entretiennent envers les membres de son propre endogroupe. Menace intergroupe : la menace symbolique, la menace réelle, et l’anxiété intergroupes attisent les préjugés et la discrimination envers les exogroupes. Modèle d’acculturation interactif : propose l’analyse des politiques gouvernementales d’intégration des immigrants et des minorités nationales en tenant compte des orientations d’acculturation adoptées par les groupes d’immigrants dans le pays d’établissement; des orientations d’acculturation adoptées par la communauté d’accueil envers les immigrants; des relations harmonieuses, problématiques ou conflictuelles entre les immigrants et la communauté d’accueil. Modèle de la menace du stéréotype : modèle proposant que le simple fait de souligner que le groupe auquel appartient une personne n’exécute habituellement pas une tâche de manière convenable (ce qui correspond à un stéréotype) suffit pour amener cette personne à ne pas bien accomplir la tâche en question dans la mesure où il est important pour elle de bien faire cette tâche. Multiculturalisme : désigne un système social où coexistent divers groupes ethniques, culturels, linguistiques ou religieux qui maintiennent leurs particularités respectives à la fois en raison du volontarisme des acteurs sociaux préoccupés par la sauvegarde de leurs identités distinctives et en raison de la valorisation par l’État de ces identités distinctives contribuant à la construction de l’identité multiple de la majorité nationale. Norme : valeur, opinion ou règle de conduite implicite qui reflète des standards d’approbation ou de désapprobation sociale. Norme de justice : norme qui amène les gens à aider les autres, surtout dans la mesure où ils croient que ceux qui expriment un besoin d’aide méritent cette aide.

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Norme de réciprocité : norme qui repose sur des principes d’échange social et qui postule que les gens aident autrui parce qu’un jour, ils désireront être aidés à leur tour par les autres. Orientation d’acculturation : modes d’adaptation culturelle qui orientent les attitudes et les comportements des individus en situation de contact interculturel/intergroupe. Plusieurs types d’orientations d’acculturation peuvent être endossés par les personnes immigrantes et par les membres de la communauté d’accueil. Les orientations d’acculturation peuvent aussi être endossées par et envers les communautés culturelles, les minorités nationales (p. ex., les autochtones), les minorités linguistiques, les personnes handicapées physiquement ou intellectuellement, selon l’âge et l’orientation sexuelle. Orientation d’acculturation assimilationniste : ces membres de la communauté d’accueil s’attendent à ce que les immigrants renoncent à leur culture d’origine afin d’adopter la culture de la majorité d’accueil. Les immigrants adoptant cette orientation abandonnent pour l’essentiel leur propre spécificité culturelle et linguistique afin d’adopter la culture de la majorité d’accueil. Orientation d’acculturation exclusionniste : ces membres de la communauté d’accueil non seulement ne tolèrent pas le maintien de la culture d’origine des immigrants, mais refusent que les immigrants adoptent la culture de la majorité d’accueil. Les exclusionnistes croient que certains groupes d’immigrants sont non assimilables parce qu’ils sont considérés comme étant trop différents sur les plans culturel, linguistique ou religieux. Des exclusionnistes aimeraient mettre un terme à l’immigration de certaines catégories d’immigrants. Orientation d’acculturation individualiste : les membres de la majorité d’accueil ainsi que les immigrants qui adoptent cette orientation se définissent et définissent les autres en tant qu’individus plutôt qu’en tant que membres de catégories sociales « eux-nous ». Pour les individualistes, ce sont les caractéristiques personnelles et le mérite individuel qui comptent le plus. Pour les individualistes, peu importe que les immigrants conservent leur culture d’origine ou adoptent la culture d’accueil, seules comptent les relations interpersonnelles. Orientation d’acculturation intégrationniste : les membres de la communauté d’accueil acceptent et valorisent le maintien de la culture d’origine des immigrants et favorisent en même temps l’adoption de la culture d’accueil par les groupes d’immigrants. Les immigrants adoptant l’intégrationniste cherchent à maintenir les caractéristiques essentielles de leur culture d’origine tout en assimilant des aspects importants de la culture de la majorité d’accueil. Orientation d’acculturation ségrégationniste : ces membres de la communauté d’accueil tolèrent le maintien de la culture d’origine des immigrants, mais gardent leurs distances à l’égard des immigrants, évitant ainsi que la culture des immigrants puisse diluer, transformer ou « contaminer » l’authenticité de la culture de la majorité d’accueil. Les ségrégationnistes préfèrent que les immigrants restent regroupés entre eux dans leur propre quartier ou région, réduisant au minimum les contacts avec les membres de la majorité d’accueil. Orientation d’acculturation séparatiste : les immigrants qui adoptent l’orientation séparatiste désirent conserver tous les aspects de leur identité culturelle d’origine et sont peu intéressés à adopter la culture de la majorité d’accueil. Les séparatistes perçoivent que leur culture d’origine risque d’être diluée, transformée ou contaminée par la culture de la majorité d’accueil dominante.

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Paradigme des groupes minimaux (PGM) : situation expérimentale dans laquelle la catégorisation sociale « eux-nous » est l’unique variable indépendante manipulée, laquelle peut susciter des comportements discriminatoires chez les gens qui s’identifient fortement à leur endogroupe. Personnalité autoritaire : type de personnalité caractérisée par une pensée rigide et par un ensemble de croyances et de valeurs, dont la soumission et l’identification à l’autorité. Préjugé : attitude négative généralisée et rigide envers les membres d’un exogroupe et fondée uniquement sur leur appartenance à ce groupe. Privation relative collective : sentiment éprouvé par une personne après qu’elle a perçu une contradiction entre le sort actuel de son endogroupe et celui auquel elle estime que les membres de son endogroupe ont droit collectivement. Privation relative personnelle : sentiment éprouvé par une personne après qu’elle a perçu une contradiction entre son sort actuel et celui auquel elle estime avoir droit personnellement. Racisme différentialiste : idéologie raciste selon laquelle les différences culturelles entre les « races », considérées comme naturelles, rendent les antagonismes intergroupes inévitables. Cette idéologie raciste valorise une ségrégation des « races » ou l’expulsion des minorités raciales jugées non assimilables. Racisme hiérarchique : idéologie raciste selon laquelle des caractéristiques communes de certaines « races » (intelligence) les rendent supérieures aux autres (p. ex., supériorité des Asiatiques par rapport aux Caucasiens et aux négroïdes). Rôle : ensemble des comportements attendus et jugés appropriés d’un individu occupant une certaine position dans un groupe. Socialisation : acquisition, par l’individu, des attitudes, des valeurs et des normes propres à un groupe social, en vue de s’approprier les statuts et les rôles qui lui sont prescrits et/ou qu’il convoite face à autrui au sein des divers groupes constitutifs de la société élargie. Sous-groupe exceptionnel : un individu qui ne se conforme pas au stéréotype est re-catégorisé membre d’un sous-groupe, ce qui permet de ne pas remettre en cause la généralité du stéréotype envers l’exogroupe. Stéréotype : croyance qu’un groupe de personnes entretiennent et partagent au sujet des caractéristiques des membres d’un exogroupe. Syndrome du John Henryisme : affection caractéristique des ouvriers afro-américains pauvres qui subissent le racisme au quotidien et qui, à la longue, en viennent à souffrir d’hypertension et de maladies cardiaques.

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Territorialité : phénomène lié à l’appropriation d’un espace donné, à sa défense et au traitement de l’altérité dans cet espace, parmi les membres d’un groupe humain historiquement constitué. Ils y assurent leur survie, leur descendance et y déploient leurs liens sociaux et les productions pratiques et symboliques. La territorialité et l’identité sociale peuvent être étroitement liées : le territoire s’érigeant en ressources identitaires et l’identité déterminant largement les conduites territoriales et les modes de traitement de l’espace. Théories de la dominance sociale : selon cette théorie, les individus qui endossent l’orientation de dominance sociale (ODS) perçoivent les groupes sociaux comme étant fondamentalement inégaux au sein de la stratification sociale et considèrent que les groupes « supérieurs » méritent d’être mieux traités que les groupes « inférieurs ». Les individus qui endossent l’idéologie de la dominance sociale sont plus susceptibles d’être conservateurs, racistes, sexistes et homophobes. Théorie de l’équité : théorie selon laquelle la perception de l’injustice sociale provoque chez l’individu un malaise psychologique qui le porte à vouloir rétablir l’équité matérielle ou psychologique. Théorie de l’identité sociale : explication du comportement intergroupe fondé sur des aspects cognitifs (différenciation catégorielle) et motivationnels (besoin d’une identité sociale positive) qui entraîneraient les membres d’un groupe à adopter des stratégies individuelles ou collectives pour atteindre ou maintenir une identité sociale positive. Théorie de la justification du statu quo : théorie relative aux processus psychologiques qui explique la raison pour laquelle les groupes désavantagés adoptent les rationalisations idéologiques véhiculées par les groupes avantagés pour justifier le système en place, même quand ce système les désavantage personnellement ou collectivement. Théorie de la privation relative : théorie selon laquelle le mécontentement et la révolte surgissent lorsque les individus perçoivent subjectivement une contradiction entre leur niveau de vie actuel et celui auquel ils croient avoir droit personnellement ou collectivement. Théorie des conflits réels : explication des attitudes et des comportements intergroupes en fonction de la compétition ou de la coopération entre les groupes pour l’accès à des ressources limitées. Théorie du bouc émissaire : explication du préjugé et de la discrimination selon laquelle l’individu, après avoir vécu une frustration, déplacerait son agressivité vers les membres d’un exogroupe plus faible lorsque la source réelle de la frustration est inattaquable (p. ex., la majorité dominante d’une société). Universalisme : point de vue préconisant l’édification de principes susceptibles de rallier les acteurs sociaux dans le monde, par-delà les diversités sociohistoriques, religieuses, ethniques et culturelles. Valeurs : représentations des buts transituationnels qui varient en importance et qui servent de principes directeurs dans notre vie (p. ex., la paix, l’harmonie, la justice).

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Bibliographie Bourhis, R.Y. et Gagnon, A. (2006). Les préjugés, la discrimination et les relations intergroupes. Dans R.J. Vallerand (Éd). Les fondements de la psychologie sociale, 2e édition. Montréal, QC : Gaëtan Morin et Chenelière Éducation (pp. 531-598).

Bourhis R.Y. et Leyens, J.P. (1999). Stéréotypes, discrimination et relations intergroupes. Sprimont, Belgique : Mardaga. Vinsonneau, G. (1997). Culture et comportement. Paris : Armand Colin

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Notes biographiques

Richard Y. Bourhis a obtenu un baccalauréat ès sciences (B.Sc.) en psychologie de l’Université McGill et un doctorat (Ph.D.) en psychologie sociale de l’Université de Bristol en Angleterre (1977) sous la direction de Henri Tajfel et de Howard Giles. Il a été professeur au Département de psychologie de l’Université McMaster à Hamilton, en Ontario, de 1978 à 1988. En 1989, il est entré au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, où il est professeur titulaire. Il a été élu Fellow de la Société Canadienne de Psychologie en 1988 et membre de la Society for Experimental Social Psychology aux États-Unis en 1991. Richard Y. Bourhis a publié plus de 130 articles et chapitres dans les domaines de la discrimination et des relations intergroupes, de l’acculturation et de l’immigration, de la communication interculturelle et de l’aménagement linguistique. Il a été directeur à l’UQAM de la Chaire Concordia-UQAM en études ethniques de 1996 à 2006. Il est membre du groupe de recherche Immigration et Métropoles. En juin 2006, il a été nommé directeur du Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) à l’Université de Montréal.

Nicole Carignan a obtenu un baccalauréat en éducation (B.Ed.) de l’Université du Québec à Montréal; un baccalauréat et une maîtrise en composition musicale de l’Université de Montréal, sous la direction d’André Prévost, et un doctorat (Ph.D.) en éducation comparée de l’Université de Montréal, sous la direction d’Émile Olivier, sociologue et écrivain. Nicole Carignan est actuellement professeure en éducation interculturelle au Département d’éducation et de formation spécialisées de l’Université du Québec à Montréal. Elle a été professeure à l’Université de Cleveland, Ohio, ainsi qu’à l’Akademi Musik Indonesia de Yogyakarta, à Java. Elle a à son actif plusieurs publications en éducation et a composé plusieurs œuvres musicales qui ont été créées sur les cinq continents. Elle est compositrice agréée au Centre de musique canadienne (CMC) et chercheuse au Laboratoire de recherche et d’intervention sur le changement social, l’analyse des politiques et des professionnalités en éducation (CRIFPE) de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Nicole Carignan est aussi chercheuse au Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) à l’Université de Montréal.

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Deuxième partie : Les textes connexes

Cette deuxième partie du volet textes du DVD vous offre trois textes autour des thèmes de la

diversité, de l’approche interculturelle et de l’intégration des immigrants.

Chapitre 1. La diversité des visions du monde à travers les valeurs et les croyances

Legault, G. et Bourque, R. (2000). La diversité des visions du monde à travers les valeurs et les

croyances. Dans G. Legault (Éd.). L’intervention interculturelle. Montréal, QC : Gaëtan Morin et

Chenelière Éducation (pp. 53-83).

Quand on parle de différences culturelles, ethniques ou religieuses, il faut évoquer la question de

l’appréciation ou du rejet de la diversité des visions du monde tels que véhiculés par les valeurs et

les croyances. Comme le notent les auteurs de ce premier chapitre : « L’étude des valeurs et des

croyances de sa culture parallèlement à celles d’autres cultures peut contribuer à mettre en

évidence les barrières et les difficultés qui nuisent à la communication et à l’intervention

interculturelle ». Ces auteurs fournissent une grille d’analyse interculturelle des valeurs

pertinentes à la personne elle-même, à la famille et à la société, ainsi qu’un éventail des

croyances. Ce chapitre offre un outil précieux pour animer vos discussions à la suite du

visionnement de La leçon de discrimination.

Chapitre 2. L’approche interculturelle auprès des migrants

Cohen-Emerique, M. (2000). L’approche interculturelle auprès des migrants. Dans : G. Legault

(Éd.). L’intervention interculturelle. Montréal, QC : Gaëtan Morin et Chenelière Éducation (pp.

161-184).

Le deuxième chapitre porte sur l’approche interculturelle auprès des immigrants et des

communautés d’accueil dans deux régions de la francophonie mondiale : la France et le Québec.

Les thèmes abordés dans ce texte sont pertinents pour l’animation de La leçon de discrimination,

puisqu’ils portent sur les obstacles à la compréhension de l’autre, la définition de l’interculturalité

et la compétence interculturelle.

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Chapitre 3. Immigration et intégration

Bourhis, R.Y. , Moise, C. L., Perreault, S. et Lepicq, D. (1998). Immigration et intégration : Vers

un modèle d’acculturation interactif. Montréal, QC : Cahiers des conférences et séminaires

scientifiques no6, Chaire Concordia-UQAM en études ethniques (pp. 52).

Le troisième chapitre offre un survol des politiques d’intégration en vigueur dans les états

démocratiques, et ce, en portant une attention particulière aux contextes canadien et québécois

constitués de deux communautés d’accueil, les francophones et les anglophones. Ce chapitre

offre un aperçu des processus d’intégration adoptés par les immigrants dans certains secteurs

clés : juridique, économique, linguistique, politique et culturel. Ce chapitre présente aussi les

assises du modèle d’acculturation interactif (MAI). Le MAI intègre au sein d’un cadre théorique

commun les composantes suivantes : 1) les orientations d’acculturation adoptées par les groupes

d’immigrants dans la communauté d’accueil; 2) les orientations d’acculturation adoptées par la

communauté d’accueil envers les groupes d’immigrants valorisés et dévalorisés; 3) les relations

harmonieuses, problématiques ou conflictuelles qui sont le produit de combinaisons entre les

orientations d’acculturation des immigrants et celles des communautés d’accueil.

À vous de choisir de consulter un ou plusieurs de ces chapitres.

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1CHAPITRE

La diversité des visions du monde à travers les valeurs

et les croyances

Gisèle Legault et Renée Bourque

L’étude des valeurs et des croyances de sa culture parallèlement à cellesd’autres cultures peut contribuer à mettre en évidence les barrières et lesdifficultés qui nuisent à la communication et à l’intervention intercultu-relle. Être conscient de ses propres valeurs et prendre conscience de cellesde l’autre constituent les préalables essentiels d’une intervention adaptée.Cependant, dans le passé, les moyens dont nous disposions pour exami-ner ces variables étaient très limités. Des tableaux présentant les valeursrelatives à divers pays ou des études comparatives entre deux ou troispays composaient la majeure partie des instruments disponibles. Malheu-reusement, ces tableaux ayant été réalisés à une certaine époque, ilstenaient peu compte des changements et des influences diversesqu’avaient subis les populations. En outre, ils étaient effectués avec unepartie restreinte de la population et souvent ne considéraient pas l’ensem-ble des groupes ou sous-groupes d’un même milieu. Ajoutons égalementque les frontières culturelles peuvent ne pas coïncider avec les frontièresdes pays, ce dont ces tableaux ne tenaient pas compte. Ainsi, il était pas-sablement risqué d’utiliser ces instruments, puisqu’ils pouvaient con-duire à des interprétations inappropriées. Alors comment arriver àobserver cette diversité ? Comment effectuer l’étude des valeurs et descroyances ?

Il était important de mettre au point un instrument permettant nonseulement d’observer l’autre sans le figer dans une identité prédéterminée,

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mais également de prendre conscience de ses propres valeurs et croyances.Ainsi chacun aurait-il l’occasion de conserver ses valeurs et ses croyances,de les modifier, ou encore de se constituer en être marginal et différent deson groupe d’origine. L’élaboration d’un tel instrument présentait doncdes avantages importants : il pouvait aider la personne à se décentrer de sapropre culture et à éviter le centrisme culturel ou l’ethnocentrisme, « cetteattitude extrêmement répandue qui consiste à faire de son propre groupe,de sa propre société, le prototype de l’humanité. À considérer les manièresde vivre, de sentir, de penser, les coutumes, les mœurs, les croyances de lasociété à laquelle on appartient comme les seules bonnes ou du moins lesmeilleures de toutes. À les ériger en normes universelles. » (Simon, 1993b,p. 17.)

L’ethnocentrisme constitue donc une tendance universelle plus oumoins consciente à valoriser sa propre culture et à dévaloriser celle del’autre. Ne pas prendre conscience de cette influence peut constituer unvéritable obstacle à l’intervention. Cependant, il est parfois difficiled’aborder la notion de culture, car elle ne constitue pas une réalité facile àcerner. Pour notre part, nous définirons d’abord la culture comme « unensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins for-malisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes,servent d’une manière à la fois objective et symbolique à constituer cespersonnes en une collectivité particulière et distincte » (Rocher, 1969,p. 88). Cette définition nous rappelle que différents groupes peuventadopter des manières différentes de penser, de sentir et d’agir ; ce sont cesdifférences que l’instrument que nous présentons permettra d’observer,des différences d’abord quant aux valeurs, ensuite quant aux croyances.Ces deux domaines nous permettront de mieux comprendre la diversitéculturelle, car « la culture intervient dans un domaine fondamental pourl’être humain : celui des unités de sens ou significations qui constituent lamédiation obligatoire pour notre accès au réel : car aucun stimulus n’agitsur nous directement mais par l’intermédiaire du sens dont il est obliga-toirement enveloppé [...] Et c’est ce sens qui décide, en dernier ressort, denos conduites. » (Camilleri et Cohen-Emerique, 1989, p. 24-25.)

L’ÉTUDE DES VALEURS

Nous définissons la valeur comme « une manière d’être ou d’agir qu’unepersonne ou une collectivité reconnaissent comme idéale et qui rend dési-rables ou estimables les êtres ou les conduites auxquels elle est attribuée »(Rocher, 1969, p. 56). À l’aide de cette définition, le sociologue québécoisGuy Rocher dégage certains traits qui caractérisent les valeurs :

Tout d’abord, la valeur se situe dans l’ordre idéal et non dans celui desobjets concrets ou des événements. Ceux-ci peuvent exprimer oureprésenter une valeur, ils peuvent la rappeler ou s’en inspirer ; mais

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La diversité des visions du monde à travers les valeurs et les croyances 55

c’est par référence à un certain ordre moral, esthétique ou intellectueldont ils portent l’empreinte qu’ils méritent ou appellent le respect.L’univers des idéaux est [toutefois] une réalité pour les personnesqui y adhèrent.

[...]

Mais si les valeurs sont inspiratrices des jugements, elles le sont aumoins autant des conduites, c’est là un second caractère attaché auxvaleurs.

[...]

Le troisième caractère des valeurs est leur relativité. Aux yeux dusociologue, les seules valeurs réelles sont toujours celles d’unesociété particulière ; ce sont les idéaux qu’une collectivité se donne etauxquels elle adhère. Les valeurs sont donc toujours spécifiques àune société ; elles le sont aussi à un temps historique, car les valeurssont variables dans le temps comme elles le sont d’une société àl’autre.

[...]

Le quatrième caractère a trait au fait que l’adhésion à une valeur nerésulte pas en général d’un mouvement exclusivement rationnel etlogique, mais plutôt d’un mélange de raisonnement et d’intuitionspontanée et directe, dans lequel l’affectivité joue aussi un rôle impor-tant. C’est d’ailleurs cette charge affective que revêt la valeur qui enfait un puissant facteur dans l’orientation de l’action des personneset des collectivités. C’est également cette charge affective qui expli-que, du moins pour une part, la stabilité des valeurs dans le temps etla résistance que rencontre généralement un changement de valeur àl’intérieur d’une société.

[...]

Enfin, un dernier trait caractéristique de l’univers des valeurs est soncaractère hiérarchique. On parle, dans le langage courant, de l’échelledes valeurs pour désigner l’ordre hiérarchique suivant lequel unepersonne ou une collectivité apprécie ou estime les idéaux auxquelselle adhère. (Rocher, 1969, p. 59.)

Ces diverses caractéristiques nous éclairent davantage sur les valeurset démontrent à quel point il est essentiel de ne pas demeurer au niveaudes comportements pour comprendre les actions de chacun ; elles démon-trent également combien l’analyse des valeurs dépasse l’observationrationnelle et fait appel à l’affectivité.

Plusieurs chercheurs se sont interrogés sur la façon d’aborderl’étude des valeurs et d’en arriver à une certaine structuration. Diversesrecherches ont entraîné la constitution de plusieurs échelles de valeurs.Les recherches conduites par Kluckhohn et Strodtbeck (1961) sont

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particulièrement détaillées et intéressantes à ce sujet. Ces auteurs sontpartis des postulats suivants :

1) Il y a un nombre limité de problèmes fondamentaux de l’existencehumaine auxquels les hommes de tous les temps ont dû trouver dessolutions ; 2) le nombre des solutions possibles à chacun de ces pro-blèmes est limité ; 3) lorsque les membres d’une société adoptent unesolution de préférence à toute autre, cette solution correspond à unevaleur dominante dans cette société ; 4) les autres solutions non préfé-rentielles demeurent cependant présentes dans cette société, à titrede valeurs variantes ou substituts. (Rocher, 1969, p. 60.)

Kluckhohn et Strodtbeck se sont attachés à considérer cinq problèmesfondamentaux de l’existence humaine, problèmes auxquels un nom-bre limité de réponses peut être apporté. Ce sont : 1) la conception dela nature humaine ; 2) la relation de l’homme avec la nature ; 3) lacatégorie privilégiée du temps ; 4) les modalités de l’activité humaine ;5) les modalités des relations interpersonnelles. (Rocher, 1969, p. 60.)

Ces deux auteurs résument les problèmes et les diverses possibilitésde solutions dans le tableau 1.1.

On voit aisément que les différentes réponses à ces cinq problèmescorrespondent bien à la définition des valeurs déjà donnée ; en effet,

TABLEAU 1.1 Les cinq problèmes fondamentaux de l’existence humaine

Problèmes Solutions

Nature humaine Bonne Neutre Bonne et mauvaise

Mauvaise

Inaltérable Perfectible

Inaltérable Perfectible Inaltérable Perfectible

Relations homme-nature

Contrôle de la nature

Harmonie avec la nature Vénération de la nature

Temps Avenir Présent Passé

Activité humaine Faire Recherche de l’efficacité de la production

Être-en-devenir Contrôle de soi par la méditation, la sagesse, le détachement

Être Libre expression de ses besoins et désirs

Relations interpersonnelles

IndividualismeModes indivi-dualistes de rela-tions humaines Relations hori-zontales

Collatéralité Liens avec ses égaux Relations horizontales

Linéarité Liens avec ses ascendants et ses descendantsRelations verticales

Source : Adapté de Kluckhohn et Strodtbeck (1961).

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La diversité des visions du monde à travers les valeurs et les croyances 57

face à chaque problème, une des réponses possibles peut être consi-dérée comme la manière d’agir préférable aux autres, celle quirépond le mieux à un certain idéal de l’homme. Si on y regarde deprès d’ailleurs, on notera que les cinq problèmes fondamentaux cor-respondent à autant d’éléments d’une définition de l’homme, à tra-vers ses diverses activités. (Rocher, 1969, p. 61.)

Cette grille de Kluckhohn et Strodtbeck (voir le tableau 1.1) constitue lapremière élaborée dans le domaine ; malgré certaines faiblesses, elle estintéressante et toujours pertinente. Elle permet de ne pas figer certainescaractéristiques d’un groupe culturel et favorise un regard non pas seule-ment sur l’autre mais aussi sur soi. Enfin, en offrant la possibilité de choisirtrois réponses, elle évite de séparer le monde en deux, les bons et les mau-vais, ceux qui sont comme nous et ceux qui sont différents. Elle évite ainsi lapolarisation habituelle qui est à l’origine de plusieurs dichotomies stériles.

D’autres auteurs, tels Condon et Yousef (1975), ont élaboré davantagecette approche et tiré des 5 problèmes fondamentaux de l’existencehumaine rapportés par Kluckhohn et Strodtbeck 25 questionnements,regroupés sous les vocables de valeurs et de croyances. Ils en sont ainsiarrivés à souligner que, selon différents auteurs, il est possible de déter-miner au moins trois domaines au sujet desquels chaque groupe culturela des questionnements semblables. Ces domaines sont le soi, la société etla nature (voir la figure 1.1).

Si on regroupe les domaines de la figure 1.1, on en obtient par croise-ment trois autres, soit la nature humaine, la famille et le surnaturel (voirla figure 1.2, p. 58).

À partir de ces six domaines s’imbriquant les uns dans les autres, Con-don et Yousef postulent, tout comme Kluckhohn et Strodtbeck, qu’un cer-tain nombre de questions, communes à tous les groupes humains et à toutesles cultures, comportent un nombre limité de réponses. Ces questions etréponses se regroupent de façon à constituer un système de valeurs, c’est-à-dire ce que l’on considère comme « bon » ou « mauvais » pour soi, la famille

FIGURE 1.1 Premiers domaines de questionnement communs à chaque culture

soi société nature

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et la société. Est-il bon, par exemple, de concevoir l’individu comme séparédu groupe auquel il appartient, ou est-il préférable de le concevoir commeune partie intrinsèque de tout groupe auquel il appartient et sans lequel iln’a pas d’identité ? Est-il bon d’entrer en contact avec les autres directementou faut-il le faire par l’utilisation d’intermédiaires ? Est-il bon de privilégierl’informel lors de ces contacts ou, au contraire, faut-il respecter certaines for-malités qui permettent une communication prévisible et sans accroc ?

D’autres questions sont regroupées de façon à constituer les bases del’existence, les croyances, c’est-à-dire ce qui est jugé « vrai » ou « faux » et quiconcerne la conception de la nature humaine, le rapport au surnaturel et les rap-ports de l’être humain avec la nature. Est-il vrai que l’être humain est foncière-ment bon et perfectible ou, au contraire, qu’il est foncièrement mauvais etqu’il ne peut changer ? Est-il vrai que l’être humain doit dominer la nature ouqu’il doit, au contraire, l’accepter, car elle le dépasse et est déterminée par desforces extérieures ? Est-il vrai que l’être humain décide de son destin ou, aucontraire, que ce destin est largement déterminé par des forces surnaturelles ?

C’est ainsi qu’on a pu dégager, à partir de la réflexion de Condon et You-sef (1975), le profil d’orientation des valeurs et des croyances des tableaux 1.2à 1.7 (voir les pages 60 à 66). Des échanges multiples ainsi que nos propresréflexions sur le sujet nous ont conduites à l’élaboration de ces tableaux.Nous croyons qu’ils peuvent être utiles dans la détermination des valeurs etcroyances pour son propre groupe autant que pour d’autres groupes. Cettediversité des valeurs peut être cernée lors de nos interventions et nous aiderà établir des stratégies réellement appropriées aux difficultés rencontrées.

FIGURE 1.2 Ensemble des domaines de questionnement communs à chaque culture

surnaturel

nature

soi

société

naturehumaine

famille

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Afin de rendre les tableaux plus clairs et d’aider à leur compréhen-sion, voyons les notions de modèle individualiste et de modèle communautairede la personne comme les a introduits Cohen-Emerique (1990). Aupara-vant, Hofstede (1980) avait développé les concepts d’individualisme et decollectivisme dans son étude sur les différences de valeurs à travers lescultures en ce qui concerne les attitudes face au travail. Dans ses écrits surces modèles, Cohen-Emerique réfère aux travaux de Dumont (1978) qui,dans ses recherches sur la conception moderne de l’individu, dresse untableau précis des visions moderne et « holiste » de la personne. Le modèleindividualiste se caractérise par l’autonomie et l’indépendance de la per-sonne, qui implique une séparation physique et morale de sa famille àl’âge adulte. Le soi est privilégié par rapport à l’appartenance à la familleou au groupe. Dans ce modèle, chacun veille sur ses intérêts propres, etune très grande liberté est laissée aux membres de ces sociétés. Ce quicaractérise, entre autres, les sociétés individualistes, c’est qu’il est tout àfait naturel de se valoriser soi-même et de chercher à dépasser les autres.

Dans le modèle communautaire, la personne est perçue selon ses rela-tions sociales. Il n’y a pas de coupure du milieu familial d’origine et dugroupe d’appartenance. Le nous prédomine sur le soi. Dans les sociétés àdominante collectiviste, les liens entre les individus sont étroits et forts ;chacun a un puissant sentiment d’appartenance à sa communauté d’ori-gine. Il y existe une sorte d’échange entre l’allégeance des individus à lafamille, au groupe, au village, à la tribu et la protection fournie en retour.La patience, la coopération et la conciliation sont encouragées.

Entre le modèle individualiste et le modèle communautaire, il estpossible d’imaginer un modèle intermédiaire où les choix de valeurs sesituent à mi-chemin ou sur un continuum entre les deux modèles.

Ce découpage en modèles individualiste et communautaire de la per-sonne en est un parmi d’autres ; on pourrait aussi parler de vision de lapersonne issue de cultures occidentales par opposition à celle qui estissue de cultures non occidentales, en référant, pour la culture occidentale(Stoiciu et Brosseau, 1989, p. 19) :

1) au rationalisme, à la rationalité, au doute, à l’incertitude et, parconséquent au mythe fondateur de la science ; 2) à l’engagement per-manent de l’individu dans la redéfinition du sens de la vie et del’existence sociale à partir de la rationalité et par opposition avec lescertitudes ayant acquis le rôle d’autorité ; 3) à la démocratie d’unespace public de confrontation et de communication vouée à mainte-nir « la valeur relative des êtres, des choses et des conduites à la placede la foi, de la coutume, de la tradition et par voie de conséquencedes rôles d’autorité » (Simard, 1988).

Nous croyons que le découpage que nous adoptons peut être éclai-rant. Les modèles individualiste et communautaire évoqués auparavant

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indiquent toutefois des pôles opposés destinés à nous aider à compren-dre les positions intermédiaires. Nous croyons que les positions extrêmespeuvent aider à saisir les nuances qui se situent quelque part sur le conti-nuum qui les sépare. Certains associent la deuxième colonne destableaux 1.2 à 1.7 au modèle individualiste-égalitaire et la quatrièmecolonne au modèle collectif-communautaire ; nous laissons au lecteur leloisir de faire les associations qui lui semblent les plus justes. Loin denous, toutefois, l’idée d’associer unilatéralement les cultures non occi-dentales au monde de la tradition et les cultures occidentales au mondede la modernité ; cette façon de classifier individus et sociétés ne permetpas de rendre compte de la complexité des réalités humaine et sociale etdu caractère changeant de la culture.

TABLEAU 1.2 Profil d’orientation des valeurs : le soi

Notion d’individu

Individualisme Le soi réside à l’inté-rieur de l’individu ; chaque individu a une place égale et unique dans la société. Les concepts d’indé-pendance, d’autono-mie et d’égalité sont importants.

Individualité On réfère tantôt à l’individu, tantôt au groupe, selon le con-texte social. Dans certaines cir-constances, le groupe est prééminent ; dans d’autres, c’est l’indi-vidu qui compte.

Interdépendance Le soi est extérieur et en rapport avec la place qu’il occupe dans le groupe ; il est déter-miné par la relation de la personne avec les autres. Les concepts de fidé-lité, d’harmonie et d’appartenance sont importants.

Jeunesse par opposition à âge mûr

Valorisation de la jeu-nesse, de la vigueur, de l’idéalisme et de la fraîcheur

Valorisation moins pola-risée de la jeunesse ou de l’âge mûrL’âge moyen est consi-déré comme le plus souhaitable.

Valorisation de l’âge mûr et de l’expérience Les personnes âgées possèdent la sagesse, la connaissance et l’autorité.

Rôles hommes-femmes

Rôles similaires Ces rôles peuvent être identiques ousemblables.

Rôles complémentaires déterminés par le matriarcat Ces rôles sont diffé-rents.

Rôles complémentaires déterminés par le patriarcat Ces rôles sont diffé-rents.

Réalisation de soi

Le faire est valorisé. L’accent est mis sur l’action, la tâche, la modification dessituations ; l’efficacité est valorisée.

Le devenir est valorisé. Recherche et énergie sont utilisées pour se transformer, se décou-vrir. Le processus est valorisé.

L’être est valorisé. L’accent est mis sur la personne, ce qu’elle est, ses relations avec les autres. Ce qui se vit comme sentiment et émotion dans une acti-vité donne de l’impor-tance à cette activité.

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La diversité des visions du monde à travers les valeurs et les croyances 61

Ajoutons à ce qui a déjà été dit sur les modèles individualiste et com-munautaire que, dans certaines sociétés, dont la nôtre, les rôles sociaux seveulent semblables et égalitaires pour les hommes et les femmes. Bienque l’on croie souvent que ces visions sont de l’ordre de l’idéal, dans cessociétés, il devient indifférent que l’homme ou la femme, ou les deux,soient tour à tour pourvoyeur, en charge des soins à donner aux enfants,du ménage, etc. Dans d’autres sociétés, la différenciation de ces rôles estrenforcée ; les attitudes autant que les fonctions assignées aux hommes etaux femmes sont spécifiques et se veulent complémentaires. Alors que,dans le modèle collectif-communautaire, ces rôles sont déterminés par lepatriarcat, en ce sens que l’homme y occupe une place, une responsabilitéet un statut importants, dans le modèle du centre, ces rôles sont détermi-nés par le matriarcat, c’est-à-dire que la femme y possède une place cen-trale et assume d’importantes responsabilités. On dira ainsi, chez lesHaïtiens, que la femme est le « poteau-mitan » de la famille.

En ce qui a trait à la valorisation de soi, certaines sociétés privilégientl’action, la tâche et l’efficacité. Ainsi, l’individu est avant tout valorisé parce qu’il fait et la compétition pour le rendement est une partie intrinsèquede ces sociétés ; il n’est pas important d’éviter les conflits, il importe avanttout de savoir les gérer. Dans d’autres sociétés valorisant plutôt le sens del’appartenance, il importe d’évaluer les résultats du groupe et de recher-cher la coopération et l’harmonie ; à cet effet, l’évitement des conflits seravalorisé et recherché.

Dans l’orientation relationnelle individualiste (voir le tableau 1.3,p. 62), le nombre de personnes qui composent l’unité familiale est réduitet les liens qui unissent les membres sont parfois lâches ; ces liens ne com-portent pas d’obligations strictes. L’autorité est partagée dans le sens quela personne la détenant doit rechercher l’opinion de tous et en tenircompte. Dans l’orientation relationnelle linéaire, l’identification à lafamille est très forte et s’étend même à la famille élargie, incluant souventles ancêtres de plus d’une génération. On aura de la déférence et du res-pect à l’égard de ces ancêtres. L’autorité s’exerce de façon hiérarchique etles ordres doivent être suivis sans répliques. Celui qui est chargé del’autorité détient non seulement des droits mais aussi des responsabilités.Le principe d’aînesse détermine sans faille les rangs et les prérogatives dechaque membre de la famille en établissant un code de préséance, de pou-voir et de responsabilité. Les membres de la génération précédente sonttous des pères (ou des mères) et les membres de la même génération sonttous des frères (ou des sœurs). L’autorité du frère aîné (ou de la sœuraînée) se modèle sur celle du père (ou de la mère).

Le mode d’attribution des rôles est, d’une part, aléatoire. Ainsi, lesrôles familiaux sont peu définis selon l’âge et le sexe ; le développementde l’autonomie est avant tout favorisé chez le jeune enfant, à qui on four-nira jouets et activités diverses dans le but de stimuler le développement

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62 Les phénomènes observés en contexte d’immigration

de son potentiel ; peu d’attention sera accordée à sa contribution à lafamille et on lui confiera relativement peu de responsabilités. D’autrepart, les rôles sont attribués selon l’âge et le sexe ; le jeune enfant est édu-qué dans un contexte de protection et d’attention où il apprend qu’aiderl’ensemble des membres de la famille et répondre à leurs besoins est plusvalorisant que de penser uniquement à ses propres besoins ; il assumerasouvent tôt des responsabilités diverses.

TABLEAU 1.3 Profil d’orientation des valeurs : la famille

Type de relation favorisé dans la famille

Orientation relationnelle individualiste Identification à la famille immédiate et limitée ; cette dernière peut éclater facile-ment ; peu d’obliga-tions et concertation limitée entre les mem-bres de la famille

Orientation relationnelle collatérale Identification à la famille importante mais limitée à un certain nombre de personnes et de générations ; obliga-tions et concertation entre un certain nom-bre de personnes

Orientation relationnelle linéaire Identification à une famille très large et étendue sur plusieurs générations ; obliga-tions verticales et con-certation importante entre les membres de la famille

Type d’autorité privilégié

Autorité partagée et diffuse Chacun a son mot à dire ; il faut solliciter l’opinion de presque tous les membres et en tenir compte dansla prise de décision.

Autorité centralisée L’autorité n’appar-tient pas à un individu mais provient d’un pouvoir plus général et plus abstrait qui émerge d’une croyance religieuse ou d’une tradition.

Autorité concentrée L’autorité est claire-ment assumée par un individu qui détient aussi la responsabilité de prendre les déci-sions pour le groupe ; en contrepartie, les membres du groupe ont des obligations d’obéissance.

Mode d’attribution des rôles

Attribution des rôles aléatoire C’est le hasard de la naissance ou des cir-constances qui déter-mine quel sera le rôle tenu par chaquemembre de la famille et quels seront leurs droits et obligations.

Attribution des rôles émergeant de larges catégories sexuelles Les droits et obliga-tions existent dans un sens large seulement, ni complètement figés, ni complète-ment libres. Codification sexuelle des tâches

Attribution des rôles dépendant spécifique-ment du sexe et de l’âge Les droits et obliga-tions sont clairement établis selon la classe d’âge et le sexe. Codification des tâches selon l’âge et le sexe

Rapport avec la mobilité spatiale

Mobilité constante valorisée Mouvement et chan-gement sont considé-rés comme un effort de valorisation de soi.

Mobilité périodique acceptée Le mouvement est limité et il y a espoir de retourner dans son lieu d’origine.

Forte stabilité recherchée Le maintien dans le lieu d’origine est valo-risé ; quitter les lieux ancestraux est réprouvé.

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La diversité des visions du monde à travers les valeurs et les croyances 63

Dans les sociétés à faible distance hiérarchique (voir le tableau 1.4),les relations interpersonnelles se caractérisent par l’indépendancemême lorsqu’il s’agit de relations impliquant des personnes de statutdifférent. Les subordonnés s’attendent à être consultés et, souvent, les

TABLEAU 1.4 Profil d’orientation des valeurs : la société

Obligations ressenties face à des personnes de statut différent

Relations caractérisées par l’indépendance Peu d’obligations ressenties, sauf celles qui ont été établies par un contrat

Relations d’obligations mutuelles horizontales Certaines obligations sont ressenties envers des personnes de même statut ou de la même organisation.

Relations d’obligations mutuelles verticales Obligations importan-tes et complémentaires entre supérieurs et subordonnés

Façons privilé-giées d’entrer en contact

Les premiers contacts sont directs. Valorisation des inter-actions directes et sans recours à d’autres personnes ; les infor-mations sont obtenues par des questions claires et sans détours ; la parole est valorisée.

Les premiers contacts sont protégés. Préférence pour des intermédiaires techni-ques ou spécialisés ; contacts indirects, col-lecte de données par observation et ques-tions indirectes

Les premiers contacts sont accompagnés. Les intermédiaires sont considérés comme essentiels à toute tran-saction importante ; ce sont eux qui recueillent ou véhiculent l’infor-mation.

Façons privilé-giées d’entrete-nir les contacts

Mode informel privilégié Les codes de conduite, le respect des titres et autres procédures semblables sont peu valorisés et parfois considérés comme des entraves à une com-munication réelle.

Certaines formalités acceptées dans certains contextes La politesse, la cour-toisie et le respect des distinctions de statut ouvrent davantage les portes ; il y a des com-portements à adopter en fonction du rang.

Formalités essentielles Les formalités permet-tent une communica-tion prévisible et sans accroc. Les présenta-tions, les discussions, les négociations sont jugées indispensables et se déroulent d’une manière préétablie.

Rapport à la propriété

Propriété privée La propriété est consi-dérée comme une extension du moi ; elle est donc invio-lable. Elle est baséesur l’économie de l’échange et sur le désir de chacun de satisfaire ses désirs. L’accent est mis sur la recherche de son pro-pre bien-être.

Propriété de type utilitaire La propriété n’est pas considérée comme essentielle ; ce n’est pas la personne à qui appartient l’objet qui compte mais la fonc-tion de l’objet, ce à quoi il est destiné. L’accent est mis sur l’objet.

Propriété communau-taire La propriété est collec-tive et partagée par un groupe de personnes ; elle est basée sur l’éco-nomie de réciprocité, qui se définit par la répétition et la généra-lisation du don. Le pouvoir et la richesse résident dans la distri-bution et l’importance des frais engagés. L’accent est mis sur la nécessité d’autrui.

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marques et les symboles de statut social seront peu valorisés. Quant à lafaçon d’entrer en contact, on le fera directement, sans passer par unintermédiaire et de manière informelle. Dans les sociétés à forte distancehiérarchique, il y a aura dans les relations des obligations verticales etcomplémentaires entre les supérieurs et leurs subordonnés. L’autoritéest officiellement reconnue, et un équilibre s’installe entre l’exercice decette autorité et ceux envers qui elle s’exerce. Dans la façon d’entrer encontact, les intermédiaires sont considérés essentiels, comme le sont cer-taines formalités incluant des protocoles, certains rites, l’utilisation destitres et l’étiquette.

L’ÉTUDE DES CROYANCES

Les croyances constituent les bases de l’existence, les convictions despersonnes, leurs certitudes, ce qu’elles croient vrai et en quoi elles ontfoi. « C’est à partir des croyances que les individus et les groupes éta-blissent leurs systèmes de valeurs et les critères qu’ils utiliseront pourétablir leurs systèmes de justice, leurs organisations sociales, leursrituels face à la vie et à la mort, au divin, à la nature. » (Bourque, 1995,p. 75.)

Les croyances quant à la nature humaine (voir le tableau 1.5) vontd’une vision positive, dans laquelle l’être humain est foncièrement bon etperfectible, et peut aspirer au bonheur, à une vision négative, danslaquelle il est mauvais et non perfectible, le bonheur ne lui étant accessi-ble que dans l’au-delà. Quant à l’importance du surnaturel dans la vie desêtres (voir le tableau 1.6), on estime, au premier pôle, avoir une certainemaîtrise de cette dimension et conséquemment une responsabilité face àson devenir ; au pôle opposé, on estime plutôt être influencé et déterminépar le surnaturel auquel il serait irrévérencieux de songer à s’opposer ; lebonheur est placé avant tout dans des valeurs spirituelles.

Quant au rapport être humain / nature (voir le tableau 1.7, p. 66), aupremier pôle, on estime pouvoir conquérir la nature, qui est destinée ànous procurer bien-être et confort ; la nature est aussi explicable, elle peutêtre analysée et comprise. Au pôle opposé, la nature fait partie de l’êtrehumain qui lui-même fait partie de la nature ; cette dernière est vénérée etadmirée pour sa logique et sa beauté et interprétée sur un mode spirituel.

La conception du temps est reliée à ce rapport être humain / nature.Au premier pôle, on voit surtout le temps comme une droite linéaire,qui vient du passé et se dirige vers le futur ; cette vision limitel’imprévu, l’incertitude grâce à une formalisation et à une organisationmaximales. Au pôle opposé, la vision prédominante du temps est procé-durale, c’est-à-dire que le temps n’a pas de valeur réelle tant qu’un évé-nement n’est pas intervenu pour le marquer. La vie est perçue commeune trajectoire construite à partir de répétitions sans fin. Dans cette con-

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ception, l’aspect relationnel, les amis, la famille, les clients sont priori-taires par rapport aux tâches ; les interruptions et les imprévus sontfréquents ; les problèmes sont traités de manière globale plutôt queséquentielle.

TABLEAU 1.5 Profil d’orientation des croyances : la nature humaine

Conception de la nature humaine

Foncièrement bonneLa nature des per-sonnes est bonne, c’est le milieu qui est mauvais.

Parfois bonne, parfois mauvaiseLa nature de l’être humain est à la fois perfectible et corrup-tible. Il est possible de la changer.

Foncièrement mauvaise. La majorité des per-sonnes ne sont pas fiables et on ne peut pas les changer.

Attentes des êtres humains

Bonheur attendu Le bonheur sur terre est possible et il faut le rechercher. Il suffit de faire certains efforts pour l’atteindre.

Bonheur et malheur attendus Joie et tristesse sont inséparables ; les deux sentiments doivent coexister.

Malheur accepté La tristesse fait partie de la vie humaine. Grâce à la réincarna-tion, l’être humain peut atteindre sa pleine réalisation.

TABLEAU 1.6 Profil d’orientation des croyances : le surnaturel

Importance accordée au divin

Importance restreinte L’être humain est presque égal à un dieu et considère dé-tenir presque autant de pouvoir.

Présence et influence d’une multitude de dieux ou de forces divines opposées Ils coexistent et influencent les humains selon les circonstances.

Influence importante L’être humain est en grande partie influencé par le surnaturel dans divers domaines de la vie quotidienne.

Buts ultimes de la vie

Bien-être physique visé La vie confortable est valorisée. La mort est une fin.

Développement intellec-tuel recherchéChercher la vérité est le but le plus noble de la vie.

Buts spirituels très valorisés Les valeurs spirituelles sont supérieures aux valeurs matérielles.

Conception de la vie

Nombreuses chances Chances et malchances Peu de chances La vie est déterminée à l’avance.

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CONCLUSION

La conception individualiste de la personne, telle que présentée jusqu’ici,avec ses choix de valeurs et ses croyances, est prédominante dans lemonde occidental et « constitue un écran majeur dans le décodage desituations impliquant des personnes issues de sociétés où le modèled’individu est d’un autre type, dénommé collectiviste ou communau-taire » (Cohen-Emerique, 1990, p. 9). Au cours de ses nombreux stages deformation, cette spécialiste de l’intervention interculturelle a réalisé

TABLEAU 1.7 Profil d’orientation des croyances : les rapports être humain / nature

Conception de la nature

L’être humain est séparé de la nature et la domine. La nature est un élé-ment à conquérir et un défi pour l’être humain qui peut la transformer pour en utiliser les ressources.

L’être humain est une partie de la nature ; il vit en harmonie avec elle. Il cherche à la découvrir sans la heurter.

L’être humain admire et vénère la nature pour ce qu’elle est sans chercher à la modifier. La nature est imprévi-sible et déterminée par des forces extérieures qu’il est impossible de maîtriser.

Interprétation de la nature

De façon mécanique La nature peut être analysée et comprise (liens de causes à effets).

De façon organique La nature doit être vue comme un tout (cha-que élément modifié influence l’ensemble) ; elle est expliquée par son unité.

De façon spirituelle La nature a une origine et un sens spirituels, et il faut l’admirer pour sa logique et sa beauté sans chercher à l’inter-préter.

Conception du temps

Valorisation du futur Ce qui est important, c’est le changement. Il est possible d’antici-per et de maîtriser le futur en le planifiant. Le temps est une res-source limitée. Perception linéaire du temps divisé en unités précises

Valorisation du présent Ce qui est important est ce qui arrive main-tenant. Il faut vivre pleinement chaque moment. Le temps n’est pas une res-source limitée. Perception cyclique du temps

Valorisation du passé Ce qui est important est de conserver l’héritage du passé. Ceux qui nous ont guidés continuent de le faire. Changement peu valorisé. Perception procédu-rale et continue du temps (l’événement fait le temps)

Façon de connaître la nature

De façon abstraite On travaille à la défi-nition du problèmeou à la formulation des théories. Cartésianisme

Par induction-déduction On travaille sur les liens entre les causes et les effets et sur les cas spécifiques.

De façon spécifique On travaille à partir des expériences concrètes, on cherche des solutions aux problèmes.

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l’importance du rôle donné à l’individu dans le domaine des sciencessociales et les nombreuses distorsions qui en résultent.

Les caractéristiques du modèle individualiste, soit l’émergence d’unmoi profond, la nécessaire séparation physique et morale de sa famille àl’âge adulte, l’intériorisation de normes d’autonomie et d’indépendance,ne causent pas de problèmes aux intervenants occidentaux familiers avecle modèle. Le modèle communautaire, caractérisé par l’absence de diffé-renciation nette entre les personnes, l’interdépendance et les liens entreles humains, le sentiment d’appartenance à un groupe, l’importanceaccordée au don et au contre-don, a été supplanté parce qu’il était con-traire aux acquis de la modernité. Or cette société holiste est de plus enplus représentée au Québec par le biais des nouveaux arrivants, lesquelsproviennent maintenant davantage de pays du tiers-monde, c’est-à-direde pays où les visions du monde diffèrent fondamentalement de celles dela société d’accueil.

Surviennent ainsi des chocs de représentation entre les intervenantssociaux et ces nouvelles clientèles, particulièrement dans des domainesperçus comme des gains de la modernité : autonomie des individus,égalité des femmes, droit à l’instruction, etc. (Cohen-Emerique, 1984).On peut donc se demander comment les professionnels de la relationd’aide, immergés dans leur modèle de représentation du monde, intera-giront avec des individus issus de sociétés d’orientation différente, nonoccidentale...

Ces conceptions différentes peuvent être à l’origine de malentenduslors d’interactions interculturelles et donner lieu à des confrontations nui-sibles à la communication et à l’intervention. Il faut dépasser la simpleempathie et la bonne volonté pour réussir à se rendre au-delà de ces chocsculturels. Une certaine tolérance face à l’ambiguïté est essentielle et lesnotions que nous proposons peuvent aider l’intervenant à se distancierdes projections qu’il a tendance à effectuer.

Nous croyons que le profil d’orientation des valeurs et des croyancesdu présent chapitre constitue une excellente grille qui facilitera le travaildes intervenants. Même si ces notions exigent un temps d’acquisition etd’approfondissement, elles permettent une observation plus décentrée,moins biaisée et favorisent l’apprentissage d’habiletés d’interventionquels que soient la culture du client et son degré d’adhésion à cette cul-ture. Cette grille peut contribuer à éviter que l’intervenant enferme leclient dans une identité prédéterminée.

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2CHAPITRE

Les mécanismes d’inclusion des immigrants et des réfugiés

Gisèle Legault

Le présent chapitre ainsi que le chapitre 3 traitent des phénomènes d’inclu-sion et d’exclusion des nouveaux arrivants dans la société d’accueil. LeQuébec et le Canada, ouverts à l’immigration au même titre que peud’autres pays tels les États-Unis, l’Australie et les pays scandinaves, sepréoccupent tant de l’inclusion de leurs nouveaux membres que des obsta-cles à cette inclusion que sont les mécanismes d’exclusion. Le chapitre 3traite de ces mécanismes d’exclusion, et le présent chapitre s’attarde auxmécanismes d’inclusion, définis comme les divers processus que traver-sent les nouveaux arrivants lors de leur insertion dans la nouvelle société.Nous abordons le phénomène par le biais de l’étude des processus d’adap-tation, d’intégration et d’acculturation, suivant en cela la proposition d’Abouqui suggère « que la trajectoire que les immigrants sont appelés à effectuerdans le pays récepteur recouvre trois processus distincts qui se déroulentspontanément, mais à des rythmes différents, à trois niveaux du réel : cesont les processus d’adaptation, d’intégration et d’acculturation » (Abou,1988, p. 2). Nous croyons que l’étude de ces processus de façon distincte,dans un premier temps, peut aider à comprendre cette trajectoire. En uti-lisant la distinction introduite par Abou, nous irons aussi puiser chezd’autres auteurs pour alimenter la réflexion sur ces processus.

LE PROCESSUS D’ADAPTATION

De Rudder (1995) explique que, en anthropologie et en sociologie, lanotion d’adaptation renvoie généralement à des modifications, plus oumoins superficielles, relatives à des situations nouvelles particulières :

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climat, vie urbaine, logement, etc. La notion d’adaptation renvoie aussiau processus d’interaction entre l’individu (ou le groupe restreint) et lemilieu social plus large auquel il a affaire dans un premier temps, proces-sus au sein duquel le premier modifie ses attitudes et son comportementafin de s’insérer dans le second. Abou, pour sa part, présente l’adapta-tion comme un concept à teneur écologique dans le sens d’une accom-modation, pour le migrant, au milieu physique du pays d’accueil. Ilréfère par là non seulement à une accommodation aux conditions clima-tiques du nouvel habitat, mais aussi à l’aménagement de l’espace auquelprocèdent les immigrés « dans le but de réduire la différence qualitativeentre l’habitat nouveau et l’ancien » (Abou, 1988, p. 3). Quand il est dansl’espace du souvenir, l’immigrant fait en sorte que son nouvel habitat soitune copie conforme de l’ancien, essayant d’y perpétuer son mode de vieantérieur. Il se trouve ensuite dans l’espace du projet, qui abrite toujours lepassé, mais en fonction de l’avenir ; l’immigrant vise alors un regroupe-ment ethnique provisoire lui permettant d’adoucir son adaptation. Cettestratégie, la plus fréquemment adoptée par les nouveaux arrivants, serévèle très efficace à court terme en ce sens qu’elle permet « d’amortir lechoc que représente le passage d’une société à une autre [...], de s’initiergraduellement à la fréquentation du groupe majoritaire et de ses institu-tions et de répondre à des besoins que la société d’accueil ne pourraitgénéralement pas combler à elle seule » (Ministère des Communautésculturelles et de l’Immigration [MCCI], 1991, p. 8). Le regroupement eth-nique peut toutefois devenir un handicap s’il débouche à long terme surune situation d’isolement dans la vie et le travail. Abou mentionne untroisième espace, celui de la création, adopté d’emblée par certains immi-grants qui ne craignent pas d’aborder un espace carrément nouveau,souvent en raison de qualifications professionnelles précises requises parle pays d’accueil.

Référant à d’autres auteurs (Centre d’information et d’études sur lesmigrations internationales [CIEMI], 1986 ; Emerique, 1979), nous dirionsque le processus d’adaptation, contrairement au processus d’intégrationque nous aborderons plus loin, n’implique pas la réciprocité del’échange ; il est à sens unique et requiert un changement avant tout de lapart de l’immigrant (CIEMI, 1986, p. 13). C’est ainsi que ce dernier aura àfaire face à toute une série de changements, dont celui du système de réfé-rence quant à l’espace, changements auxquels nous aimerions nous arrê-ter. Ainsi, en ce qui a trait à l’espace, Emerique (1979, p. 17) fait remarquerque le système de référence du nouvel arrivant, en relation avec lesnotions de proximité et de distance, est bousculé ; son concept de « bulle »,que Hall (1971) désigne comme une zone délimitant l’espace intime per-sonnel, est chambardé. Que considère-t-on comme la distance souhaitablelors d’un contact intime et personnel dans telle ou telle culture ? lors d’uncontact social ? Quel degré de proximité trouve-t-on souhaitable avec sesproches ? Les membres de certaines cultures vivent très près physique-

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ment les uns des autres, au point qu’on se demande si la notion d’isole-ment personnel existe chez eux. L’habitat s’inscrit également dans lesystème de référence quant à l’espace et devient le lieu de multiples adap-tations : type d’habitat disponible, type d’appartement contenant tel nom-bre de pièces et divisé selon les normes du pays d’accueil, souvent enhauteur plutôt qu’en étendue (type souvent plus familier aux migrants),type d’aménagement de l’espace domestique, équipements domestiquesnouveaux, contrats de location, normes rattachées à ces contrats et auxmodes de vie en appartements urbains. Connexe à l’habitat, l’orientationgénérale dans le quartier et la ville nécessite aussi des adaptations : dési-gnation des rues, des lieux de rencontres informels, modes de transporten commun, etc.

Le migrant fera aussi face à des changements en ce qui a trait à lanotion de temps. Celui-ci devient rythmé par les horaires de l’école, desrepas, du travail, des rendez-vous. Il est maintenant comptabilisé,mesuré, productif, efficace, alors qu’il était souvent élargi, cyclique,ordonné selon les saisons, les moments du jour ou les événements. Letemps, pour le migrant, n’est souvent pas quelque chose qu’on peutgagner ou perdre.

LE PROCESSUS D’INTÉGRATION

Le processus d’intégration qui s’amorce au moment de l’adaptation laprolonge et l’amplifie. Nous aimerions d’abord, avec De Rudder (1994),attirer l’attention sur le fait qu’il est difficile, aujourd’hui, de proposerune définition unique de l’intégration susceptible de recueillir l’adhésionde tous. De Rudder (1994, p. 31) ajoute « pourtant, au-delà des modespolitico-médiatiques, et même si une zone de flou continue de l’entourer,le terme recèle encore un intérêt théorique certain, par les problèmes fon-damentaux qu’il soulève et les questions auxquelles il conduit ». Abouprésente l’intégration comme un concept à teneur sociologique dans lesens qu’il désigne « l’insertion des nouveaux venus dans les structureséconomiques, sociales et politiques du pays d’accueil » (Abou, 1988, p. 4).Il délimite ensuite trois niveaux d’intégration, référant à Archambault etCorbeil (1982) : 1) l’intégration de fonctionnement, dans laquelle l’adulte estcapable de communiquer (dans la langue du pays) et de gagner sa vie entoute autonomie ; 2) l’intégration de participation, dans laquelle l’adulte estactif dans la société et veut y jouer un rôle dans un domaine d’activitésspécifique ; 3) l’intégration d’aspiration, dans laquelle l’adulte décide delier son avenir et celui de ses enfants aux projets d’avenir du groupecomme membre à part entière de la société.

Au Québec, c’est le processus d’intégration qui a suscité le plusd’intérêt et d’écrits, surtout à la suite de l’Énoncé de politique en matièred’immigration et d’intégration du Gouvernement du Québec, en 1990

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(Gouvernement du Québec, 1990). Ce n’est qu’avec cet énoncé que leQuébec s’est doté d’une politique d’ensemble concernant ces questions,tel qu’il est exposé en introduction. Le ministère des Communautésculturelles et de l’Immigration (MCCI, 1991) présente ainsi, en 1991,l’intégration comme un processus à long terme et multidimensionnel.Processus à long terme et dynamique qui s’inscrit dans le temps etrequiert un engagement autant du migrant que de la société d’accueil,« rapport social engageant, schématiquement, deux parties, l’une quiintègre et l’autre qui s’intègre » (De Rudder, 1994, p. 28). Ces deux partiessont aussi placées dans un rapport d’inégalité, car, « même si certainsauteurs considèrent qu’il ne peut y avoir de véritable intégration sansque soit assurée, au moins, une égalité formelle, il n’en demeure pasmoins que celle-ci s’opère toujours dans des sociétés qui, même régiespar un principe égalitaire, sont de fait inégalitaires » (De Rudder, 1994,p. 28). Pour le MCCI, on peut faire un parallèle entre l’intégration et lapremière socialisation de l’enfant, définie comme le processus à traverslequel la culture d’une société est transmise à la nouvelle génération. Lorsde l’intégration, il s’agit de la transmission de la culture du pays d’accueilaux nouveaux arrivants, d’une resocialisation, en quelque sorte, quirequiert un engagement actif du principal intéressé, une négociation/transformation mutuelle des partenaires et la mise en lumière des obsta-cles et difficultés qui ne manquent pas de se présenter. Ce parcours n’estpas linéaire et ne comporte pas de stades prédéfinis, identiques pourtous ; il varie en fonction des acquis et vécus antérieurs.

Le processus est aussi multidimensionnel, c’est-à-dire qu’il exigeune adaptation à l’ensemble des dimensions de la vie collective de lasociété d’accueil. L’immigrant doit donc, avec l’aide de cette dernière,relever une série de défis pour s’assurer une intégration linguistique,socioéconomique, institutionnelle, personnelle, familiale et communautaireharmonieuse.

« La maîtrise de la langue de la société d’accueil joue un rôle centraldans le processus d’intégration de l’immigrant et de ses descendants. »(MCCI, 1991, p. 6.) Nul ne doute de cette assertion, car elle est le gage dela sortie de l’isolement et du repli sur soi. L’apprentissage ou la maîtrised’une langue qu’on connaît peut-être un peu n’est toutefois pas simple ; ilest relié, entre autres, au contact qu’on a eu avec cette langue dans lepassé et aux circonstances qui ont entouré ce contact. L’apprentissagedépend aussi du fait que, au Québec en particulier, cette langue n’avaitpeut-être pas été choisie et que son usage s’inscrit dans un contexte debilinguisme. C’est là le sort historique auquel le Québec convie ses nou-veaux arrivants, destin exigeant pour eux et pour les Québécois. Outrecette particularité, l’intégration linguistique des nouveaux arrivantsrequiert, de la part de la société d’accueil, un investissement dans desservices de formation initiale suivis d’un soutien aux premiers efforts

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consentis. L’apprentissage sera toutefois indéniablement lié aux acquisantérieurs et requerra un temps variable. L’atmosphère générale de lasociété aura aussi une influence déterminante pour faire naître et croîtrela motivation pour cet apprentissage et fournir les occasions de pratiquerla langue avec des membres de la société d’accueil.

L’intégration linguistique ne se fait cependant pas en vase clos ; elledoit avoir lieu en conjonction avec d’autres modalités d’intégration dont,au premier rang, l’intégration socioéconomique. Cette dernière requiert éga-lement un investissement de la société d’accueil dans le but de favoriserune reconnaissance des acquis antérieurs et d’apporter une aide face auxobstacles structurels à l’emploi (chômage, récession économique, discri-mination). Cette intégration doit aussi « soutenir les personnes désavanta-gées sur le plan professionnel dans leurs efforts pour développer leuraptitude au travail et améliorer leur situation de vie » (MCCI, 1991, p. 9).On se rappellera que, pour de nombreux immigrants, l’amélioration desconditions de vie a constitué la motivation centrale du départ. Unerecherche récente (Legault et Fortin, 1996) a démontré que les problèmesd’accès au travail et le manque de travail comme tel venaient au premierrang des problèmes sociaux des familles récemment immigrées (depuismoins de cinq ans) et constituaient un élément majeur de leur situationgénérale de pauvreté.

Intégrations linguistique et socioéconomique seront complétées parune intégration institutionnelle « particulièrement cruciale au chapitre del’éducation, des services sociaux et de santé ainsi que de l’accès à l’infor-mation parce que les services qui y sont dispensés conditionnent large-ment la possibilité d’une participation significative en d’autres domainesde la vie sociale » (MCCI, 1991, p. 9). Cette intégration institutionnellerequiert une adaptation des institutions à la réalité désormais pluralistede la société d’accueil ; elle demande également que les services soientadaptés aux besoins des nouvelles communautés, que des accommode-ments d’ordre culturel et religieux puissent être obtenus, qu’une repré-sentation des nouvelles communautés dans les instances décisionnelles etconsultatives soit possible et qu’enfin des formations sur la pratiqueinterculturelle soient données aux intervenants (MCCI, 1991).

Il est aussi important que le nouvel arrivant puisse se reconnaîtrecomme « membre à part entière de la société d’accueil dans l’ensembledes messages que celle-ci diffuse à travers les médias, la publicité et lescommunications gouvernementales » (MCCI, 1991, p. 11). L’intégrationinstitutionnelle doit aussi inclure l’engagement des nouveaux arrivantsdans les « institutions à caractère plus ou moins formel où se négocient etse définissent les orientations de la vie collective » (MCCI, 1991, p. 9)comme les partis politiques, les instances décisionnelles ou consultativesdes institutions publiques et parapubliques, les églises, les syndicats et lesdiverses associations. À cet effet, le partenariat avec les organisations que

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se sont données les communautés ou les populations immigrantes estparticulièrement important. L’expertise de ces organisations quant auxbesoins de ces communautés autant que les compétences acquises parleurs personnes-ressources en font des partenaires clés pour l’intégrationdes nouveaux arrivants.

Pour Harvey (1993), l’intégration linguistique, socioéconomique etinstitutionnelle équivaut à l’intégration sociale. La figure 2.1 met enlumière les correspondances entre les terminologies d’Abou (1988), duMCCI (1991) et de Harvey (1993). Ce dernier fait l’historique du con-cept au Québec et au Canada et compare la façon de concevoir l’inté-gration dans les pays développés tels que la France, l’Angleterre,l’Allemagne et les États-Unis. Il estime que les États doivent se donnerdes politiques claires d’intégration des immigrants et ne pas compterque sur les organismes de bienfaisance pour répondre aux besoins desnouveaux arrivants. Dans la plupart de ces pays, la tendance est auxprogrammes qui visent à la fois l’intégration des nouveaux arrivants etcelle des autres citoyens ayant besoin d’aide bien qu’appartenant à lasociété d’accueil.

FIGURE 2.1 Trois visions de l’intégration

Abou (1988) Harvey (1993) MCCI (1991)

Fonctionnement Intégration linguistique

Intégrationsocioéconomique

Intégrationinstitutionnelle

(école, services sociaux, santé, médias)

Intégration personnelle

Intégrationcommunautaire

Participation

AspirationIntégrationpolitique

Intégrationcordiale

Intégrationscolaire

Intégrationsociale

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Harvey traite toutefois de l’intégration scolaire de façon spécifique,l’école étant l’institution où se forge l’avenir des groupes humains. Ayantconsidéré les expériences de plusieurs pays développés dans cette per-spective, il attire l’attention sur la vision du Conseil de l’Europe, qui croitque l’éducation doit être résolument interculturelle. Harvey croit que cetteconception orientera la Communauté européenne des années 2000 et pos-siblement l’ensemble des pays développés (Harvey, 1993). Les sociétésétant de plus en plus multiculturelles, chacune des cultures est vuecomme ayant ses valeurs propres et l’échange est considéré comme richeet souhaitable. Le meilleur moyen de le favoriser est l’interpénétration deces cultures, particulièrement par l’école en tant qu’institution de base.

Harvey (1993) fait aussi de l’intégration politique un domaine spécifi-que qui consacre la participation des nouveaux arrivants au sort du paysd’accueil et leur droit de se prononcer sur les destinées de ce dernier.Cette intégration concrétise aussi l’appartenance de leurs enfants à lanouvelle société dont ils sont désormais des citoyens. Elle demeure diffi-cile dans la plupart des pays d’Europe en raison d’un passé colonial etd’un usage intensif des travailleurs étrangers. Au Québec, cette inté-gration se fait assez facilement, sauf pour les requérants du statut deréfugié, qui doivent faire face à des lenteurs de procédure assez parti-culières.

L’intégration ne peut toutefois reposer que sur les relations des nou-veaux arrivants avec les institutions formelles ; elle doit se faire à traversles contacts personnels et communautaires qui seuls permettent unereconnaissance mutuelle des personnes en tant que membres à partentière d’une société. Il s’agit alors de l’intégration personnelle et commu-nautaire. Ces rapprochements permettent aux personnes « d’établir desrelations qui transcendent les appartenances culturelles et raciales »(MCCI, 1991, p. 12) ; ils nécessitent toutefois, de la part de la sociétéd’accueil, une sensibilisation interculturelle et la lutte contre l’exclusionsous toutes ses formes. Harvey (1993) utilise le terme d’intégration cordialepour traiter de cette dimension bien que, dans sa perspective, on retrouvedes aspects que le MCCI inclut dans l’intégration institutionnelle en réfé-rant au rôle des associations communautaires. L’intégration cordiale estsurtout, pour Harvey, la résultante des efforts de l’entreprise privée, reli-gieuse ou laïque qui, par divers moyens et avec des taux de succès variés,tente de favoriser des relations positives entre les personnes et les grou-pes. Le succès de ces diverses initiatives semble relié à la concertation deplusieurs voies d’intervention ; il dépend aussi des idéologies d’insertiondont Harvey énumère les principales, soit l’assimilation, le multicultura-lisme, la convergence culturelle, le pluralisme et l’interculturalisme. Nousavons traité de ces diverses idéologies en introduction. Il semble quel’interculturalisme soit de nouveau préconisé pour l’Europe et l’Améri-que de demain.

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Préalable aux divers types d’intégration à la vie collective de lasociété d’accueil, l’intégration touche toutefois avant tout les structuresfamiliales des migrants. Avec l’occidentalisation et la migration, on passesouvent de la grande famille, de la famille élargie ou de la tribu à lafamille nucléaire, ce qui induit non seulement « une réduction numé-rique mais toute une modification des réseaux de solidarité et de priseen charge à l’intérieur de la famille » (Emerique, 1979, p. 7). Dans cedomaine, des changements sont d’abord à envisager quant aux relationshomme-femme dans le couple. Alors que ces relations s’inséraient danstout l’ensemble des rapports des hommes entre eux et des femmes entreelles (séparation des sexes et « spécialisation des rôles »), le couple seretrouve maintenant face à lui-même et isolé. Ses membres sont influen-cés différemment par la nouvelle société : l’homme y perd souvent deson autorité alors que la femme est exposée à une possible émancipation.La perte d’autorité sur la femme et les enfants affectera l’homme defaçon non négligeable. S’il est de tempérament autoritaire ou s’il a de sonrôle de père une conception colorée par une forte tradition patriarcale, ilcompensera la contestation de cette autorité par un sursaut de despo-tisme ou encore par un sentiment de rage ou d’angoisse qui pourra lemener à la dépression et au repliement sur soi. Quant à la femme, la pos-sibilité de l’émancipation pourrait être accompagnée de la perte de toutun réseau de relations entre femmes qui lui était cher. Alors que, dansson pays d’origine, elle pouvait partager et se concerter avec d’autresfemmes, reconstituer cette solidarité dans le nouveau pays sera difficile,sinon impossible. L’émancipation comporte également de multiples dif-ficultés : qualification pour le marché du travail, responsabilité desenfants à confier à quelqu’un d’autre, coût rattaché à ces soins, gestionautonome de sa vie, nouveaux rapports dans le couple, etc.

En ce qui a trait aux structures familiales, il faut aussi envisager deschangements dans les modes d’éducation des enfants. Les parents, main-tenant seuls à assumer cette responsabilité, alors qu’ils avaient les con-seils et l’aide directe de la famille élargie et de la communautéauparavant, s’en trouvent déstabilisés et fragilisés. Leurs modes d’éduca-tion sont aussi confrontés à ceux de la société d’accueil ; l’accent surl’obéissance et la conformité aux adultes vient souvent se heurter à l’auto-nomie et au libre arbitre encouragé par le pays d’accueil ; s’ensuivent,particulièrement chez les adolescents, des conflits de générations plusaccentués que ceux que l’on rencontre normalement à l’adolescence.Ainsi, l’autorité intransigeante du père sera surtout contestée par le fils etla fille, contestation dont l’issue est problématique autant pour le pèreque pour l’enfant. On verra ainsi des pères abdiquer leur responsabilité,« perdre leurs enfants », se sentir démunis et incapables de les guiderdans les nouveaux apprentissages reliés aux idéaux du pays d’accueil.Entre les anciens modes d’éducation maintenant dévalorisés et les nou-veaux superficiellement intégrés, un vide éducatif s’installe. On verra

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aussi des enfants tiraillés entre les normes de leurs parents et celles de lasociété d’accueil ; certains s’ajusteront, d’autres s’orienteront vers la délin-quance ou des problèmes de comportements ou de santé mentale.

Toujours en relation avec les changements que le migrant doit envisa-ger, citons cette perte de la religion en tant que vécu collectif. Les lieux dureligieux, qui relèvent beaucoup du domaine du privé dans les sociétésdéveloppées, manquent au migrant, qui y trouvait chaleur humaine, ren-contre, partage, possibilité d’expression d’émotions et d’aspirations, sansoublier la pratique des rites elle-même, porteuse d’espoir et de consola-tion. Ces lieux religieux existent, mais ils ne sont pas intégrés à la viepublique de la façon dont ils l’étaient dans le pays d’origine, où ils fai-saient habituellement partie de la trame de la vie collective. Cette perte devécu de groupe est d’ailleurs un autre changement majeur de la vie dumigrant ; ce dernier, qui se définissait souvent avant tout par le groupe, leclan familial, la communauté auquel il appartenait et dont il était un chaî-non essentiel, éprouvera « un sentiment de solitude, d’insécurité, de perted’une chaude amitié et d’une dimension sociale importante qui jouait unrôle de soutien et de régulation » (Emerique, 1979, p. 12). La reconstitu-tion de ce vécu de groupe est difficile et requiert du temps dans la nou-velle société.

Afin de relativiser le processus d’intégration tel qu’il a été traitéjusqu’à présent, inspiré sutout des écrits québécois en la matière, considé-rons la notion d’intégration véhiculée en France et en Grande-Bretagne.Pour le Haut Conseil à l’intégration, créé en France en 1990, l’intégrationse définit comme « un processus spécifique par lequel il s’agit de susciterla participation active à la société nationale d’éléments variés et diffé-rents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles sociales etmorales, et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété,de cette complexité » (Farine, 1991, p. 62). Le modèle français d’intégra-tion est fondé sur la logique d’égalité de droits et d’obligations ets’oppose à une logique des minorités qui tendrait à conférer à celles-ci unstatut spécifique, ce qui serait en contradiction avec la « tradition pro-fonde de la République qui, inspirée des principes de la Déclaration desdroits de l’Homme, affirme l’égalité des Hommes à travers la diversitédes cultures » (Farine, 1992, p. 9). En résumé, pour le modèle français etsur le plan du droit, c’est l’application rigoureuse de la logique de l’éga-lité et, sur le plan des cultures, une option résolue pour l’accueil et ladiversité. Cette dernière option annonce une attitude d’ouverture, préco-nisant un échange réciproque et égalitaire qui va dans le sens de l’inter-culturalisme tel qu’il a été défini précédemment. L’expérience françaisecompte néanmoins certains ratés, particulièrement au chapitre de l’inté-gration d’un pluralisme religieux dont certains symboles, notamment lefoulard islamique, entrent en contradiction avec cette valeur fondamen-tale de la République qu’est la laïcité. L’opposition à une logique des

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minorités fait en sorte que, dans l’approche française de la problématiquede l’immigration, le maintien des particularismes va « à l’encontre de lafusion des groupes d’étrangers dans la matrice culturelle française »(Gaillard, 1997, p. 124). Cette conception diffère de celle qui fut longtempsvéhiculée au Québec et traduite par le vocable de « communautés cultu-relles », et de celle du Canada traduite par l’idéologie du multicultura-lisme commune à divers pays du Commonwealth.

En cela, la notion d’intégration en Grande-Bretagne a plusieurspoints en commun avec celle qui est véhiculée au Canada et au Québec.Nous avons déjà mis en parallèle, en introduction, le multiculturalismecanadien et la convergence culturelle québécoise en tant qu’idéologiesd’insertion, parallèle qui illustre l’influence de la tradition britanniquesur les modèles d’intégration de la société québécoise. Le multicultura-lisme, qui vise à promouvoir le respect des cultures minoritaires et à leurdonner les moyens concrets de se développer, est toutefois en perte devitesse tant en Grande-Bretagne qu’au Canada, au profit d’autres idéolo-gies plus inclusives. La notion d’intégration britannique inclut uneaction antiraciste et renvoie à l’égalité des chances. Cette action anti-raciste s’explique par la précocité des flux migratoires provenant de payscolonisés ou anciennement colonisés vers la Grande-Bretagne, par lavolonté des pouvoirs publics de réprimer les actes de discrimination àleur égard et par la préexistence d’un discours sur les « relations racia-les » dans d’autres pays anglophones tels les États-Unis (Hargreaves,1995). Bien que ce vocable de relations raciales soit de plus en plus aban-donné par la communauté professionnelle en raison du fait que l’idéemême de races humaines est dénuée de tout fondement scientifique,l’action antiraciste est présente dans le contexte canadien, surtout auCanada anglais, à travers des programmes à l’intention des « minoritésvisibles ». La référence à l’égalité des chances vise, quant à elle, « la pré-vention des actes discriminatoires en encourageant l’adoption de procé-dés destinés à assurer le traitement équitable de tous les individus,quelles que soient leurs origines » (Hargreaves, 1995, p. 9). Cette notionest aussi très présente au Canada dans le souci de débusquer les prati-ques discriminatoires et d’analyser le traitement fait aux populationsminoritaires en vue de changer les pratiques et de promouvoir une cer-taine « discrimination positive ».

LE PROCESSUS D’ACCULTURATION

Le processus d’acculturation est le dernier mécanisme d’inclusion que nousvoulons aborder ici ; il se déroule à long terme et n’est jamais complète-ment achevé. Il est défini par Redfield et autres (1936, p. 149) comme« l’ensemble des phénomènes qui résultent du contact continu et directentre des groupes d’individus de cultures différentes, avec les change-ments subséquents dans les types (patterns) culturels originaux de l’un ou

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des deux groupes ». Dans un autre ouvrage, Herskovits (1952) insiste surl’aspect du processus de l’acculturation, voulant souligner son soucid’appréhender les réalités culturelles comme des réalités dynamiques, enconstante évolution parce qu’elles sont toujours ouvertes sur l’extérieur.Pour Abou (1988, p. 4), l’acculturation est un concept à teneur anthropolo-gique et désigne « l’ensemble des interférences culturelles que les immi-grés et leurs enfants subissent, à tous les niveaux de l’adaptation et del’intégration, par suite de la confrontation constante de leur culture d’ori-gine avec celle de la société d’accueil ». Il réfère ensuite à la distinctionapportée par Bastide (1970) entre acculturation matérielle et acculturationformelle. L’acculturation matérielle est celle qui modifie les contenus de laconscience psychique mais laisse intactes les manières de penser et de sen-tir ; ainsi, les immigrants adultes conservent leurs manières de penser et desentir au sein de la famille et de la communauté tout en s’acculturant auxvaleurs du monde du travail et de la société en général. « L’acculturationformelle atteint, d’autre part, les manières, toujours inconscientes, de pen-ser et de sentir. » (Abou, 1988, p. 5.) Les enfants de migrants ont intérioriséles deux codes culturels : ils utilisent celui de la société d’origine en familleet celui de la société d’accueil à l’école et dans la vie sociale.

Bien que l’acculturation soit un échange, ce dernier est souvent iné-gal, comme le souligne Schnapper (1991, p. 95) lorsqu’elle dit que « lesrelations culturelles et politiques que les migrants établissent avec lasociété d’installation ne sont pas égalitaires ; ils sont confrontés à uneentité historique, politique, culturelle déjà constituée ». Nous ajouterionsque, dans cette entité, des rapports de pouvoir précis sont institués, rap-ports à l’intérieur desquels les migrants doivent s’insérer. Ainsi, l’accul-turation n’est qu’une dimension formée de systèmes plus larges derelations sociales qu’il faut prendre en compte.

L’acculturation a finalement, comme le souligne Giraud (1995), undouble caractère : elle est, d’une part, déculturation par le fait d’uneimposition et, d’autre part, création de réalités inédites résultant des réor-ganisations auxquelles elle astreint les formes anciennes et, surtout, l’avè-nement des nouvelles configurations culturelles.

Nous avons présenté les processus d’adaptation, d’intégration etd’acculturation dans le but de mieux situer la trajectoire des nouveaux arri-vants. Si ces processus se déroulent bien, l’insertion-inclusion devrait sefaire, à moins qu’elle ne soit entravée par les forces contraires que sont lesmécanismes d’exclusion. Ces derniers mécanismes font l’objet du chapitre 3.

CAS EXEMPLE

Afin de rendre plus concrets les mécanismes explicités dans le présentchapitre, nous les appuyons d’un exemple tiré de notre pratique d’ensei-gnement, dans laquelle les processus d’adaptation et d’intégration à la

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société québécoise sont accompagnés de divers récits de vie. Nous faisonsétat du récit d’Ana, jeune femme de 32 ans, immigrante d’Argentine, arri-vée au Canada en 1994 accompagnée de son mari Eduardo, 30 ans. Nousavons élaboré le récit avec elle en avril 1998.

Ana et Eduardo veulent quitter l’Argentine, en 1991, en raison de lacrise économique qui sévit dans leur pays et du peu de possibilitésd’amélioration de cette crise au cours des années à venir. Leurs contactsavec l’Ambassade canadienne d’Argentine leur apparaissent prometteurset ils suivent le conseil qui leur est donné de visiter d’abord le Canada entant que touristes avant de prendre la décision d’émigrer. Ce voyages’effectue au cours de la saison estivale ; ils rencontrent alors d’autresArgentins vivant déjà au Québec et, globalement, leurs impressions depouvoir y améliorer leurs conditions de vie sont positives. Eduardo ydécroche même un contrat de travail dans un garage, domaine où il tra-vaille déjà dans son pays, ce contrat facilitant leur admission en tant querésidents permanents au Canada. Ils poursuivent donc leurs démarchesd’émigration et, après trois ans d’attente, émigrent au Québec.

Leur processus d’adaptation au Québec est favorisé par le faitqu’ils y ont déjà des amis, avec qui ils habitent à leur arrivée. L’espacedu souvenir et l’espace du projet se confondent donc pour eux, à mêmequ’ils sont de partager le connu avec leurs amis et de pouvoir aborderle nouvel espace à leur rythme, soutenus par les conseils et les informa-tions de ces amis. Leur parcours d’adaptation se déroule donc relative-ment bien, car ils n’éprouvent pas de véritable « choc » quant à l’espaceet au temps.

Les choses sont plus compliquées au chapitre de leur intégration.Alors que l’intégration socioéconomique d’Eduardo se fait assez rapide-ment en raison du contrat obtenu lors de son précédent voyage, celled’Ana est beaucoup plus ardue et compliquée. Psychologue de métier,elle entreprend, dès son arrivée, les démarches de reconnaissance de sescompétences professionnelles. Entrevoyant que ces démarches seront lon-gues, elle commence à fréquenter le Centre d’orientation et de formationpour les immigrants (COFI) qui lui permet l’apprentissage de la languefrançaise tout en la soutenant financièrement avec une allocation. Sonintégration linguistique se fait ainsi relativement en douceur, elle sedébrouille bien pour la lecture et l’écriture, mais estime ne pas toujours sefaire bien comprendre dans les communications verbales. On note sou-vent son accent, ou encore l’utilisation de mots qui, bien qu’ils soient cor-rects dans la langue française, ne sont pas utilisés dans le langage courantau Québec. Ana éprouve aussi beaucoup de difficulté dans l’apprentis-sage de l’anglais, qu’elle estime tout aussi nécessaire que le français pourvivre au Québec. Bien qu’elle étudie cette langue depuis un certaintemps, elle n’arrive toujours pas à la maîtriser non plus qu’à comprendrece qui se dit autour d’elle en anglais.

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Les embûches s’empilent quant à la reconnaissance de son diplômede psychologue. Elle effectue des démarches auprès de deux ordres pro-fessionnels connexes qui exigent des compléments d’études avant de luiaccorder l’équivalence de diplôme demandée ; elle constate aussi que lesfrais d’étude de dossier et de traduction de diplôme sont assez consi-dérables.

L’intégration professionnelle d’Ana est donc douloureuse et pénible ;elle se sent non reconnue, déçue, découragée et en colère de ne pas avoirété adéquatement informée et prévenue des difficultés qui l’attendaient.Elle entreprend alors des démarches pour obtenir un emploi dans unorganisme communautaire, secteur proche de ses habiletés professionnel-les de psychologue. Ces démarches sont aussi infructueuses et longues, sibien qu’elle se résout à accepter un emploi de manœuvre dans une manu-facture d’appareils électriques. Elle expérimente alors la déqualificationprofessionnelle et la non-reconnaissance de ses acquis en plus de vivreune intégration forcée dans le secteur des travailleurs manuels, secteurqu’elle n’avait jamais pensé devoir intégrer.

Ana décide finalement de poursuivre ses études et d’obtenir l’équiva-lence de ses diplômes. Elle effectue les études exigées par l’Ordre des con-seillers en orientation du Québec et en devient membre quelques annéesplus tard. Elle postule alors un emploi d’agente consulaire au Consulatd’Argentine de Montréal et l’obtient. Elle éprouve beaucoup de satisfac-tion dans cet emploi qui requiert ses compétences en relations humaines,mais son travail comporte néanmoins plusieurs tâches administrativestout en la maintenant dans un « univers argentin » qui cadre mal avec sesambitions de s’intégrer pleinement dans la société québécoise et d’enfréquenter les membres quotidiennement. Ainsi, après quelques années,elle entreprend de nouveau des démarches en vue d’obtenir un posted’agente d’aide d’intégration socioéconomique pour la fonction publiquedu Québec. Sa quête d’intégration professionnelle, longue et ardue, sepoursuit donc.

L’intégration personnelle d’Ana se fait d’abord avec les membres de safamille immédiate, soit son mari et sa mère, arrivée peu de temps aprèsle couple et parrainée par sa fille unique, Ana. La reconnaissance de lamère en tant que résidente permanente n’est toutefois pas chose facile,car, ayant eu un infarctus en 1997 et étant en perte partielle d’autonomie,elle doit subir des examens qui détermineront son admissibilité à cetterésidence permanente. Cela crée de l’insécurité chez Ana qui essaie desoutenir sa mère dans ce processus. Cette personne de 76 ans a égale-ment beaucoup de difficulté à s’adapter au Québec ; elle est peu mobile,ne maîtrise pas la langue française et connaît peu de personnes avec quielle pourrait socialiser. Elle vit donc beaucoup d’isolement et ne compteque sur sa fille et son gendre pour se distraire. Une bonne partie destemps libres d’Ana est donc consacrée à sa mère et à son mari, en plus

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d’être utilisée pour les courses, l’entretien de la maison et des vêtements,les achats, etc. Ana avoue donc avoir une vie sociale réduite pour lemoment. Elle estime cependant que son mari a plusieurs connaissances,surtout dans le milieu des immigrants, avec qui il se sent bien et en com-munauté d’intérêts ; le couple, qui vit en banlieue de Montréal, fréquenteaussi quelque peu ses voisins, surtout en été. Ana et Eduardo ne recher-chent pas particulièrement la compagnie d’Argentins ou de Latino-Américains, particulièrement en raison de leur manque de temps. Anaespère toutefois qu’avec un nouveau travail elle aura plus de temps pouravoir une vie sociale, car cela lui manque quelque peu. De la mêmefaçon, elle participe peu à la vie culturelle québécoise (cinéma, théâtre,danse, musées). Il n’y a que la radio et la télévision qu’elle écoute, et ceen français, tout en s’affairant souvent à autre chose. Ana éprouve toute-fois une certaine nostalgie de l’« univers latino-américain » dans lequelelle a baigné jusqu’à son départ de l’Argentine. Bien qu’elle écoute lesinformations en provenance d’Amérique latine et regarde certaines émis-sions en langue espagnole produites par des chaînes « ethniques », sonunivers culturel lui manque. Aussi demande-t-elle à une amie d’Argen-tine de lui enregistrer certaines émissions qu’elle et sa mère peuventensuite regarder sur vidéocassette.

Sur le plan politique, Ana, n’ayant pas sa citoyenneté canadienne etne se sentant pas prête à la demander, n’a pas le droit de vote. Elles’intéresse toutefois quelque peu à l’actualité québécoise et canadienne,mais surtout, de par son travail, à ce qui se passe en Argentine. Elle a dela difficulté à comprendre l’aspiration de certains Québécois à l’indé-pendance à l’heure des regroupements à l’échelle internationale. Cettequestion l’insécurise, car elle a fait le choix de vivre dans un Québecfrançais rattaché au Canada. Elle a adopté le Québec et le Canada etregretterait d’avoir à remettre ce choix en question. Elle préfère ne pas ypenser.

Sur le plan de l’intégration institutionnelle, c’est surtout avec le sys-tème de santé qu’Ana a eu à interagir. Ainsi, lorsque sa mère a été hospi-talisée, Ana a été d’une part impressionnée par les soins qu’elle a reçus etpar l’attention du personnel hospitalier. Elle a été d’autre part surprise etprise au dépourvu face à la sortie subite et précipitée de sa mère. Elle aaussi trouvé difficile de se procurer les ressources nécessaires à la conva-lescence à la maison, les problèmes reliés à l’absence de statut de rési-dente permanente compliquant l’obtention de ces services. Ana en vientainsi à comprendre que les services institutionnels de la société québé-coise sont bien conçus et objectivement impeccables ; dans leur applica-tion, toutefois, ils deviennent « vides » en raison d’embûches diversesd’accessibilité. Elle a observé le même phénomène dans le secteur dulogement : les services des agences immobilières sont impeccables, maisleur application est difficile. Elle est donc à la fois impressionnée et déçue

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et cherche à comprendre les « règles du jeu ». Elle a aussi à consulter lesystème de santé pour un problème d’infertilité et a beaucoup de diffi-culté à se faire comprendre, car le spécialiste ne parle qu’anglais. Son pro-blème comportant plusieurs dimensions dont certaines psychologiques etémotionnelles, elle a décidé, face à ces embûches, d’attendre pour y reve-nir plus tard.

Après sept ans de séjour au Québec, on peut conclure que le proces-sus d’intégration d’Ana et d’Eduardo est en bonne voie de réalisation.Selon les termes d’Abou (1988), leur intégration de fonctionnement et departicipation est bien engagée ; quant à leur intégration d’aspiration, ellereste à faire.

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7CHAPITRE

L’approche interculturelle auprès des migrants1

Margalit Cohen-Emerique

L’un des événements les plus significatifs qui ont marqué cette secondemoitié du XXe siècle est l’augmentation énorme des contacts entre lespeuples et les cultures. Ces contacts se situent d’une part au niveau inter-national, à travers la circulation des produits matériels et immatériels et lacirculation des personnes dans le cadre du commerce, de l’industrie et dudéveloppement et, d’autre part, au cœur même des différents paysd’Europe et du Canada grâce à la présence de populations venues de tousles continents, soit des émigrés refusant la misère ou la non-possibilitéd’ascension sociale dans leur pays, soit des réfugiés fuyant les persécu-tions et la terreur.

L’Europe compte près de 12 millions d’immigrés qui, quoique provo-quant débats, tensions et réactions xénophobes, sont une réalité à prendreen compte, car un grand nombre d’entre eux resteront avec leurs enfantsdans les pays d’accueil et devront s’intégrer de façon décente, sociale-ment et professionnellement, dans le respect et la reconnaissance.

En Europe et au Canada, de plus en plus de professionnels sont ame-nés à travailler auprès de ces populations migrantes, qu’ils soient ensei-gnants, formateurs, animateurs, travailleurs sociaux, puéricultrices,psychologues, etc. Pour tous ces praticiens, la capacité d’établir une bonnecommunication avec ces personnes et familles est essentielle, sinon secréent des malentendus, des incompréhensions, des mauvaises interpréta-tions à l’origine d’évaluations et d’actions inadéquates, fort coûteusespour ces professionnels qui voient leur intervention mise en échec, sansjamais en comprendre la cause ; coûteuses aussi et surtout pour les

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162 Les problématiques particulières et les modes d’intervention

migrants, car ces échecs de la communication et de l’action sociale peuventêtre à l’origine de difficultés d’intégration et de processus d’exclusion.

Ce que nous dirons peut s’appliquer autant aux minorités étrangèreset religieuses installées depuis plus ou moins longtemps dans le paysd’accueil qu’à des populations « de souche » : immigrés de l’intérieur,ruraux, catégories sociales et professionnelles spécifiques, familles socia-lement handicapées, etc.

Nous partirons du principe selon lequel « l’intégration est tout saufl’exclusion ; l’intégration, c’est une meilleure compréhension, une plusgrande tolérance, c’est la reconnaissance de ce qu’est l’autre dans sa spé-cificité culturelle et dans sa trajectoire migratoire2 ».

Ce principe n’a rien d’original ; c’est une formule classique qu’onretrouve dans les théories de l’action sociale qui insistent sur l’importancede l’écoute et de la compréhension pour aider les individus et les famillesà trouver une place dans la société, dans le respect de leurs croyances etde leurs valeurs et pour préparer leurs enfants à s’y insérer en dévelop-pant leurs potentialités.

Formule classique que l’on retrouve aussi chez les scientifiques etphilosophes qui prônent très fort le respect de la diversité humaine danscette Europe où l’intolérance et la xénophobie resurgissent par vaguesplus ou moins violentes, depuis la discrimination dans l’embauchejusqu’aux crimes isolés ou organisés. Ainsi, on peut citer l’une des con-clusions de la Conférence des Prix Nobel réunis à Paris en 1988 : « larichesse de l’humanité est aussi sa diversité. Elle doit être protégée danstous ses aspects culturel, biologique, philosophique et spirituel. Pour cela,la tolérance, l’écoute de l’autre, le refus de toutes vérités définitives doi-vent être sans cesse rappelés ».

Donc toujours ce même message de tolérance, d’écoute de l’autre, dedialogue et de refus des vérités définitives afin que les individus, quellesque soient leurs appartenances, se sentent reconnus comme sujets. Cemessage est particulièrement important pour les professionnels del’action sociale et éducative en milieu interculturel, qui ont pour missiond’aider les populations migrantes à s’intégrer.

Mais voilà, répéter ce message de façon incantatoire ne servirait pas àgrand-chose, si ce n’est qu’après avoir porté attention à ces belles paroles,chacun prendrait de bonnes résolutions puis, très vite, toutefois, face auxpremiers problèmes rencontrés dans la pratique professionnelle, retrouve-rait sa façon de faire habituelle. Ainsi, par exemple, face à une jeune fillebattue violemment par son père parce qu’elle a transgressé, en sortant avecdes jeunes gens, les principes fondamentaux reliés à la valeur de la femmedans la société d’origine des parents, face à cette situation et à bien d’autresencore, toutes les bonnes résolutions prises à la suite d’incitations à la tolé-

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rance, à l’écoute et à la compréhension de l’autre comme être différents’envoleraient et chacun retrouverait ses réflexes habituels de professionnelfondés autant sur le souci du danger encouru par l’enfant que sur les mis-sions institutionnelles dont il est investi et dont il doit rendre compte, sinonil courrait le risque d’être critiqué, sanctionné même pour incompétence oufaute professionnelle. Face à ces situations, chacun tentera de convaincre,de pousser à changer des habitudes et des comportements et, si aucunrésultat n’est obtenu, il fera intervenir, par souci de l’enfant, les instancesjuridico-administratives de la Protection de l’enfance.

En fait, la tolérance à la diversité culturelle, la compréhension de cequi est différent, très différent de soi est difficile, très difficile. On peutdire même que cette compréhension n’est pas le fort de l’humanité,comme l’histoire contemporaine et l’actualité nous le prouvent chaquejour. C’est un processus long et difficile qui doit s’apprendre ; une cons-truction et non un acquis d’emblée, qui s’élabore progressivement soitdepuis l’enfance par une éducation familiale très ouverte, soit par uneformation spécifique à l’âge adulte.

Cet apprentissage n’est pas facile, car il éveille des résistances à causedes changements qu’il instaure dans la façon de voir et de faire, mais il estpassionnant, car, d’une part, il nous ouvre à de nouveaux univers tout ennous faisant accéder à la connaissance de nous-mêmes et, d’autre part, ilnous incite à des pratiques novatrices. En effet, ce processus, cet appren-tissage impliquent non seulement une découverte de l’autre dans sa diffé-rence, mais aussi une découverte de soi, une réflexion sur soi, uneconscience de soi en tant qu’être de culture et de sous-cultures avec sescodes, ses valeurs, ses modèles de comportement, ses aspirations relati-ves à ses différentes appartenances : nationale, ethnique, religieuse,sociale, régionale, professionnelle et institutionnelle, etc.

Dans l’interaction entre des personnes d’enracinements culturels dif-férents, il y a toujours deux porteurs de culture, soi et l’autre, et non unseul, l’autre. S’ouvrir à la diversité culturelle implique donc toujours laconnaissance de sa propre culture et surtout la découverte des modesselon lesquels elle a été intériorisée, aménagée en fonction de sa trajec-toire propre.

En un mot, la tolérance, la compréhension de l’autre comme être dif-férent, passe toujours par la découverte de sa propre identité sociale, cul-turelle et professionnelle. Et si nous insistons tant sur cette connaissancede soi, c’est parce que, généralement, l’idée prédominante est que la voiede la compréhension de l’altérité différente passe par la connaissance dela culture de l’autre.

Nous ne voulons pas dénigrer l’acquisition de ce savoir anthropologi-que par de multiples moyens tels que les lectures, les stages, le recours àdes informateurs, mais nous insistons sur le fait qu’il ne faut pas enfermer

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l’autre dans sa culture d’origine, car d’autres dimensions importantessont à prendre en compte pour donner sens et valeur à ses compor-tements ou à ses demandes : sa trajectoire migratoire, son processusd’acculturation (changements culturels) et les réseaux d’insertion du paysd’accueil, le projet de retour. Cette démarche de connaissance de l’autredans ses spécificités culturelles élargies aux dimensions précitées est mal-gré tout insuffisante, voire dangereuse si on s’y limite.

En effet, les recherches interculturelles — c’est-à-dire les recherchesqui étudient les processus de contacts, d’interactions entre individus etgroupes issus d’enracinements culturels différents, que ce soit les étudesclassiques sur les préjugés, sur les stéréotypes, sur le racisme ou sur laxénophobie, les recherches sur la communication interculturelle ou lapédagogie interculturelle ou encore nos modestes recherches actions surles relations et la communication entre les professionnels de l’actionsociale et éducative et les migrants — ont toutes mis en évidence l’exis-tence d’obstacles, de filtres et d’écrans qui nous séparent de cette compré-hension malgré les connaissances acquises sur les autres cultures. Cesobstacles sont source de malentendus et d’incompréhensions entraînantmalheureusement très souvent un regard unidimensionnel, réducteur etdévalorisant sur l’autre, et source de jugements de valeurs qui font échecà la tolérance et à la reconnaissance recherchées.

LES OBSTACLES À LA COMPRÉHENSION DE L’AUTRE COMME ÊTRE DIFFÉRENT

Quels sont donc ces filtres et écrans à l’origine de malentendus etd’incompréhensions ? On peut les classer en trois catégories qui, ensemble,constituent des grilles de décryptage, de décodage de l’autre comme êtredifférent. On peut y ajouter un quatrième type de filtre propre à l’insuffi-sance du jugement humain qui ne peut percevoir qu’en fonction des pos-sibilités de ses structures mentales et de leurs modalités opérationnelles :la focalisation de l’attention, la sélection de la perception, la tendance à lacatégorisation endogroupe/exogroupe (son propre groupe d’apparte-nance ou de référence se différenciant de tout autre groupe), la tendance àla généralisation, le recours aux fantasmes et à l’imaginaire. Ces filtresuniversels, on ne peut que chercher des moyens pour les compenser, enprenant en compte qu’il y a toujours une part de malentendu etd’approximation de sens qu’il faut admettre et reconnaître comme unepart de l’autre.

Les préjugés et les stéréotypes

La première catégorie d’obstacles regroupe les représentations, les idéesque nous véhiculons concernant l’étranger, l’étrange et en particulier telétranger appartenant à tel pays, à telle religion, à tel peuple. Ce sont les

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préjugés, les stéréotypes, les a priori concernant tel ou tel groupe social,telle minorité au sein de la société ou tel peuple hors de ses frontières,représentations qui sont présentes dans le milieu ambiant, véhiculées parla société, portées par les médias. Elles sont toutes des produits des rela-tions historiques unissant ou opposant les deux peuples que représententles acteurs de l’interaction interculturelle et elles sont souvent reprises parles idéologies politiques. En France, « les Allemands sont... », « les Arabessont... » ; au Québec, « les Anglais sont... », « les Français sont... ». Ces pré-jugés sont des « modèles de prêt-à-penser » auxquels chacun réfère, seraccroche quand il ne comprend pas ou n’a pas de repères, et cela malgréla bienveillance et la tolérance qu’il pense le caractériser. Modèles de prêt-à-penser, car ils ne prennent pas en compte l’individu spécifique, opérantune généralisation ; et de plus ils transforment la culture en donnée biolo-gique héréditaire, ils la « naturalisent » alors qu’elle s’inscrit dans un sys-tème de représentations porté par des coutumes et des modes de viequ’un groupe humain a créés, en relation avec un environnement géogra-phique, climatique et social. Ce système de représentation nous fait voiret expliquer d’une certaine manière le monde dans lequel nous vivons etil nous amène à nous comporter en fonction de ces perceptions, mais enaucun cas il ne fait partie de la nature du groupe culturel d’appartenance.

Ces préjugés et stéréotypes sont des processus normaux et universelsliés à la nature humaine qui tolère mal l’inconnu ou l’ambiguïté, sourced’insécurité fondamentale. Ils servent alors à catégoriser et à donner desrepères à l’insaisissable ou à l’étrange. Bien que très courants, les préjugéset stéréotypes sont porteurs de danger de trois façons :

1. Tout en étant fondés sur une petite part de vérité, ils amènent unegénéralisation abusive de certains traits qui, en réalité, ne seretrouvent pas chez tous ;

2. Ils s’imposent si fort à l’esprit qu’une sélection s’opère sur lesinformations recueillies concernant un groupe humain, en faveurde celles qui confirment les idées préconçues ;

3. Ils constituent l’humus sur lequel se développent la discrimina-tion, la xénophobie et le racisme, qui vont au-delà des idées tou-tes faites et généralement négatives sur un peuple.

La discrimination, le racisme et la xénophobie, comme l’antisémi-tisme, sont des attitudes qui amènent le désir de nuire à l’autre, del’exclure, de l’abaisser, de le blesser ou de le tuer ; cela peut aller jusqu’augénocide. Ces attitudes impliquent toujours un processus de transforma-tion de l’altérité ou du groupe différent en bouc émissaire responsable deses propres maux. Elles sont d’autant plus dangereuses qu’elles sontencouragées par des idéologies, par des partis politiques et même par desgouvernements. Ainsi, l’image des autres qu’on porte en soi, désobli-geante et archaïque, peut toujours tourner à la suspicion, à la haine et au

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mépris. Cependant, les stéréotypes et préjugés à l’égard de l’étranger nesont pas toujours négatifs, ils peuvent aussi être tout à fait positifs,comme dans l’exotisme, ce sur quoi nous reviendrons plus loin.

Les formes d’ethnocentrisme

Le deuxième type d’obstacle est ce que nous appelons les ethnocentris-mes, c’est-à-dire le fait que l’on a une tendance naturelle à décoder ladiversité culturelle avec ses modèles culturels propres, ses normes et sesvaleurs. Ainsi, par exemple, un enfant africain baisse les yeux lorsqu’unadulte lui parle. Ce comportement sera interprété en France et au Québeccomme l’expression d’une timidité ou d’une attitude sournoise, alorsqu’en Afrique l’enfant apprend à baisser les yeux par respect pourl’adulte. Nous prenons comme point de repère, comme critère d’évalua-tion notre modèle considéré comme la norme, le bien. « Ethnocentrisme »,sur le plan étymologique, veut dire « centré sur son peuple » : c’est l’inca-pacité à se représenter ce qui ne nous ressemble pas. Et si on le voit, on lecompare à soi, en portant un jugement de valeur.

Il existe une autre façon de déformer l’image de la différence de façonpositive : c’est l’exotisme.

L’exotisme, comme le dit Lipiansky (1989, p. 36),

[...] est un peu le pendant de l’ethnocentrisme ; là où ce dernier privi-légie les valeurs de la culture propre, l’exotisme valorise l’autre etl’ailleurs. Mais cet autre est le plus souvent un autre mythique, idéa-lisé, construit par le désir et le rêve de dépaysement. Il figure unesorte de paradis perdu, projeté dans une altérité radicale qui apparaîtcomme l’inversion des insatisfactions et des frustrations attachées àla culture d’appartenance. Mais ce mythe ne peut se construire géné-ralement que dans une méconnaissance de la réalité, forcément plusprosaïque que le rêve.

Le véritable exotisme, comme le dit Segalen (1906), ce n’est pas la merbleue, le sable fin et les cocotiers, mais l’attrait pour ce qui est différent,tout en sachant qu’il restera toujours inaccessible.

En fait, toute véritable communication interculturelle se fonde surune démarche fondamentale mais paradoxale. Elle suppose que celui quis’y engage reconnaisse l’autre à la fois comme semblable et commedifférent.

Nous avons isolé dans nos recherches actions quelques ethnocentris-mes qui bloquent l’ouverture à l’autre et rendent difficile sa reconnais-sance. Il s’agit de :

• notre conception égalitaire du rôle et du statut de la femme face àune conception d’infériorité et de soumission de celle-ci ;

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• notre conception libérale moderne de l’éducation de l’enfant sanschâtiment corporel face à une éducation traditionnelle rigoristequi permet les sévices corporels ;

• la reconnaissance des droits de l’enfant face à une conception del’enfant (qui a aussi existé en Occident) comme propriété de sesparents ;

• la liberté religieuse ou la laïcité face à une conception de l’hommeoù le religieux et le magique sont au centre du quotidien ;

• une conception du temps centrée sur l’efficacité et le progrès faceà une conception du temps centrée sur le passé, la tradition et lesacré, etc.

Ce sont là des « images guides », c’est-à-dire des représentations puis-santes, pas toujours conscientes, mais chargées d’affects, car elles s’ancrentdans les fondements culturels de la personnalité, dans ses dimensionsinconscientes, comme les identifications parentales et sexuelles. Ces ima-ges guident le décodage, le décryptage de nombreuses situations profes-sionnelles où les liens familiaux, les relations de couple, l’éducation del’enfant sont toujours présents. Ces images guides nous font juger l’autrecomme « arriéré », « non civilisé », « barbare » et nous font exercer sur luiune pression au changement, à l’assimilation, pression d’autant plus forteque cet autre vient d’un pays sous-développé, d’une culture jugée infé-rieure ou qu’il appartient à une classe sociale défavorisée. Il faut donc faireprogresser l’autre, l’éduquer à tout prix pour son bien, en niant la valeur etle sens qu’il donne lui-même à ses rôles et à sa vie. Tout cela est à l’anti-pode de l’écoute et de la compréhension de l’autre.

Nous avons nommé ces images guides « zones sensibles » parcequ’elles sont source de chocs culturels plus ou moins violents qui peuventavoir deux origines. D’une part, ces autres modèles de comportements, cesvaleurs et ces rôles différents peuvent être à l’opposé des codes de bien-séance, des mises en scène de la vie quotidienne prévalant dans la sociétéd’accueil ; l’angoisse surgit alors comme si on affrontait le retour durefoulé, dans le sens psychanalytique du terme, en particulier chaque foisque l’on fait face à des ritualisations du corps en totale opposition avec lesnôtres (façons différentes de prendre son repas, rituels funéraires, etc.).D’autre part, ces autres modèles de comportements peuvent se situer àl’opposé des acquis de la modernité, nous renvoyant à des « archaïsmes »,à des modèles périmés comme si nous revenions en arrière et perdions cesacquis, qui ne sont ni encore complets, ni stables. L’autre, l’être différent,bien que minoritaire, menace alors notre propre identité liée à la moder-nité et au progrès, construite à force de lutte et d’efforts. Nous ne pouvonsqu’insister sur le danger des relations interculturelles qui s’établissent àpartir d’une dynamique menaçant/menacé, que la menace se situe du côtédu professionnel ou qu’elle soit du côté du migrant. Chacun ne se souciant

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que de se protéger de la menace identitaire dont il est l’objet, aucune rela-tion éducative ou d’aide n’est alors possible.

Les modèles et techniques professionnels

Le troisième type de filtre et d’obstacle regroupe les modèles et techni-ques professionnels inculqués au cours de la formation, produits dessavoirs et des praxis élaborés dans le champ des sciences humaines etsociales. Ces savoirs et pratiques se sont développés dans les sociétésoccidentales sur un substrat de connaissances scientifiques, mais aussisur une conception individualiste de la personne, dimension très impor-tante de la modernité (Dumont, 1978). C’est une représentation del’humain qui privilégie la primauté du sujet sur le lien social, qui valorisele détachement et la différenciation de la personne par rapport au collec-tif, à la famille, à la communauté. Elle prône l’autonomie et l’indépen-dance. Mais il existe une autre conception de l’individu, une conception« holiste », « communautaire » qui valorise l’appartenance, la fidélité auxgroupes primaires (famille, clan, tribu, communauté nationale ou reli-gieuse) et l’interdépendance de ses membres. Dans cette conception, cequi compte pour l’individu, ce qui est exigé de lui n’est pas qu’ildevienne autonome, mais qu’il tienne bien la place que le milieu, legroupe, la lignée, la famille lui ont fixée ou que le destin lui a assignée.Les intérêts du groupe prévalent sur ceux de l’individu, qui sera toujoursprotégé, aidé par la collectivité en cas de besoin, en échange de quoi ildoit remplir les exigences du groupe. Ainsi le fils aîné, dans une famillepatriarcale, aura à agir selon les droits et les devoirs que lui donne sonstatut, quelles que soient ses aspirations de réalisation personnelle. C’estdonc une autre vision de l’humain, qui implique d’autres conceptions dela personnalité, difficiles à saisir pour des professionnels de sociétés occi-dentales (Cohen-Emerique, 1989).

Ces modèles professionnels sont donc marqués par la conceptionmoderne de l’individu, alors qu’en réalité ils n’ont pas été relativisés niconfrontés à d’autres contextes culturels, à d’autres conceptions del’humain et à une autre relation au monde. Le fait de ne pas relativiser cesmodèles et savoirs professionnels, tout en affirmant qu’ils sont porteursde vérités universelles, constitue un obstacle à la compréhension, à latolérance et au « refus de vérités définitives ». Il y a de nombreux exem-ples de ces modèles ; nous en donnerons trois.

Le modèle du projet individualisé

Le modèle du projet individualisé est très couramment utilisé par les for-mateurs. Il est basé sur deux concepts : 1) la notion de « projet » impliqueune conception du temps tournée vers un avenir que l’individu ou desinstances qualifiées peuvent prévoir, maîtriser, gérer ; 2) la relation au

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temps est associée au développement, au changement. Émerge dans cemodèle la conception d’efficacité prédominante dans la société occiden-tale hyperrationalisée qui encourage l’atteinte de buts fixés d’avance,l’obtention de résultats escomptés et la maîtrise maximale des événe-ments, voire l’imposition de sa volonté à ces événements. Le projet estaussi « individualisé », c’est-à-dire qu’il reflète notre conception occiden-tale de la personne qui, comme nous l’avons vu, privilégie les choix et laréalisation personnels et non ceux que la collectivité ou le destin fixent àl’individu. On peut se demander si ce modèle est adapté à des personnesissues de sociétés traditionnelles et communautaires, à celles venant d’unmonde rural avec une autre conception du temps et de la personne, auxprimo-arrivants3 marqués par le déracinement et la perte des repères quiimmergent dans le présent, ou même aux demandeurs d’asile marqués àvie par des traumatismes et pour lesquels le temps s’est arrêté.

La hiérarchie des besoins selon Maslow

Dans les systèmes social et médicosocial, la hiérarchie des besoins sui-vant Maslow (1962) est utilisée pour évaluer les besoins des familles etpour leur octroyer une aide financière ou d’autres types de soutien.Maslow est connu pour avoir établi une hiérarchie des besoins del’individu. Il en dénombre sept qu’il a représentés sous forme de pyra-mide, à la base de laquelle il met les besoins les plus fondamentauxcomme les besoins physiologiques élémentaires. Viennent ensuite lebesoin de sécurité, le besoin d’appartenance à un groupe, le besoind’estime et de respect, le besoin de réalisation de soi et, enfin, tout enhaut de la pyramide, le besoin de donner un sens à sa vie et le besoinspirituel. Pour Maslow, si un besoin inférieur est mal satisfait, le besoinsupérieur aura des difficultés à l’être. Cette hiérarchisation est actuelle-ment critiquée, car elle est considérée comme rigide et matérialiste ; ellene prend pas en compte la place de ces besoins en fonction de l’environ-nement social et donc ne relativise pas leur importance en fonction dessituations et des normes sociales. Par exemple, le besoin de communi-cation des migrants avec la famille restée au pays, qui entraîne desnotes de téléphone astronomiques, devient essentiel dans cette situa-tion, au détriment de la satisfaction d’autres besoins fondamentaux ; ouencore, le besoin de spiritualité ou de créativité, primordial dans certai-nes circonstances, peut amener l’être humain à renoncer ou presque àdes besoins élémentaires.

Le modèle de l’entretien non directif

Le modèle de l’entretien non directif enseigné dans la formation en rela-tion d’aide est en réalité un modèle essentiellement inspiré de notresociété démocratique qui encourage ce type de relation, la parole libre de

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l’aidé exprimant sa personnalité et facilitant la mobilisation de ses res-sources. Mais, pour les individus issus de sociétés communautaires, où lahiérarchie est importante et la communication codifiée en fonction decelle-ci, et où l’individu n’est pas encouragé à parler en son nom, cemodèle de non-directivité dans l’entretien d’aide est inadéquat ; il suscitele silence tant que des questions ne sont pas posées. De même, les problè-mes d’une personne en difficulté pourront s’exprimer à travers les proposde proches, de voisins qui parleront en son nom, lors d’une visite à domi-cile ou au bureau. Il faut écouter ces personnes ; souvent, le professionnelne leur porte aucune attention, les percevant comme des gêneurss’immisçant, sans aucune légitimité, dans la vie privée du demandeur etinterférant même dans le processus d’aide. Nous avons constaté quel’intervenant ou n’accepte pas de recevoir ces « accompagnateurs », ou neprend pas en compte les informations ou suggestions présentées parceux-ci, décodant toujours leurs propos à travers deux principes fonda-mentaux : la réprésentation individualiste de la personne et la conceptionde l’aide fondée sur la mobilisation des ressources du demandeur et surson autonomisation. Les compatriotes accompagnateurs ou les personnesprésentes lors d’entretiens à domicile représentent le « moi auxiliaire » duclient, incarnant le « moi-groupe » à l’intérieur et à l’extérieur de l’indi-vidu (Ghorbal, 1983). Ils incarnent à la fois l’ancrage dans les racines,dans la communauté et le lien avec le monde extérieur, la sociétéd’accueil ; ils assurent la fonction de « béquilles » indispensables pour cer-tains lors des premières périodes d’adaptation au nouveau pays et, pourd’autres, ils sont un soutien pour une plus longue période. S’ils sont écar-tés, ils risquent de mettre en échec l’intervention. Ils doivent être considé-rés, au moins lors des premières étapes de l’intervention, comme despartenaires indispensables avec lesquels il faut préciser les rôles et fonc-tions respectifs de chacun.

La recension de ces trois catégories d’obstacles ne doit pas être inter-prétée comme une critique adressée aux acteurs des systèmes social etéducatif, parce qu’en réalité, lorsqu’on se penche sur l’histoire de l’ethno-logie, on constate combien les scientifiques eux-mêmes ont fait des des-criptions et des évaluations erronées marquées au coin des idéologiescolonialistes de l’époque. Même de nos jours, l’ethnologue reste toujourssur ses gardes quant aux possibles distorsions de ses observations, de parsa propre socialisation et acculturation. Rappelons l’écart entre la penséedes philosophes du Siècle des lumières (le XVIIIe siècle), qui affirmaitl’égalité et la liberté de l’être humain, et leur conception de l’homme noirconsidéré comme un mobilier et pris en esclavage dans des conditionsinhumaines.

Compte tenu de tous ces obstacles à la compréhension des personnesde cultures différentes, que faire ? Pour répondre à cette question, à lalueur de ce que nous venons d’exposer, il faut d’abord poser la probléma-

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tique des relations et de la communication entre les professionnels dessystèmes social et éducatif et leurs clients migrants d’un point de vueinterculturel.

L’INTERCULTUREL : UN NOUVEAU CONCEPT

Le terme « interculturel », apparu dans les années 70 aux États-Unis etdans les années 80 au Québec et en Europe, pose, à la différence du terme« culturel », l’interaction entre deux porteurs de culture plutôt qu’entre unintervenant et un migrant, comme le laisse entendre la démarche de con-naissance de la culture. On peut dire avec Abdallah-Pretceille (1985) quel’interculturel implique trois perspectives nouvelles par rapport au terme« culture ».

La première perspective est subjectiviste ; elle pose une relationentre deux individus porteurs de culture, chacun se l’étant appropriéedans sa subjectivité de façon unique, en fonction de son âge, de sonsexe, de ses appartenances sociales et de sa trajectoire personnelle. Onne rencontre pas une culture, mais un individu ou des groupes qui met-tent en scène leur culture, comme on est soi-même porteur de culturemettant en scène son système de valeurs et de normes dans l’interac-tion avec le client migrant. Les psychologues parlent d’une « culturesubjective » ou d’une « culture intériorisée », pas toujours consciente,qui est confrontée à une autre culture subjective, intériorisée et égale-ment non consciente ; cela explique pourquoi des connaissances sur laculture de l’autre ne suffisent pas pour le comprendre. En effet, il faut,d’une part, découvrir chaque fois la dimension unique de la culture del’autre, ce qui implique une ouverture et un dialogue avec lui, et,d’autre part, il faut appréhender notre propre culture intériorisée quiconstitue, comme nous l’avons vu, un obstacle majeur à cette ouver-ture. Nous y reviendrons.

La deuxième perspective est interactionniste. L’interculturel impliqueque l’on reconnaisse qu’il y a deux acteurs en présence. « Toute mise enquestion de l’autre ne peut qu’être doublée d’un questionnement sur lemoi [...]. Méthodologiquement, l’accent doit être mis beaucoup plus sur lerapport que le “je” (individuel ou collectif) entretient avec autrui que surautrui proprement dit. C’est ce processus de relation en miroir qui fondele discours interculturel. » (Abdallah-Pretceille, 1985, p. 31.) La différenceculturelle se pose alors toujours relative à soi-même et non érigée defaçon absolue.

La troisième perspective est situationnelle. L’interculturel n’impliquepas seulement des différences de normes et de valeurs dans l’interactionentre des personnes d’enracinement culturel différent ; il suppose aussides différences de statuts, car les cultures s’inscrivent toujours dans l’his-toire, dans l’économie et dans la politique, ce qui complexifie beaucoup

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l’interaction. En effet, il y aura toujours une culture jugée supérieure faceà une culture jugée inférieure, un pays développé face à un pays sous-développé, un ex-colonisé face à un ex-colonisateur, un majoritaire face àun minoritaire, un Blanc face à un Noir, etc. Interfèrent alors dans la rela-tion, comme nous l’avons évoqué plus haut, les contentieux accumulés aucours de l’histoire, sources de représentations négatives, de préjugés et destéréotypes, de réactions de rejet, voire de racisme, cela même si les prota-gonistes de l’interaction n’ont pas été impliqués dans ce contentieux, déjàlointain dans l’espace ou dans le temps. Les événements historiques, lepassé colonial, les guerres, les persécutions, l’actualité et les médias lais-sent leurs traces dans les mémoires collectives et individuelles, traces quis’accompagnent toujours d’affects, parfois positifs et plus fréquemmentnégatifs, comme le ressentiment, la méfiance, la culpabilité ou la culpabi-lisation, le sentiment d’infériorité ou de supériorité, le repli sur soi, etc.Rappelons, pour le Québec, les représentations négatives accompagnéesde sentiments virulents concernant les Anglais ; en France, jusqu’à il n’y apas si longtemps, les stigmatisations concernant les Allemands ou encoreactuellement la relation avec les Algériens. Pour illustrer cette influencedu conjoncturel dans les relations interculturelles, citons Mandela, dansson discours d’investiture en Afrique du Sud (25 mai 1994) : « Le fardeaudu passé pèse sur chacun de nous, ceux qui ont blessé les autres, commeceux qui ont souffert. »

Définition de l’interculturel

À la lueur de tous ces développements, on peut donner une définitionplus précise de l’interculturel : c’est l’interaction de deux identités qui se don-nent mutuellement un sens4 dans un contexte à définir chaque fois. C’est un pro-cessus ontologique d’attribution de sens et un processus dynamique deconfrontation identitaire qui peut malheureusement évoluer vers un affronte-ment identitaire, une « dynamite » identitaire5.

Voici un exemple de « deux identités qui se donnent mutuellement unsens ». Un adulte français s’adresse à un jeune africain et celui-ci baisse lesyeux. Pour l’adulte, cet enfant est timide, il cache quelque chose ou il estsournois. Pour un Africain, il manifeste du respect envers son aîné.

Voici également un exemple d’« un contexte à définir chaque fois ».Une assistante sociale raconte : « J’avais un client africain que j’avais ren-contré déjà quatre fois ; à la fin du cinquième entretien, il me dit en meserrant la main : « Tu sais, je voulais savoir, au début, si tu étais raciste ! »

Nous avons représenté cette définition à la figure 7.1, ce qui la rendplus compréhensible et qui va nous permettre de répondre à la questiondéjà posée plus haut : vu les nombreux obstacles à la relation et à la com-munication interculturelles, que faire ?

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Le schéma de l’interaction interculturelle

La figure 7.1 s’inspire du schéma de la communication et de la théorie dela communication selon le modèle cybernétique (cité par Mucchielli,1984). Les deux cercles reliés par une flèche représentent les deux identi-tés en présence : à gauche, l’identité du professionnel et, à droite, celle duclient migrant. Chacun a ses différentes appartenances, le premier pou-vant aussi être migrant. Au centre de chaque cercle, l’identité personnellede chacun inclut les représentations de soi en relation à son corps, à samémoire, à sa personnalité et à sa trajectoire propre. En effet, la réaction àla différence implique toujours une dimension individuelle liée à une his-toire personnelle ou à certains conflits mal résolus6. Cette représentationde l’identité reste schématique et simplifiée ; nous ne pouvons, dans lecadre de ce chapitre, entrer dans la complexité de ce concept.

Les deux carrés concrétisent les cadres de référence, les représenta-tions ou les lunettes culturelles (ce sont tous des termes équivalents,employés par différents auteurs) de ces deux porteurs d’identités. Ilsreprésentent les grilles de lecture des événements et des individus, pro-duits des différentes appartenances et des diverses expériences de vie, quisont à l’origine des distorsions et des malentendus interférant dansl’interaction avec l’altérité, en situation intra ou interculturelle. Toutefois,les distorsions sont plus grandes lorsque les acteurs de l’interaction nesont pas de la même culture.

L’écran hachuré (en haut du schéma) représente l’ensemble de cesobstacles, de ces bruits qui interfèrent dans la communication, sources demalentendus et d’incompréhensions dans la relation entre le profession-nel et le client porteur d’une culture différente. Ces bruits vont engendrerdes jugements de valeur, des tensions, de la méfiance, mettant en échec larelation éducative ou d’aide.

Le cadre extérieur du schéma représente le contexte à définir chaquefois, c’est-à-dire les différences de statuts et le contentieux entre les peu-ples que représentent les acteurs en présence. Ceux-ci mettent en scène,en plus des différences culturelles, une dynamique identitaire.

La ligne qui relie les deux cadres de référence est l’interface ; cettedernière renvoie aux travaux de l’école de Palo Alto et en particulier àceux de Hall (1990), dans lesquels on a cherché comment on pouvaitfaire communiquer deux types de cadre culturel en trouvant un langagecommun aux deux. Les chercheurs ont créé les notions de « proxémie »,de « temps monochrome » opposé au « temps polychrome », de « cultu-res à contexte riche » opposées à « cultures à contexte pauvre », etc.,notions qui permettent de rendre compréhensibles et de relativiser lesdifférences culturelles, d’où l’importance de cette école dans le champde l’interculturel.

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Enfin, cette figure, tout en représentant la complexité de la relation etde la communication interculturelles, permet de voir qu’on peut la sur-monter avec une approche et une compétence interculturelles. Les élé-ments de cette approche sont la décentration et la découverte du systèmede l’autre (voir au-dessous des deux cadres de référence) ainsi que lanégociation et la médiation, qui ont lieu lorsque les deux cadres se ren-contrent.

L’APPROCHE, L’ATTITUDE ET LA COMPÉTENCE INTERCULTURELLES

La compétence interculturelle va permettre d’accéder à la communica-tion, à la compréhension et à la tolérance face à la diversité culturelle.Cette attitude, approche ou compétence se caractérise par trois démar-ches : la décentration, la découverte du cadre de référence de l’autre et lamédiation/négociation.

Première démarche : la décentration

La première démarche est la décentration. Il s’agit de prendre une distancepar rapport à soi-même en tentant de mieux cerner ses cadres de référence,d’en prendre conscience en tant qu’individu porteur d’une culture et desous-cultures (nationale, ethnique, religieuse, professionnelle, institution-nelle, etc.) toujours intégrées dans sa trajectoire personnelle. On retrouve làles notions de « culture subjective » et de « culture intériorisée » définiesplus haut. Par cette réflexion sur soi s’opère un lent cheminement vers ladécentration et la relativisation de ses observations. Cette décentration vapermettre d’accéder, comme le dit Abdallah-Pretceille (1985), à une certaine« neutralité culturelle » par rapport à ses propres référents, neutralité quin’est pas synonyme de négation de son identité ; au contraire, c’est unereconnaissance qui nous amène à mieux nous connaître et à relativiser nospropres valeurs face à celles des autres. Pratiquement, il s’agit de faireémerger les représentations issues de son système de valeurs et de normes,de ses préconceptions et préjugés, bref ses zones sensibles, ses grilles dedécodage de l’altérité différente et d’analyse de la demande de l’autre, quisont à l’origine d’un regard sur l’autre dévalorisant, réducteur ou même del’ordre du fantasme. Ces représentations sont souvent inconscientes etconstituent pour la personne la réalité, des références familières qui vont desoi, d’autant plus prégnantes qu’elles sont fréquentes dans le milieu socialenvironnant généralement homogène (parents, amis, collègues). Comme ledit Devereux (1980), la personne qui participe à une culture ne l’expéri-mente pas comme quelque chose d’extérieur, mais comme quelque chosede profondément intériorisé qui est une composante intégrale de sa struc-ture, de son économie psychique. Aussi cette prise de conscience de seslunettes culturelles n’est-elle pas aisée à faire par soi-même.

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Nous avons créé un outil de formation pour donner au profession-nel cette capacité de décentration. Il s’agit de la méthode des chocsculturels7, qui se fonde sur la « perspective interactionniste » mentionnéeprécédemment, à savoir que ce qui choque chez l’autre, ce qui paraît leplus déroutant va jouer comme miroir de sa propre identité. Aussil’avons-nous dénommée la méthode des incidents critiques, « critique »dans le sens de révélateur de ce que je suis. On fait raconter par le sta-giaire un choc culturel qu’il a vécu en situation professionnelle ou dansle cadre d’un voyage ou d’une expatriation, puis on l’analyse suivantune grille élaborée pour amener à une décentration. Cette méthodepoursuit deux objectifs :

• Le premier est de cerner son cadre de référence, non pas en tantqu’ensemble de notions erronées ne correspondant pas à celui del’autre, mais pour le préciser, car il fonde le regard du profession-nel sur le client étranger. Comme le dit Devereux (1980, p. 19),« ce n’est pas l’étude du sujet mais celle de l’observateur qui nousdonne accès à l’essence de la situation d’observation » ;

• Le second est de déterminer les « zones sensibles », celles où leprofessionnel et le migrant ont le plus de mal à communiquer, oùles malentendus sont les plus fréquents et violents, ce qui permet,d’une part, d’apporter des informations plus approfondies surces segments culturels chez le client et, d’autre part, de réfléchirsur ces mêmes spécificités dans sa propre culture et par rapport àsa trajectoire personnelle.

Pour plus de détails sur cette méthode, nous renvoyons à Cohen-Emerique(1998).

Sans cette démarche de décentration, l’ouverture à l’autre comme êtredifférent culturellement est difficile. Mais en la poursuivant, on pourradire avec Sterlin (1988, p. 28) : « Ce que nous ne tolérons pas dans la cul-ture de l’autre, désigne un manque à gagner que nous avons intérêt àexplorer pour élargir les horizons de notre “humanitude” et enrichirnotre potentiel de jouissance. »

Deuxième démarche : la découverte du cadre de référence de l’autre

La deuxième démarche consiste à pénétrer dans le système de l’autre, à leconnaître du dedans. Comme le dit Atlan (1991), il s’agit d’entrer dansla rationalité de l’autre sans en accepter nécessairement les prémisseset les aboutissements. C’est une attitude d’ouverture et d’écoute fon-dée sur un intérêt pour l’autre, cela même si ses façons d’être nousheurtent.

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Comme le dit Habermas (dans Delacampagne, 1991, p. 2),

[...] pour que nous puissions comprendre ce que les autres disent oumême ce qu’ils pensent, il faut qu’il y ait entre eux et nous une largezone d’accord. Nous n’avons aucune possibilité de comprendre ceque quelqu’un dit si nous n’acceptons pas d’abord de le considérercomme un être fondamentalement rationnel, car on ne peut accéder àses idées qu’en le replaçant dans un contexte incluant d’autres idées.

Car comprendre, c’est d’abord sortir de soi, s’excentrer pour se placer dupoint de vue de l’autre ; c’est une attitude d’ouverture, une mobilisationdes ressources cognitives (observation, désir d’apprendre) et affectives(communication non verbale, libre émergence de certains sentiments)pour découvrir ce qui donne sens et valeur à l’autre, ce qui fonde sesrôles, ses statuts, ses croyances et aspirations, le tout interprété et intégrétoujours de façon unique par l’individu. Il ne s’agit pas seulement dedécouvrir les différences culturelles, mais aussi les identités liées aux tra-jectoires migratoires ainsi que les processus d’acculturation inhérents àla migration et toujours intériorisés de façon unique dans une subjecti-vité. Sans cette connaissance du dedans, il n’y aura pas de véritable com-préhension, car l’altérité est toujours insaisissable, malgré une grandeproximité.

Nous dirons que les premiers informateurs sont les familles elles-mêmes. En les sollicitant pour nous aider à comprendre leurs valeurs, onpourra à la fois découvrir leur appropriation personnelle de leur cultured’origine et les reconnaître dans leurs identités. Si on établit une relationsymétrique avec ces familles, elles deviennent des ressources pour lesprofessionnels et abandonnent ainsi le statut d’aidé, toujours infériori-sant. Encore faut-il que le travailleur social accepte de montrer son besoind’information à celui qui sollicite son aide !

Voilà donc les deux premières démarches nécessaires à tout profes-sionnel engagé dans un travail interculturel ; elles ne peuvent s’entrepren-dre qu’avec des formations. La méthode des chocs culturels peut aussiêtre utilisée pour sensibiliser à la découverte du cadre de référence del’autre, bien que nous nous servions en complément d’études de cas.

En réalité, ces démarches ne sont pas nouvelles ; elles caractérisent laméthode ethnologique, qui consiste à décrire du dedans, le plus objective-ment possible, un peuple ou un milieu donné avec son système de repré-sentations et ses modes de vie, tout en exigeant que le chercheur soit surses gardes quand il fait la lecture de la réalité étrangère et qu’il surveilleles dangers de distorsions liés à ses référents culturels et aux modalités deconstruction d’un objet scientifique. Ainsi Rabain (1974), étudiant lesevrage de l’enfant chez les Wolofs du Sénégal, a constaté que ses hypo-thèses de départ étaient fausses, car elles étaient fondées sur la conceptionoccidentale d’une première distanciation dans la relation mère-enfant à

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cette étape de la vie, alors que, dans cette ethnie, l’enfant est d’abord unchaînon du lignage. « On remarquera qu’à tout instant, le chercheur issud’une culture (lorsqu’il en étudie une autre) se heurte à ses propres nor-mes de relations familiales, à ses modèles d’individuation et aux décou-pages conceptuels préalables et tributaires de ses normes et modèlesfamiliaux. » (Rabain, 1974, p. 24.) Cette mise en garde peut s’appliquer àtoute personne en situation interculturelle et en particulier aux interve-nants sociaux dont l’essentiel de l’action est centré sur la famille et l’épa-nouissement de l’enfant. Mais le professionnel n’est pas un chercheur ; ildoit trouver des solutions. Aussi ajoutons-nous une troisième démarche.

Troisième démarche : la médiation/négociation culturelle

La troisième démarche est la médiation/négociation culturelle. Elle se pra-tique déjà en France de façon partisane, mais elle n’a pas encore ététhéorisée ni codifiée. On l’introduit dans la phase de résolution desproblèmes. En effet, que faire lorsque les codes culturels du profession-nel (actualisant pour une grande part ceux de la société d’accueil) etceux de l’aidé sont en opposition ou même en conflit, ce qui peut ame-ner le premier à considérer le second comme déviant ? Que faire parexemple lorsqu’une adolescente n’est pas envoyée par ses parents àune classe de neige à cause de la mixité (différente de celle existanthabituellement en classe, car les jeunes vont vivre ensemble jour etnuit) ? Pour nous, la classe de neige s’inscrit dans un projet pédago-gique de développement de l’enfant, d’ouverture au monde extérieuret d’élargissement de sa vie sociale. Pour les parents de l’adolescente,elle est perçue comme dangereuse et menaçant l’honneur de la jeunefille et de toute la famille.

Que faire encore lorsqu’un père bat violemment son fils parce quecelui-ci lui a manqué de respect ? Pour ce père, c’est une punition qui doitmarquer l’esprit de son enfant, car il a enfreint la règle fondamentale de res-pect des parents ; pour nous, le comportement de ce père peut être perçucomme maltraitant et peut le faire comparaître devant le juge. Que fairealors ? De nombreux exemples de ce type peuvent être donnés, ce qui illus-tre les limites de la tolérance et du respect des modèles culturels différents.Citons également le cas du foulard islamique ; les défenseurs comme lesopposants de son port à l’école se battent à coup de circulaires ministé-rielles, d’arrêtés du Conseil d’État, de jugements de cours d’appel sanstrouver de solution valable aux cas concrets (Cohen-Emerique, 1997).

La réponse à ces problèmes est une démarche de négociation cas parcas, c’est-à-dire une coconstruction : l’intervenant social et la famillemigrante, par le dialogue et l’échange, recherchent un minimumd’accords, un compromis où chacun se voit respecté dans son identité,dans ses valeurs de base tout en se rapprochant de l’autre ; ce rapproche-

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ment doit se faire des deux côtés même si, généralement, il est attenduuniquement du côté du migrant. C’est un rapprochement réciproquepour aboutir à un compromis acceptable pour tous, qui permet, d’unepart, d’éviter l’imposition aveugle de règles et de prévenir l’exclusion etla marginalisation du migrant et, d’autre part, de respecter l’empreinteidentitaire de l’intervenant. Dans la figure 7.1 (p. 173), les deux cadres deréférence qui se rapprochent simultanément pour se rencontrer dans unezone donnée (partie hachurée) illustrent bien ce processus.

Les intervenants sociaux peuvent faire cette démarche par eux-mêmes ou ils peuvent se faire aider par des médiateurs8, des « femmesrelais » (Bertaux et autres, 1996a), des associations qui interviennent dansles cas difficiles pour aider à la résolution de conflits de normes et devaleurs. Généralement d’origine migrante ou étudiants étrangers, cesmédiateurs se situent bien dans les deux cultures et facilitent le processusde recherche d’un espace commun, d’une médiation, seule voie pour évi-ter la violence symbolique où l’un impose ses normes et valeurs à l’autre.

Toutefois, puisque la médiation tend à apparaître, tant chez les déci-deurs que chez les acteurs de terrain, comme la solution miracle à l’inté-gration des populations migrantes et de leurs enfants, il est nécessaired’apporter à ce processus un certain nombre de précisions et de limites.

Les conditions de la médiation/négociation culturelle

Attardons-nous sur deux conditions importantes de la médiation/négo-ciation : le partenariat avec les populations migrantes et la méthodologiede travail.

Le partenariat avec les migrants est essentiel. De façon générale, on peutconstater que le recours à la médiation interculturelle n’est pas une modeéphémère ou une méthode d’intervention utilisée de façon ponctuellelorsque, par exemple, face à une situation difficile à traiter, l’intervenantsocial téléphone à une association qui propose un médiateur ou ils’adresse à un collègue de la même origine que la famille en difficulté etlui demande d’intervenir. En fait, la médiation/négociation s’insère dansun ensemble d’actions concertées par différents partenaires sociauxœuvrant sur un site donné avec, généralement, la participation des habi-tants du quartier, quelle que soit leur origine. Elle émerge de toute unedynamique d’actions sur le terrain, proche des besoins des populations etd’un travail en réseau qui reflète l’évolution actuelle de l’action sociale.Sans ce travail de complémentarité entre les acteurs de terrain et les béné-ficiaires, la médiation ne peut pas être utilisée sans risquer de décevoir.

De même, faire intervenir un médiateur dans une famille migrantedemande une méthodologie de travail en commun de la part de l’acteur dudomaine social ou éducatif et du médiateur. Cela implique un certain

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nombre d’étapes, depuis la phase de connaissance mutuelle et d’éclaircis-sement des modalités d’intervention propres à chacun jusqu’au bilan àfaire en commun à la fin de l’action et la récupération éventuelle de lasituation par l’intervenant social, en passant par la délimitation des rôlesrespectifs, la préparation de la venue du médiateur et la planification desrencontres pour faire le point sur l’évolution du travail. Sans cette métho-dologie très bien décrite et analysée par Blanchard (1998), on risque unéchec, ce qui est encore plus préjudiciable qu’un non-recours au média-teur, car la déception renforce les préjugés mutuels : les intervenantssociaux vus par les médiateurs sont « dans leur tour d’ivoire, méprisants,loin des familles ». Les médiateurs vus par les acteurs du champ socialsont « sans neutralité ni professionnalisme ».

Les trois types de médiation/négociation culturelle

Avant d’aborder les conditions de la médiation/négociation et pour évi-ter des confusions et amalgames, voici quelques précisions, certes nonexhaustives, concernant ce vaste sujet. Il faut différencier d’abord lamédiation formelle de la médiation spontanée ou naturelle. Tous les profes-sionnels du champ social et éducatif, tous les agents d’accueil, les anima-teurs se définissent comme faisant de la médiation en reliant usagers,habitants de quartier et familles avec les services et institutions del’endroit. Tous font de la médiation naturelle en informant sur les droits, enfacilitant l’accès aux services, en mobilisant les individus et les ressourcespour répondre à des besoins. Dans le cadre de l’approche interculturelle,on entre dans le domaine de la médiation formelle qui correspond à desdéfinitions bien précises.

Le premier type de médiation que nous avons isolé sur le terrain consisteà faciliter la communication et la compréhension entre des personnes decultures différentes, et à dissiper les malentendus inhérents à l’interactioninterculturelle entre les migrants et tous les acteurs chargés de leur inté-gration, malentendus qui constituent des obstacles à une pratique adé-quate, comme nous l’avons souligné plus haut. C’est un processus quipeut être lent et difficile, car il ne suffit pas de mettre les personnes autourd’une table ou de connaître la langue d’origine des familles et leur culturepour que se dissipent ces représentations ou attitudes que nous avonsdécrites plus haut, qui sont liées non seulement à des différences de codesculturels, mais aussi à des ressentiments qui s’ancrent dans l’histoire,l’économie et la politique. Il faut parfois de nombreuses rencontres, enparticulier avec ceux qui vivent de la dévalorisation et ont le sentimentd’être méprisés, pour réussir à établir la reconnaissance et le respect ; sansce préalable, le dialogue est impossible.

Le deuxième type de médiation intervient dans la résolution des conflitsde valeurs, que ces derniers se situent entre les familles migrantes et la

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société d’accueil ou au sein des familles passant par les processus d’accul-turation : conflits parents/enfants, anciens/jeunes, dans les couplespolygames (il s’en trouve en France ; ils sont issus de certaines ethniesafricaines) ou monogames. Dans ces cas, l’observation des interventionsdes médiateurs dans les familles en crise met en évidence la spécificité deleurs modalités d’action, très différentes de celles des intervenantssociaux. En effet, la séparation entre le privé et le public est beaucoupmoins stricte chez les médiateurs et ne passe pas par les mêmes domai-nes ; leur conception du secret professionnel ne recouvre pas les mêmescadres que ceux préconisés par la déontologie de l’intervenant social9.Pour le médiateur, la relation avec le client ne se fonde pas sur les mêmesprincipes que pour le professionnel de l’aide. Ces différences s’expliquentpar la double position du médiateur : il est « dedans » de par sa proximitéavec les usagers et « dehors » de par la mission dont il est chargé. Le pro-fessionnel, pour sa part, a toujours une position extérieure représentatived’une institution ou d’un organisme de la société d’accueil, ce qui estbeaucoup plus simple pour lui ; cependant, cela ne lui donne pas accès àla connaissance et à la capacité de dialogue qu’il aurait du dedans. Cesdifférences dans les modalités d’intervention peuvent être source demalentendus pour les travailleurs sociaux et éveiller chez eux une résis-tance à utiliser ce type de ressource. Se confirme là encore la nécessitéd’une méthodologie de travail.

Le troisième type de médiation consiste en un processus de transforma-tion des normes, voire de création de nouvelles normes, de nouvellesactions fondées sur des nouvelles relations entre les parties en présence,relations dans l’interdépendance, dans la coopération et non plus dansl’affrontement ou l’ignorance10.

Voici un exemple pour illustrer le type de négociation réalisé pardes acteurs du champ éducatif sans l’intervention d’un médiateur. ÀMontréal, dans une école maternelle située dans un quartier multieth-nique, on éprouvait à chaque rentrée scolaire de grandes difficultésdans l’accueil des nouveaux enfants : chaque jour, avec force pleurs etcris, les petits s’agrippaient aux parents pour ne pas s’en séparer. Lesinstitutrices étaient débordées et ne savaient plus quoi faire ; les parentsagglutinés à l’extérieur attendaient que le calme revienne... La direc-trice et son équipe ont donc pris la décision d’accepter la présence d’undes parents durant les 15 premiers jours d’école. Depuis, la rentrée sepasse dans le calme et l’harmonie, et les parents ne sont pas, comme onpouvait le craindre, une gêne pour les institutrices ; bien au contraire,ils leur facilitent la tâche. Ce type d’aménagement, qui va contre unrèglement général de non-présence des parents durant les heures declasse, demande de la créativité et une certaine mobilisation, en parti-culier de la part des responsables, pour convaincre une équipe et sur-tout des supérieurs de l’importance d’un tel changement, qui permet

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d’élaborer de nouveaux types de relations entre les parties en présenceet de rendre les migrants acteurs incontournables dans la résolutiondes problèmes qui les concernent.

Au Québec, un guide pratique à l’intention des gestionnaires d’éco-les, rédigé par Marie McAndrew (1994), incite les responsables à jouer cerôle de médiateur/négociateur et leur apporte des repères et des exem-ples de situations réelles pour les aider dans la prise de décisions relativeaux « accommodements raisonnables » qu’ils doivent trouver concernantles domaines où existe une opposition ou seulement une grande diffé-rence entre l’institution scolaire et les familles11. Le document insiste surcette démarche et prétend que c’est le seul moyen d’assurer l’intégrationen minimisant la discrimination systémique, celle qui existe dans l’orga-nisation du système scolaire fondé sur l’idéologie de la société d’accueil.Actuellement, une recherche et des séminaires de formation pour lesdirecteurs d’écoles sont en chantier.

Au Québec comme en Europe, la résolution des conflits de normeset de valeurs en milieu scolaire s’avère complexe ; se pose partout laquestion du difficile équilibre à trouver entre l’adaptation spécifiquedes migrants à un milieu et la promotion de certaines normes et valeurscommunes nécessaires à l’intégration et au succès scolaires, cela dans lerespect des droits et responsabilités de chacun au sein d’une sociétédémocratique.

Les limites de la médiation/négociation culturelle

Les limites de cette démarche se posent de différentes façons ; citons-entrois :

• La médiation/négociation n’est pas un remède miracle ; elle nepeut pallier les dysfonctionnements sociaux et l’inadéquation desinstitutions devant les besoins de certains types de populations ;

• Il y a des ambiguïtés concernant le statut des médiateurs enFrance : tout en les encourageant, on ne leur donne aucun statutni souvent même de salaire décent. Leur formation reste l’initia-tive des collectivités locales ;

• Les compétences et la formation des intervenants sociaux quichoisissent de négocier avec les familles sont essentielles. Celaexige, en plus d’une formation en approche interculturelle, descompétences particulières dans la négociation en général et dansla négociation culturelle en particulier. Le médiateur doit avoir lacapacité de trouver, par le dialogue et l’échange, un champ com-mun, un compromis entre des points de vue opposés. C’est unprocessus complexe qui implique une recherche au sein des deuxcodes en conflit, une précision de leurs frontières perméables

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comme de leurs barrières infranchissables afin de dégager unespace de rencontre et d’accord. Cette recherche nécessite desnotions de diverses disciplines : l’anthropologie, la philosophie,la psychosociologie, le droit. Voilà ouvert tout un champ derecherches !

Malgré ces limites, les expériences de médiation/négociation mon-trent : 1) qu’elles sont indispensables à l’intégration ; 2) qu’elles créent desespaces et des temps d’échange et de dialogue qui n’existaient pas aupa-ravant ; 3) que, grâce à elles, les migrants peuvent enfin se faire reconnaî-tre comme des acteurs inévitables de la vie sociale sans lesquels certainsproblèmes ne peuvent être résolus ; 4) qu’elles modifient la perception desagents du système social et de l’éducation par rapport aux familles et leurfont découvrir une autre approche d’intervention sociale qui est sourced’ouverture et d’enrichissement.

En conclusion, disons que la tolérance, la compréhension, le respectde l’autre comme être différent, le refus de vérités définitives sont diffici-les à établir. Cependant, ils demeurent très riches et constituent le fruitd’une éducation et de formations. Ils sont l’impératif de demain.

Notes

1. Ce chapitre a été publié en partie dans la revue Les Cahiers de l’ACTIF (Asso-ciation pour la formation, l’information et le conseil), Montpellier, mars etavril 1997, vol. 1, no 250, p. 19-30. Les nos 250 et 251 sont deux numéros spé-ciaux sur l’interculturel et le travail social.

2. Définition donnée par Zaïre Bedalouche lors d’une conférence sur l’intégra-tion à l’école dans le cadre d’une exposition sur le rôle de l’immigration enFrance depuis la fin du XIXe siècle (La Défense, Paris, 1992).

3. Les primo-arrivants sont ceux qui ont émigré depuis moins de deux ans.

4. Le terme « sens » doit être pris ici dans ses trois signifiés : 1) sur le plan cogni-tif : comprendre, expliquer, donner une signification ; 2) sur le plan sensoriel :une connaissance par les cinq organes des sens ; 3) sur le plan de l’orientationd’action, de la direction à prendre.

5. Cette définition a été empruntée à Abdallah-Pretceille (1985), mais nousl’avons adaptée à une approche psychosociale.

6. Ainsi, nous avons pu constater, en France, une plus grande intolérance chezcertains intervenants sociaux face à la pratique religieuse de leurs clients por-tugais, pour qui le rituel et les cérémonies à l’église sont très importants ; dansces situations, ces acteurs de terrain mettaient en scène leur révolte d’adoles-cent contre leur propre éducation catholique très contraignante.

7. Le choc culturel est défini comme une réaction de dépaysement, de frustra-tion, de rejet, de révolte et d’anxiété, en un mot une situation émotionnelle etintellectuelle qui apparaît chez les personnes qui, placées à l’occasion ou de

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par leur profession hors de leur contexte socioculturel, se trouvent engagéesdans l’approche de l’étranger (Cohen-Emerique, 1980, p. 28).

8. En France, les médiateurs se recrutent dans des populations variées : respon-sables d’associations, « femmes relais », généralement elles-mêmes immigréesou de deuxième génération, professionnels du domaine social, éducatif ou dela santé, soit d’origine étrangère soit ayant fait de longs séjours à l’étranger.L’Association pour le développement des relations interculturelles (ADRI)(Bertaux et autres, 1996b) a publié un « état des lieux » concernant les femmesrelais, qui illustre bien la multiplicité des sites et la variété des acteurs et desactions dans le domaine de la médiation interculturelle.

9. Souvent, les familles racontent au médiateur des choses qu’elles cachent auxintervenants sociaux. Le médiateur ne pourra en aucun cas les dévoiler, aurisque de perdre la confiance, non seulement de la famille mais de toute sacommunauté d’appartenance. Se pose alors la question suivante : comment leprofessionnel peut-il accepter le non-respect de la règle de la transparence àl’intérieur de son service ?

10. Ce troisième type de médiation sur le terrain correspond à l’une des défini-tions du Petit Robert : en philosophie, la médiation est le « processus créateurpar lequel on passe d’un terme initial à un terme final ». Cette définitionimplique l’idée d’une transformation, donc d’un processus dynamique actif,que l’on peut rapprocher du sens de médiateur chimique (substance libéréepar des fibres nerveuses et produisant un effet sur les cellules voisines).

11. Dans ce document très intéressant sont décrits les domaines dans lesquels ilexiste soit une très grande distance entre les familles et l’école, soit des con-flits, des oppositions potentielles entre l’institution scolaire et les familles. Cesdomaines sont les suivants : la conception de l’école et de l’apprentissage, lesprincipes concernant la discipline et les droits de l’enfant, le statut et les rôlesrespectifs des hommes et des femmes, les usages linguistiques ainsi que lerespect des prescriptions et des pratiques des religions autres que catholiqueet protestante, le problème du tchador, etc.

chap7.fm Page 184 Thursday, April 6, 2000 11:34 AM

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Chaire Concordia-UQAM en études ethniques

CAHIERS DES CONFÉRENCES ET SÉMINAIRES SCIENTIFIQUES

NO 6

IMMIGRATION ET INTÉGRATION:

VERS UN MODÈLE D'ACCULTURATION INTERACTIF

Richard Y. BOURHIS Céline Léna MOÏSE

Stéphane PERREAULT Département de psychologie

Université du Québec à Montréal, Canada et

Dominique LEPICQ Department of French

McMaster University, Ontario, Canada

Mars 1998 ISBN: 2-922361-09-8

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Immigration et Intégration : Vers un modèle d'acculturation interactif Richard Y. Bourhis Céline Léna Moise Stéphane Perreault Département de psychologie Université du Québec à Montréal, Canada et Dominique Lepicq Department of French McMaster University, Ontario, Canada Les auteurs tiennent à remercier les personnes suivantes pour leurs commentaires judicieux concernant des versions préliminaires de ce texte: Marie-José Azurmendi, John Berry, Raymond Breton, Rupert Brown, Richard Clément, Karine Delzors, Arndt Florack, Cindy Gallois, Denise Helly, Amélie Mummendey et Bernd Simon. Ce travail a été financé par le Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada (CRSH) et le Ministère Patrimoine Canada, Direction Multiculturalisme. Une version en anglais de ce texte a été publiée comme suit : Bourhis, R.Y., Moise, L.C., Perreault, S. & Senécal, S. (1997). Towards an interactive acculturation model: A social psychological approach. International Journal of Psychology, 32, 369-386. Un chapitre en allemand de ce texte a été publiée comme suit: Bourhis, R.Y., Moïse, L.C., Perreault, S. et Sénécal, S. (1997). Immigration und Multikulturalismus in Kanada: Die Entwicklung eines interaktiven Akkulturationsmodells. In A. Mummendey und B. Simon (Eds.) Identität und Verschiedenheit: Zur Social psychologie in Komplexen Gesellschaften (pp 63-107) Bern, Verlag Hans Huber. Des aspects de ce texte ont fait l'objet d'une présentation au 6ème congrès de l'Association pour la recherche interculturelle" (ARIC) qui s'est tenu à Montréal en mai 1996. Les commentaires concernant ce texte peuvent être adressés à: Richard Y. Bourhis, Département de Psychologie, Université du Québec à Montréal, C.P. 8888, succ. Centre-ville, Montréal, Québec, Canada, H3C 3P8. courriel : [email protected]

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Immigration et Intégration: vers un modèle d'acculturation interactif. Richard Y. Bourhis

Céline Moïse

Stéphane Perreault,

Université du Québec à Montréal, Canada

Dominique Lepicq

McMaster University, Ontario, Canada

L'objectif de ce texte de travail est de présenter un aperçu des politiques officielles et des enjeux

psycho-sociologiques de l'immigration et de l'intégration au Canada. La première partie présente une

typologie des différentes idéologies adoptées par les gouvernements de diverses nations pour résoudre

les défis du pluralisme ethnoculturel, notamment l'intégration des immigrants au sein de la communauté

d'accueil. Cette typologie servira à situer la politique officielle du Canada par rapport à celles adoptées

par les autres pays du monde occidental. La seconde partie présente une brève description de la

composition ethnique et démolinguistique du Canada. Cette section traite de la mise en place de la

politique canadienne de multiculturalisme afin de répondre aux enjeux du pluralisme culturel et ethnique

dans un pays du nouveau monde. La troisième partie propose une analyse psychologique des stratégies

d'acculturation adoptées par les vagues successives d'immigrants au Canada. Des critères d'ordre socio-

psychologique sont invoqués pour analyser les orientations d'acculturation des principaux groupes

d'immigrants sur le plan économique, linguistique, culturel et politique. Cette section aborde en outre les

orientations d'acculturation adoptées par les communautés d'accueil au Canada envers les immigrants de

première ou de seconde génération. La quatrième partie constitue une analyse socio-psychologique des

principaux modèles d'acculturation qui ont pour objectif de résoudre les problèmes posés par la diversité

ethnique et culturelle résultant du processus d'immigration. Le texte se termine par la présentation du

modèle d'acculturation interactif qui repose sur la dynamique des relations entre les orientations

d'acculturation des communautés d'accueil et des communautés immigrantes.

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1. Immigration et intégration

Pour gérer les questions d'immigration, les États souverains formulent des politiques officielles

que l'on peut regrouper selon deux catégories: les politiques d'immigration et les politiques d'intégration.

Les politiques d'immigration comportent des décisions concernant le nombre, le type et l'origine

nationale des immigrants admis dans le pays. Les politiques d'intégration portent sur les approches et les

mesures adoptées par les pouvoirs publics pour aider les immigrants à s'intégrer dans la société d'accueil.

Les politiques d'intégration peuvent aussi inclure des mesures permettant aux immigrants d'être mieux

acceptés par la communauté d'accueil. Bien que la plupart des pays mettent sur pied des politiques

d'immigration bien établies afin de contrôler le nombre et le type d'immigrants qui pénètrent sur leur

territoire national, tous ne formulent pas des politiques d'intégration en vue d'accélérer ou de faciliter

l'intégration des immigrants au sein de la société d'accueil. C'est souvent suite aux tensions et aux

affrontements entre membres de la communauté d'accueil et des communautés immigrantes que les

gouvernements sont amenés à envisager des mesures afin de rendre plus facile l'intégration des

immigrants. Dans certains cas, les politiques d'immigration et d'intégration concordent les unes avec les

autres tandis que dans d'autres, ces politiques n'ont qu'un lien assez flou ou peuvent même se contredire.

De prime abord, des mesures d'intégration destinées à renforcer des politiques d'immigration peuvent

paraître utiles pour faciliter l'adaptation requise à la fois par les communautés immigrantes et par les

communautés d'accueil en contexte multiethnique. Après un bref aperçu des éléments clés des politiques

d'immigration, nous exposerons quelques-unes des orientations idéologiques qui sous-tendent les

politiques d'intégration en vigueur dans divers États occidentaux.

1.1 Les politiques d'immigration

Comme le précise Helly (1992, 1993), les diverses idéologies qui motivent la façon dont les

États occidentaux articulent leur politique d'immigration dépendent de deux facteurs: a) les frontières

territoriales de l'État b) les contraintes à l'intérieur de l'État qui contribuent à préciser qui peut ou

devrait être considéré comme citoyen légitime de l'État.

Les limites géographiques de l'État correspondent à ses frontières internationales qui, à leur

tour, déterminent qui appartient à la catégorie "citoyen à part entière" et à la catégorie "étranger".

Selon l'article 1 de la convention de la Haye (1930), les élus d'un État souverain ont le droit de décider

s'il faut ouvrir ou fermer les frontières aux immigrants, de préciser le nombre et le type d'immigrants

que l'on peut admettre et d'adapter la politique d'immigration aux circonstances du moment (Kaplan,

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1993). L'État peut être favorable à l'immigration pour différentes raisons: par intérêt économique ou

social, pour des considérations d'ordre humanitaire, en raison de liens historiques avec les pays

d'émigration ou pour mieux contrôler ses propres frontières.

Selon Breton (1988), les contraintes internes ont trait à la question: qui sont et qui devraient

être les immigrants par rapport aux citoyens d'origine de la communauté d'accueil ? Sur les plans

juridique, social et économique, les immigrants peuvent être égaux aux membres de la communauté

d'accueil ou bien être considérés comme des résidents temporaires, des travailleurs migrants ou même

des étrangers indésirables (Hammar, 1985). Il peut arriver que les immigrants, de par leur présence en

tant que nouveaux-arrivants, jouent le rôle de catalyseurs à la redéfinition de l'identité collective de la

communauté d'accueil. L'afflux d'un nombre substantiel d'immigrants peut même remettre en question

les mythes fondateurs de l'État nation liés à l'homogénéité et l'unicité culturelle ou ethnique de la

communauté d'accueil d'origine. Ce questionnement peut amener à redéfinir le rôle de l'État dans la

promotion ou la défense de l'identité collective de la communauté d'accueil (Kymlicka, 1995, 1996).

Ainsi, la question suivante peut se poser: les fonds publics de l'État devraient-ils servir uniquement les

intérêts de la culture dominante, celle de la communauté d'accueil d'origine, ou devraient-ils contribuer

aussi au maintien de la langue et de la culture des minorités issues de l'immigration ? De par leur

présence, les immigrants peuvent donc susciter une remise en question du rôle de l'État dans la

définition et la promotion de l'identité collective de la "nation".

1.2 Les modèles d'intégration

Étant donnée l'augmentation considérable des mouvements migratoires de par le monde, il

serait utile d'identifier quelques-unes des prémisses idéologiques qui sous-tendent les politiques

d'intégration de divers États de droits du monde occidental. Ces politiques sont généralement conçues

pour créer les conditions nécessaires à l'intégration "réussie" des immigrants au sein du pays d'accueil.

Formulées généralement par les dirigeants élus des communautés d'accueil, ces politiques reflètent le plus

souvent l'orientation idéologique du groupe dominant, que ce soit en matière d'économie, de

démographie ou de politique. On constate qu'elles partent souvent du principe qu'il incombe aux

immigrants d'assumer la responsabilité de leur adaptation à la communauté d'accueil (Kymlicka, 1995).

Comme nous le verrons plus loin, on peut envisager d'autres solutions aux questions d'intégration. Alors

que l'analyse de ces questions relève souvent que des pouvoirs publics de la communauté d'accueil, des

concertations regroupant à la fois des représentants des communautés d'immigrants et de la

communauté d'accueil devraient permettre grâce à un processus de négociation de mieux définir en quoi

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consiste ou devrait consister une intégration "réussie" au sein de la société d'accueil.

Il se dégage quatre grandes tendances parmi les modèles d'intégration adoptés par les États de

droits envers les immigrants et les minorités ethnoculturelles. Comme on le voit à la Figure 1, ces

modèles peuvent se situer le long d'un continuum dont les pôles représentent l'idéologie pluraliste à une

extrémité et l'idéologie ethniste au pôle opposé. Bien évidemment, ces tendances ne sont pas

mutuellement exclusives. Comme le précise Driedger (1989), en ce qui concerne le cas du Canada, les

politiques officielles peuvent évoluer et donc se déplacer le long du continuum en fonction des

circonstances historiques, démographiques, économiques et politiques.

L'idéologie pluraliste. L'idéologie pluraliste présente des points communs avec la plupart des

autres modèles du continuum. L'État s'attend à ce que les immigrants respectent les lois du pays d'accueil

contenues dans les codes civil et criminel et adoptent les valeurs publiques formulées dans la Charte des

droits et libertés du pays d'accueil ou dans sa Constitution. Cette idéologie part du principe qu'il

n'incombe pas à l'État de définir ou de réglementer les valeurs privées de ses citoyens dont la liberté

individuelle doit être respectée. Par l'expression "valeurs privées", il faut entendre la non-ingérence de

l'État dans les sphères de la vie personnelle telles que les relations familiales, interpersonnelles et

associatives. Les valeurs privées comprennent l'engagement communautaire en rapport avec les

activités linguistiques et culturelles, les pratiques religieuses, la liberté d'association dans les domaines

politique, économique et récréatif. De telles activités demeurent sans contrôle étatique tant qu'elles se

conforment aux normes définies dans les codes civil et criminel.

Ce qui distingue l'idéologie pluraliste des autres orientations est que l'État consent, à la requête

des intéressés, à soutenir financièrement et socialement les activités culturelles, linguistiques et

religieuses de certains groupes y compris celles des communautés immigrantes de première et deuxième

génération. Dans cette optique, le pays d'accueil considère comme enrichissant pour l'identité nationale

que les immigrants et les communautés ethnoculturelles conservent leurs particularités culturelles,

linguistiques et religieuses. La valorisation de ce patrimoine identitaire conforte les communautés

immigrantes et facilite à long terme leur intégration à la communauté d'accueil. Un autre présupposé est

le suivant: étant donné que les immigrants tout comme les membres de la majorité d'accueil paient des

impôts, il est équitable que les fonds publiques de l'État profitent aux uns comme aux autres. Bien que ce

modèle valorise la diversité ethnoculturelle, ses détracteurs prétendent qu'il peut mettre en danger le

noyau stable de l'identité nationale qui justifie l'existence de l'État en tant que pays unifié. Un exemple

d'idéologie pluraliste est la politique multiculturelle du Canada qui accorde un appui financier aux

activités linguistiques et culturelles des immigrants et des communautés ethnoculturelles qui sollicitent

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les fonds de l'État (Fleras et Élliot, 1992; Drieger, 1996).

L'idéologie civique. L'idéologie civique partage deux caractéristiques importantes avec

l'idéologie pluraliste: a) l'obligation pour les immigrants de se conformer aux valeurs publiques du pays

d'accueil (codes civil et criminel; Charte des droits et libertés ou Constitution) et b) la non-ingérence de

l'État dans les valeurs privées des citoyens. Contrairement à l'idéologie multiculturelle, l'idéologie

civique part du principe qu'aucun fonds publics ou contribution de l'État ne peut servir au maintien ou à

la promotion des valeurs privées de groupes particuliers d'individus. Par conséquent, l'idéologie civique

est caractérisée par une politique officielle de non-intervention de l'État dans les valeurs privées des

groupes y compris les immigrants et les minorités ethnoculturelles. Toutefois, cette idéologie reconnaît

aux individus le droit de s'organiser socialement et financièrement afin de conserver ou de promouvoir

les particularités de leur groupe, qu'elles soient fondées sur une affiliation culturelle, linguistique,

ethnique ou religieuse.

L'idéologie civique est souvent basée sur les prémisses d'un État ethniquement et culturellement

homogène. Néanmoins, la plupart des États sont ethnoculturellement hétérogènes puisqu'ils sont

constitués non seulement d'une majorité nationale dominante mais aussi de groupes d'immigrants et de

minorités nationales d'origines ancestrales (Basques en France, Gallois en Grande Bretagne, Catalans en

Espagne, Autochtones au Canada). L'idéologie civique implique que l'État accorde son soutien

uniquement aux intérêts collectifs des individus qui appartiennent à la majorité dominante d'origine. En

revanche, peu de soutien de cette nature est accordé aux besoins collectifs des individus qui

appartiennent aux minorités nationales et aux groupes d'immigrants. Dans la mesure où elle pratique

une politique d'intégration non-interventionniste, la Grande-Bretagne a été considérée comme un

exemple de pays qui a adopté l'idéologie civique (Hammar, 1985). Dans un tel cas, l'intervention de

l'État se limite à faciliter une meilleure intégration des immigrants par l'adoption d'une série de lois anti-

discriminatoires (Schnapper, 1992). Dans le cas de ses minorités nationales, la Grande Bretagne a

récemment adopté une position plutôt pluraliste en instituant un parlement autonome en Écosse et en

délégant des pouvoirs régionnaux au Pays de Galle.

L'idéologie assimilatrice. A l'instar des idéologies pluraliste et civique, l'idéologie assimilatrice

repose sur le principe que les immigrants doivent se conformer aux valeurs publiques de la majorité

d'accueil. Bien que l'idéologie assimilatrice implique que l'État n'a pas à s'immiscer dans les valeurs

privées des citoyens, il n'en reste pas moins que celui-ci peut intervenir dans certains domaines qui

touchent aux valeurs privées. L'idéologie assimilatrice implique que les immigrants et les minorités

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nationales abandonnent leurs spécificités culturelle et linguistique au profit des valeurs du groupe

dominant qui a réussi à imposer sa langue, sa culture et son identité comme le principal mythe fondateur

de l'État- nation. Alors que certains pays comptent sur une assimilation linguistique et culturelle

volontaires et en douceur, d'autres États imposent l'assimilation au moyen de lois répressives envers les

minorités nationales et immigrantes. Une telle idéologie a plus de chance de réussir lorsque l'appareil

étatique sert les intérêts d'un seul groupe dominant à l'exclusion de groupes d'immigrants ou de certaines

minorités nationales. D'ordinaire, c'est le groupe ethnoculturel dominant économiquement et

politiquement qui réussit à imposer ses valeurs privées comme creuset des mythes fondateurs de l'État-

nation. L'idéologie assimilatrice a connu son heure de gloire à l'apogée de l'essor de l'État-nation au

19ème et début 20ème siècle.

Jusqu'au milieu du 20e siècle, les États-Unis, pays d'immigration du "nouveau monde",

constituaient un exemple d'idéologie assimilatrice. D'abord en tant que membres d'une colonie

britannique puis à titre de citoyens d'un État nouvellement souverain, les vagues successives

d'immigrants anglo-protestants réussirent à imposer leurs valeurs privées comme mythe fondateur de

l'idéal américain (individualisme à tout crin, libre entreprise, système capitaliste). La conformité aux

valeurs anglo-protestantes était le modèle d'assimilation proposé aux immigrants à leur entrée aux

États-Unis. Au tournant du siècle, le terme "melting pot" désignait le processus par lequel le mélange

des immigrants de différentes origines ethnoculturelles devait aboutir à l'émergence d'une nouvelle

culture américaine distincte. Étant donnée la persistance du modèle anglo-protestant, il est difficile de

savoir si une telle synthèse ou un tel syncrétisme a vraiment eu lieu (Driedger, 1989). L'idéologie

assimilatrice a présidé aux destinées de générations d'immigrants censés perdre leur spécificité

ethnoculturelle afin de s'assimiler aux valeurs dominantes du "melting pot". Toutefois, constatant que

les immigrants Asiatiques et Hispano-Américains des trente dernières années n'abdiquent pas facilement

leur héritage culturel, la politique d'intégration américaine a délaissé le modèle assimilateur et tend vers

le pôle pluraliste de notre continuum. Sans aller jusqu'au multiculturalisme et malgré des resacs vers

l'assimilation dans certains états de l'union (English only movement), la politique d'intégration

américaine se transforme graduellement vers l'option de l'idéologie civique (Noblet, 1993).

Une variante de l'idéologie assimilatrice est l'idéologie républicaine de la France. Au nom de son

mythe fondateur prônant l'égalité de tous ses citoyens, tel que stipulé dans les principes "universels" de

la Révolution française, la politique française a longtemps interdit les manifestations collectives de

différences linguistiques ou culturelles autres que celles de la majorité dominante (Citron, 1991). Les

différences linguistiques, culturelles ou religieuses, qu'elles soient le fait d'immigrants Maghrébins ou de

minorités nationales (Basques, Bretons, Corses) sont considérées comme une menace à la suprémacie de

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la république et à l'égalité des citoyens et par conséquent doivent être sacrifiées. En principe, cette

idéologie nie l'existence ou la légitimité des différences ethnoculturelles exprimées collectivement par

les immigrants et les minorités nationales (Sabatier & Berry, 1994). Ainsi, au cours des deux derniers

siècles, des lois françaises ont banni l'enseignement et l'utilisation des langues régionales telles que le

basque, le breton, le corse, le provençal et l'alsacien (Bourhis, 1982; Lodge 1993). Constatant les

lacunes de la politique républicaine dans le domaine de l'intégration des immigrants, certains cherchent

des options un peu plus tolérantes du coté des idéologies civiques et pluralistes (Touraine, 1996;

Wieviorka, 1996).

L'idéologie ethniste. Cette idéologie partage les deux premières caractéristiques de l'idéologie

assimilatrice, à savoir: a) les immigrants doivent adopter les valeurs publiques de la nation d'accueil

(codes civil et criminel, Charte des droits et libertés ou Constitution) b) l'État a le droit de limiter

l'expression de certaines valeurs privées, surtout celles des minorités nationales et immigrantes. Cette

idéologie implique que les immigrants abandonnent leur spécificité au profit des valeurs privées du

groupe dominant qui contrôle l'État-nation. Contrairement aux autres idéologies du continuum,

l'idéologie ethniste précise "qui peut" et "qui devrait être" citoyen de l'État en se basant sur des critères

d'appartenance souvent reliés à la notion de droit du sang (jus sanguinis; Kaplan,1993). Une des

caractéristiques de tels États est que la nation est définie comme constituée d'individus appartenant à un

groupe racial ou ethno-religieux spécifique tel que déterminé par la naissance et la filiation (ex.

Allemagne, Israël, Japon). De ce fait, les candidats à l'immigration sont obligés d'adopter les valeurs

privées des membres de souche de la communauté d'accueil mais se peuvent se voir refuser le droit d'être

acceptés comme citoyens à part entière du point de vue juridique ou social (soins de santé, éducation).

En outre, l'idéologie ethniste considère souvent certains groupes comme trop distants culturellement,

ethniquement ou religieusement pour être considérés comme des immigrants potentiels. De tels

immigrants sont considérés comme incapables de s'assimiler aux valeurs publiques et privées des

membres de souche de la communauté d'accueil, et donc leur intégration est perçue comme étant

improbable. Les pays qui adoptent une idéologie ethniste peuvent par conséquent adopter des lois

d'immigration qui excluent les immigrants originaires de certains pays du monde.

A l'heure actuelle, certaines caractéristiques importantes des lois d'immigration allemandes

fournissent un exemple de l'idéologie ethniste (Wilpert, 1993). Avant tout, la citoyenneté allemande

est réservée aux individus qui sont nés de parents allemands ou qui sont "d'appartenance ethnique

allemande" par les liens du sang (Schnapper, 1992). Ainsi, les immigrants qui n'ont pas de sang allemand

ne peuvent prétendre à la citoyenneté allemande sauf en cas d'exception. Durant les années 60 et 70,

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l'Allemagne a recruté des milliers d'immigrants turcs désignés sous le nom de "travailleurs invités" pour

fournir une main d'oeuvre bon marché à une économie en plein essor. En fait, l'étiquette "travailleur

invité" constitue une mesure d'exclusion assurant que de tels immigrants retournent éventuellement dans

leur pays d'origine sans avoir la possibilité d'obtenir le statut légal de citoyens allemands (Hammar,

1985). Une telle politique équivaut à la légitimation par le gouvernement de l'exclusion juridique et

sociale de certaines catégories d'individus considérés comme membres d'un exogroupe indésirable ou

inassimilable. Aujourd'hui, plus de 1.5 millions d'immigrants turcs de première et de deuxième génération

vivent en Allemagne dont moins de 15 000 ont obtenu la citoyenneté allemande par mesure

d'exception (Kaplan, 1993). Les effets de cette politique ethniste se font le plus sentir chez les Turcs de

seconde génération qui ont peu espoir de se voir accorder la citoyenneté allemande et qui peuvent

difficilement envisager un "retour" en Turquie devenue un "pays étranger" en raison de leur

enculturation dans la société allemande. Actuellement, les Turcs de seconde génération scolarisés en

Allemagne comparent leur sort à celui de milliers d'immigrants d'origine allemande en provenance de

l'Europe de l'Est à qui on accorde la citoyenneté quelques mois après leur entrée dans le pays. Bien que

connaissant mal la langue et la culture allemandes, de tels immigrants peuvent réclamer la citoyenneté

allemande en vertu de leur lien de sang qui peut remonter à plusieurs siècles (Peralva, 1994).

Selon les circonstances nationales et internationales, les politiques d'immigration et

d'intégration peuvent changer. Avec le temps, la politique d'intégration d'un gouvernement peut passer

d'une orientation ethniste à une orientation pluraliste. Dans les démocraties, les politiques

d'immigration et d'intégration reflètent souvent l'orientation idéologique la plus populaire dans les partis

politiques et dans la majorité de la population. Ainsi, dans un pays donné, il se peut que la majorité de la

population d'accueil soutienne l'idéologie assimilatrice tandis que l'idéologie civique recevra seulement

un soutien modéré et que l'idéologie ethniste aura la préférence d'une faible minorité. En outre, la

proportion des gens souscrivant à chacun des principaux courants idéologiques a des chances de se

modifier en fonction des événements économiques, démographiques et politiques qui se produisent à

l'intérieur de l'État ou sur la scène internationale. Par exemple, un flux continu de groupes d'immigrants

à l'intérieur d'une région spécifique du pays d'accueil peut influencer la proportion de la population

adhérant à chacune des orientations idéologiques du continuum (Figure 1). Finalement, il faut

reconnaître que les politiques gouvernementales sur les questions d'immigration et d'intégration peuvent

avoir du retard par rapport à l'opinion publique. Les politiques d'immigration et d'intégration du

gouvernement peuvent être plus ou moins progressistes par rapport aux opinions professées par la

majorité de la population. Dans la section suivante, nous analyserons le cas du Canada pour illustrer la

nature dynamique de ces changements idéologiques à l'égard des enjeux de l'immigration et de

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l'intégration.

2. Le multiculturalisme au Canada

Une image idéalisée mise en avant par l'État canadien est celle de la mosaïque culturelle;

autrement dit, la société d'accueil s'enrichit des apports culturel et linguistique des communautés

immigrantes qui, de ce fait, contribuent à la construction de l'identité canadienne. Ce portrait contraste

avec l'accent mis traditionnellement sur l'assimilation dans le cadre de la France républicaine ou du

creuset américain (Sabatier et Berry, 1994).

Le Canada est reconnu comme un État bilingue et multiculturel qui a enchâssé son orientation

pluraliste dans l'adoption de deux lois fondamentales: le bilinguisme et le multiculturalisme officiels. La

loi sur les langues officielles (1969, 1988) fut promulguée pour reconnaître au français et à l'anglais le

statut de langues officielles du Canada. Là où le nombre le justifie, la loi garantit aux Canadiens

anglophones et francophones l'enseignement (primaire, secondaire) et les services fédéraux dans les

deux langues officielles (Bourhis, 1994). Le bilinguisme officiel est considéré par beaucoup comme une

politique linguistique progressiste qui assure aux minorités francophones hors-Québec et aux minorités

anglophones au Québec le soutien institutionnel dont elles ont besoin pour maintenir leurs vitalités

linguistique et culturelle respective en tant que membres des "deux peuples fondateurs" du Canada

(Fortier, 1994). Toutefois, la politique de bilinguisme a été vivement critiquée sur un certain nombre de

points. Ainsi, selon certains, elle tend à polariser les rivalités entre les Anglophones et les

Francophones au Canada; elle n'a pas réussi à endiguer l'assimilation linguistique des Francophones hors-

Québec ni à freiner le déclin de la communauté anglophone au Québec; elle n'a pas ralenti la montée des

sentiments séparatistes au Québec et elle tendrait à minimiser la contribution des autochtones et des

immigrants à la société canadienne (de Vries, 1994; Edwards, 1994; Reid, 1993).

La loi du multiculturalisme adoptée en 1988 a été développée pour garantir aux Canadiens,

quelle que soit leur ethnicité, le droit: a) de garder leur spécificité culturelle b) d'être traité de façon égale

et de profiter des mêmes chances au sein de la société d'accueil c) d'être à l'abri de la discrimination

raciale (Fleras & Elliot, 1992). Le multiculturalisme canadien comme solution aux problèmes de

diversité culturelle est perçu de façon positive par beaucoup de spécialistes des questions de pluralisme à

(Kymlicka, 1995; Taylor, 1994). Malgré sa popularité, le multiculturalisme est la source de multiples

débats au Canada. Pour certains, c'est un moyen innovateur et efficace d'assurer l'intégration

harmonieuse des immigrants à la majorité d'accueil tout en enrichissant culturellement la société

canadienne (Berry et Laponce, 1994; Drieger, 1996). Selon d'autres, le multiculturalisme a donné lieu à

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une co-existence sans projet global chez des Canadiens dépourvus d'un noyau unificateur de valeurs et

d'aspirations nationales (Bibby, 1990; Bissoondath, 1994). Nous montrerons comment, d'un point de

vue historique, des facteurs démographiques, sociaux et politiques ont pu influencer les différentes

politiques mises en oeuvre par le gouvernement canadien pour gérer la diversité ethnoculturelle.

2.1 Démographie et questions d'immigration

On peut considérer la population du Canada comme étant constituée de quatre groupes

principaux: les autochtones (les premières nations), les Canadiens français, les Canadiens anglais et les

groupes ethniques dont les ancêtres ne sont ni britanniques, ni français (par exemple, Allemands,

Italiens, Ukrainiens, Chinois, Latino-américains).

Les groupes autochtones du Canada dont la population totale est de 470,615 selon le

recensement de 1991, représentent un peu plus que 2% de la population totale du Canada. On reconnaît

"le statut d'Indiens" aux groupes d'autochtones qui ont signés des traités avec les gouvernements blancs

depuis l'arrivée des immigrants Européens au Canada. Du point de vue juridique, 52% des autochtones

sont reconnus officiellement comme "Indiens de statut" par le gouvernement Canadien et relèvent de la

juridiction du Ministère des Affaires Indiennes (Driedger, 1996). Ceux à qui on ne reconnait pas ce

statut sont les Métis (22.5%), les Inuit (3.8%) et les "autres" autochtones (27%). Les questions

relatives aux premières nations du Canada sont traitées dans de multiples publications et ne peuvent être

abordées dans ce texte (Frideres, 1993).

Pour des raisons historiques, Les Canadiens français et les Canadiens anglais ont été reconnus

sous le nom de "peuples fondateurs" du Canada. La France a été l'une des premières nations coloniales à

occuper des territoires en Amérique du Nord au 16ème siècle. De ce fait, les descendants des colons

français en Nouvelle-France sont désignés comme membres d'un des deux peuples fondateurs du Canada.

Les rivalités franco-anglaises pour le contrôle du continent nord-américain ont abouti à la guerre de

sept ans qui s'est soldée par la victoire des Britanniques à Québec en 1759. Avec la signature du traité de

Paris en 1763, la France a cédé la Nouvelle-France à l'Angleterre.

Les Britanniques ont établi le système de la "Common Law" dans la colonie et ont consolidé

leur politique de peuplement dans ce qui allait devenir le "Dominion of Canada". A titre de descendants

des immigrants britanniques au Canada, les Canadiens anglais eux aussi furent considérés comme

membres d'un des deux peuples fondateurs du Canada. Vu son statut d'ancienne colonie britannique, il est

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inévitable que la majorité de la population canadienne soit constituée d'Anglophones d'origine

britannique à l'exception de la province de Québec où les Francophones sont restés majoritaires

(Bourhis, 1994, a,b). Le Tableau 1 démontre que l'anglais demeure la langue maternelle de la majorité

de la population canadienne (plus de 60%) en 1991; viennent ensuite les Francophones (24%) et en

troisième lieu ceux dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais, (les allophones: 13%).

Comme on le voit au Tableau 1, la proportion de Canadiens dont la langue maternelle est le français

n'a cessé de décliner au cours des dernières années alors que la proportion des Anglophones est en

progression. Comme on le verra par la suite, l'augmentation des Anglophones ne résulte pas d'une

immigration soutenue en provenance des Iles britanniques mais s'explique par l'assimilation linguistique

à l'anglais des allophones et des Canadiens français.

Les groupes ethniques autres que britanniques et français sont arrivés au Canada dans le cadre de

politiques d'immigration formulées par différents gouvernements appartenant à la majorité dominante

anglo-canadienne. Au temps de la confédération en 1871, alors que le dominion du Canada devenait plus

autonome vis-à-vis de la Grande-Bretagne, les Canadiens ayant des ancêtres d'origines britanniques ou

françaises formaient respectivement 61% et 31% de la population totale. Leur nombre a beaucoup

décliné depuis (Tableau 2). Au recensement de 1991, seulement 29% de la population canadienne se

déclarait d'origine britannique et 23% d'origine française. Comme nous le verrons plus tard, le déclin de

la population canadienne d'origine britanique a eu un effet majeur sur l'identité nationale des Canadiens

anglais.

En revanche, la proportion de la population se déclarant d'origine autre que britannique ou

française a augmenté de façon continue pour passer de 8% en 1871 à 48% en 1991. Il faut noter que

l'augmentation de la proportion des Canadiens d'origine ethnique autre que britannique ou française est

due en partie à des changements dans les méthodes de recensement qui ont été introduits dans les 10

dernières années. Ainsi, avant 1981, les citoyens canadiens ne pouvaient déclarer qu'une seule origine

ethnique, ce qui sous-estimait le nombre réel de Canadiens dont les origines étaient ethniquement

mixtes. Ultérieurement, des données sur les diverses origines ethniques ont été enregistrées dans le

recensement, expliquant en partie l'augmentation de la composante ethnique de la population

canadienne (Kralt, 1990). Néanmoins, les changements à long terme de la composition ethnique du

Canada ne peuvent s'expliquer uniquement par le changement dans les questions du recensement.

Au fil des ans, la politique du gouvernement concernant l'immigration a changé en raison de

facteurs économiques, politiques et internationaux. Depuis le début du siècle, la population du Canada

est passée d'un peu plus de 5 millions à plus de 27 millions en 1991. Dans les années 1990, plus de 10

millions de Canadiens étaient des immigrants dont 5 millions arrivés au Canada après la deuxième guerre

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mondiale. Cependant, depuis la guerre, près de deux millions de personnes ont quitté le Canada pour

émigrer dans d'autres pays, les États-Unis étant la destination la plus fréquente. Bien que la moyenne

annuelle de l'immigration au Canada ait été de 140 000 personnes, les chiffres fluctuent entre 47 000 en

1947 et 282 000 en 1957. Ces fluctuations suivent la courbe des périodes de prospérité (1954-1972) et

de stagnation économique (1979-1983). Les objectifs du gouvernement concernant les taux

d'immigration ont augmenté en 1986 pour atteindre 200 000 personnes par an en 1990 et 250 000 en

1994. Malgré un taux de chômage de 11%, le gouvernement canadien a annoncé en 1994 que son

objectif d'immigration visait près de 1% de la population canadienne par an pour les 5 prochaines

années (270,000 immigrants par année). Ce taux d'immigration est jugé nécessaire pour maintenir le

niveau actuel de la population canadienne compte tenu du déclin des naissances et du taux d'émigration.

Par contre, les difficultés économiques du Canada durant ces dernières années ont forcé le

gouvernement canadien à réduire le taux d'immigration à environ 0.7% de la population Canadienne par

année.

Vu la popularité du Canada comme pays d'immigration, le gouvernement canadien est en mesure

d'adopter des politiques d'immigration qui conviennent à ses besoins économiques, sociaux et

démographiques. Avant et juste après la 2ème guerre mondiale, les critères de sélection des immigrants

visaient à ce que la composition ethnique de la population canadienne demeure stable, c'est-à-dire

blanche, protestante et originaire de l'Europe de l'Ouest (Burnet et Palmer, 1988). Graduellement, les

critères se sont assouplis pour inclure des ressortissants de l'Europe de l'Est afin de peupler l'Ouest du

Canada tandis que des visas spéciaux étaient requis pour les immigrants chinois et indo-pakistanais selon

des quotas prévus par le gouvernement. Ces mesures reflètent l'orientation fondamentalement raciste de

la politique d'immigration du gouvernement canadien de l'époque (Driedger, 1996). L'essor économique

d'après-guerre a entraîné des besoins accrus en main d'oeuvre et donc une plus grande immigration. Bien

qu'au départ la préférence fût accordée aux immigrants du Nord et du Centre de l'Europe perçus comme

culturellement proches de la majorité anglo-canadienne dominante, une proportion plus importante

d'immigrants originaires de l'Est et du Sud de l'Europe fut acceptée au Canada dans les années 1940 et

1950.

En 1962, le gouvernement canadien changea ses lois d'immigration en supprimant la sélection

basée sur des critères raciaux. En 1967, un système de points fut mis en vigueur pour que les candidats à

l'immigration soient admis indépendamment de l'origine ethnique ou de l'affiliation religieuse. Quatre

catégories d'immigrants furent définies selon leurs objectifs d'immigration: le regroupement familial, les

réfugiés, les entrepreneurs et les indépendants. Jusqu'à récemment, les deux catégories: regroupement

familial et réfugiés comptaient pour 65% des immigrants acceptés au Canada tandis que les catégories

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indépendants et entrepreneurs incluaient moins de 35% des immigrants. Encore aujourd'hui le système

de points ne s'applique qu'à ces deux dernières catégories. Ces immigrants sont acceptés s'ils totalisent

un certain nombre de points sur des caractéristiques telles que: le niveau d'instruction, la durée de la

formation professionnelle, la disponibilité des postes dans l'expertise professionnelle de l'immigrant,

une offre d'emploi ferme, les années d'expérience professionnelle, l'âge, la maîtrise de l'une ou des deux

langues officielles du Canada, le fait d'avoir de la parenté de citoyenneté canadienne. Dans le cas de la

catégorie entrepreneur, il s'agit aussi de fournir des justificatifs financiers pour monter une entreprise

(Segal, 1994).

Comme on peut le voir au Tableau 3, 25 ans après la mise en place de cette politique

d'immigration, la composition ethnique de la population immigrante au Canada a radicalement changé.

Ainsi, la proportion d'immigrants en provenance des pays européens est passée de 64% en 1968 à 20%

en 1991. En revanche, la proportion des immigrants en provenance des pays asiatiques est passée de

13% en 1968 à 53% en 1991. Outre ses effets sur la composition ethnique de la population canadienne,

les nouvelles lois d'immigration ont forcé le gouvernement à réorienter ses choix idéologiques en faveur

du pluralisme au sein d'une société de plus en plus multiethnique.

2.2 L'adoption d'une politique multiculturelle

En ce qui concerne les modèles d'intégration, l'idéologie raciste d'exclusion des années 1930 et

1940 fit place, à partir des années 50, à une idéologie assimilatrice selon laquelle les immigrants étaient

censés adopter les valeurs publiques et privées de la majorité d'accueil anglo-canadienne (Fleras & Elliot,

1992). En dépit des pressions assimilatrices de la société d'accueil, les immigrants se sont groupés en

associations selon leur origine et ont soutenu leur propre presse ethnique. Ces groupes d'immigrants ont

milité auprès des commissions scolaires pour qu'elles engagent plus de professeurs d'origine ethnique et

pour que le curriculum reflète la composition multiculturelle des élèves. Dans certains cas, la réticence

des autorités scolaires anglo-canadiennes à s'adapter au pluralisme a abouti à la création d'écoles

ethniques privées (Burnet et Palmer, 1988).

En plus de ces pressions de la part des groupes d'immigrants, d'autres événements politiques ont

incité le gouvernement canadien à modifier sa politique d'intégration à l'égard des immigrants. Ainsi,

dans les années 60, les francophones québécois ont exprimé ouvertement leur mécontentement à l'égard

du contrôle par les anglo-canadiens des affaires politiques et économiques du Canada. La montée du

nationalisme au Québec a bouleversé le statut-quo fédéral-provincial en menaçant l'unité canadienne.

Les nationalistes québécois ont plaidé en faveur de la création d'un État québécois souverain comme

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moyen de regagner le contrôle de leur propre destinée collective et de sauvegarder le sort du dernier

territoire de langue et de culture françaises en Amérique du Nord (Bourhis, 1994b). Afin de neutraliser

ces menaces, le gouvernement fédéral instaura en 1963 la Commission royale d'enquête sur le

bilinguisme et le biculturalisme chargée d'enquêter et de rédiger un rapport sur la situation du bilinguisme

et du biculturalisme au Canada. La Commission devait recommander quelles mesures prendre pour

rétablir la Confédération canadienne sur la base d'un partenariat plus équitable entre les deux peuples

fondateurs tout en tenant compte de la contribution des "autres" groupes ethniques à l'enrichissement

culturel du Canada.

Dans son essence, le rapport réaffirmait le statut des deux peuples fondateurs du Canada et

proposait une série de mesures pour améliorer le statut du français dans l'administration du

gouvernement fédéral. Ces mesures visant à mettre sur un pied d'égalité le statut des deux langues

officielles du Canada ont abouti aux lois sur les langues officielles de 1969 et 1988 (Fortier, 1994).

Cependant, certains groupes ethniques tels que les Ukrainiens et les Allemands de l'Ouest du Canada

(Manitoba, Saskatchewan, Alberta) se sentirent lésés par le statut national et officiel accordé aux

francophones dont le nombre était considérablement réduit dans les provinces de l'Ouest (Fleras et

Élliott, 1992). Compte tenu de telles rivalités ainsi que de la croissance de la population multiethnique

du Canada, la Commission royale proposa que l'existence des groupes ethniques non mentionnés dans la

Charte soit reconnue officiellement et qu'ils soient mieux intégrés en tant qu'acteurs à part entière au

sein des institutions canadiennes. Ces recommandations furent promptement adoptées par le premier

Ministre Trudeau qui, en 1971, proposa le multiculturalisme comme politique officielle du Canada:

"Le point de vue de la Commission royale partagé par le gouvernement

et, j'en suis sûr, par tous les Canadiens est qu'il ne peut y avoir une politique culturelle pour les Canadiens d'ascendance britannique et française, une autre pour les peuples autochtones et enfin une troisième pour tous les autres. Car, bien qu'il y ait deux langues officielles, il n'y a pas de culture officielle et ainsi, aucun groupe ethnique n'a droit de préséance sur un autre. Aucun citoyen ou groupe de citoyens n'est autre que canadien et tous devraient être traités de façon égale." (déclaration du premier Ministre, P.E. Trudeau à la Chambre des Communes le 8 octobre 1971).

Un élément clé de la politique multiculturelle reposait sur d'importantes prémisses socio-

psychologiques. Cette politique partait du principe que si les individus se sentaient peu menacés dans leur

identité culturelle, ils respecteraient à leur tour les aspirations identitaires des autres groupes ethniques

canadiens. En somme, le fait d'avoir une identité sociale positive et bien définie favoriserait l'harmonie

interculturelle (Bourhis & Gagnon, 1994). On supposait donc que l'harmonie intergroupe pouvait être

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facilitée en encourageant les contacts suivis et équilibrés entre des individus sûrs de leur identité

ethnoculturelle respective (Hewstone & Brown, 1986). Dans le cadre du multiculturalisme canadien,

aucun groupe ethnique n'aurait droit de préséance sur un autre. Pour appliquer cette politique, le

gouvernement devait s'assurer que les groupes ethniques puissent participer de plein droit et

équitablement aux institutions publiques fédérales. La diversité culturelle était de mise dans la mesure où

les membres des groupes ethniques étaient conviés à maintenir et à développer des éléments précis de

leur langue et culture d'origine. Finalement, le gouvernement s'engageait à améliorer l'accès des services

gouvernementaux aux groupes ethniques et à faciliter l'acquisition des deux langues officielles.

En 1972, un observatoire du multiculturalisme fut créé pour aider à la mise en oeuvre de

politiques et programmes de multiculturalisme en rapport avec le maintien des langues et des cultures

d'origines, our prêter main forte aux minorités ethniques dans les secteurs des droits de l'homme, de la

lutte contre la discrimination et pour offrir des services adaptés aux immigrants. Un Ministère du

Multiculturalisme fut créé en 1973 pour superviser et coordonner le bon fonctionnement des services de

multiculturalisme dans différents secteurs gouvernementaux. En outre, des organismes tels que le Conseil

consultatif canadien sur le multiculturalisme furent institués pour servir de lien entre les groupes

ethniques et le gouvernement. En 1983, le Conseil fut rebaptisé Conseil ethnoculturel canadien et

restructuré afin de mieux veiller aux besoins de plus de 35 associations nationales représentant plus de

100 groupes ethniques à travers le Canada.

La politique de multiculturalisme ne cherchait pas seulement à résoudre les problèmes qui se

posaient aux immigrants et aux minorités ethniques mais servait aussi d'instrument à la majorité anglo-

canadienne pour aider à la reconstruction de son identité nationale. En plus de combler le vide laissé par

la disparition de la conformité aux valeurs anglo-protestantes comme principe unificateur du

nationalisme canadien, le multiculturalisme avait l'avantage de démarquer l'identité nationale

canadienne de l'influence prépondérante de la culture anglo-américaine avec son idéologie du "melting-

pot" (Fleras et Élliott, 1992). Toutefois, aux yeux des Canadiens français et surtout des Québécois, la

politique de multiculturalisme représentait une atteinte à la notion des deux peuples fondateurs du

Canada. Les Francophones du Québec considéraient cette politique comme une tentative du

gouvernement fédéral de reléguer les Canadiens français au rang de simple minorité culturelle "comme

les autres" au Canada (Burnet, 1981; Driedger, 1996). En conséquence, la politique d'intégration du

gouvernement du Québec fut conçue séparément en adoptant plutôt une orientation civique compte

tenu du double statut de la communauté d'accueil francophone du Québec: majoritaire à l'échelle de la

province, minoritaire à l'échelle du Canada et de l'Amérique du Nord (Bourhis, 1994b). L'exemple

Canada-Québec illustre la façon dont chaque niveau de gouvernement adopte une politique d'intégration

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pertinente au contexte spécifique à chaque juridiction alors que les deux politiques sont appliquées

simultanément dans le contexte du Québec (Pietrantonio, Juteau & McAndrew, 1996).

A l'origine, la politique de multiculturalisme fut conçue pour servir les besoins des immigrants

dont la majorité était originaire de l'Europe de l'Est et de l'Ouest. Elle faisait l'éloge de la diversité en

prêtant son concours à des manifestations culturelles telles que des festivals, des classes de langues

d'origine et des activités culturelles dans le domaine des arts, du théâtre et de la musique. Cependant,

cette politique devint désuète à la fin des années 1970 lorsque, suite au changement des lois

d'immigration, la palette ethnique des nouveaux immigrants au Canada commença à se transformer

(Tableaux 2 et 3). L'afflux d'immigrants appartenant à des minorités visibles originaires d'Asie et des

Caraïbes remit en question les priorités de la politique d'intégration originale. L'argument selon lequel

l'intégration sociale des immigrants et l'harmonie intergroupe pouvaient être facilitées par la

reconnaissance de la diversité culturelle des communautés immigrantes devait être révisé. Les

immigrants récents appartenant à des minorités visibles étaient confrontés à des problèmes de

discrimination dans les domaines du logement, de l'emploi et même de l'éducation. Au milieu des années

1980, des programmes tels que "Affirmative action" furent mis sur pied pour régler les problèmes de

discrimination dans les domaines du logement et de l'emploi. Ces problèmes sociaux aboutirent à une

révision de la politique multiculturelle d'intégration (Fleras & Elliot, 1992).

En 1988, le Canada devint le premier pays du monde à adopter une loi officielle de

multiculturalisme. La nouvelle loi reconnaissait le multiculturalisme comme une caractéristique

fondamentale de la société canadienne garantissant que les individus puissent maintenir leur culture et

leur langue d'origine tout en ayant le droit de participer de façon égale à toutes les sphères de la vie

canadienne (Fleras & Elliot, 1992). Les nouvelles priorités de la loi étaient axées sur: a) l'élimination du

racisme et de la discrimination contre les minorités visibles, b) l'encouragement de la participation des

communautés ethnoculturelles à l'économie et aux institutions fédérales, c) la promotion d'un système

éducatif qui reflète la diversité ethnique canadienne et qui aide à éliminer les stéréotypes tout en

facilitant l'accès aux institutions d'enseignement à tous les étudiants quelle que soit leur origine d) la

possibilité pour les femmes immigrantes et les minorités visibles d'exploiter leur potentiel et enfin e)

l'encouragement de la radiodiffusion multiculturelle au Canada.

En 1990, le comité consultatif canadien sur le multiculturalisme fut formé pour faciliter

l'application de la loi de 1988 sur le multiculturalisme dans l'enseignement public et grâce à des

programmes communautaires. De 1972 jusqu'à maintenant, le budget du gouvernement fédéral pour le

soutien de ces diverses politiques multiculturelles s'est chiffré à une moyenne de 20 à 26 millions de

dollars par an. L'application des divers programmes de la loi sur le multiculturalisme est toujours de mise

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mais comme pour les autres ministères fédéraux, le budget a subi des coupures depuis 1995.

Nous avons vu que l'adoption de la politique multiculturelle au Canada a été influencée par des

facteurs historiques, politiques et démographiques y compris par des changements dans la politique

d'immigration. Au cours de ce siècle, la politique d'intégration canadienne à l'égard de l'immigration et

de la diversité ethnique est passée d'une orientation ethniste à une idéologie assimilatrice puis a amorcé

un changement radical en adoptant une idéologie pluraliste. Il est important de préciser que les

politiques d'immigration et d'intégration canadiennes ont été la cible de diverses critiques. L'immigration

des minorités visibles a donné lieu à des récriminations croissantes dans différents segments de la

population d'accueil canadienne. Certains observateurs ont aussi critiqué la métaphore de la mosaïque,

symbole de l'idéologie multiculturelle (Bibby, 1990; Bissoondath, 1994). Bien que le gouvernement

canadien se soit officiellement engagé dans la voie de l'idéologie multiculturelle, dans les faits, des forces

assimilatrices sont encore à l'oeuvre. La politique multiculturelle canadienne représente une version

idéalisée de la réalité au Canada sans constituer pour autant un reflet tout à fait fidèle de cette réalité.

Ainsi, quand les nouveaux immigrants arrivent au pays, ils apprennent que, bien que le multiculturalisme

ait force de loi, les attitudes à l'égard de la diversité ethnique varient selon les secteurs de la communauté

d'accueil canadienne. Comme nous le verrons dans la troisième partie, la politique d'intégration

officielle est parfois bien différente de la réalité telle que vécue par les immigrants eux-même.

3. Les stratégies d'intégration: le choix des immigrants et des communautés d'accueil

Les politiques d'immigration et d'intégration canadiennes n'ont pas été conçues uniquement par

les politiciens et les décideurs du gouvernement représentant la majorité anglo-canadienne dominante

(Reitz, 1980). Comme le propose la Figure 1, des opinions exprimées par la majorité d'accueil et par

les minorités immigrantes ont aussi été décisives dans la formulation des politiques officielles

concernant les questions d'immigration et d'intégration. Cette troisième partie présentera une vue

d'ensemble des études traitant des stratégies d'intégration adoptées par les groupes d'immigrants et par

les communautés d'accueil au Canada.

3.1 Les stratégies d'intégration des immigrants

Dans la première partie de cette section, nous donnerons un aperçu des processus d'intégration

adoptés par les immigrants canadiens dans certains secteurs clés, à savoir les domaines juridique,

économique, linguistique, politique et culturel. Ces cinq domaines d'intégration sont interdépendants:

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l'intégration dans l'un pouvant favoriser l'intégration dans l'autre.

Au Canada, l'intégration juridique a des chances de précéder et de faciliter l'intégration

économique, politique et culturelle. On ne s'attardera pas sur les questions d'ordre juridique puisque les

immigrants acceptés au Canada reçoivent le statut de citoyen à part entière après seulement trois ans de

résidence au pays (Segal, 1994). La citoyenneté inclut le droit de vote et le droit de se présenter aux

élections municipales, provinciales et nationales. Dans d'autres pays, des tensions entre les immigrants

et la majorité d'accueil dans chacun des domaines d'intégration peuvent survenir lorsque le pays d'accueil

refuse aux immigrants la citoyenneté à part entière. Par exemple, en Allemagne, l'intégration des

immigrants qui ne sont pas de sang allemand pose un certain nombre de problèmes puisqu'on leur refuse

la citoyenneté allemande et le droit de vote, même s'il s'agit de résidents de seconde et troisième

génération (Peralva,1994). Cette exclusion juridique retarde l'intégration politique surtout des

immigrants non originaires de la Communauté Européenne (Turquie; pays de l'Est; Wilpert, 1993).

L'intégration juridique des immigrants est un peu moins problématique en France puisque les immigrants

de seconde génération qui en font la demande à partir de l'âge de 18 ans peuvent éventuellement obtenir

la citoyenneté française (Sabatier & Berry, 1994; Schnapper, 1993).

Intégration économique. L'intégration économique évaluée selon la capacité d'un immigrant

d'accéder à des revenus et à une mobilité sociale comparables à ceux des citoyens nés au Canada varie

quelque peu d'un groupe à l'autre. En raison de facteurs liés à l'historique de l'immigration, le statut

d'entrée et les revenus des immigrants peuvent différer d'un groupe à l'autre (Reitz, 1980). Les groupes

d'immigrants qui ont un niveau élevé d'instruction et une grande expertise professionnelle bénéficient

d'un statut d'entrée à la hauteur de leurs compétences dans la société canadienne. De tels immigrants ont

accès à des emplois prestigieux et à des salaires élevés souvent comparables à ceux des Canadiens

majoritaires de même statut socio-professionnel (Breton, Isajiw, Kalbach & Reitz, 1990). En revanche,

les groupes d'immigrants dont le niveau d'instruction et l'expertise professionnelle sont inférieurs à la

moyenne canadienne tendent à avoir un statut d'entrée inférieur dans la société canadienne. La

ségrégation professionnelle est aussi un facteur susceptible d'affecter le niveau des revenus et le statut

professionnel de certains groupes d'immigrants tels que les Italiens dans les années 1950 (Reitz, 1980)

et les immigrants de certaines minorités visibles dans les années 80 et 90 (Breton et al, 1990).

Cependant, le statut professionnel n'est pas le seul déterminant du succès économique. Par exemple, les

Italo-Canadiens qui jusqu'à maintenant constituent l'un des groupes d'immigrants les plus importants du

Canada ont atteint un statut assez élevé en terme de revenus économiques et de niveau de vie malgré

leur ségrégation professionnelle dans certains domaines d'emploi. En mettant en commun leurs

ressources économiques, les membres de ce groupe ont réussi à avoir la mainmise sur un large secteur de

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l'industrie de la construction au Canada, secteur où ils étaient originellement cantonnés au rang

d'ouvriers non-spécialisés dans les années 50.

Bien que l'intégration économique varie d'un groupe d'immigrants à l'autre, quelques grandes

tendances se dessinent d'après les données des recensements. Ces tendances suggèrent que l'intégration

économique dépend de l'ancienneté des groupes d'immigrants dans le pays d'accueil. Les groupes

d'immigrants plus anciennement établis ont plus de chances de se hisser au niveau d'intégration

économique de la communauté d'accueil que les groupes d'implantation plus récente. Au fur et à mesure

que les immigrants se familiarisent avec le système canadien, leurs capacités d'améliorer leur situation

économique augmentent. Les données des recensements montrent que plus les immigrants acquièrent

d'expérience professionnelle sur le sol canadien, plus ils ont de chances d'accéder à des revenus et à une

mobilité professionnelle comparables à ceux des travailleurs nés au Canada et possédant un niveau

d'instruction et d'expérience professionnelle équivalents (Palmer, 1991). En outre, le statut d'entrée des

parents immigrants ne semble pas limiter la mobilité économique de leurs enfants nés au Canada.

L'accès généralisé à l'enseignement supérieur au Canada permet aux immigrants Canadiens de seconde

génération de connaître des chances de mobilité économique comparables à celles de la population

d'accueil (Breton et al, 1990). En résumé, les résultats des recensements et enquêtes portant sur les

immigrants européens indiquent que l'intégration économique peut être réalisée par la première

génération pour beaucoup de groupes d'immigrants selon les circonstances précises de leur migration et

qu'elle est réalisée par la seconde génération dans la plupart des cas.

Intégration linguistique. Une maîtrise insuffisante de la langue officielle du pays d'accueil peut

confiner les immigrants à des types d'emploi caractérisés par la ségrégation ethnique, des salaires bas et

des perspectives d'avancement limitées. Une compétence limitée de la langue officielle du pays d'accueil

peut aussi ralentir ou entraver l'intégration économique, politique et culturelle des immigrants de

première génération. L'apprentissage de l'anglais ou du français est une stratégie d'intégration

linguistique adoptée par la plupart des immigrants de première génération qui désirent entrer sur le

marché du travail au Canada. Les politiciens à la fois dans les provinces anglophones et au Québec

reconnaissent l'importance de faciliter l'intégration linguistique des immigrants en subventionnant

partiellement ou entièrement des cours d'anglais ou de français selon le cas (Bourhis, 1987, 1994b). Il

n'en reste pas moins que les immigrants qui ne font pas partie des actifs dans le monde du travail tels que

les femmes immigrantes issues de cultures traditionnelles ainsi que les immigrants cantonnés à un

environnement de travail marqué par la ségrégation ethnique ont moins de chances que les autres de

parvenir à l'intégration linguistique en tant qu'immigrants de première génération au Canada.

Puisque la plupart des immigrants finissent par apprendre l'une des deux langues officielles pour

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des raisons utilitaires, la connaissance et l'utilisation de la langue d'origine peuvent renseigner sur les

stratégies d'intégration linguistique des immigrants de première et deuxième génération dont la langue

maternelle n'est ni le français ni l'anglais (les allophones). Au Canada, les résultats des recensements

récents montrent que la connaissance de la langue d'origine passe de 70% pour les immigrants de

première génération à 40% pour la seconde génération et à 10% pour la troisième génération (Bourhis,

1987). Ces pertes de la langue d'origine surviennent en dépit des succès enregistrés par les programmes

de langue d'origine subventionnés par des fonds privés ou publics et établis dans beaucoup d'écoles

primaires et secondaires à travers le Canada (Cummins, 1994).

Une enquête à l'échelle canadienne sur les attitudes envers les langues d'origine montre que bien

que plus de 70% des immigrants de première et de seconde génération soient en faveur du maintien de la

langue d'origine, la moitié d'entre eux estiment que l'enseignement de ces langues devrait être financé

par les familles immigrantes et par les communautés ethniques. L'autre moitié estime que cet

enseignement devrait dépendre des fonds publics dans les écoles primaires et secondaires (O'Bryan Reitz

et Kuplowska, 1976; Bourhis, 1987). Il n'en reste pas moins que les données du recensement indiquent

une déperdition de la connaissance et de l'usage de la langue d'origine d'une génération d'immigrants à

l'autre (Weinfeld, 1994). Une récente étude effectuée à Toronto montre qu'au stade de la troisième

génération, la connaissance de la langue d'origine ne répond pas à des objectifs utilitaires mais remplit

une fonction symbolique de maintien de l'identité (Breton et al, 1990). Les immigrants font d'ordinaire

usage de leur langue d'origine à la maison, avec la parenté et occasionnellement sur les lieux de travail

surtout s'il s'agit d'un environnement marqué par la ségrégation ethnique. D'après les résultats du

recensement de 1986, 48% des immigrants de première génération au Canada anglais utilisent encore

leur langue d'origine comme seule langue d'usage au foyer contre 68% des immigrants installés au

Québec. Cette différence de maintien de la langue d'origine à la maison est même plus accentuée dans le

cas des immigrants de seconde génération au Canada anglophone (34%) et au Québec (63%; Paillé,

1991). Cette différence fondamentale entre le Québec et le reste du Canada en ce qui concerne le

maintien de la langue d'origine au foyer peut s'expliquer en partie par le fait qu'au Québec le pouvoir

d'attraction de l'anglais comme langue des affaires et de la mobilité sociale en Amérique du Nord est

concurrencé par le français, langue de la majorité francophone de cette province mais aussi langue

officielle du Québec (Bourhis, 1994b). Pour les immigrants du Québec, ces forces antagonistes rendent

d'autant plus attirant le maintien de leur langue et de leur culture d'origine. Contrairement à ceux qui

immigrent au Canada anglais, les immigrants au Québec voient aussi l'avantage de maîtriser à la fois le

français et l'anglais.

Intégration culturelle. Les intégrations linguistique et culturelle vont nécessairement de pair bien

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que les caractéristiques culturelles soient plus diversifiées et puissent servir à distinguer les immigrants

des membres de la communauté d'accueil longtemps après leur assimilation sur le plan linguistique.

Toutefois, dans la mesure où la langue est le vecteur d'une grande partie de l'héritage culturel des groupes

d'immigrants, la perte de la langue d'origine signifie généralement que l'assimilation à la culture d'accueil

progresse. Les domaines de spécificité culturelle des immigrants peuvent inclure: la littérature, la

musique, les arts plastiques et dramatiques, les activités religieuses, les activités récréatives et sportives,

les traditions culinaires, la production et la possession d'artisanat culturel et les coutumes vestimentaires.

Parmi les autres particularismes culturels, citons les valeurs, les liens de parenté, les types de relations

interpersonnelles, les habitudes de travail et les associations communautaires. Les processus

d'intégration culturelle des immigrants peuvent aller du maintien total de chacun de ces domaines

culturels au biculturalisme qui combine le maintien de certaines caractéristiques de la culture d'origine et

l'adoption d'un certain nombre de caractéristiques culturelles de la majorité d'accueil. L'assimilation

culturelle intégrale signifierait le remplacement de tous les traits culturels des immigrants par ceux de la

majorité d'accueil.

Les recherches sur le maintien de la culture d'origine des immigrants au Canada montrent que

plus la cohésion du groupe immigrant est forte, plus les membres auront tendance à s'identifier à leur

propre groupe, à interagir entre eux, à conserver leur héritage culturel et à favoriser l'endogamie (Reitz,

1980). D'ordinaire, la cohésion ethnique est plus forte parmi les immigrants de première génération que

parmi ceux de seconde et troisième génération (Herberg, 1989). Même parmi les immigrants de

première génération, la durée de résidence dans le pays d'accueil atténue l'identification au groupe

d'origine bien que des liens avec le réseau immigrant puissent persister. Par conséquent, avec le temps,

les immigrants deviennent des membres passifs de leur groupe d'origine et participent de moins en

moins aux activités de leur groupe ethnique.

Au Canada, la cohésion ethnique des immigrants tend à décroître le plus entre la première et la

seconde génération (Reitz, 1980). Le symbole de la cohésion ethnique qui a tendance à s'effriter le

premier est la connaissance et l'usage de la langue d'origine (Herberg, 1989). Cependant, si l'on constate

un déclin de la connaissance de la langue d'origine, il n'y a pas nécessairement disparition totale de la

plupart des autres symboles d'identification culturelle d'une génération à l'autre. Parmi les symboles qui

subissent une régression importante de la première à la seconde génération, citons l'identification

ethnique, l'affiliation religieuse à caractère ethnique, l'endogamie, la ségrégation résidentielle (Breton et

al, 1990). Les données canadiennes suggèrent que les liens entre membres du même groupe ethnique

s'affaiblissent un peu moins entre la seconde et la troisième génération qu'entre la première et la

seconde génération. Il existerait peut-être un effet de plateau dans la tendance au déclin de la

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communauté d'origine. Ce phénomène identifié par Hansen (1962) est souvent décrit comme une

résurgence de l'ethnicité à la troisième génération. Néanmoins, la plupart des chercheurs admettent que

cet intérêt de la part des membres de la troisième génération pour la culture d'origine est plus

symbolique que concrète et pragmatique (Breton et al, 1990). Ces derniers sont plus curieux des valeurs

symboliques de leur culture d'origine que motivés par le désir d'établir des liens personnels avec leur

groupe ethnique ou d'apprendre leur langue d'origine (Fishman, 1991). Au Canada, la cohésion ethnique

est plus forte chez les groupes d'immigrants plus récemment arrivés tels que les Européens du Sud et les

minorités visibles des pays en voie de développement. Cependant, même en tenant compte de la durée

de résidence dans le pays d'accueil, certains groupes d'immigrants tels que les Européens de l'Est

semblent maintenir une plus forte cohésion que d'autres. Toutefois, les recherches indiquent que le

déclin de la cohésion ethnique est le plus accentué entre la première et la seconde génération chez la

plupart des groupes d'origine européenne.

Intégration politique. Le droit de vote aux niveaux municipal, provincial et national pour tous

les immigrants qui obtiennent la citoyenneté canadienne après trois ans de résidence sur le territoire est

une mesure qui contribue grandement à l'intégration politique des immigrants à la société d'accueil

canadienne. Par ailleurs, les recherches de Reitz (1980) ont démontré que la participation à la vie

politique canadienne y compris l'adhésion aux partis politiques est fonction de l'identification ethnique

et de la cohésion sociale d'un groupe d'immigrants. Les immigrants qui maintiennent des liens étroits

avec leur groupe ethnique sont moins enclins à participer à la vie politique canadienne que ceux qui ont

négligé de tels liens. Compte tenu de la faiblesse de leurs liens ethniques, les immigrants de seconde et

troisième génération sont plus susceptibles de participer activement à la politique canadienne que les

immigrants de première génération (Burnet et Palmer, 1988). Toutefois, même chez les immigrants de

seconde et troisième génération, ceux qui s'identifient fortement à leur groupe ethnique sont moins

enclins à participer activement à la politique canadienne que ceux qui s'identifient faiblement à leur

groupe ethnique (Reitz, 1980). De plus, l'effet est plus important pour les immigrants qui sont

relativement en marge de la société d'accueil. Au sein de groupes marginalisés tels que les Européens du

Sud et les minorités visibles, l'identification ethnique entrave la participation politique à la société

canadienne. Selon Reitz (1980), cette situation est due au fait que la discrimination sociale à l'encontre

des Européens du Sud et des minorités visibles les pousse à se marginaliser politiquement et socialement.

Cette marginalisation affaiblit l'identification aux institutions canadiennes et réduit l'engagement des

immigrants dans la vie politique. En revanche, les Européens de l'Est qui bénéficient d'un statut d'entrée

élevé dans la société canadienne participent davantage aux débats politiques en cours que les Européens

du Sud ou les minorités visibles. Chez les Européens de l'Est, une forte identification au groupe ethnique

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ne gêne pas la participation active à la vie politique canadienne.

Ce survol reflète principalement les stratégies d'intégration adoptées par les Européens de race

blanche et d'immigration plus ancienne au Canada. Cependant, les immigrants des minorités visibles

originaires des pays en voie de développement constituent maintenant la majorité des nouveaux venus

qui accèdent à la citoyenneté canadienne (Tableau 3). Il est vrai aussi que la vaste majorité des

immigrants récents sont concentrés dans trois des plus grandes villes du Canada, à savoir, Toronto,

Montréal et Vancouver, ce qui met en relief les enjeux d'intégration des immigrants dans la vie urbaine

des Canadiens et Québécois (Tableau 4). Des recherches sur les stratégies d'intégration d'immigrants

récents originaires de l'Asie, d'Amérique latine, des Antilles et d'Afrique sont en cours.

Il est peu problable que les immigrants des minorités visibles adoptent exactement les mêmes

stratégies d'intégration que leurs prédécesseurs européens pour au moins deux raisons. Tout d'abord, leur

arrivée au Canada coïncide avec la mise en vigueur de la politique multiculturelle du Gouvernement

canadien. Ceci a facilité la création et le maintien d'associations ethniques subventionnées par le

gouvernement et devant servir les besoins des immigrants dans un contexte qui reconnaît officiellement

la valeur et l'utilité de la diversité ethnoculturelle. En deuxième lieu, la majorité des immigrants récents

tendent à former des minorités visibles (Asiatiques, Antillais, Africains) facilement identifiables comme

telles par la société d'accueil. Vu le legs des conflits entre l'Europe et les pays en voie de développement

durant la période coloniale et étant donné que les groupes d'immigrants les plus visibles (noirs et

asiatiques) ont été représentés de façon négative dans l'histoire européenne, de tels immigrants sont la

cible facile de préjugés et de discrimination au Canada. Il est vrai aussi que la politique d'immigration

canadienne qui favorise le regroupement familial et l'aide aux réfugiés a contribué à assigner un statut

d'entrée inférieur à certains membres des minorités visibles dont le niveau d'instruction et l'expérience

professionnelle sont beaucoup moins élevés que ceux d'immigrants admis à titre d'indépendants selon le

système de points qui est beaucoup plus exigeant. Le faible niveau du statut d'entrée de certains

immigrants de minorités visibles les rend encore plus vulnérables à la discrimination sur le plan du

logement et de l'emploi (Breton et al, 1990; Bourhis et Gagnon, 1994). Par conséquent, les immigrants

des minorités visibles et les associations ethniques ont consacré leur énergie à lutter contre la

discrimination dans le logement et l'emploi. Comme nous l'avons vu plus haut, la politique

multiculturelle est de plus en plus engagée dans la lutte contre la discrimination et dans la promotion de

l'harmonie interethnique plutôt que dans les programmes de maintien de l'identité ethnoculturelle des

immigrants de première ou deuxième génération. Hormis l'impact de ces deux facteurs, il est probable

qu'à la longue, les immigrants récents adopteront des stratégies d'intégration économiques, linguistiques,

culturelles et politiques apparentées à celles des immigrants européens plus anciennement établis.

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3.2 Les orientations d'intégration des immigrants: résultats des études

Berry, Kalin et Taylor (1977) ont effectué la première enquête d'envergure nationale sur les

attitudes des immigrants et des communautés d'accueil à l'égard du multiculturalisme au Canada. Les

résultats obtenus auprès des groupes d'immigrants de première et seconde génération à travers le Canada

révèlent un soutien généralisé à l'égard de la politique de multiculturalisme, certains groupes ethniques y

étant cependant plus favorables que d'autres. Bien que les minorités immigrantes et ethniques souhaitent

maintenir leur propre héritage ethnoculturel ainsi que celui des autres groupes ethniques à travers le

Canada, ils reconnaissent la nécessité de s'adapter à la culture de la majorité d'accueil.

Des études récentes ont montré que le soutien le plus fort au maintien de la culture d'origine

était manifesté par les groupes d'immigrants européens et les groupes minoritaires ethniques tels que les

Grecs (Lambert, Mermigis & Taylor, 1986) et les Juifs (Taylor, Moghaddam & Tchoryk-Pelletier,

1990). En revanche, certains groupes de minorités visibles étaient moins enclins à favoriser le maintien

de leur culture d'origine, à savoir les immigrants de première génération originaires d'Inde, d'Haiti,

d'Amérique du Sud et du Vietnam (Moghaddam, Taylor & Lalonde, 1989; Taylor et al, 1990).

L'ambivalence de ces groupes face au maintien des spécificités culturelles tient précisément au fait que la

rétention culturelle renforce leur statut déjà stigmatisé de minorité visible au sein du Canada.

A l'aide de son propre modèle sur les attitudes des immigrants à l'égard de l'acculturation, John

Berry et ses collègues (Berry 1980, Berry et al, 1989) ont entrepris de comparer les stratégies

d'intégration culturelle de différents groupes d'immigrants d'origine européenne et de minorités visibles

au Canada. D'après Berry (1984), les immigrants peuvent choisir l'une des quatre stratégies

d'acculturation suivantes selon qu'ils maintiennent leur culture d'origine ou qu'ils adoptent la culture de la

majorité d'accueil: l'assimilation, l'intégration, la séparation et la marginalisation. Les immigrants qui

adoptent la stratégie d'assimilation abandonnent pour l'essentiel leur propre spécificité culturelle au

profit de la culture de la majorité d'accueil. La stratégie d'intégration reflète le désir de maintenir les

caractéristiques essentielles de sa culture d'origine tout en adoptant certains aspects de la culture de la

majorité d'accueil. La stratégie d'intégration reflète les traits principaux de l'idéologie multiculturelle

adoptée par le Canada. La stratégie de séparation est définie par le désir de maintenir tous les aspects de

la culture d'origine tout en refusant d'établir des liens avec les membres de la culture de la majorité

d'accueil. Enfin, la marginalisation caractérise les individus qui rejettent à la fois leur propre culture

d'origine et celle de la communauté d'accueil et qui, de ce fait, se privent de contacts avec chacune des

deux. Ces stratégies d'acculturation peuvent être caractéristiques d'individus ou de groupes d'immigrants

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de même origine culturelle ou nationale.

Des échelles d'évaluation élaborées par Berry et al. (1989) sont utilisées pour identifier les

stratégies d'acculturation préférées par les immigrants de différentes origines. Ces échelles ont été

utilisées avec une variété de groupes d'immigrants de première génération à savoir des Portugais, des

Hongrois, des Coréens (Berry & al. 1989) ainsi que des Libanais (Sayegh & Lasry, 1993) et des Iraniens

(Berry & Krishnan, 1992). Les résultats obtenus avec chacun de ces groupes d'immigrants montrent que

l'intégration est le mode d'acculturation préféré, suivi soit de l'assimilation ou de la séparation alors que

la marginalisation est le mode d'acculturation le moins prisé. Selon Berry et al (1989), la préférence

pour l'intégration comme mode d'acculturation indique que l'idéologie pluraliste du multiculturalisme

correspond véritablement aux aspirations de beaucoup d'immigrants canadiens.

3.3 Les stratégies d'intégration de la communauté d'accueil

Au tournant du siècle, les stratégies d'intégration préconisées par les législateurs canadiens

étaient manifestement assimilatrices à l'égard des immigrants européens et racistes à l'égard des quelques

noirs et asiatiques acceptés dans le pays. Les politiques officielles d'alors reflétaient les attitudes de la

majorité anglo-canadienne vis-à-vis des immigrants de minorités visibles (Reitz, 1980). Une idéologie

fondamentalement ethniste prédominait à l'époque et il était courant d'admettre que les groupes raciaux

présentaient de grandes différences de capacité intellectuelle et de disposition d'esprit. Le degré de

préjugé et de discrimination à l'encontre des immigrants de différentes origines ethniques était

proportionnel à la distance culturelle et phénotypique perçue entre les membres de la majorité d'accueil

et les minorités immigrantes. Les Européens du Nord tels que les Allemands, les Hollandais et les

Scandinaves qui furent parmi les premiers immigrants à s'établir au Canada éprouvèrent le moins de

discrimination de la part des Anglo-Canadiens (Driedger, 1989). En fait, les Européens du Nord étaient

perçus positivement par la communauté d'accueil anglo-canadienne comme en témoigne cette citation

d'Harold Potter à propos des immigrants d'origine britanique, allemande et hollandaise:

"Les membres de ces trois groupes linguistiques ...sont physiquement

interchangeables...Ils ont les mêmes standard de propreté personnelle et domestique. Au niveau social le plus élevé, ils s'habillent de la même façon et apprécient les mêmes activités récréatives. Ils pratiquent la religion chrétienne et valorisent beaucoup les manifestations religieuses. De toute évidence, de tels groupes ethniques sont bien accueillis au Canada et ils prospèrent peu de temps après leur installation ici." (Potter, 1965).

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En revanche, durant toute la première moitié de ce siècle, les Anglo-canadiens se montrèrent

beaucoup moins tolérants à l'égard des immigrants originaires de l'Europe de l'Est et du Sud. Ces derniers

étaient dépeints en termes négatifs et perçus comme étant aptes uniquement à des emplois subalternes

(Reitz, 1980). Bien que la politique du gouvernement ait eu pour objectif d'assimiler les immigrants

originaires de l'Europe de l'Est et du Sud, les portraits négatifs de ces immigrants faisaient d'eux la cible

fréquente de discrimination sociale de la part de la communauté d'accueil.

Toutefois, historiquement, les attitudes des Canadiens d'origines vis-à-vis des immigrants ont

été les plus négatives à l'égard des groupes de minorités visibles tels que les noirs et les asiatiques (Berry

et al. 1977; Drieger, 1989; Burnet & Palmer, 1988). Jusqu' à maintenant, surtout pour ce qui est des

noirs, ces minorités visibles combinent tous les attributs susceptibles de faire d'eux la proie facile de la

discrimination sociale. Ils sont physiquement différents de la majorité d'accueil et en vertu de la

politique d'immigration canadienne (réunification familiale), ils ont un statut socio-professionnel

d'entrée plutôt bas dans la société d'accueil. La disparition progressive des lois d'immigration restrictives

à l'égard des noirs et des asiatiques à la fin des années 60 a coïncidé avec une plus grande ouverture à

l'égard des minorités visibles parmi les éléments progressistes de la communauté d'accueil. Quoique la

discrimination institutionnalisée à l'encontre des minorités visibles ait été éliminée de la plupart des

secteurs de la vie publique depuis les années 60, la discrimination sociale de la part des Canadiens

moyens à l'égard des minorités visibles telles que les noirs et les Indo-Pakistanais demeure une réalité

dans les années 90 (Berry & Kalin, 1995).

La plupart des études empiriques effectuées depuis les années 70 afin d'évaluer les attitudes du

Canadien moyen à l'égard de différents groupes d'immigrants ont abouti à des résultats semblables. En

général, les immigrants d'origine européenne sont perçus de façon plus favorable sur les traits de statut

et de personnalité que les asiatiques qui reçoivent des évaluations intermédiaires, les noirs et les Indo-

Pakistanais recevant les évaluations les plus négatives (Berry & Kalin, 1995; Berry, Kalin & Taylor,

1977; Kalin & Berry, 1994; Tchoryk-Pelletier, 1989; Pineo, 1977). En outre, beaucoup de ces études

montrent que les attitudes des Anglo-Canadiens à l'égard des immigrants sont en général plus positives

que celles des Canadiens français (Berry et al. 1977; Berry & Kalin, 1995; White & Curtis, 1990).

D'après l'enquête nationale de Berry et al. (1977) sur le multiculturalisme, les Anglo-Canadiens

et les immigrants sont plus favorables à l'idéologie multiculturelle que les Francophones interrogés dans

toutes les régions du Canada y compris le Québec. Comment les Canadiens perçoivent-ils les

conséquences de la politique multiculturelle sur la diversité culturelle et l'harmonie intergroupe du

Canada ? Les résultats de l'étude de Berry et al. (1977) montrent que les Anglo-Canadiens et les

immigrants ont une perception plus positive de cette politique que les Canadiens français. De plus, les

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Canadiens français plus que les Canadiens anglais et les immigrants estiment que la politique de

multiculturalisme risque d'affaiblir leur position sociale au Canada. Toutefois, à la fois les Anglophones

et les Francophones dont le revenu et le niveau d'instruction sont faibles expriment des sentiments

négatifs à l'égard du multiculturalisme et sont moins enclins à y souscrire. Il faut préciser qu'en général,

les Canadiens français de l'étude se sentent plus vulnérables économiquement et culturellement que les

Canadiens anglais et par conséquent sont moins bien disposés à l'égard du multiculturalisme et de ses

programmes que les Anglo-Canadiens.

En ce qui concerne l'enseignement des langues d'origine, les résultats de l'enquête de Berry et al.

(1977) montrent qu'à la fois les Canadiens anglophones et francophones sont plutôt favorables à

l'enseignement des langues d'origine après les heures d'école ou le week-end mais plutôt défavorables à ce

même enseignement durant les heures de classe régulières. Les résultats, dans leur ensemble, indiquent

que les Canadiens français sont moins favorables à l'enseignement des langues d'origine que les Canadiens

anglais. En outre, les Francophones sont plus opposés au fait de payer des impôts pour les programmes

de multiculturalisme que les Anglophones et les immigrants qui sont plus modérés dans leur opposition.

Enfin, selon une échelle utilisée pour évaluer le degré d'ethnocentrisme, les répondants anglophones et

les immigrants ont moins de tendances ethnocentriques que les Canadiens français.

Comment expliquer le fait que les Canadiens français, incluant les Québécois francophones,

soient moins bien disposés à l'égard des immigrants et moins favorables à l'idéologie multiculturelle que

les Canadiens anglais et les groupes d'immigrants? Après avoir réexaminé les résultats d'études

existantes, Lambert et Curtis (1983) ont proposé l'idée que les Francophones sont effectivement moins

tolérants à l'égard de certains immigrants non-francophones dans la mesure où ceux-ci sont perçus

comme une menace à la survie du fait français au Canada. Tout comme Berry et al. (1977), Lambert et

Curtis (1983) ont montré que plus les niveaux d'instruction et de revenus étaient élevés à la fois chez les

Canadiens anglophones et francophones, plus les répondants étaient tolérants et mieux ils acceptaient

les immigrants et les cultures minoritaires. Cependant, des différences entre les Canadiens anglophones

et francophones subsistent même en contrôlant le niveau de revenus et d'instruction (White & Curtis,

1990). Des insécurités linguistiques et culturelles à l'égard de groupes précis d'immigrants se font jour à la

fois chez les Canadiens francophones et anglophones. Lambert et Curtis (1983) ont trouvé que les

Francophones étaient dans l'ensemble plus opposés à l'immigration et surtout à l'immigration en

provenance de pays non-francophones que les Anglo-Canadiens. En revanche, les Anglo-Canadiens ont

plus tendance à s'opposer à l'immigration en provenance des Antilles, de l'Inde et du Pakistan que les

Canadiens francophones. Les Canadiens anglophones sont plus préoccupés que les Canadiens

francophones par la présence d'immigrants de minorités visibles et par les questions raciales. Grâce à

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une récente étude réalisée au Québec, Bolduc et Fortin (1990) ont pu confirmer que les attitudes des

Francophones du Québec à l'égard de l'immigration et du multiculturalisme peuvent s'expliquer par des

variables liées non seulement à l'instruction et au statut professionnel mais aussi à la conviction que

certains groupes d'immigrants non francophones constituent une menace à la survie du français au

Québec (Bourhis, 1994b; Bourhis & Gagnon, 1994).

En conclusion, la politique de multiculturalisme semble être l'orientation d'intégration la plus

prisée à la fois des Anglo-Canadiens et des groupes d'immigrants tandis qu'elle reçoit moins de soutien de

la part des Francophones. Des enquêtes récentes effectuées à travers tout le Canada ont montré que plus

de 60% des Canadiens sont en faveur des éléments clés de la politique multiculturelle tout en étant d'avis

que les immigrants doivent aussi s'efforcer de s'adapter et de s'intégrer à la société d'accueil canadienne

(Berry & Kalin, 1995). Cependant, ces enquêtes suggèrent l'existence de disparités régionales marquées

dans les attitudes à l'égard du multiculturalisme, les Francophones du Québec étant moins favorables à

cette politique alors qu'une forte hostilité à l'égard du multiculturalisme se manifeste chez les

Anglophones dans les provinces de l'ouest canadien.

4. La psychologie sociale des orientations d'acculturation

Notre étude du cas canadien a montré que les immigrants de diverses origines ethniques peuvent

adopter différentes orientations d'intégration à la société d'accueil. Les orientations d'intégration des

immigrants peuvent aussi varier selon les domaines considérés à savoir les sphères économique,

linguistique, culturelle et politique. De même, les réactions de la majorité d'accueil envers les immigrants

diffèrent non seulement selon les époques mais aussi selon l'origine ethnique des groupes d'immigrants

en question. Selon la période ou l'origine des immigrants, les orientations d'intégration de la

communauté d'accueil peuvent aller de l'acceptation totale au rejet complet. D'ailleurs, ces orientations

peuvent refléter plus ou moins les politiques officielles du gouvernement qui, comme nous l'avons

constaté, peuvent passer du pluralisme à l'idéologie ethniste ou l'inverse (Figure 1). Comme nous

l'avons vu, certains membres de la communauté d'accueil peuvent être mieux disposés à l'égard des

courants d'immigration que d'autres: les Canadiens anglophones et francophones plus instruits et qui ont

une situation socio-économique confortable ont des attitudes plus favorables envers les immigrants que

ceux qui ne jouissent pas des mêmes avantages. L'origine ethnique et régionale des membres de la

communauté d'accueil peut aussi influencer leurs réactions envers certains groupes d'immigrants. Ainsi,

en raison de leur propre insécurité sur le plan linguistique, les Francophones du Canada sont moins bien

disposés envers les immigrants non-francophones que les Anglo-Canadiens. Par conséquent, l'exemple

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du Canada illustre la dynamique de l'interaction qui s'instaure entre les communautés d'accueil et les

immigrants. Un bref survol de la littérature montre par ailleurs que la nature dynamique de ces relations

est l'aspect le plus négligé des modèles existants concernant l'adaptation des immigrants à leur pays

d'accueil. Par conséquent, cette dernière section proposera un modèle plus dynamique des orientations

d'intégration des immigrants et de la communauté d'accueil: le modèle d'acculturation interactif (MAI,

Bourhis et al. 1996; 1997a,b).

L'immigration implique normalement un processus d'adaptation de la part du groupe migrant

aussi bien que de la communauté d'accueil. Les anthropologues ont proposé le concept d'acculturation

pour décrire le processus de changement bidirectionnel qui se produit lorsque deux groupes

ethnoculturels se trouvent en contact l'un avec l'autre. Aux États-Unis, le Conseil de recherche en

sciences sociales (SSRC, 1954) a proposé la définition suivante de l'acculturation: "l'acculturation peut

être définie comme un changement culturel qui se produit sous l'effet combiné de deux ou de plus de

deux systèmes culturels autonomes."

Le concept a été raffiné par Graves (1967) qui fait la distinction entre l'acculturation telle que

définie par le SSRC au niveau sociologique et l'acculturation psychologique, c'est-à-dire les changements

vécus par un individu dont le groupe culturel est collectivement en voie d'acculturation. Selon Berry

(1990), cette acculturation psychologique correspond plus exactement à l'expérience des immigrants

puisqu'il s'agit du "processus par lequel les individus changent, à la fois sous l'effet du contact avec une

autre culture et du fait qu'ils participent aux changements acculturatifs collectifs à l'oeuvre dans leur

propre culture" (p. 235). Différents modèles ont été proposés pour rendre compte des orientations

d'acculturation des immigrants.

4.1 Le modèle d'assimilation unidimensionnel

Le modèle d'assimilation unidimensionnel sert à décrire les changements culturels vécus par les

immigrants à l'aide d'un continuum avec d'un côté le maintien de la culture d'origine et de l'autre

l'adoption de la culture d'accueil, d'ordinaire aux dépens de la culture d'origine (Gordon, 1964). Le point

médian sur ce continuum représenterait le biculturalisme qui consiste pour l'immigrant à conserver

certains traits de sa culture d'origine tout en adoptant des éléments clés de la culture d'accueil. Le

biculturalisme n'est qu'une étape transitoire puisque le modèle implique que l'assimilation comporte

inévitablement le passage du maintien de la culture d'origine de l'immigrant à l'adoption totale de la

culture d'accueil (Gordon, 1964; Lambert et al. 1986; Goldlust & Richmond, 1974). L'assimilation a été

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associée à des concepts tels que "le melting-pot américain", "l'école de Chicago", "la conformité anglo-

saxonne" et "l'amalgame". Le concept d'assimilation désigne les efforts déployés par les immigrants

pour s'adapter à la culture d'accueil dominante afin de devenir membres légitimes de la majorité et

s'intégrer à la structure existante de la société d'accueil (Woldmikael, 1987). Dans cette perspective, les

problèmes d'adaptation des immigrants sont considérés comme étant de leur propre ressort et c'est à eux

qu'incombe la responsabilité de l'échec ou du succès de leur assimilation à la société d'accueil (Glazer &

Moynihan, 1970). Cette optique part du principe que le processus par lequel les immigrants sont

absorbés dans la société d'accueil en est un à sens unique.

Un autre principe sous-jacent au modèle d'assimilation est que les relations de pouvoir et de

statut entre la majorité d'accueil et les groupes immigrants sont généralement à l'avantage de la

communauté d'accueil. Le modèle d'assimilation américain situe implicitement les immigrants au bas de

la structure de classes qui se retrouve dans la plupart des sociétés stratifiées. Pour ce qui est de la vitalité

ethnolinguistique des groupes, il est clair que les immigrants jouissent généralement d'un niveau de

vitalité moindre que les membres majoritaires du pays d'accueil. La vitalité d'un groupe ethnoculturel est

ce qui donne à ce groupe la capacité d'agir en tant que collectivité distincte dans une situation

intergroupe donnée (Giles, Bourhis & Taylor, 1977). Or, en tant que groupe numériquement

minoritaire, les immigrants n'ont pas le même statut ni le même degré de contrôle institutionnel que la

majorité d'accueil dans des domaines tels que l'éducation, les mass media, les services sociaux, la santée,

le commerce, l'industrie, la finance et les administrations civiles (Harwood, Giles & Bourhis, 1994;

Sachdev & Bourhis, 1990, 1993). Par conséquent, ce sont souvent les immigrants qui sentent

l'obligation de faire le plus d'efforts pour s'assimiler à la culture dominante de la majorité d'accueil.

Toutefois, dans l'histoire de la colonisation, il s'avère que des immigrants européens jouissant d'une

supériorité technologique et militaire ont souvent réussi à assujettir les membres de la société d'accueil.

Bien que ce modèle unidimensionnel serve à rendre compte de l'adaptation des immigrants

depuis des décennies, il tient peu compte de l'impact que peut avoir la présence d'immigrants sur la

majorité d'accueil (Taft, 1953). Comme le précisent Sayegh et Lasry (1993), il est difficile "d'imaginer

une société d'accueil qui ne subisse pas de changements une fois que les immigrants sont devenus des

membres à part entière des réseaux sociaux et institutionnels de cette société" (p.99).

4.2 Modèles bidimensionnels d'acculturation

Les critiques du modèle d'assimilation unidimensionnel mènent à l'élaboration de plusieurs

modèles bidimensionnels d'acculturation (Sayegh & Lasry, 1993). Zak (1973) fut le premier à proposer

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que l'identité culturelle des immigrants et celle de la société d'accueil soient représentées comme des

dimensions orthogonales et indépendantes plutôt que sous forme de points aux extrémités d'un même

continuum bipolaire. En d'autres mots, plutôt que de s'opposer l'une à l'autre le long d'une dimension

unique, les identités d'origine et d'accueil constitueraient des processus distincts évoluant séparément le

long de dimensions distinctes. Ce cadre bidimensionnel a été utilisé pour mettre au point différents

modèles d'acculturation des immigrants, chacun comportant des dimensions orthogonales telles que: le

biculturalisme et l'intensité de l'engagement culturel (Szapocznik, Kurtiness & Fernandez, 1980), le

degré d'identification à l'endogroupe et à l'exogroupe (Hutnik, 1986; Sayegh & Lasry, 1993),

l'assimilation versus le maintien de la culture d'origine et l'adoption d'activités normatives versus non-

normatives (Moghaddam, 1988, 1992).

Le plus utile parmi les modèles bidimensionnels d'acculturation des immigrants demeure celui

proposé par Berry (1980) déjà mentionné auparavant. Selon le modèle d'acculturation psychologique de

Berry, l'immigrant établi dans la société d'accueil est confronté à deux questions fondamentales: 1) Oui

ou non vaut-il la peine de valoriser et de conserver sa culture d'origine ? 2) Devrait-il rechercher ou

éviter les relations avec les membres de la société d'accueil ? Selon les réponses à ces questions, Berry

(1980) a élaboré une échelle d'acculturation qui aborde les deux questions présentées à la Figure 2. À

travers l'échelle d'acculturation, ces questions sont abordées dans le cadre de différents domaines

d'existence tels que la vie familiale, l'exogamie/l'endogamie, l'éducation, l'emploi et la vie associative

(Berry et al. 1989). La combinaison des réponses positives et négatives à ces deux types de questions

donne lieu aux quatre orientations d'acculturation déjà décrites: l'intégration, l'assimilation, la séparation

et la marginalisation.

Les réponses à l'échelle d'acculturation de Berry peuvent être analysées au niveau individuel ou

collectif. Ainsi, la majorité des membres d'un groupe particulier d'immigrants peuvent adopter une

stratégie d'intégration alors que les stratégies d'assimilation et de séparation seront préférées par

seulement une minorité d'immigrants. En outre, les immigrants d'une certaine origine ethnique peuvent

opter dans leur grande majorité pour une stratégie d'assimilation alors que la majorité des immigrants

d'une autre origine peuvent préférer une stratégie de séparation. Comme on l'a vu précédemment, Berry

et ses collègues ont réussi à tester de façon empirique le modèle d'acculturation psychologique en

contexte canadien (Berry, 1990 a,b; Berry et al. 1987, 1989; Sabatier & Berry, 1994).

Récemment, Sayegh et Lasry (1993) ont noté que la première dimension du modèle de Berry

(1980, 1990), l'identification à la culture d'origine, mesurait des attitudes tandis que la seconde, à savoir

les contacts avec les membres de la société d'accueil revenait à évaluer un comportement. Bien que ces

deux dimensions ne concordent pas, on peut considérer qu'elles constituent différents niveaux

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d'attitudes, le premier lié à des valeurs personnelles et le second à des intentions de comportement.

Néanmoins, il est préférable de résoudre le manque de cohérence structurelle de la seconde dimension en

changeant la nature des questions utilisées pour évaluer cet aspect du modèle. Comme le montre la

Figure 3, la nouvelle formulation de la question que nous proposons s'énonce comme suit: "Vaut-il la

peine d'adopter la culture de la communauté d'accueil ?". Cette reformulation de la seconde dimension

correspond mieux au type d'attitude examiné dans la première dimension du modèle.

Un autre amendement proposé au modèle de Berry dans la Figure 3 concerne la stratégie de

marginalisation. De toute évidence, une grande proportion d'immigrants qui rejettent à la fois leur

culture d'origine et celle de la société d'accueil éprouvent une forme d'aliénation culturelle connue sous

le nom d'anomie (Lambert, 1967). De tels individus sont susceptibles de se sentir rejetés à la fois par les

membres de leur propre groupe d'origine et par ceux de la majorité d'accueil. Ce sentiment d'anomie

peut affaiblir l'estime de soi, augmenter le stress d'acculturation et peut entraver l'adaptation des

immigrants à la société d'accueil (Sabatier & Berry, 1994).

Cependant, certains immigrants qui se dissocient à la fois de leur groupe d'origine et de la

majorité d'accueil peuvent agir ainsi non parce qu'ils se sentent marginalisés mais simplement parce

qu'ils préfèrent s'affirmer à titre individuel plutôt qu'en tant que membres de l'un ou l'autre des groupes

culturels en présence. De tels "individualistes" rejettent les catégorisations groupales quelles qu'elles

soient et préfèrent considérer les autres comme des individus plutôt que comme des membres de

l'endogroupe ou de l'exogroupe. Des études récentes auprès d'immigrants de première génération au

Québec ont montré que ces individualistes refusaient de compter à la fois sur leur endogroupe et sur la

majorité d'accueil pour atteindre leurs objectifs personnels dans le pays d'accueil (Moghaddam, 1992).

Ces mêmes individus croient fermement au système méritocratique nord-américain et ont une estime de

soi plus élevée que des immigrants qui ont pour orientation d'acculturation l'assimilation ou

l'intégration. Selon toute vraisemblance, les individualistes devraient être inclus dans le modèle

d'acculturation de Berry (1984) tel que reformulé dans la Figure 3, étant donné que ce type

d'immigrants refusent d'être identifiés à leur propre groupe d'origine ou à la majorité d'accueil. Une

échelle d'acculturation modifiée est à l'étude afin de mieux distinguer entre ces deux types d'orientations:

marginalisation, individualisme (Moïse & Bourhis, 1996).

Une lacune commune à la plupart des modèles bidimensionnels est qu'ils n'abordent pas la

question: comment la communauté d'accueil peut-elle influencer les orientations d'acculturation des

groupes d'immigrants ? L'adaptation des immigrants et leur réussite sociale peuvent dépendre des

différentes orientations d'acculturation adoptées par les membres de la communauté d'accueil. En

conséquence, plusieurs analyses récentes soulignent la nécessité de mieux articuler l'interaction

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dynamique entre les orientations d'acculturation des groupes d'immigrants et celles de la communauté

d'accueil (Mayadas & Élliott, 1992; Woldemikael, 1987). Moghaddam et Taylor (1987) suggèrent que

les attitudes à l'égard du multiculturalisme, comme le maintien de la culture d'origine, peuvent varier

selon que les immigrants se sentent acceptés ou exclus par les membres de la communauté d'accueil. Des

études empiriques au Canada (Lalonde & Cameron, 1993) et aux États-Unis (Ruggiero, Taylor &

Lambert, 1994) commencent à traiter de cette question. Enfin, dans leur revue des modèles

d'acculturation, Sayegh et Lasry (1993) arrivent à la conclusion que "les obstacles à l'intégration sociale

des immigrants au sein de la société d'accueil doivent être examinés sous l'angle de l'interaction entre les

membres des communautés ethniques et de la société d'accueil." De plus, selon eux, "l'acculturation

intervient au sein des deux groupes: les immigrants et la société d'accueil; les changements dans chacun

des deux groupes s'influencent mutuellement pour déterminer l'orientation et l'issue de ce changement".

4.3 Le modèle d'acculturation interactif (MAI)

Récemment, Bourhis et al. (1997a,b) ont proposé un cadre conceptuel pour analyser les

orientations d'acculturation des immigrants qui tiennent compte spécifiquement des interactions entre

les groupes d'immigrants et la communauté d'accueil. C'est ce cadre initial qui sert de base au modèle

d'acculturation interactif (MAI) présenté dans cette section. Le modèle MAI cherche à intégrer au sein

d'un cadre théorique commun les composantes suivantes: 1) les orientations d'acculturation adoptées par

les groupes d'immigrants dans la communauté d'accueil; 2) les orientations d'acculturation adoptées par

la communauté d'accueil envers des groupes spécifiques d'immigrants; 3) les relations interpersonnelles

et intergroupes qui sont le produit de combinaisons entre les orientations d'acculturation des immigrants

et celles de la communauté d'accueil. En fin de compte, l'objectif du modèle est de présenter une vision

non-déterministe, plus dynamique de l'acculturation des immigrants et de la communauté d'accueil dans

les contextes multiethniques occidentaux.

Le premier élément du modèle comporte les orientations d'acculturation des immigrants déjà

articulées dans le modèle de Berry (1984). Comme nous l'avons vu à la Figure 3, les immigrants

peuvent opter pour l'une des cinq orientations d'acculturation selon leur désir de maintenir leur culture

d'origine ou d'adopter la culture de la société d'accueil. Grâce à notre variante de l'échelle d'acculturation

de Berry, l'acculturation des immigrants peut être mesurée soit au niveau individuel comme une

orientation personnelle d'acculturation ou au niveau collectif comme une orientation préférée par la

majorité d'un groupe précis d'immigrants.

Le second élément du modèle concerne les orientations d'acculturation adoptées par les

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membres de la communauté d'accueil. Comme pour les orientations d'acculturation des immigrants, deux

questions se posent pour situer les membres de la communauté d'accueil par rapport à l'acculturation des

immigrants: 1) Trouvez-vous acceptable que les immigrants conservent leur héritage culturel ? 2)

Acceptez-vous que les immigrants adoptent la culture de votre communauté ? Grâce à une nouvelle

échelle d'acculturation de la communauté d'accueil (EACA), ces questions sont reliées à différents

domaines de la vie courante: vie familiale, endogamie-exogamie, éducation, emploi, logement locatif,

vie associative et engagement politique. L'utilisation de l'échelle d'acculturation de la communauté

d'accueil est actuellement à l'essai auprès des communautés d'accueil anglophone et francophone au

Québec (Bougie et Bourhis, 1996). Comme on peut le voir à la Figure 4, les réponses à ces 2 questions

permettent d'identifier chez les membres de la communauté d'accueil cinq orientations d'acculturation:

l'intégration, l'assimilation, la ségrégation, l'exclusion et l'individualisme. Cette dernière orientation

envers les immigrants est une autre option envisageable pour les membres de la communauté d'accueil.

Si une réponse positive est donnée à chacune des questions, c'est que la préférence est accordée

à l'orientation d'intégration. Les membres de la communauté d'accueil acceptent et valorisent le

maintien de la culture d'origine des immigrants et favorisent en même temps l'adoption de la culture

d'accueil par les groupes d'immigrants. Cette orientation pluraliste de la société d'accueil correspond à la

politique de multiculturalisme du gouvernement canadien. L'orientation d'assimilation correspond au

concept traditionnel d'absorption, c'est-à-dire que les membres de la communauté d'accueil s'attendent à

ce que les immigrants renoncent à leur culture d'origine au profit de la culture de la majorité d'accueil.

Selon l'orientation de ségrégation, les membres de la communauté d'accueil gardent leurs distances à

l'égard des immigrants et ne souhaitent pas que ceux-ci adoptent ou influencent la culture d'accueil tout

en admettant que les immigrants conservent leur héritage culturel. Cette stratégie de dissociation vis-à-

vis des immigrants peut se manifester dans les domaines de la culture, de l'emploi, du logement et des

relations interpersonnelles. Les membres de la communauté d'accueil qui adoptent cette orientation de

ségrégation tendent à éviter les relations avec les immigrants et préfèrent qu'ils restent regroupés en

"ghetto" dans leur communauté respective.

Une réponse négative aux deux questions peut révéler deux orientations d'acculturation

distinctes vis-à-vis des immigrants. La première correspond à une orientation d'exclusion par laquelle les

membres de la communauté d'accueil non seulement ne tolèrent pas le maintien de la culture d'origine

mais s'objectent à ce que les immigrants adoptent ou influencent la culture d'accueil. Les exclusionnistes

nient aux immigrants le droit de maintenir leur culture d'origine; ils croient que les immigrants n'ont pas

leur place dans la société d'accueil. Pour ce qui est des attitudes à l'égard des politiques d'immigration, les

exclusionnistes aimeraient mettre un terme à l'immigration et, dans certains cas, préféreraient que

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certaines catégories d'immigrants soient déportées dans leur pays d'origine. Les néonazis et les

autoritaires d'extrême droite (Altermeyer, 1987) sont vraisemblablement enclins à adopter une

orientation d'exclusion en ce qui concerne les questions d'immigration (Front National en France).

Mesurée à l'aide d'une échelle spécifique, la seconde orientation est l'individualisme: les membres

de la communauté d'accueil se définissent et définissent les autres en tant qu'individus plutôt que comme

membres de catégories sociales ou de groupes ethnoculturels. Dans cette optique, ce sont les

caractéristiques personnelles qui comptent le plus et non le fait d'appartenir à tel ou tel groupe culturel,

linguistique ou religieux. Par conséquent, pour les individualistes, peu importe que les immigrants

conservent leur culture d'origine ou adoptent la culture d'accueil. Seules comptent les relations

interpersonnelles. Étant donné l'importance des caractéristiques personnelles, les individualistes seront

portés à interagir avec les immigrants de la même façon qu' avec n'importe quel autre membre de la

communauté d'accueil.

La Figure 5 montre comment, dans le même cadre conceptuel, on peut combiner les

orientations de la communauté d'accueil et celles des immigrants. Les cinq orientations d'acculturation

des immigrants sont présentées sur l'axe horizontal et les cinq orientations d'acculturation de la

communauté d'accueil sur l'axe vertical. Le premier principe du modèle est que pour chaque groupe

d'immigrants, on doit déterminer les différentes configurations entre les orientations d'acculturation de

la communauté d'accueil et celles du groupe immigrant en question. Les orientations d'acculturation de

la communauté d'accueil ne sont pas uniformes mais elles peuvent varier selon l'origine ethnoculturelle

de chaque groupe d'immigrants. Par conséquent, le pourcentage des membres de la communauté d'accueil

ayant adopté chacune des cinq orientations d' acculturation envers le groupe d'immigrants A peut être

très différent de la proportion obtenue pour le groupe d'immigrants B. Par exemple, suite à un sondage,

le pourcentage des membres de la communauté d'accueil qui optent pour chaque orientation à l'égard des

immigrants du groupe A pourrait être le suivant: 60% d'intégration, 25% d'assimilation, 8% de

ségrégation, 2% d'exclusion et 5% d'individualistes. Cependant, à l'égard d'un groupe d'immigrants B

hautement racialisé, le même échantillon de répondants de la communauté d'accueil pourrait adopter les

orientations suivantes: 10% d'intégration, 15% d'assimilation, 50% de ségrégation, 20% d'exclusion et

5% d'individualistes. En outre, pour le même groupe d'immigrants, la proportion de chacune des

orientations dans la communauté d'accueil peut varier avec le temps selon la conjoncture

démographique, économique et politique. Par exemple, l'orientation de la communauté d'accueil à

l'égard d'un groupe précis d'immigrants peut être tout d'abord essentiellement intégrationniste puis se

déplacer vers le pôle ségrégationniste à mesure que le nombre de ces mêmes immigrants augmente ou

lorsqu'ils deviennent la cible d'un parti politique raciste qui les désigne comme étant responsables du

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chômage et de l'insécurité croissante dans certaines zones urbaines.

Parallèlement, différents groupes d'immigrants adopteront différentes configurations

d'orientations d'acculturation en fonction de leur origine culturelle, de leur vitalité ethnolinguistique, des

circonstances de leur arrivée dans le pays d'accueil et des orientations d'acculturation de la communauté

d'accueil à leur égard. La proportion des orientations d'acculturation chez les immigrants de même

origine ethnique peut aussi changer de la première à la seconde génération. Par exemple, à la première

génération, la proportion d'immigrants optant pour chacune des cinq orientations pourrait être la

suivante: 15% d'intégration, 15% d'assimilation, 45% de séparation, 20% de marginalisation et 5%

d'individualistes. A la seconde génération, les orientations d'acculturation des immigrants de ce même

groupe pourraient se répartir ainsi: 30% d'intégration, 40% d'assimilation, 15% de séparation, 10% de

marginalisation et 5% d'individualistes.

Selon le modèle, la majorité d'accueil jouit généralement d'un niveau de vitalité élevé dans la

société d'accueil alors que les groupes d'immigrants ont généralement un niveau de vitalité bas voire

moyen au sein de la structure intergroupe (Giles et al. 1977; Harwood et al. 1994). Ainsi, en raison de

leur statut dominant et de leurs avantages du point de vue démographique et institutionnel, les

orientations d'acculturation de la majorité d'accueil auront sans doute un impact plus fort sur les

orientations des immigrants que l'inverse. De ce fait, les groupes d'immigrants au niveau de vitalité

particulièrement bas seront plus sensibles à l'impact des orientations de la communauté d'accueil

(ségrégation et exclusion) que ne le seraient des groupes d'immigrants dont le niveau de vitalité

ethnolinguistique est moyen. Plus le niveau de vitalité du groupe d'immigrants est élevé, plus ce dernier

sera en mesure d'adopter des orientations qui reflètent ses propres priorités plutôt que celles imposées

par la majorité d'accueil. Les orientations d'acculturation des immigrants peuvent aussi changer en

fonction des fluctuations de la vitalité de leur groupe au fil du temps. Ainsi, à mesure que sa vitalité

augmente grâce à une immigration soutenue et à un support institutionnel plus important au sein du

pays d'accueil, les orientations d'acculturation du groupe immigrant pourront évoluer de l'assimilation à

une stratégie plutôt axée sur l'intégration ou la séparation.

Cependant, comme on peut le voir au Figure 5, c'est en combinant les cinq orientations

d'acculturation des groupes d'immigrants aux cinq orientations de la communauté d'accueil que la nature

interactive du modèle devient évidente. Il est utile de vérifier dans quelle mesure le profil des

orientations d'acculturation de la communauté d'accueil coïncide ou non avec celui du groupe

d'immigrants. Il y a concordance lorsque la communauté d'accueil et le groupe d'immigrants considéré

partagent à peu près le même profil d'orientation d'acculturation. Les chiffres suivants peuvent servir à

illustrer le cas d'un profil concordant; communauté d'accueil: 70% d'intégration, 15% d'assimilation, 5%

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de ségrégation, 2% d'exclusion et 8% d'individualistes; groupe d'immigrants: 65% d'intégration, 15%

d'assimilation, 8% de séparation, 2% de marginalisation et 10% d'individualistes. Il y a discordance entre

la communauté d'accueil et le groupe d'immigrants lorsque les orientations d'acculturation de part et

d'autre ne coïncident pas ou seulement dans une très faible mesure. Par exemple, un cas de discordance

se présente lorsque la majorité des membres d'un groupe immigrant veut s'intégrer alors que la

communauté d'accueil adopte une orientation de ségrégation à l'égard de ce même groupe.

Les profils d'acculturation concordants ou discordants aboutissent à des types de conséquences

relationnelles différentes durant les rencontres entre les membres du groupe immigrant et ceux de la

communauté d'accueil. Comme on le voit à la Figure 5, c'est l'interaction entre les orientations

d'acculturation des immigrants et de la communauté d'accueil ainsi que leur profil concordant ou

discordant qui déterminent si les relations qui en découlent sont de type consensuel, problématique ou

conflictuel. Ces trois types de relations peuvent se situer le long d'un continuum allant de consensuel à

une extrémité, problématique au point médian et conflictuel à l'autre extrémité (voir Figure 1). Ces

trois ensembles de conséquences relationelles ne devraient pas être envisagés comme des catégories

discrètes mutuellement exclusives. Ces conséquences relationnelles peuvent se manifester au niveau des

relations interculturelles dans les domaines suivant: les communications verbales et non-verbales, les

stéréotypes, attitudes et préjugés interethniques, la discrimination, les tensions et conflits intergroupes,

les relations endogamiques ou exogamiques, le stress d'acculturation, etc. Sur le plan sociologique, les

conséquences relationelles concernent des domaines tels que l'emploi, les revenus, le logement, les

relations communautaires, l'engagement politique et les relations avec les institutions gouvernementales

telles que l'école, les services sociaux, les soins de santé, la police et l'appareil judiciaire.

Trois des cases du modèle servent à repérer les relations les plus consensuelles: quand les

membres de la communauté d'accueil et les membres du groupe immigrant partagent les mêmes

orientations d'acculturation, qu'elles soient axées sur l'intégration, l'assimilation ou l'individualisme

(Figure 5). C'est dans ces conditions que le modèle prédit des résultats relationnels positifs dans la

plupart des domaines où les deux parties viennent en contact. Ces résultats pourraient inclure des

communications interethniques positives et efficaces dans les domaines verbal et non-verbal, des

attitudes et stéréotypes interethniques mutuellement positifs, un faible niveau de tension intergroupe,

l'absence de discrimination, l'absence de problèmes majeurs d'acculturation; en un mot des expériences

d'acculturation mutuellement satisfaisantes. Du point de vue sociologique, les relations consensuelles

seraient positives dans la mesure où elles seraient marquées par des tendances à l'intégration et à l'équité

entre immigrants et communauté d'accueil dans les domaines de l'emploi, de la rémunération, du

logement, de l'engagement communautaire et politique. Ainsi, des relations idéales entre immigrants et

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communauté d'accueil sont prédites dans ces trois cases du modèle.

Les discordances d'orientations d'acculturation entre la majorité d'accueil et les groupes

d'immigrants donnent lieu à deux autres ensembles de relations sur le continuum des conséquences

relationelles: problématiques ou conflictuels. Les relations sont problématiques lorsque la communauté

d'accueil et le groupe d'immigrants connaissent à la fois un accord et un désaccord partiels dans leur

profil d'orientation d'acculturation. Le modèle prédit que des relations problématiques ont le plus de

chances de se produire dans 10 cases du tableau présenté à la Figure 5. On aboutit à des relations

problématiques dans deux cas: lorsque les membres du groupe d'immigrants sont en faveur de

l'assimilation alors que ceux de la communauté d'accueil préfèrent que les immigrants adoptent une

orientation d'intégration ou inversement lorsque les membres du groupe immigrant optent pour

l'intégration alors que ceux de la communauté d'accueil insistent pour que les immigrants s'assimilent à

leur communauté d'accueil. Ces deux types de relations peuvent aboutir à de mauvaises communications

entre membres des deux communautés, entretenir ou attiser des préjugés et des stéréotypes négatifs et

engendrer des niveaux modérés de stress acculturatif surtout chez les immigrants. On peut aussi prévoir

des relations problématiques entre des groupes d'immigrants à tendance de marginalisation ou

individualiste et des membres de la société d'accueil prédisposés à l'intégration ou à l'assimilation. De

même, les membres de la communauté d'accueil qui favorisent une stratégie individualiste sont

susceptibles d'avoir des relations problématiques avec des immigrants qui valorisent l'appartenance à leur

endogroupe, que leur orientation d'acculturation soit intégrationniste, assimilatrice, séparatrice ou de

marginalisation.

Des conséquences relationnelles conflictuelles ont le plus de chances d'émerger dans douze cases

du modèle présenté à la Figure 5. Les membres du groupe immigrant qui optent pour une orientation de

séparation risquent d'avoir des relations tendues avec la plupart des membres de la communauté

d'accueil, particulièrement ceux qui ont des orientations d'acculturation intégrationniste et assimilatrice.

Les tensions seront encore plus fortes avec les membres de la communauté d'accueil qui ont une

orientation séparatiste ou exclusionniste. Étant donné leur niveau élevé de vitalité, les membres de la

majorité d'accueil portés vers la ségrégation et l'exclusion à l'égard des immigrants sont susceptibles

d'entretenir les relations les plus conflictuelles avec les groupes d'immigrants qu'ils considèrent

indésirables. A cet égard, les exclusionnistes risquent d'avoir des relations encore plus négatives que les

ségrégationnistes. En plus de leurs problèmes de communication avec les immigrants, les exclusionnistes

seront enclins à des stéréotypes très négatifs et à un comportement discriminatoire à leur égard dans

beaucoup de domaines y compris l'emploi et le logement. De plus, les exclusionnistes sont les plus

susceptibles de lancer des attaques racistes contre les immigrants et de mettre sur pied des mouvements

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politiques pour les dénigrer ou les expulser (Néo-Nazi en Allemagne, Front National en France). Les

groupes d'immigrants qui ont un niveau de vitalité très faible risquent d'être les plus vulnérables à ce

genre d'attaques et de connaître davantage de problèmes d'acculturation que ceux qui ont un niveau de

vitalité moyen. Ces derniers peuvent être mieux protégés des abus de la communauté d'accueil grâce à

leur force numérique, à leur concentration démographique dans certains quartiers et par leur niveau de

support institutionnel. Parmi les immigrants qui sont la cible des exclusionnistes, ce sont les séparatistes

qui ont le plus de chances de résister individuellement et collectivement aux persécutions de la

communauté d'accueil. Ainsi, le modèle prédit-il les conflits les plus intenses dans les contacts

intergroupes entre les membres exclusionnistes de la communauté d'accueil et les immigrants dont le

profil est séparatiste.

Étant donné que les membres de la communauté d'accueil jouissent d'un niveau de vitalité plus

élevé que les groupes d'immigrants, le modèle prédit que la majorité d'accueil a plus de chances

d'influencer les orientations d'acculturation des immigrants que l'inverse. Une politique gouvernementale

calquée sur l'idéologie ethniste peut forcer les immigrants à adopter une orientation de séparation même

si, à l'origine, ils préféraient une orientation d'intégration ou d'assimilation. Cependant, si la politique

d'un gouvernement passe de l'idéologie ethniste à celle du pluralisme, les orientations d'acculturation des

immigrants pourront évoluer vers l'intégration ou l'assimilation. Ce changement de politique

gouvernementale pourrait aussi contribuer à influencer les attitudes de la majorité d'accueil envers les

immigrants et à les déplacer vers le pôle intégration du continuum. Comme le démontre la Figure 1, le

modèle MAI repose sur l'hypothèse que la politique officielle d'un gouvernement peut avoir un fort

impact à la fois sur les orientations d'acculturation des immigrants et sur celles de la communauté

d'accueil. En général, une politique officielle en faveur du pluralisme aboutit plus souvent à des relations

positives et harmonieuses qu'une politique ethniste avec ses composantes ségrégationniste et

exclusionniste. Cependant, le modèle prédit que même si la politique officielle est pluraliste, un certain

pourcentage de la population d'accueil maintiendra des orientations ségrégationnistes ou exclusionnistes

à l'égard de certains groupes d'immigrants. De même, selon le modèle, un certain pourcentage de la

population immigrante sera séparatiste ou souffrira d'anomie même si la politique de la société d'accueil

est en faveur du pluralisme.

Finalement, le modèle prédit que dans certains cas, les orientations d'acculturation du groupe

d'immigrants peuvent influencer le profil d'acculturation de la communauté d'accueil indépendamment

des politiques officielles des gouvernements (Figure 1). En adoptant systématiquement une orientation

de séparation, un groupe d'immigrants ayant un niveau de vitalité moyen peut influencer les attitudes de

la majorité d'accueil à son égard en les faisant passer de l'intégration vers le pôle représentant la

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ségrégation ou l'exclusion. De même, il est clair que les orientations d'acculturation des membres de la

communauté d'accueil peuvent avoir un impact majeur sur les orientations d'acculturation des

immigrants. Ainsi, comme le démontre la Figure 1, c'est la combinaison de la politique officielle du

gouvernement, des orientations d'acculturation de la majorité d'accueil et des groupes d'immigrants qui

contribue à influencer les conséquences relationnelles du modèle MAI. Considérées dans leur ensemble,

ces propositions démontrent la nature dynamique du modèle MAI qui a pour objectif de mieux rendre

compte des relations entre la communauté d'accueil et les groupes d'immigrants dans les contextes

multiculturels et multiethniques.

5. Remarques finales

L'étude du cas canadien montre les répercussions des politiques d'immigration officielles sur les

attitudes de la majorité d'accueil et des immigrants à l'égard de l'acculturation et du pluralisme culturel. Il

montre également comment ces attitudes peuvent à leur tour influencer la politique du gouvernement

relative à l'intégration des immigrants. Dans sa politique d'intégration, on a vu qu'un gouvernement

avait le choix entre des options pluraliste, civique, assimilatrice et ethniste. Grâce à l'exemple du

Canada, on a pu voir comment des facteurs d'origine démographique, économique et politique pouvaient

infléchir la politique d'intégration du gouvernement et la faire passer d'une orientation principalement

ethniste à une position pluraliste symbolisé par la politique officielle du multiculturalisme. C'est à cette

politique qu'on doit les relations relativement harmonieuses qui règnent entre les communautés d'accueil

et les groupes d'immigrants de première et de seconde génération au Canada. Cependant, là comme

ailleurs, les immigrants des minorités visibles qui n'ont pas un statut élevé à leur entrée au pays d'accueil

sont les plus susceptibles de se heurter à des problèmes de discrimination de la part de la majorité

d'accueil.

L'examen des modèles unidimensionnels et biodimensionnels concernant les orientations

d'acculturation a souligné le besoin d'une approche conceptuelle qui rende mieux compte du caractère

interactif des relations entre les immigrants et la majorité d'accueil. Le modèle MAI a été présenté

comme un modèle non-déterministe des relations entre la communauté d'accueil et les groupes

d'immigrants dans les contextes multiethniques. Ce modèle sert de passerelle conceptuelle entre les

politiques officielles des gouvernements, les réactions de la communauté d'accueil et celles des groupes

d'immigrants de première et deuxième génération. Les conséquences relationnelles du modèle MAI se

font sentir dans la communication interculturelle, les stéréotypes interethniques, les discriminations

sociale et institutionnelle, le stress d'acculturation, l'identité culturelle des immigrants et celle de la

Page 140: Petit guide pédagogique pour « La leçon de …...Bristol en Angleterre (1977) sous la direction de Henri Tajfel et de Howard Giles. Il a été professeur au Département de psychologie

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majorité d'accueil, le biculturalisme et l'intégration linguistique et culturelle. Dans le cadre du MAI, les

conséquences relationnelles dépendent à la fois des orientations d'acculturation de la majorité d'accueil

et des groupes d'immigrants dans la mesure où elles sont influencées par les politiques d'intégration des

gouvernements. Le modèle propose des prédictions spécifiques sur la nature des orientations

d'acculturation susceptibles d'aboutir à des relations consensuelles, problématiques et conflictuelles. Il

demeure qu'un bon nombre de recherches empiriques sont nécessaires afin de tester les assises théoriques

du modèle MAI (Barrette et.al., 2004, 2005; Bourhis, 2001; Bourhis & Bougie, 1998; Bourhis &

Dayan, 2004; Montreuil & Bourhis, 2001, 2004; Montreuil, Bourhis & Vanbeselaere, 2004; Personnaz

et al., 2002).

Page 141: Petit guide pédagogique pour « La leçon de …...Bristol en Angleterre (1977) sous la direction de Henri Tajfel et de Howard Giles. Il a été professeur au Département de psychologie

DÉCIDEURS GOUVERNEMENTAUX

POLITIQUES D'IMMIGRATION

ADMINISTRATION CIVILE: IMMIGRATION ET INTÉGRATION

POLITIQUES D'INTÉGRATION

CONSÉQUENCES RELATIONNELLES

ProblématiquesHarmonieuses Conflictuelles

Recherche etplanification

Élaborationdes politiques

Applicationdes politiques

Évaluationdes politiques

Idéologiecivique

ORIENTATIONSD'ACCULTURATION DE LACOMMUNAUTÉ D'ACCUEIL

DOMINANTEIntégrationnisme,

assimilationnisme,ségrégationnisme,exclusionnisme,individualisme

Intégrationnisme,assimilationnisme,

séparatisme,marginalisation,individualisme

ORIENTATIONSD'ACCULTURATION DES

COMMUNAUTÉSIMMIGRANTES

Idéologieassimilationniste

© Bourhis et al (1997, 1998)

Idéologiepluraliste

Idéologieethniciste

Figure 1: Modèle d'acculturation interactif (MAI; Bourhis, Moise, Perreault et Sénécal,1997)

Page 142: Petit guide pédagogique pour « La leçon de …...Bristol en Angleterre (1977) sous la direction de Henri Tajfel et de Howard Giles. Il a été professeur au Département de psychologie

Dimension 2: Est-il important de maintenir des relations avec les autres groupes?

Dimension 1: Est-il important de maintenir son identité et ses caractéristiques culturelles?

OUI

NON

OUI

INTÉGRATION

ASSIMILATION

NON

SÉPARATION

MARGINALISATION

Figure 2: Modèle d'acculturation de l'immigrant de Berry (Berry, 1980, 1984).

Page 143: Petit guide pédagogique pour « La leçon de …...Bristol en Angleterre (1977) sous la direction de Henri Tajfel et de Howard Giles. Il a été professeur au Département de psychologie

Dimension 2: Est-il important d'adopter la culture de la communauté d'accueil?

Dimension 1: Est-il important de maintenir son identité et ses caractéristiques culturelles?

OUI

NON

OUI

INTÉGRATION

ASSIMILATION

NON

SÉPARATION

MARGINALISATION

(ANOMIE)

INDIVIDUALISME

Figure 3: Modèle d'acculturation de l'immigrant révisé (Bourhis et al., 1997b)

Page 144: Petit guide pédagogique pour « La leçon de …...Bristol en Angleterre (1977) sous la direction de Henri Tajfel et de Howard Giles. Il a été professeur au Département de psychologie

Dimension 2: Est-il acceptable que les immigrants adoptent la culture de la communauté d'accueil?

Dimension 1: Est-il acceptable que les immigrants maintiennent leur culture d'origine?

OUI

NON

OUI

INTÉGRATION

ASSIMILATION

NON

SÉGRÉGATION

EXCLUSION

INDIVIDUALISME

Figure 4: Modèle d'acculturation de la communauté d'accueil (Bourhis et al., 1997b)

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COMMUNAUTE

D'ACCUEIL

COMMUNAUTE IMMIGRANTE

INTEGRATION

ASSIMILATION

SEPARATION

MARGINALISATION

ANOMIE

INDIVIDUALISME

INTEGRATION

Harmonieuse

Problématique

Confl ictuel le

Problématique

Problématique

ASSIMILATION

Problématique

Harmonieuse

Confl ictuel le

Problématique

Problématique

SEGREGATION

Confl ictuel le

Confl ictuel le

Confl ictuel le

Confl ictuel le

Confl ictuel le

EXCLUSION

Confl ictuel le

Confl ictuel le

Confl ictuel le

Confl ictuel le

Confl ictuel le

INDIVIDUALISME

Problématique

Problématique

Problématique

Problématique

Harmonieuse

Figure 5: Conséquences relationnelles de la combinaison des orientations d'acculturation des immigrants et de la

communauté d'accueil (Bourhis et al. 1997a).

Page 146: Petit guide pédagogique pour « La leçon de …...Bristol en Angleterre (1977) sous la direction de Henri Tajfel et de Howard Giles. Il a été professeur au Département de psychologie

Tableau 4 POPULATION IMMIGRÉE DANS LES RÉGIONS MÉTROPOLITAINES DU CANADA 1991

VILLE

POPULATION

TOTALE

POPULATION

IMMIGRÉE

POURCENTAGE D'IMMIGRANT

(Recencement 1991)

Toronto Montréal Vancouver

3 863 110 3 091 115 1 584 115

1 468 625 520 535 476 530

38% 17% 30%

Edmonton Calgary Hamilton Ottawa Winipeg

832 115 748 215 593 800 912 095 645 610

152 810 151 745 139 560 134 750 113 165

18% 20% 23% 15% 17%

Villes du Québec autres que Montréal

Québec Hull Sherbrooke Trois-Rivières Chicoutimi\Jonquière

637 755 225 315 136 710 134 890 159 600

14 020 12 205

5 165 1 720 1 170

2% 5% 4% 1%

0,7%

Source: Recensement du Canada, 1991

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Tableau 1

LANGUE MATERNELLE EN POURCENTAGE DE LA POPULATION CANADIENNE: 1931-1991

LANGUE MATERNELLE

1931 1941 1951 1961 1971 1981 1991

Anglais 57% 56% 59% 59% 60% 61% 62%

Français 27% 29% 29% 28% 27% 26% 24%

Autres (Allophones) 16% 15% 12% 14% 13% 13% 14%

Source: Recensement du Canada, Lieberson, 1970; deVries, 1994.

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Tableau 2

ORIGINE ETHNIQUE EN POURCENTAGE DE LA POPULATION CANADIENNE: 1871-1991

GROUPES ETHNIQUES

D'ORIGINE

1871 1901 1921 1941 1961 1971 1981 1991

Britannique 61% 57% 55% 50% 44% 45% 40% 29%

Française 31% 31% 28% 30% 30% 29% 27% 23%

Autres 8% 12% 17% 20% 26% 26% 33% 48%

Source: Recensement du Canada.

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Tableau 3

ORIGINE ETHNIQUE EN POURCENTAGE DES IMMIGRANTS CANADIENS DE PREMIÈRE GÉNÉRATION: 1968-1991

ORIGINES

1968 1971 1976 1981 1986 1991

Europe 64% 43% 33% 35% 23% 20%

Etats-Unis 9% 17% 10% 7% 6% 2%

Afrique 4% 3% 6% 5% 5% 7%

Asie 13% 20% 25% 40% 42% 53%

Antilles 6% 11% 3% 9% 13% 6%

Amérique Latine 1% 2% 4% 3% 9% 5%

Australie 2% 2% 1% 1% >.5% >.5%

Source: Recensement du Canada.

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