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Clientélisme et Action publique Sous la direction de Martine ARINO (UPVD Université de Perpignan Via Domitia) 1

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Clientélisme et action publique territoriale sous la direction de Martine Arino

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Clientlisme

Clientlisme et Action publique

Sous la direction de Martine ARINO (UPVD Universit de Perpignan Via Domitia)

Numro de la revue internationale francophone de sciences socialesEsprit Critique

Sommaire

Paula Susana Boniolo la corruption territoriale. Domination et micro-rsistances dans le Conurbano BonaerenceMarie Peretti-Ndiaye Clientlisme, action publique territorialise et processus de minorisation. La place des allognes Issa Sory Clientlisme et construction de limage de Ougadougou.

Martine Arino Donner, recevoir et rendre: les rgles de la circulation des biens pour des maux Antonio Robles Egea le patronage et le clientlisme politique en Andalousie Yamina Remichi Les zones grises du recrutement: une analyse des pratiques de slection des descendants de migrants dans le mairie de Pessac (France) et Nieuw West Amsterdam (Pays Bas) Eric Sabourin politiques de dveloppement rural territorial au Brsil: entre participation et clientlisme.Note de lecture, Fatima Qacha Alain Tarrius, Etrangers de passage. Poor to poor, peer to peer. LAube. Collection Monde en cours. 2015, pp 175 et Alain Tarrius, La mondialisation criminelle. LAube. Collection Monde en cours. 2015, pp 150.

EDITORIALMartine ARINOLe clientlisme ici et ailleursLes articles de ce numro proviennent: des Pays Bas, de lAndalousie, de France, dAfrique, de Corse, du Brsil, dArgentine. Il est question dun phnomne universelqui nest pas rserv aux pays en voie de dveloppement ou du pourtour Mditerranen. Lintrt de cette diversit gographique est de saisir les diffrents visages, les diffrentes variations en fonction des cultures, des socits, des conomies et du rle de lEtat. Si le clientlisme a une trs longue histoire, celle-ci ne sarrte pas aux socits contemporaines. Ce sont les historiens de la Rome antique qui ont t les premiers mettre au grand jour le rle du clientlisme pour le fonctionnement politique de lUrbs. Le lien de clientle archaque dsigne dans un premier temps, un type particulier de relation ingale qui unit un affranchi, le client , et son ancien matre, qui devient son patron . Par abus de langage, nous avons tendance confondre le clientlisme et la corruption. Deux articles tracent leur frontire.

Corruption et clientlisme sont-ils synonymes?

Larticle de Paula Susana Boniolo, intitul la corruption territoriale. Domination et micro-rsistances dans le Conurbano Bonaerence dmontre que la corruption est une forme sociale du clientlisme o public et priv sont confondus. Si la corruption est punie par la loi, le clientlisme ne lest pas. La frontire entre les deux est confuse dans les pratiques sociales.Pour lapprhender, nous reprendrons la dfinition du clientlisme dveloppe dans les travaux de Briquet et Sawicki. () la notion de clientlisme sert dsigner des liens personnaliss, entre des individus appartenant des groupes sociaux disposant de ressources matrielles et symboliques de valeur trs ingale, reposant sur des changes durables de biens et de services, gnralement conus comme des obligations morales unissant un patron et les clients qui en dpendent. (Jean Louis Briquet, 1998, p.7)

Loutil dintervention du clientlisme est laction publique, nous entendons par action publique, laction qui dpend de lespace o llu peut implmenter des dispositifs de politiques publiques. Clientlisme, action publique territorialise et processus de minorisation. La place des allognes de Marie Peretti-Ndiaye interroge les formes de leadership politique face aux reconfigurations dmographiques et la dcentralisation en Corse.

La dcentralisation et la dconcentration ont eu pour consquence de territorialiser lespace de laction publique, de privilgier un dcoupage territorial un dcoupage sectoriel de laction, de redfinir les moyens et les ressources des acteurs territoriaux dans leur espace de pouvoir. Espace de pouvoir car le territoire nest pas une donne neutre. Un territoire a des ressources: historiques, symboliques et conomiques. Il est apprhender comme une forme spcifique dorganisation, une construction sociale fonde essentiellement sur des jeux dacteurs qui sarticulent selon des logiques conomiques, sociales et politiques, souvent conflictuelles. De nombreux chercheurs soulignent la difficile coordination dinstitutions entretenant parfois des clivages conflictuels. La notion de territoire, qui ne peut tre dissocie de celle dacteurs en interrelation, renvoie donc la problmatique du sens de la gouvernance territoriale et de la mise en uvre de laction publique.Laction publique est utilise par le politique pour rechercher le soutien de mouvements et de groupes sociaux attachs certaines thmatiques. Ainsi, on voit apparatre des dispositifs propres aux territoires qui ont pour fonction de le mailler tout en lui donnant une image dutilit sociale. Cest larticle de Issa Sory Clientlisme et construction de limage de Ougadougou.

Le fonctionnement du clientlisme

Donner, recevoir et rendre: les rgles de la circulation des biens pour des maux de Martine Arino et le patronage et le clientlisme politique en Andalousie de Antonio Robles Egea permettent de comprendre le fonctionnement du clientlisme, cest--dire dapprhender le contexte socio-conomique dans lequel lchange social a lieu. Le double paradoxe du don, comme lcrivait M. Mauss entre volontaire et obligatoire, intress et dsintress, ne permet pas de rduire le clientlisme une simple instrumentalisation de type utilitariste. Le clientlisme peut revtir les habits dun traitement social des discriminations: Les zones grises du recrutement: une analyse des pratiques de slection des descendants de migrants dans le mairie de Pessac (France) et Nieuw West Amsterdam (Pays Bas) de Yamina Remichi.Dans les diffrents articles de ce numro, il est illustr la complexit du phnomne clientlaire. Trois conditions sont requises dans cette relation sociale: premirement lingalit des ressources matrielles, relationnelles, financires, deuximement un contrat tacite dintrt commun et enfin un sentiment de solidarit mutuelle.

La relation de clientle construit un territoire

La relation de clientle produit la division sociale de lespace , laquelle se dfinit comme la distribution diffrentielle de populations constitues (groupes, catgories, collectifs) dans un territoire. Elle peut tre aussi bien un tat, quun processus renvoyant des phnomnes de concentration dun groupe dans une unit spatiale, dune spcialisation de ce groupe dans lunit spatiale par rapport un espace global. Cette diffrence de rpartition renvoie au couple homognit / htrognit.Cest le critre du pouvoir qui produit cette sparation, suivant lordre social qui organise les liens entre les agents et entre les rapports sociaux. Elle fait rfrence des politiques qui tendent dlibrment crer des sparations, des mises lcart, des territoires particuliers (enclaves). Le processus de sparation ou de concentration renvoie un rapport social manifestement asymtrique, un rapport dingalit et de domination.Elle soulve la question de la capacit des agents ngocier leur marge de manuvre, dvelopper des stratgies pour chapper ou accepter leur positionnement dans cette construction du territoire. Quelles sont alors les formes, les tentatives daction ou de rsistance ? Eric Sabourin y rpond dans politiques de dveloppement rural territorial au Brsil: entre participation et clientlisme. Il traite des innovations participatives en matire daction publique territorialise au centre ouest du Brsil.Cette partie sur la construction du territoire par le clientlisme ne pourrait pas se terminer sans faire rfrence aux travaux du Professeur Alain Tarrius. Une note de lecture de Fatima Qacha prsente les deux derniers ouvrages du sociologue; Poor to poor, peer to peer. et La mondialisation criminelle.

Sur ce, nous vous souhaitons une bonne lecture.

La corruption territoriale. Domination et micro-rsistancesdans le Conurbano Bonaerense

Paula Boniolo. Docteure en Sociologie de lcole Des Hautes tudes en Sciences Sociales (Paris). Docteure en Sciences Sociales de l'Universit de Buenos AiresInstituto de Investigaciones Gino Germani, Universidad de Buenos Aires. Chercheuse National de la Recherche Scientifique et Technique Professeure de Mthodologie de la Recherche, un diplme en sociologie, Universit de Buenos [email protected]

RsumDans le cadre du dbat passionn sur les causes et consquences de la corruption en Argentine, il y a un grand absent: les gens. La majorit des recherches a adopt une perspective macrostructurale qui se centre sur la mesure du phnomne dans le secteur public. Notre recherche, en revanche, s'interroge sur la manire dont oprent les trames de corruption dans un quartier de la classe ouvrire du Conurbano Bonaerense. Dans ce but, elle reconstruit les expriences quotidiennes partir de situations caractrises par leur lien avec la corruption partir de rcits de vie de personnes rsidant dans le quartier. Nous avons dploy une stratgie multimodale qui repose sur la ralisation d'entretiens (trente) de personnes appartenant la classe ouvrire et d'informateurs clefs. Paralllement, nous avons ralis une observation participante en la compltant par l'analyse de documents, qui permettent d'aborder la complexit de la thmatique.Cette analyse a mis en exergue une territorialisation de la domination, qui s'exprime travers l'articulation du secteur tatique et du secteur priv, et ses consquences sur la vie quotidienne des travailleurs et sur le territoire. Au cours de la recherche nous avons observ une naturalisation des relations de pouvoir travers des mcanismes d'appropriation matrielle, des formes symboliques et idologiques qui soutiennent les pratiques lies la corruption; soulignant la manire travers laquelle la domination et ces micro-rsistances s'insrent dans le cadre de l'exprience biographique.

Corruption, Territoire, Classe sociale, Expriences quotidiennes.

La corruption comme problme en sciences socialesAu cours des dernires annes, l'intrt pour les causes et les consquences de la corruption en Argentine est all crescendo, tant au niveau de l'universit que des organisations non-gouvernementales locales (ONG), des agences internationales, et des mdias. La majorit des recherches a adopt une perspective macrostructurale qui se centre sur la mesure du phnomne dans le secteur public et s'intresse aux opinions et aux reprsentations d'informateurs qualifis et de leaders d'opinions. Notre recherche, en revanche, s'interroge sur la manire dont oprent les trames de corruption dans un quartier de la classe ouvrire du Conurbano Bonaerense. Dans ce but, elle reconstruit les expriences quotidiennes partir de situations caractrises comme tant lies la corruption partir de rcits de vie de personnes rsidant dans le quartier. Les tudes qui analysent la corruption qui se dveloppe dans un systme conomique et politique tendent se centrer parfois exclusivement sur les ngociations et les arrangements dans le secteur public et les hautes sphres des gouvernements. Les donnes sur lesquelles elles s'appuient sont labores par des ONG, comme par exemple Transparency International, dont les classements reposent sur les reprsentations et les valuations d'analystes et d'informateurs qualifis qui rsident dans le pays ou ont un lien avec ce dernier. Dans ce cadre interprtatif, on met l'accent sur les abus du pouvoir public dans les transactions avec le secteur priv, au bnfice de fonctionnaires, ou de partis et associations qu'ils reprsentent. On laisse ainsi de ct la participation ncessaire du secteur priv. Le consensus entre conomistes, scientifiques et sociologues autour du changement dans la faon de percevoir le phnomne de la corruption a fait oublier les valuations critiques positives, laissant place des visions ngatives tant pour le fonctionnement de l'conomie, comme pour le systme dmocratique, qui se sont conjugues avec la prolifration des tudes sur la question. On a commenc penser la corruption comme un problme mondial et on a orient tous les efforts vers sa rsolution. La corruption a t pense comme un obstacle pour le dveloppement des pays (Elliot, 1997). Le dbat en Amrique latine sur le thme de la corruption a acquis une certaine importance au cours des annes 1990, avec la rsurgence des dmocraties ; l'tude de la corruption et de ses consquences prenant dans ce contexte un tour particulier. Avec le retour des dmocraties, la presse a pu exprimenter une plus grande libert, et centrer son regard sur l'tat et le pouvoir politique. Plusieurs auteurs se sont intresss l'tude de la corruption en Amrique Latine (Little y Posada-Carb, 1996; Tulchin y Espach, 2000; entre autres); alors que d'autres se sont spcialiss dans l'tude de diffrents pays comme: le Mexique (Lomnitz, 2000), l'Argentine (Calvo, 2002; Sautu, 2004; Quintela, 2005; Pereyra, 2010; Boniolo, 2013), entre autres.Dans le cas de l'Argentine, la dmocratie n'a pas pu garantir la disparition de comportements particularistes (Aureano y Ducatenzeiler, 2002:74), en partie, parce que la corruption a constitu un phnomne endmique dans la politique et la socit depuis l'poque coloniale, survivant diffrent gouvernements militaires et constitutionnels (Sautu, 2004). Nonobstant, c'est partir 1990, que la corruption a accapar l'opinion publique, s'affirmant comme le principal problme dans les mdias et le dbat politique national, en synchronie avec l'agenda international (Pereyra, 2010). Avec le discours des mdias, et un contexte critique vis--vis des institutions dmocratiques, le problme de la corruption s'est install dans les discours quotidien du tout chacun. Notre recherche tudie les expriences des travailleurs avec les pratiques qu'eux-mmes dfinissent comme lies la corruption. Nous avons dploy une stratgie multimodale qui repose sur la ralisation d'une trentaine d'entretiens semi-structurs de personnes appartenant la classe ouvrire et d'informateurs clefs. Paralllement, nous avons ralis une observation participante en passant une priode prolonge sur le terrain, la compltant par l'analyse de documents, et de photographies, qui permettent d'aborder en profondeur la complexit de la thmatique.

La corruption territoriale comme trame de pratiques socialesDans le cadre du dbat passionn sur les causes et consquences de la corruption dans notre pays, il y a un grand absent: les gens. L'universit, les moyens de communication, les groupes politiques dnoncent les prjudices qu'impliquent la corruption pour l'tat et la gouvernance; ils numrent les sommes qui sont payes en pot-de-vin dans le cadre des privatisations et les attributions faites des groupes ou des entreprises allis. Notre tude repose sur l'analyse de pratiques considres comme des formes de corruption des personnes rsidant dans un quartier ouvrier loign des centres et des milieux visibles de la socit argentine. Partant d'une analyse sociologique, elle s'interroge sur les relations sociales internes au quartier et sur les relations de ces habitants avec leur entourage; elle cherche connatre leurs expriences par rapport des pratiques qu'ils dfinissent eux-mmes comme tant lies la corruption. La reconstruction de cette trame de pratiques lies la corruption est ralise partir de tmoignages biographiques. Le concept de trame est trs frquemment utilis en langue espagnole[footnoteRef:1]. [1: Note de traduction. Le terme 'trame' en franais renvoie aux acceptions suivantes: 1. Ce qui se droule comme un fil. 2. Ce qui constitue le fond et la liaison d'une chose organise (Le Robert, 1996:2289).]

Dans le cas d'une trame de pratiques lies la corruption, le concept renvoie l'ensemble des pratiques sociales, o les entrelacs reconstruisent une image de la faon dont oprent les formes de corruption dans des contextes sociaux concrets.Cette trame est le produit des pratiques lies la corruption qui s'inscrivent dans les relations sociales, et sont lies des orientations et des faons de faire, conditionnes par une asymtrie de pouvoir, qui implique un ensemble d'acteurs et d'institutions qui, travers certains mcanismes, se disputent des ressources. Le cadre thorique-mthodologique de cette recherche s'appuie sur des thories qui soutiennent que les pratiques issues de la corruption sont des pratiques sociales qui se constituent dans le cadre d'interactions sociales. En tant que pratiques, elles sont orientes par des valeurs, des croyances et des visions du monde qui sont influences par la position que les personnes occupent au sein de la structure sociale. La faon dont les personnes dfinissent la corruption, c'est--dire sa catgorisation, est une construction sociale sdimente travers des expriences partage au cours du temps. Les tmoignages des personnes interviewes ont montr que ces derniers interprtent la corruption en le dfinissant partir d'une catgorisation plus large que celle employe par les tudes acadmiques et les ONGs internationales, qui la conoivent comme le mauvais usage ou l'abus du pouvoir public des fins prives. En premier lieu, les ouvriers du quartier largissent leur dfinition de ce qu'ils considrent comme des formes de corruption aux pratiques lies au secteur priv. En second lieu, la dfinition commune est tendue aux coutumes et pratiques, et avec elles aux formes de rsolution des problmes et aux modes d'action. C'est--dire que, de leur point de vue la corruption ne se limite pas ce que la loi considre comme illgale. Enfin, les ouvriers mettent l'accent sur les abus de pouvoir et d'autorit des personnes qui exercent une position de pouvoir. Dans la description des abus, ils dcrivent les mauvais traitements, les humiliations, le manque de reconnaissance, et toutes les formes de traitement qui accompagne les pratiques lies la corruption dans la vie quotidienne. La dfinition de la corruption est reste marque par l'obtention illgale et/ou illgitime, et dloyale de bnfices particuliers (conomiques et non conomiques), abusant gnralement d'une position de pouvoir et d'autorit, au dtriment de la socit un moment historico-social donn. Les pratiques que les personnes interviewes caractrisent comme tant lies la corruption sont rgulires, dans la mesure o elles se rptent dans le temps travers des changes de biens (montaires ou non) et de faveurs ou d'attentions Ces types d'changes s'insrent au sein de trames de sens et de modes d'actions, qui font parties de relations de pouvoir et de contextes politiques, sociaux et institutionnels qui configurent les conditions de possibilit de son existence. Ainsi on peu mettre en vidence la mise en uvre de situations asymtriques et des mcanismes qui rendent possible ces changes parce qu'ils sont lis des formes subtiles et explicites de domination-subordination. La domination s'exprime travers l'alternance entre l'usage de pressions coercitives et la recherche d'un consensus/d'une acception des personnes soumises. Dans cette tude la domination est dfinie comme une forme de discipline qui se ralise travers un cadre matriel, symbolique et idologique. La domination est difficilement totale, parce que son exercice implique des fissures, des espaces qui laissent place au dploiement de stratgies de micro-rsistance par les domins, qui s'expriment travers des discours, des gestes y des pratiques, visibles ou invisibles pour ceux qui occupent des positions d'autorit dans la vie quotidienne. La domination-subordination imbrique dans l'entrelacs des pratiques lies la corruption s'appuie sur des mcanismes construits socialement qui reproduisent l'ingalit sociale.La corruption prend des formes particulires selon la classe sociale des acteurs. Les conditions de base d'existence qui marquent l'appartenance une classe dfinissent la situation de domination/subordination dans laquelle ont lieu les changes dfinis par les acteurs sociaux comme tant lis la corruption. Ces expriences vcues de domination/subordination font partie de la culture de classe (Thompson, 1966; Williams, 2001). Le territoire que nous avons choisi est, par beaucoup d'aspects, similaire d'autres lieux relgus en Argentine, parce qu'il a t profondment marqu par le chmage et en consquence, par la marginalit, situation qui s'est aggrave au cours des annes quatre-vingt-dix. Des quartiers comme celui-ci, dans lequel nous avons ralis notre travail de terrain, surgirent dans les annes cinquante suites aux transformations industrielles et la rcupration de terres, dans les annes quatre-vingt. Enfin, la configuration du quartier a termin de se transformer avec les ngociations qui ont eu lieu entre les entreprises prives d'urbanisation et les municipalits au cours des annes quatre-vingt-dix (Ros y Pirez, 2008). Le dveloppement des countries et les quartiers ferms furent sans aucun doute l'un des phnomnes les plus emblmatiques et radicaux des annes quatre-vingt-dix. Emblmatique, les formes d'urbanisations prives se sont dveloppes dans un contexte d'augmentation des ingalits sociales notoire, dont la toile de fond est la reconfiguration de l'tat, avec la dsagrgation du public et la mercantilisation des services de base (ducation, sant et scurit) (Svampa, 2001). Le territoire que nous avons choisi se diffrencie d'autres territoires pauvres, parce qu'il est possible d'y mettre nu les mcanismes et modes de connexion travers lesquels la grande et la petite corruption s'articulent dans une trame complexe de relations sociales. Sa pertinence s'explique par le fait qu'il occupe une position stratgique, o se trouvent les principales industries automobiles (Ford et Volkswagen), papetires et frigorifiques lies l'exportation. Ce quartier pauvre est entour par des quartiers privs au niveau de vie parmi les plus levs du pays. Enfin, suite sa localisation dans une zone industrialises, au comportement de leurs voisins riches, et la faiblesse des infrastructures publiques, ce territoire connat de graves problmes de contamination de l'eau et du sol. Les cas analyss dans cet article portent sur la ralisation d'un rseau d'eau potable, comme premire approche la reconstruction d'un service public clef pour la reproduction de la vie humaine. En second lieu, nous nous centrons sur la reconstruction de trames de corruption dans le domaine du btiment, l'un des espaces centraux de l'insertion professionnelle des ouvriers du quartier. La troisime trame est lie l'une des industries clef du pays : l'industrie de la viande. L'usine est situe dans le quartier et est l'une des premires sur le march local par son volume de production et d'exportation. Dans le quatrime cas, nous analysons un programme de politique sociale destin aux chmeurs, qui a pour objectif d'organiser les ouvriers en coopratives. Enfin, nous reconstruisons la trame de pratiques lies la corruption et aux actes dlictueux impliquant la vente de drogue, compromettant la Justice et la Police. Dans cet article nous prsenterons les principaux apports partir de l'analyse intgrale des cas afin d'identifier les lments communs sous-tendant ces derniers.

L'analyse des trames de la corruption, domination et micro-rsistances

L'analyse comparative d'ensemble des cas de corruption dtects dans le cadre de notre travail de terrain nous a permis, tout d'abord, de construire, un profil des agents sociaux prsents par les personnes interviewes comme tant corrompues; ensuite, de dcrire les mcanismes typiques, explicites et subtils, qui se font jour au sein des trames de corruption, et troisimement, de ses consquences. Une fois dcrite la faon dont opre la corruption dans un quartier ouvrier, nous nous sommes arrts sur l'analyse des interprtations et sur le sens que les pratiques avaient du point de vue des personnes interviewes. Nous situerons notre analyse dans un contexte de relations sociales de domination/subordination au sein desquelles s'insrent les trames de corruption; nous regarderons de mme les caractristiques et les circonstances partir desquelles mergent des micro-rsistances publiques (affiches) et occultes (dissimules et discrtes).

Les acteurs sociaux impliqusLes protagonistes des trames de corruption sont en grande partie lis des acteurs sociaux avec lesquels les ouvriers maintiennent des relations quotidiennes. Les faits relats au cours du travail de terrain rfrent principalement des situations vcues par les personnes interviewes et ces derniers mettent gnralement un accent particulier sur la mention de personnes du secteur public ou priv, ainsi que sur les consquences et sentiments que ces comportements veillent en eux. Au cours des entretiens, il a ponctuellement t fait mention de fonctionnaires municipaux; de personnes qui ont pour responsabilit de contrler la ralisation de travaux publics ou qui occupent des charges politiques ou une tche excutive dans des programmes sociaux des quartiers. Plusieurs de ces fonctionnaires ont commenc comme militants de base, pour se convertir au cours des dcennies en rfrents politiques, puis accder travers un parti une charge dans l'administration de la municipalit avec un certain pouvoir de dcision. La carrire des fonctionnaires publics de la zone, commence, dans plusieurs cas, par une carrire de militant local. La relation de proximit qui s'est tablie par le pass leur permet de connatre le territoire et de mettre en place des relations particulires avec leurs voisins. Lorsque ces personnes abusent de leur position d'autorit, elles gnrent parmi leurs anciens voisins des sentiments contradictoires reposant sur l'affect pass et en mme temps sur des sentiments de colre et de frustration. Les acteurs en question, dans les rcits concernant les charges publics, occupent non seulement des charges Bureaucratique -administratives, ou avec un pouvoir de dcision politique, mais peuvent aussi faire partie des forces de scurit et la sphre de la Justice. La Police Bonaerense est hautement mise en question dans les rcits des personnes interviewes du quartier. Cette dernire est trs frquemment mentionne par les plus jeunes. Les acteurs privs identifis dans les rcits sont des patrons d'entreprises (de construction, frigorifiques, etc.). Dans le cas de l'usine frigorifique situe dans le quartier, son propritaire dirige son entreprise en s'auto-prsentant avec un air paternaliste. Il apparat important de souligner que dans tous les cas qui concernent cette tude la relation qui s'tablit entre les propritaires de l'entreprise et les ouvriers suggre des caractristiques proches de celles que l'on pouvait trouver dans le cadre d'anciennes relations de patronages ruraux. Dans l'usine frigorifique les relations de patronage ont des caractristiques particulires qui contrastent avec les relations existant dans l'industrie automobile qui se situe aux alentours. La caractristique la plus vidente est la dimension que le patron donne sa relation avec ses employs. Ce dernier maintient un contact direct et frquent avec les ouvriers faisant des discours publics au cours d'assembles convoques par lui-mme; il s'agit d'un voisin qui rside dans les villes-villages privs qui se trouvent aux alentours de l'usine.

Les mcanismes de la corruptionLes pratiques lies la corruption comme interactions sociales se mettent en placent par le biais de mcanismes comme le pot-de-vin, la malversation et le dtournement de fonds publics, du lobby entrepreneurial, de favoritismes, de l'abus de pouvoir-autorit, de l'appropriation matrielle et de la cooptation de rfrents. Il est utile de rappeler que ces mcanismes ne sont pas exclusifs mais peuvent se combiner dans une trame de corruption.Le pot-de-vin[footnoteRef:2] constitue un moyen de paiement en change de l'obtention d'un avantage ou d'un bnfice. Ce mcanisme est utilis tant dans les changes pour de petites sommes, comme c'est le cas de la petite corruption, que dans le cas de personnes qui grent d'importants bnfices, comme dans le cas d'entreprises. [2: Le pot-de-vin se combine d'autres mcanismes. Par exemple, le lobby entrepreneurial est un mcanisme utilis par les entreprises pour obtenir des permis ou des subsides de l'tat, impliquant frquemment des pot-de-vin ou des faveurs politiques. ]

L'un des mcanismes qui n'apparat pas dans la bibliographie sur la corruption est l'appropriation matrielle. Ces situations conceptualises comme une forme d'obtention d'un bnfice par des voies illgales et/ou illgitimes sont vcues par les personnes interviewes dans le cas de l'appropriation des heures travailles et non payes par les entreprises. Une situation qui se traduit par la peine et l'impuissance face ce qu'ils considrent comme une forme de corruption. La cooptation de rfrents et de jeunes est une autre situation qui est apparue dans les rcits. La cooptation est un mcanisme par lequel on slectionne une ou plusieurs personnes qui occupent un poste correspondant aux intrts contraires de ceux qui le ou les cooptent. Nous nous rfrons la cooptation de dlgus syndicaux qui dans les faits reprsentent les intrts des propritaires des entreprises. Autre cas qui pourrait tre pens comme une forme de cooptation: les jeunes recruts pour commettre des actes de dlinquance. Formellement, ils occupent des rles opposs, mais dans les faits le produit des vols et de la vente de la drogue est appropri par des personnes appartenant aux forces de scurit (police) ou par des fonctionnaires municipaux.La cooptation de dirigeants syndicaux de la part du patronat a pour rsultat de minimiser ou d'viter des conflits entre ouvriers et entrepreneurs. La cooptation de rfrents du quartier ou syndicaux, par l'tat ou les entreprises gnre une mfiance parmi les ouvriers et un certain scepticisme envers l'organisation collective.Le mcanisme de malversation et du dtournement pour un profit personnel s'appuie sur des fonds de l'tat ou d'entreprises prives. L'un des cas clefs travers lequel nous avons pu observer ce mcanisme est le cas de la trame de corruption lie la construction d'un rseau d'eau potable. D'un ct, les ventes ralises par le biais d'entreprises prives qui produisent les matriaux pour la ralisation de l'ouvrage font enfler les factures en vendant des prix trs levs les tuyaux, le ciment, le sable; de l'autre ct, l'tat paye des factures pour des matriaux qui selon les personnes interviewes qui les contrlent ne sont jamais arrivs destination. Les ressources qui sont mentionnes dans les rcits et les documents, peuvent tre divises en deux catgories: grandes ou petites. Les ressources ou bnfices les plus grands se trouvent au niveau des institutions, et se traduisent par l'attribution de licitations, ou de subsides de l'tat afin de favoriser par le biais des lobbys certains secteurs entrepreneuriaux. De mme, l'usage indu de biens de l'tat pour un bnfice personnel est une autre des pratiques communes qui apparat dans les rcits. Les ressources les plus petites sont lis aux changes entre des acteurs pour le paiement de commissions afin d'obtenir un travail, ou de petits changes de la vie quotidienne comme rapporter de la viande de l'usine frigorifique pour la vendre titre priv, ou la distribuer de manire discrtionnaire des uvres sociales ou au sein d'une mme famille.Ainsi, de la mme manire que le pot-de-vin est prsent dans toutes les trames de corruption l'abus de pouvoir-autorit est un comportement social qui oblige les personnes qui se trouvent en situation de subordination se soumettre aux pratiques lies la corruption comme part du jeu social. travers ce dernier, on impose des pratiques sociales, des usages et des coutumes dans la vie quotidienne qui servent de moyens pour l'obtention de biens et de services. En ce sens, il existe un abus de hirarchie pour tirer un profit personnel, mcanisme qui s'exprime travers les rcits des personnes interviewes, qui en dernire instance deviennent des victimes directes ou indirectes de ces actes de corruption.Les faits relats jusqu'ici se rfrent principalement des situations vcues par les personnes interviewes et leurs proches. Ces rcits mettent en gnral un accent particulier sur les acteurs sociaux comme les entrepreneurs, les fonctionnaires municipaux et les syndicalistes et sur les consquences et les sentiments que ces pratiques rveillent en eux. Du point de vue des personnes interviewes, ceux qui se trouvent dans une position, peuvent, plus ou moins frquemment, solliciter un pot-de-vin pour distribuer des ressources ou favoriser des personnes dans la slection d'un poste ou l'obtention d'un plan social.

Les consquences des trames de corruption.Les principales consquences des trames de corruption que nous avons pu identifier travers les cas tudis peuvent tre classes en deux grands types: territoriales et sociales. Bien qu'elles soient toutes les deux sociales nous avons prfr appel territoriales les cas dont les consquences affectent de manire indiffrencie toute la population et ont des consquences sur l'espace gographique, du fait de sa dtrioration ou parce que les travaux de prservation ou visant le mettre en valeur ne sont pas effectus, ou se font mal. La catgorie sociale a t rserve aux cas dont les consquences sont lies des situations professionnelles ou l'exercice conomico-professionnel, c'est--dire, aux situations qui affectent les sources de nourriture ou les activits spcifiques des personnes.Les consquences qui affectent les territoires ont t particulirement mises en vidence avec les pots-de-vin que les entreprises payent pour que les fonctionnaires publics ne contrlent pas la faon dont elles se dfont des dchets. L'impact des entreprises dans la contamination du ruisseau et du sol est considr par les personnes interviewes comme la consquence des trames de corruption ; elle est la consquence du dfaut de contrle de la Municipalit et l'irresponsabilit entrepreneuriale des industries que se trouvent dans les environs, l'image de l'usine frigorifique. Autres consquences de type territorial que nous avons pu identifier travers les entretiens sont lies aux travaux publics ou aux infrastructures en gnral. Les consquences qui ont un impact sur les conditions professionnelles s'expriment travers le cas de la cooptation de dlgus syndicaux qui vitent subrepticement les conflits et permettent une augmentation des profits de l'entreprise et l'assujettissement du droit du Travail, par le biais, par exemple, d'emploi non dclars, ou au moment de fortes priodes de productivit, de la ngation d'un droit prendre des vacances ou les jours fris. Aussi, les ouvriers ont soulign qu'aujourd'hui il est plus facile d'imposer une rotation de postes ou des rythmes de travail plus importants sur les diffrentes machines ceux qui expriment publiquement un dsaccord par rapport la ngation de droit au moment de priodes de forte productivit. Ceci faisant que les personnes qui subissent un prjudice voient leurs droits affaiblis, gnrant ainsi une plus grande surveillance et un degr de contrle plus important dans les usines.Dans le cas o la corruption est lie des pratiques dlictueuses les consquences des pratiques, mentionnes prcdemment, telles que la perception de pots-de-vin par la police pour ne pas aller en prison ou vendre de la drogue, ou obtenir des bnfices dans la prison, se manifestent travers un sentiment de mfiance et d'inscurit. De mme, ces sentiments se trouvent aussi mentionns lorsque les personnes voquent les pratiques lies la corruption dans le monde du travail. Ces pratiques impliquent des entrepreneurs qui profitent de ce que peut signifier la perte d'un emploi ou les reprsailles sur leur lieu de travail. La peur est un sentiment qui apparat dans les entretiens lorsque les gens parlent de leur situation professionnelle.En accord avec Elias (1993:528) nous pouvons voir que la charge professionnelle, l'inquitude par rapport aux possibilits de continuit dans un travail, suscite de la peur, de la mme manire qu'une menace directe sur la vie. La peur de la faim et de la misre est une peur qui se trouve dans toutes les classes sociales, cependant, elle apparat de manire ponctuelle dans le cas des classes les plus pauvres, qui peroivent de manire plus aigu ce type de situation. Les trames de corruption gnrent des sentiments contradictoires, d'un ct, l'incertitude et la dissimulation de secrets sur la scne publique, de l'autre, la naturalisation de pratiques qui deviennent une faon d'agir au quotidien pour la survie de beaucoup de familles et de voisins du quartier. Au cours d'tudes prcdentes, on a pu observer comment certaines pratiques que les acteurs caractrisent comme tant lies la corruption peuvent tre considres comme quelque chose de naturel et d'invitable, et comme une stratgie qui permet la classe ouvrire d'obtenir un emploi, de la nourriture et des plans sociaux (Boniolo, 2010). Cependant, bien que certaines personnes admettent participer de ce pratiques, agissant de manire rsoudre des situations de survie, il existe un sentiment de rejet par rapport une possible adjectivation de leur conduite.Le discours sur les pratiques lies la corruption connues et exprimentes par les ouvriers nous laisse penser que ce ses derniers se sentent comme attraps dans la toile de la corruption. Les ides que mentionne Elias (1993:528) par rapport la possibilit d'tre la merci des puissants et de connatre une perte d'autonomie apparaissent au cours des rcits comme des peurs qui s'intriorisent et se renforcent. Cette sensation d'tre prisonnier de ce type de pratiques et de ne pouvoir s'en sortir sans souffrir certaines consquences sont vcues autant par les femmes que par les hommes.Les trames de corruption affectent sur le plan de la socit la prdictibilit des normes sociales qui s'inscrivent dans le cadre de la loi, mais en mme temps elles crent leurs propres normes parallles qui reposent sur des usages et des coutumes, la peur de certaines consquences et les bnfices qui sont offerts dans des situations o les ncessits se trouvent insatisfaites. Cela se reflte dans les dfinitions proposes par les membres de la classe ouvrire, lesquelles vont au-del du problme de la lgalit en prenant en compte la question de la lgitimit et de l'illgitimit. Cette dfinition oriente la pratique, de mme que l'exprience biographique modifie la dfinition de la corruption, par exemple lorsque des personnes valuent une situation et agissent de manire obtenir un travail, remettent un pot-de-vin de manire toucher une rmunration pour un accident professionnel, ou dnoncent publiquement des personnes qui sont perues comme corrompues. La corruption sur le plan territorial organise le mode d'obtention de ressources, permet d'changer des faveurs, de grer les ressources publiques et de rsoudre les problmes sociaux. En ce sens, la corruption participe d'un systme de domination qui combine des formes modernes et anciennes. Les trames de corruption dans leur ensemble s'inscrivent dans des processus plus profond de domination et de rsistance qui s'articulent avec la structure institutionnelle de l'tat et le commerce priv au niveau des entreprises. En outre, les pratiques lies la corruption donnent lieu de petites formes de rsistance dans la vie quotidienne, qui s'expriment travers des gestes, des attitudes et des rejets qui peuvent prendre en certaines occasions une dimension publique, ou en d'autres cas, prendre des formes moins visibles.

Corruption, domination et micro-rsistances Notre approche conceptuelle pense les pratiques lies la corruption comme partie intgrante d'une trame de relations sociales, ancres dans un territoire. Ainsi, nous avons incorpor dans cette perspective le contexte des expriences quotidiennes rfrant aux changes entre les personnes que nous avions pu interviewer avec des acteurs sociaux en situation de pouvoir, d'autorit, et occupant un poste hirarchique; changes travers lesquels il est possible d'observer la prsence de formes de rsistance.La corruption est lie la domination, conomique, symbolique et idologique, dans la mesure o elle apparat renforcer les mcanismes disciplinaires qui mettent en vidences les relations de pouvoir et laissent parfois percevoir les conflits de classe.

Les formes de corruptions lies la domination matrielle, symbolique et idologique.Rappelons que nous faisons rfrence aux formes de corruptions lies la domination matrielle lorsque celles-ci s'apparentent aux formes qui permettent une appropriation matrielle de profits, en biens ou en argent par des personnes qui se trouvent en situation de pouvoir ou d'autorit au sein de la structure sociale.Scott (2000:141) signale que l'appropriation matrielle est dans une grande mesure un objectif de domination. Mais le processus mme d'appropriation implique invitablement des relations sociales systmatiques de subordination au sein desquelles les faibles reoivent tout type d'outrages. Cette situation, dans un second temps, est source de colre, de frustration, de toute la bile verse et contenue et qui alimente les discours privs. Les outrages sont une source d'nergie. () Ainsi la rsistance se manifeste non seulement travers l'appropriation matrielle, mais trouve aussi sa source dans un processus systmatique d'humiliation matrielle personnelle qui caractrise l'exploitation. Les formes de corruption lies la domination matrielle renvoient l'appropriation matrielle par des personnes qui se trouvent en situation de pouvoir. Par exemple, les heures travailles et non payes dans le secteur du btiment, et dont se sont appropris les propritaires. Une autre pratique est de devoir cder une partie de son salaire un intermdiaire qui ses entres au sein de la fonction publique dans le cadre du Programme Social.Les formes de corruption lies la dimension symbolique de la domination sont des pratiques qui reposent sur la soumission. Ces pratiques sont lies aux formes de slection o priment le favoritisme ou des formes de relations sociales qui accompagnent les pratiques lies la corruption de manire crer les conditions de possibilit de leur existence. Les pressions ou influences exerces en fonction de positions asymtriques de pouvoir s'expriment travers des mauvais traitements ou des contraintes, la mconnaissance des lois du Travail ou des rprimandes qui permettent aux pratiques lies la corruption de se mettre en place. Ces formes de corruption lies la domination symbolique se rfrent aux mauvais traitements, aux insultes, aux attaques la dignit des personnes qui accompagnent les pratiques lies la corruption. Le mpris et la colre qui apparaissent de manire rpte travers les expressions des personnes interviewes et qui s'expriment travers des relations hirarchiques, donnent une certaine visibilit aux relations de pouvoir.Nous pouvons voir travers les rcits des personnes interviewes une extension de l'internationalisation de la surveillance au sein de l'usine dans la vie quotidienne. En ce sens, les ouvriers qui habitent dans le quartier ressentent une pression particulire du fait que les superviseurs de l'usine sont aussi leurs voisins, ce qui fait qu'ils ont l'impression d'tre observs jusque dans leur vie quotidienne. D'un autre ct, la possibilit de vivre sur un mme territoire leur permet aussi d'augmenter la possibilit de se runir et de s'organiser.Enfin, les formes de corruption lies la domination idologique impliquent une construction sociale et une naturalisation des pratiques de la vie quotidienne des personnes du quartier. Cependant, il y a quelques petits interstices travers lesquels se dveloppent des formes de micro-rsistances (publiques et dissimules) contre les pratiques lies la corruption et la domination. En ce sens, ils soutiennent dans leurs discours leurs pratiques comme une faon d'agir qui s'adapte face aux circonstances adverses au sein d'un systme structurel. Ainsi, la corruption permet de rcuprer d'anciennes images comme: graisser les rouages de la bureaucratie, ou faciliter la rsolution des conflits dans les usines ou faire en sorte que les habitants du quartier ralisent des tches administratives par le bais d'un intermdiaire qui a un lien avec la municipalit et d'autres sphres de l'tat, redonnant vie d'anciennes formes de construction de la politique en Argentine. Ces formes de corruption lies la domination idologique font rfrence dans les rcits la cooptation de leaders syndicaux et sociaux. De mme, apparaissent des arguments qui viennent lgitimer et soutenir la corruption en dfendant l'ide que la seule forme d'obtention d'un contrat est de payer un pot-de-vin, de mme que pour obtenir une autorisation ou viter un conflit avec le syndicat.Ce discours sous-tend que pour faire des affaires en Argentine une certaine une justification de la corruption existante, et d'y avoir recours pour obtenir des contrats, des autorisations, des subsides, et de fausser les marges de profits. De cette manire on appelle aux us et coutumes pour faire des affaires et mettre en place des programmes sociaux, ou trouver des solutions aux problmes lis au monde du travail qui reviennent sur les lois visant rglementer l'emploi et protger le personnel. Selon leur propre perspective, les ouvriers considrent les pratiques issues de la corruption comme moralement condamnables et portent prjudice l'galit des opportunits et au bien tre dans leur vie quotidienne. Cependant, au moment d'valuer les consquences de la corruption, qui s'inscrivent dans des relations de pouvoir, ils peuvent la concevoir comme une stratgie adaptative pour survivre.Ces pratiques lies la corruption gnrent un sentiment de rejet et promeuvent des discours et des pratiques de micro-rsistances. Si ces micro-rsistances ne sont explicites qu'en de rares occasions, la plupart du temps, elles ont lieu en dehors de la scne publique et loin de toute forme de surveillance. Certaines de ces manifestations peuvent se retrouver dans les rumeurs, les blagues, et les pratiques dissimules qui correspondent aux formes que les ouvriers trouvent pour canaliser leur dsaccord face ce type de pratiques.

Micro-rsistances publiques et affichesDans le cas des formes de corruption lies la domination conomique nous pouvons constater que les micro-rsistances publiques ou affiches mentionnes se rfrent la mise en place de projets alternatifs aux emplois salaris dans les usines. De mme, d'autres formes de micro-rsistances cherchent organiser des commissions parallles aux syndicats 'bureaucratiques'.D'autre part, l'occupation de terres, bien que constituant un phnomne qui s'observe depuis des dcennies en Argentine, apparat dans l'actualit lie des formes de micro-rsistances visant lutter contre les systmes de privatisation de la terre, la construction de quartiers ferms proximit de quartiers ouvriers, et qui s'opposent l'accumulation et la concentration d'initiatives immobilires prives.Les manifestations contre la contamination de l'eau et les dchets sont aussi lies aux dchets des entreprises o les employs travaillent, et au manque de contrles de la municipalit. Il s'agit clairement d'un conflit de classes. Dans les environs du quartier, nous pouvons constater que les countries et les quartiers ferms n'ont pas de problme d'accs l'eau potable. Potable signifie apte la consommation humaine. Les quartiers privs ont un accs l'eau qui leur permet de bnficier de piscines, d'arroser leurs jardins, alors que les quartiers ouvriers qui les entourent, comme nous avons pu le mentionner prcdemment, manquent d'eau potable et d'un systme de tout l'gout. Les micro-rsistances publiques et affiches lies la dimension symbolique sont associes aux graffitis sur les murs des quartiers ferms qui entourent le quartier ouvrier. Les adolescents et les habitants du quartier laissent leurs marques et montrent directement leur colre. Sur le mur du fond il est possible de lire Le quartier commande. Cette phrase condense travers un message une pratique de micro-rsistance : vous pouvez avoir de l'argent, vous enfermer, mais nous nous commandons. Elle peut tre lue comme un dfi public inscrit sur les murs, une affirmation de manire se rendre visible dans le quartier. Si nous continuons de parcours les murs du quartier il est possible de trouver un autre graffiti qui fait allusion aux quartiers ferms Quartiers privs de lumire, d'eau, de travail, de sant, d'ducation. Le graffiti fait allusion la privatisation des services et des droits de bases des personnes qui vivent dans le quartier. Ainsi, l'usage de l'ironie est intressant parce qu'il laisse place un jeu de mots qui renvoie d'un ct au manque, et de l'autre, aux initiatives immobilires prives, ou countries au sein desquels on a privatis l'ducation, la sant, etc.

Micro-rsistances dissimulesLes micro-rsistances indirectes ou dissimules lies aux formes de corruption et la domination matrielle sont attaches aux mcanismes d'expropriation de diffrents biens par rapport l'emploi de chaque personne. Par exemple, lorsqu'une personne travaille dans une usine de brique (bloquera) celle-ci amne des briques son domicile pour les utiliser ou les vendre. Le terme expropriation a surgit au cours des entretiens comme un moyen de justifier ses actions. Si la loi voit dans ce type de pratique un simple vol, certaines des personnes interviewes les re-signifient comme formes de rcupration de ce que les patrons, fonctionnaires municipaux et entrepreneurs ont pu leur prendre. Les employs pensent que rsister leur patron, dans un sens large n'importe quelle autorit, implique de se r-approprier des petites choses, ce qui n'est pas peru comme un vol. D'autres formes de micro-rsistances contre la domination conomique sont les menaces anonymes l'encontre des patrons et des fonctionnaires.Les micro-rsistances symboliques dissimules s'expriment par le biais de discours, en dehors de la scne publique, qui traduisent l'indignation, la colre, et se font le relais de petites anecdotes de rbellion. Les rumeurs d'inversement du monde, des hirarchies, d'laboration de projets, chansons, sont cres et trouve une signification par le biais des subordonns. Ainsi, la capacit se runir apparat comme une forme de rsistance quotidienne dans un monde hostile. La cration d'espaces, de projets alternatifs, travers lesquelles se construisent de nouvelles formes de relations horizontales rend possible la circulation de discours et la prise de dcisions autonomes. Dans ces microcosmes se mettent en place un processus travers on apprend s'exprimer, dire ce que l'on pense, dfendre ses droits pour pouvoir lutter publiquement, travers d'autres formes de micro-corruption, contre la corruption.Un exemple de ces micro-rsistances symboliques se manifeste travers les textes de la musique populaire des quartiers du Conurbano. Dans les quartiers, la cumbia villera s'est dveloppe comme un type de musique qui a russi caractriser les villas et les quartiers ouvriers en reprenant des aspects de la culture populaire et pntrer le circuit commercial du disque et des discothques (Mguez, 2006:37). La cumbia vhicule aussi d'importants lments de la culture des prisons. Dans cette perspective, la cumbia reprend dans ses chansons les textes issus de la protestation sociale, les consignes et les dnonciations touchant aux problmatiques de quartier et aux lutes populaires. travers les micro-rsistances idologiques, on dfait le discours qui sous-tend les pratiques lies la corruption et la domination. Au sein des espaces collectifs o se mettent en place ces formes de micro-rsistance idologique prime l'galit. Dans ce cadre on rflchit et on s'exprime sur l'illgitimit du paiement de pots-de-vin pour obtenir un emploi ou des aliments. Ainsi, on dfend les droits comme faisant partie de pratiques acqurir et des outils ncessaires pour ne pas avoir payer l'information ou des intermdiaires. L'information pour la ralisation de certaines tches administratives pour obtenir des plans sociaux ou certains subsides de l'tat est un lment clef, et c'est gnralement dans ces situations que l'on paie des pots-de-vin. L'assignation de postes de travail ou savoir quelles sont les tapes suivre de manire pouvoir toucher l'argent relative un accident du travail, son aussi des savoir pratiques pour lesquels, dans ces espaces, on tente de former les personnes de manire affronter les pratiques lies la corruption. Par ce biais, on apprend rclamer de manire orale et par crit, dnaturalisant les arguments qui sous-tendent la corruption, comme moyen de dpasser les manques et de subvenir aux ncessit, ou de rsoudre des problmes.Ces espaces auxquels nous avons pu avoir accs, aprs de nombreux efforts, sont des espaces de micro-rsistances contre les pratiques issues de la corruption, mais la transcendent aussi en questionnant les pratiques de domination. Un exemple est le Frente de lucha por cooperativas sin punteros, au sein duquel on tente de lutter contre les pratiques lies la corruption et le clientlisme politique. La mise en place de ce type d'espace permet aux personnes de s'organiser, tout en permettant de rflchir sur les conflits lis leur situation professionnelle, ou plus largement aux relations entre hommes et femmes. Dans ce cadre, on partage ses expriences, on affirme une certaine dignit et une reconnaissance sociale. Ces espaces fonctionnent comme un moyen de renforcer et de consolider un discours des subordonns travers lequel on construit des symboles, on prserve son identit, et on imagine des mondes nouveaux.

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Clientlisme, action publique territorialise et processus de minorisation. La place des allognes.

Marie Peretti-NdiayeDocteure en sociologie. Membre associe au Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques, CADIS-UMR8039, EHESS-CNRS. ATER en sociologie l'Universit Paris-Est [email protected]

RsumLe clientlisme a longtemps constitu une composante majeure de l'exercice politique en Corse, en lien avec les flux d'migration. Les relations dont ce systme est porteur se sont reconfigures avec la territorialisation de l'action publique et l'inversion des flux migratoires, sans pour autant sembler s'affaiblir. Elles impliquent aujourd'hui des individus minoriss, en prise avec la prcarit induite notamment par le dveloppement de l'conomie touristique. Bas sur une recherche qualitative ralise entre 2004 et 2012 en Corse, cet article vise clairer comment les formes de leadership politique et les normes de dialogue induites par ces reconfigurations s'articulent aux processus de minorisation l'uvre dans la Corse contemporaine. Il a galement pour objectif d'esquisser les situations dans lesquelles cette articulation peut s'incarner sur le march du travail et dans l'espace public.

Mots-cls : Corse, autochtonie, clientlisme, minorisation, territorialisation.

AbstractPatronage has long been a major component of Corsican politics, linked to emigration patterns. The "territorialisation" of public policyand reverse migration have changed the relations within this system, seemingly without weakening them. Today they involve minorities affected by the precariousness resulting from the development of the tourist economy. Based on qualitative research carried out in Corsica between 2004 and 2012, this article aims to clarify the ways in which forms of political leadership and standards of dialogue inferred by these reconfigurations articulate with processes of creating minorities at work in contemporary Corsica. It also outlines the situations in which this interconnection can take form in the labour force and the public sphereKeywords: Corsica, indigenous revendication, clientelism, minorization, territorialisation.

La priode contemporaine est marque, en France, par des formes renouveles dinstitutionnalisation de laction publique lchelle du territoire. Le modle centralis et ascendant qui a longtemps caractris ltat franais a t mis mal dans la priode qui suivit la Seconde Guerre mondiale, jusqu' provoquer une "inversion du paradigme tatique" en Europe (Fazi, 2008, p. 437). Dsormais, "l'intgration par le haut se fait mal ou peu alors qu'elle s'opre de plus en plus par le bas" (Thoenig et Duran, 1996, p. 582). Employ pour caractriser limportance accrue du local en matire de prise de dcision (Douillet, 2003), le concept de territorialisation dsigne cette tendance initie ds laprs-guerre et renforce dans les annes quatre-vingt avec la dcentralisation et, dans les annes quatre-vingt-dix, avec les politiques de dveloppement territorial: le passage dun dcoupage principalement sectoriel un autre, plus territorial, de laction publique. Les enjeux de laction apparaissent dsormais plus complexes et le pouvoir politique, plus diffus. Trois volutions majeures en dcoulent. En premier lieu, les problmes publics sont aujourd'hui dfinis dans les territoires, ce qui bouleverse llaboration et la mise en uvre de laction publique, comme les principes auxquels cette action se rfre. Les revendications dautochtonie accompagnent parfois ces volutions. Le rapport la terre et sa "puissance dvocations sensorielles" (Levy, 2011, p. 10) embote alors le pas au redcoupage et au redploiement des ressources des acteurs territoriaux. De ce fait, laction publique a, en deuxime lieu, une influence sur lexercice du pouvoir et la conflictualit qui l'accompagne (Thoenig et Duran, 1996). En troisime lieu, le rle jou par les lus dans la dcision publique, apparat parfois flou. Anne-Ccile Douillet souligne ainsi que si ces lus ont une importance accrue concernant l'organisation territoriale et la rpartition des ressources, ils n'ont toutefois qu'une faible influence sur la "dfinition des principes et des contenus de l'action publique" (2003, p. 585). Ces dynamiques peuvent contribuer la privatisation ou la confiscation de certaines ressources des fins lectorales. La territorialisation de l'action publique peut ainsi favoriser les revendications d'autochtonie comme le clientlisme, entendu ici comme un processus d'change de biens ou de services contre l'affiliation partisane et/ou le vote, qui "transforme toujours des biens publics en avantages privs" (Crettiez et Fazi, 2003, p. 169) et comprend, outre la matrialit de l'change, des dimensions symboliques. La rfrence aux affects qui lient certains notables locaux leurs "affilis" est, ce propos, loquente. Ils s'expriment de manire particulirement forte lorsque ces derniers sont en difficult. Parmi les facteurs susceptibles de dvelopper la mcanique clientliste l'heure de la territorialisation, la "contractualisation progressive" de la fonction publique territoriale (Perrin, 2009, p. 717) et la vulnrabilit des populations (Sanmarco, 2008) jouent un rle majeur. Ces diffrents lments prennent une acuit particulire dans le "laboratoire institutionnel" corse (Lefvbre, 2010). Plusieurs travaux montrent que dans l'le, la mcanique clientliste a longtemps t ancre dans la ralit rurale. Au sein des villages, elle a engag des familles entires, constituant un vritable ciment social. Avec le dveloppement massif de lmigration ou de lexode rural, elle sest transfre dans de nouveaux cadres tout en continuant nourrir le pouvoir de notables locaux (Briquet, 1997). Ces phnomnes ont t largement tudis, de manire plus ou moins fconde. Si certains prjugs culturalistes ont pu conduire envisager lle au prisme dune suppose "extriorit la rationalit lgale de ltat" (Briquet, 2001, p. 104) propice aux grilles de lecture strotypes; dautres ont permis de mettre en lumire les liens entre "haute" et "basse" pratiques politiques dans les socits rurales (Ravis-Giordani, 1976) ou encore la manire dont le systme clientlaire maille le territoire en tablissant des rapports vivaces bass sur des "changes durables de biens et de services" (Briquet, 1997, p. 7), parfois jusqu travestir dans le langage de lamiti (Briquet, 1999) les dcalages entre idaux galitaires et prgnance des ingalits (Sennett, 2005).Des travaux plus rcents indiquent, quant eux, que l'conomie locale est devenue, depuis les annes quatre-vingt et les lois de dcentralisation, un enjeu pour les rseaux criminels (de Saint-Victor, 2013; Follorou, 2013). La place des membres de l'exogroup dans cette mcanique a, quant elle, t peu tudie. Elle ouvre, pourtant, de nouveaux espaces de questionnement concernant deux sujets distincts mais concomitants: la monte en puissance de la contestation nationaliste qui a donn lieu une succession de "statuts particuliers" aux prises avec les revendications d'autochtonie, et le bouleversement des flux migratoires avec lmergence dune conflictualit spcifique, lie au rcent poids lectoral de descendants de migrants ns dans lle. Alors quautrefois en Corse, le systme clientlaire entretenait des liens troits avec les flux dmigration (Sanmarco, 2008, p. 85), il sintresse aujourdhui aux descendants de migrants. C'est ce que montrent les quatre-vingt-seize entretiens et les observations ralises en Corse entre 2004 et 2012, dans le cadre d'une recherche doctorale, afin de saisir le racisme l'uvre dans l'le. Ces matriaux indiquent la centralit d'un fonctionnement clientlaire qui diffre par certains aspects de celui qui prvalait par le pass pour les groupes minoriss. Aprs avoir retrac les volutions qui ont remodel l'espace du politique en Corse, nous envisagerons plus prcisment la manire dont la territorialisation opre depuis plusieurs dcennies. Nous mettrons ainsi en exergue la plasticit du clientlisme corse et la manire dont il s'impose aux individus les plus vulnrables. Nous caractriserons, dans un dernier temps, comment ces processus peuvent s'incarner sur le march du travail et dans l'accs l'espace public.

1. L'espace du politique en CorseDe la conqute franaise aux annes soixante

Bien que la Corse soit devenue franaise durant la seconde moiti du XVIIIe sicle, les ralisations de ltat dans l'le sont, jusqu'aux annes soixante, dune ampleur modeste. Du dbut du XIXe sicle la mise en place de la Troisime Rpublique, le maintien de l'ordre semble la priorit. Au XIX sicle, la Corse est "trs mal intgre lensemble franais" (Sanguinetti, 2012, p. 61), particulirement, pendant la monarchie constitutionnelle et la Rpublique. De 1818 1912, l'le est sous le rgime des lois douanires, ce qui fragilise son conomie. Au dbut du XXe sicle, des hommes politiques corses rclament plus dinvestissements et dintervention publique. Durant lentre-deux-guerres, le dficit dmographique induit par la Premire Guerre mondiale vient renforcer ces critiques. Lmigration et le fonctionnariat, qui constituent les principales sources d'emplois, sont dcris. En 1924, le Partitu Corsu dAzione met des revendications dordre nationaliste en sappuyant sur les notions de peuple et de culture. Durant laprs-guerre, le parti communiste dnonce, quant lui, le clanisme en se rfrant au registre de la domination. Les valeurs voques sont celles de lintrt collectif; elles sont opposes aux rapports de clientle quentretiennent les clans au pouvoir. Le parti communiste rejette dans un mme temps les notions de culture et de peuple, trop lourdes de connotations fascistes. Ses succs lectoraux seront, en Corse, de courte dure. Ds les annes cinquante son poids lectoral diminue. Ces critiques ne dbouchent toutefois pas sur des mouvements contestataires organiss et influents tant que ltat offre aux Corses des dbouchs professionnels satisfaisants. Les emplois de militaire ou dinstituteur constituent jusqu'aux annes soixante une source d'emploi importante et favorisent la "gnralisation dun sentiment patriotique pro-franais en Corse" (Briquet, 1997, p. 214). Le sous-dveloppement de la Corse est, certes, invoqu par certains responsables rgionaux pour interpeller les pouvoirs publics mais sans relle porte. Dans les annes soixante, la perte des dernires colonies franaises et les politiques d'amnagement du territoire et de "modernisation" de l'conomie (Andreani, 2004) bouleversent cette configuration. Ltat ne souhaite plus seulement grer le sous-dveloppement de la Corse par des transferts publics mais aussi dvelopper l'conomie insulaire, en crant, en 1957, la Socit dconomie mixte charge de valoriser lagriculture corse (SOMIVAC). Or, le renouveau agricole semble "profiter essentiellement aux migrants qui sinstallent en Corse dans la mme priode, parmi lesquels les rapatris dAfrique du Nord sont majoritaires" (Briquet, 1997, p. 219). Paralllement, les progrs de la scolarisation gnrent de nouvelles attentes en termes de promotion sociale auxquelles ltat ne peut rpondre de faon massive. Diplms au chmage, agriculteurs face la crise des modes de production traditionnels et exclus des projets damnagement, hteliers et commerants dpourvus face au dveloppement touristique et petits entrepreneurs sont confronts une nouvelle concurrence qui les met en danger. De cette inadquation entre ces attentes et loffre publique natront de nouvelles contestations.Contestation et violence

Si, en dpit de ces faibles ralisations et de ces critiques, le systme politique corse est apparu trs intgr dans le systme tatique, c'est notamment grce la combinaison des quatre dimensions mises en exergue par Grard Lenclud: le bipartisme, "l'affiliation oblige", le clientlisme et "l'arbitraire" (Lenclud, 1986, p. 138-145). Un groupe de notables monopolisait le pouvoir local en instrumentalisant la mdiation avec ltat et les administrations publiques afin daccrotre son influence. Un ensemble de ressources ("emplois, subventions, services, canaux de lmigration, etc.") tait "monopolis par les acteurs politiques, lus et fonctionnaires" des fins lectorales (Briquet, 2001, p. 105). Les politiques damnagement et de "modernisation" mises en uvre ds les annes cinquante dans une perspective de "dveloppement rgional", avec notamment le Programme daction rgional de la Corse (1957) gnrent de nouveaux effets de concurrence qui suscitent des tensions (Briquet, 1997).A la fin des annes cinquante, de nouvelles contestations rgionalistes voient le jour. Elles se distinguent par leur influence sur le paysage politique corse, dune part, et, par les grilles de lecture et danalyse du politique quelles promeuvent, dautre part. La contestation qui a vu le jour dans les annes soixante et soixante-dix, autour de mouvements qui ont pour principal trait commun "daffirmer lexistence dun peuple corse dont ils ont la charge de dfendre les droits spcifiques et de prserver lidentit particulire" (Briquet, 1997, p. 7) a remodel une contestation sociale qui tait auparavant lapanage du parti communiste. De nouveaux acteurs contestataires mergent sous la bannire du rgionalisme puis du nationalisme. Leurs objectifs premiers sont essentiellement conomiques [1]. Par la suite, des revendications dordre plus culturel se feront entendre, notamment au sein du Front rgionaliste Corse (cr en 1965) ou de lARC, lAction Rgionaliste Corse (1967). La lecture que ces groupes proposent de la situation en Corse sinspire largement des discours produits par les mouvements de lutte pour lindpendance nationale dans les anciennes colonies. Ils sattaquent la fois ltat franais, "colonisateur", et aux notables des clans, "relais du pouvoir colonial". Ils reprennent, par ailleurs, plusieurs critiques nonces par le Partitu Corsu dAzione durant lentre-deux-guerres. Cette contestation s'organise idologiquement dans les annes soixante autour de trois termes - le "clanisme", le "jacobinisme" et le "clientlisme"- qui deviennent rapidement incontournables pour analyser le sous-dveloppement et le sous-peuplement de lle. Les partis qui mergent dans les annes soixante-dix et quatre-vingt saccordent sur une lecture de lhistoire: ils accusent la France d'avoir "vid" la Corse de son potentiel conomique puis de son capital humain pour servir ses vises colonisatrices. Le vocabulaire employ trouve un cho croissant dans la socit corse. Il en est ainsi de lexpression "colonisation de peuplement" qui offre de nombreux Corses une catgorie pour comprendre les changements quils vivent. Ces mouvements altrent consquemment, ds les annes quatre-vingt l'influence des chefs de partis traditionnels en termes de ngociation publique (Briquet, 2001). cette mme priode, la contestation nationaliste se radicalise, avec un recours important la violence - particulirement entre 1982 et 1987 (Sanguinetti, 2012). Bien qu'ils reprsentent alors une part croissante de la socit insulaire, s'insrent progressivement dans plusieurs dispositifs de gestion du pouvoir local et voient plusieurs de leurs revendications prises en compte par le gouvernement socialiste (Briquet, 2001), ces mouvements se divisent et certains basculent de l'action politique la violence. Exprimentations

De son ct, l'Etat franais apportera plusieurs rponses institutionnelles leurs revendications. Depuis le dbut des annes soixante-dix, de multiples changements institutionnels ont eu lieu dans lle. Dtache de la rgion Provence en 1970, la Corse acquiert, par dcret, le statut de circonscription d'action rgionale, une circonscription monodpartementale jusqu'en 1975, date de la cration de deux dpartements: la Haute-Corse et la Corse-du-Sud. La Dlgation lAmnagement du Territoire et lAction Rgionale (DATAR) semble entrevoir, dans cette rgion, des perspectives de dveloppement touristique intense. Comme le souligne Thierry Dominici, c'est alors "la priode au cours de laquelle llite 'dominante' dfinit, avec les technocrates, lhypothtique relance de la croissance, imagine les projets conomiques les plus dmesurs" (Dominici, 2010, p. 368). Dans les prvisions de ce document, le nombre annuel de touristes passerait ainsi de 360 000 en 1968 plus de deux millions en 1985. En 1976, la "continuit territoriale" est mise en place. Ce dispositif vise "rduire les contraintes de l'insularit". Il s'applique, ds le 1er janvier 1976, aux liaisons maritimes, et, trois ans plus tard, aux liaisons ariennes[2]. C'est dans les annes quatre-vingt que ce processus de territorialisation s'acclre, avec la cration, en 1982, de la Collectivit territoriale et, plus spcifiquement, l'adoption, le 5 fvrier 1982, du "statut particulier" par les dputs puis, le 16 juin 1982, du projet de loi sur les comptences de la rgion de Corse par le Conseil des Ministres.En 1982, soit quatre ans avant toutes les autres rgions mtropolitaines, la Corse devient une collectivit territoriale de plein exercice avec des comptences et des ressources propres. L'Assemble de Corse dtient le pouvoir excutif. Elle est lue au suffrage universel la proportionnelle intgrale. Gaston Deferre, qui a uvr pour ce "statut particulier", pensait pacifier la situation, en permettant aux acteurs contestataires de s'insrer dans l'espace politique local. Mais les enjeux autour du contrle de l'conomie locale nuisent cette pacification. La politique de dcentralisation cre, de manire fortuite, de nouvelles rivalits (Thoenig et Duran, 1996) et les mcanismes de subordination politique, trs fortement enracins dans l'le (Fazi, 2008), contrecarrent l'insertion des acteurs contestataires dans ces espaces. Leurs revendications seront cependant parmi les premiers points voqus par l'Assemble de Corse. Elle se penchera, ds 1983, sur la question du "sauvetage culturel": un texte adopt le 9 juillet 1983 prcise ainsi que la langue corse doit dsormais tre employe dans la toponymie, linformation audiovisuelle et certains actes de la vie publique. Cette assemble offrira galement, ces acteurs, un espace d'exercice professionnel. Trois membres d'Unit Naziunalista seront ainsi prsents dans la nouvelle Assemble de Corse, installe le 24 aot 1984 et prside par Jean-Paul de Rocca Serra. C'est une arne idologiquement clive. Le 19 avril 1985, cette Assemble adopte le statut fiscal et le projet de zone franche par trente voix contre vingt-huit. Ces clivages atteindront leur apoge en 1988, lorsque la motion dpose lassemble de Corse par la Cuncolta Naziunalista et affirmant "lexistence dune communaut historique et culturelle regroupant les Corses dorigine et dadoption: le peuple corse" sera adopte. Ils trouveront leur pendant dans les dbats entre "libraux" et "communautariens" (Wieviorka, 2001) entourant, l'chelle nationale, cette notion. Le 31 octobre 1990, ce projet est adopt par le Conseil des Ministres. Larticle 1 a t modifi par le prsident lui-mme: aux mots de "peuple corse" est ajoute la mention "composante du peuple franais". Ce statut est galement adopt, les 21-22 et 23 novembre, en premire lecture, au sein de l'Assemble de Corse, puis, 12 avril 1991, lAssemble nationale. Le 9 mai 1991, son article premier sera censur par le Conseil Constitutionnel. Ce rejet nourrira, au cours des annes quatre-vingt-dix, le ressentiment de plusieurs lus. Deux nouveaux partis verront le jour la fin des annes quatre-vingt et au dbut des annes quatre-vingt-dix. Il sagit de lANC (Accolta Nazuinale Corsa, cre en octobre 1989, issue dune dissidence de la Cuncolta Naziunalista) et du MPA (Muvimentu Per lAutodeterminazione, cr en octobre 1990). Leurs dirigeants sont issus du FLNC. Leur dpart du Front prfigure le morcellement de la mouvance nationaliste qui suivra la scission du FLNC en 1990. En 1988, de premiers affrontements entre nationalistes ont lieu. Des proches du FLNC cherchent sattribuer le contrle des discothques dans la rgion de Calvi. Cette "guerre des botes" (Rossi et Santoni, 2000, p. 58) marque le dbut d'affrontements qui connatront leur apoge en 1995 et montre l'importance des enjeux lis lappropriation du tissu conomique local. Ces exactions sont fortement mdiatises. Au-del des enjeux conomiques, elles traduisent galement le passage d'une forme d'exercice du pouvoir une autre. Territorialisation, clientlisme et minorisationLe dclin dune lite politico-administrative?

Bas sur une "vaste redistribution de richesses et un contrle pouss de lactivit conomique" (Lemasson, 2008, p. 50), l'tat providence qui se dveloppe durant l'aprs-guerre largit le spectre des circonstances qui ncessite l'aide de l'tat. Il suppose l'usage de normes standardises et une segmentation administrative favorisant "l'emprise techniciste d'expertises spcialises" (Thoenig et Duran, 1996, p. 591). Fruit des travaux dune "lite politico-administrative" (Bherer, 2011, p. 106), ces normes renforcent dans un mme temps leur pouvoir. A contrario, le tournant initi dans les annes soixante-dix et la territorialisation de l'action publique impliquent la monte en puissance de "normes communes de dialogue" (Bherer, 2011, p. 107) avec la socit civile, et l'mergence de nouvelles collusions d'intrts, concernant la rpartition plus ou moins juste des fruits de la collaboration (Rawls, 1993). Ces conflits peuvent s'incarner dans des situations diffrentes. Deux configurations typiques et interdpendantes peuvent illustrer ce point. La premire a trait aux liens entre fonctionnaires et collectivits territoriales. Les "nouveaux besoins d'quipement des collectivits locales reprsentent, pour les fonctionnaires, une opportunit pour "mener bien les programmes publics de l'tat" (1996, p. 585). Les actions de la Direction Gnrale des Finances Publiques au service de l'Intercommunalit s'inscrivent dans cette optique. La seconde se rapporte aux rapports entre lus et tat et aux enjeux autour de la sensibilisation des fonctionnaires d'tat aux particularits du territoire. L'enjeu majeur est alors, pour les lus, d'obtenir des marges de manuvre leur permettant d'adapter les dispositifs tatiques. Dans ces deux situations, "hirarchie bureaucratique" et "leadership politique" peuvent s'affronter (Thoenig et Duran, 1996, p. 586). Ces nouveaux liens et ces affrontements tendent renforcer la sectorialisation de l'action publique et peuvent gnrer de nouvelles formes de concurrence, aussi bien entre lus locaux qu'entre administrations. Lors d'une confrence publique, l'eurodput Franois Alfonsi dnonce ainsi la diminution de la dotation faite la Corse alors seule "rgion de transition" voir sa dotation diminuer -, sur les conseils de la DATAR et en vertu d'un principe de "flexibilit" dtermin par la Commission pour la rpartition des fonds entre les rgions au sein des Etats-membres et li aux revendications des lus insulaires. Ici comme dans d'autres organisations, "la dcentralisation aboutit bien souvent la reconstruction de hirarchies d'autant plus puissantes qu'elles s'appuient exclusivement sur la logique de la rentabilit" (Courpasson, 2000, p. 19).Nouveaux enjeux, nouveaux affrontementsCes problmes de leadership peuvent prendre des formes diversifies. En Corse, l'implication en termes d'amnagement du territoire fut particulirement problmatique. Depuis 1982, le rle de l'tat comme celui des chelons locaux a cru, ce propos, "au dtriment de celui de la collectivit rgionale" (Fazi, 2013, p. 149), induisant une asymtrie dans la ngociation. Les implications conflictuelles de la loi du 22 janvier 2002, qui rforme le statut de la Corse et confre la Collectivit Territoriale de Corse la responsabilit du Plan dAmnagement et de Dveloppement Durable de la Corse (P.A.D.D.U.C.) s'inscrivent dans un tel contexte. Rsultant de l'article 12 de la loi du 22 janvier 2002, ce dernier a valeur de directive territoriale damnagement. Lors dun meeting ralis le 7 novembre 2008 Paris, des reprsentants du Partitu di a Nazione Corse (P.N.C.) ont dnonc un usage malveillant de cet "outil offert en 2002 la Corse pour traduire spatialement ses choix de socit" et dplor quaucune concertation des acteurs locaux nait t effectue en amont. Ralis par un cabinet de consultants extrieurs lle[3], sans concerter le Conseil conomique et culturel et alors que des lus de lAssemble territoriale taient dans lignorance, le document a soulev une forte opposition. Au-del des dbats concernant le contournement de la loi littorale, les critiques qui lui ont t adresses traduisent un certain scepticisme quant lexistence dune dmocratie locale base sur la concertation. Le retrait du projet en pleine sance illustre, plus largement, les problmes que gnre certaines mesures de la dcentralisation en matire de leadership (Fazi, 2013, p. 157).Alors qu'auparavant, lamont mais aussi laval de la dcision taient, en France, relativement ngligs et considrs comme un aspect non problmatique et fortement contrl par les dcideurs publics" (Hassenteufel, 2010, p. 50), que le systme politique corse tait trs intgr dans le systme tatique (Lenclud, 1986) et reprsentait celui dont la lgitimit souffrait le moins de contestation" (Fazi, 2008, 438), aujourd'hui hirarchies bureaucratiques et leadership politique s'affrontent, dans des "luttes de lgitimit" (Courpasson, 2000, p. 167), en partie modeles par les revendications d'autochtonie. On assiste ainsi "une nouvelle phase de lethnicit", structure par lopposition entre "allognes" et "autochtones", "dont les termes antagonistes gardent la mme capacit motionnelle crer une opposition entre nous et eux, mais ont lavantage dtre moins spcifiques et donc plus faciles manipuler que les anciens rcits historiques" (Bayart, 2001, p. 181). Cette opposition se rfre des identits construites plus que primordiales, insparables des processus de territorialisation. Car lautochtonie traduit une exacerbation des rapports au local intimement lie la globalisation. La manire dont elle questionne les conceptions admises de lide dappartenance et de citoyennet doit tre prise au srieux. Elle traduit la difficult, pour les acteurs qui ont une exprience liminale des systmes politico-idologiques, se reconnatre dans les conceptions admises de la citoyennet. Comme l'indique l'intervention du P.N.C., l'opposition entre intriorit et extriorit peut, aujourd'hui en Corse, s'avrer plus dterminante que les supposes capacits d'expertise. C'est d'autant plus le cas qu'elle s'accompagne d'une sensibilit spcifique aux enjeux environnementaux. Cet aspect invite questionner le postulat selon lequel les lus locaux auraient peu d'influence en matire de dtermination des principes de l'action publique. Ce sont, en effet, des acteurs contestataires, qui sont aujourd'hui souvent des lus locaux, qui ont port, en Corse, ces revendications d'autochtonie. Paralllement, cette intriorit, lorsqu'elle implique des formes d'affiliation, peut s'avrer peu propice au bien commun. Le recours l'Autre ou l'tat s'avre alors ncessaire. C'est ainsi que les associations cologistes ou environnementales corses peuvent avoir recours au tribunal administratif pour annuler les plans locaux d'urbanisme qui augmentent la surface des zones constructibles. Citons, ce propos, l'annulation, en avril 2014, du PLU intercommunal du Cap Corse qui multipliait par six la surface des zones constructibles en raison de la violation du "principe d'quilibre" de la loi littoral et du schma d'amnagement de la Corse labor par la DATAR. A contrario, cette action peut s'appuyer sur une critique des instances dconcentres lorsque leur action est juge peu favorable au bien commun. L'association U Levante s'interroge ainsi sur le "le vote systmatiquement favorable au dclassement des terres agricoles du reprsentant de ltat et des services de la DDTM, du vote systmatiquement favorable du reprsentant de ltat et des services de la DDTM lurbanisation de terres de bonne potentialit agricole, en contradiction totale avec les prconisations du Schma damnagement de la Corse, qui pour mmoire vaut directive territoriale damnagement, dans lattente de la mise en uvre du Padduc" (U Levante, 2012). Ces tensions illustrent l'importance prise par l'conomie du tourisme en Corse mais aussi sur ses dvers. Dans un travail portant sur les manifestations et les ressorts de la violence en Corse, Sampiero Sanguinetti a mis en exergue l'importance relative de la dlinquance conomique et financire, "avec en particulier le travail clandestin et lemploi dtrangers sans titres de sjour" (Sanguinetti, 2012, p. 34). Il a ainsi fait apparatre les liens entre criminalit et tourisme comme la place trs particulire qu'occupent les migrants les plus vulnrables dans cette configuration. cette place fait cho, celle de ces fonctionnaires "continentaux" dont on suspecte parfois qu'ils occupent les emplois les plus qualifis, au dtriment des "autochtones". De quels leviers dispose aujourd'hui l'action politique territorialise pour s'emparer de ces questions? Plus largement, quelles places occupent les membres de l'exogroup dans le jeu politique corse contemporain?Politique et minorisationC'est un antagonisme belliciste la distinction entre "amis" et "ennemis" - qui, selon Carl Smith (1994), dfinit l'essence du politique. Grard Lenclud considre que cette opposition permet de caractriser la politique telle qu'elle fut mene en Corse au cours des XVIII et XIX sicles. Dans la "socit traditionnelle corse", "lart de grer ses inimits et ses amitis" (Lenclud, 2012, p. 238) est au cur d'un jeu politique qui structure une socit "en mosaque" contraire tout processus de subordination des units constituant lensemble" o "toute relation entre communaut, lignage, etc., est donc politique en ce quelle exprime laspiration viter un tat de subordination" (Crettiez et Fazi, 2003, p. 161). ces chelons, le politique et l'conomique sont si fortement entremls qu'aucune autonomie entre ces sphres ne parat envisageable. Il y a donc l une forme d'"autochtonie" (Levy, 2009) qui tend gommer cette distinction entre Terre et Sol gnralement considre au cur du jeu politique moderne (Levy, 2011). Dans ce jeu politique, o l'change de biens et de services dtermine les affiliations et les alliances, l'Autre est celui qui est exclu de la sphre du politique. Car bien que ces formes de communautarisme ne soient, comme dans l'exemple syrien tudi par Fabrice Balanche, "quune composante" (Balanche, 2009, p. 123) du clientlisme politique, il dtermine, outre des aspects matriels, une forme d'inclusion symbolique qui permet d'assurer la stabilit d'un fonctionnement (Fazi, 2008). C'est cet entremlement des dimensions matrielles et symboliques qui explique la prennit, en Corse, de liens forts entre le politique et l'conomique. Dans l'le, les liens d'affiliation et d'appartenance dterminent, aujourd'hui encore, l'accs plusieurs sphres de la vie collective. Ce fonctionnement gnre des formes d'exclusion que l'on peut apprhender au prisme des processus de minorisation. Par minorits, nous entendons ici des groupes diffrencis qui font lobjet de rapports ingalitaires, la conception arithmtique ntant pas centrale, mme si elle sous-tend parfois ces rapports (Guillaumin, 2002). Ce concept sera ici employ pour mettre l'accent sur un processus qui empche la pleine participation aux diffrentes dimensions de la vie collective des membres de certains groupes (Kant, 1999). Les Corses et les Autres. Logiques et acteurs de laction publique territorialise

En Corse, l'ventail des minorits est important et il n'est, ici, pas question de le dployer, d'autant plus que plusieurs travaux ont dj t consacrs ces questions (Luciani, 1995; Garcia, 2007; Terrazzoni, 2010). Nous nous appuierons donc principalement sur deux figures de l'altrit spcifiques, les "Maghrbins" et les "Continentaux"[4], pour caractriser la manire dont territorialisation et clientlisme s'articulent aux processus de minorisation, contribuant particulariser l'exemple corse.

Clientlisme et march du travail

Aujourd'hui en Corse, les "Maghrbins" et les "Continentaux" exprimentent des liens de nature particulire, rsultant du maintien de pratiques clientlistes comme des tentatives de "modernisation" des sphres conomique et politique. Pour en saisir la porte, il faut s'intresser la place qu'ils occupent tous deux dans l'espace et les hirarchies insulaires et, pralablement, en caractriser le fonctionnement. C'est ce que nous ferons en nous intressant plus spcifiquement au march du travail. Le tissu socio-conomique corse se diffrencie par le poids des services, des commerces et de la construction dans lemploi salari ainsi que par la faiblesse de lindustrie et de lagriculture[5]. Le dveloppement de lactivit touristique induit des besoins favorables aux secteurs de la construction et du commerce. Ces trois activits fonctionnent en partie grce une main duvre peu ou pas qualifie et, souvent, saisonnire (Dugnet, L'Horty et Sari, 2008). Ce besoin de main duvre peu qualifie sest traduit, ces dernires dcennies, par un recours important et rgulier une main-duvre trangre. Initie par les flux migratoires en provenance du Maroc impulss par les rapatris d'Algrie pour dvelopper une agriculture "modernise", ces flux perdurent de manire consquente aujourd'hui (Terrazzoni, 2010). Des entretiens raliss auprs de migrants marocains et de leurs descendants indiquent qu'ils constituent une main d'uvre ncessaire au fonctionnement de ces secteurs. La recherche demploi ne parat pas poser problme aux interviews ns ltranger, si ce nest lorsque ce critre se conjugue celui de lge. A contrario, la difficult d'accs des emplois plus indpendants, d'artisans ou de commerants, ou moins prcaires et plus qualifis montre leur exclusion relative des rseaux qui assurent aujourd'hui en Corse une partie de l'accs l'emploi, indpendamment des trajectoires plus ou moins mritocratiques des individus. Comme le souligne l'une de nos interlocutrices, contrairement aux jeunes Corses, les "Maghrbins" ne bnficient pas de ces rseaux corses, avec les parents qui leur trouvent du travail, mme sans diplme. Paralllement, leur rcent poids lectoral s'accompagne d'une conflictualit particulire. Les dbats qui ont accompagn, au sein de l'Assemble de Corse,