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Université Paris I (Panthéon Sorbonne)
COMMUNICATION POLITIQUE ET SOCIALE
Nicolas TRYZNA
pendant les campagnes présidentielles
(de 1974 à 2007)
Sous la direction de Jacques
Mémoire de Master 2
Sciences Politique
Dessin de Jacques Faizant, Une du n°84 du 29
avril 1974
Université Paris I (Panthéon Sorbonne)
COMMUNICATION POLITIQUE ET SOCIALE
Nicolas TRYZNA
pendant les campagnes présidentielles
(de 1974 à 2007)
Sous la direction de Jacques GERSTLE
Mémoire de Master 2
Sciences Politique
Dessin de Jacques Faizant, Une du n°84 du 29
avril 1974
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Avant-Propos En préambule à ce mémoire, je souhaitais adresser mes remerciements aux personnes
qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de ce texte.
Je tiens à remercier Monsieur Jacques Gerstlé qui a accepté de diriger ce mémoire et m’a proposé des pistes très intéressantes et Monsieur Patrick Eveno qui suit mon travail depuis de nombreuses années.
Mes remerciements s‘adressent également à l’équipe du Point qui a accepté de m’ouvrir ses portes et m’a permis d’interviewer les principaux fondateurs et responsables du journal. Je pense tout particulièrement à Françoise Vernat et Dominique Audibert sans qui ce travail n’aurait jamais vu le jour.
Je n'oublie pas mes parents pour leur contribution, leur soutien et leur patience pendant ces mois.
Enfin, j'adresse mes plus sincères remerciements à tous mes proches et amis, qui m'ont toujours soutenus et encouragés au cours de la réalisation de ce mémoire, en particulier Raphaël Aurélien pour les nombreux conseils qu‘il m‘a apporté et Claire Vercellin pour son aide dans les derniers jours.
Merci à toutes et à tous.
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Première Partie : Comment définir Le Point ?
A. Un journal de droite ?
1) Les éditoriaux entre idéologie et neutralité
2) Les dessins de Jacques Faizant
3) Quel lectorat ?
4) Des sujets de droite ?
B. Un Newsmagazine ?
1) La chronologie annuelle et le classement thématique
2) Les sujets politiques : un perpétuel recommencement
3) Les sujets de société : entre marronniers et nouveaux enjeux
4) Une revue ?
Deuxième Partie : Le traitement de l’élection présidentielle
A. L’analyse politique de la campagne
1) L’utilisation des sondages : « les trucs de Lech »
2) Des « bancs d’essai » au vote des communautés
3) La campagne sur le terrain
4) La campagne vue de l’étranger
7
C. Le numéro spécial : « Le Président »
1) La Une
2) L’évolution générale
3) L’analyse politique
4) L’élu du côté privé
5) L’entourage
6) Le jour de l’élection
7) L’analyse statistique
8) L’opposition
9) L’avenir
9
Créé en septembre 1972, l’hebdomadaire Le Point naît avant tout d’une crise éditoriale.
L’équipe fondatrice du journal est composée de neuf membres, souvent appelés « les pères
fondateurs »1. Principaux responsables et journalistes de l’Express, ils s’inquiétaient des
projets de leur fondateur et propriétaire Jean-Jacques Servan-Schreiber. En effet, celui-ci était
devenu secrétaire général du Parti radical en 1970 et député de Nancy l’année suivante. Même
s’il assurait que le journal resterait neutre, quand JJSS décide de se présenter à la mairie de
Bordeaux face à Jacques Chaban Delmas (maire de la ville et premier ministre), la rédaction
ne suit plus. Pour les rédacteurs en chef « on ne peut à la fois raconter la bataille et marcher au
canon »2. Le journal ne devait pas devenir un outil de propagande électoral. L’idéal du
Newsmagazine, prôné par tous ces dissidents de L’Express, était parfaitement incompatible
avec la campagne d’un candidat à une élection.
Le Point est donc fondé avant tout pour défendre l’indépendance des journalistes face à
tous les politiques. Cette question cruciale entraînera plusieurs évènements marquants durant
les quarante années d’histoire du journal.
La Une du n°65, du 17 décembre 1973, va prouver l’indépendance face à la droite au pouvoir.
Trois mots à la une du magazine ont déclenché le courroux du premier ministre de l’époque :
« Messmer doit partir ». « Ça a eu l’effet d’une bombe » raconte Jacques Duquesne, un des
journalistes fondateurs. « La presse de l’époque était un peu molle, mais ça eu le mérite de la
réveiller » enchaîne-t-il3. « Tout à coup, le journal trouve un statut politique et
d’investigation, et en même temps, une indépendance extraordinaire » se rappelle Denis
Jeambar4, déjà journaliste du Point et futur directeur de la rédaction.
On pourrait donc croire ici que le journal a démontré son indépendance vis-à-vis de la droite
et du gouvernement, cependant un nouveau soupçon apparait huit ans plus tard. L’arrivée de
François Mitterrand en 1981, entraine une crise sur cette question. André Chambraud, alors
rédacteur en chef du service politique du journal, mène une fronde contre le directeur de la
1 Olivier Chevrillon, Claude Imbert, Jacques Duquesne, Pierre Billard, Georges Suffert, Henri Trinchet, Robert Franc, du responsable de la publicité et du marketing Philippe Ramond, et de l'administrateur Michel Bracciali 2 CHEVRILLON (Olivier), Mémoires, Paris, Editions de Fallois, 2011. (p 106) 3 Article de La presse magazine : histoire de la presse magazine en France, « LA REDACTION DU POINT : DES ANCIENS AUX NOUVEAUX », (http://ipjblog.com/lapressemagazine/le-point) 4 Interview de Denis Jeambar par l’auteur
10
rédaction, Claude Imbert5. Le sujet de la querelle est l’indépendance du journal. Les
journalistes de ce service ressentent « un virage à droite très clair du Point » et considèrent
que ce n’était pas le rôle du journal de « monter au créneau pour dézinguer tout ce que faisait
la gauche ». De leurs propres aveux, ils avaient « tous voté Mitterrand ». Il est même question
d’un communiqué pour l’AFP dénonçant la dérive droitière que certains journalistes
reconnaissent aujourd’hui avoir vu (et d’ailleurs refusé de signer) et dont d’autres assurent ne
pas se souvenir. Finalement, Claude Imbert remporte le bras de fer et André Chambraud
quitte ses fonctions. Son arrivée dès le lendemain à la tête de l'information de Radio France
laisse néanmoins soupçonner que, dans cette affaire, le pouvoir politique a peut-être poussé la
main du chef de service, certains pensent même cette tentative de "putsch" était « directement
téléguidé[e] par Elysée ». La victoire de Claude Imbert pourrait avoir fait définitivement
basculer le Point à droite mais, en réalité, de l’aveu de Denis Jeambar, nouveau rédacteur en
chef du service, rien ne change. L’équipe est dirigée par un nouveau responsable mais elle
reste la même. Aucun journaliste ne se rappelle avoir été censuré par la rédaction. Claude
Imbert relisait l’ensemble des articles mais n’empêchait pas la publication d’un article
contraire à son opinion personnelle. On voit donc à quel point la question de l’indépendance
du journal est primordiale pour la rédaction du Point.
Néanmoins, malgré ces anecdotes, les classements politiques des journaux ont tendance
à le répertorier systématiquement à droite6. Ainsi, Philippe Juhem explique que « Durant la
décennie 1970, la production de l'information apparaît fortement dépendante des luttes
politiques et segmentée selon des logiques partisanes. Une presse « de gauche » comprenant
Le Monde, Le Nouvel observateur, Le Canard enchaîné, Libération, L'Humanité et depuis
1977 Le Matin de Paris, s'oppose à une presse « de droite » incluant Le Figaro, L'Aurore,
France-Soir, Le Point et L'Express. ». Même si cette classification est moins nette après
1981, elle reste encore présente aujourd’hui. Claude Imbert, successivement rédacteur en chef
puis directeur de la rédaction et directeur de la publication, joue sur cette ambiguïté en
insistant sur le non-alignement du journal pour un courant politique tout en se revendiquant
lui-même de droite. Il signe ainsi en 1995, La droite et la gauche : qu’est-ce-qui les distingue
encore ?, où face à Jacques Julliard, « proche de la nouvelle gauche », il accepte d’être
5 Interview de journalistes du service politique de l’époque 6JUHEM (Philippe), « Alternances politiques et transformations du champ de l'information en France après 1981 » in Politix, Vol. 14, n°56, Quatrième trimestre 2001, pp. 185-208 (p 187).
11
« classé à droite »7. Cependant, il y réfute « la distinction ancienne […] [qui] n’a plus grand
sens, [c'est-à-dire] cette rengaine qui oppose depuis deux siècles le désir de mouvement prêté
à la gauche au souci de conservation de la droite, le « progrès » dit de gauche à la permanence
dite de la droite, le cœur de la gauche à la raison de la droite ». Cette figure tutélaire du
journal tente d’expliquer le paradoxe entre le non-alignement du journal et son engagement à
droite dans le n°20008.
« Chacun sait que Le Point n’obéit à aucune autorité extérieure. Aucun éditorial, le mien inclus, ne prétend y définir une quelconque conformité. Notre vocation demeure d’offrir un éventail d’analyses venant de sensibilités diverses, de coups de sonde sur les ressorts cachés de l’actualité, de mises en perspective pour évoquer tendances et courants émergeants.
[…] Ce qu’en fait Le Point révèle et explique plus qu’il ne préconise. L’innocente ambition éditoriale de ses débuts se meut en une aire de valeurs qui sied à son électorat. Les extrêmes s’en excluent d’eux-mêmes. Mais notre relative modération ne ménage ni les béni-oui-oui ni les bénis-non-non. »
A la question de l’indépendance du journal et de la neutralité de celui-ci, il est donc très
difficile de répondre catégoriquement. C’est pour cela que nous avons choisi de l’étudier
pendant les périodes où l’objectivité est la plus mise à l’épreuve, pour un journal, sous la Vème
république : celles de l’élection suprême. En effet, Le Point a pu suivre les six dernières
élections présidentielles avec ces différences caractéristiques : la petite alternance en 1974
(arrivée du Républicain Indépendant Valéry Giscard d’Estaing), la grande alternance en 1981
(arrivée de la gauche avec François Mitterrand), la réélection de celui-ci en 1988, le retour de la
droite en 1995 après un duel fratricide entre Edouard Balladur et Jacques Chirac, l’élimination
de Lionel Jospin au 1er tour et l’élection avec plus de 80% de Jacques Chirac face à Jean-Marie
Le Pen en 2002, puis enfin le duel Nicolas Sarkozy-Ségolène Royal.
Le journal a ainsi pu constater les ressemblances et les différences de ces élections. Le
journal a constaté des changements importants de la société et ces moments particuliers de
rencontre entre un homme et un peuple sont aussi un bon moyen de percevoir ces changements.
Dans une société qui mute et a beaucoup changé en quarante ans, le journal s’est sans doute
adapté et nous chercherons à le percevoir.
7 IMBERT (Claude) et JULLIARD (Jacques), La Droite et la Gauche : Qu’est ce qui les distingue
encore ?, Paris, Édition ROBERT LAFFONT, 1995. (Présentation en quatrième de couverture) 8 Le Point n°2000 du 13 janvier 2011, « Point 2000 » p 61-62
12
D’après nos interviewés, le périodique avait aussi la particularité de vouloir objectiver
la politique avec l’utilisation des sondages afin de comprendre les choix ou les désirs des
Français. D’ailleurs, quand nous avons interrogé, celles qui se surnomment elles-mêmes « les
petites mains », qui sont secrétaires au sein du Point depuis sa création, elles nous ont certifié
que l’élection présidentielle donnait à la rédaction une ambiance particulière d’excitation.
Toute la rédaction se retrouvait, au soir du second tour, pour rédiger les derniers articles du
numéro spécial imprimé le soir même.
Il nous parait donc intéressant d’étudier le journal pendant cette période très
particulière. Pour cette recherche, notre corpus se limitera aux numéros du Point pendant
l’élection présidentielle. Cependant, il nous faut déterminer une borne chronologique
délimitant la campagne. D’après les textes juridiques, depuis 1962, la campagne officielle
dure, en moyenne, 15 jours pleins avant le 1er tour et 8 jours avant le 2nd tour9. Bien sûr, la
campagne présidentielle a, en réalité, commencé bien avant la campagne officielle. Le Conseil
supérieur de l'audiovisuel impose une équité de parole des candidats pendant cette dernière
mais la presse écrite n'y est pas soumise. Le journal choisit ses articles sans obligation
juridique. Pendant cette période, on retrouve aussi l’aboutissement de longs mois de
campagne qui font que les articles sont aussi le compte-rendu des tumultes des mois passés.
Ils relatent et analysent le présent à la lumière de tout ce qui s’est passé depuis le début de la
campagne. Enfin, c’est aussi le moment le plus propice au grand choc non anticipé comme la
percée de Lionel Jospin caracolant en tête au premier tour de 1995, l’arrivée de Jean-Marie Le
Pen au 2nd tour en 2002 ou l’élection de Nicolas Sarkozy avec plus de 53%.10 Nous avons
donc décidé de nous limiter aux numéros de cette campagne officielle, utilisant néanmoins, le
cas échéant la Une de journaux de l’année. Afin de recouvrir totalement cette campagne
officielle, nous avons donc sélectionné les trois numéros précédant le premier tour, les deux
qui le suivent puis le journal d’après élection. C’est donc un corpus de six numéros par année
que nous voulons étudier, soit un ensemble de 36 numéros.11
Ce choix est celui d’un corpus et pas un choix de sujet. Nous ne voulons pas nous
limiter au simple traitement politique de l’élection. Celui-ci sera bien sûr placé au premier
9 Conformément au décret n°2001-213 du 8 mars 2001 modifié, la campagne en vue de l'élection du Président de la République française est ouverte, pour le premier tour, à compter du deuxième lundi précédant le premier tour du scrutin et, pour le second tour à compter du jour de la publication au Journal officiel des noms des deux candidats habilités à se présenter pour le second tour. 10 Les proches de Ségolène Royal pensait être à 48% sans mains tendue à François Bayrou (« histoires secrètes du dernier choc », Le Point n°1807 du 3 mai 2007, p 36) 11 Cf. page sources
13
plan au vu des dates sélectionnées mais il ne composera qu’une partie de notre analyse. Ce
n’est pas la campagne présidentielle que nous étudions mais l’évolution du périodique.
La campagne est un révélateur des changements qui traverse l’hebdomadaire. Le journal se
veut être un Newsmagazine12, nous chercherons donc à examiner également les sujets non
politiques qui sont présents dans ce corpus, même à travers le traitement de la campagne
présidentielle. D’abord en cherchant à définir exactement ce qu’est ce journal : revue ou
magazine, partisan ou neutre, politique ou éclectique, et ensuite en étudiant précisément la
description de l’élection dans l’hebdomadaire.
Dans cette étude, nous ne voulons pas étudier les campagnes présidentielles en utilisant
comme source Le Point. Ce travail risquerait de se contenter synthétiser le traitement de
chaque élection en répétant les articles du journal. Au contraire, nous voulons analyser le
journal à travers son traitement de l’élection. Notre sujet d’étude est Le Point, c'est-à-dire
aussi bien le journal lui-même, qui constituera l’essentiel de notre corpus, mais aussi sa
rédaction et son histoire interne. Ce travail s’inscrit dans une perspective de recherche plus
importante d’analyse du journal en entier qui clôturera notre thèse de doctorat. A travers cet
exemple limité dans le temps, nous voulons déterminer les grandes caractéristiques du journal
qui pourront ensuite nous permettre une analyse sur un corpus beaucoup plus important.
Le journal est devenu l’un des hebdomadaires de référence dans un monde extrêmement
concurrentiel. Pendant ces dizaines d’années d’existence, il a connu cinq actionnaires
différents, des changements importants d’équipes (comme avec le départ de Denis Jeambar en
1995 ou la mise en retrait de Claude Imbert en 2000) et les mutations de la presse écrite
(journaux gratuits, internet, chute des ventes, peopolisation, etc.). Cependant, pour les
journalistes que nous avons interrogés13, le journal a globalement conservé son
fonctionnement et ses pratiques sans connaître de grands bouleversements. C’est sans doute le
seul journal où on retrouve les mêmes signatures (Claude Imbert, Michel Colomès, …) depuis
sa création il y a près de 40 ans.
Partant de ces postulats, nous avons fait le choix d’étudier les 36 numéros sélectionnés
pour chercher à la fois l’évolution (si elle existe) du contenu du journal, ainsi que les moyens
12 JAMET (Michel), « Le Point : un Newsmagazine à l’état pur » in Communication et langages, n°52, Paris, 2ème trimestre 1982, p 91-106 13 En particulier dans les interviews de Denis Jeambar (ancien directeur de la rédaction du journal), Dominique Audibert (journaliste pendant près de 30 ans au sein de la rédaction), de Michel Richard (directeur adjoint de la rédaction) et Claude Imbert (fondateurs et directeur de la publication jusqu’en 2000) et la tribune de Claude Imbert dans le N°2000 du 13 janvier 2011
14
utilisés pour attirer le lecteur. L’étude des 6 années d’élections présidentielles (1974, 1981,
1988, 1995, 2002 et 2007) nous permettra d’analyser le contenu du journal pendant le
moment le plus important de la vie politique française. Nous privilégierons les dossiers, les
illustrations et les éditoriaux. Les articles orphelins ne seront utilisés que s’ils nous semblent
apporter un jour nouveau à notre recherche. Cela nous servira également de test pour étudier
l’évolution journalistique et graphique au cours de ces 33 ans. Nous chercherons les
traitements de sujets communs mais aussi l’apparition de nouvelles problématiques.
Cet hebdomadaire s’intéresse aussi à la politique internationale, l’économie,
l’environnement, la culture, etc. Il nous semble donc utile d’étudier les "marronniers" qui
étaient déjà à la mode en 1974 et le reste aujourd’hui (comme « la carte de France des
maladies » qui pourraient parfaitement être en Une aujourd’hui comme en 1974). Pour cette
étude, nous augmenterons notre corpus des Unes des six années étudiées. Au contraire, de
nouvelles problématiques et questions de société sont apparues et permettent d’illustrer à la
fois le changement sociologique et journalistique14. On ne se pose pas exactement les mêmes
questions à la fin des années Pompidou qu’au début des années Sarkozy. Nous verrons dans
un premier temps l’évolution générale pendant ces 6 années puis ensuite nous chercherons à
les retrouver dans le traitement de l’élection présidentielle elle-même à travers le traitement
de celle-ci.
14 Comme la Une « le Coran pour en finir avec les tabous » (Le Point n°1790 du 4 janvier 2007)
16
I Comment définir le Point ? A travers nos sources, nous pouvons tenter de percevoir les caractéristiques principales
du journal. Bien sûr, cette étude ne vaudra que pour ce corpus et ne peut concerner l’ensemble
des plus de 2 000 numéros de l’hebdomadaire. Néanmoins, notre choix permet d’analyser les
grands changements du périodique grâce à des sélections chronologiquement très espacées les
unes des autres.
Dans un premier temps, à travers cette partie, nous chercherons à définir le journal, nous
chercherons à en déterminer, en quelque sorte sa carte d’identité. Avant d’analyser le
traitement de l’élection présidentielle, il faut savoir dans quelle sorte de publication elle est
traitée. Nous chercherons à répondre à la question du partisanisme du journal, souvent classé
à droite tout en se revendiquant non partisan, ensuite nous tenterons de chercher une
définition permettant de classer le journal parmi les périodiques contemporains.
A. Un journal de droite ?
Le but de cette première sous-partie est de trouver dans le journal un partisanisme
affiché pour les candidats de droite. Cette définition de la droite est choisie comme restrictive
et se rapproche de celle de Philippe Juhem et de son classement d’avant 19811. Il y a bien sûr
plusieurs sortes de droite (libérale, nationaliste, étatiste, souverainiste, etc.), et il n’est pas
question de chercher à savoir si le journal appartient à l’une de celles-ci.
Nous voulons déterminer si celui-ci s’attache à soutenir l’élection du candidat de la droite aux
élections.
Claude Imbert résume l’idéologie du journal de la manière suivante « on peut dire qu’il
y a un petit stock de valeurs communes mais j’ai toujours pris grand soin de ne pas considérer
qu’il y avait une sorte de chartre implicite dans la cervelle du directeur de la rédaction. »2.
Il ne cite néanmoins qu’une caractéristique du journal : c’est un journal idéologiquement
proche des partis de gouvernement.
« Le Point n’est pas un journal marxiste bien que nous ayons surement des collaborateurs qui ont voté pour le programme commun, qui est apparu dès l’origine comme l’abomination des abominations. On peut dire que c’est un journal qui n’est
1 JUHEM (Philippe), « Alternances politiques et transformations du champ de l'information en France après 1981 » in Politix, Vol. 14, n°56, Quatrième trimestre 2001, pp. 185-208. 2 Interview par l’auteur
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pas à la gauche du PS, il s’accommode de la social-démocratie et à droite, il n’est pas proche du Front-National. Il est dans l’entre-deux, cet entre-deux qui gouvernent la France depuis 50 ans. »
Cette doctrine est donc officiellement acceptée par le journal. Une autre se dégage de nos
rencontres avec des membres de la rédaction : une attache aux valeurs européennes.
Néanmoins, ces deux facteurs ne classent pas le journal dans un camp politique. Nous allons
donc tâcher d’analyser d’autres facteurs qui peuvent ancrer le journal à droite ou dans sa
neutralité affichée.
1. Les éditoriaux : entre idéologie et neutralité
D’après le dictionnaire Larousse3, un éditorial est un « Article de fond, commentaire,
signé ou non, qui exprime, selon le cas, l'opinion d'un journaliste ou celle de la direction ou de
la rédaction du journal, de la radio ou de la télévision. » On a souvent tendance à ne retenir
qu’une partie de cette définition, faisant de l’éditorial la ligne directrice de la rédaction,
surtout quand son auteur est un des responsables du journal. C’est ainsi que nous étudierons
les éditoriaux. Au sein du Point, deux théories semblent s’opposer concernant l’éditorial,
entre celle d’Olivier Chevrillon (PDG du journal jusqu’à 1985) et celle de Claude Imbert
(fondateur et aux manettes du journal jusqu’en 2000). Le premier, soutenu alors par André
Chambraud, rédacteur en chef du service politique, estimait « qu’un éditorial signé
renforcerait plus qu’un éditorial anonyme la personnalité de [l’] hebdomadaire »4. Au
contraire, Claude Imbert craint de renier la sacro-sainte neutralité idéologique du journal.
« Mon édito donne mon opinion, qui n’a pas à être développé dans le reste du journal »5 On se
retrouve donc, quand Claude Imbert rédige des éditoriaux, face à un paradoxe puisque
l’éditorialiste donne dans l’éditorial son avis tout en assurant qu’il n’influence pas sur le
contenu des articles qu’il commande.
Nous étudierons les éditoriaux de notre corpus pour percevoir des prises de position
pour un camp ou un autre au sein de l’équipe de direction de la rédaction. Nous limiterons
donc cette première recherche uniquement aux éditoriaux anonymes en première page ou
écrits par la direction du journal en l’occurrence : Olivier Chevrillon (PDG), Claude Imbert
(rédacteur en chef puis directeur de la rédaction puis de la publication), puis, après 2000,
Franz-Olivier Giesbert (directeur de la publication). Nous chercherons à percevoir dans ces
3 Dictionnaire Larousse Illustré, Paris, Edition Larousse, 2012. 4 CHEVRILLON (Olivier), Mémoires, Paris, Editions de Fallois, 2011. (p 124) 5 Interview par l’auteur
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lignes une prise de position nettement à droite dans l’éditorial donnant ainsi l’avis de la
rédaction.
Nous n’avons pas retrouvé d’éditoriaux en 1981 dans notre corpus à l’exception de celui
de Claude Imbert immédiatement après l’élection6. Ceci s’explique par le refus des
journalistes du service politique de voir paraître un texte d’Olivier Chevrillon très nettement
opposé à l’élection de Mitterrand7. Aucun éditorial ne sortira finalement pendant ces derniers
jours de campagne et nous n’en avons donc pas dans notre corpus.
En décembre 1985, Olivier Chevrillon quitte le journal entraînant la disparition des éditoriaux
puisque Claude Imbert en avait fait une des causes de son départ. Ils ne réapparaitront dans
notre corpus que pour un éditorial de ce même Claude Imbert immédiatement après la
réélection de François Mitterrand et ensuite en 1995 sous la plume de ce même fondateur.
Ceux-ci ne seront plus pris en compte en 2002, puis qu’il a quitté ses responsabilités et n’est
plus qu’un « simple pigiste »8. Ainsi, les enjeux internes au journal nous empêchent d’étudier
plus d’un éditorial au moment de l’élection d’un président socialiste.
En 1974, l’avis exprimé des responsables de la rédaction est assez clair ; il est en
particulier explicité par Olivier Chevrillon. Le journal se refuse à prendre position directement
pour un candidat.
« NB : Est-il besoin de dire que Le Point ne portera pas les couleurs d’aucun candidat particulier ? Il apportera des informations et certes, des opinions, mais non des tracts électoraux. » Editorial du n°82 du 15 avril 1974
Néanmoins, il semble beaucoup plus pencher à droite qu’à gauche, dès la semaine suivante, le
même Olivier Chevrillon croit nécessaire ce paragraphe défendant la droite :
« Chacun garde néanmoins son port d’attache. La gauche pour Mitterrand. La droite pour Giscard d’Estaing. Faut-il vraiment le répéter ? La droite n’est pas le péché. Le péché, c’est la bêtise d’où qu’elle vienne. Et, le parti du ministre des Finances n’est certes pas guetté par la bêtise. » Editorial du N°83 du 22 avril 1974
Il explicite son propos quelques jours avant le second tour. Même si sa préférence semble
aller vers la droite, par peur du programme commun :
6 « Un autre vent se lève », n°451 du 11 mai 1981 7 Interview de Dominique Audibert, alors journaliste au service politique 8 Article de La presse magazine : histoire de la presse magazine en France, « LA REDACTION DU POINT : DES ANCIENS AUX NOUVEAUX », (http://ipjblog.com/lapressemagazine/le-point)
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« Le candidat Mitterrand traîne un boulet qui ferait chavirer l'économie française si le Président Mitterrand l'embarquait avec lui : le Programme commun. Sait-on qu'en comptant les filiales des grandes firmes menacées de nationalisation, c'est plus de mille entreprises nouvelles qui basculeraient dans le secteur public ? Celui-ci deviendrait alors et de beaucoup, le plus vaste de toute l'Europe occidentale. » Editorial du N°86 du 13 mai 1974
Il pense surtout que les deux candidats devront revenir sur leurs promesses de campagne et
qu’il n’y a donc pas un bon et un mauvais candidat mais deux candidats qui seront forcés de
faire des choix et souvent les mêmes :
« Des deux présidents possibles, le meilleur sera, en somme, le plus apte à trahir pour raison d'État. […]. La gauche affirme qu'on y mariera l'initiative et la vertu. J'en doute. Le vrai mariage sera celui d'une bureaucratie centralisatrice et d'une gauche encore engoncée dans ses traditions statiques. Il en naîtra probablement des handicapés. M. Mitterrand veut une économie taillée pour la compétition ? Alors qu’il change de modèle. S’il le peut. Pour réconcilier les deux France, il faudra bien que Giscard d'Estaing commette, lui aussi, des infidélités. […] Un cri préviendrait […] Giscard d'Estaing s'il devenait vraiment, comme sincèrement il le souhaite, « Président de tous les Français ». Ce serait le cri de trahison, lancé par les « ultras » de son propre milieu. Le cri qui a poursuivi de Gaulle durant toute sa vie politique. Il confirmait en somme, l'envergure du Général. Pour Giscard comme pour Mitterrand, le scénario heureux commence de toute façon par une sorte d'abjuration. Abjuration bienfaisante, que l'Histoire absoudrait à coup sûr. Qui donc reproche sa messe à Henri IV ? » Editorial du n°86 du 13 mai 1974
Claude Imbert semble lui aussi douter de l’avenir après l’élection de Valéry Giscard
d’Estaing. Ce n’est plus une question d’avis politique mais de personne :
« Mais qu’on n’oublie pas, dans l’illusion du « tout nouveau, tout beau » que la France possède depuis seize ans un exécutif fort, une santé nationale et internationale enviée par une Europe en capilotade. Il faut peu d’erreurs pour troubler des institutions solides, pour brouiller une politique étrangère intelligente et généreuse. Et Valéry Giscard d’Estaing a parmi ses jeunes alliés beaucoup de vieux gâte-sauces.
[…] Le pari du nouveau Président est que la France va s’orienter, bon gré, mal gré, vers une harmonie politique à l’anglo-saxonne. Que le Parti communiste va peu à peu s’affadir, devenir social-démocrate. […] Rien n’est moins sûr !
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[…] Un témoin sûr m’a rapporté ce propos du général de Gaulle « Giscard, vous savez, me trahira un jour. Espérons qu’il le fera bien … ». Nous l’espérons avec lui. » Editorial du n°87 du 21 mai 1974
En 1974, on perçoit donc une certaine inquiétude vis-à-vis de l’alliance entre le PS et le PC
mais cette suspicion ne fait pas du Point un fervent partisan de la droite et encore moins de
Giscard d’Estaing comme son représentant. Ils s’inquiètent mais n’alertent pas vraiment
contre un danger supposé de la gauche. L’élection de VGE ne les rassure pas mais les soulage
néanmoins.
En 1981, nous devons nous contenter de l’éditorial du 11 mai 19819 rédigé par Claude
Imbert. Dans ces deux pages qui suivent immédiatement l’élection, c’est le journal qui
s’exprime par la voix de son représentant :
« Au Point, où nous préférons observer que prédire, constatons pour le moment - et par simple méthode - que le pire n'est pas toujours sûr. »
Le directeur de la rédaction tente d’analyser le choc de l’élection d’un socialiste après 24 ans
d’un pouvoir de droite. Ce n’est pas une attaque à proprement parlé contre François
Mitterrand, celle-ci aurait d’ailleurs été impossible comme nous l’avons vu lorsque Olivier
Chevrillon a essayé quelques semaines plus tôt. Néanmoins, cela ressemble beaucoup à un
signal d’alarme pour les élections législatives à venir. La gauche n’a pas été au pouvoir depuis
très longtemps, comment va-t-elle faire ?
« Changement ! Vous disiez changement ? Nous voilà servis : ce changement-ci, pour le coup, fera date, date historique. Le pouvoir change d'hommes, de méthodes, de programme, d'allure, d'idées. Changement d'acteurs, de décor et peut-être de pièce ! Ce n'est qu'un changement de Président et l'on dirait un changement de régime. Sinon qu'on ne sait encore, des deux, quel est l'ancien. »
Que Mitterrand ait de bonnes intentions, il n’en doute pas. Il émet même l’hypothèse que son
gouvernement pourrait être modéré :
« Cet électorat se disait, se dit - comme la Bourse il y a huit jours — que Mitterrand, sous l'influence d'un Rocard, d'un Delors, d'un Cheysson, n'appliquera pas le programme qu'il annonce, que les législatives d'ailleurs le contraindront de gouverner au centre, bref, qu'il fera autrement qu'il ne dit. »
9 L’ensemble de cet éditorial est en Annexe 1
21
Cependant Claude Imbert, et la rédaction avec lui, supposent que les propositions du nouveau
président ne sont pas viables, ils les croient même sans efficacité :
« Il eût fallu, dans cette crise, un médecin de famille énergique, mais compatissant, chaleureux, et «remontant». Nous avons trouvé à notre chevet un grand patron de faculté doublé, avec Barre, d'un chef de clinique plutôt condescendant. […] Sept ans encore de cette médecine ? Cela parut trop : on vient de changer de médecin. Le nouveau, lui, s'apitoie, nous promet d'indolores thérapeutiques : l'homéopathie surtout, les plantes, les simples, et il est aussi un peu rebouteux. Pour changer, ça change ! »
Mais le signal d’alerte se renforce surtout quand le rédacteur rappelle le danger communiste :
« Mitterrand, poussé quasiment malgré lui au centre, n'abandonnera pourtant pas de gaieté de cœur sa stratégie d'union de la gauche, ni l'essentiel d'un programme qui reste plus collectiviste que social-démocrate. Lui qui affectionnait dans sa campagne le flou, il fut, au débat télévisé avec VGE, étonnamment, clair : nationalisations, stratégie d'union de la gauche pour les législatives... Il annonçait sans sourciller la couleur. » […] Sur sa gauche, le PC est affaibli, mais pas mort : comme « il ne peut trouver parmi ces pales roses une fleur qui ressemble à son rouge idéal». Marchais va se démener et, il nous en a prévenus, il ne « roule pas gratis ».
En 1981, il apparaît très nettement une peur de cette nouvelle majorité. Le journal était
antimarxiste et l’arrivée possible de communistes au pouvoir l’inquiétait. A travers cet
éditorial, on ressent surtout une grande inconnue de l’avenir.
En 1988, comme nous l’avons vu, aucun éditorial n’est mentionné dans le sommaire.
Il y en a néanmoins un, celui du 9 mai 1988 signé par Claude Imbert et intitulé « Mitterrand
2 ». Il tente de présenter le président comme « un revenant » dans une France « qui va mal »,
mais l’élu sortant a cependant des atouts :
« Il dispose de deux atouts, tirés l’un et l’autre d’un fond de convictions, celles-là solides. D’abord la certitude que le destin français s’inscrit ; sans hésitation, dans l’orbite atlantique et le développement continu de la communauté européenne […]. Ensuite, il dispose, par son ancrage à gauche, son crédit chez les jeunes et sa sensibilité sociale, de quelques arguments populaires. »
Cependant, la tâche n’est pas aisée et le travail de François Mitterrand sera complexe :
22
« On peut craindre […] qu’il ne soit tenté de temporiser, d’administrer quelques médecines douces quand l’heure viendra d’opérer. Et qu’il se comporte en « tonton gâteau » pour n’entendre que trop l’appel objectivement conservateur de ceux qui n’attendent de lui que la protection impossible de tous les avantages acquis »
En 1988, la peur augurée en 1981 est oubliée mais on craint plutôt une succession de non-
choix, ce que Franz Olivier Giesbert appelle le « ninisme »10. Ce texte pourrait sans doute être
le même si le candidat de la droite avait été élu, c’est un appel à l’activisme politique plus
qu’une critique d’un nouveau président.
La question des éditoriaux de 1995 est plus complexe. Ceux-ci sont annoncés en gras en
première page. A l’époque, Claude Imbert est directeur de la publication du journal, il est le
grand patron du journal, aidé par Denis Jeambar. Les éditoriaux ont été réinstallés mais
Claude Imbert refuse de les considérer comme la pensée générale du Point. Ainsi, quand il se
résout à écrire ces textes, il demande à Bernard Henri Levy de signer également un édito en
fin de journal11. Alors que, comme le rappelle Michel Richard, directeur adjoint de la
rédaction, ceux-ci « s’estiment mais pensent sur neuf sujets sur dix le contraire l’un de
l’autre ». Même si Claude Imbert ne considère pas ses éditos comme la voix du journal, ils
sont quand même en première page et en gras dans le sommaire12. Ce n’est donc pas le texte
de n’importe quel éditorialiste mais celui du chef de l’hebdomadaire. Cela se retrouve très
nettement le 22 avril 1995, l’auteur citant deux fois le nom du magazine et exprimant les
doctrines de celui-ci.
« Une des vocations du Point est de s'intéresser à la politique sans, pour autant, s'afficher sur panneau électoral. Nous ne mettons pas nos opinions dans la poche, mais nous ne les enrôlons pas. Quand il s'agit de décrire, nous sommes ouverts à maints courants, pourvu qu'ils ne violentent pas l'idée d'une France libre et civilisée. Quand il s'agit de commenter, nous disons sans ambages ce que nous croyons. Mais, hors péril majeur, notre nature est de n'engager Le Point au service de quiconque, homme ou parti. » Editorial de Claude Imbert du 22 avril 1995 (N°1179)
Dans six éditoriaux de 1995, on retrouve d’abord une critique acerbe des années
mitterrandiennes :
10 GIESBERT (Franz-Olivier), La tragédie du président - Scènes de la vie politique 1986-2006, Paris, Editions J’ai Lu, Collection J’ai lu Document, 2007. 11 Interview de Claude Imbert 12 Olivier Chevrillon critique d’ailleurs le fait que cet édito soit en gras
23
« Une présidence nouvelle, ce ne peut plus être « la lumière après la nuit », comme quelques dévots de la " rupture avec le capitalisme " le crurent, non sans ridicule, en 1981. » Editorial du n°1176 du 1er avril 1995
« Par quelle solidarité élitaire une coterie de hiérarques intouchables a-t-elle pu laisser une banque nationalisée, le Crédit Lyonnais13, creuser dans le Bien national une faillite sans précédent, qui, quoi qu'on dise, saignera le contribuable ? » Editorial du n°1177 du 8 avril 1995
« La gauche, en renonçant sous l'échec, au rêve centenaire de la « rupture avec le capitalisme», aborde une cure de désenchantement. Sous le double septennat mitterrandien, elle a raté son ralliement à la réalité pour pactiser, dans l'équivoque, avec la ruse et l'affairisme. Elle y a perdu son identité, son « aura » morale, et des électeurs. » Editorial du n°1178 du 15 avril 1995
« Ces réformes n'ont aucune chance d'être menées à bien sans renouveau civique pour les citoyens ni, pour l'Etat, restauration de la politique. Celle-ci sort d'un double septennat, avilie par l'affairisme, le clientélisme, la tolérance aux aigrefins, une cohabitation stérile et l'éloge de la ruse comme art de gouverner. » Editorial du n°1179 du 22 avril 1995
« Jospin a deux terribles handicaps. Le premier, c'est le glauque bilan d'un pouvoir qu'il servit au premier rang » Editorial du n°1180 du 29 avril 1995
Mais ce n’est pas pour autant une défense de la droite au pouvoir depuis 2 ans :
« La droite constate, elle, que le triomphe de l'économie de marché n'élimine pas la tare du chômage ni les ravages, solitudes, violences, drogues, déchéances d'une désocialisation qui mine toutes les grandes démocraties occidentales. » Editorial du N°1178 du 15 avril 1995
Néanmoins, cette attaque est moins agressive et on ne parle pas réellement du bilan des deux
ans du gouvernement Balladur. Il exprime même l’idée que le président n’est pas tout
puissant :
« L'homme public n'est plus aujourd'hui un faiseur de miracles ou un prophète, mais un serviteur du bien public, à contrat de durée déterminée et contrôlée. » Editorial du n°1176 du 1er avril 1995
On retrouve néanmoins quelques valeurs plus souvent classées à droite qu’à gauche, quand il
énumère les futures réformes :
13 Le Crédit Lyonnais sera totalement nationalisé le 13 février 1982 sous le gouvernement Mauroy
24
« […] réduire la pente vertigineuse de l'Etat providence, […] contrarier les effets pervers d'un assistanat qui détruit les emplois de bas salaire [,] réparer le panier percé de la Sécurité sociale, dont chaque année, depuis vingt ans, nous considérons le trou comme on le ferait d'une catastrophe naturelle. La seconde réforme, solidaire de la première, devrait élargir l'assiette de l'impôt (par la CSG), diminuer sa progressivité, éviter qu'il ne pénalise encore le travail plus que le capital. Et éliminer sa complexité byzantine, indigne d'un pays civilisé qui devrait, comme ailleurs, le retenir à la source ! » Editorial du n°1179 du 22 avril 1995
Claude Imbert lance deux appels liés aux idées historiques du journal ; d’abord le vote pour
un parti de gouvernement loin des extrêmes, afin de ne pas perdre inutilement son vote. On
voit ici un rejet des candidatures multiples au 1er tour, considérées comme inutiles :
« L'ignorance recompose, à chaque génération, son nouveau lot de crédules. Et l'exception française, celle de l'exaltation idéologique, n'a pas complètement disparu. A gauche, Arlette Laguiller et Hue, figurines attendrissantes d'un conte de fées qui fit des millions de morts, vont encore entraîner bien des électeurs sur un programme lunaire : celui d'un refus plus ou moins radical du régime libéral d'Occident. Et, à droite, la crispation nationaliste réveillera, derrière Le Pen ou Villiers, le concert protectionniste où le clairon sonne la retraite, le forfait de la nation dans la compétition mondiale. » Editorial du N°1176 du 1er avril 1995
« Dans l'élection qui s'annonce, on va se désoler que tant d'électeurs s'apprêtent encore à disperser leurs voix au premier tour sur des candidats qui n'accéderont pas au second. […] Il est sûr que Robert Hue, accordéoniste épanoui du Front populaire et du « Temps des cerises », que notre Arlette nationale, Madelon du folklore trotskiste, égarent encore dans l'utopie de papa des voix qui manqueront à la gauche, c’est sûr que Le Pen et Villiers dispersent dans le scrogneugneu nationaliste des voix qui manqueront à la droite. Cela dit, le second tour remettra les pendules à l'heure. Après tout, le vote protestataire conserve au moins une vertu de défouloir démocratique. » Editorial du n°1178 du 15 avril 1995
Ensuite l’importance de la France au sein d’une Europe puissante :
« Qu'il existe, dans une vieille nation recrue d'Histoire comme la France, la nostalgie d'une grandeur éteinte, c'est l'évidence ! Seulement, le monde moderne est ce qu'il est, avec ses cruelles pesanteurs démographiques, économiques et stratégiques. La France, dans l'Europe et par l'Europe peut y recouvrer un rôle éminent. » » Editorial du N°1176 du 1er avril 1995
A la lecture de ces éditoriaux, il semble certain que le vote de Claude Imbert va vers la droite,
mais il prend néanmoins la peine de laisser planer un doute. :
25
« Je sens que, lorsqu'il s'agira de voter, je me prononcerai sur leur capacité supposée à définir puis à restaurer l'intérêt général et l'autorité publique. Pas vous ? » Editorial du N°1177 du 8 avril 1995
Ce n’est pas une consigne de vote pour un camp ou un autre mais plutôt l’expression d’une
analyse critiquant sévèrement le bilan socialiste, et donc son candidat qui a participé aux
différents gouvernements. Néanmoins, l’élection de Chirac permet à Claude Imbert de le
mettre en garde :
« […] Il est, ces temps-ci, impossible d'être élu, en France, si l'on écarte de soi telle ou telle tribu gauloise : la contradiction publique l'emporte qui veut à sa fois un Président fort pour dire fermement l'intérêt général et un faible qui ne violente aucun des clientélismes. La grande affaire du nouveau chef de l'Etat sera donc de pouvoir briser ce carcan d'impuissance, d'imposer des réformes de fond sans coaliser contre lui des oppositions disparates. La conjoncture mondiale lui donnera de l'oxygène. Mais il n'est pas assuré de vaincre, par un bref état de grâce, le drame de la décomposition sociale. Au point où nous voici rendus, sa chance devrait être d'oser. Oser pour prouver le mouvement en marchant, pour rompre le scepticisme général, pour rétablir le contrat de confiance qui a depuis longtemps disparu entre la nation et son monarque républicain. »Editorial du N°1181 du 8 avril 1995
A travers cet appel, on retrouve une volonté de changement important. Contrairement à 1981,
ce changement est voulu et demandé, il n’est pas craint. Il y a une volonté de changement
profond.
En 2002, un seul texte semble exprimer l’avis de la rédaction : l’éditorial anonyme à
côté du sommaire. Celui-ci ne se contente dans les tous premiers numéros de présenter
rapidement les dossiers choisis (la critique du livre de Thierry Meyssan sur le 11 septembre
ou les racines de la guerre arabe) ou de se féliciter des bons résultats de vente du journal.
Ceux-ci ne semblent pas se polariser sur l’élection. Les éditos sont très courts (moins d’une
centaine de mots) et résument donc très rapidement l’avis du journal. Cependant, à partir du
lendemain du 1er tour, le texte critique nettement la présence de Jean-Marie Le Pen au 2nd tour
de l’élection, conformément à la doctrine anti-extrême du journal :
« Ils sont fous ces Français ! » C'était le titre de la couverture du dernier numéro du Point. On ne croyait pas si bien dire. » Editorial du N°1545 du 25 avril 2002
Néanmoins, ce n’est pas une simple dénonciation mais une recherche d’explication :
26
« L'heure est venue de désigner ceux qui ont conduit là notre démocratie. » Editorial du N°1545 du 25 avril 2002
« Au Point, la bonne conscience n'est pas notre spécialité. Mais ne pensons pas qu'il suffit de dire son fait à Le Pen pour régler les problèmes qu'il pose à la France. C'est pourquoi nous vous proposons, cette semaine, de réfléchir sur le phénomène Le Pen » Editorial du N°1546 du 3 mai 2002
Enfin, comme à chaque élection, on retrouve une mise en garde pour le futur président,
appelant à nouveau à la réforme du pays :
« Après son triomphe du 5 mai, le président réélu a toutes les cartes en main pour tirer les leçons du cataclysme du premier tour et procéder, enfin, aux réformes qui s'imposent. » Editorial du N°1547 du 7 mai 2002
En 2007, cette fois le signataire est Franz-Olivier Giesbert qui rédige les éditoriaux de
ses initiales F-O.G en tant que directeur de la publication. Ces textes sont placés à côté du
sommaire, remplaçant les éditoriaux anonymes de 2002. On retrouve les fondamentaux du
journal à savoir la neutralité affichée et la défense du vote pour un parti de gouvernement afin
de rejeter les extrêmes :
« Cette baisse de niveau a coïncidé avec le début de la campagne officielle et de ses règlements abracadabrantesques qui donnent aux douze mirontons le même temps de parole. Beaucoup d'entre eux n'ont pas leur place dans ce scrutin Ils ne sont là que par hasard, à cause des faiblesses du système de sélection. Il est temps de rendre M.Schivardi à sa mairie et de revenir à nos moutons » Editorial du N°1804 du 12 avril 2007
« Le Point ne roule pour personne. Même si certains confrères s'engagent et militent sabre au clair, comme des petits soldats, nous pensons, nous, qu'un journal n'a pas pour vocation de sucer la roue d'un candidat. Que nos lecteurs méritent mieux que des bulletins militaires ou de la littérature de propagande. » Editorial du N°1805 du 19 avril 2007
Une fois ces données habituelles affichées, on note un engagement parfaitement contraire aux
doctrines classiques du journal. D’abord par une défense de la réforme, qui ressemble
beaucoup aux annonces de Nicolas Sarkozy pendant la campagne :
« Ce que nous défendons à longueur de colonnes, ce sont des valeurs et des principes. […] Ce pays est victime de lui-même. De ses peurs, de ses renoncements, de ses lâchetés, qui ramènent notamment à faire financer par la dette publique son soi-disant modèle social, risée de l'étranger. En empruntant
27
sans répit, on s'assure une bonne conscience sur le dos des générations futures, en pérennisant un système qui n'est ni solidaire ni égalitaire. […] Aujourd'hui, la France a besoin d'air, de souffle et puis aussi d'un peu de courage. » Editorial du N°1805 du 19 avril 2007
On pourrait croire que cette défense de la réforme est très proche des propositions déjà
défendues les années précédentes. Cependant, dans les semaines qui suivent la défense se fait
nominalement pour Nicolas Sarkozy :
« Rarement un candidat à la présidence aura été sali à ce point pendant une campagne. Traité de fasciste, d'eugéniste, d'étranger et même de fou, Nicolas Sarkozy a été l'objet, de surcroît, d'une campagne personnelle de basses eaux, particulièrement dans la blogosphère, qui a fait apparaître ce qu'il faut bien appeler un lepénisme de gauche. Mais tous ceux qui ont bouffé du Sarkozy matin, midi et soir ont perdu leur temps, leur encre et leur salive. […]: la haine et l'hystérie ne sont pas de bons modes de communication politique et les adversaires de Nicolas Sarkozy devront en tenir compte s'ils ne veulent pas gâcher les dernières chances de Ségolène Royal de l'emporter. » Editorial du N°1806 du 26 avril 2007
On a même l’impression qu’en accusant ses confrères de faire campagne pour Ségolène
Royal, il assume faire campagne pour Nicolas Sarkozy
« Pensez?! A en croire les petits soldats du TSS (Tout sauf Sarkozy), la démocratie serait en péril, la liberté d'expression aussi […] Mais enfin, très souvent, ils font campagne contre Nicolas Sarkozy et pour Ségolène Royal, ce qui est leur droit. Pourquoi les autres devraient-ils automatiquement leur emboîter le pas? » Editorial du N°1807 du 3 mai 2007
Cette manière de prendre position est parfaitement contraire aux habitudes que nous avons
perçues les années précédentes. Ce soutien au candidat Sarkozy est même aujourd’hui
reconnu par certains membres de la rédaction, même s’ils refusent une partialité dans le choix
ou le traitement des articles14. L’habituel appel à la prudence lancé après l’élection est cette
fois résumé à une phrase, suivant un rapide rappel faisant de Nicolas Sarkozy un quasi héros :
« Le plus persévérant. Le plus increvable. Le plus couturé de cicatrices »
« Il reste maintenant au nouvel élu à prouver qu'il est un homme d'Etat que le peuple suit. Et non, comme certains de ses prédécesseurs, un politicien qui suit le peuple. » Editorial du N°1808 du 10 mai 2007
14 Interview de Michel Richard, directeur adjoint de la rédaction
28
A la lecture de ces nombreux textes, on peut donc déterminer que les valeurs affichées
dès la fondation du Point sont globalement respectées. Les valeurs européennes et opposées
aux partis extrémistes sont très souvent rappelées. Cependant, à la lecture de ces éditos, même
si on ne peut pas trouver (en dehors de 2007) un soutien affiché à un candidat, les idées
récurrentes sont plutôt rattachées à des valeurs considérées de droite : valeur, mérite,
libéralisme, fin de l’assistanat, grandeur de la France, etc. Ce n’est pas un journal partisan.
On pourrait donc dire que ce journal, à la lecture de ces éditos, affiche un soutien au parti de
gouvernement avec une préférence pour la droite et le centre-droit, sans tomber dans un
partisanisme affiché.
Nous savons que les éditoriaux ne sont qu’un texte donnant globalement l’avis de la
rédaction, et encore pas toujours, mais nous ne pouvons pas en faire la seule preuve que le
journal est de droite, surtout quand les prises de position sont aussi nuancées.
2. Les dessins de Faizant »
Tout comme Plantu a une place tout à fait particulière au sein du Monde, Jacques
Faizant tenait le même rôle dans les colonnes du Point et du Figaro. Jusqu’en 1995, il signe
des dessins d’une page, d’abord de temps en temps et puis quasi hebdomadairement. Quand
on posait à Jacques Faizant la question de son appartenance politique, sa réponse était sans
équivoque : « Moi, je suis de droite, ça doit commencer à se savoir. Mon journal est de droite
et mes lecteurs sont de droite, alors je fais des dessins de droite et puis voilà »15. Il nous a
semblé important, quand nous nous questionnons sur le partisanisme ou non du journal, de
nous intéresser à une sorte de tribune libre qui n’engage pas le journal mais est accepté par
celui-ci. L’hebdomadaire évite, dans les éditos, de soutenir un candidat mais le dessin peut
permettre de le faire plus aisément. Dans notre corpus, nous retrouvons 18 dessins parus entre
1974 et 1995 (3 en 1974, 3 en 1981, 2 en 1988 et 5 en 1995). Le dessin du 6 avril 1981 n’a
pas à être étudié ici car il critique la société américaine et le port d’armes, ce qui ne nous
intéresse pas pour notre sujet.
On peut partager les dessins en 3 groupes, ceux consacrés :
• aux sondages et à leurs utilisations
• aux choix "éclairés" des citoyens
15 AFP, samedi 14 janvier 2006
29
• aux candidats et au jeu politicien16
On retrouve d’abord une certaine critique des sondages. Dans les dessins du 13 avril 1981 et
du 22 avril 1995, le citoyen a tellement peur qu’on sur-interprète ses propos qu’il finit par être
considéré dans un groupe qui n’est pas le sien. Ainsi, Jacques Faizant critique aussi bien les
instituts de sondage que son propre journal, nommément cité, qui use souvent des sondages
afin d’avoir un outil objectif. Ici, derrière un choix humoristique, l’auteur met en avant le
danger que peuvent représenter ces sondages qui ne sont qu’une possibilité statistique et pas
la réalité du vote. La sur-médiatisation est aussi condamnée17, l’élection n’est pas un jeu ni
une publicité.
Figure 1 : Dessin du n°1170 du 22 avril 1995
Ce vote, le dessinateur y accorde un grand intérêt : condamnant les électeurs qui préfèrent
s’abstenir18 et regretter après le résultat, les « débiles profonds »19 ceux voulant « donner une
leçon à [leur] candidat » ou encore ceux qui choisissent non pas sur un programme et des
idées mais sur le physique des candidats20.
16 Un exemple de chacun de ces groupes est reproduit en Annexe 2 17 Dessin du n°1178 du 15 avril 1995 18 Dessin du n°1181 du 8 mai 1995 19 Dessin du n°449 du 27 avril 1981 20 Dessin du n°811 du 4 avril 1988
30
Figure 2 : Dessin du n°1181 du 27 avril 1981
Ces deux critiques rappellent sans doute l’appel au vote utile de Claude Imbert mais ne nous
éclairent pas sur un hypothétique appel à soutenir tel ou tel candidats. Cependant, la grande
majorité des dessins étudiés (presque les 2/3) s’intéressent cette fois au jeu électoral et
particulièrement au jeu politicien. Deux dessins traitent de la droite, un de tous les candidats
et les autres de la gauche.
Il n’y pas un soutien affiché à un candidat de droite dans les dessins, tout au plus une légère
préférence. Celui du 22 avril 1974 accuse Jacques Chirac, à force d’avoir trop d’idées et
d’être trop actif, d’entraîner l’élection de François Mitterrand. En 1995, pas d’appel à voter
mais un petit plus pour Edouard Balladur. Le dessin du 1er avril 1995 montre celui-ci jovial,
heureux d’être surnommé « Doudou » qui est (d’après lui) le « meilleur diminutif ». C’est un
dessin sympathique pour le candidat sans être un appel à voter pour lui. Celui de la semaine
suivante présente les candidats par une chanson, en leur trouvant des traits de caractère, aucun
candidat n’est ici vraiment attaqué, mais le premier ministre sortant semble être privilégié :
Jacques Chirac parait « fougueux » et «risque de s’emballer »alors qu’Edouard Balladur est
lui plus calme et « parl[e] d’un ton doux ». Les autres prétendants ne sont pas discrédités : de
31
Robert Hue, Jean-Marie Le Pen ou Philippe de Villiers, on ne dit pas grand-chose. La seule
attaque est pour Lionel Jospin dont « on craignait le pire » car il rappelle « le précédent
voyage qu’un des siens n’avait pas su conduire ».
Figure 3 : Dessin du n°1176 du 1er avril 1995
Les attaques contre la gauche sont habituelles chez Faizant. En 1974, François Mitterrand est
soit un ambitieux faussement modeste21, soit le candidat d’un parti prêt à tout pour le pouvoir
même à s’allier avec le gaulliste Chaban pour récupérer ses voix22. En 1981, c’est l’accord
avec le PC qui inquiète le dessinateur23 ; Georges Marchais compte utiliser le candidat
socialiste pour prendre le pouvoir et ensuite s’en débarrasser. Enfin, en 1988, Jacques Faizant
attaque le président sortant sur sa relation avec le FN : pour atteindre l’Elysée, il est prêt à
« ramasser les voix » du FN comme il a accepté celles de Tixier-Vignancourt en 1965.
On note ici une profonde antipathie affichée pour le candidat socialiste. A son côté, un bébé
représente la « génération Mitterrand », slogan de la campagne, que le président ignore quand
il n’en a plus besoin.
21 Dessin du 15 avril 1974 22 Dessin du 13 mai 1974 23 Dessin du 18 avril 1981, reproduit en Annexe 2
32
Figure 4 : Dessin du n°815 du 30 avril 1988
Ici, il n’est pas question d’idéologie politique qu’il serait très compliquée de faire
ressortir dans un dessin mais simplement de la dénonciation de pratique ou de personnes.
Pour Jacques Faizant, le parti socialiste n’a pas à prendre le pouvoir car son arrivée est
successivement un danger en 1981 puis une erreur à ne pas réitérer en 1988 ou 1995. Il ne
cache absolument pas son opinion. Ici, le dessinateur, qui a un statut d’éditorialiste, assume
clairement sa prise de position et s’il peut le faire aussi nettement, cela semble prouver que la
rédaction accepte ce classement à droite.
A travers ces dessins, on remarque non pas un soutien direct au candidat de droite mais
plutôt un soutien indirect à travers les accusations vis-à-vis du candidat socialiste. François
Mitterrand représente un ennemi dangereux pour la France et pour le battre, il est important
de voter. Le journal accepte donc dans ses colonnes comme seul dessinateur, un homme
clairement opposé à un candidat et à un parti. Cela nous laisserait penser que l’hebdomadaire
n’affiche pas les couleurs d’un parti ou d’un autre mais laisse ses chroniqueurs exprimés leurs
opinions, souvent de sensibilité de droite.
33
3. Quel lectorat ?
Avant de savoir si un journal est de droite ou de gauche, il faut se rappeler qu’un journal
a un but : vendre des numéros. Ainsi, si un journal penche plutôt vers un courant ou un autre,
c’est un choix. Véronique Odul24 et Michel Jamet25 ont prouvé que Le Point a une cible très
précise, restreinte mais homogène : les cadres dirigeants urbains, principalement de sexe
masculin.
En effet, les premières études statistiques lors du placement du journal ont montré que
cette catégorie n’était pas totalement satisfaite des journaux existants. De plus, cette catégorie
intéresse énormément les annonceurs publicitaires. Quand on regarde de près les chiffres de
vente, on peut noter que le Point a un peu dévié de sa cible initiale. De sa création à
aujourd’hui, on peut préciser le lectorat type du Point. Il est de plus en plus masculin (55% en
1974 contre 66% aujourd’hui)26, appartenant de plus en plus à la catégorie sociale supérieure
(21% de CSP+ en 1974 contre 44% aujourd’hui). Les lecteurs franciliens sont importants
mais le lectorat provincial a progressé (de 58% à 69%). La plus grande évolution est celle de
l’âge. Lors de sa fondation, le journal était « exceptionnellement jeune » avec 44% de lecteurs
de moins de 35 ans contre à peine 20% aujourd’hui. Au contraire, les lecteurs ont vieilli avec
un pourcentage de plus en plus important des personnes de plus de 50 ans, représentant
aujourd’hui plus de 60% du lectorat. On peut y voir ainsi une évolution importante du
lectorat, qui avait déjà tendance à être de droite en appartenant plutôt à la bourgeoisie27 et a dû
se renforcer en vieillissant.
Pour ce lectorat des CSP+, il n’est pas question d’annoncer une idéologie sans argument
et sans nuance. Il est très exigeant quant à la qualité de l’information, du commentaire et de
l’écriture. Ainsi, Olivier Chevrillon annonçait en 1973 « Nous ne professons pas la Vérité-
Une-et-Indivisible d’un parti, d’une idéologie ou d’une carrière »28. Si un parti fait un choix
qui déplait au journal, celui-ci le dira sans idéologie mais avec le raisonnement de sa
24 ODUL (Véronique), « Le Point et ses lecteurs : une affaire de fidélité » in Le Temps des
médias n°3, Paris, automne 2004, p. 74-82. 25 JAMET (Michel), « Le Point : un Newsmagazine à l’état pur » in Communication et langages, n°52, Paris, 2ème trimestre 1982, p 91-106 26 Sources : AudiPresse Premium 2010 (cité dans la documentation du Point) 27 MARTIN (Pierre), « Le basculement électoral de 1981. L'évolution électorale de la droite » In Revue française de science politique, 31ème année, n°5-6, 1981. pp. 999-1014 28 Editorial du n°53 du 24 septembre 1973 cité par Michel Jamet dans « Le Point : un Newsmagazine à l’état pur »
34
rédaction. Ce journal se veut celui de la raison qui attire les catégories supérieures de la
population.
Figure 5 : Graphique d'évolution des ventes du Point (source OJD)
Si on suit les théories proposées par Philippe Juhem29, un journal partisan à tendance à
perdre des électeurs après l’élection qui voit son candidat élu. En effet, selon cette hypothèse,
pour exister, un journal a besoin de critiquer le pouvoir en place. Cela devient compliqué
quand son favori a été choisi par le suffrage universel. Il est plus facile de vendre un journal
opposé au pouvoir que favorable à celui-ci. Si on part de ce principe et qu’on accepte, comme
hypothèse de réflexion, que Le Point est de droite, on devrait donc voir des changements
importants dans le nombre de numéros vendus selon les élections avec une hausse en 1981 et
1988 et une baisse lors des autres élections présidentielles. Or, c’est plutôt l’inverse que l’on
remarque (cf. Figure 5) ; le nombre de ventes a tendance à augmenter après les élections de
candidats de droite et à diminuer (ou stagner) après les élections des candidats de gauche. En
2007, on note une baisse dès l’année suivante mais cela s’explique sans doute par la très forte
hausse de vente des magazines pendant la campagne de 2007. On ne peut donc absolument
pas déduire de ces résultats que Le Point est un journal de droite. Cependant, Philippe Juhem
s’est concentré sur l’évolution des journaux de gauche après 1981 mais pas de droite.
29 JUHEM (Philippe), « Alternances politiques et transformations du champ de l'information en France après 1981 » in Politix, Vol. 14, n°56, Quatrième trimestre 2001, pp. 185-208.
35
Dans ce cas, on peut alors émettre une hypothèse différente et penser que les journaux
de gauche doivent être dans l’opposition pour progresser et les journaux de droite dans la
majorité. Dans ce cas, nous pouvons comparer les parutions du Point et d’un journal reconnu
comme partisan de la droite, Le Figaro. On note que ce n’est pas le cas, entre 1981 et 1986,
les ventes du quotidien augmentent de 1/330 (de 325 000 exemplaires à 431 000) quand ceux
du Point d’à peine de 1,84% (de 337 004 à 330 779). Les résultats du Point ne permettent pas
non plus de le classer de cette manière comme un journal partisan de droite. Il faut bien sûr
noter un léger biais dû à la comparaison entre un quotidien et un hebdomadaire mais la
différence entre la forte hausse des ventes du Figaro et la quasi-stagnation du Point nous
parait suffisante pour atténuer ce biais.
Sociologiquement, le lectorat du Point devrait être majoritairement de droite mais nous
ne pouvons pas le prouver avec l’étude de l’évolution des ventes. Le Point nous semble donc
être un journal lu par un public averti, éduqué peut-être majoritairement à droite mais sans
caricature partisane. C’est un journal plutôt idéologiquement de droite mais en gardant une
réflexion et une indépendance d’esprit. Plutôt qu’un journal partisan, il semble être un
magazine de référence. D’ailleurs, nous avons fait l’expérience d’électeurs d’extrême-gauche
qui acceptent de lire Le Point et ne liraient en aucun cas Le Figaro ou Valeurs Actuelles.
Le Point peut être lu pour son analyse car les lecteurs savent que même si celle-ci n’est pas
favorable à la droite, le journal n’hésitera pas à la publier.
4. Des sujets de droite ?
Dans cette dernière sous-partie, nous partons de l’hypothèse que certaines thématiques
sont plutôt portées par des candidats de droite, comme l’immigration, la sécurité ou
l’assistanat31. Si l’on accepte à nouveau le postulat que Le Point est de droite, on devrait
trouver des dossiers consacrés à la sécurité, à l’immigration dans les semaines qui précèdent
l’élection, afin d’aider à l’élection d’un candidat de droite.
Dans notre corpus, seuls quatre dossiers répondent à ce critère : « Justice au banc des
accusés »32, « Enquête sur l'insécurité : Mais que fait la police? »33, « Immigration : les
30 Sources OJD 31 Pour exemple, Franz-Olivier Giesbert cite le premier discours de Jacques Chirac lors de sa campagne présidentielle de 1995 consacré uniquement à la sécurité (GIESBERT (Franz-Olivier), La tragédie du président - Scènes de la vie politique 1986-2006, Paris, Editions J’ai Lu, Collection J’ai lu Document, 2007, p260) 32 Dossier du Point n°450 du 3 mai 1981 33 Dossier du Point n°1542 du 5 avril 2002
36
fiascos de l'intégration »34 et « La France assistée »35. On remarque tout d’abord qu’ils ne sont
pas présents en 1974, 1988 et 1995.
En 1981, le dossier sur la justice n’est pas directement lié à la thématique de la sécurité.
Ainsi, c’est plutôt un problème de droit qu’un problème politique qui est évoqué :
« L'affaire Urbain Giaume, ce « caïd" de la drogue libéré de prison pour raison de santé puis remis sous les verrous, illustre les tâtonnements (en partie inévitables) de la justice. Mais en étudiant d'autres affaires récentes, et troublantes, qui sont peut-être des erreurs judiciaires graves. Le Point a mis te doigt sur une anomalie : alors qu'un voleur de pommes ou un escroc de haut vol disposent toujours d'un recours s'ils sont condamnés, le justiciable de la cour d'assises n'en a pas. » Présentation du dossier dans le sommaire du Point n°450 du 3 mai 1981
On a l’impression que le magazine lance un appel aux candidats plus qu’il ne prend parti. Ce
n’est pas réellement un problème de sécurité intérieure mais une question d’égalité
républicaine devant la loi, qui n’a rien de partisane.
En 2002, le dossier sur l’insécurité est nettement une accusation portée à l’encontre du
gouvernement Jospin. Il suffit pour cela de lire certains extraits:
« L’insécurité galopante est aussi le résultat d’une gestion défectueuse des forces de police, qui sont souvent occupées à d’autres tâches qui de traquer les délinquants sur le terrain » Dossier du Point n°1542 du 5 avril 2002, p 33
« L’insécurité dévore le débat présidentiel. Lionel Jospin le redoutait depuis longtemps. Le Premier ministre, avec lucidité y voyait la fragilité de son bilan que le président ne manquerait pas de dénoncer » Dossier du Point n°1542 du 5 avril 2002, p 34
On pourrait avoir la même impression avec le dossier sur l’immigration :
« Des dizaines de jeunes beurs qui envahissent la pelouse du Stade de France en brandissant des drapeaux algériens, tandis qu’à la tribune officielle des ministres battent en retraite sous les jets de cannettes. C’était le 6 octobre 2001, lors du match amical France-Algérie. Avant le coup d’envoi, Lionel Jospin avait écouté, mâchoires serrées, une « Marseillaise » couverte par les sifflets » Dossier du Point n°1543 du 12 avril 2002, p 65
34 Dossier du Point n°1543 du 12 avril 2002 35 Dossier du Point n°1804 du 12 avril 2007
37
Cependant, c’est une critique générale à l’ensemble de la classe politique qui est faite et
sûrement pas uniquement adressée au seul gouvernement en place.
« En face, l’Etat n’a jamais mis en œuvre une véritable politique d’intégration. […] Curieusement, l’intégration des immigrés est absente du débat électoral. On préfère parler de l’insécurité pour les uns, de la discrimination pour les autres. Une manière d’éviter un sujet qui fâche et qu’on ne sait pas résoudre. » Dossier du Point n°1543 du 12 avril 2002, p 67
En 2002, on ne peut donc prendre en compte que le dossier sur la sécurité, qui est, du propre
aveu du journal, un sujet de la campagne.
En 2007, le dossier sur « La France Assistée » dresse un bilan calamiteux du « modèle
français », mais ce n’est pas non plus un plaidoyer pour un candidat puisque les trois
principaux candidats sont cités :
« Je ne suis pas favorable à une société de l’assistanat ; la gauche ce n’est pas cela » Ségolène Royal
« Il n’y aura pas de minimum social sans contrepartie en termes d’activité » Nicolas Sarkozy
« Il faut payer davantage les Rmistes qui ont activités d’insertion » François Bayrou36
Néanmoins, en dénonçant le choix du président PS de la Région Ile-de-France de rendre les
transports en commun gratuits pour les Rmistes, le journal critique indirectement la candidate
socialiste. On a une impression de critique générale d’un système avec un encouragement à
tous les candidats qui veulent y mettre fin, même si la gauche semble moins disposée que la
droite à modifier les choses.
Ainsi, un seul des quatre dossiers étudiés peut vraiment faire du Point un journal
nettement partisan, et encore car il répond à une campagne générale dans les médias. On ne
peut donc pas non plus trouver ici un partisanisme affiché. A travers cette première recherche,
on pourrait définir la ligne éditoriale du magazine comme un hebdomadaire de référence,
opposé aux extrêmes (de droite comme de gauche), attaché au raisonnement et à la recherche
d’information sans sectarisme, penchant néanmoins ponctuellement à droite sans jamais
engager l’ensemble de la rédaction.
36 Dossier du Point n°1804 du 12 avril 2007, p 80
38
A travers ces quatre objets d’analyse, on sait qu’on peut affirmer catégoriquement que
Le Point n’est pas un journal partisan de droite. Pour le définir, on peut accepter de le
considérer comme européen et anti-extrémisme. Les responsables de sa rédaction comme son
dessinateur sont plutôt engagés à droite mais ils refusent d’emmener le journal avec eux. Son
lectorat bien que plutôt âgé et de catégorie sociale supérieure ne fait pas du magazine un
journal répondant aux évolutions de vente des journaux clairement engagés. Dans ces
dossiers, une certaine préférence apparaît pour les candidats de la droite mais celle-ci n’est
pas officiellement reconnue. Le Point est avant tout un hebdomadaire de référence. Les
moments où l’on devine des préférences pour tel ou tel camps sont des expressions libres
exprimant le choix de son auteur que la décision de la rédaction. D’ailleurs, les fondateurs
voulaient en faire LE Newsmagazine français surclassant L’Express, à nous de voir s’il répond
toujours aujourd’hui à ce critère par le choix de ses sujets.
B. Un Newsmagazine ?
Lors de notre interview de Claude Imbert, nous avons noté ces phrases « Je suis un
fanatique de l’idée que dans cette époque de grands bouleversements, le politique n’est pas
toujours moteur mais est très souvent, lui-même, dirigé par l’évolution de la société.
Par conséquent, je me suis beaucoup intéressé, et le journal aussi, à des faits de société, des
idées dont nous avions le sentiment qu’elles gouvernaient un peu le monde. » Elles résument
la différence entre l’impression générale d’un journal politique et la volonté de ses géniteurs
de ne surtout pas se limiter à la politique. Le Point se veut être un Newsmagazine sur le
modèle des journaux américains comme le News York Times suivant son slogan « All the
News That's Fit to Print » [Toutes les informations qui méritent d’être publiées].
De cette manière, l’hebdomadaire est censé traiter de l’ensemble des sujets qui lui
semblent pouvoir intéresser son lectorat. Pour Michel Jamet, Le Point était l’exemple même
d’un Newsmagazine dans ses vingt premières années.37 Nous voulons savoir si cette définition
est acceptable pour les vingt ans qui lui succèdent.
A la question de savoir si Le Point s’intéresse à des sujets multiples, la réponse est
forcément positive. Pour cela, il suffit de lire les sommaires des différents numéros qui sont
tous départagés en six ou sept catégories : Nation (puis France après 1995), Monde, Société,
Economie (sauf en 1974), Ville-environnement (en 1974), Civilisation (jusqu’en 1988),
37 JAMET (Michel), « Le Point : un Newsmagazine à l’état pur » in Communication et langages, n°52, Paris, 2ème trimestre 1982, p 91-106
39
culture (en 1995 et 2002), Livres (1988), Savoirs (1995) et Tendances (2002). Ce sont des
services distincts au sein du magazine qui publient toujours des articles dans chaque numéro.
De fait, Le Point est un magazine éclectique, néanmoins plus qu’à la totalité des articles
publiés, nous nous intéressons aux titres que l’hebdomadaire cherche à mettre en avant, c'est-
à-dire aux dossiers et aux Unes des numéros.
Nous souhaitons étudier dans cette partie le choix et la répartition des sujets traités.
Afin d’avoir une vue plus large, nous choisirons de privilégier les dossiers des 36 numéros
déjà évoqués ainsi que les Unes des années en cours. Ainsi, nous pourrons ajouter les sujets
annoncées en Une à notre étude. En effet, notre choix de bornes chronologiques privilégie la
campagne présidentielle et il nous semble important, pour tenter de définir le journal, de ne
pas s’attarder uniquement sur ses bornes très politiques. Nous nous arrêterons ensuite sur les
sujets politiques et de société qui regroupent le plus grand nombre de Unes.
1. La chronologie annuelle et le classement hiérarchique
Nous avons procédé à un classement des sujets en Une en les séparant en 7 catégories :
Sujets de société, Politique, Jeux, Questions internationales, Enquêtes journalistiques sur des
affaires judiciaires, Questions économiques ou financières et Questions culturelles (incluant
culture, sport et religion). De même, nous avons regroupé les dossiers des 36 numéros de
notre corpus selon le même classement (en enlevant les jeux).
Aux vues de ces résultats, il apparait très nettement que le Politique n’est pas
absolument majoritaire, même en 2007 : il ne représente pas plus de 50% des Unes sur
l’année et à un peu plus de 30% des dossiers étudiés pendant ces six semaines de campagne.
C’est la seule année où la politique est très largement traitée, plus que les autres sujets.
Dans les autres cas, les sujets politiques sont en nombre légèrement supérieurs aux autres,
voire quasiment à égalité, et même en minorité dans les sommaires étudiés (en 1981, 30% de
sujets internationaux en Une contre 24% de sujets de politique, en 2002 28% de sujets
politiques et de société dans les Unes, en 2002, il y a plus de deux fois plus de dossiers de
société (37%) que de sujets politique (17%) dans les sommaires des 6 numéros). A
l’exception de 2007, les sujets politiques représentent environ 1/3 des sujets en Une et 24%
des dossiers dans les sommaires de nos numéros. Le Point répond donc, dans cette première
analyse à l’image du Newsmagazine. Il cherche réellement à traiter beaucoup de sujets, en
privilégiant légèrement la politique sans pour autant ne se résumer qu’à elle. On note ainsi
que les questions de société gardent une place importante.
40
En étudiant non plus l’ensemble des sujets en Une mais uniquement le gros titre, on
remarque une légère augmentation de la proportion du Politique. Nous avons été surpris de
constater que même dans les quelques jours qui précèdent l’élection présidentielle, le sujets
politiques ne sont pas en Une : deux en 199538 et un en 200239. Le gros titre peut concerner
l’ensemble des sujets et ce, quelle que soit la période40.
Année Culture Economie /Finances
Enquêtes /Affaires
International Jeux Politique Société Total
1974 11% 15% 2% 13% 5% 32% 23% 100%
1981 11% 8% 0% 27% 8% 30% 17% 100%
1988 17% 11% 4% 8% 0% 26% 34% 100%
1995 14% 4% 12% 18% 0% 34% 19% 100%
2002 23% 5% 2% 13% 1% 28% 28% 100%
2007 18% 8% 0% 2% 0% 49% 23% 100% Tableau 1 : répartition des titres en Une par sujets
On remarque quelques modifications au cours du temps. La plus anecdotique peut-être
concerne les jeux. Aux mois de juillet-août, le journal proposait un supplément de jeux de
plage41 en 1974 et 1981. Cette pratique semble totalement disparaitre en 1988 pour ne plus
réapparaitre. En 2002, le supplément de jeux n’a rien à voir puisqu’il est publié en novembre
38 Le N°1176 du 1er avril 1995 titrant sur « La leçon de courage des femmes d’Algérie » et le N°1177 du 8 avril 1995 titrant sur « une nouvelle façon de lire la bible » 39 Le N°1543 du 12 avril 2002 titrant sur « Juifs et arabes : la guerre de mille ans » 40 « Jeux » exclus car ils ne sont qu’un supplément du journal 41 n°95 (15 juillet 1974), n°96 (22 juillet 1974), n°100 (19 aout 1974), n°460 à 466 (du 13 juillet au 24 aout 1988)
41
dans un ensemble de cadeaux42. Le Point se veut être un journal très éclectique et le prouve
avec ces pages de jeux.
Le culturel a tendance à augmenter passant de 1/10 à 1/5 de la totalité des sujets en Une.
En 2002, Le Point propose un programme culturel parisien ainsi qu’un article en feuilleton
« Marilyn Monroe n’est pas morte » de Patrick Besson43. Ces deux essais de parutions
périodiques ne sont pas reconduits en 2007. Il semblerait que la culture soit de plus en plus
mise en avant dans la Une mais le nombre de dossiers qui lui sont consacrée n’augmente pas
(environ un dossier culturel par numéro allant de la Série Friends44 à la Bible45 ou de
l’architecte Portzamparc46 à Boris Vian47. Les lecteurs du Point sont informés des nouveautés
culturelles ou d’histoire. On cherche véritablement à les contenter sur ce plan. Avant la
restructuration du journal en 1989, près d’une vingtaine de pages étaient consacrées à la
culture, surnommées « pages roses ». Elles devaient servir à attirer un lectorat féminin qui
n’était pas intéressé par le politique ou l’économie. La suppression de ces pages est une erreur
pour Denis Jeambar48 qui y voit une raison de la masculinisation du lectorat.
On note la quasi-disparition des questions internationales annoncées en Une. Ceci
s’explique sans doute, en partie, par l’actualité du moment mais pas uniquement. En 2007, il
42 N°1576 du 29 novembre 2002 43 N°1530, n°1534, n°1535, n°1540, n°1550 et n°1555, n°1558 et n°1559 44 N°1543 du 12 avril 2002, dossier intitulé « "Friends" : les secrets d'une série star » 45 N°1177 du 8 avril 1995, dossier intitulé « Mémoire de l'humanité : une nouvelle façon de lire la bible » 46 N°1804 du 12 avril 2007, dossier intitulé « Architecture : le rêve de Portzamparc » 47 N°85 du 7 mai 1974, dossier intitulé « Boris Vian : "Ma Belle Epoque" » 48 Interview de Denis Jeambar
42
n’y a que 2 sujets de politique internationale (un numéro spécial sur la Chine49, et sur les
infirmières bulgares50 qui est aussi de la politique nationale française avec l’intervention de
Cécilia Sarkozy). On a donc l’impression que le journal ne s’intéresse plus, en 2007, aux
enjeux internationaux et se limite aux questions nationales. Le service international était le
plus important après le politique dans les années 1980, il n’a plus qu’un rôle mineur
aujourd’hui. En réalité, il semblerait plutôt que l’international ne soit plus mis en avant mais il
reste important dans les sommaires étudiés. En 1974, deux dossiers concernent les questions
internationales contre 7 et 8 en 2002 et 2007. Il est vrai que le nombre de dossiers annoncés a
eu tendance à progresser au cours des années (passant de 5 à 8) mais cela n’explique qu’en
partie ce changement. Les questions internationales restent importantes pour les lecteurs mais
ce n’est pas ce déclic-là qui les fait acheter le journal. Il est intéressé par le dossier une fois
qu’il a le magazine en main mais ne l’aurait pas acheté pour cela.
Concernant les questions économiques, elles sont minoritaires (entre 4 et 15% des
Unes) mais quand elles sont en Unes, elles occupent souvent le Gros titre (8 fois sur 9 en
1974, 4 fois sur 4 en 1995). On remarque par contre une grande différence dans notre corpus
de six numéros par an. En 1988, 5 dossiers économiques sont traités, soit quasiment un par
journal. A la lecture des titres, on l’impression d’une information économique plutôt que d’un
dossier économique. Les titres s’intéressent plutôt aux marques51, aux grands patrons52 où aux
bons placements53 qu’à une analyse économique de la situation. Seuls trois dossiers (un en
198154 et deux en 198855) semblent vouloir analyser la situation économique. Seul le dossier
intitulé « Chômage : pourquoi cela ne craque pas? » semble être vraiment lié à l’élection
présidentielle en cours. On note donc que l’économie reste un sujet important pour le journal
(environ un dossier toutes les deux semaines) mais qu’il ne cherche pas une analyse poussée,
ce n’est en aucun cas un journal économique. Cependant, même si les dossiers économiques
ne sont pas toujours mis en avant, des pages « Economie » restent dans le journal et sont
toujours annoncées dans le sommaire. Les lecteurs utilisent les pages économies mais
n’achète le journal pour celles-ci.
49 N°1840/1841 du 20 décembre 2007 50 N°1819 du 26 juillet 2007 51 N°1181 du 6 mai 1995, dossier intitulé « GAN : l'assureur sinistré » 52 N°813 du 16 mai 1988, dossier intitulé « Les coups du roi Lagardère » 53 N°1808 du 10 mai 2007, dossier intitulé « Spécial Placement » 54 N°449 du 27 avril 1981, dossier intitulé « Pétrole : baisse … sur la hausse » 55 N°811 du 4 avril 1988, dossier intitulé « Chômage : pourquoi cela ne craque pas? » et N°816 du 9 mai 1988 intitulé « Banques étrangères : notre argent les intéressent »
43
Les enquêtes et affaires sont directement liées à l’actualité et font la Une en même
temps que les autres journaux. On ne peut pas voir de différences car ces questions sont
uniquement influencées par l’actualité. Dans nos 36 numéros, on peut retrouver seulement
trois dossiers consacrés à des « affaires » : les écoutes de l’Elysée56, la question des otages57
(que nous aurions aussi pu classer dans des questions politiques) et la chute du clan mafieux
des Hornec58.
On constate donc que le journal s’intéresse à de nombreux sujets, même si le politique a
tendance à être majoritaire, les questions sociétales ont une place privilégiée. Après cette
analyse générale et quantitative, nous pouvons nous arrêter sur la composition des deux
principaux sujets : politique et société.
2. Les sujets politiques : un perpétuel recommencement
Cette analyse se concentre donc sur 185 titres politiques des six années étudiées et les
46 dossiers des 36 numéros de campagne présidentielle. Néanmoins, nous ne nous attarderons
pas sur les dossiers de la campagne présidentielle que nous étudierons de manière approfondie
dans la seconde partie.
En nous intéressant au nombre de sujets politiques par mois, nous pouvons tenter de
chercher les périodes où on traite de politique et celles où on l’oublie. Ainsi, les mois de
juillet et août, pendant les grandes vacances sont les mois les moins politiques. A peine 5
articles en août et 8 en juillet. Ce sont des mois où les politiques ne sont pas au Parlement ou
dans les ministères, il y a peu de décisions donc peu d’articles. Les résultats du mois de
janvier sont plus surprenants, on observe également un faible nombre de titres politiques.
De plus, ce ne sont pas des questions d’analyse politique mais très majoritairement des
articles sur des personnalités (Michel Jobert, Dominique Strauss-Kahn, Edouard Balladur,
Nicolas Sarkozy, François Bayrou59). Cela s’explique sans doute en partie par la publication
de livres pendant la rentrée littéraire de janvier. Ce mois est surtout concentré sur des
questions de société et la politique est un peu oubliée. On peut émettre les mêmes remarques
56 N°1176 du 1er avril 1995, dossier intitulé « Ecoutes à l’Elysée » 57 N°816 du 9 mai 1988, dossier intitulé « Otages : questions clefs » 58 N°1807, du 3 mai 2007, dossier intitulé « Hornec : la fin d’un clan » 59 N°70 du 21 janvier 1974 « L’homme qui monte », N°1166 du 21 janvier 1995 « Enquête sur Edouard B », n°1531 du 18 janvier 2002« L’homme qui va secouer la gauche », n°1191 du 11 janvier 2007« Sarkozy : l'enfance d'un chef, lui et le clan Chirac », n°1190 du 4 janvier 2007 « Bayrou peut-il troubler le jeu? »
44
sur le mois de décembre à l’exception de décembre 1995 où le fort nombre d’articles
s’explique par une actualité politique chargée (les grandes grèves contre le projet Juppé).
Graphique 8 : Quantité d’articles politiques par mois
Les mois les plus politiques sont ceux d’avril, mai et juin. C’est la période des élections
présidentielles et législatives ainsi que celles des premières décisions du nouveau
gouvernement. Dans nos numéros étudiés, pas un article politique ne concerne autre chose
que la campagne présidentielle. Le journal se concentre sur ces questions particulièrement à
ce moment-là. On peut être très surpris du manque de sujets politiques à la rentrée.
A l’exception de 1995 où la réforme Juppé et les essais nucléaires rendent l’actualité politique
importante, il n’y a pas énormément de titres politiques (au maximum 2 ou 3 par mois).
Ces articles cherchent surtout à analyser la manière d’agir du gouvernement comme avec les
dossiers « Pour comprendre Giscard », « Mitterrand : le nouveau ton » ou « Chirac sa
nouvelle vie »60
Après cette analyse des sujets politiques, nous pouvons nous attarder sur les questions
de société mises en avant par le journal et considérées par nos interviewés comme la signature
même du Point.
60 N°102 du 2 septembre 1974, n°471 du 28 septembre 1981 et N°1567 du 27 septembre 2002
45
3. Les sujets de société : entre marronniers et nouveaux
enjeux
Très souvent, on entend les lecteurs de grands hebdomadaires critiquer les Unes
répétitives, surnommées "marronniers". Nous avons donc voulu comparer les sujets sur nos 6
années d’étude pour déterminer des sujets communs et des nouveautés au cours du temps, en
s’attardant particulièrement sur les numéros d’avril et de mai.
Graphique 9 : les sujets traités par année
Une constante dans les Unes concerne les questions médicales. L’hebdomadaire tente
d’attirer toujours les lecteurs de cette manière. Tous les ans, on retrouve des classements
concernant la santé. On remarque cependant une évolution, alors qu’en 1974 ou 1988 on
cherche plutôt les lieux où il fait bon vivre et ceux où on est malade (« le palmarès du bien-
être », « Le classement des 95 départements où on vit le mieux en France ? », « la carte de
France des maladies »61) en 2002 et 2007 on se concentre sur les lieux pour se soigner62.
On a une transformation d’objectivité du journal sur des facteurs parfaitement déterminés.
Le journal ne veut plus enquêter mais reprend un palmarès sur des critères chiffrés. On a aussi
une impression de transformation du rôle du journal passant de l’enquête au service, les
palmarès des hôpitaux pouvant servir aux lecteurs alors qu’il ne pourra rien faire de la carte
des maladies. Des questions liées à la médecine se posent aussi comme la naissance de
61 N°69 du 14 janvier 1974, n°75 du 25 février 1974 et n°805 du 22 février 1988 62 N°1562 du 23 aout 2002 (« Hôpitaux : le palmarès 2002 : 550 établissements au banc d'essai, les meilleurs ville par ville pour 20 spécialités ») et N°1814 du 21 juin 2007 « Hôpitaux : le palmarès 2007 : 700 établissements au banc d'essai, les meilleurs ville par ville pour 40 spécialités »
46
nouveaux virus63 ou l’évolution technique de la médecine64. En 2002, un supplément spécial
est même consacré à la maladie d’Alzheimer65.
Les questions d’Education et d’Emploi restent toujours des questions phares.
Le journal propose souvent des palmarès sur ce sujet et ce, dès 197466. Cependant, en 2007, la
quantité de palmarès explose passant de 1 ou 2 les autres années à 4 avec même deux fois le
même sujet (« Spécial emploi : les secteurs qui recrutent », « Spécial recrutement : le marché
de l'emploi région par région »). On a donc une tendance à augmenter fortement les
marronniers sur cette question. En 2002, deux dossiers dans le même numéro concernent ainsi
les questions d’éducation : « Jeunes diplômés : la nouvelle donne de l'emploi » et « Jeune,
majeur et pensionné »67. Concernant cette question, des grandes questions de société se posent
dans les colonnes de l’hebdomadaire comme la scolarisation des surdoués68.
Pour la problématique du Logement, un sujet est réutilisé chaque année « où vit-on le
mieux en France ? »69 à l’exception de 1995 et 2002. En 1995, l’actualité a sans doute été trop
chargée pour faire passer cet article habituel. En 2007, la question posée n’est plus la même, il
ne s’agit plus de savoir où se loger mais plutôt comment se loger. Deux palmarès surtout sur
l’opportunité d’acheter (« Spécial Immobilier : ce qu'il faut acheter? », « Spécial immobilier :
faut-il toujours acheter? »70). On note ainsi une évolution importante mise en avant par le
journal, la classe moyenne et supérieure (le lectorat privilégié du Point71) n’a plus autant le
choix de son lieu d’habitation. Elle se demande si matériellement elle devrait faire le choix de
la location ou de l’achat. Cependant, ces questions se posent surtout à des périodes bien
définies de l’année et pas en mai ou avril où il est rare d’avoir à changer de logement. Par
contre, on peut non pas s’intéresser au logement mais au confort de celui-ci comme avec « la
triste géographie du téléphone »72 qui montre les disparités nationales.
63 N°1179 du 22 avril 1995, dossier intitulé « alerte aux nouveaux virus » 64 N°447 du 13 avril 1981, dossier intitulé « Le temps du docteur bidule » 65 Supplément du Point n°1542 du 5 avril 2002 66 N°117 du 16 décembre 1974, N°408 du 7 septembre 1981, N°843 du 14 novembre 1988, N°1532 du 25 janvier 2002, n°1792 du 18 janvier 2007, n°1812 du 7 juin 2007, n°1826 du 13 septembre 2007 et n°1834 du 8 novembre 2007 67 N°1542 du 5 avril 2002 68 N°816 du 8 mai 1988, dossier intitulé « Enfants surdoués : qu’en faire ? » 69 N°68 du 7 janvier 1974, n°469 du 14 septembre 1981, n°808 du 29 février 1988, N°1530 du 11 janvier 2002 70 N°1800 du 15 mars 2007 et n°1828 du 27 septembre 2007 71 ODUL (Véronique), op cit p 2 72 N°83 du 22 avril 1974, dossier intitulé « la triste géographie du téléphone »
47
Quant aux questions environnementales, elles restent très mineures dans les sujets en
Une. On peut penser qu’une anecdote a fait disparaître cette volonté de traiter
l’environnement en Une. Lors du 3ème numéro du journal en 1972, la rédaction avait décidé de
faire sa Une sur « Plastique accusé » mais ce fut l’un des pires résultats de vente. En 1981,
l’environnement disparait tout simplement du sommaire, sans doute à la suite de la mort de
son rédacteur en chef Robert Franc en 1978. En avril et mai des années étudiées, seul le livre
d’Al Gore en 2007 permet d’avoir un article sur l’environnement.73
Enfin, le journal pose aussi à ses lecteurs des questions de société qui montrent sa
perception des changements de celle-ci. Ainsi, il s’intéresse autant à la mauvaise
alimentation74, qu’à l’euthanasie75 ou au droit des animaux76. L’hebdomadaire cherche à
rester en lien avec la société qu’il expose et n’hésite donc pas à traiter de sujets qui peuvent
sembler un peu futiles.
4. Une revue ?
Un Newsmagazine est forcément un périodique, mais on ne définit pas quelle sorte de
périodique. Le Point est un hebdomadaire, alors que le modèle même des Newsmagazines, le
New York Times, est un quotidien. Cependant, cette question de périodicité n’est pas
importante puisque certains dictionnaires oublient même l’ancêtre du Newsmagazine et donne
la définition suivante : « Hebdomadaire en couleurs consacré à l'actualité politique,
économique, sociale, culturelle, etc. »77. Le Point correspond donc à cette définition.
Dans la définition d’un Newsmagazine il y a bien sûr la notion de magazine mais Le
Point en est-il réellement un ? Si on choisit la définition la plus simple de la revue et du
Magazine, ce sont des synonymes d’« une publication périodique », le magazine étant « le
plus souvent illustrée »78. Cependant, une définition plus vaste rend la revue spécialiste d’un
thème79. Dans ce cas, notre hebdomadaire n’est pas une revue car il traite plusieurs domaines.
Cependant, notre journal peut aussi avoir des caractéristiques de la revue : c'est-à-dire des
articles longs et spécialisés, une vente par abonnement (alors que magazine vient de magasin 73 N°1806 du 26 avril 2007, dossier intitulé « Environnement : Al Gore "pour un plan Marshall planétaire" » 74 N°83 du 22 avril 1974, dossier intitulé « Alimentation : de toutes les couleurs » 75 N°1805 du 19 avril 2007, dossier intitulé « Euthanasie : les dessous d’un lobbying » 76 N°1176 du 1 avril 1995, dossier intitulé « Les animaux ont-ils des droits ? » 77 Dictionnaire Le Petit Larousse, Paris, Edition Larousse, 2011. 78 Le-Dictionnaire.com 79 Ibid. 78
48
et renvoie à la vente au numéro)80 et une forme proche d’un livre. A cette question, on peut
répondre d’abord en s’attardant sur le choix de la forme de la vente, sur la qualité du
magazine et ensuite sur la forme même du journal.
On peut déterminer plusieurs phases dans le choix de la vente du journal. Comme la
prouvée Véronique Odul81, Le Point, pendant longtemps, ne veut pas être un journal
d’abonnés. Ainsi, les fondateurs font le choix de privilégier la vente du numéro et refuse de
diminuer le prix pour les abonnés. Aucune remise n’est proposée. Le Point annonçait ainsi
que « plutôt que de gonfler artificiellement notre diffusion avec des acheteurs forcés, nous
préférons conquérir et garder des lecteurs vraiment intéressés »82. Il y a donc une volonté de
pousser le lecteur à avoir l’envie d’acheter. Ce choix semble fonctionner puisqu’en 1981,
52% des ventes se font au numéro83. Ainsi, à cette date, c’est réellement un magazine.
Cependant, cela change fortement avec le temps, aujourd’hui à peine 30% 84des ventes se font
à l’achat en kiosque. On a donc une évolution où le journal à tendance à plus ressembler à une
revue vendue par abonnement.
Concernant le contenu, Le Point a toujours voulu faire appel à des spécialistes pour
certains dossiers, les éditoriaux des professeurs de droit Georges Vedel85 ou Guy
Carcassonne86 le prouvent pas exemple sur les questions juridiques. On peut ainsi penser que
cette recherche poussée des dossiers est la marque du Point, elle s’est peut être érodée avec le
temps. Il suffit de comparer un dossier titré de la même manière en 1974 et en 2002. Par
exemple, la présentation des candidats. En 1974, 18 pages sont consacrées87 à celle-ci, 22 en
200288. Il n’y a donc pas de profonds changements sur la quantité d’information. Cependant,
la forme des articles a changé. Pour cela, le N°450 du 2 mai 1981 est très instructif. Sur 13
pages, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand sont interrogés sur 38 questions. Il est
inimaginable de retrouver cela dans un numéro de 2007 où par exemple aucun article ne
dépasse 5 pages. Ce sont des articles successifs, toujours liés à la campagne présidentielle,
mais qui tournent autour d’une multitude de sujets. Il n’y a pas d’article au sens scientifique 80 Dictionnaire de l’académie Française, Tome 18, Magazine 81 ODUL (Véronique), « Le Point et ses lecteurs : une affaire de fidélité » in Le Temps des médias n°3, Paris, automne 2004, p. 74-82. 82 Cité par Véronique Odul (p 76, 9ème paragraphe) 83 Source OJD : 177415 exemplaires vendus au numéro sur une diffusion de 336201 84 Source OJD : 120443 exemplaires vendus au numéro sur une diffusion de 407855 85 Editorial du n°86 du 13 mai 1974 86 Editoriaux dans les numéros 1176 (1 avril 1995), 1177 (8 avril 1995), 1180 (29 avril 1995), 1543 (12 avril 2002), 1544 (19 avril 2002), 1547 (10 mai 2002), 1808 (10 mai 2002) 87 N°83 du 22 avril 1974 88 N°1544 du 19 avril 2002
49
du terme qui pourrait occuper plus d’une dizaine de pages. Le journal a privilégié sa mise en
page, beaucoup plus agréable pour le lecteur, au détriment de la profondeur de sa recherche et
de son argumentation. Journal de référence, Le Point semble progressivement se rapprocher
du contenu des autres magazines d’information.
Figure 6 : Une du N°1544 du 19 avril 2002
Figure 7 : Une du N°1547 du 10 mai 2002
Figure 8 : Une du n°1808 du 10 mai 2007
Enfin, on peut regarder l’évolution de la forme du journal. Denis Jeambar nous
explique89 être à l’origine d’une réforme très importante du journal qui justement le rapproche
d’une revue. En effet, il veut faire de l’hebdomadaire non plus un journal jeté une fois lu mais
plutôt un objet de collection dont on hésite à se débarrasser comme on le ferait pour un livre.
Ainsi, en 1995, la nouvelle formule entraine deux bouleversements de la forme : sa reliure
carré et son liserai rouge en Une. Le Point prend une identité visuelle définie qui ne bouge
plus. Le contour rouge peut parfois être adapté comme pour le n°1547 où la photo de Jacques
Chirac par Karl Lagarfeld occupe la quasi-totalité de la première page mais un liserai rouge
demeure même s’il est fortement diminué par rapport à la publication habituelle (le titre
habituellement sur fond rouge se retrouve inséré dans la photo). Ce n’est plus un journal
jetable mais quasiment un objet de collection. En 2007, Franz-Olivier Giesbert appuie encore
sur ce côté objet de collection en rajoutant « numéro historique » pour le numéro 1808 qui
suit l’élection de Nicolas Sarkozy.
Il y a donc une évolution de la forme allant vers la revue de collection et une du fond,
en s’appuyant sur son image de journal de référence et en diminuant le contenu de ses
information. Parallèlement, l’hebdomadaire fait à la fois un pas vers la revue et un autre vers
le magazine. Au cours de son histoire, le journal semble donc osciller entre ces deux choix et
89 Interview de Denis Jeambar
50
reste un hybride, ni totalement une revue, ni totalement un magazine d’information
généraliste.
Ainsi, nous pouvons à présent tenter de définir en quelques lignes ce qu’est Le Point.
C’est un journal de référence qui se veut élitiste, européen et anti-extrémiste. Même si sa
rédaction semble plutôt de sensibilité de droite et l’exprime lors de tribunes libres,
l’hebdomadaire refuse d’assumer un choix partisan et surtout de l’imposer à ces lecteurs.
Ceux-ci sont issus des catégories sociales supérieures, ils cherchent une analyse argumentée
et pas un pamphlet engagé. Ils achètent un journal s’intéressant à de nombreux sujets,
privilégiant légèrement le politique sans oublier les questions sociétales qui y jouent un grand
rôle. Publication hebdomadaire, la rédaction a oscillé au cours du temps entre une revue et un
magazine. Revue généraliste ou magazine de référence, aujourd’hui encore, la question n’est
pas réellement réglée.
Après cette définition qui commence à nous faire entre-apercevoir la réalité du journal,
nous pouvons nous attarder plus longuement sur la campagne présidentielle en sélectionnant
les articles qui s’y rattachent. Ceux-ci nous font analyser des questions politiques mais aussi
l’évolution de la société telle que la conçoit l’hebdomadaire.
52
II Le traitement de l’élection présidentielle A présent que nous avons défini le journal, intéressons-nous au traitement de la
campagne présidentielle par celui-ci. La campagne est un révélateur de la politique mais aussi
de la société. Les articles ne se limitent pas uniquement aux combats politiciens.
Ils permettent d’analyser le journal pour son traitement politique mais aussi à travers d’autres
questions comme l’économie (l’étude des programmes) ou la société (le rôle des conjoints).
Le Point est un Newsmagazine que la campagne présidentielle permet d’étudier.
Bien sûr, notre choix de bornes chronologiques (cinq semaines avant le premier tour et
le numéro qui suit l’élection) ne permet pas d’étudier la totalité des campagnes présidentielles
qui ont tendance à commencer de plus en plus tôt1. Ainsi, en regardant simplement les Unes2
de ces années d’élections, on constate que l’on commençait à envisager la campagne vers fin
janvier/début février en 1981-1988, dès la 3ème semaine de janvier en 1995 et dès le premier
numéro de l’année en 2002 et 2007 (et peut être même dès décembre de l’année précédente).
Ceci s’explique sans doute par le quinquennat qui en faisant de l’élection présidentielle la
seule grande élection a centré tous les intérêts sur celle-ci. Bien évidemment, cette remarque
sur le début de campagne ne convient pas à l’élection de 1974 qui suit la mort de Georges
Pompidou3 et donc n’est traitée qu’à une très brève échéance.
Néanmoins, nous pensons que pendant ces derniers jours de campagne, Le Point est
uniquement intéressé par celle-ci dans ces pages politiques. Nous voulons mettre en avant la
"griffe" du journal pendant l’élection. Notre but n’est pas d’analyser exhaustivement
l’ensemble des 360 articles relatifs à la campagne pendant ces 36 semaines étudiées mais
plutôt de tenter de percevoir des ressemblances ou de vraies différences.
Le journal fait souvent appel à des chroniqueurs plus ou moins réguliers qui
n’appartiennent pas à la rédaction mais écrivent des papiers sur un sujet précis. Cependant, ils
ne reflètent pas exactement le traitement de l’élection par la rédaction et n’expriment que leur
1 Pour l’élection présidentielle de 2007, Ségolène Royal est désignée le 16 novembre 2006 et Nicolas Sarkozy le 14 janvier 2007, soit bien avant les dates de la campagne officielle 2 N°436 du 26 janvier 1981 « l’Assaut contre Giscard », N°438 du 9 février 1981 « Le calcul de Chirac » et N°439 « Présidentielles : sondage IFOP-Le Point », n°802 du 4 février 1988 « Elysée 88 : Chirac monte, Barre parle, Mitterrand s'amuse », n°1166 du 21 janvier 1995 « Enquête sur Edouard B », n°1169 du 20 février 1995 « Enquête : mais qui est donc ce monsieur Jospin ? », n°1592 du 4 janvier 2002 « Présidentielle : le poids des Francs-Maçons », n°1790 du 4 janviers 2007 « Bayrou peut-il troubler le jeu ? » 3 Georges Pompidou meurt le 2 avril 1974, l’élection présidentielle se tint les 5 et 19 mai 1974
53
avis. Ainsi, on retrouve des commentaires de personnalités très diverses comme Jean-François
Kahn4, Jean-François Revel5, Alain Duhamel6, Nicolas Baverez7, Bernard-Henri Lévy8 ainsi
que des professeurs comme Georges Vedel9 ou Guy Carcassonne10. Ces billets ne seront pas
étudiés à proprement parler mais ils nous serviront parfois de complément à certaines
analyses politiques sur la campagne.
Nous débuterons notre étude comparée par les numéros qui précèdent le second tour de
l’élection, à travers l’analyse politique de celle-ci et la présentation des candidats au cours des
années. Enfin nous nous attarderons spécifiquement sur ces numéros spéciaux titrés « le
président ».
A. L’analyse politique de la campagne
1. L’utilisation des sondages : « les trucs de Lech »
D’après Denis Jeambar11, Le Point se définit en grande partie par une volonté
d’objectivation de la société. Ainsi, le journal a toujours essayé d’appuyer ses analyses sur des
sources concrètes et, en particulier, sur des chiffres. Les sondages, études d’opinions, etc. ont
ainsi occupé une place importante au sein de l’hebdomadaire dès sa fondation. L’élection
présidentielle est le moment où les sondages prennent toute leur importance. Jean-Marc
Lech12 y joue un rôle de premier plan. Denis Jeambar parle des sondages comme des « trucs
de Lech » et Catherine Pégard de cet homme comme le « sondeur officiel du Point » 13. Cela
montre à quel point celui-ci a joué un rôle central dans la présence des sondages dans le
4 « Et si c'était … », Le Point n°83 du 22 avril 1974 5 Le Point N°1176 du 1 avril 1995, N°1179 du 22 avril 1995, N°1180 du 29 avril 1995, N°1181 du 6 mai 1995, N°1543 du 12 avril 2002, N°1545 du 25 avril 2002 6 Le Point N°1177 du 8 avril 1995, N°1180 du 29 avril 1995, N°1181 du 6 mai 1995, N°1542 du 5 avril 2002, N°1544 du 19 avril 2002, N°1545 du 25 avril 2002, N°1804 du 12 avril 2007 et N°1807 du 3 mai 2007 7 N°1543 du 12 avril 2002, N°1544 du 19 avril 2002, N°1545 du 25 avril 2002, N°1546 du 3 mai 2002, N°1804 du 12 avril 2007, N°1806 du 26 avril 2007, N°1807 du 3 mai 2007 et N°1808 10 mai 2007 8 Présents dans l’ensemble des numéros étudiés de 1995, 2002 et 2007 à l’exception du n°1542 du 5 avril 2002 9 Le Point n°86 du 13 mai 1974 10 N°1176 du 1 avril 1995, N°1177 du 8 avril 1995, N°1180 du 29 avril 1995, N°1543 du 12 avril 2002, N°1544 du 19 avril 2002, N°1547 du 10 mai 2002, N°1808 du 10 mai 2007 11 Interview de Denis Jeambar 12 Le politologue Jean-Marc Lech est fondateur et coprésident de l'institut de sondages Ipsos après avoir été directeur de l’IFOP 13 « Les secrets de Jean-Marc Lech », n°1518 du 19 octobre 2001
54
journal. Son nom n’apparait explicitement qu’en 1995 mais il est derrière l’ensemble des
sondages publiés dès 1974.
Tout d’abord, on peut analyser l’évolution de l’importance des sondages dans le journal.
Pour cela, nous avons sélectionné tous les sondages publiés dans les cinq numéros précédant
l’élection. Très nettement, on constate une baisse du nombre d’études sondagières ou de
cartes électorales au cours des années. En 1974, ce n’est pas moins de douze articles qui
utilisent des sondages. Par exemple, le 7 mai 1974, cinq textes sont rédigés à partir de ces
chiffres14. Ils proposent à la fois des explications de vote (comme la raison de victoire de
Giscard face à Chaban) mais aussi des sondages comme les trois hypothèses pour le 2nd tour
(discipline dans le camp majoritaire, dynamique de l’unité à gauche ou vote des
abstentionnistes). Il y a nettement un mélange entre l’analyse du vote et l’anticipation du 2nd
tour. On comprend à quel point, en 1974, les sondages occupent une place particulièrement
importante. Cela tient sans doute à la volonté de crédibiliser le journal qui s’appuie sur des
données brutes qu’il analyse et pas sur des on-dits et des postulats idéologiques. D’après nos
interviewés, le journal est l’un des premiers à utiliser les sondages à une telle fréquence.
Le nombre d’articles analysant des sondages ou des résultats électoraux
Les années 1981 et 1988 marquent une importante baisse des sondages. D’abord
stabilisée autour de 6/7, leur quantité chute fortement, passant de 7 en 1988, à 4 puis 1 en
2002 puis 2007.
14 « Trois hypothèses pour le second tour », p 63, « Où trouveront-ils de nouvelles voix ? » p 64, « Comment Giscard a battu Chaban » p 64, « les spectateurs sont méfiants : comment ils les jugent ? » p 66-67, n°85 du 7 mai 1974
55
Cela pourrait s’expliquer par la non-publication de sondage la semaine qui précède une
élection15. Cependant, l’élection présidentielle entraîne des bouleversements dans les dates de
publication de l’hebdomadaire, qui est habituellement le lundi à cette époque. En 1981, deux
numéros sont publiés la semaine du 13 avril et deux autres la semaine du 20 avril : un le lundi
qui suit l’élection du premier ou du second tour et l’autre le samedi de la même semaine.
(Voir graphique). Il n’y a donc pas de numéro la semaine précédant l’élection et ainsi pas de
problème pour analyser des sondages16 puisque ceux-ci ne sont pas réalisés pendant la période
interdite. En publiant, par exemple le samedi, les lecteurs ont neuf jours pour lire le sondage
qui est en réalité vieux d’une semaine. C’est donc un moyen d’avoir des sondages sans
déroger à la règle. On retrouve le même processus en 1988. En 1995, la date de parution
habituelle a changé, on est passé du lundi au samedi, il n’y a pas de modification due à
l’élection à l’exception du décalage du numéro qui devait sortir le samedi 6 mai et est sorti le
lundi 8, lendemain de l’élection. L’explication de l’interdiction législative n’est donc pas
convaincante.
Agenda de publication du Point lié à l’interdiction des sondages la semaine précédant une élection
On peut donc en déduire que les sondages ont perdu de leur importance pour le journal ;
Extrêmement présents jusqu’en 1988, ils le sont de moins en moins en 1995, 2002 et 2007.
En 2007, on en voit l’aboutissement avec seulement un article utilisant des sondages17.
Ces résultats nous surprennent car ils sont contraires à l’habitude ambiante qui condamne « la
dictature des sondages »18.On peut proposer plusieurs hypothèses à cette disparition
progressive dans le journal. Tout d’abord, il peut y avoir une diminution de l’intérêt des
15 La loi n°77-808 du 17 juillet 1977 et ses décrets d’application n°78-79 du 25 janvier 1978 et n°80-851 du 16 mai 1980 interdisent la publication des sondages pendant la semaine précédant chaque tour de scrutin, la loi du 7 février 2002 diminue ce délai à 24h 16 « Un scrutin à l’arraché », n°450 du 2 mai 1981, p 56-57 17 « Sondage : le baromètre politique », n°1805 du 19 avril 2007, p 39 18 Becker Jean-Jacques. « L'opinion publique : un populisme ? » In Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°56, octobre-décembre, 1997. pp. 92-98.
1er tour
2ème tour Sondag
es Sondages
56
lecteurs qui ne veulent plus y lire les résultats qui sont déjà fortement commentés par la
télévision, la radio et les quotidiens. Selon Michel Colomès19 , cela s’explique sans doute par
une volonté de changement, après « la folie des sondages de 1974 », on a tendance à en faire
moins. Il y a aussi eu des erreurs de la part des sondeurs, ce qui a sans doute contribué à leur
diminution (en particulier de Jean-Marc Lech qui a été forcé de stopper sa collaboration avec
Le Point entre 1983 et 1986 à la suite de sa prévision erronée d’une victoire massive de la
gauche aux municipales de 1983). Enfin, avec la création d’Ipsos et l’arrivée en 1982 de Jean-
Marc Lech à sa tête, le journal signe un contrat mensuel de sondages d’intention de votes.
L’hebdomadaire n’a donc plus réellement besoin d’un flot de sondages importants juste avant
l’élection puisqu’il en a déjà étudiés de nombreux pendant les mois et les années précédents.
On note une autre évolution importante au cours de notre période d’étude. Entre 1974 et
2007, le sondage semble être passé d’un objet compliqué qui doit être expliqué par un
spécialiste à une donnée brute que les journalistes peuvent analyser telle quel. Ainsi, en 1974
et 1981, les statistiques sont décryptées par un politologue de l’Institut Politique de Paris :
Jean Charlot20. Il donne un avis d’expert comme si les sondages ne pouvaient être compris
sans cela. Certains sont analysés par la rédaction mais alors le texte n’est pas signé21. On a
vraiment l’impression d’une sorte de mise en avant du sondage comme une source à utiliser
avec beaucoup de précaution. A partir de 1988, il y a moins de sondages et ceux-ci sont traités
directement par les chefs du service politique du journal ou par des journalistes22. Parfois, des
sondeurs décryptent l’information23 mais on ne fait plus appel à des professeurs de Science
politique. De plus, ces sondeurs viennent souvent expliquer la raison d’une erreur24. Les
sondages ont perdu au cours de nos années d’étude leur côté exceptionnel et mystérieux.
Ainsi, on comprend mieux la raison d’une disparition progressive de ceux-ci dans
l’hebdomadaire au cours des années. Ils ont perdu de leur intérêt et le côté énigmatique qui ne
pouvait être décrypté que par des experts. Le journal avait besoin de chiffres objectifs à sa
création pour montrer la crédibilité de son équipe. Au cours des années, celle-ci a gagné en
19 Interview de Michel Colomès 20 Par exemple : « Les voleurs de pourcentage par Jean Charlot », n°83 du 22 avril 1974, p 68 21 « Sondage : les intentions de vote au second tour », n°86 du 13 mai 1974, p 62 22 Par exemple « Les dessous des derniers chiffres » par Denis Jeambar, n°813 du 16 avril 1988 ou « Tournants de campagne » par Carl Meeus, n°1543 du 12 avril 2002, p 36. 23 Comme Jean-Marc Lech : « redresser un sondage n’est pas le bidonner », n°1543 du 12 avril 2002, p 38 ou Pierre Giacometti : « la grande victoire de la démocratie d'opinion », n°1806 du 26 avril 2007, p 72 24 « Jean-Marc Lech, coprésident d'Ipsos "pourquoi nous avons sous-estimé Jospin" », n°1180 du 29 avril 1995, p 68
57
reconnaissance et le besoin tend à disparaitre. La lente chute du nombre de sondages
accompagnée de la disparition progressive du décryptage par des experts sont une preuve de
la crédibilité acquise par le journal qui n’en a plus besoin pour être un journal de référence.
L’hebdomadaire organise aussi ce qu’il appelle des « soirées électorales ». Celles-ci sont
annoncées en première page25. Lors de ces soirées, Europe 1 ou RTL, ainsi qu’une télévision
(comme TF1) participe à une soirée le jour de l’élection. Il y a une partie publique qui est
retransmise à la télévision mais la plus intéressante est dans la partie privée. Ainsi, des
personnalités, choisies pour leur importance dans le monde politique, médiatique, etc., sont
invitées dans une « bulle » où les sondages du jour de l’élection sont donnés. Denis Jeambar l’a
ainsi résumé pendant notre entretien :
« A l’époque on n’avait pas le droit de donner les sondages, donc la veille du 1er au 2nd tour d’une élection, on faisait un sondage non publié. […] On faisait une très grande soirée, avec petits fours dans un grand hôtel parisien, avec mille ou deux milles personnes, c’était énorme, les gens étaient enfermés car on était obligé juridiquement de les tenir enfermés jusqu’à 20h, c’était le moment où vous apparaissaient les résultats sur les chaines de télévision. [Jean-Marc] Lech a ainsi annoncé l’élection de Mitterrand à 18h. »
Ces personnes sont donc au courant vers 18h du résultat de l’élection qui ne sera annoncé que
vers 20h. C’était une action de relations publiques cherchant à en faire un journal de référence.
Avec l’autorisation des sondages la veille du scrutin, cette pratique disparaît.
Les sondages ont donc perdu de leur superbe avec le temps, la recherche d’objectivité
ne passe plus que par eux. L’évolution du journal comme référence n’impose plus d’autant
s’appuyer sur ces données. Il y a donc un changement au cours du temps qui montre à travers
les choix du Point une volonté de ne plus se contenter de sondages pour donner son analyse.
25 Par exemple, en page 3, du n°813 du 16 avril 1988
58
2. Des « bancs d’essai » au vote des communautés
Toujours dans la volonté d’être un journal de référence, l’hebdomadaire a été dans les
premiers à lancer des « bancs d’essai », avec dès le second numéro du 2 octobre 1972
« Giscard au banc d’essai ». Avec les élections présidentielles, ce besoin d’objectivisation des
programmes des candidats est encore plus important. On retrouve donc tout naturellement ces
« banc[s] d’essai » en 197426, 198127 et 198828. En 1995, même si le terme a changé, l’idée
d’un comparatif des programmes demeure avec « Qui ? Pour quoi faire ? »29. En 2002 et
2007, ces comparatifs ont disparu dans notre corpus, une autre sorte d’articles a, par contre,
fait son apparition : le vote des communautés.
A chaque élection, même si le titre de l’article change peu, la mise en forme est
totalement différente. Ici, ce n’est plus simplement la politique politicienne qui est mise en
avant mais l’ensemble des rubriques habituelles du journal : économie, société, international,
etc. A travers la campagne présidentielle, le périodique utilise tous les services de sa rédaction
pour ces analyses et plus simplement le service politique.
En 1974, l’accent est mis sur les qualités et les défauts des candidats. Ainsi, chaque
candidat est jugé à l’aune de quatre caractéristiques que le journal considère comme des
qualités d’un président : « juger et décider », « sentir le peuple », « savoir s’entourer » et
« pouvoir s’imposer ». Pour la première, le journal juge un « match nul », pour le second « un
avantage à Mitterrand et Chaban », pour le troisième « avantage à Chaban » et pour le dernier
« Giscard puis Mitterrand puis Chaban ». Ici, le journal considère ses données assez
objectives pour se permettre de donner un jugement. Cependant, ce choix objectif n’est pas
celui des Français qui ne le concrétisent pas par leur vote.
Après l’échec de Jacques Chaban-Delmas, pourtant favori du classement précédent,
on peut penser que le journal n’a pas voulu recommencer. En 1981, ce ne sont plus les
hommes, mais les promesses qui sont analysées. Il est plus facile d’objectiver des promesses
que des personnes, surtout que la rédaction ne choisit qu’un critère d’analyse : l’économétrie.
Chaque candidat est donc jugé en calculant l’effet que son programme aurait sur la croissance,
l’inflation, les investissements des entreprises, la consommation des ménages, le déficit
26 « Les candidats au banc d'essai », n°83 du 22 avril 1974, p 62 27 « Leurs promesses au banc d'essai », n°447 du 13 avril 1981, p 64 28 « Les programmes au banc d'essai », n°812 du 11 avril 1988, p 57 29 « Qui ? Pour quoi faire ? », n°1178, du 15 avril 1995, p 44
59
budgétaire et la balance commerciale. Cette mise en forme permet d’éviter de privilégier un
candidat ou un autre, elle met en avant les défauts et les qualités sans donner d’avis. Le
jugement objectif n’est même plus exprimé.
En 1988, on change à nouveau de présentation. Cette fois, on a choisi beaucoup plus de
critères (défense, éducation, social, économie et institutions) et pour chaque camp, le journal
classe les propositions dans un tableau. Il n’y a pas de jugement mais simplement un
récapitulatif comparatif. On a l’impression d’un mémento pour les électeurs du programme de
chacun des candidats. IL n’y a même plus de semblant de jugement.
Enfin, en 1995, le principe est le même qu’en 1988 mais la mise en forme n’a rien à
voir. On cherche bien à comparer les programmes mais au cours d’un article de quatre pages
(quand les autres comparatifs comptaient six ou huit pages). Ici, le journaliste veut montrer les
différences des programmes quand certains journaux annoncent qu’ils sont quasiment
semblables. Cette fois, le journal prend position mais contre tous les postulants à l’investiture
suprême. Pour la rédaction, les programmes ne vont pas assez loin. A force de ne pas vouloir
déplaire à telle ou telle classe de la société, ils défendent un programme trop mou aux yeux de
l’hebdomadaire. Ce n’est donc plus tellement le programme qui est le sujet de l’article mais
plutôt le regret que les programmes précédents n’aient jamais été suivis d’application. On voit
ici le changement ; on ne sépare plus les programmes entre les candidats mais, au contraire,
on a tendance à les regrouper pour les critiquer ensemble.
Le journal semble ainsi refuser le vote clientéliste en 1995 mais en 2002, c’est lui qui le
met en avant. La comparaison des programmes a disparu et une autre sorte d’articles a fait son
apparition : le vote des communautés. Il y a avait déjà un essai30 en 1974 qui voulait
seulement contredire les caricatures électorales classiques (tous les ouvriers ne votent pas
Mitterrand et tous les patrons ne votent pas Giscard). Dans les années 2002, c’est le vote des
communautés qui est mis en avant. Nous avons retrouvé ainsi deux articles sur le vote des
groupes religieux31 et un sur le vote des professeurs32. Ce sont de petits articles mais ils
marquent une différence très importante avec les campagnes précédentes. Avant, dans le
journal, c’était le candidat que l’on mettait en avant, parfois ses partisans mais pas des
communautés apolitiques. En 2002, la communauté religieuse ne prend pas position et ne fait 30 « Un PDG : "pourquoi je vote Mitterrand" », p 66 et « Un ouvrier : "pourquoi je vote Giscard" », p 67, n°86 du 13 mai 1974 31 « Présidentielle : les religieux prennent parti », n°1542 du 5 avril 2002, p 48 et « Musulmans : Ni Ségo, ni Sarko pour l'UOIF », n°1805 du 19 avril 2007, p 58 32 « Ces profs qui lâchent le PS », n°1803 du 5 avril 2007, p 50
60
qu’appeler à voter. En 2007, au contraire, les professeurs assument ne pas vouloir voter pour
Ségolène Royal et les musulmans de France, ni pour elle, ni pour Nicolas Sarkozy. Il y a ici
une évolution très importante du journal qui a changé, en partie tout au moins, le choix du
sujet qu’il met en avant. Ceci s’explique sans doute par la baisse de l’intérêt pour la politique
et la volonté d’attirer le lecteur en parlant de lui. L’arrivée de Franz-Olivier Giesbert marque
aussi un tournant qu’il faut prendre en compte. Ses prédécesseurs ayant fait du journal une
référence, celui-ci peut donc se permettre, sans changer radicalement l’image de l’hebdo, de
procéder à des changements. Le journal n’a plus rien à prouver pour être crédible ; par contre
il doit absolument augmenter ses ventes. Enfin, il faut aussi intégrer les mutations de la
société avec le développement d’un esprit communautaire que le journaliste doit analyser.
Le traitement de la campagne a donc radicalement évolué au cours du temps mais
certaines choses semblent ne pouvoir changer comme sa description. Cependant, la campagne
elle-même évolue aussi avec le temps.
3. La campagne
La campagne présidentielle se joue principalement sur deux terrains : médiatique et
militant. Dans le premier, tout est surtout une question d’image et de communication ; dans
l’autre, au contraire, c’est la présence et le charisme du candidat qui comptent. Le journal
s’appuie sur ces deux points pour raconter la campagne. Ces articles représentent la majorité
de ceux que nous avons dans notre corpus mais nous ne voulons pas en faire un recueil
complet qui n’apporterait aucun éclairage sur le traitement de la campagne par
l’hebdomadaire. Nous préfèrerons cibler les principaux changements dans le traitement de ces
deux parties de la campagne.
a) La campagne politicienne
C’est une habitude de la presse que de rédiger des articles sur les équilibres politiques
en période de campagne. Le Point ne déroge pas à la règle ainsi, nous pouvons dénombrer
près d’une trentaine d’articles sur ces questions. Le titre se veut souvent accrocheur comme
« Election : Giscard se retrouve dans le punch … »33 ou encore « Second tour : Royal veut les
voix de François Bayrou »34. Il y a sans doute une volonté des journalistes d’animer la
campagne soit en caricaturant certains choix ou propos, soit en interprétant des décisions à la
lumière de l’élection. Ici, c’est vraiment une question d’appareil politique que l’on met en
avant. 33 « Election : Giscard se retrouve dans le punch … », n°446 du 6 avril 1981, p 64 34 « Second tour : Royal veut les voix de François Bayrou », n°1805, du 19 avril 2007, p 58
61
Les journalistes tentent d’intéresser le lecteur en transformant l’élection en combat à
outrance entre les candidats. Ils utilisent ainsi des mots aussi durs que « voler en éclat »35,
« calvaire »36, « chute »37, « complot »38 des termes guerriers comme « veillées d’armes »39
ou « duel »40, et si la campagne ne leur semble pas assez dynamique, ils critiquent « une
France qui baille »41 ou une campagne « terne »42. Pour les journalistes, l’élection
présidentielle est d’abord un combat et les politiques doivent absolument rentrer dans ce jeu.
Il n’y a pas de différences notables dans le traitement politicien de la campagne qui dépend
surtout des vicissitudes de celle-ci. Ce traitement ne change pas, que ce soit au début des
années 1970 ou à la fin des années 2000.
b) La campagne sur le terrain
L’étude de la campagne sur le terrain a toujours occupé une place moins importante que
les luttes politiques mais elle a connu une forte évolution au cours des années. On est passé
d’une recherche sur le terrain militant au début de notre période à un reportage sur les « QG
de campagne en 2007 ». Ainsi parallèlement, l’accent est de moins en moins mis sur le
militant et de plus en plus sur l’entourage du candidat, pendant que le choix inverse
s’imposait concernant l’électorat, passant des cartes électorales nationales à des enjeux
communautaires. On a ainsi l’impression qu’on évolue d’une campagne où on montre le
candidat sur le terrain, seul face au peuple, à un candidat entouré qui s’adresse aux
communautés au cas par cas.
En 1981, on trouve des articles de journalistes qui ont accompagné les candidats et
décrivent leurs campagnes ou leurs électeurs. Ces articles ne s’intéressent qu’à deux
candidats : Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. On montre ainsi à la fois la
campagne et les personnes qu’elle a convaincues à travers les articles « j’ai battu la campagne
avec … »43. Cependant, tous les grands ne sont pas présentés et personne ne « bat[…] la
35 « Le centre vole en éclat », 83, du 22 avril 1974, p 56 36 « Giscard le calvaire de l’UDR », n°86 du 13 mai 1974 p 58 et « Le calvaire Hollande », n°1806 du 26 avril 2007, p 58 37 « La chute de la maison Jospin », n°1545 du 25 avril 2002, p VI et « la chute de la maison Le Pen », n°1806 du 26 avril 2007, p 66 38 « Messmer IV : le complot contre Chaban », n°82 du 15 avril 1974, p 54 39 « La veillée d’armes », n°813 du 16 avril 1988, p 65 40 « Chaban-Giscard : un duel nécessaire », n°82 du 15 avril 1974, p 52, l’éditorial de Catherine Pégard « Chirac-Jospin : un duel sans commentaire? », n°1542 du 5 avril 2002, p 11 et « Droite : Le Pen cherche le duel », n°1804 du 12 avril 2007, p 52 41 « Pourquoi la France baille », n°446 du 6 avril 1981, p 52 42 L’éditorial de Claude Imbert « Terne ! Et alors », n°1178 du 15 avril 1995, p 7 43 « "J'ai battu la campagne avec Mitterrand" par Pierre Marcabru », n°446 du 6 avril 1981 p 68 et « "J'ai battu la campagne avec VGE" par Claude Bonjean », n°447 du 13 avril 1981 p 62
62
campagne » avec Jacques Chirac ou Georges Marchais. On ne décrit pas que les postures
politiques mais aussi l’accueil des militants, la tension des meetings, etc. On retrouve en 1988
ces descriptions comme dans cet article « Mitterrand : train d’enfer »44 qui décrit quasiment
heure par heure la campagne menée par le président sortant.
Les années suivantes, on constate une disparition de l’enjeu militant de la campagne
remplacé par des analyses politiques45 ou en 2007 par un changement d’échelle.
Les journalistes ne vont plus sur le terrain de la campagne mais dans les QG. En 2007, la Une
du n°1805 du 19 avril, titre « dans le secret des QG »46. On vraiment l’impression que les
journalistes ne tergiversent plus entre les enjeux politiques qui ont toujours été relayés et la
campagne sur le terrain : le terrain a disparu et la campagne se limite donc à la description des
calculs politiques décidés tout en haut de la direction. A ce changement, nous pouvons
proposer l’explication d’une diminution de l’importance du militantisme47 : les médias ont
pris en compte ce changement et ont donc mis l’accent sur les décideurs de la campagne et
plus sur les « petites mains » et les meetings, lesquels ne sont plus aussi représentatifs de la
campagne qu’ils l’étaient dans les années 70.
Le Point a évolué comme un journal de son temps mais il a choisi aussi de se comparer
aux périodiques d’autres pays et cela dès la première campagne qu’il doit suivre.
4. La campagne vue de l’étranger
Enfin, parmi les articles qui semblent représenter l’évolution du traitement de l’élection
dans l’hebdomadaire, nous nous sommes intéressés à la reprise de la presse étrangère. En
effet, de 197448 à 1988 puis en 200249, le journal a l’habitude de reprendre les articles des
confrères étrangers. Ici, comme pour les « banc[s] d’essai », ce n’est plus le service politique
qui est à la manœuvre mais l’international.
En 1974, 1981 et 1988, le journal tente de relayer les avis de journaux d’un peu partout
sur la planète : Allemagne (RFA), Grande-Bretagne, URSS, Etats-Unis, Israël, Egypte, Italie,
44 « Mitterrand : train d’enfer », N°815 du 30 avril 1988, p 74-75 45 « Chirac recherche un effet Chirac » et « Jospin recherche un effet Clinton », n°1188 du 29 avril 1995, p 58-62 46 « Dans le secret des QG », n°1805 du 19 avril 2007, p 52-57 47 « La fin du militantisme politique » par Elie Arié dans Marianne.fr, 17 mars 2009 48 « L'étranger juge les candidats », n°84 du 29 avril 1974, p 52, « A l’étranger, qu’en pense-t-on ? », n°448 du 18 avril 1981, p 52 et « Présidentielle : vue de l’étranger – Mitterrand empoche la mise », n°813 du 16 avril 1988, p 78 49 « Réactions : La France épinglée, la presse étrangère ne prend pas de gants pour dénoncer la France donneuse de leçons et arrogante », n°1545 du 25 avril 2002, p XXIV
63
Espagne, Japon, Pays-Arabes, Afrique noire, Afrique du Sud, Algérie, Côte d’Ivoire, Suède,
Suisse. Seule la presse des quatre premiers est reprise à chaque campagne. On définit qui a
l’avantage d’après la presse du pays (Chaban l’a en URSS et Mitterrand en Israël en 1974).
On constate que l’avis n’est pas le même à chaque élection. Ainsi l’URSS, qui privilégiait
Chaban en 1974, veut que Giscard reste au pouvoir en 1981, la Grande-Bretagne soutenait
Giscard en 1974 et « s’agace [de] ses airs de monarque » en 1981. En 1988, ce ne sont plus
des petits encadrés pour chaque pays mais un seul article détaillant dans ses colonnes les bons
et les mauvais points du candidat selon les pays considérés. On aurait pu s’attendre à une
presse purement européenne ou tout au moins occidentale mais les journalistes ont préféré
choisir des presses de pays aussi différents que le Japon, la Suède ou les Etats-Unis. Il y
semble y avoir une volonté de comprendre l’intérêt international suscité par l’élection
française. On retrouve aussi souvent une remarque sur le non-intérêt pour cette élection. La
rédaction veut ainsi mettre en garde contre la tentation nombriliste : l’élection intéresse,
d’abord et avant tout, les Français. Le journal tente de donner à la fois l’avis journalistique de
l’étranger et de montrer à ses lecteurs que l’élection n’est pas forcément aussi importante que
les électeurs le croient. La baisse de l’intérêt pour l’international, déjà remarqué plus tôt,
explique sans doute la disparition de ces revues de presse internationale après 1988.
La revue de presse étrangère de 2002 est très différente, même si elle continue à donner
l’avis international. Il s’agit surtout de relater l’opprobre général à l’encontre de la France qui
a amené Jean-Marie Le Pen au second tour. Contrairement aux autres élections, il semble y
avoir eu unanimité pour condamner la France. Le Point, soutenant cette condamnation, appuie
l’opinion générale. Il y a une volonté de montrer, dans ce numéro spécial (que nous reverrons
spécifiquement plus loin), que l’immense majorité des Français, des intellectuels, des médias,
etc. est opposé à une élection de Jean-Marie Le Pen, comme les pays étrangers.
Maintenant que nous avons vu les principaux traits de la campagne présidentielle, nous
avons choisi de nous arrêter sur l’image des candidats décrits dans ces numéros.
64
B. Les candidats
Une élection, ce n’est pas qu’un programme contre un autre programme, mais c’est
avant tout une bataille entre différentes personnalités politiques. Dans cette seconde partie,
nous chercherons à comprendre comment le journal présente ces différents personnages.
On souhaite avant tout saisir l’image que les journalistes donnent de ces candidats.
1. Les candidats nominés
Le Point, à chaque élection, sélectionne les quelques candidats qui ont une chance d’être
au 2nd tour ou représentent l’un des partis majoritaires. Ici, on ne s’attache plus aux
programmes mais à la présentation de ces hommes et femmes politiques. On s’intéresse alors
à leur histoire, leur famille et parfois leurs proches. A chaque élection, le journal cible trois ou
quatre candidats jugés crédibles :
• 1974 : Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chaban-Delmas50
• 1981 : François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et Georges Marchais51
• 1988 : François Mitterrand, Jacques Chirac et Raymond Barre52 • 1995 : Jacques Chirac, Lionel Jospin et Edouard Balladur53 • 2002 : Jacques Chirac et Lionel Jospin54 • 2007 : Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal puis François Bayrou55
A partir de 2002, Jean-Marie Le Pen rentre dans cette catégorie mais nous avons préféré
l’étudier spécifiquement dans un deuxième temps.
a) Leur histoire
L’histoire des candidats est parfois rappelée au détour d’un article ou d’une brève.
Elle est souvent reprise dans le numéro spécial qui suit l’élection. Cependant, de nombreuses
fois dans notre corpus, la rédaction a choisi de réaliser une chronologie comparée des
candidats. C’est le cas en 1981, 1988 et 1995. Le journal veut appuyer cette ressemblance
50 « Les trois candidats : la vie de famille », n°84 du 29 avril 1974, p 43 51 Même si Georges Marchais n’apparait pas comme un candidat éligible, la place que lui laisse le journal le classe dans les "grands" candidats comme le prouve le n°449 du 27 avril 1981 (p 60) où le candidat Marchais est le sujet d’article immédiatement après les deux finalistes et avant Jacques Chirac 52 « Leurs vies en parallèle », n°813 du 16 avril 1988, p 69 ; 53 « Qui ? Pour faire quoi ? », N°1178 du 15 avril 1995 54 « Les deux campagnes » par Alain Duhamel, n°1544 du 19 avril 2002 55 « Les bonnes lectures des candidats », n°1804 du 12 avril 2007, p 44-46
65
entre ces trois comparatifs en utilisant le même titre : « leurs vies en parallèle »56. Comme
l’annonce le chapeau de chacun de ces articles, ils cherchent à montrer les différences entre
ces hommes qui « n’ont plus de secret pour les Français ».
En 1981 et 1988, les vies de ces candidats sont étudiées à l’aune de l’Histoire de France
(Front populaire, Libération, etc.) alors qu’en 1995, on découpe leurs vies en 4 étapes
(« Origines », « trajectoires », « ascension » et statut actuel (« candidats »)). C’est donc une
toute autre manière de voir leurs vies. Dans un premier cas, on montre les différences d’âge
entre les candidats (François Mitterrand étudiant en 1936 quand Jacques Chirac n’était qu’un
bébé) et de parcours. Dans le second, on met surtout en avant les différences entre ces
hommes qui ont quasiment le même âge (Edouard Balladur est né en 1929, Jacques Chirac en
1932 et Lionel Jospin en 1937).
Le journal veut exposer leur passé pour éclairer leur avenir. Pour cela, ils font un
comparatif qui peut laisser des blancs (par exemple pour Georges Marchais en 1944 résumé
en « mystère »). L’hebdomadaire cherche à monter des divergences significatives.
Par exemple, il oppose les origines des candidats : Valéry Giscard d’Estaing, revendiqué
comme le résultat de « la réussite d’une lignée » à celles de Georges Marchais, fils de mineur
et de carrier. Leur formation et leur passé sont rappelés : on voit ainsi qu’Edouard Balladur
aurait aimé être médecin et que Raymond Barre a tenté de convaincre le général De Gaulle de
ne pas dévaluer le Franc. C’est à la fois un résumé de leur vie et un récapitulatif des anecdotes
relatives à ces vies souvent hors du commun. (Jacques Chirac est ministre à 41 ans, Valéry
Giscard d’Estaing à 32 et François Mitterrand à 31).
Ces biographies comparatives ont sans doute plusieurs buts : présenter l’histoire des
candidats aux électeurs, mettre en avant leurs différences, rappeler leurs origines et leurs
parcours. Ces articles ne veulent pas forcément apprendre des choses aux lecteurs mais plutôt
offrir une grille de lecture comparée. On constate une mutation du rôle du politique, d’un
jalon d’une grande Histoire National, il devient un simple postulant comparé aux autres.
Le président donne l’impression d’avoir perdu son rôle d’homme hors du commun, il n’est
plus qu’un politique en compétition avec d’autres.
b) Leur famille
Le Point s’intéresse assez souvent aux compagnes (ou compagnon) des candidats sans
doute pour leur donner un côté humain, loin de l’abstraite énonciation des programmes.
56 « Leurs vies parallèle », n°448 du 18 avril 1981, p 56-61, n°813 du 16 avril 1988, p 68-73, et n°1178 du 15 avril 1995, p 48-51
66
En 197457, 198158, 200259 et 200760, on retrouve des articles sur ces sujets qui prennent de
plus en plus d’importance. En 1974, 1981 et 2002, le texte ne remplit qu’une page alors qu’en
2007, c’est un dossier complet qui leur est consacré. Cela s’explique certainement par la
situation très particulière de cette campagne où Cécilia Sarkozy est une des conseillères les
plus importantes de son époux et où le compagnon de Ségolène Royal, François Hollande, est
le premier secrétaire du PS.
Ici, on comprend l’évolution du rôle de la femme dans la société à travers le traitement
qu’en font les journalistes. L’élection présidentielle est alors un condensé d’informations sur
les questions de société. Le Point demeure un Newsmagazine, qui même lors d’une période
particulièrement chaude politiquement, s’intéresse aux courants sociétaux qui traversent son
époque comme l’évolution de la place des femmes dans la société.
En 1974, on s’interroge sur le rôle que ces femmes pourront jouer comme « première[s]
dame[s] de France », discrètes ou au contraire très présentes dans l’organisation de la vie
mondaine. Les femmes ne sont perçues que comme des organisatrices ou des êtres effacés,
elles n’ont pas une existence propre à travers cet article. En 1981, au contraire, la personnalité
de ces femmes est mise en avant : effacée et venant de l’aristocratie pour Anne-Aymone
Giscard d’Estaing, sociable et fille d’instituteur de gauche pour Danièle Mitterrand. Ces
épouses ont acquis une place et un rôle à part entière.
En 2002, l’importance des femmes est réaffirmée mais cette fois dans l’implication
qu’elles ont dans la campagne de leurs époux. Elles sont devenues un moyen de faire
campagne pour leurs maris. Cependant, cette fois, les femmes aident leurs compagnons par ce
qu’elles sont et non plus par ce qu’elles représentent. Bernadette Chirac, par son « action sur
le terrain », apporte des voix à son époux et pousse Sylviane Jospin à être aussi présente dans
la campagne. Elles assistent à des meetings sans leur mari ce qui prouve bien l’importance
qu’elles ont acquise dans cette campagne.
En 2007, cette évolution est encore plus prégnante puisque non seulement les conjoints
sont très présents mais le journaliste tente d’expliquer que les candidats cherchent à les
impressionner. Ségolène Royal cherche ainsi à prendre une revanche sur François Hollande
qui était le leader de leur groupe à l’ENA et Nicolas Sarkozy cherche à plaire à Cécilia, qui ne
veut plus être exposée. On voit ainsi que le rôle des proches a été particulièrement modifié en
particulier dans la place que les femmes ont prise auprès de leurs époux.
57 « Elles leur ressemble », n°83 du 22 avril 1974, p 69 58 « Deux femmes, une présidente », n°450 du 2 mai 1981, p 73 59 « Bernadette et Sylviane en campagne », n°1544 du 19 avril 2002, p 53 60 « L’autre », dossier du n°1803 du 5 avril 2007
67
Enfin, autre particularité de 2007, une brève est rédigée sur Thomas Hollande61, le fils
de la candidate socialiste ; c’est le seul exemple que nous avons retrouvé d’un texte sur un
enfant de la famille qui aide à la campagne de son père ou de sa mère.
La famille a donc pris une importance toute particulière mais plus dans un rôle
contemplatif, elle est devenue une part entière de l’équipe de campagne. On voit ainsi une
nouvelle tendance à afficher sa réussite professionnelle mais aussi familiale. L’homme
politique n’est donc plus, seul face aux Français, sa famille l’a accompagné. On note
cependant que Le Point donne l’impression d’avoir une campagne de retard. Dès 1974,
Valéry Giscard d’Estaing utilise sa famille pour sa campagne62 et il faut attendre 1981 pour
que la famille ne soit plus simplement un décor pour le candidat. Le journal donne un peu
l’impression de ressentir l’évolution de la société à la vitesse de cette dernière et pas à celle
des communicants. On le retrouve dans les articles sur l’entourage des postulants à
l’investiture suprême.
c) Les proches ou les "incontournables"
Le possible futur élu n’est pas seul à mener campagne, il est entouré de sa famille mais
aussi de personnalités politiques issues de leurs partis qui participent à la campagne en
espérant obtenir des responsabilités après la victoire. Cependant, ce n’est que tardivement que
ces proches apparaissent dans notre corpus. Seul Jacques Chirac63 est cité pendant la
campagne de 1974, sa position très particulière (gaulliste rallié à Valéry Giscard d’Estaing) en
fait un cas un peu à part. En 1981, alors que François Mitterrand joue sur l’esprit d’équipe
pour sa campagne, pas un article ne s’attache à cet entourage64. On ne voit apparaitre dans nos
articles les proches du candidat seulement en 200265 et en 200766.
En 2002, ce sont des hommes politiques déjà connus dont on parle. La question est de
savoir qui sera le futur occupant de Matignon. Nicolas Sarkozy et Laurent Fabius sont déjà
des personnalités politiques de premier plan. Cet article propose de faire des hypothèses sur le
futur locataire de Matignon. C’est une analyse qui liste les qualités et les défauts des
postulants. Il est question de « rapport de forces » et de « ménager la surprise ». C’est un peu
61 « Thomas Hollande, conseiller », n°1804 du 12 avril 2007, p 52 62 En particulier avec l’utilisation de la photo de sa fille Jacinthe (SAUSSEZ (Thierry) et SEGUELA (Jacques), La prise de l'Elysée : Les campagnes présidentielles de la Ve République, Paris, Editions Plon, 2007. P112-115) 63 « La furieuse croisade de Chirac », n°82 du 15 avril 1974, p 55 64 « Mitterrand l’esprit d’Equipe » in DELPORTE (Christian), La France dans les yeux : Une histoire de la communication politique de 1930 à nos jours, Paris, Editions Flammarion, 2007 p 319-322 65 « Sarkozy-Fabius : campagnes pour Matignon » et « Bachelot : La "Mme Sans-Gêne" de Chirac », n°1543 du 12 avril 2002, p 30 et 40 66 « Rachida Dati : la rage », n°1803 du 5 avril 2007, p 48
68
un état des lieux pour prévoir l’avenir après le 6 mai. Plus que l’entourage, c’est l’équilibre
politique autour du candidat qui est formulé.
Ce n’est pas du tout le cas des articles consacrés à Roselyne Bachelot en 2002 et à
Rachida Dati en 2007. Elles sont le porte-parole du candidat de l’UMP et semblent sortir de
l’image habituelle des politiques. On rappelle donc le franc-parler de la première et le
parcours compliqué de la seconde. Ces deux articles sont moins politiques que biographiques,
on présente ces deux femmes qui peuvent jouer un rôle important dans les mois à venir.
On peut donc constater une grande différence entre 1974 et 2007, non seulement le rôle
des conjoints s’est considérablement accru mais on donne aussi une existence à des
personnages presque inconnus qui sont au cœur de la campagne. L’élection semble devenir,
pour le journal, de moins en moins, un duel personnel entre des candidats et, de plus en plus,
celle d’une équipe face à une autre. On note ici l’évolution majeure de l’image des postulants
à l’Elysée, ils ne sont plus des hommes seuls face à la nation mais véritablement des chefs
d’équipe. On remarque que le journal n’a pas cédé aux choix stratégiques des candidats. Alors
que les proches et les soutiens sont de plus en plus affichés par ceux-ci dès 1981, il faut
attendre quasiment vingt pour que l’hebdomadaire s’y intéresse. Le Point évolue ainsi avec ce
qu’il considère être la mutation de la société et pas avec les choix des politiques.
2. Le cas Le Pen
Comme nous l’avons vu, Le Point refuse d’être considéré comme un journal partisan.
Néanmoins, il défend un certain nombre de valeurs et en particulier un refus net des
extrémismes, aux dires des fondateurs. Ainsi, on comprend la raison de certaines Unes du
journal particulièrement agressive avec le leader du Front National tel que « Comment en finir
avec Le Pen »67.
A chaque élection à partir de 1988, un ou plusieurs articles lui sont consacrés, il est le
seul candidat représentant d’un mouvement non gouvernemental à avoir ce traitement. Il nous
a donc semblé important de nous arrêter sur ces articles. On en retrouve dans un numéro en
1988 et 1995 et trois en 2002 et 2007. En tout, dans notre corpus, 12 articles et 4 éditoriaux
traitent du « grand perturbateur » Le Pen. Il est le seul candidat non éligible à être en Une :
une fois en 198868 et une autre en 200269. On peut le comprendre pour 2002 car il est au 2nd
tour de l’élection mais c’est beaucoup plus surprenant en 1988. Il est le seul candidat à être
67 Une du n°1546 du 3 mai 2002 68 Une du n°812 du 11 avril 1988 69 Une du n°1545 du 25 avril 2002
69
représenté tout seul en Une depuis le début de l’année, à l’exception de François Mitterrand70,
président sortant et donc pas simple candidat. Lors des deux autres numéros d’avril et le
premier de mai71, ce sont soit les trois candidats potentiellement au 2nd tour qui sont à
l’honneur (Jacques Chirac, Raymond Barre et François Mitterrand), soit les candidats de la
droite (Jacques Chirac, Raymond Barre et Jean-Marie Le Pen), soit les deux finalistes
(Jacques Chirac et François Mitterrand). On comprend que Jean-Marie Le Pen occupe dès
1988 une place particulière dans ce journal, sans doute celle de l’ennemi revendiqué.
Figure 1 : Une du n°812 du 11 avril 1988
Figure 2 : Une du n°1545 du 25 avril 2002
Cependant, l’image négative du patron du Front National se construit au fur et à mesure,
il n’y a pas le rejet initial revendiqué a posteriori par les fondateurs. Dans le dossier du 11
avril 1988, le texte introductif de Claude Imbert72 s’interroge sur les causes la montée de Le
Pen dans les sondages. D’ailleurs, on peut être surpris des comparaisons faites par l’auteur,
qui seraient plutôt aimables : « Astérix au salon posant de bonnes questions », « Obélix dans
les meetings tonitruant de rustiques réponses », « Abraracourcix tombant sur les immigrés
pour leur intimer de laisser "la France aux Français" ». En réalité, l’auteur accuse la « droite
française modérée » d’avoir honte d’être de droite et d’avoir laissé partir un électorat. Ici,
plutôt qu’une critique de Jean-Marie Le Pen, c’est un regret de l’auteur qu’il faut y voir,
regret que l’extrême droite ait profité des faiblesses de la droite modérée. Dans le reste du
dossier, on retrouve également cette recherche d’explication. C’est d’abord à travers les
statistiques qu’on explique le vote FN : par un sondage Ipsos-Le Point expliqué sur quatre
pages, et une analyse de la carte électorale expliquée sur deux pages. On cherche aussi à
70 N°810 du 28 mars 1988 71 Unes des n°813, 814 et 815 des 18 avril, 25 avril et 2 mai 1988 72 N°812 du 11 avril 1988, p 47
70
comprendre le fonctionnement de son équipe, d’abord par des petits encadrés sur la « galaxie
Le Pen » et la « stratégie Le Pen » ensuite par un récapitulatif des points forts et des points
faibles. En 1988, bien que le journal affiche son refus de l’extrémisme, il ne le montre pas
clairement dans un dossier consacré tout entier au leader frontiste qui explique plus qu’il ne
condamne.
En 1995, l’épisode Le Pen semble avoir disparu, pas un article ne lui est consacré. Seul
Bernard-Henri Lévy attaque le président du Front National, dans son éditorial du 8 avril
199573. Il ouvre son texte par une estocade non voilée rappelant des propos relatifs à
l’assassinat du directeur d’un journal algérien. Jean-Marie Le Pen est accusé de soutenir les
islamistes du FIS et l’éditorialiste y va fort :
« Dans l’ordre de l’ignoble, cela vaut bien tel ou tel de ses trop fameux jeux de mots. Et s’il fallait une nouvelle preuve qu’il existe une internationale intégriste et que le Front National en fait partie, la voici ! »
Cependant, contrairement aux articles de 1988, cette prise de position reste celle du
philosophe et pas de la rédaction. Pour cette dernière, on a l’impression que l’élection se fait
sans Jean-Marie Le Pen.
En 2002, cette fois la rédaction n’hésite absolument plus et prend clairement position
contre Jean-Marie Le Pen. D’abord, elle chercher à comprendre la raison de cet échec de
Lionel Jospin et de la classe politique en général. Quand Catherine Pégard introduit le dossier
au lendemain du premier tour74, elle compare la présence de Jean-Marie Le Pen au 2nd tour à
« une grave maladie » dont la classe politique a ignoré les symptômes. Pour expliquer sa
présence au 2nd tour, le chef du service politique accuse tour à tout Jacques Chirac et Lionel
Jospin d’avoir banalisé Jean-Marie Le Pen vieillissant. En ne comprenant pas l’exaspération
de l’électorat, ils ont fait un pont d’or au leader frontiste. Pour Jean-François Revel et Alain
Finkielkraut, la France est ridiculisée par ces résultats et ils regrettent que les politiques
n’aient pas perçu la montée du rejet de l’opinion et la tentation du vote extrémiste. Le journal
ressort les cartes électorales pour comprendre les enjeux de ce scrutin, ce qu’il faisait de
moins en moins pendant les campagnes présidentielles.
Ensuite, c’est le personnage Le Pen qui est analysé. L’attaque devient visible. Cette fois, c’est
une série de charges contre le personnage, accusant sa« rhétorique fleurie de haine où se lit
toute une tradition d’antiparlementarisme », son « rêve brutal, inquiétant, obsessionnel de
73 N°1177 du 8 avril 1995, p 130 74 « Etat de choc », N°1545 du 25 avril 2002
71
toute une vie », le présentant comme « bagarreur, agité », rappelant son passé discutable de
résistant et ses possibles actes de torture en Algérie ainsi que ses dérapages « très contrôlés ».
Enfin, son âge est aussi souligné en mettant en avant « l’âge de la retraite largement
dépassé ». Cette question d’âge est réutilisée dans un ensemble de photos titré : « une si
vieille histoire ».
La semaine suivante, le choix de la rédaction est affiché dès le titre « comment en finir avec
Le Pen »75. L’argument de l’âge est à nouveau repris en parlant de « vieux puncheur », mais
son projet est aussi décrié comme « ahurissant ». L’économiste Nicolas Baverez décrit en
deux pages les dangers d’un programme « économiquement protectionniste, socialement
réactionnaire, politiquement antinational et antieuropéen ». Un article complet est écrit sur les
fréquentations contestables du leader frontiste et certaines de ses pratiques. Un autre demande
à des personnalités de le décrire, même si certaines en font un portrait plutôt sympathique
(Brigitte Bardot, André Labarrère, Claude Chabrol), le choix des personnalités n’est pas un
hasard, on retrouve ainsi le fondateur du mouvement fasciste belge. Enfin, de nombreux
auteurs (Marchel Gauchet, Mario Vargas Llosa, Pierre-André Targuieff, Elizabeth Levy,
Alain Duhamel, Jean-François Revel, et Bernard-Henry Levy) se relaient pour à la fois
expliquer la présence du FN au second tour et démontrer à quel point ce personnage est
dangereux.
On comprend ainsi que Le Pen a pris une nouvelle place pour le journal ; il est devenu un vrai
danger qu’il faut combattre et plus seulement l’acteur de second plan sur lequel on
s’interrogeait en 1988. Sa présence au second tour de l’élection a changé son statut. Ici, la
rédaction accepte d’être partisane pour lutter contre un danger extrémiste.
En 2007, il n’est plus question de faire la même erreur qu’avant 2002, Le Pen semble
bas dans les sondages mais ce n’est pas une raison pour l’oublier. Trois articles sont consacrés
au candidat frontiste. Chacun a un rôle différent : le premier met en avant le risque d’un
nouveau 2nd tour avec le FN76, le deuxième rappelle ses propos récents issus d’ « une vieille
rhétorique ligueuse des années 1930 »77 et le dernier se réjouit de l’échec du candidat78.
L’article du 5 avril 2007 essaie en 4 pages d’analyser les chances de Jean-Marie Le Pen. On
met en avant son optimisme quant aux résultats mais l’interview du directeur général d’Ipsos
France Pierre Giacometti montre au contraire que le score pronostiqué de 13.5% est
75 « Comment en finir avec Le Pen », n°1547 du 3 mai 2002 76 « Le Pen chante encore », n°1803 du 5 avril 2007, p 42-46 77 « Le Pen cherche le duel », n°1804 du 12 avril 2007, p 52 78 « La chute de la maison Le Pen », n°1806 du 26 avril 2007, p 66-70
72
parfaitement crédible. On a vraiment l’impression que cet article cherche à rappeler le danger
d’un nouveau 21 avril. Ainsi, les scores du 1er tour rassurent la rédaction qui en fait « le grand
perdant de l’élection » avec un « FN divisé par deux ». Le journal livre son analyse des causes
de cette défaite et montre que Le Point continue à assumer son opposition au FN.
On voit ainsi que Le Point a progressivement donné de l’importance au personnage
politique de Jean-Marie Le Pen, simple spectateur d’une nouveauté politique en 1988 et 1995,
le rédaction devient partisane en 2002 et continue à l’être en 2007.La rédaction a donc renoué
avec son idéologie fondatrice totalement opposée aux thèses frontistes puisqu’elle se voulait
européenne et anti-extrêmes.
3. Les "petits" candidats
Le Point met l’accent sur les deux ou trois candidats éligibles, sur Jean-Marie Le Pen
quand les besoins de l’actualité s’en font ressentir mais oublient singulièrement les autres.
Sur ces 45 "petites" candidatures présentées aux élections présidentielles de 1974 à 2007, on
ne trouve que dix articles : sept s’intéressent spécifiquement à un candidat (Jean Royer79,
Arlette Laguiller80, Brice Lalonde81, Philippe de Villiers82, Jean Saint-Josse83 et Dominique
Voynet84 et Olivier Besancenot85), un à la multitude de candidatures de l’extrême gauche86 et
deux à l’ensemble des petits candidats87. On peut comprendre à la lecture de ces trois derniers
articles la raison d’être des autres : savoir comment les grands pourront récupérer leurs voix.
Ces papiers donnent vraiment l’impression de donner simplement acte de ces
candidatures et montrer l’enjeu de celles-ci. Pour les auteurs, les "petits" candidats vont
compter car l’élection va être serrée et ils représentent, additionnés, des pourcentages
importants de la population. Ces articles veulent surtout montrer comment les "grands
candidats" (le PC étant compris dans les grands en 1981) pourront profiter de ces petits.
Le texte de 1981 rappelle aussi les candidats fantaisistes qui voulaient se présenter et n’ont pu
passer les nouvelles règles de parrainages. Ces articles veulent aussi mettre en avant le danger
de ces multiples petites candidatures qui risquent de « fausse[r] le résultat final ». Même si les
79 « Royer : les gauchistes font la salle », n°84 du 29 avril 1974, p 56 80 « Election : les vacances d'Arlette », n°447 du 13 avril 1981, p 60 81 « Lalonde : la percée verte », n°449 du 27 avril 1981, p 63 82 « Campagne : le solo de Villiers », n°1177 du 8 avril 1995, p 15 83 « Jean Saint-Josse : L'écolo du terroir », n°1542 du 5 avril 2002, p 46 84 « Nicolas Hulot : Voynet y croit », n°1804 du 12 avril 2007, p 53 85 « Besancenot : la diva de la LCR », n°1804 du 124 avril 2007, p 48 86 « Elections : petits candidats - la quarté de gauche », n°813 du 16 avril 1988, p 77 87 « Les voleurs de pourcentages », n°83 du 22 avril 1974 et « Election : ces petits qui pèseront gros », n°447 du 13 avril 1981, p 58
73
journalistes comprennent et acceptent ces candidatures, ils craignent qu’elle modifie les
résultats finaux des candidats éligibles.
Les autres articles sont plutôt des présentations, souvent bienveillantes, de ces candidats
qui n’ont aucune chance d’être élus. Jean Saint-Josse devient un « écolo du terroir » qui mène
sa campagne « comme une partie de chasse » en espérant atteindre un score honorable au-
dessus de 5%. Olivier Besancenot, même si on lui reproche de souvent « poser des lapins »
lors des interviews, devient un candidat « cool », assez sympathique qui se sent « chez lui » à
Nanterre ou à Clichy-sous-Bois. On retrouve le même côté sympathique avec Arlette
Laguiller : « chemisier en Vichy et […] air de petite Française bien proprette ». L’article
conclût par un « si elle n’existait pas, on la regretterait » qui résume à lui tout seul le côté
tendre de l’article. Avec Philippe de Villiers, c’est un acteur qui se met en scène, il croit à ses
chances et se demande s’il obtiendra 6 ou 12%.
Le cas de Brice Lalonde est un peu plus complexe car plus que le personnage, c’est son
résultat au premier tour qui intéresse. Avec 3.9% des voix, il peut beaucoup peser sur le
second tour de l’élection de 1981 et c’est à ce titre qu’est écrit un article d’une page sur lui où
il est rappelé qu’ « il […] exclu[t] […] d’appeler à voter pour qui que ce soit ». Au contraire,
pour Dominique Voynet, autre candidate écologiste, c’est la peur de faire un mauvais score,
causée sans doute par le manque de soutien au sein de son parti et la ligne écologiste défendue
par Ségolène Royal, qui est le sujet de l’article. Il y a une sorte de compassion pour cette
candidate battue d’avance dans ce bref article.
Le seul de ces textes un peu négatif est celui traitant du candidat Jean Royer, ministre de
Georges Pompidou, dont on dénonce la campagne laborieuse très loin des espérances qu’elle
a failli entrainer. D’ailleurs le mot de conclusion condamne cette candidature par où on se
demande « si le rire [va] se mue[r] en violence ».Cependant, l’article dénonce également les
violences que certains étudiants ont cru bon d’exacerber pendant certains de ses meetings. Ici,
on retrouve la condamnation idéologique du Point qui incrimine ce personnage réactionnaire,
frisant avec l’extrême droite (l’article commence par se demander s’il aurait été Poujade ou
Pétain), tout en déplorant qu’il ne puisse s’exprimer comme tous les autres candidats.
Le Point fait peu de place aux petits candidats mais les rares fois où il le fait, c’est
presque un acte de sollicitude pour ces candidatures qui n’ont aucune chance d’aboutir. Que
ceux-ci viennent d’un extrême ou d’un parti non défini dans l’échiquier politique, le journal
ouvre un peu ses colonnes pour rappeler et parfois défendre ces candidats. Cependant, on peut
noter que d’entre eux ont été oubliés. Ceci s’explique peut-être par la faible importance qu’ils
74
représentent mais sans doute aussi par le poids résiduel de ces votes dans le score final. Le
journal ne veut donc pas leur donner trop d’importance.
C. Le président : numéro spécial
Immédiatement après l’élection, le journal publie un numéro spécial sur le nouveau
président. Ce numéro est particulier pour trois raisons : il n’est fini que le dimanche soir, une
fois les résultats définitifs obtenus, il y a deux journaux prêts à l’impression (selon le résultat)
et surtout, l’ensemble de la rédaction participe à ce numéro et pas uniquement le service
politique88. En quelques pages, on retrouve un condensé des impressions que nous avons vu à
travers ces campagnes.
1. La Une
Une du N°87 du 21 mai 1974
Le Point a l’habitude à chaque élection (1988 exclu),
dans le numéro qui suit le résultat du 2nd tour, de ne mettre en
Une que deux mots « Le Président » sur une photo ou un
dessin du nouvel élu. La fonction suprême suffit comme titre
et n’a pas besoin d’être suivie d’un quelconque sous-titre
sauf en 2007 où il est rajouté « numéro historique ». On
comprend que ce numéro soit consacré au nouveau président
mais sans savoir exactement ce qu’on va dire sur lui de
nouveau alors que depuis des mois l’hebdomadaire
s’intéresse à la campagne. On a l’impression d’un numéro
totalement consacré au président alors que ce n’est pas du
tout le cas (23 pages en 1974 sur un magazine de plus de
170, 46 pages sur 190 en 2007 dont un dossier de 8 pages de
photos).
88 Interview Françoise Vernat, collaboratrice depuis les débuts au sein du journal
75
Comme le souligne explicitement le numéro de 2007,
ces Unes souhaitent faire du journal des numéros de
collection marquant un moment ou une époque. Il est
d’ailleurs amusant de remarquer qu’on retrouve encore en
vente aujourd’hui, près de 30 ans après le 10 mai 1981, ce
numéro du Point sur des sites de vente en ligne. Celui sur
Valéry Giscard d’Estaing du 20 mai 1974 est par contre
introuvable. Ici, la Une change le rôle classique de
l’hebdomadaire qui une fois lu n’a plus de raison d’être.
Comme nous l’avons vu, Le Point a tendance à vouloir
ressembler à une revue que l’on conserve, un témoignage
historique, un peu comme on garderait le portrait d’un
couronnement.
Une du N°451 du 11 mai 1981
Une du N°816 du 9 mai 1988
Le numéro 816 du 9 mai 1988 est nettement différent
des cinq autres, d’abord car il n’y a pas le mot président sur
la Une. De plus, dans le bord en haut, à gauche, il a été
rajouté une photo annonçant un article sur les otages libérés
du Liban. On note d’ailleurs que cet article n’est pas dans le
sommaire, il a donc été ajouté à la dernière minute avant la
parution. Bien sûr, les raisons techniques et l’évolution
graphique expliquent sans doute l’utilisation des photos à
partir de 1995 mais ce n’est pas si simple car la semaine
précédente le numéro de 1988, c’était une photo qui faisait la
Une.
De plus, c’est une photo des otages qui a été rajoutée. C’est donc une volonté en 1988 de
laisser un dessin et pas une photo. On peut penser que c’est un moyen de montrer François
Mitterrand dans une posture. On a vraiment l’impression dans cette Une que l’élection de
François Mitterrand ne faisait pas de doute et qu’elle ne mérite pas le traitement habituel.
Ce choix de portrait renvoie à l’image que le journal veut donner au président réélu à travers
sa gestuelle : une perte de confiance (le fait de se toucher les mains sert à se rassurer) mais
aussi une reflexion (« j’attends et je vois »).
76
Pour les autres Unes, ce sont des présidents« en
majesté » qui sont représentés. Valéry Giscard d’Estaing
devant l’Elysée sans doute debout avec un air conquérant.
Pour le portrait de François Mitterrand en 1981, on peut être
frappé par la ressemblance avec la future photo officielle.
C’est un président assis, stable que l’on montre. Le fond
rouge est certainement un rappel important à l’arrivée de la
gauche et du PC au pouvoir. En 1995, c’est un Jacques
Chirac heureux qui est représenté, sans doute un clin d’œil
pour un président que seul Denis Jeambar (directeur de la
rédaction à l’époque) avait pensé comme possible élu au
début de la campagne.
Une du N°1181 du 28 mai 1995
Une du N°1547 du 7 mai 2002
En 2002, c’est une photo de mode prise par le couturier
Karl Lagarfeld. C’est un président à la fois imposant dans son
habit devant une porte qui est sans doute celle de son bureau de
l’Elysée et un président à l’allure un peu relâché avec les mains
dans les poches. Contrairement aux autres Unes, c’est une photo
posée et prise spécialement pour l’occasion. Cela renvoie à
l’image de « père de la nation »89 que le journal défendait la
semaine précédente face à Jean-Marie Le Pen.
89 Article « Chirac en père de la nation », N°1546 du 3 mai 2002
77
Pour 2007, c’est une photo en noir et blanc qui rappelle
sans doute à la fois une affiche de campagne du candidat et
celle de Act Up qui avait rajouté « votez Le Pen » sur sa
photo en noir et blanc. Cela renvoit sans doute un peu aux
éditoriaux de Franz-Olivier Giesbert qui se réjouissent de
l’échec du « Tout Sauf Sarkozy »90. Le rajout du numéro
historique et du nom de Nicolas Sarkozy est à noter car il est
absent des autres unes. On retrouve ici l’idée d’une rédaction
qui soutient plutôt le nouveau président.
Une du N°1808 du 10 mai 2007
2. L’évolution générale
Ces dossiers "post-élections" tournent toujours autour d’une dizaine d’articles.
Cependant, les sujets de ces articles ont tendance à beaucoup changer avec les années. Ainsi,
en 1974, deux pages sont consacrées à l’histoire et à l’architecture du palais de l’Elysée91. Pas
un seul article lors des prochaines élections ne s’intéressera à ce sujet. L’Elysée n’est plus un
lieu mais un symbole de la politique au sens le plus large (intérieure, extérieure et
politicienne). L’élection perd ainsi son objet culturel.
Répartition du nombre d’articles par catégorie dans le numéro spécial « Le président »
90 Editorial du N°1807 du 3 mai 2007 91 « Palais de l’Elysée : beaucoup d’histoire et peu de confort », n°87 du 21 mai 1974, p 64
78
Ainsi, les éditoriaux sont un passage obligé, nous les avons déjà quelque peu étudiés
précédemment. Claude Imbert prend la plume pour adresser un message au nouvel élu ou
faire un bilan de la campagne92. On note d’ailleurs un clin d’œil au lecteur en 1995, 2002 et
2007, à chaque fois le titre est le même : « la solitude d’un coureur de fond ». Cela rappelle à
la fois que les Français connaissent le président élu depuis des dizaines d’années (que ce soit
Chirac ou Mitterrand) et que maintenant qu’il est élu, il faut continuer encore. On retrouve
dans ce titre à la fois le bilan d’années de politique et la solitude qui touche les élus arrivés au
sommet du pouvoir. Etonnamment ; il n’y a qu’en 2007 (FOG) qu’un autre responsable de la
rédaction signe un papier. En 1974, Olivier Chevrillon laisse la main et l’autre éditorial est
signé par Georges Suffert (rédacteur en chef adjoint) ; en 1981 et 1988 seul Imbert écrit. En
1995, Denis Jeambar (alors directeur de la rédaction) signe un papier d’analyse et pas un
éditorial, son texte ouvre le dossier mais n’est pas annoncé dans le sommaire. Il correspond
plus à la présentation du dossier qui suit qu’à une prise de parole. D’ailleurs alors que Claude
Imbert utilise le « nous » qui l’associe aux Français, Denis Jeambar reste descriptif des deux
années passées, son article ne reflète pas la position de son auteur. Le sentiment demeure que
cet éditorial de la rédaction reste en réalité celui du fondateur et de nul autre.
A partir de 1995, certaines personnalités extérieures au journal, signent des textes
comme Bernard-Henri Lévy, Alain Duhamel ou Guy Carcassonne. Ce dernier donne une
légitimité juridique au propos, c’est « le » spécialiste de la Constitution. Ses éditoriaux sont
donc avant tout l’avis d’un juriste sur l’actualité du moment. En 2002, c’est pour se féliciter
de la capacité d’adaptation de la constitution de la Vème république qu’il s’exprime93.
En effet, elle a su résister à de nombreux changements. Par cet éditorial, le constitutionnaliste
refuse absolument l’idée d’une nouvelle constitution. En 2007, même propos, écartant
l’avènement d’une « VIème république »94, et proposant trois hypothèses pour les élections
législatives : forte majorité présidentielle, pas de vainqueur clair ou une cohabitation. Dans
ces textes, il n’y a pas une analyse et une opinion politique, c’est un défenseur du droit qui
s’exprime seulement sur ces questions. Ce n’est pas le cas des deux autres auteurs (Alain
Duhamel95 et surtout Bernard-Henry Lévy96) qui, eux, viennent donner leur analyse politique
de la situation. Le premier se félicite du combat entre deux personnalités défendant une
92 Les éditoriaux de Claude Imbert sont déjà traités dans la première partie 93 « Une constitution à toute épreuve », n°1547 du 7 mai 2002, p 50 94 « Le Poids de l’Assemblée Nationale », n°1808 du 10 mai 2007, p 54 95 « La politique retrouvée », n°1181 du 8 mai 1995, p 22 96 « Un serment républicain pour le 3ème tour », n°1547 du 10 mai 2002, p 122 et « Hommage à Ségolène Royal », n°1808 du 10 mai 2007, p 74
79
idéologie politique (le « social-démocrate » L.Jospin ou le gaulliste social J.Chirac), et espère
la mise en application rapide des promesses du nouveau président. C’est une analyse possible
de l’avenir rappelant beaucoup les propos de Claude Imbert. A l’inverse, BHL ne cherche pas
à prédire l’avenir mais à analyser la campagne qui s’achève. Il se réjouit donc de la victoire
sans appel de J.Chirac en 2002 qu’il considère comme un « sursaut citoyen », et espère
qu’elle ne sera pas qu’une « extase sans lendemain ». En 2007, son éditorial surprend sans
doute un peu les lecteurs du Point. Nous savons que ce n’est pas un journal intrinsèquement
de droite mais de là à rendre hommage à la candidate socialiste, il y a un pas que BHL
franchit. C’était un soutien de cette dernière et il ne compte pas l’oublier. Plutôt que de
remettre en cause la gestion de sa campagne, il la défend et accuse même les autres socialistes
d’être en partie la cause de sa défaite : « la double bataille qui lui a fallu mener : l’une contre
son adversaire, l’autre contre les siens ». Ces trois éditoriaux montrent donc des buts
différents. L’un donne l’avis d’un expert juridique, l’autre un avis d’expert politique et enfin
BHL donne son analyse non pas du futur mais du passé.
Nous savons que les éditoriaux n’étaient pas le choix préféré de Claude Imbert à la
naissance du journal mais ceux-ci prennent de plus en plus d’importance avec les années. Non
seulement, les responsables de la rédaction prennent à chaque fois la plume mais des
personnalités extérieures au journal le font de plus en plus. En 2007, la rédaction va même
beaucoup plus loin : elle interroge onze personnalités à livrer en quelques lignes leur
définition du « Sarkozysme » et les souvenirs qu’ils en ont. C’est un peu un regroupement de
petits-éditoriaux écrits majoritairement par des proches du nouveau président ou des hommes
considérés à droite :
• le philosophe conservateur Alain Finkelkraut • l’historien libéral Jacques Marseille • le directeur général d’Ipsos Pierre Giacometti (qui a conseillé Nicolas Sarkozy
pendant la campagne) • le député UDF Jean-Louis Bourlanges (qui a soutenu Nicolas Sarkozy entre les
deux tours) • le journaliste Georges-Marc Benhamou (membre de l’équipe de campagne du
candidat) • François Sarkozy (le frère du nouveau président) • Arno Klarsfeld (missionné pendant la campagne) • Roselyne Bachelot (ancien ministre et soutien du candidat) • Hugues Call (ex directeur de l’Opéra de Paris qui rappelle avoir donné un
« talisman » au candidat à la veille de la désignation du candidat) • Michel Drucker (qui rappelle leur promenade commune à vélo)
80
On retrouve aussi Alain Duhamel qui est dans le rôle de l’analyste politique. Au travers de ces
multiples prises de position, on constate vraiment un soutien affiché au nouveau président.
En effet, le Parti Socialiste avait sans doute également des définitions du Sarkozysme.
En 2007, ce numéro semble être véritablement un journal qui sort exceptionnellement de son
indépendance revendiquée pour soutenir et se féliciter de l’élection.
A travers les éditoriaux, on perçoit l’analyse immédiate de l’élection, néanmoins ce ne
sont pas des articles à part entière résultant de recherches et apportant des nouvelles.
Pour cela, il y a des choix quasi-obligés pour ce numéro spécial.
81
3. L’analyse politique de la situation : l’article d’introduction
Un journal comme Le Point doit analyser la situation nouvelle qu’implique l’élection
d’un nouveau président. Pour cela, la rédaction a recours aux éditoriaux que nous avons déjà
étudiés mais aussi à des analyses politiques de la situation. Souvent, cette analyse est présente
dès le texte d’introduction du dossier. Ceux-ci sont rédigés par les chefs de la rédaction
politique (André Chambraud (1974 et 1981), Denis Jeambar (1995), Catherine Pégard (2002
et 2007). En 1988, c’est un grand reporter du Point, Eugène Manoni, qui rédige ce texte, sans
doute pour ne pas laisser l’opportunité à un membre de la direction d’écrire ce qui se
rapproche beaucoup des éditoriaux abolis à cette époque. De plus, ce journaliste est reconnu
comme une « grande plume » du journal et c’est sans doute la raison pour laquelle on lui a
confié ce travail.
Les dossiers qui suivent cet article d’introduction sont à lire à la lumière de ces
analyses. Ces articles cherchent à la fois à expliquer l’élection de manière synthétique et à
introduire les autres reportages du dossier. En 1974, contrairement aux autres, André
Chambraud appelle de ses vœux, à travers l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, la mise en
place d’un régime présidentiel dépassant les luttes possibles au sein de la majorité. Lors des
autres élections, l’article cherche surtout à faire un lien entre le nouveau président élu et sa
future action. En 1981, on utilise le passé de François Mitterrand pour analyser sa victoire et
mettre en lumière les décisions futures. En 1988, c’est encore plus flagrant puisqu’on utilise la
réélection pour montrer que rien de changera, ni l’homme, ni le gouvernement. Pour Jacques
Chirac, en 1995, c’est le président endurant qui doit répondre aux espoirs qu’il a fait naitre ;
en 2002, c’est le père de la patrie, survivant de Lionel Jospin, qui doit agir dans « un
gouvernement de mission ». Enfin, en 2007, c’est un article très long qui retrace la vie de
Nicolas Sarkozy pour expliquer sa détermination à mettre en œuvre son programme.
Ces articles ne sont que de simples introductions mais ils mettent bien en valeur la
volonté de lier l’homme, la fonction et la mission future. On retrouve ces différents choix
dans les articles de ces six dossiers.
4. L’élu du côté privé
Bien sûr, un numéro suivant l’élection présidentielle doit absolument parler de l’élu.
Quand celui-ci accède pour la première fois au pouvoir, c’est assez facile de résumer qui il
est ; c’est déjà beaucoup plus compliqué quand en 1988 et 2002, le président est réélu. Pour
82
présenter le nouveau président, on peut s’attarder sur l’homme public, mais aussi sur l’homme
lui-même avec son histoire, ses idées, son entourage, etc.
En 1974, le journal tente la présentation de la vie personnelle de Valéry Giscard
d’Estaing. Dans l’article « Giscard : sensible et froid… »97, on cherche à analyser le
personnage privé qu’est l’ancien ministre des Finances. On expose son passé (scout en 1937,
brigadier-chef en 1945, marié en 1952 avec Anne-Aymone de Brantes), sa classe sociale (« un
grand bourgeois »), sa famille (avec un arbre généalogique), ses fausses notes (« l’air
publicitaire et faux […] de l’accordéon, du pull-over ou du métro »), son comportement
(« contrôlé, mesuré »), etc.
En 1981 et en 1988, pas d’analyse de la vie privée de François Mitterrand. On peut
émettre des hypothèses sur cette absence : soit le journal ne veut plus jouer la carte de la
personnalisation des politiques, soit il préfère ne rien dire afin de ne pas mentir à ses lecteurs
(par exemple sur le passé vichyssois de F.Mitterrand ou sur l’existence de sa fille Mazarine98).
François Mitterrand apparaît comme un personnage atypique pour le journal et le traitement
de sa victoire est différent de celui des autres élus.
On retrouve la vie privée du nouvel élu en 1995 avec l’article « L’album personnel du
nouveau président »99. Ici, on cherche à définir le nouvel occupant de l’Elysée en retraçant ses
origines (son père employé de banque qui devient conseiller de Marcel Dassault), ses dates
(passage à Sciences Po en 1951, entrée au cabinet de G.Pompidou en 1962, son élection
comme député en 1967, etc), ses lieux (ou plutôt l’absence de lieu car il « n’a pas
d’attachement particulier à un coin qui serait le sien »), ses maîtres (G.Pompidou, C. De
Gaulle, etc), ses rencontres, ses ruptures, son style, ses goûts, ses objets et ses livres. C’est un
Jacques Chirac moins politique et plus humanisé qui est mis en avant dans ce long dossier de
6 pages quand celui sur V.Giscard d’Estaing n’en comptait que 4.
2007100 fait place à la présentation d’un Sarkozy intime, mais ici le texte a laissé la
place à l’image. Le dossier a encore augmenté passant cette fois à 10 pages d’histoire
personnelle du nouveau président. Mais alors qu’en 1995, les 11 photos illustrant l’article
étaient d’assez petite taille, en 2007, ce ne sont pas moins de 25 photos qui sont utilisées dont
97 « Giscard : sensible et froid », n°87 du 21 mai 1974, p 52-55 98 Un article du blog Arrêt sur Image par exemple rappelle la connaissance de ces informations par les journalistes : « la tontonmania dans les médias français » par Gilles Klein, le 10 mai 2011 99 « L’album personnel du nouveau président », n°1181 du 8 mai 1995, p 64-69 100 « Présidentielle », n°1808 du 10 mai 2007, p A-H
83
certaines occupent à elles seules les pages. C’est presque un roman-photo qui a remplacé les
textes. Ce ne sont plus les photos qui illustrent les articles mais les légendes qui expliquent les
photos. D’ailleurs, cette volonté de différencier ces pages du reste du dossier est manifeste
avec un changement de la numérotation, passant des chiffres aux lettres capitales. On retrouve
aussi bien des photos de l’enfance du président que d’autres avec son entourage ou d’autres
hommes politiques. Cette utilisation des photos se retrouve en 2002 mais pour un article tout à
fait différent, il s’agissait de résumer le premier mandat de Jacques Chirac101 et pas de
présenter la vie personnelle du nouveau chef de l’Etat ; de plus, cette revue photo se compose
de 4 pages et pas de 10.
On constate ainsi que le journal s’est de plus en plus immiscé dans la vie personnelle
des candidats. Comme pendant la campagne, le président a perdu son statut particulier au-
dessus du commun des citoyens, il est devenu un homme politique parmi d’autres avec sa
famille de plus en plus mise en avant, mais pas seulement elle, l’entourage également.
5. L’entourage
Le président élu est entouré d’une équipe, celle-ci est de plus en plus décrite avec les
années. Dans les six numéros, les descriptions ne manquent pas mais leurs importances
fluctuent.
En 1974, elle se résume à une page donnant la liste des dix hommes qui formaient
« l’équipe Giscard »102. Cette présentation est assez brève. On peut s’amuser de la mise en
page des présentations. Les trois premières s’appuient sur le titre des personnes : le prince
Poniatowski, le comte d’Ornano et le « roturier » Chinaud. Les notes biographiques
s’attachent à quatre points : leurs fonctions, leurs ambitions, leurs passions et surtout leur lien
avec le nouveau président. Ces présentations sont authentiquement des notes biographiques
avec une petite photo précédant la notice. Ce sont simplement des notices informatives qui ne
font absolument pas ombrage au nouvel élu.
En 1981, pas de présentation officielle de l’équipe mais plutôt un rappel des courants de
la gauche et donc des possibles futures personnalités importantes. Ceux-ci sont nommés
extrêmement rapidement : « […] l’un des mérites de François Mitterrand est d’avoir réuni
dans son parti des hommes ou des courants très divers qui, de Delors à Rocard, de Rocard à
Mauroy, de Mauroy à Chevènement ont su dans l’adversité rester unis »103. Cette phrase est
101 « Sept ans déjà », n°1547 du 7 mai 2002, p 34-37 102 « L’équipe Giscard », n°87 du 21 mai 1974, p 51 103 « Une nouvelle présidence », n°451 du 11 mai 1981, p 61-63
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d’ailleurs reprise pour légender les photos de Lionel Jospin, Jacques Delors, Pierre Mauroy et
Michel Rocard. Mitterrand avait voulu mettre en avant son équipe dans sa campagne, cela ne
se retrouve absolument pas ici, Le Point n’a pas suivi la volonté des communicants.
De même en 1988, il n’y a que deux photos d’homme de gauche avec celles de François
Mitterrand dans l’ensemble du dossier : Michel Rocard et Pierre Bérégovoy. Ils sont d’ailleurs
explicitement présentés :
« Quel premier ministre ? Comme toujours, le président a tourné et retourné dans sa tête les solutions possibles. Deux hommes ont été retenus au finish : Pierre Bérégovoy et Michel Rocard. Chacun d’eux pèse son poids d’avantages et d’inconvénients pour le chef de l’Etat »104.
Néanmoins, comme en 1981, ce ne sont pas des fiches biographiques de ces deux hommes
politiques mais seulement des présentations très succinctes. En 1995, on retrouve le même cas
de figure avec la présentation des quelques proches de Jacques Chirac105 : Alain Juppé et
Philippe Seguin. Ceux-ci sont d’ailleurs en photo. On ne retrouve cependant pas une
biographie ou un article sur ces hommes.
En 2002, au contraire, ce sont des articles complets qui sont rédigés sur les possibles
ministrables : Jean-Pierre Raffarin106, Dominique de Villepin107 et Nicolas Sarkozy108.
Chacun a droit à une présentation résumant sa carrière dans un petit encadré (âge, nombre
d’enfants, diplômes, titres et fonctions). Le reste de l’article est consacré au personnage lui-
même en cherchant à présenter l’homme dans sa vie quotidienne. JP Raffarin devient ainsi le
représentant de « la France d’en bas », D.de Villepin le passionné de Napoléon, homme de
l’ombre de J.Chirac et N.Sarkozy un « rétif à la démagogie » qui ne vit que dans l’action.
On a une présentation de ceux qui paraissent être les plus aptes à devenir bientôt Premier
ministre. Ces trois personnages ne sont pas les seuls membres de l’entourage chiraquien à être
présentés. Dans un quatrième article, ceux que le journal appelle « les missionnaires de
Chirac »109 se retrouvent aussi pourvus d’une notice biographique. Ainsi, Antoine Rufenacht,
Philippe Douste-Blazy, François Fillon, Jérôme Monod et Roselyne Bachelot sont tour à tour
présentés parmi les proches du président. Enfin, un autre article conclut cette présentation de
l’entourage chiraquien avec une description des 15 jours qui ont suivi le premier tour où l’on
104 « Le troisième tour de Mitterrand », n°816 du 9 mai 1988, p 66-67 105 « Ce qui attend Jacques Chirac » ; n°1181 du 8 mai 1995 106 « Jean-Pierre Raffarin : le régional de l’Elysée », n°1547 du 7 mai 2002, p 26-27 107 « Dominique de Villepin : le grand stratège de Chirac », n°1547 du 7 mai 2002, p 28-29 108 « Nicolas Sarkozy : toujours prêt ! », n°1547 du 7 mai 2002, p 30-31 109 « Les missionnaires de Chirac », n°1547 du 7 mai 2002, p 32-33
85
retrouve des représentants de tous les courants de la droite : Alain Madelin, Christine Boutin,
François Bayrou, etc110.
On retrouve exactement le même cas de figure en 2007 avec deux articles sur les très
proches de Nicolas Sarkozy : François Fillon111 et Claude Guéant112 puis un autre sur les
« incontournables »113 qui seront sans doute ministres (Jean-Louis Borloo, Michèle Alliot-
Marie, Alain Juppé, Brice Hortefeux, Xavier Bertrand et Rachida Dati). Ainsi, on nous
présente les hommes clefs qui gravitent autour de N.Sarkozy et seront sans doute bientôt à des
postes clefs. François Fillon est clairement annoncé comme le futur premier ministre et
Claude Guéant, conseiller de l’ombre, comme futur secrétaire général de l’Elysée.
Ces dossiers spéciaux ne sont pas consacrés uniquement au président élu mais aussi à
son équipe, qui prend plus ou moins de place selon l’époque et l’élu. Quasiment oubliée en
1981, 1988 et 1995, elle est rapidement annoncée en 1974 et occupe une très importante place
en 2002 et 2007. On peut sans doute voir ici un changement dans la manière de traiter
l’élection. Le journal a pris en compte le changement d’image du président, que les électeurs
n’imaginent plus seul au sommet du pouvoir. L’arrivée de sang neuf à la tête de la direction
avec Franz-Olivier Giesbert en 2000 a peut-être justement permis cette prise en compte.
On a donc vu, à travers ces articles, un passage obligé, cependant selon les périodes, il y
a des choix qui apparaissent et disparaissent comme la description de la journée du vote.
6. Le jour de l’élection
L’une des principales différences entre les numéros qui précèdent l’élection et ces
numéros spéciaux réside dans la description de la journée du vote. Cependant, on ne retrouve
que deux fois un tel article sur le dimanche électoral en 1974 et 1981. Ensuite, cette habitude
à l’air de se perdre et il n’y a plus que des anecdotes de ces journées parsemées au cours
d’autres textes.
En 1974114, on décrit l’après-midi des deux candidats mais surtout l’impression
générale. La gauche est déçue mais veut voir dans la promesse de la diminution de l’âge du
droit de vote un avenir meilleur. La droite a l’air de se réjouir assez mollement et la gauche de
se résigner. C’est davantage la description d’une impression générale que la présentation de la
110 « Quinze jours pour rassembler », n°1547 du 7 mai 2002, p 42-44 111 « Sarkozy-Fillon : l’attelage gagnant », n°1808 du 10 mai 2007, p 42-44 112 « La consécration de Claude Guéant », n°1808 du 10 mai 2007, p 46-47 113 « Les incontournables », n°1808 du 10 mai 2007, p 48-50 114 « Fin de parti », n°87 du 21 mai 1974, p 56-57
86
journée elle-même. Il y a aussi une volonté de rassurer, l’élection de VGE n’entrainera pas de
grandes grèves similaires à un nouveau mai 1968.
En 1981115, c’est à nouveau une ambiance qui dominé à la lecture de l’article, mais ici,
il s’agit d’une ambiance de fête. Les journalistes saluent le fair-play du président sortant qui a
félicité son adversaire et s’attache ensuite à décrire la joie des vainqueurs. Le tableau s’achève
sur la place de la Bastille où les leaders de la gauche se sont réunis.
Au travers de ces deux exemples, on lit assez peu d’informations importantes.
Les journalistes tentent seulement de restituer une atmosphère. Ces choix sont finalement
abandonnés les années suivantes. On peut penser que le journal veut se recentrer sur une
analyse politique de la situation et non plus sur une simple description factuelle.
7. L’analyse statistique de la situation
Le Point a souvent utilisé des sondages, il semble donc assez classique de retrouver,
après l’élection, des analyses des résultats. Cependant, comme dans les numéros de la
campagne, les sondages disparaissent au fur et à mesure.
En 1974 et 1981, une analyse de la carte électorale explique le résultat. Celle-ci est
toujours préparée par l’institut IFOPp en partenariat avec Europe 1. Assez brève en 1974116, à
peine une page, l’analyse se concentre sur l’électorat qui a emmené VGE au pouvoir.
On apprend ainsi que la majorité de l’électorat giscardien est plus âgée que la moyenne du
pays.
En 1981, au contraire, 5 pages117 sont consacrées à ces études et rédigées par un
« professeur à l’Institut d’études politiques de Paris », Jean Malot. Comme son titre l’indique
« ces 3% qui ont fait l’alternance », l’auteur cherche à expliquer comment la gauche a pu
arriver au pouvoir. On fait observer ainsi que cette élection n’est pas une surprise car elle était
prévisible dès le 1er tour. Le politiste cherche ensuite à analyser la carte de la France avec les
résultats obtenus. Enfin, on décrit la répartition des électorats selon l’âge et la profession.
Cette recherche assez poussée ne se reproduira plus dans les années qui suivent, le temps de la
folie des sondages semble être passé pour l’hebdomadaire.
115 « Le premier mot de Mitterrand : « quelle histoire » », n°451 du 11 mai 1981, p 64-65 116 « Les voix du président », n°87 du 21 mai 1974, p 59 117 « Ces 3% qui ont fait l’alternance » et « les dessous des cartes électorales », n°451 du 11 mai 1981, p 73-77
87
Les années suivantes, les sondages et les statistiques ne sont plus le sujet d’articles mais
plutôt l’illustration d’analyses politiques. En 1988118, ce n’est plus une analyse des résultats
mais d’un sondage, celui qui doit déterminer qui les Français aimeraient voir à Matignon.
Il n’y a plus d’analyse de la carte électorale mais seulement un sondage pour les choix à venir.
Le tableau des résultats n’est d’ailleurs quasiment pas commenté. La dernière utilisation des
sondages se retrouve en 2002 ; pour une raison liée à la situation politique du moment, les
journalistes veulent connaître les reports de voix pour Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen.
Le report des voix est inscrit dans un tableau en bas de la double page mais on n’en fait pas
référence.
On observe donc une diminution continue de l’importance du sondage qui atteint son
sommet avec la disparition complète de ces analyses en 2007. On voit ici une évolution
marquante, les statistiques électorales ont tendance à disparaitre même dans ce numéro spécial
comme ils disparaissent plus généralement dans l’ensemble du journal. Le Point s’est
longtemps défini par l’importance qu’il donnait à l’analyse de chiffres concrets, avec la
conquête d’un statut de journal de référence, ce besoin a disparu même pour analyser non plus
des sondages pré-électoraux mais des résultats.
8. L’opposition
La victoire d’un camp entraîne forcément la défaite de l’autre et le journal n’oublie
jamais de s’interroger sur l’avenir des vaincus. Lors de tous ces numéros spéciaux, certaines
pages sont consacrées à la situation et à l’avenir des perdants.
En 1974, c’est bien l’opposition sur laquelle on met la lumière, celle de l’union de la
gauche, mais plutôt que de parler du Parti Socialiste de François Mitterrand, l’article se
consacre seulement au Parti Communiste119. Il explique que le PC a cru à la victoire mais
s’attend maintenant à un avenir victorieux à long terme en soutenant l’union de la gauche.
Le journal donne vraiment l’impression que le second tour a opposé V. Giscard d’Estaing et
G. Marchais. D’ailleurs, dans l’article précédent « fin de partie », même si François
Mitterrand est bien cité, c’est un extrait de Georges Marchais qui conclut l’article en
expliquant que le travail allait reprendre sans grève.
118 119 « PC : qu’est-ce qu’il va faire ? », n°87 du 21 mai 1974, p 58
88
En 1981, cette fois, la question se porte sur l’avenir de la droite et sur ce qui ressortira
du « duel »120 entre J.Chirac et V.Giscard d’Estaing. Ici, il n’y a pas du tout le côté optimiste
de l’article de 1974. Au contraire, c’est un vent de panique qui est décrit. Les deux camps
s’accusent de la défaite et il y a un mystère sur l’avenir des élections législatives. Pour
certains, rien n’est perdu et les électeurs vont se ressaisir et pour d’autres c’est une nouvelle
catastrophe qui se prépare.
En 1988, cette fois le journal ne se contente pas d’observer le camp vaincu au 2nd tour
mais toutes les composantes qui regrettent le résultat de l’élection : droite121, FN122 mais aussi
Parti Communiste123. A droite, le journaliste fait le bilan de la campagne. Jacques Chirac a
essayé de se défendre à la fois contre le centre de R. Barre et l’extrême droite de JM. Le Pen.
On parle aussi d’un rapprochement entre le RPR et l’UDF, et de l’indépendance du PR. Au
FN, JM. Le Pen considère que les deux candidats étaient semblables et que ses 14,38% sont
un bon signe pour les futures échéances électorales. L’article sur le PC est beaucoup plus
surprenant puisque la réélection de F. Mitterrand marque quand même la victoire de la
gauche, surtout que le vote du PC à l’Assemblée Nationale est important pour le futur
gouvernement. Néanmoins, le score du PC est considéré comme « la dernière flèche […]
empoisonnée ». Le Point signale les propos accusateurs du journal gouvernemental soviétique
Izvestia : « les communistes n’ont pas de programme, pas de slogan susceptible d’attirer de
larges couches populaires ». A la lecture de ce dossier sur l’opposition, il apparait clairement
que seul le PS est considéré comme vainqueur.
En 1995, ce n’est pas vraiment la gauche qui est passée au crible mais plutôt l’après
Mitterrand, comme le rappelle le titre : « gauche : après l’ère Mitterrand, l’heure Jospin »124.
Ici, on a met surtout l’accent sur Lionel Jospin qui, bien que perdant, a pris l’« étoffe » d’un
homme politique de premier plan. Un peu comme en 1974, il n’y a pas le même sentiment de
désastre qu’à à droite en 1981 et 1988. Le journaliste signale l’émergence de nouvelles
personnalités d’importance comme Martine Aubry mais il ne cherche absolument pas à
décrire la situation de ce parti après un échec électoral. On peut penser cependant qu’en 1995,
la gauche sait qu’elle a très peu de chance de l’emporter et que par conséquent sa défaite
n’entraine pas la même consternation qu’à droite lors d’autres scrutins. La défaite de la
120 « Giscard-Chirac : le duel des vaincus », n°451 du 11 mai 1981, p 70 121 « Le troisième tour de la droite », n°816 du 9 mai 1988, p 68-69 122 « Le troisième tour Le Pen », n°816 du 9 mai 1988, p 70 123 « Après la gifle, la claque », n°816 du 9 mai 1988, p 73 124 « Gauche : après l’ère Mitterrand, l’heure Jospin », n°1181 du 8 mai 1995, p 70-71
89
gauche semble avoir été déjà prévue depuis longtemps et le journal ne s’attarde pas
longuement sur l’opposition (deux pages seulement).
Ce n’est plus du tout la même chose en 2002 où la gauche a vraiment cru l’emporter.
La présence de Jean-Marie Le Pen fait qu’il n’y a pas un camp vaincu mais deux : PS et FN.
La situation de l’opposition est d’abord présente dans un petit encadré de couleur beige,
inséré dans le premier article du dossier. La brève s’intéresse à la montée d’un nouvel homme
fort au PS : Laurent Fabius125. Celui-ci est montré comme l’homme voulant s’imposer
maintenant que Lionel Jospin est à terre. On peut être surpris par cet encadré qui donne à
l’ancien premier ministre une plus grande stature qu’aux autres hommes politiques socialistes.
Après le départ de Lionel Jospin, Le Point cherche sans doute à trouver un personnage fort
qui jouera un rôle majeur dans les futures élections législatives et parie sur Laurent Fabius.
L’autre article consacré à la gauche se retrouve 20 pages plus loin : « quinze jours pour sauver
la face »126. Ce n’est pas une analyse de l’état de la gauche mais une description quotidienne
du 21 avril 2002 au 30 avril, de la préparation de « la revanche ». D’ailleurs, le titre est erroné
car il parle de « quinze jours » et ne traite que d’une grosse semaine. On retrouve l’impression
de panique à droite en 1988 ; la gauche semble penser aux législatives mais a très peu de
chances de les remporter. Le journal rappelle même que le Parti Communiste propose une
candidature unique de la gauche pour espérer l’emporter. Les nombreux courants du Parti
Socialiste sont décryptés mais aucun ne semble prendre l’ascendant. Toutefois, le vrai
adversaire de Jacques Chirac au 2nd tour est Jean-Marie Le Pen à qui le journal consacre 3
pages127. D’abord, le journaliste rappelle rapidement le parcours du leader d’extrême droite
avec une grande sévérité : « dinosaure périmé, butte témoin d’une idéologie qu’on croyait
périmée ». On rappelle que JM Le Pen n’a jamais pensé gagner mais qu’il espérait 30%, loin
des 18% qu’il a obtenus. Ici, comme le journal l’assume, c’est une attaque vis-à-vis du
candidat qui se conclut par cette sentence : « On ne commence pas une carrière de démocrate
à 73 ans ». Il n’y a pas d’impression de désastre comme pour le PS mais plutôt une opposition
flagrante entre les espérances affichées et le résultat final. C’est une manière d’accentuer
encore leur défaite. Le journal n’a pas caché son antipathie aux thèses frontistes et l’assume
parfaitement dans cet article.
125 « Fabius se tient prêt », n°1547 du 7 mai 2002, p 25 126 « Quinze jours pour sauver la face », n°1547 du 7 mai 2002, p 45 127 « Le Pen : tout ça pour ça ! », n°1547 du 7 mai 2002, p 38-40
90
En 2007, on retrouve une situation semblable. Le PS128 a été vaincu au 2nd tour mais le
score historique de François Bayrou au 1er tour lui permet d’obtenir également un article129.
Les colonnes consacrées à Ségolène Royal mettent en avant à la fois l’amateurisme de la
campagne où « quand on valide quelque chose à 9 heures, elle peut vouloir le rediscuter à 12
heures » et les « déchirements du parti socialiste ». Plutôt qu’une ambiance de panique, c’est
un débriefing à charge de la campagne. La question du futur du PS se pose également mais
sans avancer de possibles changements comme cela avait été fait en 2002. Concernant
François Bayrou, c’est à la fois la surprise de son score et l’avenir incertain de son parti qui
sont au centre de l’article. Le leader centriste est présenté comme voulant devenir
« l’adversaire n°1 » du nouveau président. Il est néanmoins mis en difficulté par le départ de
la très grande majorité des députés UDF vers le vainqueur. Ainsi, son futur est très inconnu et
c’est le sens de l’article du Point. Ici, les photos sont beaucoup moins présentes que pour
d’autres articles : une pour l’article sur François Bayrou, et une par page pour celui sur le
Parti Socialiste. Il y a sans doute plus à dire ici sur les vaincus que sur le vainqueur où les
photos suffisent à résumer le personnage.
Nombre de pages consacrées à l'opposition dans le numéro spécial "Le Président"
On note une augmentation quasi constante de l’importance des articles consacrés à
l’opposition vaincue, passant d’une page à huit entre 1974 et 2007. L’opposition défaite
devient un sujet à part entière dans ces dossiers. L’analyste politique cherche le plus souvent à
prévoir l’avenir des vaincus tout en cherchant les raisons de ces échecs.
128 « La tragédie de la gauche », n°1808 du 10 mai 2007, p 56-62 129 « Et maintenant, Bayrou ? », n°1808 du 10 mai 2007, p 64-65
91
9. L’avenir ?
En parlant d’avenir, ces numéros s’intéressent aussi aux actions futures du Président
nouvellement élu. Cependant, il semblerait que ce sujet n’intéresse pas toujours autant la
rédaction du journal. En 2002, pas une page sur les futures décisions que pourrait prendre le
nouveau gouvernement. La victoire face à Jean-Marie Le Pen semble avoir effacé toutes les
autres difficultés. On a l’impression que, comme pour les « banc[s] d’essai », la rédaction ne
croit plus les candidats. Elle ne fait donc pas plus confiance aux nouveaux présidents élus.
En 1974 et en 2007, le programme à appliquer n’a pas l’air d’être le vrai sujet.
En seulement deux pages, la rédaction résume les décisions qui pourraient être prises. Après
l’élection de Nicolas Sarkozy130, l’ensemble des articles se rattache au thème de la rupture.
Ainsi, on évoque sa future pratique du pouvoir présidentielle : rendre compte devant le
parlement, supprimer l’article 49-3 de la constitution, etc. Dans le texte, on s’attache ensuite
aux volets social (rencontre avec les partenaires sociaux), fiscal (bouclier fiscal, etc),
industriel (fusion Suez-GDF), et surtout international (France-Afrique, Europe, etc.).
En seulement six colonnes, les journalistes tentent d’augurer les prochains jours du nouvel
occupant de l’Elysée. On a l’impression d’un article bref qui ne traite pas du sujet important
du moment : la victoire du nouveau président. Son programme très détaillé auparavant ne
mérite pas d’être rappelé.
En 1974, au contraire, seuls deux sujets importent : le plus prévisible s’intéresse à l’économie
où la situation semble assez bonne131. Etonnamment l’autre décrit les goûts artistiques et
architecturaux du nouveau président132. On peut penser que cet article est à prendre comme un
contrepied des choix artistiques très innovants de Georges Pompidou. C’est pour cela que le
journal décide de s’y arrêter.
En 1995, 1981 et 1988, les journalistes cherchent à prédire les futures actions. Ils vont
beaucoup plus loin que précédemment : en 1981, quatre pages intitulées « les cinquante jours
à venir »133 et une consacré au danger que l’élection peut avoir pour les bourses134, en 1988,
sept pages d’articles différenciés s’intéressants aux enjeux économiques135, néo-
calédoniens136, sociaux137 et internationaux138, en 1995, huit pages sur « les urgences des
130 « Les cent premiers jours » n°1808 du 10 mai 2007, p 52-53 131 « Vie quotidienne : les accents de Dumont », n°87 du 21 mai 1974, p 62 132 « La situation économique actuelle », n°87 du 21 mai 1974, p 63 133 « Sept ans mais cinquante jours décisifs », n°481 du 11 mai 1981, p 66-69 134 « Quand la Bourse s’éveillera », n°481 du 11 mai 1981, p 72 135 « Le troisième tour économique », n°816 du 9 mai 1988, p 62-63 136 « Le troisième tour néo-calédoniens », n°816 du 9 mai 1988, p 64-65
92
premiers jours »139. Il y a dans ces trois dossiers une importance de rapidité. On a l’impression
que le journal veut absolument faire accélérer les choses. 1981 est un peu particulier car c’est
l’arrivée d’un nouveau gouvernement au pouvoir avec les multiples changements que cela
implique (dissolution, nouveau gouvernement, mesures immédiates, etc). Les dossiers sont
néanmoins à peine explicités.
En 1988 et 1995 au contraire, ce sont articles développés qui sont écrits sur l’application
des programmes des candidats. Ici, ce n’est plus l’urgence de la situation politicienne qui
importe mais l’urgence politique. En 1988, il faut gérer la crise en Nouvelle-Calédonie, régler
les problèmes économiques (en profitant d’une accalmie), administrer le budget déficitaire,
défendre les industries face à la mondialisation, empêcher la désinflation, soutenir la monnaie
européenne, intervenir dans sept dossiers internationaux complexes et calmer les syndicats
enhardis par la victoire de la gauche. En 1995, on retrouve des problèmes communs : la
gestion du chômage, le déficit de l’Etat et le chantier européen. En 1988 et 1995, c’est
quasiment un cahier des charges que le journal adresse aux nouveaux élus. Il n’y a pas une
prise de position sur une réussite ou un échec futur. Le journal fait son propre bilan de la
situation et y apporte ses solutions. Contrairement aux autres années, la rédaction considère
que le nouveau président ne peut plus se reposer sur ses lauriers et doit absolument se mettre
immédiatement au travail.
On note ainsi que l’urgence de la situation politique à venir n’a pas la même importance
selon les élections. En 1988 et 1995, c’est un signal d’alarme ; en 1981, l’analyse d’un futur
inconnu ; en 1974 et 2007, un résumé succinct qui laisse penser que le lectorat sait déjà tout
cela et en 2002, une absence car les Français n’ont pas élu J.Chirac pour son programme. On
constate qu’à travers cette simple présentation des futures actions, la rédaction du Point
propose une analyse de la situation, simplement contemplative parfois, et tout à fait engagée à
d’autres moments. Seule l’actualité du moment semble pousser le journal à prendre de telles
positions.
137 « Le troisième tour social », n°816 du 9 mai 1988, p 72-73 138 « Etranger : mes 7 dossiers chauds du Président », n°816 du 9 mai 1988, p 71 139 « Economie : les urgences des premiers jours »p 72-75 et « International : le calendrier surchargé de Chirac », p 76-80, n°1181 du 8 mai 1995
93
A travers les élections présidentielles, on note des changements importants dans les
choix rédactionnels du Point. Ce journal de référence cherche d’abord à objectiver ses
informations. Ainsi, il utilise de nombreux sondages et compare les programmes aussi
scientifiquement qu’il le peut. Avec le temps, la crédibilité de l’hebdomadaire est telle qu’il
n’en a plus autant besoin. Les sondages s’espacent, les bancs d’essai disparaissent.
L’international, qui était pourtant au départ un axe fort du périodique, perd de son importance
et la comparaison avec les médias étrangers s’efface ainsi progressivement.
94
Le traitement de la campagne permet de révéler l’évolution du Point et à travers lui de
la société qui mute. Les articles sur l’élection présidentielle ne se limitent donc pas
simplement aux combats politiciens. Quand le militantisme diminue dans la société, le
traitement de la campagne passe du terrain militant au QG politiques. Quand le rôle des
femmes s’accentue, épouses ou candidates, cela se reflète dans ses colonnes. La campagne
n’est plus seulement entre le candidat et les Français. L’entourage apparaît progressivement, à
la fois familial et politique, montrant l’ensemble des artisans celle-ci. Le candidat se découvre
aussi progressivement : l’homme privé derrière l’homme politique. Cependant, même si ces
choix répondent aux stratégies des candidats, le journal reste maitre de son contenu
rédactionnel et va à son propre rythme. Ainsi, même si les prétendants mettent en avant leur
famille dès 1974, la rédaction ne les considère réellement qu’à l’élection suivante. Les "petits"
candidats ne sont pas totalement absents mais, leurs scores étant faibles, le journal les traite
plutôt comme des ajouts résiduels qui n’ont pas le même intérêt que les "grands". Seul le
candidat du Front National inquiète la rédaction qui lui consacre de nombreux articles, neutres
au départ et de plus en plus hostiles avec le temps.
Après l’élection, un numéro spécial est systématiquement consacré au nouvel élu.
Le nouveau président apparaît seul en Une. On retrouve un condensé de toutes les évolutions
des autres numéros : disparition progressive des sondages, prise d’importance de l’entourage,
analyse politique de l’avenir. Avec le temps, le camp battu intéresse de plus en plus la
rédaction. Elle lui consacre toujours plus de place au cours des années. Au contraire,
l’anticipation des décisions politiques a tendance à disparaître. Ce changement pourrait
s’expliquer par une peopolisation du politique qui se reflète dans les journaux. Ceux-ci
mettent peut-être l’accent sur les hommes politiques au détriment des projets et des
programmes.
96
Conclusion L’objectif de cette recherche était de comprendre l’évolution du journal pendant ces
quarante années d’existence avec ses changements, ses ruptures, ses doctrines et ses
habitudes. Pour cela, nous avions sélectionné un corpus de 36 numéros, choisis pendant les
campagnes présidentielles. Cela nous a permis, dans un premier temps, de définir cet
hebdomadaire qu’est Le Point. Très souvent classé à droite, nous avons compris qu’il n’est
pas un journal engagé et partisan. Les membres de sa rédaction semblent plutôt politiquement
de cet avis mais son lectorat et sa rigueur journalistique en font surtout un journal de référence
qui ne pourrait pas s’engager derrière un parti. Journal de référence, il l’est aussi dans son
contenu particulièrement éclectique, correspondant aux canons du Newsmagazine.
Le Point s’intéresse à tout ce qui mérite d’être publié et perçoit ainsi les changements de la
société. A sa création, il cherche à objectiver ses informations avec l’utilisation récurrente de
sondages et des articles reposant principalement sur l’économie. Avec le temps, sa réputation
n’est plus à faire, les sondages et la recherche absolue d’objectivité disparaissent
progressivement.
Même lors du moment le plus politique de l’année, celui de la campagne électorale pour
le mandat suprême, le périodique ne se limite pas à la simple lutte politique et politicienne.
La campagne éclaire ainsi les changements de la société dans laquelle elle se déroule.
La présentation du candidat en 1974 n’a pas grand-chose à voir avec celle de celui de 2007 :
seul avec un programme établi et analysé par la rédaction dans le premier cas, entouré avec
peu d’idées précises de l’avenir dans un second. Le journal s’est ainsi adapté aux
changements de son temps. Traversé par des transformations de la société, il a dû muter tout
en gardant sa substantifique moelle : un Newsmagazine de référence non partisan. Au cours
des années, on retrouve dans ses colonnes les changements de la société : égalité des sexes,
problèmes sociétaux, désacralisation du personnel politique, etc. L’hebdomadaire ne va pas
toujours à la vitesse que le voudrait l’équipe des candidats mais il évolue avec son temps.
Ainsi, le personnage même du prétendant à l’Elysée a changé, être exceptionnel qui prendra
sa place dans l’Histoire en 1981, il devient un membre du personnel politique au milieu d’une
équipe qui le conseille dans les années 2000. L’élection n’est donc plus, dans le journal, la
rencontre d’un homme et d’un peuple mais devient progressivement celle d’une équipe avec
un électorat, de plus en plus communautarisé. L’importance de l’entourage du candidat
97
s’impose progressivement, simple décor mis en scène dans les années 1970, il devient
incontournable dans les années 2000.
Bien sûr, notre étude n’est que la première partie d’une recherche plus vaste que nous
avons entrepris sur plusieurs années. Cette observation est donc incomplète car nous avons
choisi de limiter notre corpus chronologiquement et thématiquement. Nous avons fortement
privilégié la campagne présidentielle au détriment d’autres sujets. Pendant nos numéros
étudiés, d’autres questions pouvaient se poser et ce fut un choix de notre part de ne pas les
analyser ici. Nous aurions aussi aimé pouvoir comparer ces 36 numéros à ceux de L’Express
ou du Nouvel Observateur. En particulier, nous aimerions pouvoir confronter le traitement de
la même élection entre L’Express et son ancienne équipe dissidente, celle du Point.
Les fondateurs ont quitté le journal de JJSS en critiquant son partisanisme, il nous semblerait
donc utile d’en voir la réalité à travers ce comparatif. Nous pourrions aussi agrandir notre
corpus non plus en choisissant arbitrairement six numéros à chaque élection mais en
augmentant notre recherche de tous les articles s’intéressant à celle-ci. Nous mettrions alors,
sans doute, en lumière l’anticipation de plus en plus grande de ce moment majeur de la vie
politique. Il est possible que nous y retrouvions également des articles qui ont disparu dans
notre corpus trop proche du scrutin. On peut alors imaginer que certaines thématiques, que
nous considérions comme ayant disparu avec le temps, sont en réalité seulement plus
éloignées des scrutins.
Pour conclure cette étude, nous voulons nous interroger sur la crise de la presse écrite et
son déclin annoncé. En effet, de nombreux ouvrages1 s’intéressent à la déchéance du
journalisme à travers différentes évolutions, comme la peopolisation du politique2 (c'est-à-dire
la mise en vedette des responsables politiques et l’étalage de leur vie privée).
Nous avons décider nous arrêter sur cette question. Contrairement à la plupart de ses
confrères, Le Point a toujours voulu attirer l’acheteur au numéro plutôt que l’abonné3. Ainsi,
la Une a une énorme importance puisque c’est elle qui pousse le lecteur à l’achat. Si on
constate cette évolution vers la peopolisation, on devrait la percevoir dès la première page. Ici,
nous choisissons l’ensemble des Unes politiques des six années d’élection présidentielle. 1 REYMOND (Mathias) et RZEPSKI (Grégory) [Observatoire des médias : ACriMed (Action-Critique-Médias)], Tous les médias sont-ils de droite : du journalisme par temps d’élection présidentielle, Paris, Editions Syllepse, 2008. 2 , « Peopolisation et Politique » in Le temps des Médias, n°10, 1er semestre 2008 3 ODUL (Véronique), « Le Point et ses lecteurs : une affaire de fidélité » in Le Temps des médias n°3, Paris, automne 2004, p. 74-82.
98
Dans un premier temps, on remarque que 92 articles sont consacrés à des personnalités
sur un ensemble de 185 titres politiques en Une, correspondants environ à la moitié. On peut
noter une augmentation constante du nombre des Unes consacrées à une personnalité
politique au cours des années (Graphique A). On passe de 10 en 1974 à 32 en 2007.
Sur l’ensemble des articles politiques, on constate à partir de 1988 une augmentation
constante de la quantité de titres consacrés à des personnalités. On en voit le paroxysme en
2007 où 70% des articles politiques les concernent. Nous pouvons sans doute retrouver ici
une évolution de la pratique journalistique, en général, à travers une certaine peopolisation
des hommes politiques4. La personnalité politique est devenue une sorte de marchandise et les
journaux ont besoin de l’exposer pour augmenter leurs ventes.
Graphique A : Proportion d’articles politiques trai tant ou non d’une personnalité politique dans les Unes
L’entourage, dont nous avons vu l’importance grandissante dans les numéros post-
élection, fait de plus en plus la Une. En 1981, entre le second tour de l’élection et fin
décembre, seules six premières pages montrent en photo François Mitterrand ou un membre
de son gouvernement. En 2007, sur la même période, on en retrouve quatorze consacrées à
l’entourage du chef de l’Etat. On note également une différence. En 1981, c’est François
Mitterrand, Pierre Mauroy et Jacques Delors qui sont en première page, soit le Président, le
Premier ministre et le ministre des Finances. En 2007, on retrouve Nicolas Sarkozy, François
Fillon et Rachida Dati, soit le Président, le premier ministre et le garde des Sceaux mais aussi
Claude Guéant, qui n’est pas membre du gouvernement, ou Rama Yade, qui est deux fois en
Unes, alors qu’elle n’est que secrétaire d’Etat. L’homme politique ne fait plus la Une que 4DAKHLIA (Jamil) et LHERAULT (Marie), « Peopolisation et politique » in "Le Temps des médias : revue d'histoire", n°10, printemps 2008
99
pour ce qu’il représente politiquement mais pour l’image qu’il diffuse au grand public.
On a vraiment l’impression que le journal veut se vendre grâce à l’image "glamour" de Rama
Yade ou de Rachida Dati en 2007 alors qu’en 1981, c’est un point de vue politique qui
s’exprime. D’ailleurs, les titres le montrent bien : en 2007, on trouve des Unes comme
« Rachida Dati : enquête sur un phénomène » ou « Enquête sur le cas Rama Yade : pourquoi
Sarkozy mise sur elle ? »5, bien loin de l’article consacré à Jacques Delors en 1981 :
« Delors : la corde raide »6 qui est un article d’analyse politique et économique.
Si on s’arrête, enfin, sur les dossiers traités dans nos six numéros par an précédant
l’élection, on retrouve le même résultat. On constate une augmentation constante du nombre
de dossiers titrés sur une personnalité. On a l’impression qu’aujourd’hui, pour augmenter ses
ventes, l’hebdomadaire a davantage besoin de mettre en avant une personnalité qu’un
programme ou une idée.
Graphique B : Proportion de dossiers traitant ou non d’une personnalité politique
On peut donc sans doute légèrement nuancer le principe de peopolisation qui a tendance
à faire des politiques les responsables de cette évolution. Les journaux, dont Le Point,
semblent croire que le nom ou l’image d’une personnalité politique fait plus vendre les
numéros qu’un sujet d’actualité. Ils ne sont pas pour autant devenus des "journaux people"
mais ont changé leurs choix rédactionnels et avec eux leur stratégie de communication.
5 « Rachida Dati : enquête sur un phénomène », n°1813 du 14 juin 2007 et « Enquête sur le cas Rama Yade : pourquoi Sarkozy mise sur elle ? », n°1830 du 11 octobre 2007 6 « Delors : la corde raide », n°454 du 1er juin 1981
100
L’utilisation de l’humour, qu’on retrouvait parfois à travers des dessins7, a totalement disparu
tout comme les montages photos. La photo des personnalités les a remplacés. Ici encore, notre
Newsmagazine a perçu l’évolution de la société et l’a prise en compte.
7 Comme le dessin de Jacques Faizant, en première page de notre étude, publié dans le n°84 du 29 avril 1974
102
Présentation des sources Pour ce mémoire, les sources exploitées sont majoritairement journalistiques.
D’après les textes juridiques, depuis 1962, la campagne officielle est dure, en moyenne, 15
jours pleins avant le 1er tour et 8 jours avant le 2nd tour1. Afin de recouvrir totalement cette
campagne officielle, nous avons donc sélectionné les trois numéros précédant le premier tour,
les deux qui le suivent puis le journal d’après élection. C’est donc un corpus de six numéros
par année que nous voulons étudier, soit un ensemble de 36 numéros.
N°82 du 15 avril 1974 N°83 du 22 avril 1974 N°84 du 29 avril 1974 N°85 du 07 mai 1974 N°86 du 13 mai 1974 N°87 du 21 mai 1974
N°446 du 06 avril 1981 N°447 du 13 avril 1981 N°448 du 18 avril 1981 N°449 du 27 avril 1981 N°450 du 02 mai 1981 N°451 du 11 mai 1981
N°811 du 04 avril 1988 N°812 du 11 avril 1988 N°813 du 16 avril 1988 N°814 du 25 avril 1988 N°815 du 30 avril 1988 N°816 du 09 mai 1988
N°1176 du 01 avril 1995 N°1177 du 08 avril 1995 N°1178 du 15 avril 1995 N°1179 du 22 avril 1995 N°1180 du 29 avril 1995 N°1181 du 06 mai 1995
N°1542 du 05 avril 2002 N°1543 du 12 avril 2002 N°1544 du 19 avril 2002 N°1545 du 25 avril 2002 N°1546 du 03 mai 2002 N°1547 du 10 mai 2002
N°1803 du 05 avril 2007 N°1804 du 12 avril 2007 N°180 du 19 avril 2007 N°1806 du 26 avril 2007 N°1807 du 03 mai 2007 N°1808 du 10 mai 2007
1 Conformément au décret n°2001-213 du 8 mars 2001 modifié, la campagne en vue de l'élection du Président de la République française est ouverte, pour le premier tour, à compter du deuxième lundi précédant le premier tour du scrutin et, pour le second tour à compter du jour de la publication au Journal officiel des noms des deux candidats habilités à se présenter pour le second tour.
104
Annexe 1 : « Un autre vent se lève » Editorial de Claude Imbert dans le N°87
du 21 mai 1974
Changement ! Vous disiez changement ? Nous voilà servis : ce changement-ci, pour le coup, fera date, date historique. Le pouvoir change d'hommes, de méthodes, de programme, d'allure, d'idées. Changement d'acteurs, de décor et peut-être de pièce ! Ce n'est qu'un changement de Président et l'on dirait un changement de régime. Sinon qu'on ne sait encore, des deux, quel est l'ancien.
Toute une époque s'évanouit dans les vivats des uns, la tristesse des autres. Pour beaucoup de « 40 ans » et plus qui se souviennent avec reconnaissance du retour de Charles de Gaulle dans une France éreintée, l'apparition au perron de l'Elysée de son ennemi intime - le plus endurant rejeton de la IVe République - c'est la seconde mort du Général.
Chez ces nostalgiques, quelques larmes coulaient dimanche, sur le linceul d'une « certaine idée de la France ». Mais pleuraient-ils sur la « restauration » d'une France volage et médiocre ou sur leur propre passé, qui a pris dimanche un coup de vieux? De ces temps révolus, les gaullistes de fondation, depuis quelque temps déjà, témoignaient d'ailleurs, prémonitoirement, comme des vestiges d'une ère défunte : vaincus aujourd'hui par Mitterrand mais écartés avant-hier par Giscard, effacés hier par Chirac, ils promenaient déjà, autour de Michel Debré, des silhouettes désuè- tes et pathétiques de demi-soldes...
Un autre vent se lève. Vent d'autan, vent d'antan ? Nous verrons... Toute une partie de la nation, écartée depuis vingt ans du pouvoir, s'illumine. Et une nouvelle jeunesse qui n'a rien connu du « Grand Charles » exulte aujourd'hui autour d'un chevalier à la rosé rassis, blanchi sous les échecs et la longue patience, et qui parle, lui, à la France d'une « certaine idée de la gauche ».
Et pourtant ! Est-ce bien une gauche unie, fraîche et joyeuse, requinquée après vingt-trois ans d'échecs, qui nous a conquis de haute lutte ce « changement » qu'elle n'imaginait pas il y a seulement six mois ? Ou serait-ce .plutôt que le bel arbre majoritaire mis en terre par de Gaulle, taillé par Pompidou, émondé — trop émondé ~ par Giscard, soudain s'est étiolé, envahi par les ronces, pour laisser fleurir le rosier de François Mitterrand ? Le bonheur et l'orgueil naturels qui éclatent, depuis dimanche, dans le parti de la rosé ne masqueront pas longtemps que cette élection fut si l'on peut dire, plus perdue par les uns que gagnée par les autres. En fait, une opinion désenchantée vient de tourner poliment mais carrément le dos à une majorité exténuée par son âge et sa division plutôt qu'elle n'a porté au pinacle une gauche nouvelle et sûre de son avenir.
Ce vent du changement - mot magique, plein et creux - qui jadis gonflait la jeune voile de VGE, a donc tourné et démâté sa barque. Contre la crise économique impitoyable qui ravage l'Europe, VGE n'a pas voulu, pu ou su trouver un style politique, rutilant, populaire, cordial, bref, propre à séduire un pays encore largement émotif et qui aime être aimé. Il a parlé et agi pour le Bas-Rhin (VGE : 65 %), mais toute la France n'est pas faite comme le Bas-Rhin. Il eût fallu, dans cette crise, un médecin de famille énergique, mais compatissant, chaleureux, et «remontant». Nous avons trouvé à notre chevet un grand patron de faculté doublé, avec Barre, d'un chef de clinique plutôt condescendant. Tout autour, un air confiné, stérilisé- Ils ont soigné, non sans compétence, mais avec des médecines arides, des ordonnances sèches, des airs doctes. Et sans mesurer l'impopularité violente, énorme — injuste peut-être dans cet excès — qui montait autour d'eux. Bonne technique, médiocre politique. Sept ans encore de cette médecine ? Cela parut trop : on vient de changer de médecin. Le nouveau, lui, s'apitoie, nous promet d'indolores thérapeutiques : l'homéopathie surtout, les plantes, les simples, et il est aussi un peu rebouteux. Pour changer, ça change !
105
En démocratie, le changement - qui est du côté de la vie - n'est pas, en soi, un péché. Bien au contraire. Les peuples civilisés ont besoin de changer d'air, de renouveler leur musée Grévin politique, d'éviter aux maîtres qu'ils se donnent de se sentir héréditaires. Et, en vingt-trois ans, sous des équipes presque immuables, notre société politique a, en profondeur, changé. Beaucoup changé. Voyez plutôt : le chômage et l'inflation auraient, en d'autres temps, avivé les tensions centrifuges. Mais que manifeste, sous nos yeux, l'électoral français ? Il réduit au contraire ses disparités idéologiques. L'extrême droite est inexistante. "Et ; à l'autre bord, le Parti communiste, que la « crise du capitalisme » aurait pu redorer, fait un « four » historique.
Or - c'est le piquant de cette élection - ce lent mouvement de notre société politique vers le centre, que VGE prédit et encourage depuis des lustres, voici qu'il profite à qui ? A Mitterrand ! Un Mitterrand dont le lyrisme à l'ancienne n'inquiète plus, ou inquiète moins dès lors que, justement, le PC le rejette, quoi qu'il en ait, au centre. Et son aînesse même l'aura, dans ce nouvel habit «tranquille», plutôt servi.
Second paradoxe : ce- Mitterrand, poussé quasiment malgré lui au centre, n'abandonnera pourtant pas de gaieté de cœur sa stratégie d'union de la gauche, ni l'essentiel d'un programme qui reste plus collectiviste que social-démocrate. Lui qui affectionnait dans sa campagne le flou, il fut, au débat télévisé avec VGE, étonnamment, clair : nationalisations, stratégie d'union de la gauche pour les législatives... Il annonçait sans sourciller la couleur. Mais son nouvel électoral modéré, telle était parfois sa détestation du giscardisme, ne voulait ni voir ni entendre. Cet électorat se disait, se dit - comme la Bourse il y a huit jours — que Mitterrand, sous l'influence d'un Rocard, d'un Delors, d'un Cheysson, n'appliquera pas le programme qu'il annonce, que les législatives d'ailleurs le contraindront de gouverner au centre, bref, qu'il fera autrement qu'il ne dit. Ce socialiste, il est vrai, porte plus d'un chapeau. Large est le spectre de la rosé ! Seulement voilà : et si Mitterrand faisait ce qu'il a dit? Et si la gauche - PC-PS réunis - gagnait les législatives ?
On mesurerait alors quelle faille béante avaient créée la division majoritaire et la percée d'un RPR trop longtemps humilié et mésestimé par le pouvoir. Et ce jour — fatal à l'héritage gaulliste - où VGE et Chirac, ces deux amis de fortune, commencèrent de se déprendre avant de se détester. Non, certes, que le programme chiraquien ne soit aux antipodes du socialiste. Non, certes, que Chirac n'ait appelé, par deux fois, à battre Mitterrand. Mais les élections présidentielles ne se gagnent pas seulement avec des programmes ou des consignes de leaders. Et depuis que Jacques Chirac avait claqué la porte du pouvoir, la majorité trimbalait, jusque dans nos plus paisibles provinces, un joli panier de bisbilles, assorties - soyons juste ! — de quelques grandes querelles. Dans son face-à-face télévisé avec VGE, Mitterrand a cité dix fois Chirac à la rescousse. Combien d'électeurs chiraquiens auront, dimanche, commis l'adultère socialiste ou se seront esbignés vers l'abstention pour le seul plaisir de berner VGE ? Combien d'électeurs .socialistes - rocardisés ou non — rêvent déjà d'une nouvelle majorité appuyée au centre ?
Tout Président - et surtout s'il apporte une telle nouveauté — dispose, en effet, d'un certain délai de grâce, qui peut être simplement d'observation ou de curiosité. Il peut escompter que l'ancienne majorité respectera la règle démocratique de l'élection comme la gauche le fit. Il peut surtout tabler sur la force de l'institution présidentielle gaullienne dont il combattit âprement le principe et dont il appréciera les vertus- Ce fauteuil élyséen qu'il jugeait « monarchique », cet homme de gauche au tempérament de droite, secret et autoritaire, l'occupera sans malaise, et gageons qu'il le trouve aujourd'hui fort « républicain ». Il peut enfin recueillir les fruits — encore verts - de sa victoire sur le Parti communiste. Le mérite en revient à lui seul, et à cette stratégie acrobatique qu'il sut imposer à son propre parti.
Reste qu'avant de gouverner vraiment et de savoir au juste ce qu'il va faire (nationalisations et branle-bas marxisant comme il dit le souhaiter, ou réformisme social-démocrate comme il s'en
106
accommoderait ?) il lui faut trouver une majorité. Ce ne sera pas, comme prévu, si simple. Sur sa gauche, le PC est affaibli, mais pas mort : comme « il ne peut trouver parmi ces pales roses une fleur qui ressemble à son rouge idéal». Marchais va se démener et, il nous en a prévenus, il ne « roule pas gratis ». Sur sa droite, le bouillant Chirac rameutera la majorité groggy, sans attendre qu'un autre leader majoritaire (Barre, voire Giscard lui-même) lui fasse de l'ombre. Dures législatives en perspective pour le tout proche temps des cerises !
Lorsque Mitterrand, en 1957, participait au pouvoir, la France était en Europe un pays souffreteux et, selon les cas, plaint ou déconsidéré. Le nouveau Président — endurant pèlerin d'un interminable désert — retrouve vingt-quatre ans plus tard une France honorable, jouissant dans les grandes nations de -l'Ouest comme de l'Est d'un convenable crédit, disposant d'une défense respectée et d'un programme énergétique partout envié. Elle a du moins, dans ses difficultés, évité l'asthénie d'une Grande-Bretagne paralysée par une socialisation abusive et les malheurs d'une Italie épuisée par la dilution du pouvoir. La droite, dans son pessimisme naturel, aperçoit déjà sous les pas du nouveau septennat ces deux pentes également mauvaises. La gauche, dans son optimisme naturel, fait confiance à sa jeunesse, à la maturité et à la santé du corps social français. Au Point, où nous préférons observer que prédire, constatons pour le moment — et par simple méthode — que le pire n'est pas toujours sûr.
107
Annexe 2 : Dessins de Jacques Faizant
1) Critiques des personnalités politiques et du jeu politicien : François Mitterrand et Georges Marchais
112
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