mémoire fin d'études eablandin "enquête qualitative sur la réception online des...
DESCRIPTION
Ce mémoire est une étude qualitative visant à analyser la réception online des téléspectateurs de l'émission de M6 "Un dîner *presque parfait", en termes d'usages et de contenus. Elle s'appuie sur une veille qualitative des conversations sur les réseaux sociaux et forums dédiés à l'émission (avec une attention particulière portée à l'impact du caractère officiel ou non du média social étudié), complétée par quelques entretiens semi-directifs, et des lectures théoriques issues de la sociologie des réseaux et de la sociologie de la télévision.TRANSCRIPT
Eve-Anaelle Blandin
SCIENCES PO LYONInstitut d’études politiques de Lyon
Mémoire de fin d’études
Etude de la réception online des téléspectateurs d’ « Un dîner presque parfait »
Sous la direction de Max SanierMaître de Conférences en communication à l’Institut d’études politiques de Lyon
Jury également composé de Jean-Michel Rampon Maître de Conférences en communication à l’Institut d’études politiques de Lyon
Soutenu en décembre 2013 – A obtenu la note de 19/20
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SommaireIntroduction......................................................................................................................................5
I/ D’une réception à l’autre, d’un réseau social à l’autre................................................................22
1) La réception online des téléspectateurs d’Un dîner presque parfait sur Facebook.................22
a) La page Facebook officielle : des téléspectateurs avant tout guidés par un community manager et par le format du réseau social..............................................................................22
b) La page Facebook officielle : l’influence du caractère officiel..............................................26
c) L’impact du contenu télévisuel sur la réception online.......................................................32
2) La réception online des usagers de Twitter.............................................................................40
a) L’importance de la structure du réseau social.....................................................................40
b) Le statut hybride public / privé du tweet............................................................................43
II/ De la réception en termes de forme et d’usages ….....................................................................52
1) Commenter l’émission en direct : chat ou forum ?.................................................................52
a) La réappropriation du forum par les usagers ou lorsque le forum devient chat.................52
b) Des télénautes anonymes (et nombreux) commentent l’émission.....................................54
c) Des forums de discussion à la modération différente.........................................................59
d) Le forum non officiel : un petit groupe de télénautes, amis avant tout..............................63
2) Une réception collective virtuelle ?.........................................................................................66
a) Une soirée entre amis devant Un dîner presque parfait......................................................66
b) Réception collective plus ou moins affirmée, comment expliquer la différence entre les deux forums ?..........................................................................................................................76
3) La réception online des téléspectateurs d’Un dîner presque parfait, après la diffusion de l’émission....................................................................................................................................80
a) A posteriori de l’émission, quelle attention prêter aux messages échangés pendant la diffusion ?................................................................................................................................80
b) Le forum utile : adresser un message au candidat..............................................................84
c) Le forum non officiel, un moyen de savoir quelle émission regarder ou de remplacer le visionnage d’UDPP..................................................................................................................86
III/ … A la réception en termes de contenus....................................................................................92
1) Des téléspectateurs à la réception télévisuelle online très proche….......................................92
a) Les téléspectateurs jugent en fonction d’attentes liées à l’émission (et donc à ce que doit être un bon dîner)...................................................................................................................92
b) Les téléspectateurs jugent en fonction de leurs goûts personnels...................................100
c) L’ambiance d’une soirée UDPP ou la recherche d’un moment télévisuel divertissant avant tout........................................................................................................................................105
3
d) Le plaisir d’une émission de TV réalité : percer les rouages de l’émission........................110
2) … dont la réception reste influencée par le caractère officiel ou non de la plateforme d’échange..................................................................................................................................113
a) La relation à la chaîne du forum officiel transparaît dans les discours online des téléspectateurs......................................................................................................................113
b) Les réceptions différentes d’une semaine d’Un dîner presque parfait faite de multiple péripéties..............................................................................................................................116
Conclusion.....................................................................................................................................127
4
Introduction
« La télévision est le 'passeur', le grand 'messager' de la société des solitudes organisées,
réduisant les exclusions très puissantes de la société de masse. Car le drame de la société
de masse est qu'il n'y a personne entre les individus et la société, et le rôle essentiel de la
télévision est d'assurer une sorte de va-et-vient entre ces deux extrêmes de l'échelle
sociale. La télévision ne brise pas les isolements et les exclusions, mais contrairement à ce
que l'on a souvent dit, elle ne les accentue pas. Au contraire, elle en limite les effets1 ».
En écrivant cela, Dominique Wolton tempérait les craintes parfois exprimées à l’encontre
de la télévision. La crainte d’un média de masse qui, en diffusant massivement à des
individus et non à des groupes, risquerait de fragmenter la société en engendrant toujours
plus d’individualisme. Pourtant, que la réception télévisuelle se fasse de manière
individuelle ou de manière collective, il s’est rapidement avéré que la télévision
rassemblait des téléspectateurs en un public, réunis par un écran de télévision, au même
moment, devant un même programme. Il s’est avéré que la réception n’était pas un
phénomène circonscrit dans le temps ou même dans l’espace, mais qu’il s’amorçait au
préalable de la diffusion de l’émission au gré de lectures d’articles de presse ou de
commentaires divers et variés, pour se poursuivre au-delà de l’écran noir du téléviseur, à
travers des discussions avec son conjoint, un collègue de bureau, ou un illustre inconnu
lisant un article sur le programme TV à la caisse du supermarché. Dès lors, en effet, la
télévision semblait être en mesure de « limiter les effets » de l’exclusion. En 2013 et à
l’aube de l’année 2014, alors que l’environnement médiatique, communicationnel et
technologique se transforme de plus en plus rapidement, laissant à peine le temps aux
usagers de s’approprier une innovation qu’une nouvelle fait déjà parler d’elle, le contexte
de réception de la télévision a largement évolué et est alors source d’interrogations quant à
cette affirmation que Wolton (2011) écrivait noir sur blanc.
On oublie parfois que si la télévision est devenue cet élément structurant du
quotidien, c’est notamment grâce à sa matérialité et à un contexte de réception bien
particulier. Les programmes télévisés ne pouvaient, jusqu’à récemment, être regardés que
grâce à un téléviseur auquel les foyers donnaient souvent une place centrale, salon, cuisine
1 Wolton Dominique, Eloge du grand public : une théorie critique de la télévision, Flammarion, 2011, p.149
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ou salle à manger : une pièce commune dans laquelle tous les membres du ménage sont les
bienvenus.
Autre point important du développement de ce média de masse : le contexte de réception.
En effet, si la télévision a pu prendre une telle place dans le quotidien de nombreux foyers
français2 c’est que la relation établie entre les téléspectateurs et la télévision était une
relation verticale : du poste de télévision au téléspectateur. Cela n’empêchait en rien des
résistances aux messages envoyés par les programmes télévisés, mais la télévision était
bien souvent un moyen facile de se détendre un moment, assis sur le canapé, en ne faisant
rien d’autre que profiter de son émission préférée. De même, si la télévision était parfois
utilisée comme fond à une activité parallèle (la réception du téléspectateur se faisant alors
dégagée), celle-ci était rarement liée à une autre source médiatique : la télévision et la radio
allumées en même temps faisant par exemple difficilement bon ménage.
Ces dix dernières années, le contexte de réception s’est transformé de manière
significative, et cette transformation s’est accélérée depuis cinq ans.
Dans un premier temps, le canal de diffusion des émissions n’est plus unique : il reste
tout à fait possible de regarder son programme favori depuis un poste de télévision (qui
n’est d’ailleurs plus nécessairement unique dans le foyer3), mais rien n’empêche de le
regarder en direct ou en replay depuis son ordinateur, ou d’en savourer les principaux
extraits depuis son Smartphone.
Par ailleurs, si l’attention du téléspectateur pouvait être perturbée par un coup de
téléphone retentissant, elle est aujourd’hui bien plus exposée aux perturbations
extérieures et partagée entre différents moyens de communication : lire une
notification Facebook, répondre à un SMS ou être averti d’une réponse au topic créé sur un
forum – que le téléspectateur soit installé devant son poste de télévision, suivant alors le
schéma « traditionnel » de la réception télévisuelle, il reste incontestable que la réception
s’en voit nécessairement transformée.
Il apparait donc clairement qu’étudier la réception télévisuelle aujourd’hui nécessite de
prendre en compte le fait que la télévision s’insère dans un environnement
médiatique, technologique, et communicationnel bien différent de celui d’il y a un peu
plus de dix ans, et qui de évolue particulièrement vite. Comme l’expliquent Morley et
Sliverstone (1992), « more complexe situations occur with digitalization and
2 Nabli Fella et Ricroch Layla, « Plus souvent seul devant son écran », Insee Première, n°1437, 20133 Nabli Fella et Ricroch Layla, « Plus souvent seul devant son écran », Insee Première, n°1437, 2013
6
convergences, such as parallel use of media, cross-media applications 4», tout en ne
supprimant pas complètement des pratiques plus traditionnelles. De même, le modèle du
téléspectateur actif/passif « n’a plus de pertinence » selon Jacques Guyot (1995) puisque le
poste de télévision se trouve nécessairement au centre d’activités très diversifiées.
Des images que l’on peut recevoir de n’importe où, une convergence des médias
qui pourrait mener à une confusion des métiers entre les secteurs de la téléphonie, de
l’Internet, de la télévision et du cinéma, des téléspectateurs dont l’attention se dissipe et qui
seraient de plus en plus demandeurs d’un droit d’expression et d’une interactivité
renforcée (Missika : 2006) : après avoir été accusée d’accentuer l’individualisme de
notre société, la télévision est aujourd’hui bien souvent considérée en voie
d’extinction compte tenu de ce nouveau contexte de réception. Pourtant, depuis
quelques années il semblerait que l’industrie audiovisuelle cherche à déjouer ces
prédictions funestes. En effet le secteur audiovisuel, plutôt que de mener une lutte déjà
perdue, a cherché à adapter le média qu’est la télévision à ce nouveau contexte de
réception et à la rendre complémentaire à Internet. La qualification de ce phénomène reste
encore un peu flou : « télévision connectée », « digital TV », « télénaute », « double
screening », « télévision interactive », « cybertélévision » beaucoup de termes se croisent
et s'entrecoupent, tendant à définir cette nouvelle tendance qui pourrait finalement se
résumer ainsi : la réception télévisuelle est un processus qui ne se réalise plus
exclusivement devant son poste de télévision.
Premier exemple de cette convergence technologique, la télévision connectée, qui
consiste à recevoir Internet sur son téléviseur : « Une des principales innovations de la TV
connectée est d’accéder, depuis son téléviseur, à une profusion de services : recherche sur
le Web, Facebook, Twitter, applications, navigation parallèle au visionnage de la télé,
enregistrement de programmes… »5. De plus, la télévision connectée tend à transformer le
schéma de diffusion traditionnel de la télévision. On passe d’une diffusion de masse à une
« délinéarisation de la diffusion où cette fois, l’internaute décide du contenu qu’il regarde
et du moment auquel il le regarde (unicast) »6.
4 Silverstone Roger et Morley David, 1992, cités dans Gentikow Barabara, «Television use in new media environments », dans Relocating Television : television in the digital context, Edition Jostein Gripsrud, Routledge, Londres, 2010, p.1425 « Le télénaute en questions », http://www.strategies.fr/etudes-tendances/dossiers/163883/163340W/le-telenaute-en-questions.html, 20116 Olivier Cimelière, « L’écran TV se connecte au social, les téléspectateurs aussi ? », http://www.leblogducommunicant2-0.com/2012/06/06/lecran-tv-se-connecte-au-social-les-telespectateurs-aussi/, 2012
7
Mais c’est en fait un nombre impressionnant de nouvelles facettes du mix-media qui
s'ouvrent : les réseaux sociaux deviennent des plates-formes qui servent tant à s'exprimer,
recommander, ou encore à stimuler l'audience. Les émissions de télévision ne font plus
l'objet de blogs de fans mais de sites officiels, offrant généralement des lieux d'expression
comme les forums. Twitter s'empare également de ce mix-media pour que les télénautes
puissent exprimer rapidement, en quelques mots, un ressenti lors du visionnage d'une
émission et le partager avec une communauté qui se retrouvera grâce à un hashtag
commun.
La TV connectée prend alors une direction vers la Social TV (« télévision
augmentée des conversation de l’audience autour des programmes via les réseaux sociaux
»7), où l'on cherche à recréer via le net, un lien social qu'on croyait perdu à cause d’une
pratique télévisuelle souvent soupçonnée d'être un nouvel instrument venant fragmenter la
société et engendrant plus d’individualisme (Flichy : 2004). Aujourd'hui le secteur
audiovisuel cherche à stimuler l'audience en impliquant les téléspectateurs, via le net .
Les télénautes peuvent désormais voter, donner leur avis, critiquer, encourager les
candidats par internet. Il semblerait en fait qu'on recrée une situation de réception
collective, où plusieurs personnes partagent un moment télévisuel devant un seul et unique
poste de télévision, à distance, virtuellement.
La TV réalité est aujourd'hui le genre le plus touché par la Social TV (Benoît Raphaël,
20108), ce qui semble en fait être une suite logique. Le succès de la TV réalité tient
principalement en la réduction de la distance entre le téléspectateur et le programme
télévisuel. Ce sont des gens « comme tout le monde » que le téléspectateur regarde, ce sont
des émissions auxquelles il pourrait participer sans problème, ce sont des émissions sur
lesquelles il peut avoir un impact en votant (Lafrance : 2005). Ces programmes sont un
genre hybride, à la croisée du documentaire et du divertissement, de la réalité et de la
fiction. Dès lors, la TV connectée et plus généralement la Social TV se sont présentées
comme un moyen idéal de renforcer cette proximité entre le téléspectateur et le programme
télévisé. Les plates-formes virtuelles d'expression sur les émissions télévisées se
multiplient, les télénautes peuvent voter et répondre à des sondages lors du visionnage de
l'émission, que ce soit grâce à une télévision connectée où aux sites de replay de plus en
plus élaborés. Les télénautes peuvent donner leur avis ou leurs encouragements en direct,
des commentaires qui peuvent alors être repris pendant l'émission même. De prime abord,
7 « Social TV World Summit : la télévision a quitté le téléviseur ! », http://meta-media.fr/2012/05/25/social-tv-world-summit-la-television-a-quitte-le-televiseur.html, 20128 http://www.benoitraphael.com/2010/11/03/deconnecter-la-tv/
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les téléspectateurs seraient donc désormais face à une télévision interactive et à des
programmes télévisés qui leur donnent un droit d’expression : « the new devices make
television more than a mass medium for just watching and listening 9» (Gentikow : 2010).
J’avais, sans vraiment le vouloir ou du moins le cibler, déjà pu avoir un aperçu de la Social
TV, grâce à mon mémoire de 4ème année consacré à la réception des émissions culinaires
actuelles. C’est en recherchant des téléspectateurs à interroger par l’intermédiaire
d’entretiens, que je me suis intéressée à la réception particulière de Lara, Fabrice et
Véronique, tous trois membres actifs du forum www.1dinerpresqueparfait.com. Alors que
je m’étais rendue sur ce forum avant tout pour être sûre de pouvoir interroger de fervents
téléspectateurs des émissions auxquelles je m’intéressais (Un dîner presque parfait, Top
Chef, et Masterchef), c’est une réception à part entière que je découvrais : une réception
non seulement liée aux programmes de TF1 et M6 mais aussi, et surtout, à cette plateforme
d’échange virtuelle. Grâce aux entretiens réalisés avec ces trois téléspectateurs j’ai pu
montrer que ces émissions allaient a contrario de l’idée selon laquelle la télévision pouvait
être un vecteur d’individualisme. La réception solitaire de ces trois enquêtés les a poussés à
rechercher un lieu virtuel pour pouvoir échanger des commentaires, impressions et
jugements sur l’émission : le forum, et même à aller au-delà en créant de véritables liens
d’amitié. Le forum est devenu une part intégrante de la vie de ses membres, depuis quatre
ans, et il a transformé la façon de regarder les émissions culinaires favorites de ces
téléspectateurs. Ainsi Lara commente toujours en direct de la diffusion de l’émission, son
regard allant alors de l’écran de télévision à l’écran de son ordinateur (elle pratique alors le
double screening). Fabrice prend des notes pendant l’émission pour pouvoir faire un
commentaire détaillé et construit de ses impressions quant à la soirée qui vient de se
dérouler, et veille à mettre en avant des éléments qui permettront de relancer la discussion
entre les membres du forum. C’est donc là une réception bien différente des émissions
culinaires actuelles, le forum venant modifier tant le moment télévisuel que le quotidien de
ces téléspectateurs devenus amis.
C’est incontestablement cette première esquisse d’analyse qui m’a donné envie d’aller plus
loin sur cette question de la Social TV et plus généralement de la réception télévisuelle des
émissions culinaires actuelles à travers les plateformes virtuelles d’échange, aussi appelées
médias sociaux : Facebook, Twitter, et bien évidemment, les forums de discussion.
9 Gentikow Barabara, 2010, op.cit., p.143
9
A l'heure où l'offre télévisuelle se transforme pour s'adapter à un nouvel environnement
médiatique et technologique, le téléspectateur devient télénaute et parfois actif usager de
la Social TV à travers la pratique du double screening. L’interaction sociale entre les
téléspectateurs et la pratique communicationnelle sur les médias sociaux qui résultent de
la Social TV, semblent logiquement mener à une réception collective comme celle décrite
par les membres du forum non officiel www.1dinerpresqueparfait.com. Pourtant, un
réseau social finalement très individuel comme Twitter, ou une plateforme telle que
Facebook où les membres de « fanpages » s’expriment principalement par
l’intermédiaire de commentaires aux posts du community manager, ne vont pas
véritablement en faveur d’échanges spontanés entre téléspectateurs, in fine créateurs de
liens sociaux entre ces individus que rien ne rapprocherait logiquement. Comment se
caractérise alors la réception virtuelle des téléspectateurs d’UDPP, à travers leurs usages
des différents médias sociaux et leurs pratiques de communication ? Entre similitudes et
différences, comment expliquer que la réception virtuelle d'UDPP soit une réception
plurielle ?
Avant d’aller plus loin, il me semble important de revenir sur quelques termes
clefs de mon objet d’étude.
Arrêtons-nous tout d’abord sur le terme fondamental de mon étude, qui est au cœur même
de mes recherches depuis deux ans, la réception. La réception d’une émission télévisée est
la manière dont cette émission est reçue par les spectateurs, il s’agit donc d’un processus
qui s’inscrit dans un contexte historique, culturel, et collectif. Le contexte de la réception
étant multiforme, la réception elle-même ne peut être unique et universelle, il en existe
différents types. Eric Mace établit par exemple une distinction entre « réception dégagée »
et « réception engagée 10». La première consiste à utiliser l’émission comme un bruit de
fond, en effectuant une autre activité en même temps, ou en la regardant davantage par
amusement – pour s’en moquer – et avec une dimension critique pointue, plutôt que par
pur et simple goût. Lors d’une « réception engagée » en revanche, il y a un véritable
processus d’identification qui se met en place chez le téléspectateur qui regarde l’émission.
Comme vous l’aurez compris, la réception à laquelle je m’intéresse dans ce mémoire est
une réception particulière, ciblant seulement une partie du public de l’émission de M6 Un
10 Mace Eric, « La programmation de la réception : une sociologie critique des contenus », Réseaux, n°63, 1993
10
dîner presque parfait : il s’agit de la réception des téléspectateurs venant s’exprimer sur
des réseaux sociaux associés à l’émission télévisée.
Revenons donc sur la définition du « télénaute ». Il s’agit là d’une pratique que Jean-Paul
Lafrance (2004) définit « comme l’usage en simultané de la télévision et de l’Internet 11».
Avec cette définition, on se rapproche également de la pratique du « double screening »
qui consiste à regarder la télévision en utilisant un autre média, généralement un ordinateur
(et de plus en plus, les tablettes). Lors de la pratique du télénaute, et dans une moindre
mesure du double screening (couramment, cette dernière est généralement associée à
l’utilisation d’une tablette permettant d’accéder aux différents réseaux sociaux liés à
l’émission diffusée au même moment sur le poste de télévision), l’utilisation du média
supplémentaire n’est pas nécessairement liée à une pratique communicationnelle autour du
contenu télévisuel. Typiquement, un téléspectateur comme Lara, est à la fois télénaute (elle
utilise internet tout en regardant la télévision), et pratique le double screening (son
attention est toujours partagée entre son écran d’ordinateur et son téléviseur). Dans le cadre
de ce mémoire, je veillerai à qualifier les téléspectateurs dont j’étudie les discours online
de « télénautes », lorsque ceux-ci postent sur les médias sociaux au moment de la diffusion
de l’émission. Dans les cas où ils s’exprimeraient avant ou a posteriori de l’émission de la
diffusion, je conserverai – autant que possible – le terme de « téléspectateur » ou d’
« usager » de telle ou telle plateforme d’échange.
Mais Lara, et c’est le cas de tous les téléspectateurs dont la pratique communicationnelle
est étudiée dans ce mémoire, est également une active utilisatrice de la « Social TV ».
La Social TV est la convergence entre les contenus télévisuels et les médias
sociaux. Elle donne naissance à une interaction sociale qui se traduit par une pratique
communicationnelle autour d'un contenu télévisuel. Le processus de réception ne se fait
plus seulement devant leur écran de télévision mais en interaction sur des médias sociaux
tels que Facebook, Twitter, ou encore les forums.
Cette convergence peut se faire en même temps que le visionnage de l'émission ou après.
De même elle peut se dérouler sur des médias très variés : de l'ordinateur à la tablette
tactile, en passant par le Smartphone.
La Social TV revêt différents aspects :
- les recommandations ;
- l'interaction via les réseaux sociaux ;
11 Lafrance Jean-Paul, « Le phénomène télénaute ou la convergence télévision/ordinateur chez les jeunes », Réseaux, n°19-130, p311-322, 2005, p.314
11
- les commentaires ;
- les votes
- les chats
- l'échange de contenu télévisuel supplémentaire (vidéo, articles, photos).
La Social TV est un phénomène particulièrement large à étudier puisqu’il peut
prendre forme par l’intermédiaire de nombreux médias différents. Dans le cadre de ce
mémoire, il m’a fallu restreindre mon champ de recherche, tout d’abord afin qu’il soit
pratiquement réalisable dans le cadre d’un mémoire de stage, mais également afin que la
méthodologie adoptée (correspondant en fait à la mise en application d’une technique
acquise pendant mon stage de fin d’études) : la veille qualitative, permette de répondre aux
hypothèses de recherche et donc d’avoir une idée relativement précise de ce en quoi
consiste la réception online des téléspectateurs d’UDPP.
Cette restriction du champ s’est effectuée sur plusieurs axes. J’ai dans un premier temps
choisi de m’intéresser à l’émission Un dîner presque parfait, diffusée du lundi au
vendredi en fin d’après-midi sur M6.
Plusieurs raisons permettent d’expliquer ce choix. Cette émission est tout d’abord celle qui
a rassemblé les premiers téléspectateurs des émissions culinaires : datant de 2006 elle a été
la première émission grand public à mettre au cœur de son programme la cuisine. C’est
depuis son succès que la mode des émissions culinaires a été lancée. Elle a d’ailleurs été le
premier point commun des membres du forum non officiel
www.1dinerpresqueparfait.com12. Un dîner presque parfait correspond ensuite au genre
hybride de la TV réalité (Hill : 2005, Turner : 2001, Kilborn : 1994) : on y retrouve les
trois caractéristiques du genre, journalisme tabloïd (on est à la frontière de la sphère privée
et de la sphère publique en découvrant l’habitat et la personnalité d’un anonyme),
documentaire télévisé (les recettes de cuisine du candidat sont détaillées pendant
l’émission), et divertissement populaire (l’animation organisée par les candidats est aussi
importante dans la notation que la cuisine). Enfin, travailler sur l’une des émissions
culinaires dont j’ai étudié la réception l’an passé me permettait d’avoir déjà un certain
nombre d’éléments utiles pour bâtir des hypothèses de recherche, commencer une veille
12 J’utiliserai tout au long de mon étude l’abréviation « FNO » pour désigner le forum non officiel www.1dinerpresqueparfait.com
12
analytique de manière efficace, et avoir une approche comparative entre des discours
« réels » issus d’entretiens et des discours online13 issus de la veille qualitative.
J’ai ensuite décidé de cibler quatre médias sociaux14 : le forum de discussion non officiel
d’Un dîner presque parfait (www.1dinerpresqueparfait.com ) évidemment, ainsi que son
équivalent officiel puisque Fabrice et Lara m’en avaient tous deux parlé lors de leur
entretien comme l’une des raisons les ayant poussés à trouver un forum plus petit afin de
discuter des émissions culinaires. J’ai également souhaité m’intéresser à deux réseaux
sociaux particulièrement utilisés aujourd’hui en France : Twitter et Facebook. Tout
l’intérêt d’analyser la réception online de ces différentes plateformes était d’en faire une
comparaison et ainsi, à travers les similitudes et les différences repérées, de chercher des
éléments d’explication tant dans le type de structure de la plateforme d’échange que dans
le caractère officielle ou non de celle-ci. Je pouvais ainsi trouver des éléments
d’explication toujours en suivant mon unique outil méthodologique, la veille analytique
qualitative, et ainsi éviter de ne faire qu’une description linéaire des conversations online
de ce public à part entière d’Un dîner presque parfait.
Je souhaite également donner quelques éléments descriptifs des différents médias
sociaux auxquels je m’intéresse afin que le vocabulaire que j’emploie tout au long de
mon mémoire soit parfaitement clair.
Un forum de discussion « est une correspondance électronique archivée
automatiquement, un document numérique dynamique, produit collectivement de manière
interactive (Marcoccia, 2001a : 15) ». Ces plateformes d’échange peuvent par ailleurs
« être défini[e]s comme des dispositifs hybrides de communication interpersonnelle de
masse (Baym, 1998 : 39) dans la mesure où ils permettent à la fois l'échange
interpersonnel (A répond à B) et la communication de masse (A poste un message lisible
par un nombre potentiellement illimité d'internautes) ».
Dans les deux forums auxquels je me suis intéressée, l’émission Un dîner presque parfait
faisait l’objet d’une rubrique particulière. Sur le FNO, un topic (c’est-à-dire un sujet sur
lequel les usagers mettent en ligne – ou « postent » - leurs messages relatifs à ce sujet)
était consacré à chaque semaine d’émission. Alors que sur le FO, la rubrique UDPP était
divisée en plusieurs catégories, l’une destinée à discuter des candidats, l’autre à la notation,
13 J’ai délibérément choisi de conserver le terme anglais d’ « online » pour désigner les discours des téléspectateurs sur les plateformes Internet d’échange car c’était là le terme employé pendant mon stage à Tendances Institut, lorsque je m’occupais du dossier sur la réforme des rythmes scolaires pour la Mairie de Paris, ce dernier consistant en une « Etude des discours online relatifs à la Réforme des rythmes scolaires ». 14 Le terme de « médias sociaux » m’a semblé être celui permettant de regrouper les différentes plateformes Internet d’échange puisque Romain Rissoan (2011, p.29) les définit comme un « moyen de communication permettant les interactions sociales en utilisant la technologie et la création de contenu ».
13
ou une autre encore à la soirée en elle-même. Chaque soirée de la semaine d’émission à
laquelle je me suis intéressée était donc divisée en plusieurs topics correspondant à des
thématiques bien spécifiques (candidat, dîner, notation).
Twitter est un réseau social sur lequel les usagers ne peuvent s’exprimer que par
l’intermédiaire de messages limités à 140 caractères, ces messages sont appelés des
« tweets ». Ce tweet, excepté chez les usagers qui ont fait en sorte que leur compte soit
privé, mais c’est un choix très rare sur ce réseau social, est par nature public : tous les
usagers de Twitter peuvent le lire. Les usagers peuvent s’abonner à des comptes d’autres
usagers (qui n’ont pas à valider ces abonnements), afin que les tweets de ces derniers se
retrouvent toujours sur leur fil d’actualité, ils deviennent alors des « followers ».
Lorsqu’un usager de ce réseau social tweete, il inclue généralement un « Hashtag », c’est-
à-dire un mot précédé du signe « # ». Ce Hashtag, qui permet de qualifier un tweet par un
sujet, constitue alors un lien hypertexte permettant de retrouver tous les tweets abordant le
même sujet. C’est grâce à ce Hashtag que j’ai par exemple pu retrouver tous les tweets de
téléspectateurs d’UDPP au moment de la diffusion des émissions du soir.
Facebook est un réseau social sur lequel chaque utilisateur a un compte personnel
auquel seuls ses « amis Facebook » peuvent accéder. Grâce à son compte,
l’utilisateur publie des « statuts » qui s’affichent sur son « mur », seuls ses amis
peuvent voir ce statut, le « liker » (dire qu’ils aiment ce statut en cliquant sur
« j’aime ») ou le commenter. Chaque usager a également un « fil d’actualité », sur
lequel est déroulée tous les statuts, photos, ou activités de ses amis.
Sur ce réseau social il existe également des « fanpages » que les usagers peuvent
liker. A partir du moment où ils likent cette page, tous les statuts mis en ligne par le
community manager ou les posts spontanés venant d’autres fans de la page,
apparaissent sur son fil d’actualité. Il peut également commenter les statuts, et
généralement poster de lui-même des messages sur le mur de la fanpage, ainsi que
des photos. Ces fanpages sont peuvent être créées par des fans eux-mêmes, par une
personnalité, une institution, ou encore en entreprise. Dans ces derniers cas c’est
alors bien souvent un community manager qui anime la page en postant sur le mur
des actualités, des photos, des vidéos ou des liens divers et variés. Liker une
fanpage est alors un moyen pour l’utilisateur Facebook de s’insérer dans une
communauté de fans, mais cela peut remplir des objectifs divers : communiquer
avec d’autres fans, avoir accès à des informations ou des contenus spécifiques, ou
encore adresser un message à la personnalité ou l’entreprise dont il est question. En
14
ce qui concerne ce mémoire, je m’appuierai sur une veille de différentes fanpages
liées à UDPP, dont la fanpage officiel gérée par M6 Publicité Digital.
Une fois mes supports d’étude déterminés, une recherche théorique s’imposait, bien
que celle-ci ne soit pas facile à mener. Mes recherches de l’an passé sur la réception
télévisuelle plus en général m’ont bien évidemment été utiles. Des ouvrages permettant
une analyse du discours lors de l’étude de la réception télévisuelle, tels que ceux de
Dominique Boullier (2004) ou Brigitte Le Grignon (2003) restent un cadre nécessaire à
toute étude sur la réception. De plus, les travaux d’Eric Mace (1992 ; 1993), Michel
Gheude (1998) ou Daniel Dayan (1992) permettent de garder en tête des concepts clefs tel
que celui de « public » qui me semble particulièrement important dans une étude des
médias sociaux puisque, comme j’avais pu le montrer l’an dernier, les membres du forum
non officiel d’UDPP semblaient former un public à part entière, uniquement composé des
membres les plus actifs. Ce sont également des lectures comme l’article de Dominique
Pasquier (1999) qui m’ont fait considérer tout l’intérêt que représenterait une analyse de la
réception télévisuelle par l’intermédiaire d’un outil comme la veille qualitative. En effet
dans cet article, Dominique Pasquier (1999) explique qu’un téléspectateur peut ne pas
assumer de regarder une certaine émission dans un contexte donné, il fait alors partie de
l’audience plutôt que du public. Le manque de légitimité de la télévision est à l’origine de
discours qui peuvent être difficiles à analyser lors des entretiens, les téléspectateurs n’osant
pas forcément parler ouvertement de leur appétence pour certaines émissions de TV réalité,
craignant d’être jugés. Une veille qualitative semblait alors en mesure de surmonter en
partie ce problème, les plateformes d’échange se caractérisant par des échanges plus
libérés du jugement d’autrui, les internautes pouvant s’exprimer sous un pseudonyme, et
étant partie intégrante d’une communauté de personnes ayant les mêmes préférences
télévisuelles qu’eux. Enfin, si mes recherches passées m’ont été utiles, il est incontestable
que le mémoire que j’ai pu réaliser en M1 a été une base de travail importante pour la
veille analytique que je réalise cette année : les entretiens réalisés avec les membres du
forum non officiel m’ont permis d’esquisser quelques explications aux différences de
réception que je pouvais remarquer entre les deux forums étudiés, et j’ai pu confronter
l’impact du contenu télévisuel et la façon dont celui-ci était reçu à travers les discours
online des téléspectateurs, aux caractéristiques des émissions culinaires actuelles qui
ressortaient le plus dans les entretiens que j’avais réalisés au cours de mon mémoire de
M1.
15
Néanmoins, d’autres lectures plus spécialisées se sont avérées être nécessaires. J’ai tout
d’abord eu besoin de trouver des ouvrages me permettant d’analyser mes notes de veille.
L’ouvrage de Mourlhon-Dallies Florence, Raotonoelina Florimond, Reboul-Touré Sandrine
(2004) m’a permis de me familiariser avec l’analyse discursive des échanges entre
internautes sur les plateformes virtuelles d’expression telles que les chats ou les forums.
Certains chapitres détaillent également la structure de certaines plateformes, structure qui
influence nécessairement les usages que les internautes ont d’une plateforme virtuelle
d’échanges. Les articles de Peter Larsen et Anne Jerslev (2010) ont également été utiles sur
un plan analytique. En effet, bien que ces derniers soient moins techniques que l’ouvrage
évoqué précédemment, ils m’ont permis de comparer le type d’échange que les
téléspectateurs usagers de médias sociaux pouvaient avoir entre eux. Ils présentaient
également l’avantage de cibler des internautes venant s’exprimer au sujet d’un programme
télévisé, qu’il s’agisse d’une série télévisée, ou mieux encore en ce qui concerne mon sujet,
d’une émission de TV réalité.
D’autres lectures m’ont permis de contextualiser mon objet de recherche, s’intéressant
davantage aux pratiques des téléspectateurs dans un nouveau contexte technologique et
médiatique (Lafrance ; 2003, Gentikow ; 2007, 2010, Benett ; 2011, Hanson ; 2007) même
si celles-ci étaient moins directement applicables dans le cadre de ce mémoire qui se veut
être très pratique et ne peut étudier les usages de l’Internet et des nouveaux moyens de
communication des téléspectateurs en se basant uniquement sur une veille analytique. Des
entretiens, ainsi qu’un éventuel questionnaire auraient été nécessaires. Certaines
interrogations et prédictions de ces auteurs ont néanmoins été questionnées à la lecture des
résultats de ma veille analytique.
Comme évoqué lors de la définition des termes, l’article de Jean-Paul Lafrance (2005) m’a
donné des éléments de cadrage sur certaines nouvelles pratiques émergeants avec un
contexte technologique différent, telles que le télénaute. Là encore, mes résultats de veille
m’ont permis d’avoir un regard critique sur certaines de ses prédictions ou de ses constats.
Dans cette analyse qualitative de la réception online d’Un dîner presque parfait, un autre
concept pouvait être utile à garder arrière-plan de la réflexion : celui du groupe de fans. En
effet, si ces téléspectateurs se sont rassemblés sur des médias sociaux afin de discuter
d’une émission télévisée, c’est qu’ils nourrissent tous, à plus ou moins haut degré, une
appétence particulière (n’empêchant pas un regard critique) pour ce programme télévisé.
Même si l’on a plutôt tendance à associer le terme de « fan » au public de chanteurs,
acteurs, ou quelconque célébrité – et donc moins logiquement à des amateurs de cuisine
16
jusque-là inconnus du grand public – on peut penser que ces téléspectateurs ne sont pas
fans d’une personne en particulier mais plutôt d’une émission télévisée. De plus, ils sont
quoiqu’il en soit un public à part entière réuni par une passion ou une simple pratique
commune, ce qui permet de questionner la notion de groupe de fans chez les
téléspectateurs étudiés. Pour cela, je me suis appuyée sur les travaux de Le Guern (2002) et
de Patrice Flichy (2004).
Enfin, parmi les travaux qui m’ont été les plus utiles, un rapport sur les publics online de
Loft Story (Beaudouin Valérie, Beauvisage Thomas, Cardon Dominique, Velkovska Julia ; 2003)
est à souligner. En effet c’est sans doute cette étude qui s’approche le plus de la mienne,
bien que la méthodologie diffère en partie. Les auteurs ont analysé les discours online des
téléspectateurs du Loft sur différentes plateformes d’échanges telles que les forums ou les
chats, cette veille s’est déroulée sur plusieurs semaines d’émission. En mêlant cette veille
analytique à des entretiens réalisés avec certains internautes, les auteurs ont pu déterminer
le profil des internautes « loftiens », l’impact de cette émission de télévision sur les
pratiques internet et vice versa, la temporalité des échanges en relation avec la diffusion
des émissions, ou encore les thématiques principales abordées dans les conversations entre
internautes loftiens. Ce rapport m’a donc permis d’avoir un premier regard sur ces
pratiques communicationnelles de téléspectateurs usagers des médias sociaux, ainsi qu’un
cadre facilitant l’analyse des discours online des téléspectateurs d’UDPP.
Compte tenu de ces lectures, des entretiens que j’avais pu réaliser avec trois
membres du forum www.1dinerpresqueparfait.com dans le cadre de mon mémoire de M2,
j’ai pu construire deux hypothèses de recherche, qui sont les suivantes :
◘ Le processus de réception à travers Internet ne se caractérise pas de la même façon
en fonction du média social.
- Twitter engage majoritairement à des encouragements ou recommandations ;
- Facebook permet un lien plus direct avec la production : on trouvera alors davantage de
conseils de production et de critiques sur l'émission en général. Il y a également une
recherche de « bonus » de l'émission : participer à des votes, accéder aux recettes
facilement, être averti des dernières informations concernant l'émission ;
- Les forums de fans correspondent davantage à une réception collective de l'émission : le
but étant d'avoir un échange et non seulement d'exprimer une opinion. C’est également sur
ce média que les discours des téléspectateurs autour du contenu télévisuel sont les plus
17
riches, un contenu télévisuel permettant de mener à une véritable discussion entre les
téléspectateurs membres des forums.
◘ La type de réception « virtuelle » diffère en fonction du caractère « officiel » ou non
de la plateforme, en particulier sur les forums, mais également sur Facebook.
- Sur des plateformes officielles on trouvera davantage de posts destinés à commenter
l'émission en générale, sans véritablement porter attention aux commentaires des autres
téléspectateurs. Les adresses directes à la production ou aux candidats sont plus fréquentes.
Par ailleurs, les usagers s'expriment davantage après l'émission, en complément de leur
réception directe, plutôt que pendant l'émission, en recherche d'une réception collective.
Enfin, c’est avant tout la compétition en laquelle consiste UDPP qui fait l’objet d’une
discussion sur les plateformes officielles, les téléspectateurs profitant alors de celles-ci
pour exprimer leur soutien à un candidat ou pour réagir à un résultat final qu’ils
trouveraient injuste.
- Sur des plateformes non officielles, la notion d'échange est beaucoup plus présente, et les
liens entre les usagers sont beaucoup plus affirmés. Par ailleurs, à travers leurs discours
online autour du contenu télévisuel, les téléspectateurs laissent transparaître une expertise
télévisuelle et une culture commune très caractéristique du groupe de fans.
Suivre ces hypothèses afin de construire le plan de cette étude de réception online
de l’émission UDPP aurait pu sembler être une suite logique. Je n’ai pourtant pas suivi
cette voie, les résultats de ma veille analytique s’avérant plus complexes que les
hypothèses de recherche ne le prévoyaient.
De manière générale, la première hypothèse a été en partie confirmée, c’est pourquoi j’ai
décidé de marquer la première étape de mon raisonnement par une première grande
partie « D’un réception à l’autre, d’un réseau social à l’autre ». Je m’appuierai ici
quasiment uniquement sur l’analyse de veille de la réception online d’UDPP de Facebook
et Twitter. Plusieurs raisons à cela :
- Ces deux médias sociaux sont des réseaux sociaux et se sont révélées être assez proches
en termes de modération.
- Le caractère officiel ou non influe relativement peu sur la réception des téléspectateurs
étant donné que les pages officielles dominent largement l’espace d’expression consacré à
l’émission sur ces réseaux sociaux.
- De manière générale, la veille de ces deux réseaux sociaux était beaucoup moins riche en
termes de résultat, tant dans le nombre d’échanges que dans les apprentissages à en tirer.
18
Pour ces raisons, je présenterai en premier lieu une analyse de veille de Facebook, en
insistant tant sur l’impact du community manager et du format du réseau social, que sur
l’influence ou non du caractère officiel ainsi que du contenu télévisuel. Je m’arrêterai par
la suite sur l’analyse de veille de Twitter, en soulignant cette fois l’importance de la
structure du réseau social et l’impact du statut hybride public / privé du tweet.
La veille des deux forums choisis, l’un officiel et l’autre non, fut beaucoup plus riche, tant
quantitativement que qualitativement, puisque j’ai in fine réalisé quelques soixante pages
de tableaux d’analyse de veille. Il ne me semblait pas pertinent de présenter le résultat de
mes recherches en séparant l’analyse de veille du forum officiel de celle du forum non
officiel. Au contraire, c’est la confrontation même des résultats et la recherche
d’explications liées tant au caractère officiel ou non qu’à la structure de la plateforme, ou
encore au contenu en lui-même de l’émission, qui me semblait faire tout l’intérêt de cette
étude.
J’ai donc décidé de poursuivre mon étude par une seconde grande partie consacrée à la
réception online d’ UDPP sur les deux forums choisis en termes de forme et d’usages .
Celle-ci s’intéresse ainsi à la temporalité des échanges entre les usagers de la Social TV, en
lien avec la diffusion de l’émission télévisée, mais également à la forme que les échanges
prennent sur ces forums (caractère conflictuel ou non, conversation ou simples avis, hors
sujets, gaps ou conversations en aparté), à la typographie, le vocabulaire employé, ou
encore la destination et la finalité de certains posts de membres des forums.
Enfin, le dernier temps de ma réflexion se centre sur la réception online d’ UDPP sur les
deux forums choisis en termes de contenus. Le but de cette dernière grande partie est
d’analyser les échanges des membres des forums en se centrant davantage sur le contenu
télévisuel. Il s’agit en fait d’analyser la façon dont l’émission transparait dans les discours
des membres des forums, les thématiques les plus redondantes, les aspects de l’émission
plus ou moins critiqués, les valeurs portées par les télénautes pour défendre certains
candidats, ou encore l’analyse comparée de la façon dont certaines péripéties de l’émission
sont perçues sur les deux forums.
Dans ces deux parties, j’essaierai à chaque fois d’analyser les différences entre les deux
réceptions online en m’appuyant tant sur la structure du forum, la modération et
l’administration de celui-ci, le caractère officiel ou non (celui-ci impliquant un nombre de
membres plus ou moins important, une modération particulière, et une relation à la chaîne
plus ou moins affirmée), le niveau culinaire de certains téléspectateurs tel qu’il transparait
dans leurs discours, le programme en lui-même, ou encore la situation de réception.
19
Pour terminer cette introduction, je souhaite revenir brièvement sur la
méthodologie utilisée pour cette analyse de la réception online d’UDPP sur des médias
sociaux. Précisons tout d’abord que je me permets de parler de « réception online »
puisque c’était là le terme employé pour nommer la note de veille que j’ai réalisé au cours
de mon stage pour la mairie de Paris (« Analyse de la réception online de la réforme des
rythmes scolaires chez les parents parisiens »), et j’ai suivi le même type de méthodologie.
La veille analytique est en fait une méthode de recherche très intuitive. Il s’agit tout
d’abord de suivre le cours des échanges en prenant un maximum de notes, tant sur la forme
des échanges (l’heure à laquelle les personnes s’expriment, la typographie, l’aspect
conversationnel ou non des échanges, type de langage employé, etc.) que sur le contenu de
ces derniers (thématiques redondantes, jugements de valeurs, moments clefs de l’émission,
etc.). Cette première (mais rigoureuse) prise de note permet déjà de voir se dégager
quelques axes qui permettront ensuite d’affiner tant la veille que l’analyse, en rapport avec
les hypothèses de recherche.
J’ai ensuite déterminé une semaine d’émission à suivre plus particulièrement. J’ai opté
pour la première semaine de mai, sans raison particulière si ce n’est que j’avais terminé la
plupart de mes lectures théoriques à ce moment-là et que j’estimais avoir assez
d’expérience de veille grâce à mon stage pour commencer celle destinée à mon mémoire.
J’ai débuté par la veille des forums. J’ai pu déterminer plusieurs axes de veille tels que par
exemple « Discussion comme dans un chat », « A posteriori de l’émission », « Réception
collective », « Intérêt porté au candidat », « Jugement sur la cohérence du repas », ou
encore « Rapport à la production ou à la chaîne ». J’ai ensuite bâti des tableaux d’analyse
en répertoriant pour chaque forum et pour chaque axe, des extraits d’échanges, des heures
d’expression, ou encore des citations directes de posts. J’ai par la suite synthétisé les
résultats de ces différents tableaux afin de pouvoir avoir une vision plus globale et ainsi
construire un plan – du moins je l’espère – cohérent. J’ai également détaillé la structure de
chacun des forums (les différentes rubriques, les modérateurs etc.) au cas où celle-ci
pourrait me donner des éléments d’explication aux différences repérées en termes d’usages
et de contenus par rapport à la semaine d’émission choisie.
La veille sur Facebook a été plus rapide, pour la simple raison que les pages non officielles
sont rares et peu alimentées, et que la page officielle est en fait menée d’une main de fer
par le community manager, laissant alors peu de place aux internautes pour s’exprimer. J’ai
20
donc pu bâtir un plan directement depuis mes notes de veille, une fois celles-ci
synthétisées.
Enfin, la veille Twitter s’est avérée plus compliquée. Je n’ai commencé cette veille que
plus tardivement, or quelques obstacles se sont présentés. J’ai tout d’abord découvert qu’il
n’était pas possible sur ce réseau social, contrairement à Facebook ou les forums de
discussion, de retrouver des échanges qui se sont déroulés précédemment, par
l’intermédiaire d’une recherche via un hashtag commun. Or, le fil Twitter officiel de
l’émission est très irrégulièrement alimenté et rien n’a été mis en ligne pendant la semaine
d’émission à laquelle je m’intéressais. Par ailleurs, il est à noter que les tweets mis en ligne
sur le fil Twitter officiel de l’émission et les statuts postés sur Facebook sont exactement
les mêmes, ils renvoient d’ailleurs aux mêmes liens (recettes de cuisine, site de M6). J’ai
également essayé de retrouver des esquisses de tweets en m’abonnant au fil Twitter du
candidat Norbert Tarayre qui était le candidat célèbre surprise de cette « semaine spéciale »
d’UDPP, mais là encore, le candidat ne donnait que fort peu d’informations. Je me suis
donc résignée à suivre les tweets en direct de plusieurs soirées d’émission du mois de juin,
toujours par l’intermédiaire d’une recherche basée sur les hashtags communs « #UDPP »
et « #Undînerpresqueparfait ». Néanmoins, même en suivant ces tweets en direct d’une
émission, la veille de ce réseau social n’a pas été particulièrement riche tant
quantitativement que qualitativement, c’est d’ailleurs pour cette raison que la partie que je
consacre à l’analyse de veille de Twitter est la plus petite de ce mémoire de stage.
C’est donc en suivant cette méthodologie, certes réduite à un seul outil mais il me semble
complémentaire à l’étude que j’ai pu réaliser l’an passé et liée à ce que j’ai appris pendant
mon stage de fin d’études, que je suis arrivée aux résultats de mon enquête sur la réception
online d’UDPP sur trois types de médias sociaux, que je vous propose maintenant.
21
I/ D’une réception à l’autre, d’un réseau social à l’autre
Etre présent sur des réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter pour une entreprise ou
une institution, c’est un moyen de créer un lien plus direct avec sa clientèle ou du moins le public
auquel elle s’adresse. Les réseaux sociaux peuvent donc contribuer à valoriser l’image d’une
entreprise, à se faire connaître, mais aussi à influencer le public auquel elle s’adresse. Dès lors,
Facebook ou Twitter semblent également parfaitement en mesure de répondre à ce que le secteur
audiovisuel et plus précisément celui de la télévision considère comme la nouvelle attente des
téléspectateurs : une télévision interactive, participative. Les pages Facebook ou les fils Twitter de
telle chaîne, telle émission, telle personnalité télévisuelle, se créent, des community manager sont
engagés pour les faire vivre et faire donc participer les téléspectateurs à l’émission par
l’intermédiaire du net. C’est aussi évidemment une façon de faire connaître l’émission, de la
promouvoir. Mais dans cette partie, je souhaite m’intéresser non seulement à ce que le secteur
audiovisuel fait des réseaux sociaux, mais à la façon dont les téléspectateurs – et dans mon cas les
téléspectateurs d’Un dîner presque parfait – utilisent, s’approprient, des plateformes virtuelles
telles que Twitter ou Facebook. Je souhaite également interroger l’impact tant du caractère officiel
de certaines plateformes (la page Facebook officielle d’UDPP, c’est-à-dire gérée par M6 Publicité
Digital), que celui de la structure du réseau social, ou encore du contenu télévisuel. Il s’agit donc
dans cette première étape de ma réflexion de caractériser et de comprendre la réception online des
usagers de Facebook et Twitter téléspectateurs d’UDPP.
1) La réception online des téléspectateurs d’Un dîner presque parfait sur Facebook
a) La page Facebook officielle : des téléspectateurs avant tout guidés par un community manager et par le format du réseau social
Lorsqu’on s’intéresse à la page Facebook officielle de l’émission Un dîner presque
parfait, une simple veille exploratoire permet de comprendre que le community manager
(CM) a un rôle primordial sur ce réseau social et influence donc fortement la réception
online des « Facebookiens » téléspectateurs d’UDPP. Détaillons tout d’abord la structure
de cette page Facebook pendant le déroulement de la semaine d’émission à laquelle je me
suis intéressée. L’activité de la page est très régulée par le community manager. Le lundi,
premier jour de la semaine de diffusion, le CM donne quelques éléments informatifs sur
l’émission, avec la tonalité que l’on trouve généralement sur les pages Facebook gérées par
des CM professionnels, dont le but est avant tout d’inciter les télénautes à regarder
l’émission :
22
« Un dîner presque parfait aura cette semaine un invité plutôt rock n'roll : Norbert
Tarayre, finaliste de Top Chef 2012 ! Préparez-vous à une semaine riche en
rebondissements ! »
Plus tard dans la journée, le CM poste cette fois un statut à dominante culinaire, avec un
lien renvoyant à la recette disponible sur le site M6 de l’émission UDPP :
« Comment réaliser une quiche lorraine ? »
C’est en fait la structure de posts adoptée sur la page de l’émission chaque jour : un post
concernant un candidat de l’émission et son dîner, et un post davantage porté sur l’aspect
culinaire, renvoyant généralement à des recettes que les télénautes peuvent retrouver sur le
site de l’émission. Les posts concernant les candidats sont postés le lendemain de la
diffusion, afin que les télénautes s’expriment sur l’émission vue la veille et qu’ils puissent
retrouver les recettes réalisées par le candidat rapidement :
« Odile a séduit ses invités par sa gastronomie ! Retrouvez la recette de son carré
d'agneau »
« Découvrez la délicieuse recette du sablé pomme caramélisée de Norbert ! Qu'avez-vous
pensé de son dîner ? »
Le but du CM est donc non seulement de faire vivre la page Facebook (et donc que les internautes
commentent, likent et partagent les postent), mais également de créer du trafic sur le site internet
dédié à l’émission.
Il est intéressant de noter que les télénautes sont particulièrement dociles face à cette structure
parfaitement maîtrisée par le CM : ils attendent le post du CM pour s’exprimer sur le dîner, likent
et partagent plus ou moins largement … et ne pourraient, en fait, pas tellement faire autrement. En
effet, sur les pages Facebook associées à des personnalités, des entreprises ou des émissions de
télévision, il existe de la même manière un CM qui alimente quasiment quotidiennement la page,
mais les internautes peuvent également directement poster un message sur le mur de la
personnalité/entreprise. C’est d’ailleurs là tout le risque des pages Facebook puisqu’elles
permettent alors aux internautes de s’exprimer négativement, et il est toujours délicat de supprimer
les publications, ce qui laisserait sous-entendre une censure pas forcément profitable à l’image de
l’entreprise. Pourtant, M6 semble avoir fait le choix de ne pas s’embarrasser de telles délicatesses
puisqu’aucun télénaute ne s’exprime directement sur le mur de cette page. J’avais d’ailleurs moi-
même tenté l’expérience l’an passé, afin de faire un appel aux télénautes susceptibles d’accepter un
entretien ; mon post avait été supprimé dans l’heure qui suivait.
On retrouve donc ici la posture du modérateur d’un forum de discussion décrite par Mourlhon-
Dallies (2004). Il est en effet expliqué dans le chapitre 2 de cet ouvrage que le modérateur a pour
fonction de « mettre en circulation la parole » et de « ne pas la prendre » (ici, le modérateur oriente
les discussions, les lance, mais ne s’exprime jamais en son nom ni ne prend position), il
23
« sélectionne les messages dignes de figurer sur le web et relance le débat, tout en évitant les
dérapages », il a enfin un « rôle de censeur minoré au profit de celui d’animateur, chargé de
relancer la discussion et de créer une bonne ambiance 15». On retrouve donc les principales
caractéristiques évoquées dans cette définition du modérateur d’un forum de discussion, bien que
ce soit celle qui consiste à rythmer les discussions qui domine sur Facebook. De plus, le rôle de
censeur est également très présent puisque le CM n’hésite pas à supprimer tous les posts de
téléspectateurs qui s’exprimeraient directement sur le mur de la page Facebook et non en réponse à
un post du CM. Nous verrons dans la partie II/ et III/ que les modérateurs des deux forums étudiés
ne correspondent quant à eux pas forcément à cette définition.
Ce premier constat implique donc plusieurs choses :
- Tout d’abord, les télénautes ne commentent pas l’émission en direct de l’émission, ce qui rend dès
lors impossible toute réception collective virtuelle au moment de la diffusion ;
- Leurs commentaires sont, de plus, orientés en fonction du post du CM qui s’efforce généralement
de souligner une caractéristique particulière du dîner. Ainsi, lorsque le CM poste « Découvrez la
délicieuse recette du sablé pomme caramélisée de Norbert ! Qu’avez-vous pensé de son dîner ? »,
la majorité des 24 commentaires se centre sur la question posée et donc sur la recette de la tarte :
« rhooo oui », « hummmm », « je vais l’essayer ».
Cette orientation de la discussion par le CM, accompagnée d’un contrôle particulièrement
fort envers toute expression spontanée, ne permet en fait que peu de dialogue entre les télénautes.
Les télénautes ne rebondissent pas ou rarement sur certains commentaires d’autres télénautes,
laissant penser que la majorité d’entre eux ne lit pas ce qui s’est dit au préalable. De plus, la grande
majorité des « Facebookiens » s’exprime à la première personne du singulier : « ce soir je
regarde », « j’adore ce mec », ou sans aucune implication personnelle : « quel défit ce mec ! », et
les télénautes utilisant un « on » représentatif d’un public à part entière de l’émission sont bien
rares (« on va bien se poiler avec lui cool » ).
On note de plus que les messages sont généralement courts, ce qui est probablement lié au format
du commentaire qui incite à donner un avis bref plutôt qu’une opinion étayée d’arguments précis :
« oh yes yes yes », « Norbert un peu pénible ». Enfin, lorsqu’on s’intéresse à la typographie des
commentaires, on remarque que les fautes d’orthographe sont souvent présentes (contrairement
aux messages dans les forums de discussion étudiés), les acronymes utilisés à maintes reprises, et
la ponctuation accentuée : « jladort il est trop marrant sa femme doit pas s’ennuyer avec lui lol »,
« bravo norbert !! et surtout reste … inébralable !! ptdr », « MDR !!! Excelland, grandiose ! ».
Néanmoins, pour un réseau social que l’on associe généralement à un public assez jeune, au format
incitant à des expressions plutôt courtes et rapides, on aurait pu s’attendre à une typographie encore
plus éloignée du français académique.
15 Mourlhon-Dallies Florence, Raotonoelina Florimond, Reboul-Touré Sandrine, Les discours de l’Internet : nouveaux corpus, nouveaux modèles ?, Presse Sorbonne nouvelle / Les carnets du Cediscor 8, 2004, p133-134.
24
On retrouve dans cette description de la forme la plus prégnante des commentaires ce que Anne
Jerslev (2010) détaille dans son article consacré à l’analyse des échanges sur un forum de
discussion dédié au télé crochet « X Factor ». En effet dans celui-ci Anne Jerslev (2010) note que
les échanges sont généralement très passionnés, ponctués et fortement engagés : « most of the texts
could be described as affective performances 16». De plus, elle souligne que les télénautes
s’expriment surtout afin de simplement donner leur avis plutôt que de rechercher un véritable
échange, ce qui prend in fine la forme de commentaires élaborés en « je suis d’accord » ou « je ne
suis pas d’accord », ce que l’on retrouve finalement bien chez les « Facebookiens » avec un
commentaire tel que « waaay j’adooore », « MDR !!! Excelland, grandiose », ou encore « Norbert
un peu pénible ». Des commentaires qui sont d’ailleurs, rappelons-le, fortement orientés par la
question du CM. Mais on peut facilement imaginer que si la question de celui-ci avait été : « Le
plat de Norbert avait l’air succulent, qu’en pensez-vous », les télénautes n’auraient pas été avares
de « Je suis d’accord » ou « je ne suis pas d’accord ».
Ce que l’on semble en fait distinguer à travers cette première exploration analytique de la
page Facebook officielle d’Un dîner presque parfait, c’est que si nous sommes en effet sur
un média social, nous ne sommes pas dans un espace de discussion en ligne. Toute cette
page est structurée, modérée et contrôlée de manière à atteindre des buts précis déterminés
préalablement par la chaîne : recommander plus ou moins ouvertement une l’émission, et
créer un trafic important tant sur la page Facebook que sur le site internet de M6 consacré
à UDPP. De plus, la chaîne cherche par cette page à apporter un complément aux
téléspectateurs, plutôt qu’à encourager leurs discussions (on remarquera d’ailleurs que sur
toute cette semaine d’émission, le CM n’encourage les télénautes qu’une seule fois à
donner leur avis quant au dîner qui vient d’être diffusé, sinon il se contente d’un
« Retrouvez la recette de son carré d’agneau »), en leur donnant par exemple des liens
vers des recettes de cuisine, qu’il s’agisse de celles réalisées par le candidat de l’émission
du soir ou d’un ancien candidat, ou des vidéos revenant sur la préparation culinaire de
certaines recettes afin de permettre aux télénautes de les reproduire plus facilement, ou
encore des sondages sur leurs pratiques culinaires (« Avez-vous déjà réalisé des
chouquettes ? ») et des jeux visant à gagner des instruments de cuisine (« Tentez de gagner
une box culinaire ! ») . Et il semblerait, de plus, que cela corresponde aux attentes des
téléspectateurs « Facebookiens », comme le démontre ce sondage posté le jeudi 6 juin par
le CM sur la page Facebook UDPP :
16 Jerslev Anne, « X Factor viewers : debate on an internet forum », dans Relocating Television : television in the digital context, Edition Jostein Gripsrud, Routledge, Londres, 2010, p171
25
Ce sondage permet de bien montrer que les télénautes de Facebook souhaitent que la page
de l’émission soit un complément de l’émission, leur permettant par exemple de retrouver
des recettes qu’ils n’ont vu que rapidement pendant la diffusion d’UDPP le soir même et
qu’ils n’ont pas eu le temps de noter, et que ces recettes soient suffisamment détaillées
pour qu’ils puissent les reproduire chez eux. Assez étonnamment, il semble donc que ce
média social, symbole même des réseaux sociaux qui ne cessent de se développer
aujourd’hui, ne tende pas particulièrement à développer des liens sociaux entre les
membres de cette communauté virtuelle. Elle s’adresse au contraire à eux de manière assez
individuelle, afin qu’ils puissent retirer personnellement quelque chose de l’émission, en
l’occurrence un apprentissage culinaire. Et l’on peut d’ailleurs penser que c’est pour cette
raison que les pages Facebook non officielles d’UDPP n’aient guère de succès puisque ce
n’est finalement pas sur ce type de plateforme d’expression en ligne que les télénautes
souhaitent échanger entre eux, ce qui est probablement imputable au format même de
Facebook qui n’est pas initialement conçu pour laisser place à des commentaires longs et
argumentés, contraire aux forums de discussion par exemple.
b) La page Facebook officielle : l’influence du caractère officiel
Etudions maintenant ce réseau social sous son aspect « officiel ».
Dans un premier temps, la veille qualitative des commentaires réagissant aux posts
du CM permet de distinguer des types de messages fortement influencés par le caractère
officiel de cette page Facebook d’UDPP.
Considérant que la page Facebook où ils viennent s’exprimer est officielle et donc gérée
par la chaîne, les téléspectateurs imaginent probablement que c’est sur cette page que les
26
candidats sont le plus susceptibles de venir surfer. C’est donc pour cette raison qu’il n’est
pas étonnant de trouver dans les commentaires aux posts du CM des messages directement
destinés aux candidats de l’émission, les usagers adressant ainsi félicitations ou critiques :
« Norbert, ne te mets pas la rate au court-bouillon (le comble pour un cuistot !!! mdr) dans
un dîner presque parfait, y en a toujours qui, quoi que tu fasses trouveront tout naze !! par
contre aujourd'hui j'ai apprécié la réaction d'iglesias qui malgré son aversion pour les
oignons, a tout goûté et apprécié !! », « Cher Norbert je suis une inconditionnelle de
l'oignon et j'ai adoré ton menu. Tes recettes ont rejoint mon cahier !!! », « Fais nous rire ce
soir Norbert car tu as une joie de vivre communicative ». Il faut néanmoins noter que ces
commentaires directement destinés aux candidats sont moins nombreux lorsque le candidat
est un inconnu et non une célébrité comme Norbert Tarayre.
De la même façon, les télénautes profitent parfois de la page Facebook officielle d’UDPP
pour directement s’adresser à la chaîne. Il peut s’agir de critiques comme de félicitations,
ou encore d’une recherche d’information : « Trop bon !!! Merci M6 ... », « c'était dans
quelle ville cette semaine ? », « qui a gagniez ». Cependant, en ce qui concerne cette
semaine d’émission en tout cas, les messages adressés directement à la chaîne sont somme
toute assez rares, contrairement à ce que j’avais postulé en hypothèse de recherche. En
effet, la recherche d’information peut certes s’adresser à la chaîne, mais les usagers
peuvent tout aussi bien espérer recevoir une réponse des autres téléspectateurs. Ils se sont
dans ce cas rendus sur la page Facebook officielle d’UDPP car c’est cette page qui est la
plus active, la plus likée également, et qu’elle ne nécessite pas d’inscription préalable,
contrairement aux forums de discussion par exemple. De ce fait, il est possible que le
caractère officiel sous-entendant une gestion directe par la chaîne et donc un média social
au plus près de la source en elle-même, n’influence pas tant que le caractère actif de la
page, l’aspect – sous une certaine mesure – anonyme ou du moins non lié à une véritable
communauté, l’aspect pratique (il n’y a pas d’inscription nécessaire pour participer à la
page, il suffit de la liker) d’une page Facebook, ou encore, et nous le verrons sans tarder, le
contenu même de l’émission. En ce sens, nous n’aurions pas affaire sur cette page
Facebook, à une communauté dans le sens de public restreint parmi le grand public des
émissions culinaires actuelles, que j’avais attribuée aux membres du forum
www.1dinerpresqueparfait.com suite à mes entretiens l’an passé17: « Un public est une
communauté passagère qui, cependant, a ses règles et ses rites et ne se dissout pas, quand
17 Blandin Eve-Anaelle, Enquête qualitative sur la réception des émissions culinaires actuelles. Mémoire de Master 1 en Communication, culture et Institutions, Sciences Po Lyon, Lyon, 2012
27
l’occasion de son rassemblement est passée 18». Les usagers de Facebook ayant liké cette
page ressemblent davantage à la communauté décrite par Jean-Paul Lafrance (2005): « Je
prédis que dans quelque temps, télévision et Internet s’allieront ensemble pour créer de
vastes communautés de joueurs, d’informateurs et de communicateurs19 ». Ici, les
téléspectateurs viennent rechercher des informations sur l’émission, qui pourront être
données tant par le CM que par les autres usagers Facebook, éventuellement jouer pour
gagner des instruments de cuisine, ou encore communiquer un bref avis sur l’émission, ou
un message à un candidat. Ils se rassembleraient donc en une « communauté de joueurs,
d’informateurs et de communicateurs » plutôt qu’en un public à part entière qui a sa propre
histoire et ses propres rituels20.
Un point important de cette page officielle Facebook d’UDPP est, comme j’ai pu le
montrer précédemment, les liens permanents qui sont faits par le community manager,
entre la page Facebook, l’émission en elle-même, et le site internet d’M6 consacré à
UDPP. Nous l’avons vu, chaque journée est structurée de la même façon sur la page
Facebook officielle : un post concerne le dîner qui s’est déroulé la veille au soir et un
second cible une recette réalisée par un ancien candidat d’UDPP. Dans les deux cas, le CM
ne manque pas de mettre le lien permettant de renvoyer au site d’M6 consacré à UDPP,
afin que le téléspectateur puisse avoir directement accès à la recette, détaillée, et parfois
même en vidéo. L’accent est ainsi particulièrement mis sur les recettes réalisées par les
candidats, et par la volonté donc de la chaîne de permettre aux télénautes de reproduire ce
qu’ils ont vu dans l’émission. Alors qu’il n’est, en soi, pas spécialement étonnant de voir
des thématiques culinaires être au cœur d’un média social consacré à une émission comme
UDPP, il est plus notable que ces thématiques n’émanent pas spontanément des télénautes
mais bien du CM, lui-même engagé par la chaîne. Si ces posts culinaires (« Comment
réaliser une quiche lorraine ? ») permettent surtout à la chaîne de renvoyer vers le site M6
d’UDPP, cela ne veut pas dire que les télénautes n’apprécient pas ces petits rappels de
recette. Par exemple, le post sur la quiche lorraine suscite 300 likes et 78 partages, plus que
le post concernant le repas de Norbert, et ce n’est rien comparé au post renvoyant à une
recette de coulants au chocolat qui suscite 787 likes et 259 partages. On remarque
néanmoins que, si ces posts sont vraisemblablement appréciés par les usagers de Facebook,
ils n’engendrent que fort peu de discussion puisque les commentaires sont rares (2 pour le
18 Sorlin P., cité dans Dayan Daniel, « Les mystères de la réception », Le Débat, n°71, 1992, p.2219 Lafrance Jean-Paul, « Le phénomène télénaute ou la convergence télévision/ordinateur chez les jeunes », Réseaux, n°19-130, p311-322, 2005, p32120 Dayan Daniel, « Les mystères de la réception », Le Débat, n°71, 1992
28
post sur la quiche lorraine et 14 pour les coulants au chocolat) et ils se résument à des
commentaires d’appréciation peu étayés (« slurppp »), des remerciements, ou encore une
volonté des téléspectateurs de reproduire la recette mise en ligne (« je les ferai la semaine
prochaine »).
On constate donc là encore, que c’est le CM – employé par M6 et mettant donc en place
les stratégies de la chaîne - qui influence grandement l’activité de la page et l’usage qu’en
font les télénautes : il semblerait que plutôt que de rechercher une réception collective à
distance, les téléspectateurs usagers de Facebook utilisent le réseau social davantage
comme un complément pratique à leur réception (retrouver les recettes de l’émission afin
de pouvoir les reproduire, obtenir des informations sur l’émission, etc).
Pour terminer l’analyse de l’impact du caractère officiel de cette page, il est
nécessaire de faire un tour d’horizon des autres pages Facebook dédiées à UDPP.
Afin de prendre conscience de l’influence (ou non) du caractère officiel de la page
Facebook, j’ai effectué une veille exploratoire des autres pages Facebook consacrées à
l’émission culinaire. Premier point d’étonnement, celles-ci n’étaient guère nombreuses
(moins d’une dizaine), je reviendrai ici sur seulement quatre d’entre elles.
Page Facebook « Un dîner presque parfait, le forum non officiel »
Cette page Facebook est associée au forum non officiel d’UDPP
(www.1dinerpresqueparfait.com) qui sera au cœur de mon analyse dans les deux autres
parties de mon étude. Elle n’est likée que par 48 personnes (contre 317000 pour la page
officielle) et les posts ne sont pas particulièrement commentés. Généralement le CM (on
peut penser qu’il s’agit également de l’administrateur du forum non officiel, Fabrice)
questionne les télénautes afin que ceux-ci expriment leur avis sur le dîner (ces extraits ne
sont pas issus de la semaine d’émission suivie sur le reste de ma veille analytique
puisqu’aucun post n’a été mis en ligne à ce moment-là) : « Cindy Lopes a fait un dîner
geisha. Ce dîner vous a-t-il séduit ? », et surtout, invite les télénautes à venir s’exprimer
sur le forum : « Vous avez loupé le dîner de Stéphanie ? Ne loupez pas les commentaires
des membres du forum ! ». De plus, à chaque post un lien renvoyant au forum est joint. On
retrouve donc en fait, le même type de post sur cette page liée au forum non officiel que
sur la page Facebook officielle gérée par M6 : les avis des télénautes sont certes parfois
demandés, mais les posts renvoient surtout toujours à un autre site (le forum non officiel ou
le site de M6 consacré à UDPP) grâce à un lien hypertexte. On est donc davantage dans
29
une promotion d’une autre plateforme virtuelle que dans la volonté réelle de créer une
réception collective virtuelle sur ce réseau social.
D’ailleurs, les téléspectateurs ne commentent pas les publications. Une différence par
rapport à la page officielle est cependant à noter : la modération est plus souple puisque sur
cette page, les télénautes peuvent s’exprimer librement sur le mur, sans être obligés de
répondre à un post en particulier. Ces posts spontanés de téléspectateurs restent rares mais
concernent généralement certains aspects de l’émission : « pq certain candidat donne des
notes basses pour gagner ? ». Le CM prend soin de répondre à chacun de ces posts
spontanés qui peuvent d’ailleurs entraîner une courte discussion autour de ces aspects de
l’émission et de son évolution générale.
Page Facebook « Un dîner presque parfait – Entreprise locale »
Cette page est likée par 323 personnes, son but y est indiqué dans le premier post (qui date
de 2008) de la CM qui semble être une fervente téléspectatrice de l’émission : « Pour tous
ceux qui regardent tous les soirs où qui l’enregistre parce que ça donne un max d’idées ».
Cette brève présentation est source d’interrogations : est-ce une page pour rassembler des
fans de l’émission et en discuter ensemble ? Est-ce davantage pour partager des idées
culinaires ?
Ces interrogations resteront sans réponse car l’activité de cette page est très réduite, on ne
trouve qu’un seul post en 2008 de la CM remerciant les personnes ayant liké sa page
(« Merci à tous ceux qui sont devenu fan, je connais mon heure de gloire ! Guillemette »)
et un post datant du 3 juin dont le lien avec la thématique de la page reste difficile à
cerner : « saluuuuuut les friends ! love ca va mes cœurs jvous aime vous me manquez ». Si
l’on pouvait donc s’attendre à une page Facebook permettant davantage de créer un public
à part entière parmi les téléspectateurs de l’émission, ce n’est en tout cas pas le résultat
visible.
Page Facebook « Un dîner presque parfait – Musicien Groupe »
Cette page est likée par 5368 personnes et s’il y a un peu d’activité, celle-ci reste très
limitée. On note seulement quelques posts depuis 2008 tels que : « Bonsoir, c’est quoi ce
cirque de passer cette émission à 16h ? Ca va durer longtemps ? On bosse à cette
heure », « Haicha critike bien martine alor ke ca a l air bn on vera si haicha sera mieu
jvai bien critiker con el a fait », « Vous êtes fan de TOP CHEF, l'émission culinaire de la
chaîne M6 ? J'ai eu le grand plaisir d'interviewer une des candidates, Stéphanie : une
30
femme chef épatante. Elle se livre en exclusivité pour le CyberMag et nous raconte son
parcours... Découvrez l'interview exclusive ! ».
Les posts sont donc assez décousus et ne suscitent de plus, que peu voire pas du tout de
commentaires. Par ailleurs, il ne semble pas y avoir véritablement de community manager
sur cette page, les télespectateurs viennent s’exprimer librement, que ce soit pour des
réclamations, des opinions, ou encore la promotion de pages personnelles ou le partage de
liens.
Page Facebook « Pierre Jennifer ‘Un dîner presque parfait’ »
Il y a finalement peu de pages Un dîner presque parfait créées par des téléspectateurs
fidèles de l’émission. La plupart des likes sont destinés à la page mise en place par M6, on
a ensuite une ou deux pages « concurrentes », vues précédemment, mais très peu
alimentées et actives.
On trouve par contre quelques pages consacrées aux candidats. Cela peut être une initiative
de fan mais c’est assez rare, contrairement à Top Chef par exemple. Cela s’explique
probablement par le fait qu’en une semaine de compétition, les téléspectateurs n’ont pas
véritablement le temps de s’attacher aux candidats et la dimension fanatique n’a donc pas
le temps de naître.
Une page de candidat a été créée par la candidate elle-même, ayant participé à UDPP
diffusé en mars 2013. La page a été likée par 286 personnes et sa fonction est précisée dès
le premier post : « Voilà une page sur laquelle je publierai tous les événement en lien avec
l’émission ».
C’est principalement la CM, et donc la candidate, qui s’exprime sur cette page. Elle a tout
d’abord partagé de multiples photographies du tournage de l’émission ainsi que des articles
de presse à ce sujet. Les posts ne sont pas forcément beaucoup commentés mais néanmoins
assez largement likés puisqu’on est à une moyenne de 10 likes par photographie et
certaines dépassent les 30 voire 60 likes.
La candidate en profite également pour transmettre des remerciements : « Je voulais dire
un "grand MERCi" a tous ceux qui me soutiennent! Parents, famille, amis, anonymes!
Votre soutient et vos commentaires gentils et bienveillants sont très précieux et j'espère ne
pas vous décevoir! ». C’est à ce post que répondent le plus les usagers ayant liké la page :
« Tu es vraiment unique, jte kiff !!! », « Tu rigole tu gère sista !!! Et le pire c’est que tu
reste toi-même ».
La candidate continue à alimenter le mur même après sa prestation sur M6, mettant de
31
nombreuses photographies de ses réalisations culinaires. Elle annonce également
l’ouverture de son restaurant.
Certains télénautes fidèles à l’émission sont également venus sur la page directement pour
lui adresser leurs félicitations : « Vous nous avez fait passé une excellente semaine, bravo
pour votre repas, je vais refaire votre entrée. L’ambiance était bonne ça change des
semaines précédentes ». Néanmoins la majorité des posts de félicitations vient de proches :
« ta gere grave jeni ce soir on edt reste fixe devant la tele sa fait bizar de tz voir a la
tele !! », « Je suis fan de toi meuf !!! ton menu c’est de la boulette et ça fait plaisir
de revoir ta tête vraiment gros bisou ».
Cette page Facebook s’éloigne donc d’une page Facebook réunissant des téléspectateurs
voire un groupe de fans d’UDPP, il s’agit davantage de la page d’une personnalité dont le
but est de faire connaître son activité à son public.
Ces différentes pages non officielles Facebook consacrées à UDPP permettent donc
de faire ressortir la primauté de la page officielle : c’est incontestablement la plus likée, et
surtout la plus active.
On note par contre que le caractère non officiel de ces différentes pages n’entraine pas
d’échange plus marqué entre les téléspectateurs qui laisserait penser à une réception
collective à distance, et ce malgré une modération plus souple et donc une plus grande
liberté d’expression des usagers de Facebook venant sur ces pages. On remarque même
une similitude entre la page Facebook officielle gérée par M6 et la page Facebook reliée au
forum non officiel www.1dinerpresqueparfait.com : les deux pages servent en grande partie
à renvoyer vers une autre plateforme virtuelle. A ce stade de l’analyse, il semblerait donc
que Facebook soit effectivement une plateforme virtuelle utilisée par les télénautes
d’UDPP pour une recherche de « bonus » de l’émission ou de complément pratique à la
réception, et que si le caractère officiel influe probablement sur l’activité de la page (un
CM est payé pour l’alimenter) et sur le nombre de personnes y participant, il n’impacte pas
le type d’échange et de réception online que l’on peut y trouver.
c) L’impact du contenu télévisuel sur la réception online
Je me suis jusqu’alors surtout intéressée à la structure et l’influence des posts du
CM ainsi qu’à la forme des commentaires, en relation avec le caractère officiel de la page
Facebook d’UDPP créée et gérée par M6 (plus précisément par le groupe M6 Publicité
32
Digital). Néanmoins, les éléments liés à la forme du réseau social ne peuvent pas suffire à
eux-seuls pour analyser la réception online des usagers de Facebook également
téléspectateurs d’UDPP, il convient par ailleurs de lier les commentaires au contenu de
l’émission télévisée.
Au cours de mon étude sur la réception des émissions culinaires actuelles, j’avais pu
souligner un certain nombre d’éléments de ces programmes télévisés, souvent mis en avant
par les téléspectateurs que j’avais interrogés21. Ainsi, j’avais remarqué que la dimension
culinaire était, sans étonnement, au cœur des discours des téléspectateurs : tant pour le
plaisir des yeux, l’envie d’apprendre, ou encore d’avoir l’eau à la bouche. De plus, les
candidats représentaient un attrait essentiel pour les téléspectateurs : entre attachement,
jugement lié à l’aspect compétitif de l’émission, et importance de la personnalité des
candidats permettant une émission avant tout divertissante, le casting des émissions
culinaire avait un véritable impact sur le plaisir que les téléspectateurs éprouvaient en
regardant leur programme télévisé. J’ai donc cherché à savoir, à travers la veille qualitative
que j’ai menée pour cette étude, si ces mêmes caractéristiques de l’émission ressortaient
dans la réception online des téléspectateurs et si elle avait un impact sur leur usage de la
Social TV.
Tout d’abord, la dimension culinaire est effectivement ressortie de mon analyse
de veille.
Rappelons en premier lieu le sondage mis en ligne le 6 juin, qui indiquait que les télénautes
souhaitaient avant tout pouvoir trouver des recettes – les plus détaillées possibles - sur la
page Facebook de l’émission, renforçant ainsi la dimension culinaire de cette émission qui
ne représente pourtant qu’un tiers de la notation sur laquelle est basée chaque semaine de
compétition d’hôtes.
Ensuite, les téléspectateurs se font souvent critiques culinaires afin de juger de la qualité du
repas servi, n’hésitant pas à faire part aux autres télénautes de leurs connaissances en
cuisine : « pour info : la recette de la Poutine est un plat qui a été inventé par les étudiants
quebecois. Ce sont des frites, recouvertent de fromage fondu (cheddar), puis de sauce
barbecue ! Ecclésiate... comment dire … un extra terrestre !!! ».
Ils discutent également les recettes que le CM met en lien avec son post sur l’émission du
soir, demandant des précisions ou critiquant le manque de détail de certaines recettes :
« super son repas !! mais combien d’œufs et de chocolat pour la mousse ? », « son repas
21 Blandin Eve-Anaelle, Enquête qualitative sur la réception des émissions culinaires actuelles. Mémoire de Master 1 en Communication, culture et Institutions, Sciences Po Lyon, Lyon, 2012.
33
super, mais en ce qui concerne sa recette de carré d’agneau, une cuisson n’est pas une
recette ». Ces commentaires confirment d’ailleurs que les téléspectateurs prêtent une
attention particulière à ces éléments donnés en complément par la chaîne – ils viennent ici
pour récupérer ce qu’ils n’ont pas eu le temps ou n’ont pas souhaité noter pendant la
diffusion de l’émission, c’est-à-dire la recette et la technique réaliser un plat préparé par un
candidat. De plus, on constate que ces téléspectateurs regardent également l’émission pour
en tirer un apprentissage culinaire ou pour que celle-ci soit une source d’idées pour leurs
prochaines réalisations en cuisine puisque dès le lendemain de la diffusion ils souhaitent
avoir des précisions sur les recettes.
Ces usagers de la Social TV se mettent parfois dans la peau des invités du dîner, et jugent
alors les plats non seulement en fonction de leurs goûts : « sans plus, l’oignon pas trop ma
came », mais également comme s’ils avaient eux-mêmes dégusté les plats : « très bon
repas ».
On trouve bien souvent de courts commentaires, par lesquels les téléspectateurs
viennent simplement donner un sentiment d’appréciation, qui pourrait presque
correspondre à un simple like de post : « rhooo oui », « yes trop bien », « oh yes yes yes ».
Ces commentaires, qui traduisent donc un ressenti plutôt qu’un avis véritablement
argumenté entraînant une discussion plus large, ne sont pas sans rappeler ce que Peter
Larsen (2010) évoque dans son article consacré aux internautes venant s’exprimer sur un
site consacré à la série TV Grey’s anatomy. En effet, Peter Larsen (2010) souligne que
parmi ce que l’on peut lire dans les discussions des internautes, il n’est pas rare de trouver
des messages rapides et n’engageant pas véritablement à la discussion, mais par lesquels
les internautes souhaitent simplement exprimer un plaisir ou une déception suite à la
diffusion du dernier épisode.
La personnalité des candidats a aussi toute son importance dans la réception
online des téléspectateurs d’UDPP.
Le candidat Norbert – candidat révélé dans Top Chef, particulièrement charismatique car
doté d’un franc parlé et d’une certaine vulgarité assez inhabituels chez des candidats
d’émissions culinaires aussi professionnelles que Top Chef – est ainsi à l’origine de
nombreuses remarques de la part des téléspectateurs, sa personnalité pouvant parfois
susciter l’envie de regarder l’émission : « ahh faut pas que je loupe je kiff Nobert », ou au
contraire agacer : « un top chef au top de la vulgarité », « Norbert un peu pénible ».
34
D’ailleurs, le caractère de certains candidats laisse songeurs certains téléspectateurs qui se
projettent alors à la place des autres invités : « je me suis éclaté, mais j’aurais pas mangé
chez lui », « moi j’irais bien manger chez lui avec Norbert juste pour rire un bon coup ».
Enfin, même pour une émission comme UDPP dans laquelle les téléspectateurs ne suivent
les candidats que pendant une semaine, un attachement peut déjà avoir lieu et les usagers
de la Social TV n’hésitent pas à se servir de Facebook comme support pour défendre un
candidat plutôt qu’un autre : « je préfère voir un ecclésiate qui ne sais pas cuisiner et fait ce qu'il
peut (même si c'est un canular) que ces espèces de proutprout m'a tu vu avec leurs grande baraque
qui en foute plein la vue et se la pète ». Mais je souhaite justement m’arrêter un instant sur ces
commentaires de défense des candidats car ceux-ci montrent combien le contenu télévisuel
influence la réception online des télénautes, et permet également de voir s’affronter des visions et
des attentes différentes de cette émission télévisée.
Dans son article consacré à la réception online des téléspectateurs de Grey’s
anatomy, Peter Larsen (2010) note que les internautes « write primarily about the latest
episode, the twists and turns of the narrative, the reactions of the fictional characters, but
in some cases they engage in more open discussions of the show in general or of certain
recurring themes 22». Nous verrons tout au long de ce mémoire que l’on retrouve le même
processus chez les télénautes d’UDPP.
Voici donc tout d’abord comment cela se caractérise sur la page Facebook officielle de
l’émission.
Si les thématiques récurrentes de l’émission reviennent tant dans une réception
« réelle » que dans la réception online des usagers de Facebook, on constate que ces
simples commentaires prennent davantage la tournure d’une conversation orientée sur
le jugement de l’émission en général et de son évolution. Ce tournant est impulsé par
le contenu télévisuel. En effet, au cours de cette semaine d’UDPP, deux « péripéties » ou
caractéristiques de cette semaine d’émission vont particulièrement influencer les discours
des téléspectateurs sur la toile.
Tout d’abord, alors même que l’émission est définie comme une compétition culinaire
entre des amateurs, l’un des candidats de la semaine à laquelle je me suis intéressée,
Ecclésiaste, s’est révélé être un piètre cuisinier, enchaînant bourde sur bourde, et proposant
un repas dont la qualité gustative, technique, et visuelle, frôlait vraisemblablement le
22 Larsen Peter, « The grey area. A rough Guide : television fans, internet forums, and the cultural public sphere » dans Relocating Television : television in the digital context, Edition Jostein Gripsrud, Routledge, Londres, 2010, p160.
35
ridicule. Cependant, ce candidat avait également la particularité d’être particulièrement
bon-vivant, préférant rire de sa médiocrité plutôt que d’en faire une source d’angoisse. Sa
chaleureuse personnalité et sa facilité à rire de ses erreurs furent communicatives,
puisqu’au final tous les invités se sont perdus en éclats de rire et moqueries amicales,
donnant le sentiment d’une soirée plus qu’agréable.
Dans un second temps, c’est le résultat final qui fut inhabituel. En effet, deux candidates
(Laury et Odile) sont arrivées à égalité, remportant donc toutes deux le titre de « meilleur
hôte de la semaine ». Cette situation est certes rare mais elle ne prêterait pas en elle-même
à un véritable débat, alors que c’est pourtant ce qui s’est passé sur les plateformes
d’échange consacrées à l’émission. Les deux candidates, si elles ont toutes deux présenté
un repas apprécié pour sa technique, son originalité, et sa saveur, tant par les invités que
par les télénautes – du moins autant qu’ils pouvaient en juger depuis leur poste de
télévision -, n’avaient pas du tout le même comportement. Laury se montrait beaucoup
plus critique qu’Odile à l’encontre des autres repas et candidats de la semaine, et s’était de
plus fait aider par son père pour ses préparations culinaires. Au contraire, Odile semblait
beaucoup plus habituée à cuisiner des repas travaillés, et si elle semblait assez sûre d’elle
au premier dîner, son comportement s’est considérablement adouci au court des autres
dîners, la rendant au final humble et particulièrement sympathique.
Si la seconde péripétie a davantage fait l’objet de débats sur les forums de
discussion, la première – la soirée d’Ecclésiaste - a nettement influencé les discours des
téléspectateurs sur Facebook.
Elle fut d’abord révélatrice de ce pour quoi beaucoup de téléspectateurs usagers de
Facebook semblent regarder l’émission. UDPP est, comme j’avais pu le démontrer lors de
ma précédente étude, un programme de TV réalité où la dimension de divertissement est
particulièrement importante. Une des téléspectatrices avec qui je m’étais entretenue,
Andréa, m’expliquait ainsi que ce qui lui plaisait le plus dans UDPP était « de voir
comment des gens qui ne se connaissent pas du tout, à la fin de la semaine, peuvent se lier
d’amitié ». De même Fabrice, l’administrateur du forum non officiel
www.1dinerpresqueparfait.com , pourtant passionné de cuisine, me confiait alors que je lui
demandais ce qui lui plaisait le plus dans les émissions culinaires : « et puis c’est un peu le
côté TV réalité hein, faut pas se leurrer, voilà c’est voir des personnes, essayer de voir
comment elles se comportent ». Et Daniel de conclure « la TV réalité c’est un inconvénient,
mais c’est aussi parfois un avantage, parfois c’est rigolo ». Ce côté « rigolo » d’UDPP est
incontestablement quelque chose d’également recherché par les téléspectateurs s’exprimant
36
sur Facebook : ils regardent la télévision avant tout pour se divertir, et en cela, le dîner
d’Ecclésiaste a parfaitement répondu à leurs attentes, comme ces commentaires en
témoignent : « j'ai bien rigolé !!! des crevettes au desser ??? ca avait l'air d'un canular !!!!
mais c'était drôle ! », « c'était trop drôle ! », « MDR !!! Excelland, grandiose ! », « nous
étions pliés de rire !! c'était ouf, canular ou pas, on n'a pas zappé : c'était un moment
anthologique de m6 ! ». C’est d’ailleurs ce type de commentaires, soulignant le plaisir d’un
moment télévisuel divertissant avant tout, qui prime parmi les commentaires répondant au
post du CM concernant le repas d’Ecclésiaste.
Néanmoins, si le divertissement offert pendant ce dîner a su séduire les téléspectateurs
usagers de Facebook, il a également pu éveiller leurs soupçons : certes l’ambiance du dîner
est l’une des composantes d’UDPP, mais un candidat misant à ce point sur l’ambiance et
bien incapable de cuisiner, ne serait-ce pas un peu louche ? En effet, ce dîner pour le
moins inhabituel est à l’origine d’une véritable discussion se transformant en enquête
chez les usagers de la Social TV. Beaucoup d’entre eux cherchent à mettre à jour les
rouages de l’émission, les éventuelles mises en scène qui se cachent derrière ce qui leur
est montré. C’est là une caractéristique que j’avais également déjà mis en avant en étudiant
la réception des émissions culinaires actuelles, et qui s’affirme chez les téléspectateurs
venant s’exprimer sur la toile, alors même que le contenu télévisuel les y encourage :
« émission de plus en plus trafiquée ». Cette caractéristique – contrairement à celle du
divertissement avant tout – est même créatrice de quelques échanges plutôt qu’à de simples
avis sans suite : « oui je pense aussi que l’émission est fabriquée avec des trublions et hier
c’était vraiment limite », « soyez pas mauvaises langues, c’était drole même si c’est
‘trafiqué’ j’ai passé un bon moment ». Les usagers de Facebook vont même jusqu’à
réfléchir ensemble aux indices qui pourraient révéler la supercherie (c’est-à-dire le fait
qu’Ecclésiaste soit en fait un acteur engagé par la chaîne) : « le batiment où il demeurait ça
se trouve ou ? Et quel origine » donne lieu à la réponse d’un autre télénaute « du même
avis qu’angélique, de toute évidence cet appart n’était pas le sien ». On se rapproche donc
plus, grâce au contenu télévisuel, d’une réception collective a posteriori prenant la forme
d’une analyse de l’émission, chaque télénaute permettant d’étayer un peu l’analyse en
faisant part des indices qu’il a pu repérer.
Si ces téléspectateurs usagers de la Social TV peuvent facilement se prêter au jeu du
téléspectateur expert et certainement pas dupe des rouages de la production, cet inhabituel
dîner est également à l’origine de vives critiques envers l’émission en elle-même, certains
téléspectateurs voyant là l’exemple même d’une émission culinaire ayant pris un tournant
37
burlesque qui leur déplait fortement : « c'était abusé … La prod M6 se moque du monde .. et
avant j'aimais bien cette émission. Je trouve ça pourri... » (à noter qu’ici, l’usager rejette la faute
sur M6, se sentant presque trahi par la chaîne en étant ainsi pris pour un simple amateur de
divertissement à tendance burlesque), « maintenant chaque semaine ya limite un neuneu dans
l'émission si c pas que des prouts prouts, je loupais pas d'émission AVNT mais maintenant ça me
dérange pas de pas les regarder ». Les téléspectateurs se servent donc du dîner d’Ecclésiaste pour
argumenter leur point de vue quant à l’évolution d’UDPP : il semblerait que le casting soit de plus
en plus recherché pour que les candidats soient « originaux », perdant ainsi la simplicité, la
proximité et le réalisme qu’offrait l’émission à ses débuts. Ce constat mène alors à une réflexion
sur les candidats d’UDPP en général, chacun défendant tant un candidat que sa propre vision de
l’émission, ce qu’il en attend : « je préfère voir un ecclésiate qui ne sais pas cuisiner et fait ce qu'il
peut (même si c'est un canular) que ces espèces de proutprout m'a tu vu avec leurs grande baraque
qui en foute plein la vue et se la pète » (21 likes), « même si c'est du n'importe quoi ça change des
soirs où il y a des personnes hyper méchantes » (4 likes), « au moins ça change des critiques plus
ou moins méchantes des candidats à peine polis qui laissent leur assiette parce que un peu trop
salée » (10 likes). Ces commentaires, clairement liés au contenu télévisuel, révèlent deux choses :
- Tout d’abord, la personnalité chaleureuse du candidat l’emporte sur ses compétences culinaires
car elle permet au téléspectateur de passer un bon moment devant son poste de télévision ;
- L’attachant Ecclésiaste permet de contraster avec certains aspects récurrents de l’émission qui
déplaisent à ces téléspectateurs : les candidats sont, semblent dire ces télénautes, souvent là pour
gagner avant tout et n’hésitent alors pas à faire exprès d’être particulièrement difficiles à satisfaire.
Mais si ces commentaires sont largement likés, d’autres réfutent ce point de vue et n’hésitent pas
exprimer leur agacement de voir une émission culinaire telle qu’UDPP ne plus se centrer sur la
cuisine. Ces inconditionnels de la belle cuisine ne sont pas majoritaires parmi les usagers de
Facebook et ils ne peuvent que difficilement l’ignorer puisque les échanges s’enveniment
rapidement entre ces téléspectateurs aux attentes différentes d’une émission de TV réalité
culinaire : « un jeune homme avec un beau naturel, comme on aimerait en voir un peu plus dans
cette émission. Cela change des concurrents méprisant, qui se la joue sans en avoir les
moyens......... Comme certains posteurs sur cette conversation d'ailleurs ;-) » (2 likes), « nul en
cuisine, nul en cuisine et vous que faisiez-vous à 21 ans ? Et maintenant, cuisinez-vous à la
perfection ? J'en doute fortement ! Ceux qui critiquent ou ne sont jamais content, sont ceux qui
bouffent de la merde chez eux ! ».
Ce que l’on remarque donc en analysant les commentaires liés au dîner d’Ecclésiaste,
c’est qu’il y a beaucoup plus d’échanges entre les usagers que dans ceux suivant les
posts liés aux dîners des autres candidats. En effet, si les commentaires sont tout d’abord
plus nombreux pour ce dîner en particulier, on constate également que les usagers
38
Facebook se lisent beaucoup plus les uns les autres : en témoignent les réponses
nominatives dont quelques commentaires prennent la forme, et le fait que les
commentaires soient souvent likés par plusieurs autres téléspectateurs. Il semble même
qu’une conversation parvienne à se mettre en place afin de construire une réflexion
commune et mettre à jour les rouages de la production, ce qui n’est pas sans rappeler –
bien qu’à un niveau plus faible, le format du réseau social ne permettant guère d’envolées
lyriques dans les commentaires - ce que Peter Larsen écrit à propos des télénautes venant
discuter de Grey’s anatomy sur la toile : « by writing in these spaces viewers try to develop
an understanding of certain ambiguous events or characters in the narrative universe. In
many cases they explicitly call on other participants to help them, and the threads often
develop into long discussions of textual details 23».
Ce que l’on apprend également grâce à la veille qualitative de ce réseau social pendant
cette semaine d’émission, c’est que le contenu télévisuel peut être à l’origine d’un
affrontement entre les usagers de la Social TV ; non seulement lorsque les préférences
entre les candidats se font entendre, mais aussi et surtout lorsque ce sont des visions et des
attentes de l’émission qui s’exposent et s’opposent. Alors même que les télénautes de
Grey’s anatomy ne vont pas hésiter à critiquer le manque de réalisme de la série, une
caractéristique et surtout une attente essentielle pour eux dans cette série24, les
téléspectateurs d’UDPP usagers de la Social TV vont eux s’avouer déçus voire agacés que
la cuisine ne soit plus la dominante de cette émission, ou vont au contraire apprécier que
l’ambiance des dîners prime sur la qualité du repas, leur permettant alors de passer un
moment télévisuel divertissant. C’est d’ailleurs le fait même que des visions opposées de
l’émission se rencontrent qui explique que les échanges prennent davantage la forme d’une
discussion, et en particulier d’une discussion animée allant parfois jusqu’à s’envenimer un
peu.
A travers la réception online des téléspectateurs usagers de Facebook, on retrouve
bien ce que le rapport France Télécom sur « l’entrelacement des médias dans la
constitution des publics de Loft Story » soulignait : « Internet s’avère être un dispositif idéal
puisqu’il est à la fois support de conversations et ressource d’information 25». On constate sur le
réseau social qu’est Facebook que de prime abord, l’usage que font les téléspectateurs de ce média
23 Larsen Peter, Ibid., p.16124 Larsen Peter, Ibid.25 Beaudouin Valérie, Beauvisage Thomas, Cardon Dominique, Velkovska Julia, L’entrelacement des médias dans la constitution des publics de Loft Story, Rapport France Telecom R&D, 2003, p.30
39
social est pratique : ils viennent chercher un complément pratique à leur réception comme des
recettes de cuisine ou des informations sur l’émission – ce à quoi répond parfaitement la page
officielle d’UDPP. Mais lorsque l’émission prend un tournant inhabituel, que des candidat se
distinguent et provoquent chez les téléspectateurs des réactions très différents, le réseau social fait
ressortir les visions et les attentes que chacun lie à l’émission, et devient alors le support de
conversations, pouvant aller de l’enquête, à l’analyse de l’évolution du programme télévisé, en
passant par la défense de la primauté de certaines valeurs liées à la qualité d’un hôte participant à
UDPP.
2) La réception online des usagers de Twitter
a) L’importance de la structure du réseau social
Analyser la réception online des téléspectateurs d’UDPP sur Twitter, c’était avant tout considérer
la structure de ce réseau social, bien différent de Facebook.
Comme je l’ai expliqué en introduction, trouver des traces des expressions des usagers de
Twitter, téléspectateurs d’UDPP ne fut pas chose aisée. Twitter est ce que je qualifierais de réseau
social « de l’instant », il permet à des internautes d’exprimer une pensée, un sentiment, une action,
à un moment donné. L’usager de Twitter ne va pas décider de faire partie d’une communauté
d’internautes comme pour affirmer une caractéristique personnelle, s’insérer dans un groupe de
fans ou de personnes ayant le même hobby, au contraire d’internautes s’intégrant à des « groupes
Facebook », « likant des pages Facebook » dédiées à leurs goûts ou loisirs, ou encore en
s’inscrivant sur des forums de fans, par l’intermédiaire desquels ils marquent ainsi un trait
personnel constitutif de leur personnalité. Avec Twitter, les internautes affirment également un
trait personnel, un goût, ou une pratique plus ou moins habituelle, mais seulement à un
instant T, et individuellement. Ils ne vont pas s’exprimer sur un groupe préalablement construit, ils
s’expriment d’eux-mêmes, sur leur propre fil Twitter, puis associent cela à un hashtag, permettant,
seulement à ce moment-là, de les associer à une communauté plus large.
Dès lors, il s’avère plus difficile de trouver une plateforme commune où tous les commentaires – et
dans ce cas, les tweets – des téléspectateurs d’UDPP sont rassemblés, afin de les analyser. J’ai
commencé, sans doute un peu naïvement, par le fil Twitter officiel d’UDPP, pensant que de la
même façon que sur Facebook je pourrais retrouver tant les tweets issus du CM de M6 que ceux
des téléspectateurs ; je n’ai trouvé que la moitié que ce que j’attendais. Sur le fil Twitter officiel
d’UDPP, on retrouve bien les tweets du CM de M6. Après avoir analysé la page Facebook
officielle de l’émission, on ne peut d’ailleurs que noter un certain manque d’originalité dans les
tweets puisque ceux-ci sont en fait les mêmes que les posts du CM de la page Facebook d’UDPP,
tant dans la forme que dans le fond. On retrouve également deux tweets par jour en règle générale :
40
l’un relié au repas diffusé la veille, l’autre mettant davantage en avant une recette de cuisine, et au
gré des envies du CM – ou plus probablement de ce qui a été décidé lors de la réunion
hebdomadaire du service communication de M6 Publicité Digital – une recette supplémentaire
(« Découvrez notre délicieuse recette des tuiles aux amandes et nos astuces pour qu’elles soient
croustillantes ! ») ou un jeu permettant de gagner des ustensiles de cuisine ou des produits
culinaires d’exception («Un dîner presque parfait vous propose de gagner du caviar ! N’hésitez
plus et tentez votre chance ! ») . On retrouve également un lien hypertexte à chaque tweet. De
prime abord on s’attendrait à être renvoyé, de la même façon que sur Facebook, au site de M6
dédié à UDPP, mais cette fois c’est à la page Facebook que nous sommes renvoyés, et plus
précisément au post du CM sur le même sujet :
On a donc pour cette émission télévisée, un véritable cheminement entre les différentes
plateformes virtuelles : Twitter renvoyant à Facebook, lui-même renvoyant au site M6 dédié
à UDPP.
Sur ce fil Twitter officiel, aucune expression de téléspectateur n’est visible, seul le community
manager s’exprime, si bien qu’il n’est possible ni de parler d’une réception collective par
l’intermédiaire de ce fil Twitter, ni même d’un complément à la réception du téléspectateur puisque
rien ne nous permet de préciser la façon dont les téléspectateurs usagers de la Social TV conçoivent
41
et utilisent ce fil Twitter. Pour en savoir un peu plus sur les téléspectateurs d’UDPP également
usagers de Twitter, il me fallait donc trouver une autre solution.
C’est en fait en recherchant un hashtag commun que j’ai pu retrouver les usagers de Twitter
se plaisant à commenter sur la toile l’émission UDPP. J’ai donc réalisé une veille sur deux
hashtags : #UDPP et #Undînerpresqueparfait. En regroupant tous les tweets des usagers de Twitter
tagués de l’un de ces hashtags, on trouve tant de télénautes donnant un avis sur l’émission et le
repas qui est en train de se dérouler, que d’usagers de Twitter se servant de ce hashtag (qui prend
alors la forme d’un code à une référence télévisuelle partagée) pour illustrer une soirée entre amis
qu’ils ont personnellement réalisée et qui n’a donc pas de rapport avec ce qui est diffusé à la
télévision à ce moment-là. Le problème de cette recherche via un les hashtags #UDPP et
#Undînerpresqueparfait était par contre que je ne pouvais pas retrouver trace de ce qui s’était dit
sur la semaine d’UDPP sur laquelle j’ai basé le reste de ma veille. En effet, il semblerait que sur
Twitter, les tweets des usagers ne sont pas gardés lorsque l’on suit simplement un hashtag
commun : on passe de juin 2013 à décembre 2012 dans les dates des tweets rassemblés par ce
hashtag. D’ailleurs, même les tweets les plus récents ne sont pas conservés très longtemps : quand
on regarde sur les épisodes précédents, que très peu de tweets apparaissent, alors même qu’en
observant les tweets au moment où l’émission est diffusée, ceux-ci sont assez nombreux. On ne
peut retrouver des tweets d’usagers qu’en suivant leur fil twitter personnel, ce qui n’était pas
réalisable puisque je ne m’intéressais pas à des téléspectateurs en particulier mais bien au public
d’UDPP sur Twitter. J’ai donc décidé de faire une veille des usagers de Twitter téléspectateurs
d’UDPP, au moment de la diffusion de quelques émissions, puisque c’est uniquement à ce
moment-là qu’il était possible de lire les télénautes d’UDPP.
Ces complications méthodologiques sont néanmoins source d’apprentissage. Le rédacteur
en chef du site « La Tv connectée », Laurent Amar (2012), explique : « On constate sur les réseaux
sociaux comme Facebook et Twitter que la recommandation est un puissant levier pour
populariser des programmes. De même, le phénomène du « double screening » a émergé ces
derniers temps avec des téléspectateurs qui regardent une émission et commentent sur leur tablette
via Twitter 26».
Pour ce qui est de la première partie de cette citation, concernant la recommandation comme
« levier pour populariser des programmes », il m’est jusque-là difficile d’en juger. J’ai pu noter
jusqu’à présent que cette recommandation existait sur Facebook, mais avant tout issue du CM qui
se sert donc des réseaux sociaux pour populariser l’émission en insistant sur les éléments forts de la
semaine à venir (en l’occurrence pour la semaine à laquelle je me suis intéressée, la présence de
Norbert Tarayre), les téléspectateurs eux ne semblaient pas venir sur une quelconque page
Facebook UDPP pour recommander l’émission. Cela paraît néanmoins logique, là encore compte
26 Amar Laurent, cité dans un billet du blog http://www.leblogducommunicant2-0.com/2012/06/06/lecran-tv-se-connecte-au-social-les-telespectateurs-aussi/ rédigé par Cimelière Olivier, 2012
42
tenue de la structure de la média social qu’est Facebook : ma veille ne me permettait que de
retrouver les expressions de téléspectateurs faisant la démarche de liker une page Facebook
rattachée à l’émission et donc de s’engager ainsi dans une communauté de téléspectateurs parmi les
usagers du réseau social – ils n’allaient dès lors pas recommander une émission à un public qu’ils
savaient déjà conquis puisqu’également présent sur cette page. Par ailleurs, il m’était impossible de
savoir si des usagers recommandaient spontanément à leur « amis Facebook » l’émission, n’étant
pas moi-même « amie » avec chacun d’entre eux. En ce qui concerne la recommandation sur
Twitter, elle fait partie de mon hypothèse de recherche pour ce réseau social mais je m’attacherai à
la questionner sous peu, lorsque j’aborderai les tweets dans leur contenu et non plus seulement la
structure du réseau social.
Mes complications méthodologiques avec la veille Twitter ont néanmoins permis de démontrer
que ce qui est propre à ce réseau social est l’expression en direct de la diffusion de l’émission,
les télénautes pratiquant alors le « double screening », qu’ils le fassent par l’intermédiaire
tablette, d’un ordinateur portable ou encore d’un smartphone. Il semble donc qu’en effet, les
usagers de Twitter s’attachent avant tout à « commenter via Twitter » de la même façon qu’ils
pourraient le faire avec une personne de leur entourage présente dans la même pièce qu’eux au
moment de la diffusion de l’émission. Nous sommes alors véritablement dans l’instant du
processus de réception du téléspectateur, et non a posteriori comme c’était majoritairement le
cas pour Facebook. Cela suppose dès lors que si le télénaute commente l’émission, il ne recherche
pas nécessairement la discussion ou l’échange avec d’autres téléspectateurs usagers de Twitter, les
tweets peuvent tout à fait prendre la forme, comme chez les télénautes de X Factor décrits par Anne
Jerslev (2010), d’ « affective performances 27». Mais pour savoir cela, il est maintenant temps
d’analyser ces tweets dans leur contenu.
b) Le statut hybride public / privé du tweet
En analysant ce que disent les téléspectateurs d’UDPP dans leurs tweets, on constate tout
d’abord qu’ils pratiquent le double screening pas tant pour recommander l’émission que pour
tout simplement dire qu’ils la regardent, en ce moment même : « sous UDPP », « UDPP
TIME », « UDPP », « nw UDPP shame », « Ils regardent tous SS7, moi je matte UDPP », « Je
regarde UDPP ». Rien qu’en regroupant ces quelques tweets, on constate qu’il y a un vocabulaire
particulier pour dire que l’on regarde une émission lorsqu’on est un usager de Twitter. Il y a tout
d’abord la version la plus académique « Je regarde UDPP », et d’autres permettant de signifier que
l’on regarde l’émission : « sous UDPP », « UDPP TIME », « UDPP ». Les usagers de Twitter
utilisent donc un vocabulaire qu’ils considèrent partagé par tous les utilisateurs du réseau social, et
on peut dès lors penser que ce réseau en particulier est en effet souvent utilisé en double screening
27 Jerslev Anne, op. cit., p.171
43
afin de dire quel programme télévisé on regarde au même moment, puisque des expressions
particulières – vraisemblablement comprises par tous les usagers - ciblent cette activité : « sous
UDPP », « UDPP TIME ».
Le fait de simplement dire que l’on regarde une émission à un moment donné – plutôt que
d’en regarder une autre ou de faire autre chose – est le premier acte révélant que l’usager de Twitter
entre en représentation – pour reprendre les concepts de Goffman (1973) 28 : le télénaute non
seulement pratique une activité, mais il la partage à un ensemble d’usagers qu’il connait ou ne
connait pas, il assume donc cette activité et l’associe probablement à des valeurs qui lui semblent
assez acceptables pour la partager. Il adopte ainsi le rôle qui est attendue dans cette « région 29»,
Twitter, c’est-à-dire de donner de manière très brève des éléments personnels de la situation dans
laquelle on se trouve dans l’instant. Par ailleurs, c’est la façon de dire à l’ensemble des usagers de
Twitter qui est le témoin de la façade que le télénaute choisi d’adopter, ce tweet en est un exemple
frappant : « nw UDPP shame ». Avec ce tweet, le télénaute ne fait pas que dire aux autres usagers
qu’il regarde à ce moment même UDPP, il présente cette activité sous le thème de l’autodérision, il
construit sa « face », c’est-à-dire une image de lui-même qu’il s’efforce de véhiculer à travers les
interactions sur ce réseau social : oui il regarde bien UDPP, une émission de TV réalité de M6,
mais le « shame » montre qu’il est conscient que pratiquer cette activité n’a rien de noble ou
d’acceptable. Il montre ainsi qu’il est conscient de la piètre qualité de cette émission de TV réalité
et qu’il s’agit donc là plus d’un moment de faiblesse que d’une activité qu’il se plait à exercer
régulièrement.
En réalité, lorsque l’on analyse les tweets des télénautes au sujet d’UDPP on retrouve très
souvent ce mécanisme de représentation, notamment dans la façon dont les usagers de Twitter
commentent l’émission : ils se révèlent particulièrement critiques, moqueurs, et donnent
l’impression d’avoir pris de la distance avec l’émission, comme s’ils regardaient ce
programme au second degré. Prenons quelques exemples de tweets afin d’approfondir cette idée.
C’est tout d’abord l’apparence des candidats qui est attaquée : « Christine du dpp, c’est le sosie de
Balasko dans gazon maudit », « Au fait question, le passionné de la Corse, c’est un homme ou une
femme ? », ou encore « Christine déguisée on dirait Depardieu dans Tenue de soirée ». Les
télénautes se montrent également particulièrement moqueurs lorsqu’il s’agit de la façon de
s’exprimer des candidats : « Les Belges ont vraiment tous cet accent là ? Sérieux ? », « ‘Je suis
contente parce qu’il m’a offer des fleurs de couleur’, oui c’est connu des fleurs sans couleur ! »,
« ‘Un peu fort simpliste’, mets toi d’accord ». Ces internautes, pourtant devant leur poste de
télévision à ce moment-là, consacrant donc du temps de leur journée à cette émission, portent un
jugement pour le moins négatif envers les candidats, leurs remarques sur le réseau social semblent
avoir pour but de tourner en ridicule l’émission qu’ils regardent et les candidats qui y participent,
28 Goffman Erving, La mise en scène de la vie quotidienne : 1. La présentation de soi, Paris, Les Editions de Minuit, 197329 Goffman Erving, Ibid.
44
mais surtout de bien montrer au reste des usagers de Twitter, et donc à leur « public 30», qu’ils
n’éprouvent de plaisir devant se programme de TV réalité que parce qu’ils optent pour une
réception au second degré. Et ce type de commentaire ne se tarit pas lorsqu’on aborde le
comportement plus général du candidat : « Elle regarde en travers de ses lunettes comme une
vieille », « Ah le mecs quelle mauvaise foi !! Le truc il est pas cuit et il fait genre « moi je l’aime
comme ça » c’est rosé !!! Mais bien-suuuur !! », « Quel bande de crétin ».
Critiquer les candidats d’une émission de TV réalité n’a rien de surprenant ou d’inhabituel,
en particulier sur des médias sociaux. Ce qui l’est plus en revanche, c’est que ce type de
commentaire constitue la majorité de ce qui est dit sur le réseau. En effet, si l’on trouve
quelques tweets plus neutres (« Que va-t-elle préparer de bon ? »), ceux-ci sont nettement plus
rares. Comment analyser cette différence alors ?
Il y a tout d’abord ce mécanisme de représentation qui semble particulièrement exacerbé sur
Twitter, sans doute plus que sur Facebook, alors même qu’il s’agit dans les deux cas de réseaux
sociaux. Et dans le mécanisme de représentation propre aux téléspectateurs s’exprimant sur Twitter,
il semblerait donc que ce soit le rôle de téléspectateur regardant les émissions de TV réalité au
second degré, pour s’en moquer, qui soit privilégié.
La différence, je l’ai déjà évoquée, réside en le fonctionnement même de Twitter : les usagers ne
vont pas s’exprimer dans un groupe ou une page de personnes réunies autour d’un même sujet, ils
écrivent depuis une plateforme individuelle –leur fil Twitter- et lient ensuite leur tweet à un hashtag
( #UDPP) permettant seulement à ce moment-là,de les insérer dans une communauté de
téléspectateurs. Dès lors, le télénaute ne s’exprime pas seulement au sein et à destination d’un
public partageant la même activité télévisuelle que lui, son tweet est à la fois personnel et
collectif, au sein de son cercle de proches (personnes suivant son fil Twitter) et du cercle de
téléspectateurs qui accompagnent également leur tweet du hashtag #UDPP. Le télénaute doit alors
gérer deux types d’interaction (virtuelle, certes), celle avec ses proches, et celle avec d’illustres
inconnus dont il ne sait qu’une chose : leur pratique télévisuelle à l’instant présent. Il ne peut donc
présenter qu’une « face » pour deux interactions données, ce qui complique considérablement la
donne : le public de la représentation des téléspectateurs sur Twitter est beaucoup plus hétérogène
que celui sur Facebok. Rappelons de plus que, comme l’explique Brigitte Le Grignou, « que l’on
ait vu ou non un programme, en parler c’est aussi affirmer qui l’on est et quelle place l’on occupe
dans l’espace social. C’est en ce sens que l’expérience télévisuelle est une expérience à la fois
individuelle et collective qui a des enjeux identitaires 31», or le téléspectateur a-t-il toujours envie
de s’affirmer en tant que tel au sein de ses proches, qui ne savaient peut-être rien de sa pratique
télévisuelle et qui, de plus, ne la partagent pas forcément ? Le téléspectateur a-t-il envie de faire
savoir à ses collègues et amis qu’en rentrant du lycée ou du travail, il aime s’installer sur son
30 Goffman Erving, Ibid.31 Le Grignou Brigitte, Du côté du public : usages et réception de la télévision, Paris, Economica, 2003, p.118
45
canapé pour regarder une émission de TV réalité grand public telle qu’UDPP ? Lors de mon étude
sur la réception des émissions culinaires actuelles, l’une des téléspectatrices que j’avais interrogées,
Maryse, m’avait confié qu’elle n’assumait pas regarder l’émission Secret story : « je me dis mon
dieu t'as trente ans et tu regardes ça, par exemple tu vois tout à l'heure je te disais 'j'ai regardé par
hasard et finalement je me suis fait avoir' donc je pense que ça retranscrit bien le fait que j'assume
pas et que quelque part la honte de regarder ça elle est là ». UDPP n’est certes pas une émission à
l’image aussi négative que Secret story puisqu’elle a su dépasser et renouveler le genre qu’est la
réalité et lui redonner un peu de légitimité32, mais le fait est que parler d’un programme télévisuel
c’est assumer faire partie du public. Or, en parler sur Twitter n’est pas la même chose qu’en parler
à une personne au cours d’une conversation, c’est l’exprimer de manière presque publique, le
reconnaître devant plusieurs dizaines de personnes, dont le jugement de certaines peut avoir plus de
valeur pour les télénautes que d’autres, c’est s’adresser à une public dont on ne contrôle pas
entièrement la composition. On peut donc penser que c’est cette caractéristique d’un tweet à la fois
public et privé, qui est à l’origine de la façade que les télénautes adoptent : le caractère ironique,
critique, distancié de la réception que ces télénautes laissent paraître à travers leurs tweets. Une
façon de montrer, peut-être qu’ils ne se prélassent pas (voire même, ne s’abrutissent pas) devant ce
programme grand public, mais qu’ils le regardent au second degré, qu’ils ont assez de distance
avec cette émission pour pouvoir la tourner en dérision.
Il y a donc à travers ces tweets acerbes une technique destinée à conserver une même « face 33»
pour deux types d’interaction se déroulant au même moment, mais c’est aussi une façon de se
distinguer dans le flot continuel de mots qu’est ce réseau social. Au travers de ces tweets ironiques
on entraperçoit cette volonté de « faire mouche » de jouer d’ « un bon mot » : « 2 jeunes de 20. 3
femmes de 35/40. Avec décolleté profond pour une… UDPP version porno… ». Plutôt que de
simplement dire qu’on regarde UDPP, comme le font quelques usagers de Facebook, les
télénautes vont chercher sur Twitter à présenter cette activité de manière plus intéressante, de
la valoriser aux yeux des autres, en étant le plus drôle, le plus vif d’esprit, en repérant la
faille : « ‘Je suis contente parce qu’il m’a offer des fleurs de couleur’, oui c’est connu des fleurs
sans couleur !’ », « ‘La table était particulièrement fade’ genre le mec il a croqué un bout et c’est
dit : ‘Ca manque de sel tout ça’ ». On retrouve donc bien dans ces tweets ce que notait Goffman
(1973), le processus de représentation s’accompagne bien souvent d’une valorisation de soi et de
son activité. Là encore, le fait qu’on retrouve davantage cette valorisation de l’activité télévisuelle
par l’intermédiaire du regard distancié et critique sur Twitter que sur Facebook, tient en le statut
tant privé que public du tweet, mais également de son caractère individuel. De la même façon que
cette valorisation de l’activité est souvent de mise dans les statuts des usagers de Facebook : si le
statut n’est pas public, il reste directement relié à l’individu puisque celui-ci le poste sur son mur et
32 Blandin Eve-Anaelle, op. cit.33 Goffman Erving, op. cit.
46
ainsi à la visibilité de tous ses « amis Facebook ». Le tweet lui, est également issu directement de
l’individu qui le met à la visibilité de tous sur son fil Twitter, alors même que les téléspectateurs
d’UDPP usagers de Facebook que j’ai pu étudier par l’intermédiaire de ma veille ne s’expriment
pas directement sur leur mur, ils vont s’exprimer dans un groupe particulier dont l’activité
télévisuelle est partagée, tous leurs amis Facebook ne sont pas censés savoir qu’il a posté un
commentaire sur UDPP, au contraire des « followers » Twitter de l’usager-téléspectateur de
Twitter.
Afin de terminer l’analyse des tweets des téléspectateurs d’UDPP, il reste une catégorie de
tweet à aborder. Si l’on trouve majoritairement des tweets critiques ou ironiques envers les
candidats ou l’émission plus en général, à travers lesquels les télénautes s’efforcent de jouer d’un
bon mot mais ne s’impliquent pas véritablement, les tweets davantage marqués par le quotidien,
la situation, ou le simple goût de l’usager Twitter sont également présents.
Après cette analyse des échanges des télénautes d’UDPP sur Twitter, on aurait presque pu
oublier que la base même des réactions de ces téléspectateurs était une émission de cuisine.
Pourtant, la dimension culinaire ressort à plusieurs reprises dans les tweets étudiés, et on
retrouve alors plusieurs aspects de la réception des téléspectateurs que j’avais étudiée l’an passé.
Les télénautes, en fins gourmands, se laissent bien souvent séduire par les préparations
culinaires qui mijotent dans la cuisine de l’hôte du soir qui reçoit, et par l’aspect des mets qui
sont préparés derrière l’écran : « A chaque fois que je regarde UDPP j’ai envie de goûter les
verrines alors qu’en faite, j’aime pas ça… ». On retrouve donc l’ « envie de goûter » que j’avais
déjà pu souligner l’an passé lorsque Pierrot me confiait : « J’aurais voulu goûter le plat. Même si je
suis pas très affuté là-dessus ça me plairait bien de goûter ». Par ailleurs, rappelons que l’émission
était diffusée, jusqu’à très récemment et au moment de ma veille, entre 17h45 et 18h45, un créneau
horaire souvent destiné à patienter un peu avant le dîner, et donc particulièrement approprié pour
mettre en appétit les téléspectateurs, comme l’avait d’ailleurs remarqué Andréa, téléspectatrice
interrogée l’an passé : « DDP ils mettent ça juste avant de manger, histoire qu’on ait bien faim. Je
pense que c’est quand même stratégique parce qu’on regarde et on se dit en même temps « ah tiens
il va falloir que je prépare à manger » et du coup on peut être inspiré par les plats qui font. Après
c’est l’heure où on rentre, on allume la tv, on met un truc tranquille et sans prise de tête. ». Or, si
l’on en croit les usagers de Twitter, cela fonctionne toujours bien : « UDPP ça me donne trop
faim ! ».
Autre point important, UDPP reste avant tout une émission culinaire dans les discours des usagers
de Twitter, puisqu’elle est devenue une référence pour qualifier un repas un peu travaillé : «
Franchement, je me mets facile 10 en déco. Faut juste que je progresse en ambiance + photo table
». Là encore, cela n’est pas sans rappeler ce que m’expliquait Maryse l’an passé : « Mais vous
voyez moi qui reçois beaucoup, je fais toujours une petite déco de table, ça c'est mon truc hein,
j'adore ça, et souvent mes amis me disent "Oh Un dîner presque parfait !" parce qu'il y a la déco
47
quoi. » Cette émission est donc bien devenue une référence partagée par les téléspectateurs plus ou
moins ponctuels, qui marquent la qualité d’un repas entre amis – qu’il s’agisse de la cuisine ou de
la décoration – rien qu’en accompagnant un tweet d’un #UDPP ou en s’exclamant « Un dîner
presque parfait ! » devant une jolie table.
Enfin, les tweets repérés au cours de cette veille Twitter ont permis de faire ressortir la
dimension de proximité que toute émission de TV réalité se doit d’avoir. J’avais déjà pu
montrer lors de mon étude précédente que les téléspectateurs avouant une préférence pour
l’émission UDPP plutôt que pour Top Chef ou Masterchef l’expliquaient par l’aspect plus
« proche » d’eux que le programme télévisé offrait : « Je regardais plus UDPP parce que le côté
sympathique c’est que c’est assez proche de nous, la bouffe […] Dans UDPP t’avais presque
l’impression que c’était réel», « La dimension culinaire de l’émission ne vous intéresse pas
tellement alors ? Ben pour les trucs d'amateurs si, pour UDPP c'est la cuisine des amateurs. Pour
les autres c'est tous mieux que mieux donc à la limite tu regardes si les candidats ont une gueule
sympathique, si l'émission a été bien montée et que ça te met en appétit mais bon les plats de toute
façon c'est des trucs que tu peux pas refaire. Alors que UDPP il y a un côté plus accessible »
(Daniel). En étudiant les remarques des usagers Twitter téléspectateurs de l’émission, j’ai pu
comprendre que cette proximité était également l’un des plaisirs auquel ce programme
télévisé contribuait. Sur ce réseau social ce n’est pas tellement le côté « accessible » des
préparations culinaires qui sont réalisées qui est plébiscité, mais le fait que les candidats soient des
personnes « comme tout le monde », qui peuvent en plus être issues de n’importe quelle ville de
France puisque chaque semaine l’émission est tournée dans une région française différente. Dès
lors, les téléspectateurs peuvent par hasard regarder une émission de télévision où ils connaissent
l’un des personnages principaux, chose qui peut être tant source de plaisir que d’agacement mais
qui n’en est pas moins un élément important de leur réception puisqu’ils vont jusqu’à le faire savoir
aux autres usagers Twitter : « dire que j’en connais une sur UDPP », « Mais nan !! La blonde de
UDPP c’est ma prof de danse de quand j’étais petite à l’école de rogerville excellent ». Cet impact
de la proximité dans la réception des téléspectateurs d’UDPP m’avait déjà semblé parfaitement
identifiable l’an passé en analysant les entretiens réalisés avec Maryse et Véronique: « Et vous
voyez là Bourges va passer donc là je regarde, c'est sûr ! (rires) Parce que voilà… Je vais en
vacances beaucoup à Argelès et ils ont fait une spéciale camping, donc celle là je l'ai regardée.
Vous voyez c'est ça aussi, celui là je le loupe pas parce qu'il y a quelque chose qui accroche plus
personnellement. », « Là il y a eu une semaine belge, bon j'ai des amis belges donc
évidemment je suis un peu curieuse, je regarde ». Ainsi, quelque chose « accroche plus
personnellement » lorsqu’une émission de TV met en avant un élément du quotidien des
téléspectateurs, qu’il s’agisse de sa ville de résidence, de vacances, ou d’un proche qu’il s’attendait
ou non à voir dans cette émission. L’attente est alors plus grande, l’excitation à l’approche et
pendant la diffusion de l’émission également, et UDPP remplit alors parfaitement son rôle
48
d’émission de TV réalité : « Le reality show fait aussi la promotion de « Monsieur tout le monde »
en fonctionnant à l’implication, et à l’identification jusqu’à la compassion feinte 34».
***
Afin de conclure le premier mouvement de ma réflexion sur la réception online des
téléspectateurs d’UDPP, il me semble important de confronter mes résultats de veille aux
hypothèses de recherche se rapportant aux plateformes virtuelles Facebook et Twitter, que j’avais
pu postuler au début de mon enquête.
J’avais tout d’abord postulé que Facebook permettait un lien plus direct avec la
production, impliquant alors la présence de conseils/demandes quant à l’évolution du programme
mais également de critiques sur l’émission en général. Cela rejoignait d’ailleurs l’impact du
caractère officiel des plateformes que j’indiquais en hypothèses de recherche : les adresses directes
à la production/chaîne et aux candidats seraient plus fréquentes, les commentaires se feraient plus
généraux et les téléspectateurs ne rechercheraient pas particulièrement les échanges avec d’autres
téléspectateurs, ils s’exprimeraient d’ailleurs généralement a posteriori de la diffusion de
l’émission. Enfin, j’estimais que Facebook se démarquerait dans la réception online des
téléspectateurs par une recherche de « bonus » de l’émission : participer à des votes, accéder aux
recettes facilement, etc.
Beaucoup de ces caractéristiques se sont effectivement confirmées grâce à la veille analytique que
j’ai réalisée. Il est difficile de parler d’une réception collective à distance pour les téléspectateurs
usagers de Facebook car les échanges sont rares : les usagers répondent aux posts du community
manager grâce aux commentaires, mais tous ne se lisent pas les uns et les autres, beaucoup se
contentent de donner leur avis sur une caractéristique de l’émission mise en avant par le CM. On
constate par ailleurs qu’il y a effectivement une véritable recherche de bonus : les téléspectateurs
souhaitent pouvoir retrouver les recettes de l’émission, si possible en vidéo, et n’hésitent pas
demander des détails sur les réalisations culinaires des candidats. Ils se plaisent également à
participer à des jeux ou à répondre à des sondages. S’il m’est apparu très clairement que les usagers
de Facebook utilisaient souvent ce réseau social pour adresser un message à des candidats de
l’émission ou à la chaîne, il est important de souligner que ces résultats sont très liés à la primauté
de la page officielle d’UDPP sur cette plateforme virtuelle d’échange. Cette page est de loin la plus
active de pages consacrées à l’émission culinaire ; les usagers Facebook s’intéressant à UDPP vont
donc privilégier cette page pour s’exprimer et pour rechercher des informations, tant et si bien la
réception online des téléspectateurs qui domine sur ce réseau social est très liée au caractère officiel
de la page à laquelle ils participent (et donc à la façon dont le CM oriente et limite celle-ci).
Les téléspectateurs privilégient effectivement ce réseau social a posteriori de la diffusion de
l’émission car ils l’utilisent dans une optique de complément pratique à leur réception : retrouver
34 Esquenazi Jean-Pierre, La télévision et ses téléspectateurs, Paris, L’Harmattan, 1995, p.76
49
des recettes ou encore questionner la chaîne tout comme les autres téléspectateurs lorsqu’ils
recherchent une information précise.
Notons néanmoins que le contenu télévisuel a un impact non négligeable sur la réception online des
téléspectateurs usagers de Facebook, car c’est suite au post du CM sur la soirée d’Ecclésiaste - dont
la soirée fut pour le moins inhabituelle – que des échanges entre les téléspectateurs se créent enfin.
Ces derniers prennent alors la forme d’une enquête visant à déceler les rouages de l’émission, tout
comme un affrontement de visions de ce que doit être l’émission.
En ce qui concerne Twitter, je postulais dans mes hypothèses de recherche une large place
accordée aux encouragements et/ou aux recommandations de la part des usagers. Je soulignais
également un impact important du caractère officiel du fil Twitter géré par M6.
Aucune de ces hypothèses concernant Twitter ne se sont confirmées. En effet, attribuer à ce réseau
social le même impact du caractère officiel qu’aux autres médias sociaux auxquels je m’intéressais
correspondait à avoir une mauvaise évaluation de la structure et du fonctionnement de Twitter. Les
usagers ne s’expriment pas sur un groupe/une page/un topic particulier à l’émission, ils relient un
tweet personnel à une communauté plus vaste grâce à un hashtag commun. Dès lors, il est
impossible de déceler un quelconque impact d’une plateforme officielle ou non.
Par ailleurs, si j’avais postulé que les recommandations et les encouragements primaient dans la
réception online des téléspectateurs usagers de Twitter, c’est parce que j’avais en tête une rapide
veille quantitative de prospection réalisée pendant mon stage à Tendances Institut, pendant la finale
de Top Chef. Or cette veille avait effectivement démontré une large part de tweets destinée à des
recommandations et/ou encouragements des candidats. Mais en ce qui concerne UDPP, qui est
certes également une émission culinaire mais dont la dimension compétitive est beaucoup moins
accentuée que pour Top Chef ou Masterchef, ce type de tweet était très rare.
Si mes hypothèses concernant ce réseau social se sont donc avérées fausses, ma veille
analytique ne m’a pas moins permis de découvrir un certain nombre de caractéristiques
intéressantes de la réception online des usagers de Twitter.
Twitter est un réseau social de l’instant : les téléspectateurs usagers de ce réseau ne
s’intègrent pas véritablement à une communauté, ils conservent une pratique et donc une
réception très individuelle. Par ailleurs, Twitter est également le réseau social témoignant
de la pratique effective du double screening puisque les tweets sont émis en direct de la
diffusion de l’émission. Nous sommes donc clairement sur Twitter dans l’instant du
processus de réception, et non a posteriori comme sur Facebook.
Sur ce réseau social, l’analyse des interactions en termes de représentation, concept propre
à Goffman (1973) m’a semblée pertinente. Par chaque tweet, les télénautes optent pour une
façade bien particulière à ce réseau car influencée par le caractère hybride à la fois public
et privé du tweet. Dès lors la façade la plus utilisée est celle d’une réception distanciée,
d’un regard critique et moqueur envers l’émission. Ajoutons que cette façade
50
s’accompagne d’une valorisation de l’activité télévisuelle, lorsque les télénautes cherchent
à jouer d’un bon mot afin de se distinguer de la masse de tweets regroupés sous le hashtag
commun #UDPP.
Enfin, le contenu de l’émission influence la réception online des usagers de Twitter puisque
l’on retrouve deux dimensions classiques de l’émission dans leurs tweets : la dimension
culinaires et la dimension de proximité.
51
II/ De la réception en termes de forme et d’usages …
Comme j’ai pu l’expliquer en introduction, la veille des deux forums de téléspectateurs
d’UDPP (le forum officiel créé et gérer par M6 Publicité Digital, que je nommerai tout au long de
ces deux parties « FO », et le forum non officiel créé et géré par un petit groupe de téléspectateurs
dont certains avaient fait partie de mon étude qualitative sur la réception des émissions culinaires
actuelles, que je nommerai « FNO ») s’est révélée beaucoup plus riche, ne serait-ce que
quantitativement : chaque soir d’émission plusieurs pages de topic s’enchainent, les télénautes
réagissant tant avant l’émission, pendant, qu’a posteriori. Par ailleurs, la veille étant aussi riche sur
le FO que sur le FNO, il me semblait primordial que la comparaison entre les deux plateformes
d’échange soient au cœur de mon étude. Pour cette raison, j’ai décidé de m’intéresser dans un
premier temps à la réception des téléspectateurs membres des forums de discussion, en termes
d’usages, puis dans un second temps à cette même réception en termes de contenus, faisant ainsi le
choix de ne pas analyser les forums l’un après l’autre, mais bien en parallèle.
Dans cette seconde grande partie de mon étude, où je m’intéresse à la réception des membres des
forums dans la forme et les usages, j’étudierai dans un premier temps la structure des échanges qui
revêt parfois l’apparence d’un chat, bien que cette plateforme virtuelle d’échange qu’est le forum
reprenne bien souvent le dessus. Dans un second temps j’analyserai plus particulièrement la forme
des échanges, en ce qu’elle révèle une réception collective virtuelle ou non, plus spécifiquement
donc au moment où l’émission est diffusée. Enfin, je ciblerai davantage mon analyse sur les
échanges des télénautes a posteriori de l’émission dans une troisième sous partie.
1) Commenter l’émission en direct : chat ou forum ?
a) La réappropriation du forum par les usagers ou lorsque le forum devient chat
Lorsqu’on s’intéresse aux échanges des télénautes sur les deux forums, il semble tout
d’abord que ce soit le post en direct de la diffusion de l’émission qui domine. Alors que les forums
bénéficient d’une structure favorisant plutôt les messages relativement longs, sur lesquels il est
possible de modifier la police, structurer son texte en paragraphes, et par lesquels on ne peut se
contenter de simplement cliquer sur « Entrée » pour répondre, il est de prime abord apparu que les
télénautes se servaient de ce média social comme d’un chat.
Ainsi, la majorité des échanges se fait pendant la diffusion, si bien que les téléspectateurs écrivent
et postent leurs réactions dans l’instant, privilégiant les messages courts, visant essentiellement à
retranscrire leurs sentiments au moment présent, devant leur poste de télévision : « huuuummm,
que cette soupe à l’air bonne !! » (FNO), « la purée ça a l’air d’une crème de beauté … !! »
52
(FNO), « je passe de bons moments cette semaine » (FO), « j’en pleurais de rire » (FO). Chacune
de ces exclamations était postée sur le forum dans un post à part entière, sans rien d’autre autour,
exactement comme si un chat était disponible au moment de la diffusion de l’émission, et qu’alors
que le candidat apportait son plat principal, un télénaute s’exclamait sur le chat « la purée ça a
l’air d’une crème de beauté … !! » (FNO). D’ailleurs, les posts sont parfois complètement
dépourvus de mots, les télénautes se contentent de poster un smiley (un smiley qui lève le pouce en
signe d’appréciation par exemple) qui peut alors signifier qu’ils approuvent le post d’un autre
télénaute, où qu’ils apprécient ce qu’ils voient sur leur écran de télévision, le plat servi par un
candidat par exemple.
On remarque donc que les messages sont courts et expressifs, laissant à nouveau penser à la
description qu’Anne Jerslev (2010) faisait des télénautes de X Factor lorsqu’ils venaient discuter
de l’émission, les échanges prenant principalement la forme d’ « affective performances 35». Mais
on note également que si les télénautes postent des messages courts dans lesquels ils s’efforcent de
retranscrire en peu de mots leur sentiment en regardant UDPP, c’est parce qu’ils suivent très
exactement le rythme imposé par l’émission. Ils cherchent ainsi à commenter chaque scène, chaque
moment clef de l’émission, tant et si bien qu’il suffirait parfois de simplement lire les échanges des
télénautes pour savoir à quel moment de l’émission nous en sommes : « Ah le plat principal !!!!!! »
(FO), « Et la tête de Norbert quand il goûte… mdrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr » (FO). Cette particularité
avait d’ailleurs été notée dans le rapport France Telecom sur les discours online des téléspectateurs
de Loft Story (2003) : « Les discussions sur les grandes phases de l’émission ont lieu en même
temps que le passage de celles-ci à la télévision. Cette observation montre que la majorité des
chatteurs articule fortement, au moins dans les moments importants de l’émission, ses pratiques
des deux médias : le chat et la télévision. Ces chatteurs se trouvent dans une situation de multi-
activité en menant en parallèle la discussion dans le chat et le suivi de l’émission sur l’écran de la
télévision 36». Nous assistons donc ici à la même dynamique sur les deux forums étudiés consacrés
à UDPP : les télénautes sont dans une « situation de multi-activité » qui leur permet à la fois de
regarder l’émission mais également de la commenter en direct sur la plateforme virtuelle d’échange
qu’ils ont choisie. Et ils s’attachent à ce que leur ressenti soit partagé aux autres membres en
parfaite adéquation avec la séquence de l’émission qui est liée, en postant des commentaires très
courts, d’habitude plus caractéristiques des échanges sur un chat. On retrouve donc parfaitement ce
qui est décrit sur le chat des téléspectateurs de Loft Story pour les téléspectateurs d’UDPP, à la
différence cependant notable, qu’il ne s’agit pas d’un chat mais bien d’un forum de discussion. De
prime abord donc, il semble que les télénautes se soient réapproprié une plateforme virtuelle pour
qu’elle réponde davantage à l’usage qu’ils souhaitent faire du double screening.
35 Jerslev Anne, op. cit., p.17136 Beaudouin Valérie, Beauvisage Thomas, Cardon Dominique, Velkovska Julia, op. cit., p.45
53
b) Des télénautes anonymes (et nombreux) commentent l’émission
Les forums sont un média social qui nécessite une inscription préalable à tout post,
l’inscription est parfois même nécessaire pour lire les messages des membres, que l’on souhaite
participer au topic ou non, et des catégories de certains forums ne sont accessibles qu’aux membres
les plus actifs (c’est-à-dire à ceux qui postent le plus de messages). Par ailleurs, comme je l’ai
expliqué précédemment, les réponses au topic ne se font que par l’intermédiaire d’une page
spécifique, permettant de rédiger des messages longs, agrémentés de documents, de photos, etc.
Tout laisse donc à penser que la structure même des forums de discussion n’est qu’encouragement
à la création de liens sociaux entre les membres du forum, ceux-ci se créant grâce à des visites
régulières, des messages au format long permettant de faire ressortir des traits spécifiques de la
personnalité de chacun, et une confiance entre les membres lorsque ceux-ci peuvent accéder à des
rubriques plus fermées.
J’ai tout d’abord pu souligner que si la structure même des forums de discussion encourageait les
messages longs et travaillés, les télénautes se l’étaient réappropriée pour en faire, au moment de la
diffusion d’UDPP, un chat leur permettant d’échanger leurs commentaires « sur le vif ». Mais en
analysant un peu plus la forme des messages échangés sur le FO, on remarque que celle-ci permet
difficilement d’y lire une communauté de téléspectateurs dont les échanges fréquents et
approfondis ont permis de créer de véritables liens d’amitié.
L’un des premiers éléments de surprise que l’on constate en procédant à une veille
analytique de ce forum est le vouvoiement, qui domine dans la majorité des échanges :
« Entièrement d’accord avec votre commentaire », « Je partage tout à fait votre point de vue…
J’adore Norbert. », « mais je vois pas le but de votre remarque… ». Les télénautes se lisent donc
les uns les autres à certains moments, mais ils ne semblent pas se connaître particulièrement
puisque non seulement ils ne s’interpellent pas, mais en plus ils se vouvoient. Par ailleurs, les
membres du FO ne s’expriment que rarement en utilisant un « on » ou un « nous » traduisant un
sentiment d’appartenance à une communauté particulière - et en l’occurrence ici à la communauté
qu’aurait pu former les membres de ce forum officiel UDPP - tous les commentaires sont rédigés à
la première personne du singulier : « je passe de bons moments cette semaine », « Norbert me fait
mourir de rire ». Lorsque les usagers du FO laissent échapper un « on » ou un « nous », il ne
désigne pas nécessairement les membres du forum, mais davantage le public en général de
l’émission : « mdrrr cest un cas mais on se marre bien », « Très bien ce repas d’Ecclésiaste au
moins les candidats ont passé un bon moment de rigolade et nous avec, tant mieux et bravo ! ». On
remarque à travers ces deux exemples que l’utilisation du « on » dans les discours des
téléspectateurs du FO est très proche de celle qui en est faite sur les réseaux sociaux : les
téléspectateurs s’incluent dans le public de l’émission mais pas dans un public à part entière,
une communauté qui aurait pourtant pu être celle de la plateforme virtuelle sur laquelle ils
54
s’expriment. A travers la veille que j’ai pu effectuer sur cette semaine d’émission, je n’ai repéré
qu’un seul message dans lequel un « nous » davantage représentatif de la communauté
d’internautes rassemblés sur le FO était utilisé : « Cela fait un moment que nous sommes fans de
Nono, nous ne l’avons pas découvert cette semaine. Même Odile a trouvé cette soirée rigolisible.
C’est clair Ecclésiaste ne méritait pas une telle curée ». Ce commentaire a été posté par l’une des
plus actives téléspectatrices sur ce topic, elle utilise cette fois un « nous » qui s’apparente aux
télénautes les plus fervents du forum et qui sont, de plus, des téléspectateurs de longue date des
émissions culinaires (Norbert ayant été découvert dans une autre émission de cuisine –Top Chef –
en 2012). Elle s’intègre donc dans une communauté plus restreinte : celle des téléspectateurs
membres du FO depuis longtemps. Toutefois, non seulement ce message est une exception, mais
on ne retrouve par ailleurs pas d’amicales railleries ou simples remarques entre les membres qui
témoigneraient d’une proximité et d’une complicité plus grandes ou bien même plus simplement
d’une connaissance dans les habitudes et les goûts télévisuels des autres membres, ce qui est au
contraire récurrent dans les discours des membres du FNO, de même que l’utilisation d’un « on »
référent uniquement et globalement aux membres du forum.
L’utilisation de la marque de politesse « vous » est de plus assez surprenante sur un forum de
discussion. En effet, Anne Jerslev (2010) explique que les plateformes virtuelles sont notamment
un moyen de lever certaines barrières des conversations traditionnelles. Les règles d’usage et donc
bien souvent de politesse sont beaucoup plus souples sur Internet, si bien qu’il n’est pas rare de voir
que les télénautes se délestent des règles de politesse, et n’hésitent pas à user de quelques
vulgarités. Une autre différence que l’on peut d’ailleurs trouver à travers cette veille analytique par
rapport à ce qu’a constaté Anne Jerslev (2010) est le fait que si les échanges peuvent parfois
s’envenimer – je reviendrai là-dessus sous peu – ils restent néanmoins cordiaux dans l’ensemble.
Les vulgarités sont rares et si l’orthographe n’est pas parfaite, le français est généralement bien
maîtrisé et les abréviations ou acronymes tels que « LOL » ou « MDR » sont finalement assez
rares. J’avais souligné qu’au contraire on retrouvait plus facilement ce type de langage sur une
plateforme virtuelle d’expression telle que Twitter. S’agissant de la même émission de télévision,
on peut donc penser que cette différence de langage vient surtout de l’âge des usagers, les réseaux
sociaux et en particulier Twitter étant généralement davantage utilisés par les moins de 35 ans37.
D’autres points laissent penser que ce FO rassemble des anonymes, nombreux, plutôt
qu’un groupe de personnes liées par une activité commune et ayant développé des liens
d’amitié particuliers par la suite. Ainsi, après une veille analytique de chaque soir d’émission sur
la semaine d’UDPP choisie, j’ai pu remarquer que jamais les échanges ne s’éloignaient de la
raison pour laquelle les téléspectateurs semblaient être venus sur ce média social : partager
37 Etude Ipsos « Usages et pratiques de Twitter en France », 25 avril 2013. La population des « twittos actifs […] se caractérise tout d’abord par sa jeunesse. En effet, près des deux tiers des Twittos actifs ont moins de 35 ans (61%) ». http://www.ipsos.fr/ipsos-public-affairs/actualites/2013-04-25-usages-et-pratiques-twitter-en-france
55
leur opinion au sujet de l’émission de M6, éventuellement en débattre ou faire évoluer leur point
de vue grâce à ceux des autres télénautes, mais rien d’autre. Les « hors sujet » n’apparaissent pas,
les membres du forum livrent très peu d’informations personnelles, le sujet ne dérive en fait jamais
de la thématique principale de ce forum : UDPP. D’ailleurs, lorsque des commentaires sont repris
par d’autres membres, il ne s’agit que de confirmer un point de vue sur un candidat ou d’une soirée
d’émission : « Entièrement d’accord avec votre commentaire », « Je partage tout à fait votre point
de vue ». Comme nous l’avons vu, cela peut se faire par l’intermédiaire d’un commentaire rédigé
ou d’un simple smiley.
Par ailleurs, on aurait pu penser que la notation serait un des moments clefs de l’émission
engendrant un échange plus important : les téléspectateurs venant alors exprimer leur point de vue
mais aussi l’argumenter, ou seraient simplement curieux de savoir ce que les autres téléspectateurs
en pensent, d’autant plus si la notation leur paraît pas justifiée. Cela semblait d’autant plus aller de
soi qu’il existe sur le FO une catégorie spécifique pour que les membres puissent discuter de la
notation. Discuter, c’est ce que je croyais. En réalité dans cette catégorie du forum, les membres ne
viennent que donner leur propre notation sur chaque dîner de la semaine ; on assiste donc à un
enchaînement de posts n’ayant d’autre contenu qu’un chiffre correspondant à la note qu’ils
estiment être juste pour le dîner, l’activité, ou l’ambiance de la soirée diffusée le jour même. Aucun
commentaire n’y est lié : les téléspectateurs participent en quelque sorte à l’émission en donnant
leur propre notation (il y sont d’ailleurs incités lorsqu’ils le regardent en replay) mais ne viennent
pas sur ce forum de discussion pour en discuter avec d’autres téléspectateurs. Il y a dans cet usage
du forum officiel un point important à souligner. Dans son étude sur le « phénomène télénaute »,
Jean-Paul Lafrance (2005) explique que « contrairement à ce qu’auraient pu espérer les stratèges
des stations de télévision, le phénomène télénaute ne s’inscrit pas nécessairement dans une volonté
du téléspectateur de chercher à approfondir son expérience télévisuelle en naviguant sur le site Web
de l’émission qu’il regarde au même moment 38». Huit ans après cette étude, j’ai donc pu constater
qu’en ce qui concerne les téléspectateurs d’UDPP on assiste effectivement à une convergence
numérique tant au niveau technique qu’au niveau des pratiques puisque les télénautes sont
effectivement nombreux à commenter l’émission en direct de sa diffusion sur les forums de
discussion. Par ailleurs, on peut également penser que le téléspectateur approfondit son expérience
télévisuelle grâce à ces médias sociaux puisque non seulement il donne son avis, mais il participe
également à sa façon à l’émission en donnant sa propre notation. Là où l’expérience ne semble
guère enrichie, en tout cas à ce stade de mon étude, c’est dans l’aspect encore très individuel de la
réception des télénautes puisque ceux-ci n’échangent pas véritablement entre eux.
38 - Lafrance Jean-Paul, « Le phénomène télénaute ou la convergence télévision/ordinateur chez les jeunes », Réseaux, n°19-130, 2005, p319
56
Notons de plus, que si les télénautes d’UDPP sur ce forum officiel ne s’interpellent pas de manière
générale ou ne font pas allusion à certains membres dans leur post, le pseudonyme d’un membre
n’apparait en fait dans le message d’un télénaute que lorsque celui-ci souhaite répondre à un post
en particulier et qu’il arrive un peu tardivement dans le topic. Afin de ne pas noyer son
commentaire dans le flot de messages au moment ou a posteriori de la diffusion de l’émission, le
télénaute indique d’un @pseudonyme qu’il répond à ce membre en particulier : « @colline6645
Tout a fait d'accord avec vous le diner d'Odile mérite de gagner, pour l'instant son repas est
vraiment le meilleur ». Assez étonnamment, c’est en fait la majorité des échanges sur ce FO qui
prend cette forme de conversations en aparté, qui correspond à ce que Patrice Flichy (2010)
qualifie d’ « expression extime 39»: le débat est limité puisque les opinions sont « éclatées » et les
petits « espaces extimes se juxtaposent sans jamais se rencontrer 40». Si l’on trouve quelques
commentaires ayant cette forme sur le FNO, ceux-ci sont beaucoup plus rares, les membres se
contentent d’interpeler un membre en particulier dans leur réponse : « Qu’est-ce que tu en penses
richelieu ? », et cette réponse s’insère d’ailleurs généralement assez bien dans la conversation qui
reste orientée autour d’une seule thématique. Les membres du FNO, lorsqu’ils interpellent un
autre membre en particulier pensent simplement que l’avis de celui-ci serait intéressant pour
enrichir la conversation, alors qu’en ce qui concerne les conversations en aparté du FO, il ne
s’agit pas de construire une conversation avec de multiples points de vue, mais bien de
clarifier à qui l’on s’adresse, car bien souvent la thématique sur laquelle le télénaute souhaite
rebondir est déjà perdue dans d’autres commentaires. On retrouve alors ici le schéma de
conversation propre aux forums de discussion, donné par Michel Marcoccia (2004) selon lequel
les conversations sur ces forums sont généralement caractérisées par la « fragmentation,
l’émergence et la bifurcation de sous groupes conversationnels (Parker, 1984 : 48) ; En d’autres
termes, les forums de discussion sont des dispositifs qui permettent l’émergence de conversations
focalisées dans un espace d’interaction faiblement focalisée (de Fornel, 1989 : 33)41 ». Or, le FO
comme le FNO sont tous deux des forums de discussion. Pourquoi donc cette différence ?
L’explication principale réside probablement en le nombre différents de membres sur chaque
forum.
Il n’est certes pas possible de connaître le nombre exact d’internautes participant au forum officiel
UDPP, puisqu’en s’inscrivant à celui-ci on s’inscrit en fait à tous les forums de M6, qui regroupent
en tout 2342890 membres. Néanmoins le forum d’UDPP fait partie des forums les plus actifs de la
chaîne. A titre de comparaison, le FNO compte 20 membres enregistrés dont le plus récent étant
39 Flichy Patrice, Le sacre de l’amateur : sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique, Paris, Edition du Seuil et La République des Idées, 2010, p.4640 Flichy Patrice, Ibid., p.5041 Marcoccia Michel, « L’analyse conversationnelle des forums de discussion : questionnements méthodologique », dans Les discours de l’Internet : nouveaux corpus, nouveaux modèles ?, Mourlhon-Dallies Florence, Raotonoelina Florimond, Reboul-Touré Sandrine, Presse Sorbonne nouvelle / Les carnets du Cediscor 8, 2004, p.28
57
moi-même, lorsque je m’étais inscrite début 2012 afin proposer aux membres de réaliser un
entretien. De plus, le FNO ne compte qu’une dizaine de membres véritablement actifs dans les
différents topics, et il est difficile sur FO de véritablement repérer les membres actifs car si
beaucoup s’expriment sur chaque soir d’émission, ils ne le font bien souvent qu’une fois par topic.
Entre ces conversations en aparté qui ont tendance à rompre ce moment de réception qui pourrait
être collective si elle prenait la forme d’une grande conversation dans laquelle des télénautes
venaient s’exprimer et connaissaient des traits caractéristiques de chacun d’entre eux, le
vouvoiement, et le respect imperturbable du sujet principal du topic (c’est-à-dire le dîner du soir), il
semble difficile de repérer quelques liens d’amitié entre ces télénautes, qui n’ont
vraisemblablement jamais appris à ce connaître malgré leur participation fréquente aux topics de ce
FO.
Un dernier élément me permet d’en venir à cette première étape de l’analyse de la réception online
des membres du FO. On remarque que lorsque les échanges entre les membres du FO
parviennent à former une conversation – c’est-à-dire que les télénautes lisent les posts des uns
et des autres et prennent le temps de se répondre – c’est avant tout dans une dynamique
conflictuelle. En effet, on a pu voir que les internautes venaient souvent sur le forum afin de s’en
servir comme d’un chat, retraçant ainsi ce qui se déroulait sur leur écran et exprimant leurs
émotions par l’intermédiaire de messages courts, mais sans pour autant véritablement chercher à
établir des échanges les uns avec les autres - en tout cas pour ce qui est du FO. Ils se lisent et se
répondent soudain beaucoup plus lorsque leurs opinions s’opposent : « Et alors qu est ce que ca
peut vous faire! c est jaloux ou curiosité malsaine? », « a bon entendeur au grincheux ! La mere
Edith se manifeste AUX GRINCHEUX ». On remarque d’ailleurs que le ton s’enflamme très
rapidement, les télénautes s’insurgent des réactions des uns et des autres plutôt que d’essayer
véritablement de les comprendre et d’en débattre : « Et c'est cela qui vous rend si amer , que ce
mec s'est trouver un passage ? cela va changer votre quotidien? dites moi ? allonger vous mon
cher Pot, expliquez votre malaise ! ». Alors que ce type de message est assez fréquent dans les
topics des différentes soirées d’hôtes sur le FO, il est complètement absent du FNO. Il semble
en fait que sur le FO, les télénautes cherchent avant tout à exprimer un ressenti et affirmer
une opinion sans vraiment chercher à approfondir les opinions opposées, plutôt que de
partager un moment télévisuel avec d’autres téléspectateurs. On retrouve alors très bien ce que
Jerselv (2010) décrit dans son étude sur les téléspectateurs de X Factor lorsqu’ils viennent
s’exprimer sur le site qu’elle étudie : « confrontative practices, affective outbursts, a liberal idea of
the individual, and self-representation as more important than deliberation and the collective 42».
Cette facilité au tournant conflictuel dans les échanges et cette tendance à affirmer son opinion en
s’agaçant de celle de l’autre plutôt que de la comprendre et éventuellement enrichir la sienne, tend
également à prouver que les télénautes n’ont que peu voire pas de liens sur ce FO. Des liens,
42 Jerslev Anne, op.cit., p.180
58
amicaux ou simplement communicationnels, quels qu’ils soient mais créés par une
« fréquentation virtuelle » habituelle, ne se sont jamais formés entre les télénautes de ce
forum, et ce car s’ils existaient, un respect mutuel, une prise en compte et une écoute de
l’opinion de chacun règlerait implicitement les échanges, comme c’est le cas sur le FNO par
exemple.
c) Des forums de discussion à la modération différente
J’ai pu montrer dans la sous-partie précédente, que la réception collective virtuelle sur le
FO semblait être rendue impossible par des téléspectateurs, anonymes et nombreux,
cherchant avant tout à exprimer leur opinion plutôt qu’à la construire grâce à un échange
avec d’autres téléspectateurs. Mais une autre donnée tend à renforcer cette impression de
plateforme communautaire rassemblant avant tout des opinions disparates issues de téléspectateurs
qui ne se connaissent pas les uns les autres. Cette donnée réside en fait en la modération qui
règne sur ce forum officiel.
Explicitons tout d’abord la façon dont les deux forums étudiés sont administrés et
modérés car ils le sont de manière très différente, en tout cas tel que cela transparait dans la veille
analytique que j’ai réalisée.
Le FNO a été créé par Fabrice – son pseudonyme sur le forum étant « Fred » -, l’un des
téléspectateurs que j’avais interrogé l’an passé. Fabrice est professeur de français et il ne tire donc
aucun revenu de son activité d’Administrateur, il a davantage la position d’un « fan » ayant créé
une plateforme communautaire sur la thématique de son hobby. Il est donc certes administrateur de
ce forum, mais ce n’est pas là son seul rôle. Rappelons que le rôle de l’administrateur du forum, tel
que décrit par Mourlhon-Dallies Florence, Raotonoelina Florimond, Reboul-Touré Sandrine (2004)
est notamment de mettre en circulation la parole sans pour autant la prendre, sélectionner les
messages dignes de figurer sur le web et relancer le débat tout en évitant les dérapage, ou encore
adopter un positionnement d’expert, or on ne retrouve pas ces caractéristiques dans la façon que
Fabrice a de gérer ce forum. En effet si Fabrice est effectivement l’administrateur et l’un des
modérateurs du FNO, il est avant tout un membre actif de ce forum. Son statut ne l’enferme
donc pas dans des fonctions de gestion/contrôle/orientation des échanges, il y participe, il est connu
par les autres télénautes du forum non pour ses qualités de modération mais pour ses traits de
caractère, ses habitudes télévisuelles, ou encore ses préférences en termes d’émissions de cuisine. Il
n’a de plus pas de statut expert par rapport aux autres membres ; tous sont des téléspectateurs de
longue date d’UDPP, ils ont donc tous une connaissance assez fine de l’émission et de son
évolution, Fabrice ne se distingue donc pas par un savoir différent des autres membres. En fait, la
façon dont Fabrice modère le forum, c’est-à-dire finalement en certes recadrant les débats quand il
le faut ou en veillant à alimenter les différentes rubriques du forum afin que celui-ci vive et que les
59
débats soient riches, mais surtout en profitant lui-même de cette communauté virtuelle en
échangeant sur un loisir partagé, se comprend parfaitement lorsqu’il explique la raison qui l’a
poussé à créer ce forum. Tout d’abord, Fabrice a cherché à s’exprimer, mais surtout à discuter, à
avoir des échanges communicationnels sur Internet au sujet des émissions culinaires actuelles : « vu
que je les regarde seul j'aime bien parfois les commenter avec des gens qui ont vu, c'est un moyen
vraiment de pouvoir en parler avec des gens qui sont intéressés par les émissions ». Logiquement
(car le FO est le mieux référencé sur google, et rassemblant un grand nombre de personnes, cette
plateforme communautaire semblait pouvoir répondre à un besoin de discussion avec d’autres
téléspectateurs), il s’est d’abord inscrit au forum officiel d’UDPP (première émission culinaire à
avoir lancé ce genre) afin de répondre à ce besoin d’échange sur son émission favorite. Mais il n’a
en fait pas réussi à s’intégrer à cette plateforme communautaire et a donc cherché à créer quelque
chose qui saurait répondre à son besoin et à sa vision des échanges conversationnels virtuels autour
des émissions culinaire : « Je l'ai créé, il va avoir 4 ans cette année [entretien réalisé en 2012].
Donc je faisais partie du forum de M6 UDPP et il y a eu un conflit d'intérêt avec d'autres
personnes qui s'étaient un peu trop installées sur ce forum là. Et comme on ne laissait pas la place
à des jugements différents et bien je préférais faire mon propre forum puisqu'il n'en existait pas
d'autre à ce moment-là, pour pouvoir parler librement, dire mes commentaires comme je le
pensais, plutôt que d'essayer de rentrer dans un moule. Je ne pensais pas que le forum allait avoir
une vie comme celle-ci. Il y a eu un premier membre qui était mimi et d'autres ont suivi et donc là
depuis il y a eu des fidèles, on est une dizaine de fidèles qui viennent tous les jours sur le forum. »
C’est donc véritablement pour un besoin personnel d’expression et d’échange que Fabrice a créé ce
forum. Cette plateforme communautaire est devenue une part intégrante de sa vie, non comme une
activité professionnelle, mais parce qu’il a fait de la visite du forum un rendez-vous quotidien au
même titre qu’il a fait d’UDPP un rendez-vous télévisuel quotidien. Son discours est d’ailleurs
proche de celui des autres membres que j’avais pu interroger l’an passé et qui ont également intégré
le FNO à leur quotidien : « ya pas un jour où j’y vais pas » (Lara – Pseudonyme « Lafan » sur le
FNO), « bon je fais partie d'un petit forum, et je farfouille un peu sur internet tôt le matin je
regarde un peu ce qui se dit » (Véronique – Pseudonyme « Val » sur le FNO). Fabrice,
l’administrateur et modérateur du FNO est donc avant tout un membre actif de ce forum,
respecté par les autres membres non pour la figure d’autorité attachée à son statut
d’administrateur, mais pour le membre à part entière qu’il est de la communauté que les
téléspectateurs du FNO représentent.
Partant de ce constat, il semble peu probable de lire des messages sur le forum tels que : « Il est
pénible ce forum, pas moyen d’accéder aux coms correctement et du premier coup ! pff » (FO), «
@CLAUFA : C'est elle qui a gagné ?? Je viens d'être censurée sans comprendre pourquoi ............
Bon , je ne ferai plus de commentaires et je garde ma liberté de pensée pour moi », « moi aussi, j'ai
été censurée, c'est du grand n'importe quoi, je disais simplement à la demoiselle que 1000 euros
60
c'est beaucoup et si elle trouve que ça ne change pas la vie, maintenant qu'elle les a gagnés, elle
peut toujours les donner à une association......... » (FO), à l’adresse du 1er message d’un topic
consacré à l’émission de soir dans lequel l’administrateur présente le dîner de l’hôte : «ça veut dire
quoi ça!!! plat et soirée en ordre!!!! c'est quoi son théme!!!! » (FO). Tous ces exemples sont issus
de la veille sur le FO pendant la semaine d’émission choisie. On constate que la modération du
FO est souvent au cœur des messages postés sur le forum et que lorsque c’est le cas, c’est
rarement de manière positive.
Tout d’abord ce téléspectateur n’hésite pas à dire, sans détour, ce qu’il pense de la manière dont
l’administrateur présente la soirée : «ça veut dire quoi ça!!! plat et soirée en ordre!!!! c'est quoi
son théme!!!! ». On note dans ce commentaire qu’ici, la position d’expert de l’administrateur est
attendue par le téléspectateur, une position renforcée par le caractère officiel de ce forum : les
télénautes viennent sur cette plateforme communautaire certes pour s’exprimer, mais également
pour obtenir des informations. En s’inscrivant sur le forum officiel ils s’attendent à être au plus
près de la source et à avoir donc un maximum d’informations sûres. Or, ici l’administrateur qui est
également modérateur ne semble pas répondre à ce rôle puisqu’il ne donne pas le thème que l’hôte
du soir a choisi. La fonction d’informateur est donc importante chez l’administrateur, et si celui-ci
ne la remplit pas, les membres n’hésitent pas à lui faire remarquer, faisant fi de tact ou de politesse.
Deux choses permettent d’ailleurs d’expliquer cette façon de critiquer le modérateur, « sans
prendre de pincettes » :
- Sur un forum internet et de manière plus générale sur Internet, les barrières ne sont pas les mêmes
que dans des conversations « réelles », les limites sont plus souples, et les internautes font alors
plus facilement fi des règles de politesse qu’ils ne le feraient dans une conversation orale43.
- L’administrateur-modérateur est associé, chez les membres du forum, à M6. Ce n’est pas une
personne qui fait partie au même titre qu’eux d’une plateforme communautaire, dont l’avis et
quelques traits caractéristiques sont connus de tous. L’administrateur-modérateur est ici celui qui
« met en circulation la parole, et non celui qui la prend 44», mais il est surtout une chaîne de
télévision qui gère un outil de communication. M6 offre aux internautes un service en mettant à
disposition des internautes ce forum, et les téléspectateurs estiment donc que c’est le travail du
CM de leur fournir un service de qualité. C’est également pour cette raison que les membres ne
manquent pas de souligner les dysfonctionnements techniques du forum : « Il est pénible ce forum,
pas moyen d’accéder aux coms correctement et du premier coup ! pff ». Par ailleurs, s’agissant
dans leur imaginaire, non d’une personne mais d’une entreprise qui applique des stratégies
déterminées en amont, le respect n’est nécessairement pas le même qu’envers une personne que
43 Jerslev Anne, op. cit., 44 Colin Jean-Yves et Mourlhon-Dallies Florence, « Du courrier des lecteurs aux forums de discussion sur l’Internet : retour sur la notion de genre », dans Les discours de l’Internet : nouveaux corpus, nouveaux modèles ?, Mourlhon-Dallies Florence, Raotonoelina Florimond, Reboul-Touré Sandrine, Presse Sorbonne nouvelle / Les carnets du Cediscor 8, 2004, p.133
61
l’on considère comme un égal, et même un ami, comme c’est le cas de Fabrice pour les membres
du FNO.
Quand ce n’est pas la fonction d’informateur du modérateur qui est critiquée, c’est le rôle de
censeur qui est assez mal vécu par les télénautes. Il n’est pas rare de trouver des messages de
téléspectateurs se plaignant d’avoir vu leur post supprimé. Je l’avais déjà remarqué sur la page
Facebook officielle d’UDPP : la liberté d’expression y est particulièrement limitée, voire même
absente puisqu’aucun post spontané n’est toléré sur le mur de la page. Evidemment, les choses ne
peuvent pas en être de même sur un forum de discussion, néanmoins lorsqu’un télénaute critique le
comportement d’un candidat de l’émission, son message semble est parfois arbitrairement
supprimé : « @CLAUFA : C'est elle qui a gagné ?? Je viens d'être censurée sans comprendre
pourquoi ............ Bon , je ne ferai plus de commentaires et je garde ma liberté de pensée pour moi
», « moi aussi, j'ai été censurée, c'est du grand n'importe quoi, je disais simplement à la demoiselle
que 1000 euros c'est beaucoup et si elle trouve que ça ne change pas la vie, maintenant qu'elle les
a gagnés, elle peut toujours les donner à une association......... ». La remarque de cette télénaute :
« je ne ferai plus de commentaires et je garde ma liberté de pensée pour moi » semble assez
représentative de la façon dont le FO est géré. Dès lors, si l’administrateur-modérateur du FO
rejoignait assez bien la figure du modérateur décrite par Jean-Yves Colin et Florence Mourlhon-
Dallies (2004) en tant qu’informateur, il s’éloigne sur d’autres plans puisque les auteurs
expliquent que dans le cas d’un forum de discussion « faiblement modéré », le « rôle de censeur »
du modérateur « est minoré au profit de celui d’animateur, chargé de relancer la discussion et de
créer une bonne ambiance 45». Au contraire, cette définition semble davantage convenir à Fabrice,
l’administrateur-modérateur du FNO. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant puisque c’est en raison
de cette limitation de la liberté d’expression que Fabrice a souhaité créer sa propre
plateforme communautaire : « Comme on ne laissait pas la place à des jugements différents et
bien je préférais faire mon propre forum puisqu'il n'en existait pas d'autre à ce moment-là, pour
pouvoir parler librement, dire mes commentaires comme je le pensais, plutôt que d'essayer de
rentrer dans un moule ». Si Fabrice ne vise pas le modérateur de ce forum en particulier, il souligne
les difficultés à s’exprimer sur ce forum, et à exprimer son opinion sans risquer que celle-ci soit
instantanément rejetée en bloc - ce que j’avais d’ailleurs mis en avant précédemment en expliquant
que les commentaires s’approchaient davantage de l’expression d’opinions plutôt que de
compréhension d’opinions divergentes dans le but de faire évoluer la sienne. Dès lors, le rôle que
Fabrice revêt en tant que modérateur est évidemment différent et cela s’en ressent dans les
échanges : sur le FNO, jamais les membres ne se plaignent d’une quelconque censure ou critiquent
de manière assez rude la façon dont Fabrice modère le forum. Si ce dernier garde toujours le
forum en arrière-plan lorsqu’il regarde les émissions culinaires : « Oui je note pour me
rappeler parce que il y a tellement de choses à dire que parfois on oublie de dire certaines choses
45 Colin Jean-Yves et Mourlhon-Dallies Florence, op. cit.,p.134
62
dans le commentaire qui peuvent être un fil de discussion avec les autres », c’est justement pour
revêtir ce rôle d’animateur, « chargé de relancer la discussion et de créer une bonne
ambiance 46».
Cette absence de critique du forum et de sa modération sur le FNO est également un
révélateur de l’aspect communautaire que revêt cette plateforme virtuelle . En effet, si les
critiques sont rares, c’est dans un premier temps car le forum est en fait le fruit non seulement de la
volonté et de l’imagination de l’un des membres les plus actifs, Fabrice, mais également de la
modération de plusieurs membres de ce forum - Lara notamment, « Lafan » sur le FNO – qui à
force d’implication dans le forum en tant que simple membres, en sont venus à participer à sa
modération. Dans un second temps, on peut également évoquer une certaine loyauté envers
cette plateforme communautaire : elle est devenue une source supplémentaire de plaisir à un
moment télévisuel, mais surtout elle a permis à des personnes très éloignées géographiquement et
parfois même socialement, de se connaître et de créer de vrais liens d’amitié (« on est 8, 9 mais il y
a une réelle amitié. On s’est déjà rencontrés, on a dépassé le virtuel » - Lara). Dès lors, on peut
penser que ce que décrit Larsen (2010) à propos des télénautes de Grey’s anatomy s’applique très
bien au FNO : « There is a clear sense of community among the participants. They are united as
fans of a particular show, and they also express loyalty to the specific site where they post their
comments 47».
d) Le forum non officiel : un petit groupe de télénautes, amis avant tout
J’ai pu montrer jusqu’alors que les téléspectateurs usagers du FO s’apparentent
davantage à des anonymes venant exprimer, voire imposer, de manière ponctuelle une
opinion ou une impression, qu’à des téléspectateurs profitant de la plateforme communautaire
pour partager un moment télévisuel. Les échanges entre les membres du FNO ne permettent
pas du tout d’arriver à la même conclusion. Tout, dans leurs échanges, laisse penser à un
groupe d’amis réunis devant un poste de télévision commun au moment de leur émission
culinaire favorite. J’avais d’ailleurs noté l’existence de cette pratique lors de mon étude
précédente sur la réception des émissions culinaires actuelles, Andréa m’avait ainsi confié que la
diffusion de Masterchef le jeudi soir avait pris la forme d’un rendez-vous télévisuel hebdomadaire :
elle et deux de ses amies se retrouvant toujours chez l’une ou l’autre pour regarder l’émission
ensemble, autour d’un repas, afin de commenter le programme tout en n’hésitant pas à dévier sur
d’autres sujets. Dans le cas des membres du FNO, c’est tout à fait le même type de schéma qui se
dessine : la réception se fait collective, au sein d’un groupe d’amis, mais à distance et par
l’intermédiaire d’un forum de discussion Internet.
46 Colin Jean-Yves et Mourlhon-Dallies Florence, Ibid.47 Larsen Peter, op.cit., p.161
63
En témoigne tout d’abord la façon dont la discussion liée à la soirée d’un candidat diffusée
au même moment débute. Notons en premier lieu que la majorité des échanges entre les
télénautes du FNO se déroule au moment de la diffusion de l’émission du soir : les membres
du forum se connectent au moment où UDPP débute, se rendent sur le topic lié à la semaine
d’émission concernée et, plus étonnamment, saluent les autres membres. Les « Kikou tout le
monde » s’enchaînent, et les membres prennent le soin de répondre à chaque nouvel entrant :
« Bonjour micha !! … j’ai déjà dit bonjour à tout le monde :D ». Le fait de dire bonjour n’est pas
fréquent sur les médias sociaux, si certains le font c’est généralement parce qu’ils arrivent
tardivement sur un topic, ne tiennent pas particulièrement à lire tout ce qui s’est dit au préalable, et
commencent donc à rédiger un message synthétisant leur opinion par un « Bonjour, J’ai
personnellement trouvé… ». Dans le cas des membres du FNO, la salutation est très différente, elle
est en fait une manière pour le télénaute, de faire connaître sa présence dans la discussion, de
la même façon qu’il semble parfaitement normal de signaler sa présence dans une pièce en saluant
les personnes qui s’y trouvent également. D’ailleurs, lorsque les membres du forum signalent leur
présence ainsi, ils n’écrivent rien d’autre dans leur message, ce n’est pas une façon d’amorcer un
message plus étayé. Pareillement, il est convenu de répondre à une personne saluant en entrant dans
une pièce, alors les télénautes prennent le soin de répondre à chaque personne entrant dans la
conversation.
Plus étonnant encore, les membres du FNO vont jusqu’à prévenir les autres télénautes
lorsqu’ils doivent délaisser un moment le topic de l’émission : « Bonsoir tout le monde, je passe
et je reviens tout à l’heure *smiley du bisou* ». Lorsque l’on s’appuie sur ce constat, on visualise
aisément la scène suivante : des amis se sont retrouvés chez l’un d’entre eux pour regarder
l’émission ensemble, lorsque l’un arrive il salue tout le monde et est certain que les autres lui
rendront son bonjour. De même, lorsque l’un doit sortir de la pièce pour téléphoner ou répondre à
un besoin naturel, il prévient les personnes avec qui il regarde l’émission, afin qu’elles ne
s’étonnent pas de son absence ou ne s’adressent pas à lui à ce moment-là.
Enfin, lorsque les télénautes décident de quitter le forum – et ce généralement à la fin de la
diffusion de l’émission, ils disent au-revoir aux autres membres, signalant ainsi leur départ de la
conversation mais également la fin de la réception collective au moment de la diffusion de
l’émission : « A demain, bonne soirée à tous ».
Michel Marcoccia (2004), lorsqu’il aborde la question de la « conversation » sur un forum de
discussion, explique qu’ « il reste difficile de considérer que les discussions en forum forment une
conversation » car « on ne peut pas considérer que les échanges dans un forum se déroulent dans
un cadre temporel unifié 48» et il n’y a dès lors pas de véritable « durée de la discussion ». De plus,
il n’y a pas de nombre prévu/préalable de participants et ceux-ci peuvent rentrer comme sortir de la
conversation. Compte tenu de ce qu’on vient de constater chez les membres du FNO, il me semble
48 Maroccia Michel, op.cit., p.27
64
au contraire que l’on peut effectivement qualifier leur échange de conversation . En effet,
le « cadre temporel unifié 49» existe dans la grande majorité des échanges : il s’agit du début de la
diffusion de l’émission jusqu’à environ une heure après que celle-ci se soit terminée. La durée de la
discussion n’est donc certes pas une science exacte puisque d’autres téléspectateurs peuvent
effectivement venir exprimer leur opinion sur le programme plus tard dans la soirée, voire le
lendemain, mais il n’en reste pas moins que lorsque les messages postés prennent véritablement la
forme d’un échange, s’approchant d’ailleurs du chat, ces commentaires « à vif » n’ont lieu que
pendant la diffusion d’UDPP. Par ailleurs, le nombre de participants est également facile à
déterminer puisque tous signalent leur présence, et donc leur entrée dans la conversation. Ils
préviennent même lorsqu’ils doivent s’en échapper. On peut donc facilement identifier qui prend
part à la conversation, malgré tout l’aspect virtuel de celle-ci.
Le petit nombre de membres actifs sur ce forum, et le fait que se retrouver sur le FNO au
moment de la diffusion d’UDPP soit devenu une habitude pour beaucoup d’entre eux, permet de
donner aux échanges l’aspect véritable d’une conversation. Sur ce forum, contrairement au FO,
les télénautes ne viennent pas dans le but de simplement donner leur opinion sans
nécessairement prendre le temps de lire ce qui s’est dit auparavant, ils sont là pour regarder
la télévision ensemble, et donc ajouter à leur réception télévisuelle ce qui apparaît pour
beaucoup d’entre eux être un manque : le fait de pouvoir commenter l’émission à plusieurs.
J’avais déjà pu souligner dans mon enquête qualitative sur la réception des émissions culinaires
actuelles50, l’appétence particulière que les téléspectateurs pouvaient avoir pour la réception
collective des émissions culinaires, permettant un commentaire en direct, alors source
supplémentaire de plaisir à ce moment de détente devant le poste de télévision. C’est d’ailleurs
chez les téléspectateurs dont la préférence allait pour UDPP parmi les émissions culinaires que ce
plaisir était le plus affirmé. Arthur m’expliquait par exemple que regarder UDPP chez lui ne se
faisait jamais en silence : « On se tait pas devant la TV. On analyse pas mais on discute on
commente au fur et à mesure. Autant le personnage que la cuisine, les plats, la présentation… », et
il estime d’ailleurs que regarder seul ne rendrait pas ce moment télévisuel aussi divertissant : « on
peut pas commenter… Ouais c’est moins marrant quoi ». De même, Daniel était très clair sur ce
point, affirmant qu’il commentait « tout le temps » UDPP au moment de la diffusion et que c’était
d’ailleurs là ce qui faisait « le plaisir du programme ». Or, encore faut-il pour commenter ne pas
regarder la télévision seul, ce que la situation familiale de certains des membres du forum ne
permet pas. Ainsi Lara vit seule et Fabrice regarde toujours UDPP seul car sa conjointe n’est pas
encore rentrée du travail, quant à Véronique, il arrive que son mari se joigne à elle lors de la
diffusion de l’émission, mais cela reste assez rare, c’est donc notamment par volonté de pouvoir
partager ce moment télévisuel que ces téléspectateurs se sont inscrits sur le forum : « vu que je les
49 Maroccia Michel, Ibid.50 Blandin Eve-Anaelle, Enquête qualitative sur la réception des émissions culinaires actuelles. Mémoire de Master 1 en Communication, culture et Institutions, Sciences Po Lyon, Lyon, 2012
65
regarde seul j’aime bien parfois les commenter avec des gens qui ont vu, c’est un moyen vraiment
de pouvoir en parler avec des gens qui sont intéressés par les émissions » (Fabrice), « moi j’aime
bien commenter en direct, dès qu’il y a quelque chose qui m’interpelle, j’aime bien réagir à
chaud » (Lara). On constate par la veille, que le forum leur permet effectivement de répondre à ce
besoin puisque les télénautes suivent attentivement la conversation en cours afin de pouvoir
réagir immédiatement aux commentaires, comme s’ils finissaient les phrases des uns et des
autres : « J’aime pas la table non plus, ça fait fouillis et il manque quelque chose … mais quoi ? »
et un autre membre répond dans l’instant « Du bon goût ? ». Ce type d’échange est très proche de
ce qui pourrait avoir lieu si les téléspectateurs de ce forum étaient effectivement réunis devant un
seul et unique poste de télévision, à commenter l’émission. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à faire
preuve d’humour devant l’émission de télévision, un humour partagé puisque les uns et les
autres enchérissent en fonction des différents commentaires : « J’ai beau chercher, je ne reconnais
pas dans son caca, un pain de poulet », est immédiatement suivi de « Le cacapoulet ressemble
beaucoup au cacamangue. Y a un air de famille », puis de : « De l’eau… tu veux dire dans le
cacapoulet ou versée sur les roulés de saumon ? ». Ce type d’échange est très caractéristique d’une
plaisanterie naissante entre des personnes qui ont l’habitude de partager des moments ensemble –
qu’ils soient télévisuels ou non. Les membres du FNO sont donc là avant tout pour ajouter une
source de plaisir à leur moment devant UDPP, n’ayant crainte d’être jugés, se sentant donc
en parfaite confiance et partageant le même état d’esprit que leurs interlocuteurs.
Mais nous allons voir maintenant que bien d’autres points permettent de caractériser la réception
online de ces téléspectateurs usagers de forums de discussion, d’une réception collective proche de
celle d’un groupe d’amis partageant un apéritif en regardant UDPP.
2) Une réception collective virtuelle ?
a) Une soirée entre amis devant Un dîner presque parfait
Mon point précédent m’a permis de marquer la différence entre les expressions des membres du
FO et du FNO, les unes permettant de distinguer un groupe communicationnel distinct, les autres
laissant davantage penser à un ensemble d’anonymes venant satisfaire un besoin d’expression
plutôt que de conversation. J’ai de plus pu montrer l’impact de la modération du forum sur le type
de réception online, tel qu’il transparaît à travers les discours des usagers. Mais je souhaite aller
plus loin sur la question de la réception collective virtuelle. C’est en effet l’un des points les plus
inattendus de mon mémoire passé, et alors que je distinguais clairement une réception collective
virtuelle grâce à l’analyse des entretiens des membres du FNO interrogés, je souhaitais aujourd’hui
confronter cette conclusion par une autre méthode, celle de la veille, et à un autre public, celui du
FO.
66
L’un des points marquants de cette veille comparative est tout d’abord que de prime abord,
les télénautes des deux forums semblent privilégier le même type d’usage de la plateforme
communautaire sur laquelle ils s’expriment : c’est principalement au moment de la diffusion
de l’émission ou dans la soirée qui suit que les membres des forums postent leurs messages, avec
un pic d’activité au moment même de l’émission. On retrouve donc ici un schéma plutôt classique
lorsqu’on étudie la corrélation entre la plateforme virtuelle d’expression consacrée à une émission
de télévision et le moment de diffusion du programme télévisé. Le rapport France Telecom sur les
internautes suivant Loft Story (Beaudouin, Beauvisage, Cardon ,Velkovska, 2003) explique en
effet que sur le chat consacré à Loft Story, la majorité des commentaires est émise pendant la
diffusion de l’émission, et ceux-ci suivent « l’intrigue » de l’émission qui se déroule sur leur
écran : « Les publics de l’émission s’articulent à la structure temporelle de l’émission (en tant
qu’intrigue composée d’événements, entre un début et une fin) 51». Pourtant, malgré cette
similitude notable, il semble plus juste de qualifier les échanges des télénautes du FNO de
réception collective virtuelle, que ceux des échanges des télénautes du FO . En effet, si les
télénautes des deux forums sont connectés au même moment, ce n’est pas pour autant que
chaque forum forme un groupe communicationnel : on ne peut véritablement distinguer le
nombre de participants parmi les usagers du FO, et on ne peut qualifier leurs échanges de
« conversation » puisque beaucoup de télénautes ne prennent pas le temps de lire ce qui se dit, ils
ne font que donner leur avis. Enfin, les apartés sont nombreuses, si bien que les échanges sont
décousus, « tronqués 52», et beaucoup de messages ont une « dimension monologale dans la mesure
où ils ne paraissent pas susciter l’enchaînement 53». En étudiant la réception online des
téléspectateurs du FO, on constate donc que l’on retrouve très bien les caractéristiques des
échanges sur les forums de discussions décrits par Michel Marcoccia (2004), puisque ceux-ci sont
en effet « rarement enchâssé[s] ; il[s] pren[nent] généralement la forme d’une intervention
initiative qui suscite plusieurs interventions réactives de même niveau54 ». Au contraire, le schéma
n’est pas du tout le même sur le FNO puisque l’on sait précisément qui est présent dans la
conversation, chaque membre prenant soin de saluer lorsqu’il y entre, de préciser lorsqu’il doit s’en
échapper, et de souhaiter une bonne soirée aux autres membres lorsqu’il quitte la conversation.
Mais d’autres points laissent penser à une réception collective virtuelle que je comparerai
ici à une soirée entre amis devant UDPP. En effet, les simples échanges entre les télénautes du
FNO permettent littéralement de visualiser la scène de ce moment télévisuel que des amis de
longue date ont décidé de partager. Si nous pouvons par exemple connaître les allers et venues
de chaque individu dans la pièce réservée au poste de télévision, nous pouvons également savoir
comment les différentes personnes réagissent devant les moments clefs du programme
51 Beaudouin Valérie, Beauvisage Thomas, Cardon Dominique, Velkovska Julia, op.cit., p.3852 Marcoccia Michel, op.cit., p.3653 Marcoccia Michel, Ibid., p.3054 Marcoccia Michel, Ibid., p.31
67
télévisé puisque les télénautes prennent le soin de le noter : « suis morte de rire », « la nuit cet
immeuble est encore plus beau ! », en y ajoutant parfois des smileys ou des abréviations de manière
à rendre leur sentiment encore plus explicite : « AU SECOURS !!! ». Malgré cette
précision sur les sentiments ressentis lors de la diffusion de l’émission, je ne qualifierais pas ces
commentaires « d’affective performances 55». Je crois en fait que ce type d’expression nait sur le
FNO dans une véritable dynamique de partage télévisuel. Alors que la réception d’une émission
de télévision se fait collective lorsque des proches la regardent en même temps et la commentent,
les membres du FNO en font de même : ils écrivent ce qu’ils formuleraient à haute voix si les
autres télénautes étaient dans la même pièce qu’eux, et imagent leurs réactions afin de dépasser la
barrière du virtuel.
On constate ensuite que la réception online des téléspectateurs membres du FNO prend
également la forme d’une véritable recherche du divertissement par l’intermédiaire de cette
plateforme communautaire. En effet, tous les téléspectateurs que j’ai pu interroger l’an passé
m’ont clairement expliqué que les émissions culinaires actuelles étaient certes bien souvent pour
eux une source d’apprentissage, mais elles restaient avant tout un moment de détente qui arrivait à
point nommé après une journée de travail par exemple, et c’était tout particulièrement le cas pour
UDPP. Or, j’ai pu le souligner précédemment, le fait de regarder l’émission à plusieurs et donc de
la commenter était une source supplémentaire de divertissement et de plaisir pour les
téléspectateurs. Par la veille analytique que j’ai mené, il apparaît clairement que nous sommes
exactement dans la même dynamique du moment télévisuel distrayant, qui ne l’est que davantage
lorsqu’on le partage avec d’autres.
Notons tout d’abord que sur le FNO, « l’ambiance » - telle qu’elle transparait dans les échanges
entre les télénautes – est clairement bon enfant : les membres du forum sont détendus, ils
s’amusent de ce qu’ils voient sur leur écran et n’hésitent pas à se taquiner les uns les autres .
Par exemple, alors que la semaine d’émission qui s’amorce est marquée par la présence de Norbert
Tarayre, et que celui-ci horripile l’un des membres du forum, les usagers du FNO ne manquent pas
de plaisanter au sujet de la réaction que ce membre pourrait avoir en regardant l’émission et
pensent donc, en plaisantant, qu’il serait mieux de lui interdire l’accès au topic : « Avec Norbert
toute la semaine, Liva tu es interdite de séjour ici … lol », « Coucou Richelieu, tu as pu voir Fred a
mis que Liva était interdite ici cette semaine, sinon elle va faire une crise d’acnée ». Notons
d’ailleurs par cet exemple que la façon dont Fred – Fabrice dans mes entretiens réalisés l’an passé,
l’administrateur-modérateur du forum - modère ce forum contribue à cette ambiance bon enfant :
alors que son statut lui donne le rôle de censeur, il s’en sert en plaisantant, affirmant que Liva,
55 Jerslev Anne, op. cit., p.171
68
l’une des membres, n’aura pas accès à ce topic d’émission puisqu’il va être très souvent question
de Norbert, mais en réalité Liva s’exprimera autant que les autres sur le sujet. Autre exemple, les
membres s’amusent d’un jeu de mot en assistant au repas de piètre qualité d’Ecclésiaste : « J’ai
beau chercher, je ne reconnais pas dans son caca, un pain de poulet !!! » obtient comme réponse
« De l’eau … tu veux dire dans le cacapoulet ou versée sur les roulés de saumon ? » et encore,
« Sébaa on est dans le même trip LOL ». Les membres du forum se plaisent donc à rire de ce qu’ils
voient sur leur écran, des taquineries qu’ils peuvent se faire les uns les autres en sachant
pertinemment que celles-ci ne seront pas mal interprétées, ils partagent même un humour commun
(« on est dans le même trip ») qui ne rend leur moment télévisuel que plus complice. Bien que ces
moments de réception collective soient beaucoup plus rares sur le FO, ils semblent parfois
prendre forme justement sous le signe du rire et du divertissement . Lorsque plusieurs
télénautes s’amusent de ce qu’ils voient sur l’écran, les uns et les autres enchérissent également,
usant à leur tour de l’ironie ou de la moquerie bon enfant : « Combien de temps son pantalon va-t-il
rester sans tache ? », « Et la tête de Norbert quand il goûte … mdrrrrrrrr ». Les membres du FO
deviennent alors l’espace d’un instant des téléspectateurs réunis devant un téléviseur qui pourrait se
trouver dans une pièce unique et commentent en direct de l’émission, enchérissant toujours sous le
signe de l’humour et de la moquerie sympathique, allant parfois même jusqu’à utiliser un « on »
bien rare dans leur discours mais qui traduit ce moment de complicité : « mdrrr cest un cas mais on
se marre bien^^ ». La complicité est d’ailleurs sans doute le meilleur terme pour qualifier les
échanges qui se forment entre les télénautes du FNO et quelques fois ceux du FO lors de la
diffusion de l’émission, une complicité qui permet de regarder une émission de télévision de la
même façon, c’est-à-dire dans le cas présent en usant d’une certaine distance avec le contenu
télévisuel qui doit avant tout être une source de divertissement, la conversation qui y est liée y
contribuant alors largement.
Une autre preuve de cela dans les discours des membres du FNO réside d’ailleurs en le fait que
les téléspectateurs commentent au maximum ce qui se déroule sur leur écran, comme si
l’émission et plus généralement le contenu télévisuel n’était qu’un prétexte pour créer un
échange communicationnel entre les membres. En effet ceux-ci dérivent bien souvent de la
thématique principale du topic pour mener des conversations plus larges qui permettent également
de mieux se connaître les uns les autres. Ainsi, lorsqu’une candidate d’UDPP décide de mettre au
cœur de son « animation » sa passion, le pole dance, cette pratique est source de remarques et
interrogations qui n’ont plus vraiment à voir avec le jugement de la qualité de l’animation de la
candidate : « Avis masculin.. s'il te plait RICHELIEU... t'en penses quoi du pole dance.. !??? », et
Richelieu de répondre « Pour le pole dance, bof. Je vois pas l’intérêt des contorsions ;) ». De
même, les spots publicitaires font également l’objet de commentaires : « Une pub meetic : "on a
une table de dix, je serai le 9e et y aura personne en face de moi". Vous vous disposez vraiment
comme ça vous dans les virées entre ami(e)s ? ». Cette « dérive » des conversations vis-à-vis de
69
l’objet principal – l’émission d’UDPP diffusée au même moment – est là encore très typique d’une
réception collective : la télévision est un support de base à une conversation, il permet d’en ouvrir
une sur un sujet commun qui permet ensuite de nombreux élargissements. Et il n’est en fait pas si
surprenant de retrouver ce même processus sur une plateforme communautaire puisque la réception
en elle-même est un processus qui se construit tant dans le visionnage d’une émission que dans
l’échange communicationnel qui y est lié – avant, pendant ou après la diffusion de l’émission. Si,
comme l’explique Brigitte Le Grignou (2003), la télévision peut servir de base à une conversation
entre collègues, il semble logique qu’elle puisse également en être une entre des inconnus plus
éloignés géographiquement et éventuellement socialement. Dans les deux cas, la télévision permet
d’aller vers l’intime de quelqu’un sans pour autant lui poser des questions indiscrètes. Pour
les membres de plateformes d’échange spécialisées dans des émissions de télévision, c’est
une façon de connaître ces autres téléspectateurs qui conservent pourtant leur anonymat
grâce au pseudonyme et à la simple absence d’interaction réelle, grâce à un « stock de
connaissances disponibles » et cette fois non « supposées partagées56 », mais effectivement
partagées par la raison même de la présence des téléspectateurs sur cette plateforme.
Comment j’avais pu le montrer au travers de mon étude sur la réception des émissions
culinaires actuelles, ces programmes télévisés - comme c’est le cas pour beaucoup d’émissions
revenant régulièrement que ce soit de manière quotidienne ou hebdomadaire – sont devenus pour
les téléspectateurs un rendez-vous à ne pas manquer, prenant alors la forme d’un rituel : « il
s’agit davantage de pratiques qui se sont forgées petit à petit, devenant alors des habitudes
revêtant certains codes : un jour spécifique, en faisant toujours la même chose en même
temps, avec éventuellement les mêmes personnes 57». Ainsi UDPP est devenu la « pause »
de Véronique : « je prends ma clope, mon petit thé et je reconnais que c’est ma pause », et
un moment de partage que Lara a pris l’habitude de savourer chaque jour de la même
façon : « je suis dans un fauteuil ou en même temps devant l’ordi pour commenter à chaud
quand c’est pour commenter à chaud les émissions ». Or c’est justement avec ce type
d’habitudes ritualisées que, pour reprendre les termes de Lara, « des habitudes
s’installent » et « des relations se créent » entre les membres du forum. Ainsi, alors que
les membres du FNO prennent le soin de se saluer généreusement chaque jour, à chaque
début et fin d’émission, leurs discours laissent transparaître la place que ce moment de
réception online a pris dans leur quotidien : « Oui, espérons que ce soit mieux demain... »,
« A demain, Micha », « A demain, bonne soirée à tous ! ». La veille réalisée permet donc de
montrer que les téléspectateurs de ce FNO se retrouvent de manière habituelle, sans même se
56 Boullier D, 1987, p.36, cité dans Le Grignou Brigitte, Du côté du public : usages et réception de la télévision, Paris, Economica, 2003, p.12457 Blandin Eve-Anaelle, op.cit.
70
poser la question, et toujours de la même manière, tous les soirs alors que l’émission est
diffusée. Ils se retrouvent virtuellement certes, sur ce forum, mais en fait, quelle serait vraiment la
différence avec un début de soirée passé ensemble autour d’un seul et même poste de télévision ?
Puisque l’on peut, simplement en réalisant une veille de ce forum, s’imaginer parfaitement la
scène, les entrées et sorties de chacun dans la pièce, les rires ou l’agacement de chaque ami. Je
n’utilise d’ailleurs pas le terme d’ « ami » par hasard pour qualifier les membres du FNO. Car en
prenant ces habitudes ritualisées de retrouvailles virtuelles lors de la diffusion d’UDPP, les
membres ont tout d’abord appris à se connaître les uns les autres, à connaître les préférences
de certains d’entre eux, à savoir par avance ce qui va marquer plus particulièrement l’un des
membres lors de l’émission du soir. Ainsi comme j’ai pu le souligner précédemment, les
téléspectateurs usagers du FNO savent que l’une d’entre eux éprouve une profonde aversion pour
Norbert Tarayre, c’est pour cette raison qu’ils annoncent avant même qu’elle ne commente
l’émission : « Avec Norbert toute la semaine, Liva tu es interdite de séjour ici … ». Les télénautes
imaginent également les réactions des membres absents lors de la diffusion de l’émission, ce qui
suppose une connaissance assez importante de tout un chacun, d’autant que dans ce cas précis il ne
s’agit pas particulièrement d’un goût ou d’une préférence du membre vis-à-vis d’UDPP, mais d’un
sujet bien plus général – le fait de porter de nombreux tatouages : « Je m’en doutais Richelieu il y a
vraiment de quoi s’enfuir, à mon avis si Fred nous lit il pensera pareil ». C’est de plus par le seul
usage que certains télénautes font du FNO que les autres membres apprennent à connaître leurs
habitudes de vie, leur emploi du temps ou des caractéristiques de leur métier, sans même avoir eu à
poser la question : « Richelieu c’est rigolo quand on te voit la journée je peux supposer que tu es
relativement cool au boulot, c’est bien de temps en temps », et Richelieu de répondre « Oui. J’ai
quand même l’occasion de souffler parfois ».
Un autre point important est à évoquer au sujet de cette réception collective online. Si des
« relations se créent », des caractères et des habitudes de vie se font connaître à travers les
échanges et la façon dont les télénautes utilisent le forum, on note aussi que ce petit groupe
d’amis a créé une culture commune, à travers le développement d’une expertise pointue
autour de l’émission mais aussi d’un vocabulaire et de références partagés par l’ensemble des
membres du FNO. Ainsi, il est fréquent que les téléspectateurs usagers de ce forum fassent
référence à d’autres épisodes d’UDPP, afin de le comparer à l’émission diffusée au même moment
ou simplement parce qu’un passage du dîner de l’hôte leur fait penser à une émission passée :
« Comme chez Florent en Vendée ? LOL », « C’est vrai que ça aurait pu finir en pugilat, comme à
La Roche … ». Non seulement les membres du forum se souviennent assez bien des anciennes
émissions pour y faire référence, mais en plus ils sont capables de donner des détails sur ces
anciennes émission afin que les autres téléspectateurs comprennent à laquelle ils font allusion, en
précisant par exemple le lieu de la semaine à laquelle ils pensent (« à La Roche », « en Vendée »)
71
mais parfois même le nom d’un candidat (« chez Florent ») ou une péripétie particulière à un dîner
(« en pugilat »).
Cette culture commune se distingue également par le vocabulaire qu’ils utilisent et qui leur est
propre. Lors du dîner du candidat Ecclésiaste, les membres se mettent d’accord sur le fait
qu’Ecclésiaste devrait être mis « aux oubliettes » : « En tout cas, si le gag n’est pas avéré d’ici la
fin de la semaine, je propose qu’on nomme Ecclesiaste aux oubliettes pour sa cuisine (et pas pour
le reste qui l’air d’avoir ravi les invités ». En disant vouloir mettre Ecclesiaste aux oubliettes, les
membres du FNO font en fait allusion à une catégorie du forum dans laquelle ils classent les plus
mauvais candidats d’Un dîner presque parfait. Or, compte tenu de la piètre qualité gustative du
repas de ce candidat, les membres estiment qu’il aurait bien sa place dans cette catégorie. Alors
même que tous les téléspectateurs usagers de ce forum comprennent immédiatement à quoi cette
remarque fait allusion, il est impossible de la comprendre sans être un habitué du forum, ou sans
avoir pris le temps d’étudier la structure générale du forum, catégorie par catégorie, ce qui n’est
évidemment pas le loisir le plus répandu de l’internaute lambda.
Cette caractéristique de culture experte se retrouve également parfois sur le FO . En effet sur
cette plateforme communautaire également les téléspectateurs sont pourvus d’une grande
connaissance de l’émission puisqu’ils parviennent aisément à porter un regard sur l’évolution
de l’émission au vu de la tonalité de certains épisodes : « ok, ça peut paraître drôle mais c'est un
peu limite pour une émission de cuisine. Bon ça nous change des bobos qui se prennent la tête mais
là c'est digne d'une émission de cuisine pour les enfants. Et encore, je crois qu'ils feraient mieux ».
A travers ce commentaire, on constate deux types d’expertise vis-à-vis d’UDPP : le télénaute est
doté d’une connaissance sur les émissions de cuisine en général et peut donc avoir un jugement sur
la cohérence entre ce qui est attendu d’une émission dont la thématique principale est la dimension
culinaire et ce qui est présenté à UDPP. Par ailleurs, le téléspectateur usager du FO fait
implicitement référence à d’autres épisodes d’UDPP lorsqu’il note « ça nous change des bobos qui
se prennent la tête », soulignant alors que les candidats d’UDPP guindés sont pour le moins
fréquents. Cette membre ci note également sous une autre forme que certains candidats « se
prennent la tête » et que cela n’apporte rien à l’émission, au contraire du dîner d’Ecclesiaste qui
permet à UDPP de revenir à ce qu’elle était et doit être : « Ces éclats de rire m’ont manqués depuis
un bon bout de temps. DSL mais voici un réel Diner presque parfait ».
Dans les deux cas on retrouve ce que Flichy (2010) a théorisé en décrivant le groupe de fans qu’il
caractérise comme spécialiste d’une culture, et en présentant le fan comme capable de construire
une « communauté de récepteurs qui commentent l’œuvre et plus généralement conversent autour
d’elle 58». En effet, tous les téléspectateurs de ces plateformes d’échange semblent avoir une
connaissance approfondie d’UDPP, acquise grâce à plusieurs années de réception de cette émission
qui existe depuis 2006. Une connaissance qui leur permet de faire référence à des épisodes passés
58 Flichy Patrice, op.cit., p.31
72
sans craindre de ne pas être compris, ainsi que d’analyser l’évolution de ce programme télévisé. Ils
commentent donc en effet ce qui se déroule sur leur écran, mais sont aussi capables, grâce à une
« culture experte et distinctive 59», de « convers[er] autour d’elle 60» en faisant s’affronter des
visions de l’émission et des analyses de son évolution.
Notons cependant une différence dans ces deux groupes de fans. En ce qui concerne les
membres du FO, il est clair que les téléspectateurs usagers de ce forum possèdent cette culture
experte et distinctive, mais celle-ci n’est pas véritablement propre leur plateforme
communautaire, elle s’approche davantage de la culture experte des téléspectateurs habituels
et de longue date d’UDPP. En revanche, les membres du FNO ont une culture experte propre
au forum www.1dinerpresqueparfait.com puisqu’ils font également référence à des catégories
du forum, dont certains membres sont à l’origine de la création. Ils se sont réappropriés le système
de notation de l’émission en classant eux-mêmes les candidats qu’ils considèrent être les plus
mauvais dans la catégorie « oubliettes » du forum, et savent tous exactement à quoi il est fait
allusion lorsqu’un membre emploie ce terme.
Une dernière caractéristique permet de conclure à une réception online sous beaucoup
d’aspects collective, et ce de manière beaucoup plus flagrante sur le FNO.
On retrouve bien souvent deux types de commentaires sur le FNO. Il existe tout d’abord les
commentaires que je qualifierais de purement « expressifs », par lesquels les télénautes cherchent
avant tout à retranscrire le sentiment que provoque en eux l’émission, à le partager avec les autres,
c’est-à-dire en fait, avec ceux avec qui ils regardent l’émission. Nous l’avons vu, ce type de
commentaire domine également sur le FO. Le deuxième type de message est par contre plus
spécifique au FNO, il s’agit pour les membres du forum de non seulement exprimer un
sentiment ou une opinion, mais de creuser celle-ci en questionnant les autres membres . Cela
peut prendre plusieurs formes.
On note en premier lieu le commentaire venant s’enquérir de l’avis des autres
téléspectateurs de manière purement liée à l’émission : « Bon dans le dîner ça va, mais ça
casse pas trois pattes à un canard non ? ». Dans ce premier cas, le télénaute partage une
impression sur le dîner de l’autre, mais attend en quelque sorte la confirmation des
personnes avec qui il regarde l’émission. Son opinion n’est pas tranchée tant que les
autres membres n’ont pas partagé leur propre avis.
Dans un second temps, le commentaire peut-être toujours lié à l’émission, mais
davantage orienté dans le but de créer un sujet de discussion pouvant s’éloigner de la
thématique principale du topic – UDPP. Je l’ai montré précédemment, les téléspectateurs
du FNO se plaisent à partir du contenu télévisuel pour « dériver » sur des sujets plus larges,
or dans ces cas précis, ils vont directement interroger leurs compagnons virtuels de
59 Le Guern P., 2002, dans Le Grignou Brigitte, op. cit.60 Boullier D, 1987, p.36, cité dans Le Grignou Brigitte, op. cit.
73
réception télévisuelle. Ainsi, le sujet de départ est bien souvent l’animation du candidat.
L’une des candidates de la semaine étudiée a choisi comme animation le « pole dance », or
ce choix surprend les télénautes, ce qui les amène à vouloir converser sur cette activité.
Mais alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que les télénautes discutent le bien-fondé ou la
cohérence d’une telle activité avec cette émission culinaire, on constate que c’est en fait
une conversation sur le pole dance en lui-même et non son lien avec l’émission qui
nait : « Avis masculin.. s'il te plait RICHELIEU... t'en penses quoi du pole dance.. !??? » ,
et Richelieu de répondre : « Pour le pole dance, bof. Je vois pas l'intérêt des
contorsions ;-) ». On a donc ici une véritable recherche de multiplicité des points de vue
(« avis masculin ») afin de certes alimenter la conversation, mais aussi d’avoir toutes les
cartes en main pour se faire une opinion finale, et donc porter un jugement final étayé de
différents avis. On trouve un autre échange du même type, dont la thématique est cette fois
les tatouages que porte la jeune femme. De prime abord, les membres du forum sont assez
critiques : « que c’est laid ces tatouages », « j’aime pas les gens qui utilisent leur corps
comme un cahier brouillon pour y faire des graffitis ». Mais l’une des membres va là
encore s’enquérir d’un avis masculin : « 2ème question du jour à nos hommes du forum.
Vous rencontrez une fille mignonne de figure, en hiver donc bien couverte, et au moment
du deshabillage vous apercevez tous ces tatouages quelle est votre réaction ? », Richelieu
de répondre : « Y a tatouage et tatouage. Un petit discret ou une bande dessinée ? Je crois
qu'essayerais de faire abstraction, et c'est d'autant plus facile dans le premier cas que dans
le second... », et la membre du forum d’en conclure : « Je m'en doutais Richelieu il y a
vraiment de quoi s'enfuir, à mon avis si Fred nous lit il pensera pareil ». Si ce deuxième
échange semble davantage orienté dans la volonté de créer une conversation plus large, on
constate deux points intéressants : la membre parle de « nos hommes », ce qui renforce là
l’idée d’être face à une véritable communauté, voire à un groupe d’amis, et la télévision
semble encore parfaitement remplir son rôle de point de départ à des discussions plus
grandes, impliquant des avis voire des partages d’expériences plus personnels. Par ailleurs,
le dernier message laisse entendre que la téléspectatrice a eu une réponse lui permettant de
confirmer son impression (« Je m’en doutais Richelieu, il y a vraiment de quoi s’enfuir »),
elle peut donc s’asseoir confortablement dans son jugement puisque tous les membres,
même les hommes, semblent le partager.
Le troisième type d’échange n’est cette fois plus lié à UDPP mais toujours à ce qui se
déroule sur l’écran qui réunit les téléspectateurs aussi éloignés puissent-ils être
géographiquement. En effet les membres du forum, je l’ai déjà évoqué , se plaisent parfois
à commenter les spots publicitaires : « Une pub meetic : "on a une table de dix, je serai
le 9e et y aura personne en face de moi". Vous vous disposez vraiment comme ça vous dans
les virées entre ami(e)s ? ». Bien que cette remarque ne soit plus liée à une émission faite
74
de performances de candidats que le téléspectateur a l’habitude de juger du fait même de la
compétition sur laquelle repose UDPP, la télénaute transmet là encore une impression aux
autres membres afin de la confronter à leurs propres expériences et donc à savoir si cette
impression est la bonne.
Bien que dans la typologie décrite tous les échanges ne partent et ne portent pas véritablement sur
UDPP, on retrouve bien les « communautés d’expériences 61» définies par Flichy (2010) lorsque
celui-ci s’intéresse au groupe de fan sur le web. Il explique en effet que les « communautés de
partage élaborent, à partir des expériences individuelles, un point de vue collectif 62». La
communauté décrite par Flichy (2010) revêt néanmoins un caractère très instrumental : les
internautes viennent questionner, partager leurs expériences et lire celles des autres dans le but
premier d’y trouver des conseils. Dans le cas du FNO, la citation s’applique parfaitement, mais
sans que les télénautes viennent chercher des conseils, ils utilisent ici le forum pour exposer
une impression et souhaitent la confronter à l’avis des autres personnes, en qui ils ont
confiance, afin de confirmer ou au contraire de faire évoluer leur jugement, sur quelque
thématique que ce soit. On retrouve donc une réception collective dans le sens où elle se construit
non seulement dans l’expression d’une opinion mais dans le partage, l’écoute, et l’échange
d’impressions, mais en plus une réception collective dans un cercle amical puisque l’avis des uns et
des autres est suffisamment estimé pour que le jugement de chacun évolue, grâce au collectif.
L’usage que font les téléspectateurs du FNO de cette plateforme communautaire est
assez unique en son genre ; c’est en fait la seule plateforme parmi celles étudiées où j’ai pu
souligner une réception collective véritablement affirmée. Les téléspectateurs usagers du FNO
utilisent le forum non seulement comme un moyen d’expression mais comme un moyen de
regarder leur émission à plusieurs, de recréer une situation de réception collective avec tout ce
qu’elle implique – commentaires, railleries, discussions plus larges – grâce à un outil 2.0 . Ils
s’en servent également, et in fine, pour partager un moment télévisuel avec non seulement d’autres
téléspectateurs, mais avec des personnes avec qui ils ont tissé au fil des mois voire des années
des liens sous beaucoup d’aspects proches de l’amitié. Comme j’ai pu le montrer dans mon point
précédent, cet usage bien particulier du forum de discussion ne se retrouve pas du tout autant chez
les usagers du FO. Même si ceux-ci semblent également posséder une culture experte, elle n’est pas
propre au forum mais davantage au public fidèle de l’émission depuis longtemps. De plus, un
échange parvient parfois à se mettre en place, mais cela ne concerne que les moments où le
divertissement ou au contraire le conflit prend le dessus. Au final, les téléspectateurs usagers du FO
se servent davantage du forum pour exprimer leur opinion voire l’imposer plutôt que de
comprendre celle des autres, ou encore participer plus activement à l’émission en notant les
61 Flichy Patrice, op.cit., p.6662 Flichy Patrice, Ibid., p.66
75
candidats, sans chercher à converser autour de cette notation. Leur usage du forum de discussion
n’est pas si différent de l’usage que les télénautes font de Facebook ou Twitter : bien qu’ils
viennent s’exprimer sur le web au sujet d’une émission de télévision et dans le cadre de ce qui se
veut être une « communauté » virtuelle de téléspectateurs, leur réception reste très individuelle.
b) Réception collective plus ou moins affirmée, comment expliquer la différence entre les deux forums ?
La méthodologie choisie pour ce mémoire – la veille analytique- ne me permet pas de trouver
des raisons à cette différence de forme et d’usages des deux forums de discussion , cela aurait
sans doute été davantage possible en y associant des un questionnaire ou plus sûrement des
entretiens. Néanmoins je souhaite énoncer quelques pistes d’explications.
Le référencement du site peut tout d’abord entrer en ligne de compte. En tapant « Un
dîner presque parfait + Forum » sur une interface de recherche google – sans être
connectée à mon compte google, de manière à ce que la recherche ne soit pas orientée par
les mots clefs que je tape le plus souvent, ces derniers en faisant partie – je constate que le
forum officiel arrive en première position des résultats, alors que le forum
www.1dinerpresqueparfait.com n’arrive qu’en 7ème position.
Le téléspectateur faisant pour la première fois cette recherche google dans le but de
participer à un forum de discussion se rapportant à l’émission va logiquement s’intéresser
d’abord à celui qui arrive en première position de sa recherche. D’autant plus que « M6 »
apparaît dans l’intitulé du lien et de l’adresse, ce qui permet à l’internaute d’être sûr qu’il
s’agit bien d’un forum lié à cette émission de télévision. Enfin, dans le descriptif situé en
dessous de l’intitulé servant de lien au FNO, on peut lire : « Le forum (non officiel) des
programmes de M6 et de TF1 Un dîner presque parfait, Masterchef et Top Chef ». Deux
points dans ce descriptif peuvent être un frein pour le téléspectateur d’UDPP faisant pour
la première fois la démarche de rechercher une plateforme communautaire pour
s’exprimer sur l’émission :
- Le fait que le caractère « non officiel » du forum soit précisé dans le descriptif n’est en
quelque sorte pas rassurant pour un téléspectateur n’étant pas habitué à venir discuter de sa
pratique : avec un forum officiel le téléspectateur en conclue que c’est la chaîne qui l’a
mis en place et qui le gère afin que ses téléspectateurs puissent s’exprimer, il y est en plus
vivement encouragé à chaque fois qu’il regarde l’émission et connaît donc probablement
l’existence de ce forum avant même sa recherche. Alors qu’il n’a aucune idée des
personnes qui peuvent être « derrière » ce forum non officiel.
- La descriptif précise de plus que le forum est consacré à trois programmes TV : Un dîner
presque parfait, Masterchef et Top Chef, or le téléspectateur d’UDPP ne l’est pas
76
forcément des autres émissions ou n’a peut-être pas envie de converser sur ces autres
émissions. En fait, avec cette précision, le FNO correspond tout simplement moins à sa
recherche initiale que le FO.
Pour ces raisons, le téléspectateur nouveau venu sur la toile va plus facilement se diriger
sur le forum officiel, ce qui ne l’empêchera pas d’aller visite le forum non officiel plus
tard. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour deux des membres du FNO lorsqu’ils ont
commencé leur recherche de plateforme communautaire pour discuter de l’émission avec
d’autres téléspectateurs : « Donc je faisais partie du forum de M6 UDPP et il y a eu un
conflit d'intérêt avec d'autres personnes qui s'étaient un peu trop installées sur ce forum-
là. Et comme on ne laissait pas la place à des jugements différents et bien je préférais
faire mon propre forum puisqu'il n'en existait pas d'autre à ce moment-là » (Fabrice,
l’administrateur et modérateur du FNO), « Je suis inscrite depuis mars 2009 donc ça fait 3
ans, j'y suis arrivée un petit peu par hasard. J'étais tombé sur le forum officiel mais j'ai dû
y rester 15 jours même pas, je m'y plaisais pas du tout, c'était la foire d'empoigne, les gens
s'engueulent, c'est assez violent » (Lara). Ces deux membres du FNO ont donc eu la même
démarche : ils se sont tout d’abord inscrits au FO, et celui-ci ne leur convenant pas, ils ont
approfondi leur recherche, ont donc cliqué sur d’autres liens que leur proposait leur
recherche google, et ont découvert le FNO, sur lequel ils sont finalement restés.
En étant le forum le mieux référencé, le FO attire chaque jour de nouveaux téléspectateurs
qui font de ce forum leur première expérience sur une plateforme communautaire reliée à
l’émission. Cela peut permettre d’expliquer pourquoi les membres de ce forum
s’apparentent clairement dans l’usage qu’ils font du forum à de « (nombreux) anonymes ».
L’arrivée permanente de nouveaux membres rend plus difficile la réception collective car
les membres n’ont en fait pas le temps de se connaître, de s’apprivoiser, et in fine de créer
des liens.
Une autre caractéristique renforce d’ailleurs cela : le nombre. Il n’est certes pas possible
de connaître le nombre exact d’internautes participant au forum officiel UDPP, puisqu’en
s’inscrivant à celui-ci on s’inscrit en fait à tous les forums de M6, qui regroupent en tout
2342890 membres. Néanmoins le forum d’UDPP fait partie des forums les plus actifs de
la chaîne. A titre de comparaison, le FNO compte 20 membres enregistrés dont le plus
récent étant moi-même, lorsque je m’étais inscrite début 2012 afin proposer aux membres
de réaliser un entretien.
La différence de nombre de membres peut avoir plusieurs conséquences :
- En ce qui concerne le FO, les topics sont alimentés par un grand nombre de personnes,
tant et si bien que si le nombre de messages par topic est assez proche de celui sur le FNO,
les messages sont issus de beaucoup plus de membres différents que sur le FNO. Dès lors,
il peut être décourageant pour les téléspectateurs de voir tant de commentaires émis
77
par des personnes différentes, la lecture de cette suite d’avis est alors sérieusement
menacée et les internautes se contentent in fine d’ajouter leur opinion à la longue suite de
messages, participant ainsi à faire de ce forum une plateforme communautaire où ce sont
les « expressions extimes63 » qui dominent plutôt qu’une véritable conversation entre des
téléspectateurs d’UDPP.
- Du côté du FNO en revanche, c’est très probablement le petit nombre de membres
venant participer à chaque topic qui permet notamment d’arriver à la réception collective
virtuelle que j’ai pu décrire précédemment. En effet, l’image même d’un apéro dînatoire
entre amis réunis afin de regarder ensemble une émission de télévision n’est pas associée à
un grand nombre de personnes présentes dans la même pièce, au contraire, il s’agit plutôt
d’un petit groupe de personnes, suffisamment peu nombreuses pour pouvoir échanger
facilement, ensemble, et pour connaître les habitudes et goûts télévisuels des uns et des
autres. Cela ressort d’ailleurs très bien dans l’entretien que j’ai pu réaliser avec Véronique
l’an passé, elle-même membre active du forum : « Et en farfouillant je suis tombée sur un
blog, un forum, et je me suis installée. Et je suis restée sur ce forum, je sais pas trop
pourquoi, j'ai eu un accueil adorable là de cette petite bande de nanas, plus fred là le
jeune homme qui a créé le forum. » Le terme de « petite bande » utilisé par Véronique est
très caractéristique de l’usage que font les membres du FNO de cette plateforme virtuelle :
c’est devenu un lieu de rencontre où des amis se retrouvent afin de passer non seulement
un moment télévisuel – faisant ainsi de leur réception une réception collective – mais
également de parler de choses et d’autres qui n’ont parfois plus grand-chose à voir avec
l’émission : « Et puis à côté de ça on parle de géographie, de lecture, d'autres sujets
complètement divers et variés mais c'est quand même la cuisine qui nous a réunis. »
Il faut enfin noter que cette « petite bande » peut également être la raison même pour
laquelle le nombre de membres sur ce FNO ne s’élève guère rapidement. En effet, en
allant sur ce forum, les téléspectateurs cherchant un forum de discussion sur lequel
s’exprimer peuvent se sentir intrusifs dans ce groupe d’amis qui se connait depuis
longtemps et dont les membres partagent en fait une part de leur quotidien. Les nouveaux
arrivants peuvent se sentir décontenancés par ce forum de discussion où tous les membres
se connaissent et se côtoient – certes virtuellement – quotidiennement. Dans son article
consacré aux téléspectateurs de Grey’s anatomy sur le web, Peter Larsen (2010) fait un
rapprochement entre cette communauté de fans de série TV et les principes définis par
Habermas (1989) pour intégrer des discussions privées sur des sujets publics : « disregard
of the participants’ social status », « critical discussion », « inclusiveness »64. Il souligne
alors par exemple que les membres du forum s’expriment de manière anonyme et que dès
63 Flichy Patrice, op.cit., p.3164 Larsen Peter, op. cit., p.162
78
lors, le social background des participants ne compte pas, seule leur argumentation est
importante. Par ailleurs, « anyone with internet access may join the party provided they
obey the general rules of discourse. The rules are not meant to shut certain people out 65».
Dans les termes, il semble qu’il en soit de même sur le FNO, mais dans la pratique cela
semble plus contestable. Dans un premier temps, les membres du FNO s’expriment certes
sous un pseudonyme, mais tous savent comment les membres s’appellent véritablement,
ils connaissent également généralement leur lieu de résidence ou encore leur métier.
D’ailleurs, comment en serait-il autrement puisque les membres se téléphonent
régulièrement (« Yen a une autre que j'ai au téléphone une fois par mois et voilà c'est
comme si on se connaissait depuis toujours » - Véronique) et même se rencontrent
réellement (« On s'est déjà rencontrés, on a dépassé le virtuel » - Lara) ? De même, il est
incontestable sur les règles du FNO n’ont pas pour but d’empêcher de nouveaux télénautes
de se joindre à cette communauté, mais dans la pratique, il semble difficile pour des
nouveaux arrivants de véritablement se sentir à leur place alors que sur des sujets
spécifiques aux émissions, les messages échangés dérivent bien souvent de la thématique
principale et les membres font alors souvent allusion à des éléments plus personnels des
uns et des autres, ou à des habitudes qu’ils ont pris ensemble. Cette réception collective
virtuelle a donc sans doute en partie été rendue possible grâce au petit nombre de
membres actifs sur ce forum, et c’est également probablement cette réception
collective proche d’une « petite bande » d’amis qui explique le peu d’évolution du
nombre de membres sur ce forum.
Le dernier élément d’explication à la différence d’usage que l’on distingue entre les
téléspectateurs membres du FO et ceux membres du FNO que je souhaite avancer réside
en la différence de modération des deux forums. Comme j’ai pu l’évoquer précédemment,
la modération sur le FO est beaucoup plus ferme qu’elle ne l’est sur le FNO. Si non
seulement les membres habituels du FO ne tolèrent guère d’opinions divergentes, mais
qu’en plus le modérateur use de son rôle de censeur activement voire arbitrairement
(compte tenu de l’incompréhension que les deux usagers du forum expriment), il semble
clair que les possibilités d’une réception collective à distance par l’intermédiaire de ce
forum soient plus que réduites. Au contraire, alors que les membres du FO se plaignent
souvent de censure et n’hésitent pas à critiquer vivement la modération qui est à l’œuvre,
jamais Fred – l’administrateur-modérateur du FNO, Fabrice dans mes entretiens réalisés
l’an passé – ne subit de telles critiques. En effet, si Fabrice prend à cœur son rôle de
modérateur en notant des passages de l’émission qui seront susceptibles de créer une
véritable discussion sur le forum, il ne cherche pas pour autant à contrôler les membres du
forum ou du moins leurs expressions. Au contraire, il est tout à fait conscient du fait que
65 Larsen Peter, Ibid., p.163
79
c’est lorsque la conversation dérive de son sujet principal que de véritables liens se
tissent : « j'aime bien parfois les commenter avec des gens qui ont vu, c'est un moyen
vraiment de pouvoir en parler avec des gens qui sont intéressés par les émissions. Et puis
au fur et à mesure à force d'en parler on apprend à les connaître et à en savoir plus sur
eux, donc forcément ça déborde après sur autre chose ». C’est dès lors la conception
même du rôle de l’administrateur-modérateur qui n’est pas la même. De plus, le fait que
d’autres membres du forum soient intégrés à la modération transforme également
nécessairement celle-ci, ils sont de loin les mieux placés pour pouvoir répondre aux
attentes des téléspectateurs de ce forum.
3) La réception online des téléspectateurs d’Un dîner presque parfait, après la diffusion de l’émission
Je me suis jusque-là attachée à analyser la réception online des membres des deux forums, dans la
forme et dans l’usage que les télénautes faisaient de ces plateformes virtuelles, au moment de la
diffusion de l’émission quotidienne. Cependant, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer, la
réception télévisuelle est un processus qui ne se termine pas à la fin de l’émission. Il se poursuit a
posteriori, au travers des conversations notamment, ce qui en fait donc un point important de mon
étude, car si tous les téléspectateurs que j’ai étudiés à travers leurs discours online viennent
s’exprimer sur des médias sociaux, ils ne sont pas tous télénautes et n’utilisent donc pas
nécessairement leur ordinateur en même temps qu’ils regardent l’émission.
a) A posteriori de l’émission, quelle attention prêter aux messages échangés pendant la diffusion ?
Etudions tout d’abord la façon dont les membres de deux forums naviguent sur les plateformes
virtuelles lorsqu’ils viennent sur celles-ci après que l’émission ait pris fin.
En ce qui concerne le FNO, bien que la majorité des échanges sur le topic se déroule au
moment de la diffusion d’UDPP, certains membres ne viennent discuter de l’émission que plus
tardivement le soir, ou le lendemain. Les commentaires sur la soirée d’un candidat en particulier ne
dépassent cependant jamais le lendemain midi de la diffusion. Pour certains télénautes, il y a une
raison on ne peut plus pratique à cet usage : ils ne sont pas rentrés du travail et regardent l’émission
en replay avant de venir en discuter sur le forum, ils préparent le repas du soir tout en prêtant un
œil au téléviseur, etc. Pour d’autres, comme Fabrice – l’administrateur-modérateur du forum dont
le pseudonyme est Fred -, c’est là un véritable choix de réception : « Est-ce que vous commentez
en même temps l’émission sur le forum ? Non moi c'est souvent après parce que quand je regarde
l'émission j'aime bien essayer de voir les détails des menu pour pouvoir en parler. »
Quoiqu’il en soit, lorsque les téléspectateurs membres du FNO vont sur le topic consacré à la
semaine d’émission, ils commencent par relire l’ensemble des échanges qui ont eu lieu
80
pendant la diffusion de la quotidienne : « J'en ai marre en ce moment je me retrouve toujours en
haut alors du coup il faut que je fasse marche arrière pour mieux vous lire ». Cet exemple de
message est très caractéristique de la façon dont les téléspectateurs du FNO utilisent le forum a
posteriori de l’émission : l’intérêt pour eux n’est pas seulement de venir exprimer leur avis mais
aussi (et surtout ?) de prendre connaissance de la discussion qui s’est déroulée entre les fidèles du
forum pendant l’émission, afin de pouvoir parfois enrichir la conversation de leur propre expertise :
« C’est vrai que ça aurait pu finir en pugilat, comme à La Roche … Rolling Eyes ». Rappelons
que l’administrateur-modérateur, qui s’exprime toujours sur le forum une fois que l’émission
est terminée, tente de faire en sorte que la conversation entre les membres du forum soit
toujours riche après la diffusion de la soirée de l’hôte du jour, comme il me l’expliquait en
entretien : « J'ai toujours une feuille devant moi où je note les choses que je mettrai après dans
mon commentaire, mais je commente à chaud. Oui je note pour me rappeler parce qu’il y a
tellement de choses à dire que parfois on oublie de dire certaines choses dans le commentaire qui
peuvent être un fil de discussion avec les autres. » Fabrice fait donc toujours en sorte d’être aussi
précis que possible lorsqu’il vient réagir sur le forum à l’émission qui vient de se dérouler – il
prend des notes pendant la diffusion dans ce but – afin que son commentaire puisse en susciter
d’autres, que l’une de ses remarques ou impressions puissent « être un fil de discussion avec les
autres ».
Lorsque les téléspectateurs absents du forum ne viennent qu’a posteriori et qui plus est assez
tardivement dans la soirée voire le lendemain, ils rédigent parfois un message se rapprochant
d’une synthèse de leurs impressions lors de la diffusion de l’émission : « je viens de regarder le
"replay" pour la deco de la table pas aime trop "poubelle" c'etait un gag? l'animation bof eplucher
et croquer dans un oignon.... le repas l'apero semblait assez simple mais pas pour moi, l entree le
potage avait l'air bon dommage qu'il y avait de la creme, plat le veau avait l'air tendre mais pas
assez cuit, quand au dessert ..trop calorique. En conclusion je n'aurai rien mange mais ça ne veut
pas dire que ce n'etait pas bon ecclesiaste a beaucoup aime. Je n'aime pas particulierement
Norbert mais si il a une grande gu..le il a quand meme bon coeur j'ai lu qu'il donnait des cours de
cuisines a des femmes en prison. Bonne soiree a tous ». Ces messages sont alors beaucoup plus
longs que ceux étudiés jusqu’alors, et en ce qui concerne ce message-ci, il ne semble pas que la
téléspectatrice recherche véritablement la discussion puisqu’elle clôt en quelque sorte toute amorce
de conversation autour de son opinion en concluant son message par « bonne soirée à tous ».
Néanmoins, dans la majorité des cas, lorsque les membres ne viennent s’exprimer qu’a posteriori,
non seulement ils prennent connaissance des échanges, mais leur message – prenant généralement
la forme d’une synthèse de leurs impressions suite au visionnage de la soirée du candidat – est
également lu et repris par d’autres membres, pouvant alors donner naissance à une nouvelle
discussion. Celle-ci reste néanmoins limitée puisque les commentaires a posteriori sont somme
81
toute peu nombreux, l’activité du forum ne reprenant véritablement qu’à l’approche de la diffusion
de l’émission du soir.
L’usage du FO par les téléspectateurs a posteriori est un peu plus hétéroclite.
Au niveau de la structure temporelle des messages sur le forum, on constate qu’en règle générale,
sur chaque topic consacré au candidat du jour, on trouve deux pages de commentaires postés avant
l’émission, quatre pages pendant la diffusion, et environ quatre pages après. C’est donc là une
première différence avec le FNO : les télénautes s’expriment davantage que sur le FNO a
posteriori de l’émission. Cela ne semble néanmoins pas particulièrement étonnant puisque le
commentaire en direct de l’émission permet surtout de recevoir l’émission de manière collective, ce
qui n’est vraisemblablement pas particulièrement recherché par les membres du FO. Cela se
confirme d’ailleurs lorsqu’on jette un premier regard aux messages postés a posteriori de
l’émission : beaucoup prennent la forme d’expressions « extime66 », une suite d’avis revenant sur
les différents points marquants de l’émission, synthétisés, sans véritablement rechercher un
quelconque échange avec les autres membres du forum :
« En ce qui me concerne, hier soir j'ai quand même bien rit ! Ca été du folklore toute la soirée,
mais ça été marrant. Je me suis autant amusé que Norbert. En tout cas Ecclésiaste est arrivé à
faire rire Odile, ce n'est quand même pas mal ? Ca fait longtemps que un DPP ne m'avait autant
fait rire. »
« Grosse barre de rire ce soir. :D J'ai mangé pour une semaine là, franchement excellent le gars !
Cuisiner sans plaques de cuisson fallait le faire, sérieusement m6 faut nous en proposer d'autre,
j'ai passé un super moment, merci encore <3 »
Dans ces exemples, les téléspectateurs ne font pas allusion à un message du topic posté auparavant
sur lequel ils auraient voulu revenir afin d’approfondir la problématique évoquée, ils écrivent à la
première personne du singulier sans s’adresser à quelqu’un en particulier. Par ailleurs, le caractère
officiel du forum ressort dans le second exemple puisque le membre semble en fait poster ce
message afin de s’adresser à M6 : des remerciements (« merci encore <3 ») mais également
l’expression d’une attente envers la chaîne pour améliorer le programme (« sérieusement m6 faut
nous en proposer d’autre »).
Si l’on trouve de nombreux messages de ce type a posteriori de la diffusion, il faut souligner que
tous les téléspectateurs ne viennent pas sur ce forum pour simplement exprimer un avis, plusieurs
prennent également le temps de lire ce qui s’est dit auparavant, et de réagir sur certains points :
« Bonsoir. Pas vu les préparations mais le repas, qui ne m'a pas paru mériter la note finale de 7 et
des poussières. OK. elle est jeune et a eu l'air d'assumer grâce en petite partie à NORBERT qui, je
l'espère aidera également les autres candidats !! je ne le connaissais pas mais il est sympa malgré
son sourire à la Fernandel !! Le chapeau de Eclesiaste ne m'a pas dérangée si tel est son truc ! j'ai
66 Flichy Patrice, op.cit., p.46
82
hâte de le voir demain à l'oeuvre mais il me semble bon convive. Espérons qu'il soit bon
cuisinier.BONNE SOIREE A TOUS ET TOUTES ET A DEMAIN ! »
Dans cet exemple de message, la phrase « Le chapeau de Eclesiaste ne m’a pas dérangée si tel est
son truc » prouve que le téléspectateur a lu au moins une partie des échanges puisque le fait que le
candidat Ecclésiaste porte un chapeau à table a été vivement discuté lors des échanges entre les
téléspectateurs en direct de l’émission. Par ailleurs, on peut affirmer que certains membres lisent
les commentaires qui l’ont précédé puisqu’ils reviennent parfois sur l’un d’entre eux en particulier,
en utilisant la technique d’aparté très présente sur le FO : « @CLAUFA Question de goût,
personnellement j’ai horreur du veau rosé ».
Notons de plus un usage très spécifique au FO et induit par la structure même de cette
plateforme virtuelle. Comme j’ai pu l’expliquer précédemment, le forum UDPP d’M6 est divisé
en plusieurs catégories : « Forum de l’émission », « Prestations », ou « Candidat ». Les
téléspectateurs s’expriment de manière plus étayée et libre dans la catégorie « Candidat ». Au
contraire sur le FNO, il n’existe qu’un topic correspondant à la semaine d’émission (que l’on
caractérise grâce à la ville dans laquelle elle se déroule). Cette structure différente impacte sur la
manière dont les internautes utilisent le FO. En effet, alors qu’on pourrait penser que tous les
commentaires liés par exemple à la soirée d’Ecclésiaste sont postés sur le topic consacré au
candidat Ecclésiaste, ce n’est en fait pas toujours le cas. Les membres du FO respectent
parfaitement la structure de celui-ci, si bien que lorsqu’ils souhaitent s’exprimer sur le
comportement d’une candidate lors de la soirée d’Ecclésiaste, ils le font sur le topic consacré à
cette même candidate, alors même que la majorité des commentaires sur ce topic ont été posté le
jour de son dîner :
« @colline6645 : Tout a fait d'accord avec vous le diner d'Odile mérite de gagner, pour l'instant
son repas est vraiment le meilleur, ce soir je trouve que la gamine critique un peu trop et a mon
avis elle va sous noter, elle joue la gagne mais elle se rend surtout compte que Odile a mis la barre
trés trés haute. Il faut reconnaitre que Laury avait moins de travail surtout que papa était là pour
donner un bon coup de main, Odile a beaucoup préparer de chose il y avait vraiment beaucoup de
travail. »
Dans ce cas, le membre s’exprime a posteriori de l’émission consacrée au dîner de la candidate à
laquelle le topic est consacré (Laury), mais en simultané à la diffusion du dîner d’un autre candidat,
dans ce cas-ci celui d’Odile, puisqu’il juge le comportement de Laury. Dès lors, la structure
même du forum favorise les réactions a posteriori, mais a posteriori du dîner du candidat
auquel le topic est lié, pas nécessairement a posteriori de la diffusion de l’émission, le jour où
le téléspectateur s’exprime.
b) Le forum utile : adresser un message au candidat
83
Je l’avais déjà remarqué en analysant la page Facebook officielle d’UDPP, le caractère
officiel d’une plateforme communautaire la rend attractive auprès des téléspectateurs car elle
est un gage de proximité : les internautes s’en servent alors pour communiquer non seulement
avec la chaîne, mais surtout avec les candidats qu’ils voient évoluer pendant une semaine à travers
leur écran de télévision.
Or les téléspectateurs viennent souvent sur le FO a posteriori de l’émission (en général le soir ou le
lendemain matin une fois que l’émission prend fin, ou encore le weekend, lorsque la semaine de
diffusion est terminée et que le nom du gagnant est connu), dans le but de s’adresser à un
candidat en particulier. Dans ce cas encore, ils s’expriment dans la catégorie « Candidat » du
forum, et sur le forum lié au candidat à qui ils souhaitent adresser un message. On trouve alors
plusieurs types de messages :
Les téléspectateurs ont parfois l’initiative d’aller sur le topic consacré à un candidat afin
de lui exprimer toute la déception que lui inspire son comportement : « Bien joué , vous
avez sous noté vous avez atteint la mème note qu'Odile mais votre repas est loin d'arriver
à celui qu'elle nous a présenté ce soir . Je suis déçu par votre attitude quoique je m en
moque .............. mais cela me fait plaisir comme vous qui notez bas ». Le forum agit
alors comme un exutoire pour ces téléspectateurs qui y trouvent là un moyen de
s’adresser « directement » au candidat qui les a déçus pendant cette semaine
d’émission.
Nous y reviendrons mais il arrive que le résultat final ne soit pas celui que les
téléspectateurs attendaient et qu’ils estimaient juste, ce fut tout particulièrement le cas
pour cette semaine d’émission puisque deux candidates sont arrivées ex aequo. Dès lors,
comme s’ils craignaient que le candidat soit blessé par ce résultat, les téléspectateurs
viennent s’adresser à lui une fois le résultat connu – et éventuellement toutes les émissions
regardées en replay - pour lui témoigner tout son soutien : « j'ai tout aimé,ta délicatesse,
ta rencontre avec nobert en cuisine et ta passion que tu as fais vivre tout au long de la
soirée, bisous laury je pense que c'est toi la grande gagnante de cette semaine », « Odile,
pour le moment vous êtes la grande gagnante de la semaine, une parfaite cuisinière […]
Félicitations pour la réalisation vous-même de la pâte à chou très bien exécutée et la pâte
feuilletée qui demande beaucoup de temps, pliages..[…] Bravo pour les nombreux
desserts bien exécutés ». A travers ses messages de félicitations comme de soutien, on
perçoit l’attachement que les téléspectateurs ont pu développer envers certains candidats,
un attachement qui permet d’expliquer pourquoi ces derniers font la démarche de
venir s’exprimer sur ce forum afin de témoigner leur soutien : « Bravo Maman Odile,
j'ai beaucoup beaucoup aimé votre dîner et votre personnalité qui s'est révélée au cours
de la semaine. Vous faisiez une belle paire vous et Norbert le soir de votre prestation une
belle complicité qui crevait l'écran ».
84
Enfin, certains téléspectateurs réagissent juste à la fin de la diffusion du dîner d’un
candidat ou lorsque la semaine de diffusion est terminée, et se rendent sur le forum officiel
dans le but d’adresser de pures et simples félicitations, soulignant le moment de
plaisir télévisuel qu’ils ont vécu : « Merci Norbert pour votre participation (hormis la
façon de givrer les verres...) c'est surtout votre rire et le rire des convives qui m'ont fait
rire !!! Sûr qu'on ne va pas l'oublier de si tôt ce DPP !!! », « J'ai suivi Top Chef et je suis
contente de retrouver un grand cuisinier tu le mérites, j'ai vraiment passé une très bonne
semaine, reste comme tu es avec de vrais valeurs, ta joie de vivre, surtout resté naturel
c'est important. Magalie » . On est ici très proche du type de commentaires que j’avais pu
identifier sur la page Facebook officielle de l’émission.
Deux choses jouent pour expliquer ce type de messages postés sur le FO a posteriori de
l’émission du soir ou même de la semaine d’émission. Le caractère officiel de ce forum tout
d’abord : les usagers ne recherchent clairement pas une réception collective ou un échange avec
d’autres téléspectateurs puisqu’ils ne se connectent qu’a posteriori de la diffusion de l’émission, ils
viennent sur ce forum pour adresser un message à un candidat, qu’il s’agisse de félicitations ou de
critiques, pensant probablement que ce dernier va le lire puisqu’il s’agit du forum officiel, et donc
de référence. Alors même que le FNO est décrit dans son référencement google comme un forum
non officiel de l’émission, et qu’il n’est constitué que de 22 membres, il semble peu probable qu’il
puisse exister un lien quelconque entre cette plateforme virtuelle et les candidats de l’émission TV.
C’est ensuite la structure même du forum qui encourage implicitement des messages
directement adressés aux candidats : la catégorie « Candidat » du forum semble y être un appel.
Alors qu’il existe des catégories « Prestation » ou « Forum de l’émission », il peut sembler logique
pour le téléspectateur cherchant uniquement à soutenir ou féliciter un candidat en particulier que la
catégorie « Candidat » ait pour but de créer un lien communicationnel entre les téléspectateurs et
les hôtes de cette semaine, ou au moins que ce soit sur cette catégorie que les candidats se rendent
afin de savoir ce que le public a pensé de cette prestation.
c) Le forum non officiel, un moyen de savoir quelle émission regarder ou de remplacer le visionnage d’UDPP
Si le fait d’utiliser le forum comme moyen d’entrer en contact avec le candidat ou au moins
d’être lu par un candidat, est spécifique à l’usage que les téléspectateurs font a posteriori du FO, le
FNO possède également une spécificité. En effet, les membres du FNO utilisent cette
plateforme communautaire, et en l’occurrence les échanges qui ont eu lien entre les membres
pendant la diffusion de l’émission quotidienne, afin de savoir s’il « vaut le coup » de la
regarder en replay ou non. C’est en effet ce que m’expliquait Véronique, membre fidèle du
85
forum, lorsqu’au cours de son entretien je lui demandais si elle était particulièrement fidèle à
l’émission : « oui dès fois je zappe parce que j'ai une maison qui me demande beaucoup de temps,
et dès que le printemps arrive je rentre pas à 18h pour regarder la tv, je suis dehors jusqu'à 8h du
soir parce que je m'occupe de mon jardin, ça m'arrive de regarder en replay parce que j'ai des
amis qui me disent "regarde le replay parce que là ça vaut le coup" ou "regarde pas parce que là
c'était naze". » En réalité, lorsque Véronique parle de « ses amis » il s’agit des membres du forum :
lorsqu’elle n’a pas eu le temps de regarder l’émission de la veille et qu’elle se connecte comme
tous les matins sur le forum, elle s’appuie sur les commentaires échangés entre les membres du
FNO pour savoir si elle devrait regarder le dîner en replay ou non.
En réalisant une veille sur ce forum au cours de cette semaine d’émission, j’ai pu noter que certains
membres du FNO se servent effectivement parfois de cette plateforme communautaire pour
remplacer le visionnage de l’émission. Ainsi, s’ils n’ont pas eu le temps de regarder UDPP le jour
même ou la veille, ils commencent par lire les commentaires des télénautes pendant la diffusion de
l’émission et s’en contentent si ces derniers n’ont pas été particulièrement enthousiastes : « Bon je
n’ai pas loupé grand-chose..vos comm sont bien maigrichons, j’en déduit rien de transcendant à se
mettre sous la dent…LOL ». Et cette usage des membres du forum n’est d’ailleurs en rien fait
inconsciemment ou officieusement, il peut même prendre la forme d’une demande d’un
téléspectateur aux membres qui seront devant leur poste de télévision lors de la prochaine émission
et commenteront en direct sur le forum : « faites de bons commentaires pour m’éviter le replay…
merci LOL ». Dans ce dernier cas, il ne s’agit même pas de savoir s’il « vaut le coup » ou non de
regarder l’émission en replay, mais bien de remplacer le visionnage de celle-ci par les
commentaires des membres du forum.
Cet usage du forum a posteriori de la diffusion de l’émission témoigne alors de deux choses :
Nous sommes effectivement face à non seulement un groupe de téléspectateurs fidèles de
l’émission, mais plus encore à un groupe d’amis habitués à regarder l’émission
ensemble puisqu’ils se font suffisamment confiance pour remplacer le visionnage de
l’émission par la simple lecture des commentaires échangés, ou pour déterminer s’il est
nécessaire de regarder le replay.
Cet usage est également un bon exemple de la façon dont la réception peut se
poursuivre après que l’émission de télévision ait été diffusée et parfois sans même que
les personnes l’aient regardée : c’est dans la discussion avec autrui que la réception peut
se construire, de la même façon que, lors d’une conversation entre collègues ou proches,
l’un demanderait à l’autre de lui raconter l’émission de la veille parce qu’il n’a pas pu la
regarder.
Rappelons enfin que cette confiance envers les autres membres du forum et cette réception se
poursuivant, parfois même se créant, dans l’échange bien après que l’émission ait été diffusée, sont
86
en grande partie rendues possibles grâce à la présence quotidienne - qui se confirme avec les
années - de ce groupe de téléspectateurs sur le FNO :
« Moi j'y suis depuis 3 ans et je les ai pas lachés. On critique, on es tlà pour mettre nos
commentaires, nos petits grains de sel sur les émissions le soir. Bon si yen a qui n'ont pas vu, elles
sont là pour mettre des petits résumés, c'est une petite papote sympathique. » (Véronique)
« Il y a eu un premier membre qui était mimi et d'autres ont suivi et donc là depuis il y a eu des
fidèles, on est une dizaine de fidèles qui viennent tous les jours sur le forum. » (Fabrice)
« Vous allez tous les jours sur le forum ? Oh oui ya pas un jour où j'y vais pas, si j'y suis pas c'est
que j'ai un problème d'ordi. » (Lara)
La Social TV est considérée comme une transformation du moment télévisuel car « si la
télévision permet déjà depuis plusieurs années de voter en direct par SMS ou audiotel pour son
candidat préféré, jamais elle n’avait encore permis une interaction plus profonde, notamment en
permettant les commentaires en parallèle de la diffusion et les partages de contenus entre
communautés 67». J’ai pu montrer qu’il était incontestable qu’un grand nombre de télénautes se
plaisaient effectivement à commenter l’émission en direct de sa diffusion, un usage du forum de
discussion qui permet à certains groupes de téléspectateurs de faire de leur réception télévisuelle
une réception collective virtuelle. Pour autant, si les partages de contenus me sont apparus être
un des éléments sur lesquels M6 misait fortement pour faire vivre sa page Facebook ou son fil
Twitter (répondant là à une attente effective des téléspectateurs usagers de ces deux réseaux
sociaux), ils n’existent quasiment pas sur les forums de discussion, du moins tel que j’ai pu le
constater sur cette semaine de veille. S’ils n’apparaissent pas dans les catégories des forums
consacrées à l’émission TV, qui ont donc fait l’objet de mon analyse, on peut néanmoins penser
qu’ils sont plus effectifs dans d’autres catégories. Ainsi, les usagers de Facebook ont exprimé par
l’intermédiaire d’un sondage leur désir d’avoir accès grâce à la page officielle d’UDPP à des
recettes des candidats, aussi détaillées que possible, c’est donc là le principal contenu qui existe sur
la page, qui permet par ailleurs de poursuivre la réception de l’émission à travers la réalisation des
recettes. Or sur les deux forums, des catégories existent semblant prompts à accueillir ces échanges
de contenus. Sur le FO, la catégorie « Astuces » est surtout destinée aux astuces culinaires, ce qui
ne semble guère étonnant pour des téléspectateurs d’UDPP. On trouve ainsi des topics tels que :
« Comment rattraper une crème chantilly », « Pâte à beignets de crevettes gonflée et croustillante
comme au restaurant asiatique ». Sur le FNO, les membres peuvent poursuivre leur réception des
émissions culinaires grâce à divers catégories. Ainsi, une rubrique « On en parle » permet
d’échanger des informations sur l’émission, en donnant le lien d’un article de presse ou d’un
reportage télévisé. Les téléspectateurs de ce forum conversent également autour de la thématique
67 Cimelière Olivier, « L’écran TV se connecte au social, les téléspectateurs aussi ? », 06/06/2012, http://www.leblogducommunicant2-0.com/2012/06/06/lecran-tv-se-connecte-au-social-les-telespectateurs-aussi/
87
principale par laquelle ils ont été réunis : la cuisine. La rubrique « Les petits plus du forum »
regorge de « problèmes culinaires » des uns et des autres : certains demandent des conseils pour
réaliser un met en particulier, d’autres se tournent vers les membres du forum afin de retrouver une
recette vue dans l’émission.
Dans tous les cas cet échange de contenu existe, à condition de savoir où le chercher. C’est
d’ailleurs là l’un des enseignements que l’on peut tirer de cette étude des usages des forums de
discussion consacrés à UDPP : des règles existent, elles ont pour but de catégoriser les discussions.
Si les dérives et autres hors sujets peuvent apparaître lorsque les membres échangent sur une soirée
réalisée par un des candidats d’UDPP, les échanges de contenus n’ont pas leur place sur ce topic,
et le modérateur n’a en aucun moment besoin de leur rappeler ça : ils vont d’eux-mêmes s’exprimer
aux endroits créés de toutes pièces afin d’héberger la thématique sur laquelle ils souhaitent
converser. Ce point est assez intéressant lorsque l’on repense à la problématique de la conversation
sur un forum de discussion Internet évoquée par Mourlhon-Dallies, Raotonoelina, Reboul-Touré
(2004). Dans le premier chapitre de leur ouvrage, les auteurs expliquent qu’il est difficile de
qualifier les échanges sur un forum Internet de conversation puisque l’unité thématique est
« relative », les discussions parallèles se développent très fréquemment, ce que les auteurs
considèrent comme une « décomposition thématique 68». Or ce que l’on constate avec la veille de
ces deux forums ne semble pas aller dans le sens de ce qui est expliqué par les auteurs. En effet, les
membres des forums, en particulier ceux du FO veillent à aller s’exprimer au bon endroit, dans les
bonnes catégories, afin de respecter l’organisation thématique du forum. S’il est vrai que les
téléspectateurs du FNO dérivent souvent de la thématique principale du topic, UDPP, ils vont
néanmoins dans d’autres catégories du forum pour parler de chose qui n’ont vraiment rien à voir.
Et en ce qui concerne le FO, les usagers sont encore plus vigilants aux règles implicites du forum :
la discussion sur les topics des candidats ne s’égare quasiment jamais et ils vont également dans
des catégories bien distinctes pour échanger sur une thématique complètement différente.
**
Cette partie consacrée à l’usage que les téléspectateurs d’UDPP font des forums de
discussion et à la forme que prennent leurs messages voire leurs échanges m’a permis de mettre en
avant une importante différence entre les deux forums étudiés : alors qu’une réception collective
virtuelle s’est incontestablement construite sur le FNO, elle n’existe pas ou peu sur le FO.
De prime abord, il semble que les membres des deux forums utilisent leur plateforme
communautaire de façon identique : la majorité des téléspectateurs privilégie l’utilisation du forum
en direct de la diffusion d’UDPP, se servant alors des topics comme d’un chat. Néanmoins, même
si l’usage du forum en tant que chat et suivant la temporalité de l’émission télévisée semble
privilégié sur les deux forums, le double screening ne prend pas la même forme sur ces
plateformes communautaire. En effet, les membres du FO vont avoir tendance à se rendre sur le
68 Mourlhon-Dallies Florence, Raotonoelina Florimond, Reboul-Touré Sandrine, op. cit., p.27
88
forum au moment de la diffusion de l’émission, usant alors de messages courts et expressifs, mais
sans véritablement prêter attention aux autres téléspectateurs virtuellement présents : les membres
ne prennent que rarement le temps de lire les messages des uns et des autres, ils ne saluent guère les
télénautes présents ni ne quémandent explicitement leur avis. De plus, lorsqu’ils s’intéressent à ce
que les autres membres disent, on constate une importante distance entre eux : c’est le vouvoiement
qui domine les quelques rares échanges, les téléspectateurs s’incluent dans le public de l’émission
mais pas dans un public à part entière (une communauté qui aurait pourtant pu être celle de la
plateforme virtuelle sur laquelle ils s’expriment), ils sont d’ailleurs souvent pourvus d’une culture
experte or celle-ci n’est pas propre aux membres du FO mais davantage à la culture générale des
téléspectateurs fidèles d’UDPP, une dynamique conflictuelle s’installe rapidement alors que les
télénautes cherchent davantage à imposer leur opinion qu’à en discuter voire à la faire évoluer en
fonction de celle des autres membres, enfin la modération du forum et le forum en lui-même sont
bien souvent critiqués.
La situation est bien différente sur le FNO, la réception des membres se fait très clairement
collective comme le démontrent ces quelques éléments :
- Les échanges en direct de l’émission sur le FNO prennent la forme d’une soirée pendant
laquelle des amis se retrouvent chez l’un d’entre eux afin de regarder ensemble UDPP : chacun
salue les autres lorsqu’il entre dans la pièce et les prévient lorsqu’il doit s’échapper quelques
instants, les télénautes finissent les phrases des uns et des autres dans l’instant, beaucoup de
messages témoignent de références communes et d’un humour partagé donnant alors naissance à
une culture commune propre aux membres du FNO.
- Les télénautes prennent soin de transcrire tous leurs sentiments devant la télévision dans
le but d’un partage télévisuel et afin de recréer véritablement une situation de réception collective.
- Les membres du FNO viennent exprimer un sentiment ou une opinion mais ils cherchent
surtout à creuser celle-ci en questionnant les autres membres : la réception collective se construit
alors non seulement dans l’expression d’une opinion mais aussi et surtout dans le partage, l’écoute,
l’échange d’impressions, le tout au sein d’un cercle amical où l’avis des uns et des autres est
suffisamment estimé pour que le jugement de chacun évolue.
Même a posteriori de l’émission, cette différence d’usage et in fine de réception se
confirme : alors que chaque message est lu et bien souvent commenté par tous sur le FNO, c’est
beaucoup plus rarement le cas sur le FO. De plus, sur le FO, beaucoup d’usagers viennent
s’exprimer a posteriori dans le but d’adresser un message à un candidat, alors que sur le FNO, les
téléspectateurs viennent bien souvent sur cette plateforme virtuelle pour savoir, grâce aux messages
des autres membres, s’il « vaut le coup » de regarder l’émission du soir ou même pour remplacer le
visionnage de l’émission par cette la simple lecture des avis des autres membres. On est donc
clairement dans une utilisation fort différente de ces médias sociaux qui sont pourtant identiques au
départ.
89
Compte tenu de mes hypothèses de départ, je constate donc qu’en ce qui concerne celle
propre aux forums de discussion (« Les forums de fans correspondent davantage à une réception
collective de l'émission : le but étant d'avoir un échange et non seulement d'exprimer une
opinion »), la veille m’a permis de la confirmer en partie : c’est effectivement une réception
collective que permet le forum de discussion lorsqu’on étudie le FNO, mais cela ne se confirme pas
sur le FO. Voyons alors si le caractère officiel peut influencer cela puisque c’était là tout l’objet de
ma seconde hypothèse de recherche (« Sur des plateformes officielles on trouvera davantage de
posts destinés à commenter l'émission en générale, sans véritablement porter attention aux
commentaires des autres télénautes. Les adresses directes à la production ou aux candidats sont
plus fréquentes »). La structure même des deux forums étudiés, et donc le caractère officiel de
l’un d’eux, peut en effet permettre d’expliquer cette différence d’usage et de réception des
téléspectateurs usagers :
- La modération n’est clairement pas pensée de la même manière : alors qu’elle est
professionnelle sur le FO puisque celui-ci est géré par M6, l’administrateur-modérateur du FNO est
un membre à part entière de la plateforme virtuelle d’échanges. Fabrice est donc apprécié et
respecté en tant que membre de ce forum, membre du groupe d’amis que les téléspectateurs usagers
du FNO constituent. Fabrice souhaite également favoriser l’échange et créer une discussion, il mise
davantage sur son rôle d’animateur des discussions que sur celui de censeur, alors même que les
critiques envers la censure exercée sur le FO sont fréquentes. Enfin, même la modération du FNO
est collective puisque plusieurs membres sont des modérateurs.
- Etant officiel, le FO bénéficie d’un meilleur référencement sur google, dès lors il est bien
souvent le premier choix de téléspectateurs en quête d’une plateforme virtuelle d’expression sur
laquelle s’exprimer. Compte tenu de cela, le nombre de membres est bien plus important sur le
FNO et les nouveaux entrants ne cessent d’arriver, alors même que le nombre de membres est
beaucoup plus stable sur le FNO. Il est alors plus difficile d’établir un véritable échange entre les
usagers du FO puisque chaque message semble se perdre dans la multitude de participants, et les
téléspectateurs sont alors trop nombreux pour pouvoir véritablement se connaître les uns les autres
et établir une relation de confiance et de complicité entre eux. Dès lors, si l’expertise télévisuelle
semble effectivement présente chez les membres du FO, leur culture commune s’apparente
davantage à celle du public général de l’émission qu’à celle d’un « sous-public » de l’émission,
comme c’est le cas chez les membres du FNO.
L’usage des deux forums de discussion est donc incontestablement différent chez ces
téléspectateurs d’UDPP, et c’est leur réception même qui prend une forme différente. Mais lorsque
les téléspectateurs du FNO et du FO parlent de l’émission, que leurs messages prennent plus ou
moins la tournure d’un échange, leur réception est-elle aussi différente ? Les éléments de
l’émission mis en avant dans les discours online des téléspectateurs sont-ils les mêmes d’une
90
plateforme à une autre ? C’est là tout l’objet de la prochaine et dernière étape de mon analyse sur la
réception online des téléspectateurs d’UDPP.
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III/ … A la réception en termes de contenus
Dans la partie précédente, également consacrée à la réception online des membres de deux
forums de discussion, je me suis attachée à comprendre et montrer comment les téléspectateurs
utilisaient ces plateformes d’échange, pendant et après la diffusion de l’émission. J’ai également
cherché à faire ressortir les différences d’usages et de formes de messages entre les deux forums, et
à expliquer ces différences avec les données qui m’étaient disponibles grâce à ma veille (nombre
d’utilisateurs, structure du forum, caractère officiel ou non de la plateforme, type de modération) et
les quelques entretiens réalisés l’an passé avec des membres du FNO lors de mon enquête sur la
réception des émissions culinaires actuelles. Dans cette même étude j’avais mis en avant la façon
dont certaines caractéristiques d’une émission de TV réalité ressortaient à travers le discours des
téléspectateurs : certains prêtant une attention toute particulière aux recettes de cuisine afin d’en
tirer un apprentissage, d’autres s’attachant surtout aux candidats des émissions et la dimension
compétitive de celles-ci, d’autres encore s’amusant de la narration préalable à une émission
« cousue de fils blancs ». J’avais ensuite relié ces types de réception, ces intérêts plus ou moins
prononcés pour certaines caractéristiques de ces programmes, à des critères tels que l’activité
professionnelle, la situation familiale, ou encore le lien des téléspectateurs à la cuisine. Je ne
pourrai évidemment pas réaliser la même analyse sur cette dernière partie, ne disposant pas d’assez
de matière sur les téléspectateurs de manière individuelle. Toutefois, c’est le même cheminement
que j’utiliserai puisque je chercherai dans cette troisième et dernière étape de ma réflexion, à mettre
à jour les caractéristiques de l’émission Un dîner presque parfait qui rythment le plus la réception
online des téléspectateurs sur les deux forums de discussion. Je resterai de plus dans une
dynamique de comparaison entre les deux plateformes virtuelles, et je tenterai d’expliquer les
similitudes et différences là encore en fonction des données dont je dispose (prévalence du genre de
l’émission – la TV réalité, niveau culinaire des téléspectateurs, caractère officiel ou non du forum,
influence des goûts personnels). Tout l’intérêt de cette analyse étant bien sûre d’identifier le type de
bagage culturel/social/émotionnel ainsi que les valeurs et attentes que les téléspectateurs mettent en
avant dans leurs discours online pour faire valoir leur opinion.
1) Des téléspectateurs à la réception télévisuelle online très proche…
a) Les téléspectateurs jugent en fonction d’attentes liées à l’émission (et donc à ce que doit être un bon dîner)
Regarder l’émission en direct ou en parler a posteriori avec d’autres téléspectateurs, dans
les deux cas le but est le même : il s’agit de discuter, de commenter un contenu télévisuel, et donc
d’y porter un jugement. Dès lors, les différentes composantes de l’émission vont être au cœur de la
92
conversation, comme me l’expliquait l’un des téléspectateurs interrogés l’an passé dans mon
enquête sur la réception des émissions culinaires actuelles : « On se tait pas devant la TV. On
analyse pas mais on discute on commente au fur et à mesure. Autant le personnage que la cuisine,
les plats, la présentation … » (Arthur). Lara m’expliquait également qu’en plus d’en parler avec les
membres du FNO, elle en discutait également à l’une de ses activités du mardi après-midi : « J’en
discute au niveau cuisine, ou des candidats qui ont fait certaines choses, de ce qu’ils ont cuisine,
des performances qu’ils ont faites ». Néanmoins, j’avais également noté dans mon étude passée que
les téléspectateurs ne portaient pas tous la même importance aux mêmes aspects de l’émission :
ainsi certains étaient intarissables sur les réalisations culinaires des candidats, alors que d’autres
attendaient avant tout de l’émission qu’elle les divertisse et que la bonne ambiance règne donc
entre les candidats. Ce sont donc là des attentes d’un programme télévisé qui ressortent dans le
discours des téléspectateurs et qui constituent leur réception. Voyons de quoi il retourne chez les
membres des deux forums de discussion étudiés.
Un dîner presque parfait fut l’une des premières émissions culinaires « grand public » -
j’entends par là diffusée sur une chaîne généraliste, à une heure d’écoute importante, un créneau
horaire d’ailleurs généralement attribué aux émissions quotidiennes de TV réalité (les quotidiennes
des Loft et autres Secret Story étaient toujours diffusées à cette même heure) – il semble dès lors
évident que les téléspectateurs prêtent une attention particulière au repas réalisé par les candidats.
Cependant, dans les autres émissions de TV réalité consistant en une compétition d’amateurs doués
d’un talent particulier dans une discipline (danse ou chant par exemple), les téléspectateurs sont
amenés à juger les performances des candidats en fonction de leur propres goûts, et de l’émotion
que leur procure par exemple la voix d’un candidat. Or, il semble plus difficile de juger ainsi des
candidats d’une émission culinaire puisque les téléspectateurs ne peuvent en aucun cas goûter aux
réalisations culinaires qu’ils voient sur leur écran. Pourtant, les repas des candidats sont en effet au
cœur de la réception des télénautes, et ces derniers ne manquent pas de juger rapidement les
performances des candidats, sans même avoir à goûter les plats.
Les membres des forums vont compenser le fait de ne pouvoir goûter un plat par certaines
caractéristiques qu’il attachent à ce que doit être un bon dîner lorsque l’on reçoit des invités. Les
télénautes vont ainsi souvent juger la performance d’un candidat en portant un regard assez général
sur le dîner, ils prêtent alors une attention particulière à la cohérence du repas : celui doit être ni
trop gras, ni trop lourd : « Suite à la pub (en ce moment) peut être que certains candidats de la
semaine dernière devrait la consulter : mangerbouger.fr » (FO), « Ses pizza vont être bourratives
parce qu’elle n’a pas lésiné sur l’épaisseur de pâte, moi j’aime les pizza à pâte fine » (FNO). Mais
il doit également cohérent dans les proportions servies, chaque partie du repas (apéritif, entrée, plat
et dessert) étant liée à une norme particulière. En lisant ce commentaire par exemple, on comprend
que c’est notamment le fait que ces ravioles soient servies en plat principal qui dérange l’usager du
FNO : « He bien, après un plat principal comme ça, j’aurai encore faim ! Et pourtant j’ai un
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appétit raisonnable. 2 ravioles ! » (FNO), les proportions seraient probablement convenables pour
une entrée mais certainement pas pour un plat principal, en tout cas pour l’appétit de cet usager.
Cette remarque donne néanmoins naissance à un échange sur ce sujet, puisqu’un autre membre
note qu’il faut juger le repas bien dans son intégralité, et dans ce cas il semble plutôt bien pensé de
servir un plat relativement peu copieux : « Pour les quantités faut voir, la pizza en entrée était
peut-être maousse... y avait 100 g de farine par personne dans la recette. Ajoute autant dans la
raviole du plat, ça commence à caler (et à gonfler dans l'estomac) :p » (FNO). De même avec ce
commentaire qui montre bien que ce membre du FNO a une vision bien précise de ce que doit être
un dessert lorsque l’on reçoit à dîner : « Trois gâteaux en dessert, ça va être roboratif comme
dessert ! Trois dessert pourquoi pas mais trois trucs compacts... » (FNO) Le caractère copieux du
repas est en fait souvent discuté, les membres du FNO ayant des attentes particulières d’un repas où
ils sont reçus : « Bref, après un dîner comme ça, je mange un truc en rentrant chez moi » (FNO).
Le choix des mets est également souvent au cœur de la discussion, et on remarque alors que les
usagers des forums de discussion jugent souvent le repas sur un critère d’originalité : « Ca reste
un classique le tiramisu (qui n’en est pas vraiment 1 …) trop classique, trop simple mais surement
bon » (FO). Ainsi ils attendent donc que les hôtes d’un soir réalisent des plats sortant de l’ordinaire,
il est par contre difficile de savoir si les téléspectateurs ont cette exigence de manière générale
lorsqu’ils vont eux-mêmes dîner chez quelqu’un (une exigence qu’ils s’imposent alors également
lorsqu’ils reçoivent) ou si elle est spécifique à l’émission dont le principe est de réaliser un dîner
(presque) parfait. En effet, le commentaire sur le tiramisu pourrait s’appliquer à une exigence
générale sur un repas entre amis, mais on trouve sur les deux forums des messages dans lesquels les
usagers se plaignent de la redondance des noix de saint jacques : « Ouais ras le bol des St jacques
par contre » (FO), « DES SAINT-JACQUES ! ORIGINAL ! » (FNO) . Cette remarque est
clairement fondée sur l’émission en elle-même puisqu’en effet les saint jacques sont souvent
servies par les hôtes d’UDPP de manière générale et encore plus particulièrement pendant cette
semaine d’émission (elles ont été au menu de quatre repas sur cinq). Dès lors, si les usagers de
forums ne verraient sans doute pas d’inconvénient à ce qu’on leur serve des Noix de St
Jacques lors d’une invitation à dîner chez un proche, ils se lassent de voir toujours la même
chose sur leur écran, et attendent donc de l’émission qu’elle leur présente des mets encore moins
communs.
Enfin, lorsqu’un hôte invite des amis à dîner, il doit penser à tout, et notamment aux boissons,
comme ne manquent pas de le souligner les membres du FNO : « Et pour essayer de faire
descendre cette horreur il y a eu 1/4 de verre d'eau pour toute la table », « il aurait pu au moins
mettre de l'eau et là aussi c'était sec », « UN verre d’eau ».
Originalité, équilibre et cohérence, voilà donc comment un membre du FO parvient à émettre un
jugement sur le repas présenté par un hôte à ses invités, ce dont ce commentaire témoigne assez
bien : « l’apéro est originale des huitres chaudes des langoustines et les autres mise en bouches
94
c’était très bien. L’entrée est fraiche et originale, contrairement a laury qui trouve cela trop
simple, j’ai trouvée cela plutôt sympa […]Le plat était parfait j'aurais beaucoup aimer manger a
sa table, la viande était sympa et les garnitures étaient parfaites, méme le dressage était soignée »
(FO). Le téléspectateur montre ainsi que le repas lui plait car l’originalité est de mise tant grâce aux
produits qu’à la façon dont ils sont cuisinés, et le repas semble cohérent dans son ensemble, avec
une entrée « fraîche » et une association efficace entre la viande et ses « garnitures ».
On remarque par ailleurs que la dimension culinaire a une place importante dans la réception online
des téléspectateurs car ceux-ci apprécient qu’un candidat se révèle être un fin cuisinier. En effet
alors que certains estimaient qu’une candidate était un peu trop sûre d’elle de par ses nombreuses
critiques sur les repas des autres candidats, ce comportement plutôt désagréable est quasiment
intégralement oublié ou pardonné lorsqu’elle révèle ses talents de cuisinière : « Odile a commencée
a critiquer en début de semaine mais elle peut se le permettre elle sait cuisiner et elle choisit bien
ses mets » (FO). Dans le sens inverse, le comportement du candidat est d’autant plus source
d’agacement pour les membres des forums s’il se révèle être particulièrement incompétent en
cuisine : « Et il a la prétention de faire découvrir aux candidats la cuisine typique du
Quebec !!!!!!!! » (FNO).
Enfin, la dimension culinaire ressort dans la réception online des usagers des forums car elle est au
cœur même de ce qu’ils recherchent avec ce programme télévisé : il ne s’agit pas toujours d’être
juge d’une compétition entre des amateurs de cuisine, mais aussi, et je l’avais déjà souligné dans
mon étude sur la réception des émissions culinaires, d’en retirer un apprentissage. Si bien
certains téléspectateurs souhaitent que les préparations culinaires aient une place primordiale lors
de la diffusion de l’émission : « On a pas vu grand-chose au niveau des préparations… » (FO).
Si UDPP est une émission culinaire, la compétition entre les candidats est sur une
thématique plus large que celle de la seule cuisine. En effet, les candidats reçoivent tour à tour
d’illustres inconnus lors d’une soirée chez eux, et ils ne doivent pas se contenter de faire un bon
repas, ils doivent également animer la soirée, l’organiser en fonction d’un seul et même thème,
faire en sorte que les invités se sentent à l’aise et passent un bon moment, ou encore réaliser une
jolie décoration de table. Voilà pourquoi toute l’interrogation de l’émission pendant chaque
semaine de diffusion est la suivante : « Quel sera le meilleur hôte de la semaine ? ». Il s’agit donc
de juger non seulement un cuisinier, mais aussi un hôte. Or, si l’émission donne des
caractéristiques spécifiques qu’un hôte doit remplir, à savoir la cuisine, l’ambiance de la
soirée, et la décoration, les télénautes vont non seulement surveiller la façon dont les
candidats répondent à ces critères mais également s’ils répondent à d’autres critères qui ne
sont cette fois pas donnés par le programme télévisé mais qui sont beaucoup plus personnels.
Les téléspectateurs vont donc juger le candidat en se basant sur sa propre définition d’un bon
hôte.
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Parmi les critères du bon hôte chez les usagers des forums de discussion, on trouve tout d’abord et
assez logiquement l’hospitalité : « Est ce une blague? Comment a t-on pu selectionner un candidat
qui ne connait rien de l'hospitalité. Ce n'est même pas un accueil cool mais je trouve limite manque
de politesse envers les invités d'une telle émission » (FO). Le fait d’accueillir ses invités avec
politesse et de faire preuve d’hospitalité peut en effet sembler être un critère allant presque de soi
pour évaluer un hôte. Néanmoins, nous pouvons remarquer à travers ce témoignage, que les
attentes envers un hôte sont d’autant plus grandes que l’individu participe à cette émission : « d’une
telle émission ». Il est ainsi inconcevable pour ce télénaute que le candidat ne puisse ne serait-ce
que participer à UDPP (« Comment a-t-on pu sélectionner un candidat… ») alors qu’il ne semble
pas du tout maîtriser les règles primaires de l’hospitalité, du moins celles qui sont celles de ce
téléspectateur. Si l’hospitalité est donc un critère de base pour toute personne revêtant la fonction
d’hôte à un moment donné, elle est incontournable pour les téléspectateurs d’UDPP, puisque c’est
là même le principe de l’émission, du moins telle qu’elle transparaît dans leur discours.
Le respect de certaines règles d’hygiène et de savoir-vivre est également au cœur de la réception
online des téléspectateurs. Ainsi, ces usagers du FO surveillent attentivement la façon dont l’hôte
utilise et conserve les aliments qu’il cuisine : « Heureusement qu’il a enlevé ses baguouses pour
"cuisiner" », « Le gâteau côtoie le saumon je déteste que l’on ne couvre pas les mets dans le
réfrigérateur ! ». Dans ces deux exemples, c’est un jugement plus général du bon hôte qui ressort,
et non spécifiquement lié à l’émission. Les téléspectateurs font appel à des normes d’hygiène qui
sont les leurs et qu’ils font donc logiquement rentrer dans leurs propres caractéristiques du bon
hôte, que celui-ci participe à UDPP ou qu’il prépare un dîner loin de toute caméra de télévision. De
la même façon, cet usager du FNO trouve difficilement recevable qu’un hôte laisse ses animaux de
compagnie gambader sur la table sur laquelle des mets vont être ou sont servis : « Ici on a 4
chats, mais le chat sur la table à l’apéro ou au repas c’est interdit ». On constate que dans ces
deux derniers exemples, une appréciation personnelle liée à sa propre expérience ou ses propres
règles de vie sont mises en avant : « je déteste que l’on ne couvre pas », « Ici on a 4 chats […]
c’est interdit ». C’est dès lors à partir d’une définition très personnelle du savoir-vivre qui doit être
celui de l’hôte que certains téléspectateurs construisent leur jugement d’un candidat, et l’expriment
sur la toile.
Si ces critères plus personnels à chaque téléspectateur sont souvent évoqués sur les forums
et sans doute davantage sur le FNO, les usagers des forums de discussion sont également
particulièrement vigilants aux deux autres critères établis par l’émission, en plus de la cuisine :
l’ambiance et la décoration.
La décoration d’une table ou d’un intérieur est de toute évidence une question de goût, et il est
donc difficile de la juger sur des critères objectifs. Cependant, les candidats devant composer toute
leur soirée en fonction d’une seule et même thématique, ils sont bien souvent jugés sur le respect
du thème choisi et notamment l’adéquation de la décoration avec ce thème . Les téléspectateurs
96
surveillent également cette adéquation, ce qui peut leur permettre in fine de juger le candidat sur le
critère de la décoration : « sa table est bien dans son thème, mais je la trouve tres moche !! » (FO).
Dans ce commentaire, on remarque que le télénaute a bien intégré les règles de l’émission : il
sait que justement, pour éviter des jugements trop subjectifs liés aux goûts, les invités tout comme
les téléspectateurs sont supposés juger la décoration en fonction de son lien avec le thème choisi
pour la soirée. Le télénaute suit donc cette règle en affirmant que la décoration est bien en
adéquation avec le thème, mais il rajoute également un sentiment plus personnel (« je la trouve très
moche »), puisqu’après tout il s’agit ici de la réception online des téléspectateurs et non de la
notation des différents candidats. On note par ailleurs que les usagers des forums de discussion sont
particulièrement attentifs aux moindres détails de la décoration, comme ce message posté sur le
FO en témoigne : « Ce que j’adore, c’est l’étiquette qui est encore présente sous son plat à
gâteau ! IL a dû sacrément servir avant ce plat ! » (FO). Ce commentaire est lié au repas
d’Ecclésiaste, qui rappelons-le fut un candidat dont l’amateurisme en cuisine était plus
qu’accentué. Il vise donc à montrer, non seulement que la décoration n’est pas des plus soignées
puisque le candidat n’a même pas pensé à retirer les étiquettes, mais également qu’il est loin d’être
habitué à cuisiner ou à recevoir puisque ce plat n’a jamais servi auparavant. Cet élément très discret
de la décoration de table ou plus précisément de la présentation des mets, permet donc au télénaute
de renforcer une impression d’amateurisme très accentué chez ce candidat, tant en tant que
cuisinier qu’en tant qu’hôte.
La soirée d’Ecclésiaste permet justement de constater que l’ambiance de la soirée a une place très
importante dans la réception online des téléspectateurs. On a alors deux types de critères qui
ressortent lorsque les télénautes écrivent leurs impressions sur l’ambiance de la soirée d’un
candidat. Les usagers des forums de discussion jugent tout d’abord en fonction d’une attente
qu’ils ont envers l’émission UDPP. Ce programme télévisé est un programme de TV réalité grand
public, si bien que les téléspectateurs cherchent avant tout à se divertir en le regardant. Au cours de
mon enquête sur la réception des émissions culinaires actuelles, j’avais d’ailleurs pu mis en avant
qu’entre UDPP, Top Chef et Masterchef, c’était de loin UDPP qui était la plus regardée dans le but
de se divertir, notamment car l’aspect compétitif était beaucoup moins accentué que dans les autres
émissions culinaires, et le niveau des candidats était clairement moindre. J’ai pu le souligner
également précédemment, les télénautes ont fait des médias sociaux étudiés dans ce mémoire une
source supplémentaire de plaisir à leur moment télévisuel puisqu’ils peuvent directement
commenter l’émission avec d’autres téléspectateurs. Mais on constate grâce à la veille que s’ils se
plaisent à commenter l’émission à plusieurs, ils attendent clairement de l’émission qu’elle se
suffise à elle-même pour les divertir. Pour cette raison, ils donnent une grande importance à
l’ambiance de la soirée : non seulement car elle est l’un des critères de notation des candidats,
mais parce qu’une soirée organisée par un hôte d’UDPP où l’ambiance entre les candidats est
optimale est également l’assurance de passer un bon moment télévisuel : « cela est vraiment
97
très très dangereux pour nous on pourrait prendre une hernie tellement on rit, j avoue oui j'avoue
etre retournée sur M6 replay pour revoir son diner avec ma fille pour passer un moment
inoubliable » (FO), « Bravo Maman Odile, j'ai beaucoup beaucoup aimé votre dîner et votre
personnalité qui s'est révélée au cours de la semaine. Vous faisiez une belle paire vous et Norbert
le soir de votre prestation une belle complicité qui crevait l'écran » (FO). Ces deux exemples
permettent de plus de montrer que l’ambiance du dîner n’est pas appréciée seulement sur
l’animation que le candidat propose – et même assez rarement d’ailleurs – mais sur la
capacité de l’hôte à rendre l’atmosphère détendue et bonne enfant, ainsi que la bonne entente
entre les différents candidats.
Cette atmosphère détendue et amicale n’est d’ailleurs pas appréciée que pour sa faculté à faire de
cette émission un moment télévisuel particulièrement plaisant pour le téléspectateur, elle rentre
aussi dans un critère de jugement de ce que les usagers des forums considèrent comme un
dîner presque parfait. Prenons par exemple ce commentaire : « Comme quoi une soirée réussie
arrive même à se passer de bons petits plats, j’ai connu ça avec une partie barbecue ou sur 5 ou 6
préparations tout finissait carbonisé, mais on avait terminé pliés sous la table et même plus faim en
partant, des mois après on rigole encore » (FO). Celui-ci démontre bien que si l’ambiance est
valorisée dans la réception online des téléspectateurs, parfois même davantage que les réalisations
culinaires des candidats, c’est parce que pour ces usagers des forums de discussions, une soirée
entre amis doit également être basée sur cette atmosphère de détente, libérée de jugements portés
par les divers invités, c’est donc pour cette raison qu’elle est également valorisée lorsqu’il s’agit
d’UDPP qui n’est au final rien d’autre qu’une émission réunissant des personnes qui recherchent
certes à démontrer leurs compétences culinaires mais aussi à rencontrer d’autres habitants de leur
ville, nouer des liens d’amitié, et surtout passer cinq belles soirées ensemble.
Notons enfin que certains téléspectateurs trouvent une grande part de leur divertissement dans la
compétition qui structure la semaine d’UDPP, si bien que leurs commentaires s’orientent
souvent sur la notation donnée par les différents candidats. Or, lorsque les usagers des forums
débattent sur les notes attribuées à chaque candidat, leurs échanges laissent là encore percevoir
certaines attentes envers ce que doit être un bon hôte dans le cadre de l’émission UDPP. Je
reviendrai sur ces visions opposées qui se transforment souvent en affrontement entre les membres
des forums, mais je souhaite l’évoquer brièvement dès maintenant. En effet, l’un des critères du
bon hôte tout à fait lié au cadre compétitif de l’émission est le respect des règles du « jeu », or
celui-ci est bien souvent observé avec attention par les télénautes. Cet usager du FO estime par
exemple que le candidat se doit de préparer tous les plats qu’il sert lors de son dîner le jour même,
ce qui n’a vraisemblablement pas été le cas : « manifestement,il y a deja des préparations faites!!la
tarte notament » (FO). Celui-ci considère que la candidate Laury ne mérite pas la note qui lui est
donnée car elle n’a pas respecté les règles du jeu, elle s’est faite aidée dans ses préparations
culinaires par son père et le candidat-chef Norbert Tarayre : « Je suis entièrement de votre avis
98
Claufa , sans son papa et le coup de patte de Norbert , son dîner frisait la cata ! et la déco , nom
d'un p'tit bonhomme falait oser le thème du foot ! » (FO), dès lors elle ne devrait pas avoir la même
note que la candidate Odile qui a fait toutes ses préparations elle-même. Ce dernier commentaire
est suivi par le message d’un autre téléspectateur qui fait valoir une autre hiérarchie dans ses
critères de jugement : « Bon son papa l'a aider d'accord, mais elle a fait elle même son apéro, son
entrée, et son dessert qui avait l'air vraiment très bon. Norbert l'a aidée mais je pense qu'il fera de
même avec les autres candidats... Sa déco était bien dans le thème et pour une fille fallait oser le
foot.... Bravo Laury » (FO). Pour ce téléspectateur le respect des règles n’est donc pas primordial
pour juger et noter un candidat, l’important semble être que le repas soit appétissant et que le
candidat fasse preuve d’audace, ce qui est le cas pour Laury avec une soirée sous le thème du
football.
A travers la réception online des membres des deux forums auxquels je me suis intéressée,
on remarque donc que la part de messages dans laquelle un jugement transparait est assez
importante, ce qui semble somme toute assez logique : les téléspectateurs viennent sur ces forums
pour émettre des opinions et connaître celles des autres, or cette opinion est basée sur des critères
de jugement qui peuvent être objectifs, c’est-à-dire dans ce cas explicitement donnés par l’émission
(« Les candidats seront notés sur trois critères : la cuisine, l’ambiance, et la décoration »), ou
subjectifs, c’est-à-dire basés sur une définition beaucoup plus personnelle de chaque téléspectateur.
On retrouve dans les critères subjectifs des caractéristiques liées à ce que chaque télénaute
considère comme un repas digne d’une invitation à dîner (la cohérence entre les plats, les
proportions, l’originalité des mets, etc) et comme un bon hôte. On retrouve alors dans ce jugement
subjectif ce que Jerslev (2010) explique à propos des discours online des téléspectateurs de X
Factor : « The X Factor forum clearly demonstrates how participating in a debate community on
the internet is both an important way of processing media experiences and a way of voicing
comments about the moralities of everyday life 69». Lorsqu’elle écrit cela, Anne Jerslev fait
reference à des valeurs et des critères moraux qui ressortent particulièrement dans les discours des
téléspectateurs lorsque ceux-ci estiment que le jugement du jury est injuste. Le processus est assez
proche chez les téléspectateurs d’UDPP venant s’exprimer sur ces forums de discussion puisqu’en
jugeant les candidats sur critères d’hygiène ou de savoir-vivre, les usagers « voic[e] comments
about the moralities of everyday life ».
Mais notons que dans ce jugement du bon hôte, la frontière est poreuse entre les critères objectifs et
les critères subjectifs qui transparaissent dans la réception online des téléspectateurs : certaines
choses pourraient ainsi être tolérées lorsque l’on est reçu soi-même à dîner chez un ami (que les
mets ne soient pas particulièrement originaux par exemple), mais ne le sont pas lorsqu’il s’agit
d’une personne participant à UDPP (servir un tiramisu est alors considéré comme d’une grande
banalité).
69 Jerslev Anne, op. cit., p.178
99
Soulignons enfin qu’il semble que bien que les membres des deux forums portent des
jugements sur les soirées des différents candidats, en mêlant critères subjectifs et critères
implicites, quelques différences méritent d’être mises en avant. Ainsi, de prime abord il semble
que ce soit la dimension culinaire qui l’emporte dans la réception online des téléspectateurs
membres du FNO, les réalisations culinaires, et la cohérence des dîners sont davantage discutées
que sur le FO. De plus, les caractéristiques ayant un lien plus direct avec la compétition et au
jeu télévisé qu’est UDPP ne ressort que peu chez les membres du FNO, contrairement au FO
(la notation et le résultat deviennent par exemple un sujet de discorde entre les usagers, ce qui n’est
pas du tout le cas sur le FNO, l’importance attribuée au respect des règles est également moins
grande sur le FNO). Et surtout, il semble que chez les membres du FNO, le jugement soit avant
tout lié à ce que doit être un dîner où l’on reçoit en général, alors que chez les membres du
FO le cadre du jeu télévisé impact beaucoup plus le jugement : ce n’est dès lors plus l’hôte-
cuisinier en lui-même qui est jugé mais l’hôte-cuisinier participant à UDPP qui l’est davantage.
b) Les téléspectateurs jugent en fonction de leurs goûts personnels
Les téléspectateurs usagers des forums de discussion gardent donc souvent en tête le fait
qu’ils regardent une émission de TV réalité, et ils jugent dès lors les candidats en fonction de ce qui
est attendu dans cette émission, qu’il s’agisse de critères objectifs déterminés par la production, ou
de critères subjectifs basés sur leur propre vision de ce que doit être un dîner entre amis.
Néanmoins parfois, le cadre même de l’émission (réaliser un dîner presque parfait pour des
personnes que l’on reçoit chez soi) s’efface et le jugement se fait uniquement lié à des goûts
personnels. Ces jugements beaucoup plus personnels transparaissent dans deux types de remarques
sur les forums de discussions : celles liées à l’impression donnée par le visuel, qu’il s’agisse d’un
plat, d’une décoration, ou même du physique d’un candidat, et celles liées au niveau culinaire
(reflétant tant l’habitude de cuisiner que le fait d’être un gourmet averti).
Commençons par nous intéresser à la façon dont les télénautes discutent de ce qu’ils voient
sur leur poste de télévision, de la façon dont ils émettent une opinion.
C’est tout d’abord sur l’aspect d’un plat que les usagers des forums de discussion vont
s’exprimer et faire transparaître dans leurs commentaires des goûts personnels. On constate en
premier lieu que l’apparence d’un plat est au cœur de la réception online des téléspectateurs car elle
est un moyen de leur mettre l’eau à la bouche. C’est là une caractéristique de la réception des
téléspectateurs d’émissions culinaires très présente. Dans ma première étude sur la réception des
émissions culinaires, j’avais souligné que la gourmandise des personnes que j’avais interrogées
s’était clairement affirmée car beaucoup me confiaient qu’en regardant l’émission elles ne
regrettaient parfois qu’une seule chose : ne pas pouvoir goûter le plat. Lara, l’une des membres du
FNO, me confiait ainsi « moi, j’aimerais bien goûter à la cuisine », et Pierrot expliquait que l’une
100
des raisons le poussant à préférer un candidat plutôt qu’un autre était la capacité de celui-ci à lui
donner envie de dévorer son plat tant il était appétissant : « Et quand il y a un candidat que vous
aimiez bien comme ça c'est par rapport au caractère, à la cuisine ? Ca restera la cuisine. Le fait
que ça vous fasse envie, des produits que vous aimez ? Oui c'est vraiment… J'aurais voulu goûter
le plat. Même si je suis pas très affûté là-dessus ça me plairait bien de goûter.» . La gourmandise
des télénautes est également particulièrement mise à l’épreuve lorsqu’on lit les messages sur les
forums de discussion. Parfois la simple apparence d’un met suffit pour mettre l’eau à la bouche au
télénaute qui lie l’aspect du plat au goût qu’il doit avoir : « huuuummm, que cette soupe à l’air
bonne !! » (FNO).
Le résultat final d’une préparation culinaire transparaissant principalement dans son apparence
à la télévision, celle-ci suffit parfois à décevoir le télénaute qui en tire alors un avis bien tranché
sur les capacités culinaires du candidat : « c même pas de la cuisine d’amateur ce qu’il fait ca
donne même pas envie » (FO), « Elle colle ses raviolis absolument laids dans l’eau non
bouillante ?? Si ele est italienne , moi je suis le pape ! » (FNO), « quelle horreur les assiettes ! »
(FNO). De même, si au contraire l’apparence finale du plat satisfait le membre du forum en lui
donnant envie de le goûter, cela peut suffire à « pardonner » une recette ne demandant pas un
niveau culinaire particulièrement élevé au candidat : « Ok ce n’est peut être pas de la "haute
cuisine" mais franchement ça avait l’air vraiment bon !! » (FO). Parfois, les usagers des forums
sont plus précis dans leur jugement lié à l’apparence des produits. Ils estiment ainsi que le plat est
réussi ou non en fonction de la cuisson de la viande, elle-même évaluée en fonction de sa couleur :
« oui le veau rosé est parfait, mais la fille du boucher ne l’aime que trop cuit ! » (FNO), « plat : le
veau avait l’air tendre mais pas assez cuit » (FNO). C’est également le visuel d’une pizza qui
permet au téléspectateur de juger sa cuisson et in fine sa réussite : « Mon dieu qu’elles sont laides
ses pizzas ! » et un autre membre de lui répondre : « Oui, bien d’accord, on dirait que c’est pas
cuit »(FNO)…Cette appréciation de la cuisson de la viande à partir de son apparence est un moyen
pour le téléspectateur de se construire une opinion sur le repas du candidat, mais également de
mettre en avant une préférence personnelles puisque la bonne cuisson d’une viande ou d’une pizza
reste un critère très subjectif, lié au goût de chacun. Enfin, il arrive que l’apparence soit tellement
décevante aux yeux des télénautes que cela leur permette de juger du caractère comestible ou non
du met : « Ca doit être immangeable » (FNO).
Si l’apparence des mets tient une grande place dans la réception online des usagers des forums de
discussion, celle de la table ou de la pièce dans laquelle les candidats sont reçus, ou même
encore de la présentation des plats, fait également l’objet de quelques messages – bien que
cette dimension de l’émission reste relativement peu discutée sur les forums. Dans le commentaire
suivant d’un membre du FNO : « je ne suis pas foot non plus, je n’ai pas aimé la table », le
jugement basé sur un goût personnel est plus qu’évident. Si cet usager avait souhaité juger la table
de la candidate Laury en fonction de critères liés à l’émission, sa remarque serait parfaitement
101
infondée ; en effet le candidat doit mettre au point une soirée sur une seule et même thématique,
que l’on doit alors retrouver tant dans le menu que dans la décoration de la table. Or ici, le
téléspectateur juge négativement la table de Laury pour la simple raison qu’il n’aime pas le
football, faisant fi du fait qu’en décorant sa table ainsi elle ne fait que répondre aux règles de
l’émission. Les usagers sont également sensibles au bâtiment dans lequel ils sont reçus : « Sinon
sympa et original l’immeuble » (FO).
C’est enfin l’apparence du candidat qui est présente dans les discussions des membres des
forums, là encore bien souvent seulement en fonction des goûts personnels des téléspectateurs. Cet
échange issu du FNO est par exemple assez révélateur :
Membre A : « que c’est laid ces tatouages »
Membre B : « J’aime pas les gens qui utilisent leur corps comme un cahier brouillon pour y faire
des graffitis »
Membre A : « 2ème question du jour à nos hommes du forum. Vous rencontrez une fille mignonne de
figure, en hiver donc bienn couverte, et au moment du deshabillage vous apercevez tous ces
tatouages quelle est votre réaction ? »
Membre C : « Y a tatouage et tatouage. Un petit discret ou une bande dessinée ? Je crois
qu’essayerais de faire abstraction, et c’est d’autant plus facile dans le premier cas que dans le
second… »
Membre A : « Je m’en doutais Richelieu il y a vraiment de quoi s’enfuir, à mon avis si Fred nous
lit il pensera pareil ».
Dans cet échange c’est l’un des traits caractéristiques de l’apparence d’une candidate qui est
discuté : les tatouages. Le fait que la candidate porte un grand nombre de tatouages n’est en aucun
cas un critère objectif d’évaluation dans l’émission UDPP, pas plus que le physique de manière
plus générale. Mais il fait ici l’objet d’une discussion entre les télénautes puisque les membres A et
B les trouvent particulièrement « laids » et souhaitent alors confronter leur opinion à celle d’un
membre du forum du sexe opposé. On comprend donc que le visuel a une grande importance
dans réception online des téléspectateurs car elle est une source quasiment intarissable de
discussion entre eux : chaque détail est repéré non seulement pour évaluer un candidat mais
surtout pour engager une conversation qui s’éloigne alors largement d’UDPP.
Sur le FO ce n’est pas la candidate aux tatouages qui fait parler d’elle mais la candidate Laury, dont
plusieurs usagers ont remarqué le physique agréable :
Membre A : « Rassurez moi … Je suis le seul à trouver que Laury est une jolie femme agréable à
regarder et élégante ? »
Membre B : « @pinoto : Vous avez raison Laury est charmante et son repas bien agréable »
Membre C : « Laury, j’en suis tombé amoureux *_* Elle est magnifique^^ »
102
Là encore, aucun rapport direct avec les critères de notation des candidats de l’émission, les
télénautes se plaisent seulement à discuter du physique d’une candidate, qui semble tout à fait à
leur goût.
Les discussions sur l’apparence des candidats sont l’occasion pour les usagers des forums de faire
connaître leurs goûts et préférences personnelles mais également parfois de faire connaître aux
autres membres une caractéristique personnelle qui peut influencer leur réception : « Cet homme
n'est pas cuisinier, il a été introduit par la prod pour qu' on se moque de lui. Malheureusement
beaucoup de gens vont avoir un avis négatif sur les noirs... En tant que noir il me fait honte!!! »
(FO). Ainsi ce téléspectateur relie les compétences culinaires et un trait caractéristique de
l’apparence du candidat, sa couleur de peau, et explique son agacement par une caractéristique
personnelle : sa propre couleur de peau. Il montre de cette façon que les stratégies (réelles ou
imaginées) de la production de l’émission sont notamment liées à la couleur de peau des candidats
et il s’en dit d’autant plus touché qu’il la partage.
Tous ces commentaires sur touchant le visuel de l’émission sont donc influencés non sur des
critères de jugement qui n’existent que par le cadre même d’UDPP, mais par les goûts, préférences,
et caractéristiques personnelles des usagers des forums. Ils sont également un moyen d’échanger
plus largement entre eux.
Si les goûts personnels ont donc un impact dans la réception online des téléspectateurs
d’UDPP, leur niveau culinaire entre également en jeu. Lors de mon étude sur la réception des
émissions culinaires actuelles, j’avais fait ressortir l’impact que pouvait avoir le niveau culinaire
sur la réception des téléspectateurs que j’avais interrogés. J’avais ainsi pu montrer que certaines
émissions telles que MC ou TC étaient davantage regardées par des personnes habituées à cuisiner
et étant donc en recherche permanente de nouvelles idées culinaires, mais les téléspectateurs
également habitués à recevoir des invités chez eux se plaisaient à regarder UDPP, d’autant plus que
le niveau culinaire des candidats y étant généralement moins élevé que dans les deux autres
émissions, les téléspectateurs pouvaient plus facilement s’identifier et imaginer réaliser les mêmes
recettes. Pour mettre à jour l’impact du niveau culinaire sur la réception des téléspectateurs, j’avais
établi un certain nombre de niveaux, incluant tant l’habitude de cuisiner, la recherche de
réalisations culinaires sortant un peu de l’ordinaire, que le fait d’être habitué à aller dans de bons
restaurants, à être donc un fin gourmet. Dans le cadre de ma veille analytique sur les plateformes
d’échange dédiées à UDPP, il aurait été difficile de déterminer un niveau à chaque membre de
forum s’exprimant, déjà parce que ceux-ci sont trop nombreux, et ensuite parce que la veille me
donnait trop peu d’éléments concrets sur chaque membre pour pouvoir attribuer un niveau
culinaire. Par l’intermédiaire de ma veille j’ai donc davantage cherché à déterminer si des
éléments permettant de comprendre que l’usager avait une proximité plus ou moins
importante avec le monde culinaire (tant dans l’habitude de déguster des plats élaborés que
103
de les préparer) ressortaient dans les discours sur les forums de discussions, si oui lesquels et
quel était l’impact de ceux-ci sur la réception online.
Sur ce point justement, il existe une forte différence entre la réception online des usagers du FO
et ceux du FNO. Les usagers du FNO prêtent tout d’abord une part plus importante de leurs
messages à détailler les réalisations et techniques culinaires des candidats que ceux du FO. Et
surtout, ils portent sur elles un regard critique qu’ils ne peuvent se permettre que parce qu’ils
auraient eux-mêmes fait différemment. Par exemple, le dessert d’un candidat est rudement critiqué
et plutôt que de simplement dire que ce dessert ne leur donne pas envie, les membres du forum
explique comment ils auraient fait à la place du candidat : « C’est vrai que j’aurais mis le caramel
ou le sirop sur une assiette, trempé tout d’un coup et hop dans le sucre. Bon ça gâche plein de
sucre, mais bon … » et un autre membre d’approuver « j’aurais fait comme toi Richelieu … »
(FNO). Le caramel est un élément de dessert assez technique à réaliser, qui nécessite au moins
d’avoir l’habitude de pratiquer la pâtisserie, dès lors si les télénautes de ce FNO portent un
jugement aussi précis en expliquant leur propre technique, c’est que leur niveau culinaire est assez
élevé. De même, j’ai pu le montrer auparavant, ils surveillent bien souvent les cuissons des
différents mets des candidats, ce qui est assez caractéristique d’une personne habituée à cuisiner :
c’est par exemple une véritable hérésie de servir une viande telle que le veau autrement que rosée
(« oui, le veau rosé est parfait, mais la fille du boucher ne l’aime que trop cuit ! ») Par ailleurs, on
note qu’ils portent bien souvent un regard ironique sur les préparations culinaires de certains
candidats : « Le cacapoulet ressemble beaucoup au cacamangue. Y a un air de famille. La pâte est
belle : elle est industrielle. » (FNO), « je rêve ou quoi .. suis morte de rire...comme tu dis il n'a
jamais vu de blanc en neige. Il cuisine dans son évier, en faisant n'importe quoi LOL » (FNO).
Dans ces deux exemples, les membres du FNO critiquent et s’amusent des préparations culinaires
du candidat à l’amateurisme plus que prononcé, Ecclésiaste. A chaque fois il s’agit d’une technique
culinaire en particulier : la pâte à tarte, que le télénaute reconnaît immédiatement comme
industrielle, et le fait de monter les blancs en neige. Le candidat ne semble vraisemblablement pas
du tout maîtriser la technique des blancs en neige, ce qui est source de moquerie pour ce membre
qui n’aurait probablement pas eu ce type de discours s’il avait le même (mauvais) niveau culinaire
qu’Ecclésiaste. De plus, je l’avais déjà souligné précédemment, lorsque les membres du FO portent
un regard critique sur la soirée d’un candidat, leurs exigences sont beaucoup plus précises en
termes de ce que doit être un bon dîner et un bon hôte. Il n’est par exemple pas recevable pour ces
téléspectateurs de recevoir et de servir un dîner aussi simpliste que celui servi le candidat auquel ce
membre du forum fait allusion : « Entrée mangeable... ouais tout juste... une tranche de saumon, et
du chèvre, de la ciboulette entière, UN verre d'eau, pas de pain... » (FNO). Enfin, lorsque les
membres du FNO commentent les notes attribuées par les candidats, ils ne sont clairement pas
d’accord lorsque des notes relativement élevées sont données à un hôte qui ne se révèle pas être un
104
fin cuisinier : « Ils ont surnoté , pour moi c'était zero !Je veux bien lui donner une bonne note
d'ambiance , mais pas sûr que ce soit volontaire ».
Cette pratique culinaire plutôt affirmée dans les discours online de ces téléspectateurs s’était
d’ailleurs confirmée dans les entretiens que j’avais pu mener avec certains d’entre eux l’an passé.
Ainsi, Véronique m’avait expliqué : « les échanges sont vraiment adorables, sympathiques, très
enrichissants parce que c'est toutes des nanas qui cuisinent. Et puis à côté de ça on parle de
géographie, de lecture, d'autres sujets complètement divers et variés mais c'est quand même la
cuisine qui nous a réunis. » Cela s’était d’ailleurs confirmé plus en amont de l’entretien alors que
Véronique me confiait qu’elle prenait beaucoup de plaisir à tenter de nouvelles choses en cuisine,
ou lorsque Fabrice avouait qu’il appréciait d’aller à une grande table de restaurant de temps en
temps et qu’il était de toute façon passionné de cuisine depuis toujours : « J’aurais vite une
bibliothèque remplie de livres de cuisine, dès que j’ai du temps libre je le passe à cuisiner ».
Chez les membres du FO, je n’ai pu noter qu’un commentaire d’un téléspectateur expliquant
comment il aurait fait différemment (alors même que le nombre d’internautes s’exprimant sur le
topic est beaucoup plus important que sur le FNO) : « j'ai tout aimé dans ce repas d'Odile et qu'est-
ce qu'ils avaient contre les tomates cuites au four,(j'aurais peut-être mis un peu d'ail et persil) idem
pour les pommes de terre !! je me serais régalée de l'apéro (jamais goûté des huîtres chaudes mais
je veux bien essayer) au dessert ! ». De même lorsque les membres du forum soulignent les
originalités culinaires qu’ils ont apprécié lors d’un repas préparé d’un candidat, on constate que ces
originalités ne le sont pas forcément tant que cela lorsqu’on compare à ce qui peut être servi dans
un restaurant gastronomique ou même semi-gastronomique : « Des St Jacques oui ! mais avec du
foie gras et je crois que c'est la première fois que je vois cette association , et perso je n'ai jamais
goûté . », « l'apéro est originale des huitres chaudes ». On peut donc penser que ces téléspectateurs
n’ont pas véritablement l’habitude de cuisiner des plats sortant un tant soit peu de l’ordinaire, ou de
les déguster dans des restaurants servant une cuisine contemporaine.
c) L’ambiance d’une soirée UDPP ou la recherche d’un moment télévisuel divertissant avant tout.
Comme j’ai pu l’évoquer rapidement précédemment, UDPP correspond, davantage que les
autres émissions culinaires telles que Masterchef ou Top Chef, à une émission permettant avant
tout aux téléspectateurs de passer un moment de détente devant leur poste de télévision . L’an
passé les téléspectateurs d’UDPP m’avaient bien expliqué qu’ils appréciaient de voir des
« relations d’amitié s’install[er] » (Lara) entre les candidats de l’émission, de « suivre des
personnages » (Fabrice) et que de toute façon, la cuisine sans le divertissement en plus ne suffirait
pas : « Sinon je regarderais pas. Après tout on peut regarder sur internet […] Moi c’est un
divertissement qui me plait, vraiment, vraiment » (Véronique). Maryse, qui avouait une préférence
105
pour l’émission UDPP notait d’ailleurs que c’était bien souvent le caractère d’un candidat en
particulier qui lui permettait de passer un très bon moment télévisuel, ce qui était rarement le cas
avec des programmes tels que MC ou TC : « Lorsque vous préférez un candidat par rapport à un
autre dans UDPP c’est davantage par rapport à sa cuisine ou à sa personnalité ? Nan c'est vraiment
au niveau de l'ambiance générale, c'est vraiment comment la soirée s'est passée. L'autre fois j'ai
regardé une émission où le mec, nul en cuisine … Oui le magicien ? Oh bah alors lui ! Ecoutez, je
suis tombée sous le charme, complètement, j'ai accrcohé. Donc oui j'avais envie qu'il gagne, il m'a
tellement fait rire. Alors que oui ce qu'il a fait à côté des autres c'était pas super mais bon. C'est
pas ce que j'ai retenu. Oui alors qu'effectivement dans MC c'est plus difficile de voir ce côté-là
parce que c'est vraiment centré sur la cuisine … Oui et puis c'est sérieux. C'est ptet ce côté-là qui
m'attire moins. C'est sérieux et moi je recherche peut être moins ça. Oui ça fait moins
divertissement ? Ouais. » J’ai donc voulu savoir si cette importance donnée à l’ambiance
générale d’un dîner d’UDPP, ou au caractère d’un candidat en particulier, transparaissait
tout autant dans la réception online des téléspectateurs que ce semblait être le cas au cours de
mes entretiens l’an passé. Jusque-là en analysant ma veille des deux forums de discussion, j’eus
l’impression que les membres du FNO portaient plus d’intérêt à la dimension culinaire d’UDPP
que ceux du FO, il aurait donc dès lors semblé plutôt logique qu’ils prêtent moins d’attention à
l’ambiance de la soirée, ou qu’ils s’agacent d’un candidat misant davantage sur ses talents
d’animateur de soirée que sur ses compétence culinaires (comme c’est le cas d’Ecclésiaste).
Pourtant, l’aspect divertissant de l’émission est au cœur des discours des usagers des deux forums,
et transparaît de différentes manières.
Ce sont tout d’abord les traits de caractère des candidats auxquels les usagers des forums
font bien souvent allusion. Il est par exemple fréquent de lire que le candidat-chef Norbert Tarayre
« a une personnalité attachante » (FO), qu’ « il est nature » ou encore qu’il est « un hypersensible
qui se cache derrière une gestuelle et un vocabulaire un peu provoc et excessif mais qui a le cœur
sur la main ». On remarque que ces commentaires sont d’autant plus nombreux que Norbert
Tarayre a effectivement une personnalité qu’il est difficile de ne pas remarquer : il s’exprime
beaucoup lors des repas et s’était déjà fait remarquer lors de l’émission Top Chef par son franc-
parler bien souvent un peu grossier qui était plutôt inhabituel pour un programme télévisé consacré
à des cuisiniers professionnels. De plus, on note que dans le dernier exemple, le téléspectateur non
seulement souligne des traits de caractère de ce candidat, mais il les analyse, donnant ainsi une
explication à ce vocabulaire un peu rustre qui ne serait finalement qu’une façade à un
homme « hypersensible ». De même, lorsqu’un téléspectateur fait la démarche de venir sur le FO
uniquement pour laisser un message à un candidat, ici en l’occurrence à nouveau Norbert, ce n’est
pas forcément pour exprimer tout le bien qu’il a pensé du repas réalisé : « depuis le début tu m’as
fait trop rire, je voudrai bien te connaitre, tu as l’air d’etre un bon vivant et j’aime çà » (FO). Si ce
téléspectateur a particulièrement apprécié ce candidat ce n’est donc pas nécessairement pour ses
106
compétences culinaires, mais bien pour ce qu’il considère comme des qualités humaines . Cette
importance donnée aux candidats et à leur trait de caractère est très spécifique aux émissions
de TV réalité. Le rapport France Telecom produit par Beaudouin, Beauvisage, Cardon, Velkovska
(2003) sur le public online de Loft Story avait déjà souligné que le thème central des conversations
entre les usagers des chats et forums était les participants : « chaque personnage s’est vu attribuer
des traits psychologiques, qui font partie du savoir partagé et qui sont souvent thématisés dans les
échanges. Chaque personnage devient un stéréotype, qualifié par des formules toutes faites qui
reviennent régulièrement dans les échanges 70». Or, comme j’avais pu le démontrer dans mon étude
sur la réception des émissions culinaires actuelles, ces programmes télévisés ont su conserver ce
qui a fait le succès des premières émissions de qualité, en misant notamment sur l’humain et donc
des candidats susceptibles d’attiser l’intérêt voire l’attachement des téléspectateurs. Il arrive
également parfois que les télénautes remarquent une évolution dans le comportement d’un
candidat au cours de la semaine : alors que celui-ci était plutôt sympathique au début, il se révèle
calculateur et préfère alors sous-noter les autres candidats et être particulièrement critique à leurs
repas pour s’assurer la première place. Ce fut le cas, selon certains membres des forums, de la
candidate Laury, si bien qu’on pouvait alors lire des messages tels que : « @colline6645 Tout a fait
d'accord avec vous le diner d'Odile mérite de gagner, pour l'instant son repas est vraiment le
meilleur, ce soir je trouve que la gamine critique un peu trop et a mon avis elle va sous noter, elle
joue la gagne » (FO), « Perso, je trouvais Laury super négative...pour le repas d'Odile » (FO), «
Bien joué , vous avez sous noté vous avez atteint la mème note qu'Odile mais votre repas est loin
d'arriver à celui qu'elle nous a présenté ce soir .je suis déçu par votre attitude quoique je m en
moque .............. mais cela me fait plaisir comme vous qui notez bas » (FO). On comprend donc à
travers ces messages de télénautes que ce qui influence ici leur jugement sur la candidate Laury est
son manque de fair-play pendant cette semaine. Alors même que les deux candidates Odile et
Laury sont arrivées ex aequo à la fin de cette semaine, on peut penser que les téléspectateurs
auraient probablement beaucoup moins pris la défense d’Odile si le comportement de Laury avait
été moins calculateur, étant donné que les commentaires lui étaient plutôt favorables au tout début
de la semaine alors qu’elle présentait un dîner travaillé et qu’elle n’avait pas encore eu le temps de
se montrer critique envers les autres candidats.
Ce type de message est donc très fréquent sur le FO, mais s’il existe sur le FNO, il faut souligner
que les traits de caractère des candidats sont plus rarement la composante unique d’un message du
forum. Lorsque c’est le cas ils concernent généralement le charismatique candidat Norbert : « je
n'aime pas particulierement Norbert mais si il a une grande gu..le il a quand meme bon coeur j'ai
lu qu'il donnait des cours de cuisines a des femmes en prison » (FNO). Dans cet exemple, le
membre du forum défend le candidat en se basant sur ses qualités humaines et non culinaires, il fait
alors appel à une argumentation basée sur une valeur supérieure et partagée par tous, relevant
70 Beaudouin Valérie, Beauvisage Thomas, Cardon Dominique, Velkovska Julia, op. cit., p.31
107
presque de la moralité : la générosité et l’aide portée envers son prochain, des valeurs qui en soi, ne
sont pas dans les critères objectifs de l’émission permettant de juger les candidats. Ce type de
message rappelle alors là encore ce que Anne Jerslev (2010) écrit sur les internautes venant
s’exprimer sur des plateformes consacrées à l’émission de TV réalité musicale X Factor : « The X
Factor forum clearly demonstrates how participating in a debate community on the internet is both
an important way of processing media experiences and a way of voicing comments about the
moralities of everyday life 71», puisqu’en effet par son commentaire sur les qualités humaines de
Norbert, la membre du FNO souligne en fait que pour elle, une action telle que de donner des cours
de cuisine à des femmes en prison, doit primer sur ses autres traits de caractère. La personnalité de
Norbert est également mise en avant par les membres du FNO en relation avec l’une des membres,
Liva, car celle-ci est connue sur le forum pour détester tout particulièrement cet ancien candidat de
Top Chef, et il apparaît clairement que c’est avant tout sur le comportement de Norbert qu’elle base
son jugement : « Et toujours égal à lui-même , bien que planqué dans sa cuisine , le rustre
n'apprécie pas la moindre critique et se révèle dans toute sa grossièreté , envers ceux qui ose la
moindre petite , toute petite remarque ! La chaîne a réussi ce tour de force à lui faire encore
davantage enfler la tête , qui n'est plus une tête , qui n'est pas même un melon , mais franchement
une grosse ,très grosse citrouille digne d'Halloween ! » (FNO). Chez les membres du FNO, on
trouve donc bien souvent des commentaires sur le comportement des candidats, mais il s’agit
finalement là encore de messages liés à l’idée que les membres du forum ont de ce que doit être un
bon hôte, les messages dans lesquels les traits de caractère en soi sont soulignés existent mais sont
beaucoup plus rares que sur le FO.
Parfois, les usagers des forums arrivent à mettre de côté le manque de compétences
culinaires d’un candidat, ou du moins à lui pardonner, grâce à sa personnalité attachante.
Ainsi, les membres du FNO ont beau prêter une attention particulière à la dimension culinaire de
l’émission, ils arrivent également à s’amuser des maladresses d’un candidat comme Ecclésiaste,
comme l’utilisation de l’acronyme Lol en témoigne : « je rêve ou quoi … suis morte de rire …
comme tu dis il n’a jamais vu de blanc en neige. Il cuisine dans son évier, en faisant n’importe quoi
LOL » (FNO), « Avec sa tarte noix-sirop d’érable, il vient de nous rénover la recette du gloubi-
boulga … LOL » (FNO). En témoigne également ce commentaire plus qu’enthousiaste d’un
membre du FO au sujet du repas réalisé par le candidat à l’amateurisme prononcé Ecclésiaste : «
EXCEPTIONNEL ! Complètement déjanté et même si le repas ne me tente pas du tout, surtout il ne
faut pas changer Ecclésiaste » (FO). Ce dernier exemple est clair : les compétences culinaires du
candidat ne sont clairement pas au niveau de ce qui est attendu dans UDPP et le repas préparé par
Ecclésiaste ne donne absolument pas envie au téléspectateur mais cela n’empêche pas ce dernier de
féliciter le candidat pour avoir fait de cette soirée d’UDPP une soirée « déjantée ».
71 Jerslev Anne, Ibid., p.178
108
Si ces exemples de commentaires sont liés aux compétences culinaires et à la personnalité d’un
candidat en particulier, Ecclésiaste, on comprend rapidement en lisant les messages des usagers
des forums de discussion que les téléspectateurs ne se sont pas simplement attachés au candidat
Ecclésiaste qu’ils ont envie de féliciter. En fait, nombre de messages sur les forums témoignent
d’un véritable enthousiasme envers ce candidat surtout, et avant tout, parce que grâce à son
comportement de blagueur et sa capacité à participer à cette émission de télévision sans faire
peser sur lui et ainsi faire ressentir tant aux invités qu’aux téléspectateurs une pression
quelconque, ces derniers réussissent à passer un moment télévisuel divertissant et synonyme
de détente. Sur le FNO, on constate ainsi qu’au début de la soirée d’Ecclésiaste, les membres sont
plutôt critiques sur le fait que ce candidat semble être un piètre cuisinier. Mais petit à petit,
l’agacement laisse place à l’amusement, et les membres ne cachent pas leurs rires devant leur poste
de télévision : « AU SECOURS !!! MDR », « Ca nous coupe le sifflet ! LOL ». De plus, le fait
qu’Ecclésiaste ait misé sur une ambiance bonne-enfant et sans la pression habituelle que les
candidats d’UDPP s’imposent pour réaliser un dîner presque parfait, permet à tous les candidats de
se détendre pendant cette soirée, et d’ainsi enchaîner les éclats de rire, un rire qui est alors
communicatif au téléspectateur : « Au moins ils auront passé une bonne soirée… » (FNO),
« Pas mangeable, mais au moins ils rigolent bien ! » (FNO). On retrouve alors dans ce type de
commentaire ce que Maryse m’expliquait l’an passé lors d’un entretien réalisé dans le cadre de
mon enquête qualitative sur la réception des émissions culinaires actuelles, à propos du candidat
magicien d’UDPP qui l’avait particulièrement marquée. En effet, si elle avait passé un tel bon
moment télévisuel, c’était parce que ce candidat l’avait « tellement fait rire », et avait ainsi
contribué à ce que cette émission soit un moment de pur divertissement, comme elle le recherche
lorsqu’elle rentre du travail et s’accorde un moment de détente devant son poste de télévision. Le
fait de passer un agréable moment télévisuel grâce à cette bonne ambiance qui semble régner
entre les candidats est également visible dans les discours online des téléspectateurs du FO.
Tout d’abord, ce commentaire d’un membre du forum montre bien que le caractère des candidats et
l’entente entre eux sont très importants pour faire de cette émission de télévision un véritable
moment de détente pour le téléspectateur et pour lui donner envie de suivre les candidats toute la
semaine : « il est créatif, exubérant, très nature, très drôle, très touchant, très généreux ! il fait
exploser la baraque là ! j'attends celui de ce soir chez notre très sympathique personnalité
masculine. Toute l'équipe à l'air sympa ». C’est d’ailleurs là encore très proche de ce que me
confiait Maryse l’an passé, un candidat bout-d’entrain et une bonne entente entre les candidats
constituaient une motivation pour regarder l’émission le lendemain : « c'est vrai que c'est toute la
semaine donc il y a quand même un suivi, il y a une ambiance qui se crée, on a envie de savoir la
suite ». De plus sur le FO, les télénautes ne se plaignent pas du manque de niveau culinaire
d’Ecclésiaste car leur curiosité culinaire s’est effacée au profit de leur amusement face à la
109
soirée mise au point par le candidat : « c’est un gag !!! c’est une caméra caché ?? alors la je me
marre bien :d il ne joue pas la gagne ! » (FO), « Pour une fois, ne pas voir toutes les préparation
du dîner, ne me gènera pas … Sans rancune » (FO). D’ailleurs, les usagers du forum soulignent
bien que la pression que s’imposent habituellement les candidats d’UDPP lorsque vient leur tour de
recevoir est un peu pesante pour les téléspectateurs, c’est pourquoi une soirée placée sous le signe
de la détente et du rire comme celle d’Ecclésiaste est un vrai plaisir à regarder pour eux : « Pour
une fois qu'une semaine est placée sous le signe de la détente, certains devraient se décoincer et
desserrer leur col de chemise » (FO), « @TERRACOTTAExactement,cette semaine est agréable à
suivre. » (FO)
Il apparait donc clairement que dans la réception online des téléspectateurs d’UDPP, l’ambiance
d’une soirée et l’entente qui règne entre les candidats soient des éléments essentiels participant au
moment de plaisir télévisuel recherché par les téléspectateurs lorsqu’ils regardent UDPP. Ces
éléments peuvent d’ailleurs largement compenser des réalisations culinaires décevantes de la part
des candidats, laissant alors penser que cette émission culinaire reste, et peut-être même avant toute
chose, une émission de TV réalité.
d) Le plaisir d’une émission de TV réalité : percer les rouages de l’émission
Lors de mon étude sur la réception des émissions culinaires actuelles, j’avais montré que si
les téléspectateurs interrogés prenaient un véritable plaisir à regarder ces programmes télévisés ils
n’en gardaient pas moins un regard critique et formulaient bien souvent des critiques
« syntaxiques 72», c’est-à-dire liées aux dispositifs de l’émission. Rien d’étonnant à cela puisque
ces critiques pointent en fait l’une des caractéristiques du genre de la TV réalité : la réalité
représentée sur les écrans doit avant tout servir des objectifs de production, eux-mêmes liés à
des objectifs d’audience. Dès lors, quand une péripétie de l’émission semble un peu trop éloignée
de la réalité, les téléspectateurs y lisent une stratégie parfaitement orchestrée par la production.
J’avais donc l’an passé mis en avant la façon dont les téléspectateurs amenaient ces critiques
syntaxiques dans leurs discours lorsqu’ils me parlaient des émissions culinaires, cette année il
s’agissait de voir si la narration préalable de l’émission par la production était discutée sur
les forums de discussion, et si oui pourquoi et comment.
Davantage qu’une critique syntaxique, la réception online des téléspectateurs sur les
forums de discussion consacrés à UDPP se construit souvent autour d’une réflexion plus ou
moins collective sur la construction préalable de l’émission, une quête commune d’un ou
plusieurs indices permettant de mettre à jour la narration préalable de la production. C’était
d’ailleurs également là quelque chose qui avait été perçu dans les discours online des
téléspectateurs de l’émission de TV réalité Loft Story, ceux-ci cherchant à « montrer les écarts
entre ce qui s’est ‘réellement’ passé dans le Loft et ce que M6 a construit comme interprétation
72 Le Grignou Brigitte, Ibid., p.100
110
(par le jeu du montage, de l’enchaînement des séquences…) 73». Notons que la semaine étudiée
pour cette veille analytique se prêtait particulièrement bien à ce type de discussion. En effet, s’il
arrive parfois que les candidats ne maitrisent que difficilement les recettes du repas qu’ils
souhaitent présenter à leurs invités, le candidat Ecclésiaste a marqué les discours des
téléspectateurs tant il manquait de connaissances dans la pratique de la cuisine et tant il ne
maitrisait aucune technique, aussi simples puissent-elles être. Sa méconnaissance du domaine
culinaire était en fait telle que c’est bien là ce qui a fait tout le caractère risible de la situation :
plutôt que d’en être effarés, les autres candidats s’en sont largement amusés, Ecclésiaste
pareillement, et finalement les téléspectateurs également. Néanmoins, ce comique de situation
relevait en effet plus d’une pièce de théâtre ou d’une série télévisée que d’une situation réelle
et spontanée d’un candidat d’UDPP. Pour cette raison, les télénautes, qu’il s’agisse des
membres du FO ou de ceux du FNO, ont rapidement crié au « gag » cousu de fils blancs par
la production de l’émission : « J’y crois pas, c’est un gag ? » (FO), « c’est un canular rassurez
moi ? » (FNO), « ou bien c’est un gag de M6 ou bien c’est un grand bouffon ! » (FNO). De prime
abord donc, le dîner d’Ecclésiaste transparait dans les discours online comme étant de manière tout
à fait évidente un canular mis au point par la production, les téléspectateurs se persuadant alors
qu’Ecclésiaste est en fait un acteur engagé par M6 : « Sinon sympa et original l’immeuble. Il fait
son cinéma … logique » (FO).
Mais ces premières remarques relèvent surtout de l’exclamation, les téléspectateurs sont tant
surpris par cet inhabituel candidat qu’ils qualifient immédiatement cette soirée de canular. Puis
petit à petit, une discussion s’installe entre les usagers des forums, visant à chercher des
preuves de ce « gag ». C’est par exemple l’association d’un appartement qui semble un peu trop
beau pour être vrai et d’un candidat trop amateur pour être honnête qui laisse penser à ce membre
du FO qu’il s’agit effectivement d’une soirée parfaitement orchestrée par la production : « Dans un
appartement qui semble être témoin , ce soir c'est le prince de la tambouille il ne sait visiblement
pas cuisiner , beaucoup d'esbrouffe . Franchement pourquoi s'est - il inscrit dans cette émission
c'est un canulard ???». Pour ce membre du FNO, Ecclésiaste s’est dévoilé en sur-jouant son rôle
de candidat amateur : « Non, ça doit être une blague, ses commentaires sont totalement à l’ouest,
ça peut pas être un candidat sérieux ». Parfois, les usagers du FNO hésitent sur le rôle de la
production dans cette inhabituelle soirée, notamment basé sur leur connaissance des émissions
culinaires de la chaîne et des candidats qui s’y rattachent :
Membre A : « C’est Norbert qui a sauvé le navire, ou c’était orchestré du départ ?» (FNO)
Membre B : « Même si Norbert a un langage +++++ que cool les autres convives ne peuvent pas
critiquer méchamment si lui cuisinier le prend en rigolant. Maintenant tout est peut être orchestré
aussi » (FNO)
73 Beaudouin Valérie, Beauvisage Thomas, Cardon Dominique, Velkovska Julia, op. cit., p.33
111
Membre C : « J’ai l’explication : Norbert a été dans trop d’émission de M6, donc pour éviter
d’avoir à lui payer un cachet énorme, ils ont prévu de le faire mourir de rire » (FNO)
Ils vont également chercher dans les comportements des autres candidats des éléments venant
confirmer ou infirmer que cette soirée est un canular :
Membre D : « C’est un gag, je suis sûr : il y a une deuxième surprise cette semaine, et Daniel
Béliveau va piéger Norbert ! »
Membre E : « Ca ne doit pas être un canular car c’est ce que Norbert attend ».
Les téléspectateurs remettent en situation cet épisode d’UDPP afin de trouver d’autres indices, la
date de diffusion par exemple : « Moi aussi je me demande depuis le début si ce n’est pas un
canular spécial 1er mai ! » (FNO). Quel que soit l’argument du membre du forum, on constate que
tous ces messages sont en fait des interprétations de ce qui peut se tramer derrière cet
inhabituel dîner. Les téléspectateurs échangent dans le but de construire une réflexion collective
sur les rouages de l’émission, chacun intervient afin d’essayer de mettre à jour l’élément qui
prouvera que cet épisode est en effet un canular monté de toute pièce par la production de
l’émission, faisant alors preuve d’un grand sens de l’observation et du détail. On retrouve alors ce
que Larsen décrit lorsqu’il étudie les échanges online des fans de Grey’s anatomy : « by writing in
these spaces viewers try to develop an understanding of certain ambiguous events or characters in
the narrative universe. In many cases they explicitly call on other participants to help them, and the
threads often develop into long discussion of textual details 74». De plus, si les téléspectateurs font
de ce diner un véritable sujet d’enquête, c’est parce qu’ils ont tous remarqué que la soirée
d’Ecclésiaste dérogeait à la routine habituelle d’UDPP, c’est parce qu’ils sont habitués à une
narration bien différente qu’ils interprètent cet épisode comme étant un canular. De la même
manière, les fans de Greys’s anatomy « evaluate the show agains general narrative and specific
generic conventions 75».
Enfin, pour d’autres téléspectateurs, malgré le caractère inhabituel de la soirée d’Ecclésiaste, celle-
ci n’est pas davantage orchestrée par la production qu’habituellement puisque ces usagers des
forums estiment de toute façon que les émissions culinaires actuelles sont parfaitement construites
et ne laissent donc que peu de place à la réalité : « Je ne sais pas si la finale de Top Chef est
truquée (c'est possible, je préférai Florent) mais pour le Dîner Presque Parfait je pense que c'est
pareil.....Toutes les émissions de Télé réalité ont un scénario à suivre.... » (FO). Notons d’ailleurs,
que ce n’est pas nécessairement là une critique de la part du téléspectateur, comme ce message en
témoigne : « Je regarde assez souvent cette émission et on y rencontre toujours les mêmes types de
profils : L'égo surdimensionné, le/la chieur/chieuse, le/la snob... Là, franchement, la prod a réussi
à sortir LE profil atypique qui malgré sa nullité en cuisine a réussi à leur faire tourner une des
meilleures émissions de ces dernières années. Même le faux candidat de la ligue d'impro qui était
74 Larsen Peter, Ibid., p.16175 Larsen Peter, Ibid., p.161
112
passé il y a quelques mois n'avait pas réussi à arriver à la cheville d'Ecclésiaste ! » (FO). Ces deux
derniers exemples, et surtout le second, montrent que les téléspectateurs d’UDPP usent du même
type d’argumentaire que les fans de Grey’s anatomy : ils analysent le contenu de l’épisode, les
péripéties qui s’y déroulent, en termes de production. Ainsi, alors qu’un événement particulier de
Grey’s anatomy permet de donner plus d’émotion ou de drame, c’est le casting d’UDPP qui permet
de rendre les différentes soirées divertissantes pour le téléspectateur, un casting donc
vraisemblablement réussi pour cette semaine de diffusion.
2) … dont la réception reste influencée par le caractère officiel ou non de la plateforme d’échange
a) La relation à la chaîne du forum officiel transparaît dans les discours online des téléspectateurs
Il semble donc que beaucoup d’aspects de la réception online des téléspectateurs d’UDPP
soient très similaires à ceux repérés lors de mon enquête qualitative sur la réception des émissions
culinaires actuelles : elle transparait donc de manière assez identique dans les discours que les
téléspectateurs pouvaient eux-mêmes avoir et dans les discours que les téléspectateurs ont entre
eux. A ceci près évidemment, que les aspects de l’émission qui rythment et construisent la
réception des usagers des forums étudiés ne sont pas seulement évoqués mais discutés, ils font
l’objet d’un échange, d’une quête, d’un amusement collectif, en tout cas principalement sur le
FNO.
Mais le fait que les téléspectateurs s’expriment sur des forums de discussion n’a pas pour seul
impact de donner lieu à une réception plus dynamique, ces plateformes d’échange, et en
l’occurrence le FO est considéré – semble-t-il – par certains internautes comme un moyen
d’être au plus près de la production de l’émission, de la chaîne, et même des candidats. Si
bien qu’en fonction de ce qu’ils voient sur leur poste de télévision, les télénautes ne vont pas
simplement partager une impression ou une interrogation auprès d’autres, ils vont tenter
d’influer sur le programme – que ce soit pour le voir se transformer ou au contraire pour que des
éléments qu’ils apprécient soient conservés – en s’adressant directement à la chaîne.
Les télénautes utilisent le FO dans ce but pour différentes raisons et en fonction de
différents contenus télévisuels.
Tout d’abord, nous l’avons vu, beaucoup de téléspectateurs ont été surpris par le tournant que la
semaine d’émission à laquelle je me suis intéressée a pris : la soirée d’Ecclésiaste a été, semble-t-il,
l’occasion tant pour les candidats que pour les téléspectateurs, de renouer avec l’une des
caractéristiques essentielles d’un programme de TV réalité, le divertissement. Alors même que les
téléspectateurs s’étaient habitués à des candidats angoissés à l’approche de leur dîner, ou critiques
113
envers ceux des autres, ils ont eu ici affaire à un candidat cherchant avant tout à s’amuser et à
préparer un repas sans aucune pression. Dès lors, que cette soirée ait été savamment orchestrée
par M6 ou non, les téléspectateurs viennent sur le FO pour le formuler clairement : ils en
redemandent. « Grand merci pour cette semaine de délire M6, cela faisait bien longtemps que je
n'avais pas eu la banane comme cela ! » (FO).
La soirée d’Ecclésiaste a enthousiasmé, ou agacé les téléspectateurs, mais dans un cas comme dans
l’autre lorsqu’ils viennent s’exprimer sur le FO pour réagir et s’adresser tant aux candidats qu’à la
chaîne, c’est bien souvent pour mettre en avant leur analyse de l’évolution de l’émission. Ce
téléspectateur par exemple note que le niveau culinaire des candidats d’UDPP a baissé depuis les
débuts de l’émission, mais qu’aujourd’hui, avec l’offre télévisuelle que l’on trouve en termes de
programmes culinaires, l’aspect divertissant de plus en plus dominant de l’émission lui convient
parfaitement : « Merci a toute la bande cette semaine, comedien ou pas je m'en contre fiche, ils
sont arrives a me faire decrocher des news grisailles et realistes du quotidien que cela fait du
bien !!! Il y a bien longtemps que le concept a fichu le camp ! et perso si je desire une vraie
emission culinaire, j'ai largement l'embarras du choix que cette emission de "tele realite" avant
toute chose! a bon entendeur au grincheux ! La mere Edith se manifeste AUX GRINCHEUX » .
Dans ce message, l’usager du FO s’adresse simultanément (mais plus ou moins directement) aux
candidats, à la chaîne et/ou la production, et à ceux qui dénigrent l’émission. On note de plus à
travers ce commentaire que les téléspectateurs d’UDPP sont bien souvent également
téléspectateurs d’autres émissions culinaires, qu’il s’agisse de Masterchef, Fourchette et sac à dos
et bien d’autres encore. Dès lors, si certains peuvent regretter le tournant qu’a pris l’une d’elle, ils
peuvent également l’apprécier si cela la rend plus complémentaire avec le reste de l’offre
télévisuelle ayant la cuisine comme thématique principale. Cet autre membre du FO pointe lui aussi
du doigt une évolution de l’émission, mais cette fois dans le mauvais sens : « Pour ma part je ne
regarde plus depuis l'épisode ru benne....Préfère aller bosser au jardin avec le beau temps relatif...
la chaîne nous prend pour des gogos. Je lis tous les jours les articles de Riton car il me fait rire, et
je constate à chaque fois que j'ai bien fait de pas perdre mon temps à regarder cette daube... je vois
que ça touche le fond, et pour rire y a mieux car je pense que comme le dit Potj, c'est même pas du
4ème degré......... ». Ce qui est intéressant dans ce commentaire, c’est que cet internaute prend la
peine d’aller sur le forum de l’émission, mais également d’y poster un message, sans même avoir
regardé le programme depuis un long moment. Il ne s’appuie que sur les caricatures du dessinateur
Riton pour tirer des conclusions sur le tournant qu’a pris UDPP mais continue pourtant à s’intégrer
dans le public de l’émission : « la chaîne nous prend pour des gogos ». Il tente donc de laisser
paraître dans son message une certaine distance avec l’émission, tant dans sa vision critique de
celle-ci que lorsqu’il précise qu’il ne « regarde plus depuis l’épisode ru benne » (un candidat ayant
participé à l’émission il y a deux ans de cela), mais se laisse rattraper par la façon dont il s’intègre
114
dans le public, et par le fait même qu’il ait la démarche d’aller partager son opinion sur un forum
dédié aux téléspectateurs de l’émission.
On peut penser qu’avec ce type de message les téléspectateurs ne se contentent pas de
donner un avis sur une émission ou un aspect de celle-ci ou encore de son évolution. Ils prennent la
peine de venir s’exprimer sur le forum : soit pour confronter leur opinion à celle des autres
téléspectateurs (mais cela semble peu probable en ce qui concerne les deux exemples précédents,
puisqu’aucune interrogation n’est formulée à l’encontre des autres membres), soit en espérant être
entendu par la chaîne et/ou la production qui prendra en compte leur avis afin dans la
stratégie de production des prochaines émissions. Dans le cas des deux exemples précédents,
cette demande était implicite, mais parfois elle est explicite. Ce membre du FO par exemple,
s’interroge, ou plutôt interroge la chaîne sur l’arrivée prochaine ou non des émissions UDPP
diffusées en prime time le lundi soir qui rassemblaient et faisaient s’affronter les vainqueurs de
différentes villes d’une même région : « Bonjour M6...........Pourquoi n' y a t-il plus de finale des
meilleurs du DPP,? ». Dans ce message, on comprend donc non seulement que le téléspectateur est
en recherche d’information sur la programmation future de l’émission, et utilise donc le forum
pour avoir un lien direct avec la chaîne. De plus, il laisse transparaître dans son message une
demande : il serait bon que les émissions « finale des meilleurs du DPP » reviennent sur M6 car
elles ne l’ont pas été depuis longtemps. C’est donc à la fois une recherche d’information et une
façon d’essayer d’influer sur la stratégie de production de l’émission.
Cet autre exemple repose davantage sur une demande liée au fonctionnement du forum : « Euh
M6 vous pourriez faire des pouces leves de "J'aime" comme FB please, car citer toutes les
personnes dont j'apprecie les comm, cela fait long et legerement embarrassant pour ceux qui
suivront . » Dans cet exemple, le téléspectateur demande à la chaîne une amélioration du forum
afin que celui-ci réponde mieux à l’utilisation que les internautes peuvent en faire.
Les messages dans lesquels les téléspectateurs s’adressent directement à la chaîne et/ou à la
production sont donc souvent liés à une demande particulière, qu’il s’agisse de la programmation,
ou de la façon d’améliorer tant le programme télévisé que le forum qui lui est lié. Mais il peut aussi
s’agir d’une question davantage liée à la situation personnelle : « J 'aimerais savoir comment
sont faîtes les sélections pour participer au DPP???? » On peut penser en lisant ce message que
cet usager du forum officiel aimerait participer à l’émission et ne sait pas comment procéder pour
cela, il utilise donc également le forum comme un moyen d’entrer directement en contact avec la
chaîne.
Sur ce forum officiel donc, il est assez fréquent de lire des messages s’adressant
explicitement ou implicitement à la production et/ou à la chaîne. Cela avait déjà été repéré par
Beaudouin, Beauvisage, Cardon, Velkovska (2003), dans leur étude consacrée aux publics online
de Loft Story : « Sites, forums et chats permettent aux publics du Loft de s’impliquer dans
l’émission à différents niveaux et selon différentes modalités. Ces outils ont donné la possibilité de
115
devenir des sortes de « co-producteurs » de l’émission : l’internaute loftien, le fan, qu’il soit
inconditionnel, critique ou ironique, laisse à travers les sites qu’il élabore, les échange qu’il
produit dans les chats, les interventions dans les forums, la trace d’un regard critique qui épouse
l’émission et aspire à la remodeler 76». Dans le cas de mon analyse, les utilisateurs du FO se
servent du forum pour être au plus près de celle qui fait le programme télévisé qu’ils
regardent ; ils peuvent ainsi essayer d’influer la programmation ou la stratégie de production
future afin qu’elle réponde mieux à leurs attentes, ou plus directement venir chercher les
informations dont ils ont besoin. C’est donc là quelque chose de très spécifique au forum
officiel : les téléspectateurs qui viennent s’exprimer sur cette plateforme gardent toujours en
mémoire qu’elle a été créée et est gérée par M6, et ils semblent donc dès lors en conclure que les
personnes travaillant pour la chaîne et/ou la production sont fortement susceptibles de lire leurs
commentaires et donc de s’appuyer sur ceux-ci pour décider des évolutions futures de l’émission. Il
est par ailleurs possible que les membres de ce forum le considèrent comme prévu pour mettre
en relation les téléspectateurs et M6. On retrouve alors ce qui avait déjà été repéré par On est
donc ici dans l’optique d’un forum utile, qui ne permet pas simplement d’échanger des avis entre
téléspectateurs, une façon en fait de leur redonner un droit de parole que la télévision ne donne
logiquement pas.
b) Les réceptions différentes d’une semaine d’Un dîner presque parfait faite de multiple péripéties
La semaine d’émission que j’ai pu étudier à travers ma veille analytique s’est
largement distinguée de la majorité des autres semaines d’émission, et ce par trois éléments
inhabituels : la présence d’un candidat connu du grand public et qui plus est professionnel de la
cuisine, une soirée davantage placée sous le signe de l’humour que de la compétition culinaire,
deux gagnantes ex aequo.
Logiquement, ces trois péripéties se trouvent au cœur des discours de téléspectateurs usagers des
forums de discussion, néanmoins elles sont appréhendées de manière très différente par les
membres de l’un ou de l’autre des forums, et c’est cela que je veux analyser pendant cette dernière
étape de ma réflexion sur la réception online des téléspectateurs d’UDPP.
En ce qui concerne la présence de Norbert Tarayre pendant cette semaine spéciale
d’UDPP, celle-ci aurait assez logiquement pu dominer le contenu des échanges des téléspectateurs.
Pourtant, ce ne fut pas tant le cas que cela. Sur le FNO, je l’ai montré, la présence de Norbert a
surtout été l’objet d’un amusement révélateur de la complicité entre les membres puisque
ceux-ci savaient par avance que la présence de l’ancien candidat de Top Chef allait horrifier l’une
76 Beaudouin Valérie, Beauvisage Thomas, Cardon Dominique, Velkovska Julia, op. cit., p.27
116
de leurs compères, ce qui ne manqua pas d’arriver : « Et toujours égal à lui même , bien que
planqué dans sa cuisine , le rustre n'apprécie pas la moindre critique et se révèle dans toute sa
grossièreté , envers ceux qui ose la moindre petite , toute petite remarque ! La chaîne a réussi ce
tour de force à lui faire encore davantage enfler la tête , qui n'est plus une tête , qui n'est pas même
un melon , mais franchement une grosse ,très grosse citrouille digne d'Halloween ! ». Sur le FO
au contraire, les messages centrés sur Norbert ont fait ressortir une pratique très
individualisée du forum de discussion par les membres puisque ces derniers s’en sont
principalement servi pour tenter d’établir un contact avec le chef cuisinier en lui adressant un
message personnel : « J'ai suivi Top Chef et je suis contente de retrouver un grand cuisinier tu le
mérites, j'ai vraiment passé une très bonne semaine, reste comme tu es avec de vrais valeurs, ta
joie de vivre, surtout resté naturel c'est important. Magalie ». On retrouve donc deux façons
différentes d’appréhender la présence de ce candidat sortant de l’ordinaire car n’étant ni un
amateur, ni un illustre inconnu, néanmoins les téléspectateurs des deux forums ne font pas de cette
particularité de la semaine d’émission le cœur de leurs échanges. Ce sont en fait les deux autres
péripéties qui vont dominer les échanges, mais là encore de manière très différente.
Je l’ai évoqué brièvement précédemment la soirée d’Ecclésiaste a été vue de manière très
différente en fonction des téléspectateurs : certains ont souligné l’agréable moment télévisuel qu’ils
vivaient grâce à un candidat misant avant tout sur l’ambiance de sa soirée, alors que d’autres
s’agaçaient des maladresses culinaires de ce novice en cuisine. Pour autant il a aussi, et surtout, été
à l’origine d’un tournant conversationnel sur l’évolution du programme télévisé UDPP chez
les membres du FO. Le fait que l’émission UDPP ne soit plus véritablement une émission dont la
thématique principale est la cuisine et dans laquelle les candidats sont de moins en moins choisis
par la production pour leur talent culinaire mais davantage pour leur charisme, est quelque chose
qui m’avait déjà été évoqué lors des entretiens avec quelques membres du FNO réalisés l’an passé.
Comme j’avais pu l’expliquer dans mon mémoire de l’an passé :
« Les téléspectateurs perdent rapidement goût à l’émission si celle-ci tombe trop dans le
divertissement basique, laissant de côté la dimension éducative. Cet aspect est
particulièrement ressorti chez les téléspectateurs ayant suivi UDPP depuis les premières
émissions. Véronique m’explique ainsi que depuis quelques temps, les DPP s’étaient
appauvris au niveau de la cuisine : l’animation prend de plus en plus de place, les
candidats sont là uniquement pour gagner et en deviennent détestables, le niveau culinaire
est parfois ridicule. Elle appréciait UDPP parce qu’elle pouvait s’identifier aux
candidats : des amateurs certes mais qui ont tout de même l’habitude de cuisiner,
d’essayer de nouvelles choses, qui aiment recevoir. Les candidats s’éloignent de plus en
plus d’elle, la soirée qu’elle voit se dérouler à l’écran ne correspond plus à une soirée
qu'elle pourrait organiser avec ses propres amis, et la dimension culinaire – qui l’a
117
interpelée dès le début – s’est un peu trop effacée, si bien qu’elle n’apprend plus rien dans
ces émissions : « en fait c’est une émission culinaire et la cuisine est
passée à la trappe quoi, et c’est dommage, c’est un peu dommage ».
Cela explique le fait qu’elle regarde aujourd’hui avec moins d’assiduité UDPP que TC ou
MC. Marc exprime la même réserve quant à UDPP : « Je regarde également UDPP,
malgré qu’aujourd’hui c’est devenu un peu trop, un peu trop culcul on
va dire ». 77» Les membres du FNO semblent avoir tous noté cette évolution d’UDPP car
Véronique m’avait expliqué que cette évolution avait fait l’objet même de discussions
entre les membres du forum. Pourtant, et alors même que la soirée réalisée par Ecclésiaste
était la parfaite représentation d’une émission de moins en moins basée sur la cuisine,
l’évolution d’UDPP fut très peu discutée sur le FNO à l’occasion de cette semaine
d’émission. En fait, les téléspectateurs du FNO se sont tout d’abord un peu agacés de voir
un candidat aux si piètres compétences culinaires : « Apéritif , quelle horreur entre la
mixture hyper sucrée et la tarte hyper sucrée et pas présentable au sirop d'érable ! », ou
encore « Et pour essayer de faire descendre cette horreur il y a eu 1/4 de verre d'eau pour
toute la table ». On a d’ailleurs pu percevoir une certaine lassitude de ce type de
démonstration culinaire lorsque les téléspectateurs ont eu connaissance des notes qui
avaient été attribuées à Ecclésiaste : « n'importe quoi pour les notes.... », « Les notes ne
veulent plus rien dire... », « Il ont surnoté , pour moi c'était zero ! ». Mais c’est finalement
le seul moment où le tournant qu’a pris UDPP transparait dans les discours des
téléspectateurs lorsque la soirée d’Ecclésiaste est diffusée, pour le reste c’est en fait
l’amusement qui l’emporte chez les membres du FNO. Bien qu’un peu sur la défensive
lorsqu’ils commencent à prendre conscience qu’Ecclésiaste est un parfait novice en
cuisine, ils se laissent finalement aller à l’atmosphère détendue et bon-enfant que le
candidat parvient à instaurer, et s’octroient un moment de plaisir télévisuel dont il ne tire
aucun apprentissage ou simple inspiration culinaire, mais qui leur permet véritablement de
rire de bon cœur : « je rêve ou quoi .. suis morte de rire...comme tu dis il n'a jamais vu de
blanc en neige. Il cuisine dans son évier, en faisant n'importe quoi LOL », « Avec sa tarte
noix-sirop d'érable, il vient de nous rénover la recette du gloubi-boulga... LOL », « Ca
nous coupe le sifflet ! LOL ». Les membres du FNO ne cherchent donc pas
particulièrement à porter un regard plus général sur l’émission à partir de cette soirée, on
peut penser que c’est sans doute là quelque chose qui a déjà bien occupé leurs
conversations et qu’ils ont donc accepté cette transformation de l’émission, ayant pris 77 Blandin Eve-Anaelle, Ibid., p.57
118
parti de se satisfaire de ce qu’elle a à leur offrir, et de compenser leur appétence pour
les découvertes culinaires avec d’autres émissions. Cette hypothèse est renforcée par le
fait que ces téléspectateurs sont des fidèles de l’émission de longue date, or les semaines
d’UDPP incluant des personnalités ou misant davantage sur des candidats charismatiques
que talentueux sont diffusées depuis déjà plus de 3 ans, il semble dès lors peu probable
que le sujet revienne au centre des discussions à chaque fois qu’un candidat se révèle
davantage être un bout d’entrain qu’un cuisinier de talent.
Il n’en est par contre pas de même pour les membres du FO. Parmi ces derniers, on
trouve tout d’abord des téléspectateurs dont la réception online se rapproche de celle des
membres du FNO, ils apprécient que les candidats se montrent doués en cuisine, mais
ils savent aussi se satisfaire d’une soirée d’UDPP où le candidat parvient davantage à
faire rire qu’à faire des plats de haute volée : « c'est un gag !!! c'est une caméra
caché ?? alors la je me marre bien :d il ne joue pas pour gagner !!! », « Pour une fois, ne
pas voir toutes les préparations du dîner, ne me gênera pas.... Sans rancune ». Puis
rapidement, les commentaires se teintent d’un regard sur l’ensemble de l’émission, et
les téléspectateurs se montrent alors plus catégoriques dans leurs messages. Ainsi, ce
téléspectateur estime que la soirée d’Ecclésiaste – qu’il n’a pas regardé mais dont il s’est
fait une idée grâce aux commentaires des membres du forum et aux caricatures de Riton –
peut lui permettre de conforter le choix qu’il a semble-t-il fait à partir du moment où
UDPP a cessé de faire de la cuisine l’atout principale du programme : « Pour ma part je ne
regarde plus depuis l'épisode ru benne....Préfère aller bosser au jardin avec le beau temps
relatif... la chaîne nous prend pour des gogos. Je lis tous les jours les articles de Riton car
il me fait rire, et je constate à chaque fois que j'ai bien fait de pas perdre mon temps à
regarder cette daube... je vois que ça touche le fond, et pour rire y a mieux car je pense
que comme le dit Potj, c'est même pas du 4ème degré......... ». Pour cet autre membre du
forum, il semble que la soirée d’Ecclésiaste ait été la goutte d’eau faisant déborder le vase
puisqu’il a alors décidé de ne plus regarder l’émission : « désolée mais Ecclésiaste ne m'a
pas fait rire du tout. après son repas, je n'ai plus regardé Un diner presque parfait.(je ne
suis pas raciste puisque mon beau-fils est Marocain.». Enfin pour ce dernier télénaute,
cette semaine d’émission n’a clairement pas placé la cuisine au centre du programme, les
candidats n’étant pas à la hauteur des attentes du téléspectateur. Il n’hésite d’ailleurs pas à
comparer ce programme qui se définissait comme culinaire à un programme de pur
humour, souvent plébiscité par les enfants : « Je ne vois pas en quoi cette farce pitoyable a
à faire avec une âme d'enfant. Ce pitre fait rire de la même façon que dans vidéo gags
119
quand on rit de voir un type voire un enfant se casser la gueule. Moi, ce genre de rigolade,
je n'aime pas. Je le trouve même malsain. Quant au GRAND Norbert qui a travaillé avec
de grands chefs mais qui est totalement inconnu hors champ de M6, il n'est même pas fichu
de givrer des verres,. Sa prestation (4h d'agitation selon lui) sans sa prétendue renommée
n'a pas atteint les sommets attendus. Par ailleurs pour un "chef", ne pas laver ses légumes
est un peu limite non ? ». Face à ce type de commentaires, les partisans des émissions
d’UDPP placés sous le signe de la détente et de l’humour n’hésitent pas à répliquer , et
ce de manière parfois cinglante : « Il y a bien longtemps que le concept a fichu le camp ! et
perso si je desire une vraie emission culinaire, j'ai largement l'embarras du choix que cette
emission de "tele realite" avant toute chose! a bon entendeur au grincheux ! La mere Edith
se manifeste AUX GRINCHEUX ». Mais ce qui importe ici n’est pas tant le caractère
borné et parfois hostile de ces messages ; ce qu’on lit dans ces échanges, c’est un
véritablement affrontement de visions de l’émission. Des téléspectateurs s’affrontent
pour faire valoir l’émission telle qu’ils l’apprécient eux : pour ce qu’elle était à ses débuts,
une émission consacrée à la cuisine d’amateurs passionnés, ou pour ce qu’elle est devenue,
une émission culinaire où l’ambiance entre les candidats prime sur le reste. Et ces quelques
exemples témoignent bien du tournant qu’UDPP et qui est plus ou moins accepté par les
téléspectateurs : « Rhoooo mais vous êtes des raleurs dans l'ame ! quand il y a des
grincheux vous critiquez, quand il y a des atypiques vous en faites de même, pas cool !
Après la finale de top chef Bridg33, justement ça fait du bien et au moins pas truqué !!! S'il
joue il le fait à merveille au niveau nullité culinaire, s'il ne le fait pas exprès il en est
d'autant plus touchant ! Moi j'adore », « je ne suis pas 1 fan de cette émission, car c'est
toujours du déjà vus mais là j'ai passé un moment incroyable. Ces éclats de rire m'ont
manqués depuis un bon bout de temps. DSL mais voici un réel Diner presque parfait ». Ce
dernier exemple montre bien qu’il semble difficile pour ces membres du forum de
s’entendre puisqu’ils ne partagent de toute façon pas une vision commune de ce qu’est une
véritable émission UDPP. On note également que la vision est différente en fonction des
autres émissions que le téléspectateur regarde. Ainsi, comme j’avais déjà pu le
remarquer en analysant les entretiens réalisés avec les membres du forum, lorsque les
téléspectateurs regardent toutes les émissions culinaires – en tout cas celles des chaînes de
grande audience telles que M6 et TF1 – ils acceptent d’autant plus l’évolution d’UDPP
qu’ils peuvent retrouver le plaisir d’une émission culinaire dont la cuisine est effectivement
restée au centre et dont ils pourront tirer un apprentissage, que des programmes télévisés
tels que Masterchef ou Top Chef leur apportent cela : « Cet aprèm je me suis fait la finale
120
de Top chef, donc la bonne cuisine j'ai vu et donc ce soir on oublie et on prend du recul ;)
». Le FO est donc incontestablement un forum de fans – en l’occurrence de
téléspectateurs plus ou moins anciens de l’émission – qui se constituent en une
communauté d’interprétation : qu’est aujourd’hui devenue UDPP ? Est-ce là ce qu’elle
doit être en tant que programme télévisé culinaire ? Or les interprétations sont d’autant plus
nombreuses et les avis d’autant plus divergents que le forum est largement fréquenté, ce
qui est le cas du FO. Les téléspectateurs inscrits sur ce forum sont extrêmement nombreux,
trop pour se connaître réellement, trop pour y être tous actifs depuis le début de l’émission,
et in fine trop pour partager une vision commune, au contraire des membres du FNO qui
ont vu l’émission évoluer au fil des années, et qui ont donc pu en discuter petit à petit et
construire une opinion commune grâce à un passif télévisuel commun.
Venons-en maintenant à la dernière péripétie de cette semaine d’émission : la
victoire ex aequo de deux candidates, Laury et Odile. Cette péripétie n’a été au cœur
des discours que des membres du FO, les téléspectateurs inscrits sur le FNO s’y sont
très peu intéressés. Autre point important à noter, la plupart des échanges visant à discuter
de manière comparative les compétences de ces deux candidats s’est déroulée a posteriori
de la diffusion de la dernière émission de la semaine, une fois que le résultat était connu
tous. Les usagers du FO se sont alors rendus soit sur le topic consacré à Odile, soit sur
celui consacré à Laury afin de donner leur opinion sur le résultat finale. On constate donc
avec cette simple caractéristique que les téléspectateurs ne sont pas simplement venus
donner leurs impressions quant au repas réalisé par un candidat, ils sont venus dans le but
de défendre l’un d’eux et de s’exprimer sur le résultat final. On retrouve donc ce
qu’Anne Jerslev (2010) décrit dans son étude sur la réception online des téléspectateurs
d’X Factor : les thèmes récurrents sur les plateformes de discussion sont souvent centrés
autour du résultat final, les téléspectateurs s’expriment ainsi sur la façon dont les juges
évaluent les candidats, s’ils l’estiment juste ou non, et disent qui ils auraient aimé voir
gagner. Ils viennent donc s’exprimer sur la « toile » lorsque « their sense of justice and the
fair treatment of others is challenged 78». On est donc ici tout à fait dans la même
dynamique puisque c’est une fois que le résultat est connu que les membres du FO vont
venir défendre une candidate plutôt que l’autre, voir même exprimer toute leur déception
de ce résultat.
Tout d’abord, le résultat final semble injuste à nombre de téléspectateurs car ceux-ci
estiment qu’Odile est une bien meilleure cuisinière que Laury : « Bravo a Odile elle
78 Jerslev Anne, Ibid., p.173
121
mérite de gagner mais Laury a fait un repas de moins bonne qualité, Odile aurait du
gagner toute seule » et un autre membre de répondre « @hortensiaca Je suis entièrement
de votre avis Claufa , sans son papa et le coup de patte de Norbert , son dîner frisait la
cata ! et la déco , nom d'un p'tit bonhomme falait oser le thème du foot ! » . Mais bien
rapidement, on se rend compte que ce n’est pas seulement la différence de compétences
culinaires qui est à l’origine de nombreux commentaires agacés de téléspectateurs estimant
que le résultat final est injuste. Ceux-ci pointent du doigt le comportement de Laury,
qui se serait montrée particulièrement critique aux différents repas et aurait
notamment sous-noté Odile dans le seul but d’arriver en tête de la compétition et
d’ainsi décrocher les 1000 euros à la clef : « Perso, je trouvais Laury super
négative...pour le repas d'Odile », « Oui c'est vrai que c'est pas normal qu'Odile ait la
meme note en cuisine que Laury... La jeune ne méritait vraiment pas une si haute note, elle
a sous-noté Odile et c'est grace à cela qu'elle s'en sort!!!! », « Odile méritait d'être en
tête.....Laury ferait mieux d'en prendre de la graine et de ne pas critique par calcul... » . Il
arrive également que cette critique se fasse plus directe, ce qui s’explique là encore par
le caractère officiel de cette plateforme de discussion, les téléspectateurs considérant
qu’il est dès lors tout à fait possible que les candidats puissent lire leurs messages : « Bien
joué , vous avez sous noté vous avez atteint la mème note qu'Odile mais votre repas est loin
d'arriver à celui qu'elle nous a présenté ce soir . je suis déçu par votre attitude quoique je
m en moque .............. mais cela me fait plaisir comme vous qui notez bas ». On comprend
donc que c’est un double rejet de la part des téléspectateurs : ils ont, de manière générale,
trouvé que le dîner d’Odile était davantage à la hauteur d’UDPP que celui de Laury,
notamment au niveau de la qualité des mets servis puisqu’ils pointent du doigt la note
attribuée à chacune des candidates au niveau de la cuisine, mais leur désaveu du résultat
final est d’autant plus accentué qu’ils ont l’impression que cette victoire ex aequo ne
s’explique que par le comportement de mauvais joueur de Laury qui aurait fait exprès de
sous noter les autres candidats afin de s’assurer la victoire. On a donc ici un jugement
basé sur une valeur plus large, sur un critère subjectif d’évaluation : le comportement
du candidat en tant que compétiteur, l’habilité de celui-ci à être bon joueur ou non.
Puis finalement, la discussion s’envenime véritablement lorsqu’un usager du forum,
probablement la candidate Laury, intervient. Son message est supprimé, ainsi que
plusieurs qui suivent, laissant alors penser que le modérateur a estimé que la conversation
prenait un tournant trop hostile pour être librement publiée. Néanmoins, d’autres messages
échappent à cette censure et permettent de témoigner de tout l’agacement qui règne sur le
122
forum à ce moment. Les usagers du FO continuent à argumenter leur point de vue quant à
la différence de compétences culinaires entre les deux candidates : « Laury riez je vous en
prie. Moi je ne rigole pas en redisant ce que j'ai déja dis, heureusement que papa a fait la
farce et que Norbert a récupéré la cuisson des St jacques et du foie gras. C'est pourquoi
vos explications sont ridicules. C'est Odile qui a gagné a mon très humble avis. » Puis
comme dans toute discussion se transformant en affrontement, les invectives prennent
place dans les échanges et toute caractéristique de la candidate Laury devenu usager
du forum est retournée contre elle : « @Laury_12 Pour une future journaliste, faites
attention à l'orthographe ou plutôt à la conjugaison des verbes » (ce message prouve que
c’est effectivement la candidate qui s’est exprimée un peu plus tôt sur le forum et dont le
message a été supprimé, puisque le téléspectateur répond à « Laury_12 » et fait allusion à
ses études de journalisme, ce qui était précisé lors de la semaine de diffusion d’UDPP), «
@Laury_12 Va lire ce que Riton a écrit sur toi ma poule. Tu ne seras pas déçue pauvre
petite fiile riche ! ».
On a donc ici un échange assez révélateur de la réception online des téléspectateurs
d’UDPP et de l’utilisation du FO. Tout d’abord, les téléspectateurs d’UDPP viennent -
de la même façon que ceux de X Factor - s’exprimer sur le forum lorsque le sens de la
justice a été directement touché, lorsqu’ils estiment que le résultat final est injuste. Ils
font de plus transparaître à travers leurs commentaires les critères objectifs (les
compétences culinaires) ou subjectifs (le fait d’être bon joueur) qu’ils valorisent dans
leur évaluation des candidats. Ensuite, les commentaires des téléspectateurs prennent
facilement une dynamique d’affrontement.
On peut expliquer cela par le nombre de membres qui, étant élevé, augmente du
même coup le nombre d’opinions divergentes, et le fait que les usagers du forum ne se
connaissent pas tous et ne se témoignent donc pas le même respect. Ajoutons à cela le fait
que la modération sur ce forum est beaucoup plus rude que sur le FNO puisque plusieurs
messages ont été censurés, on peut d’ailleurs penser que cette censure n’a en rien calmé le
jeu, bien au contraire. Notons que cette dynamique d’affrontement m’avait déjà été
évoquée par des membres du FNO, elle était d’ailleurs la raison principale pour
laquelle ils n’avaient pas souhaité rester sur ce forum : « Donc je faisais partie du
forum de M6 UDPP et il y a eu un conflit d'intérêt avec d'autres personnes qui s'étaient un
peu trop installées sur ce forum là. Et comme on ne laissait pas la place à des jugements
différents et bien je préférais faire mon propre forum » (Fabrice), « J'étais tombé sur le
forum officiel mais j'ai du y rester 15 jours même pas, je m'y plaisais pas du tout, c'était la
123
foire d'empoigne, les gens s'engueulent, c'est assez violent ». Enfin, cette discussion plutôt
hostile mais également teintée de commentaires décousus où les usagers se contentent
d’adresser un message de soutien ou de désaveu aux candidats est également
caractéristique d’un forum officiel. Les téléspectateurs n’ayant pas forcément l’habitude
de commenter l’émission à travers une plateforme d’expression virtuelle peuvent soudain
décider de le faire, pousser par un résultat final qu’ils jugent injuste, et souhaitant ainsi
tenter de rétablir cette injustice en faisant connaître leur opinion auprès notamment, voire
principalement, du candidat qu’ils soutiennent ou qu’ils jugent opportuniste.
**
Le premier point à retenir de cette troisième et dernière étape de mon analyse de la
réception online des téléspectateurs d’UDPP est la prépondérance des jugements de ces derniers
dans leurs messages sur les forums. En effet, les téléspectateurs du FO comme du FNO
expriment et construisent un avis bien tranché, souvent moqueur, sur les soirées des
différents candidats de la semaine. Ils jugent alors les prestations en fonction de de critères
permettant d’évaluer la qualité d’hôte des candidats, des critères étant à la fois subjectifs et
objectifs, liés à des goûts personnels comme à des attentes spécifiques en relation avec l’émission
en elle-même. Originalité, équilibre et cohérence, servent par exemple à évaluer la qualité du repas
servi par les candidats, les compétences culinaires des hôtes étant essentielles dans cette émission
pour beaucoup de téléspectateurs. Mais pour que les candidats soient de bons hôtes, ils doivent
également remplir des critères d’hospitalité, respecter les règles d’hygiène et de savoir-vivre, dont
la définition exacte est propre à chaque téléspectateur. Enfin, les téléspectateurs surveillent
également attentivement la façon dont les candidats répondent aux deux autres critères objectifs
d’évaluation de leur qualité d’hôte, établis par l’émission (l’ambiance et la décoration), et épinglent
rapidement les candidats qui ne respecteraient pas les règles qui encadrent cette compétition.
Dans tous ces critères d’évaluation et ces jugements, on voit ressortir certaines caractéristiques très
personnelles : les goûts par exemples, qui ressortent dans les discours online des téléspectateurs
lorsque ceux-ci s’appuient sur le visuel d’un plat ou sur la décoration d’une table, ou encore le
niveau culinaire de certains usagers des forums de discussion.
Un autre point important réside en l’appréciation que les téléspectateurs ont d’une
soirée d’UDPP où l’ambiance est particulièrement bonne. Ainsi, les membres des forums
acceptent plus facilement qu’un candidat ne témoigne pas d’un talent culinaire particulier si celui-
ci réussit à mettre à l’aise ses invités, à instaurer une ambiance bonne-enfant libérée de toute
pression de compétition, à les faire rire eux, téléspectateurs, et in fine à leur faire passer un moment
télévisuel dont ils se délectent.
124
Enfin, les téléspectateurs s’amusent particulièrement sur les forums à percer les rouages
de l’émission, en cherchant ensemble les éléments qui témoignent de la construction préalable du
programme, des éventuelles mises en scène pensées et réalisées par la production.
On retrouve donc dans ces premiers éléments beaucoup d’aspects de la réception des
téléspectateurs des émissions culinaires actuelles que j’avais pu mettre en avant dans mon étude
passée : avoir l’eau à la bouche en regardant des préparations, apprécier une bonne entente entre les
candidats afin de passer un moment télévisuel divertissant, se mettre en quête des éléments
témoignant de l’écriture préalable de l’émission par la production, etc. Mais ces éléments ressortent
encore plus précisément grâce à cette veille puisque les téléspectateurs étudiés, ceux venant
s’exprimer sur des plateformes de communication virtuelles, viennent satisfaire un besoin
d’expression, de commentaire, et parfois même d’échange (et même essentiellement en ce qui
concerne le FNO). Dès lors, tous se font particulièrement attentifs aux détails des différentes
soirées des candidats, à l’aspect des mets servis ou aux moindres erreurs des hôtes : chaque détail
étant un moyen d’enrichir un post, et parfois d’alimenter une conversation.
A travers ces éléments donc, il a semblé que les téléspectateurs usagers du FO et du
FNO avaient des réceptions online très proches, contrairement aux pratiques que j’ai pu mettre à
jour dans ma seconde partie. Il s’est donc confirmé que c’était effectivement sur les forums de
discussion que les discours des téléspectateurs autour du contenu télévisuel étaient les plus riches,
et que c’est grâce à ce contenu qu’une discussion était susceptible de se mettre véritablement en
place. Notons par ailleurs qu’ici la structure de la plateforme d’expression et le caractère officiel ou
non de celle-ci n’est pas le seul élément d’explication de certains jugements portés par les
téléspectateurs usagers des forums ; j’ai pu montrer que le niveau culinaire des candidats, des goûts
personnels, ou encore une vision et une attente particulières de ce que doit être l’émission et de ce
qu’elle doit apporter aux téléspectateurs entrent largement en ligne de compte.
Néanmoins, le caractère officiel du FO impacte effectivement la réception des téléspectateurs
en termes de contenus. J’avais postulé en hypothèse que c’était « avant tout la compétition en
laquelle consiste UDPP qui fait l’objet d’une discussion sur les plateformes officielles, les
téléspectateurs profitant alors de celles-ci pour exprimer leur soutien à un candidat ou pour
réagir à un résultat final qu’ils trouveraient injuste », or en effet la victoire ex aequo
d’Odile et Laury a largement plus fait l’objet de discussions entre les membres du FO
qu’entre ceux du FNO. Mais le caractère officiel du forum est également ressorti dans les
discours des téléspectateurs du FO lorsque ceux-ci essaient bien d’influer sur le programme
en venant s’exprimer sur le FO : en critiquant une évolution de l’émission, la demande de voir le
programme redevenir comme avant se fait implicite, et en demandant la programmation d’un
format particulier d’UDPP, la demande se fait plus explicite. Le FO devient alors davantage un
125
forum utile utilisé pour répondre à des attentes des téléspectateurs vis-à-vis du contenu de
l’émission, plutôt que forum de discussion sur lequel le processus de réception se poursuit.
Enfin, les trois péripéties de cette semaine d’émission d’UDPP on fait ressortir deux réceptions
onlines très différentes sur les deux forums. La réception collective et amicale virtuelle du FNO
s’est encore affirmée, comme je l’avais stipulé en hypothèse de recherche (« Sur des plateformes
non officielles, à travers leurs discours online autour du contenu télévisuel, les
téléspectateurs laissent transparaître une expertise télévisuelle et une culture commune très
caractéristique du groupe de fans ») : la présence du candidat Norbert a révélé de véritables
liens de complicité entre les membres, le dîner d’Ecclésiaste a été reçu avec beaucoup de légèreté
et d’humour par les usagers qui s’étaient vraisemblablement déjà fait une raison sur la
transformation de l’émission UDPP, en ayant déjà largement discuté auparavant entre eux, et
l’injustice réelle ou imaginée d’une victoire ex aequo entre Odile et Laury n’a pas beaucoup ému
les membres du FNO, ces derniers n’entrant absolument pas dans un débat conflictuel. Au
contraire, qu’il s’agisse de la soirée d’Ecclésiaste ou de la victoire finale des deux candidates, les
messages postés sur le FO prennent très rapidement un caractère hostile. Des visions s’opposent et
s’affrontent, chacun cherche à imposer son avis sans prêter de gros efforts à comprendre celui des
autres membres. Cette dynamique conflictuelle témoigne alors d’un manque de connaissance entre
les usagers du FO, des usagers trop nombreux formant un groupe communicationnel trop difficile à
définir et trop changeant pour partager une vision commune, au contraire des membres du FNO qui
ont vu l’émission évoluer au fil des années, la commentent ensemble depuis près de cinq ans, et en
viennent alors naturellement à construire une opinion commune grâce à un passif télévisuel
commun.
126
Conclusion
La veille analytique que j’ai menée m’a permis de constater que le type de
réception online des téléspectateurs d’UDPP variait effectivement d’un média social à
l’autre :
- Facebook est avant tout un média social utile pour les téléspectateurs : la réception online
des usagers se traduit par un approfondissement de l’expérience télévisuelle principalement
a posteriori, une fois que le CM a posté un statut. Les téléspectateurs profitent alors de
cette fanpage pour récupérer des recettes de cuisine, obtenir des recettes détaillées grâce à
des vidéos mises en ligne par le CM, rechercher des informations sur la programmation,
être en contact avec la chaîne et/ou la production, ainsi que les candidats.
- Twitter s’est révélé être le réseau social de l’instant, de l’individu et non du groupe de
fans, et enfin de la représentation : les usagers ne viennent pas discuter de l’émission de
manière collective, ni même donné un avis plus ou moins détaillé sur la soirée d’un
candidat. Les tweets traduisent en fait le moment ou les téléspectateurs usagers de ce
réseau entrent en représentation : le rôle de téléspectateur regardant l’émission au second
degré, presque pour s’en moquer, est privilégié.
- Pour les forums de discussion, la réception online se caractérise effectivement par
l’expression, la réaction instantanée comme l’analyse post-diffusion, mais aussi et bien
davantage que sur les deux autres réseaux, par l’échange entre des téléspectateurs dont le
degré de connaissance et de complicité varie d’un forum à l’autre.
Le caractère officiel ou non du média social étudié n’a pas été un élément
probant d’analyse de la réception des téléspectateurs sur Facebook et Twitter. En ce
qui concerne Twitter, le tweet étant très individuel, le fil Twitter officiel d’UDPP n’a que
très peu d’impact sur la réception online des téléspectateurs usagers de ce réseau social, si
bien que l’analyse basée sur l’influence d’une plateforme officielle par rapport à une autre
non officielle n’est tout simplement pas possible à mener sur ce réseau social. Pour
Facebook, cette analyse est possible mais en fait peu probante car la page Facebook
officielle de l’émission a une très claire primauté sur les autres pages Facebook d’UDPP.
Les discours des téléspectateurs sur ces différentes pages du réseau sont tant inégaux au
niveau qualitatif comme au niveau quantitatif que l’analyse comparative basée sur le
caractère officiel n’est pas efficace. En revanche, là où le caractère officiel de la plateforme
127
a un véritable intérêt dans l’analyse de la réception online des téléspectateurs usagers de
Facebook, c’est dans l’influence que le community manager peut avoir sur celle-ci. Nous
sommes en effet loin d’une réception spontanée et d’échanges libres entre les
téléspectateurs sur la page Facebook officielle d’UDPP : les usagers rythment leur usage
de ce média social sur les posts du community manager, et orientent la thématique même
de leurs messages en fonction de ceux-ci. Le community manager a également un rôle de
censeur très important puisqu’aucun post spontané sur le mur de la fanpage n’est toléré.
Dès lors, puisque le community manager tend à réagir de manière assez personnelle à une
question donnée, par l’intermédiaire d’un simple commentaire, l’échange entre les usagers
s’en trouve fortement limité.
Autre que la structure en elle-même du réseau social, c’est le contenu télévisuel qui
impacte la réception online des usagers de Facebook. En effet alors que les usagers avaient
tendance à principalement s’exprimer (par l’intermédiaire de commentaires ou de simples
likes) sur les posts du community manager concernant des recettes de cuisine, ils sont
nombreux à réagir à la soirée du charismatique Ecclésiaste. On voit alors se dessiner un
échange entre les usagers qui était jusqu’alors inexistant et la soirée de ce candidat est
l’occasion de voir surgir dans les discours des téléspectateurs une analyse de l’évolution
d’UDPP ainsi que des visions opposées sur ce que doit être l’émission, ce qui est là très
proche de ce que j’ai pu mettre en avant dans la réception online des membres du FO.
Si la réception online des téléspectateurs usagers des deux forums de discussion
étudiés se distinguait effectivement de celle des usagers de Facebook et de Twitter, les
membres du FO et du FNO avaient tout de même des réceptions bien propres à
chaque plateforme d’échange, tant en termes de pratiques que de contenus, c’est pour
cette raison que les deux dernières parties de mon étude se sont centrées sur l’analyse de la
réception online des téléspectateurs usagers de ces deux forums de discussion.
Les deux forums sont effectivement des plateformes virtuelles d’échange permettant
l’expression et les réactions en direct des téléspectateurs, d’ailleurs la majorité des
messages sur les forums est postée au moment de la diffusion de l’émission, le média
social prenant alors la forme d’un chat, sur le FO comme sur le FNO. Mais très
rapidement, on constate que l’usage des téléspectateurs du FO et du FNO est en fait
très différent.
Sur le FO, les messages des téléspectateurs se rapprochent presque des commentaires des
usagers de Facebook : les téléspectateurs donnent un point de vue, transcrivent une
réaction, mais ne s’intéressent pas véritablement à celle des autres. D’ailleurs, même
128
lorsqu’ils le font, ils tentent davantage d’imposer leur opinion qu’à la construire de
manière collective, en fonction de celles des autres téléspectateurs.
Sur le FNO au contraire, c’est une véritable réception collective qu’on voit se mettre
en place, et même plus, une réception collective au sein d’un seul et même petit cercle
d’amis. Les membres du FNO on fait d’UDPP un rendez-vous télévisuel convergent vers
l’Internet : ils regardent et commentent l’émission ensemble, comme s’ils étaient réunis
dans une même pièce, mais en réalité par l’intermédiaire seul de leur ordinateur et de cette
plateforme virtuelle d’échange. Les membres se connaissent, une complicité forte entre les
usagers est incontestable, si bien qu’ils ne font pas que donner un avis, ils se questionnent,
s’écoutent, et in fine construisent chacun leur jugement en fonction des autres, une vision
commune de ce qu’est et doit être UDPP, et une culture télévisuelle propre à ce forum faite
d’une expertise solide et de références partagées.
Peut-on voir là l’effet du caractère officiel ou non de ces deux forums ? Sans doute, car la
modération y est bien différente selon qu’elle est professionnelle ou du fait d’un ou de
plusieurs membres du forum. De plus, le caractère officiel du forum implique un
meilleur référencement sur Google, et in fine un nombre de membres nettement plus
élevé et nettement moins stable que sur le FNO : les participants à cette large discussion
ne sont pas identifiables sur le FO tant ils sont nombreux et irréguliers, contrairement à
ceux présents sur le FNO. Dès lors, il est beaucoup plus difficile de voir naître un groupe
conversationnel sur le FO et ainsi une réception collective faite d’échanges menant in fine
à une culture propre à ce forum et à la création de liens amicaux entre les membres.
Mais lorsqu’on prête plus d’attention à la réception online des téléspectateurs
dans le fond, on constate, pareillement que sur Facebook, que le contenu télévisuel est
au cœur des discours des membres des deux forums. On retrouve alors des éléments
caractéristiques de la réception des téléspectateurs d’émissions culinaires, comme
l’attention portée à la réalisation des plats, à l’originalité du repas, à la beauté des mets
servis, ou même au caractère et au comportement des candidats. Ce qui diffère en fait par
rapport à ce que j’avais pu mettre en avant l’an passé réside en la différence de
méthodologie : alors que j’analysais la réception des téléspectateurs des émissions
culinaires actuelles en fonction de ce que ces derniers m’en disaient, j’ai cette année
analysé la réception online des téléspectateurs d’UDPP en fonction de ce qu’ils en disent
sur le web et la manière dont ils en discutent entre eux. C’est pour cette raison que j’ai
pu remarquer grâce à la veille que la façon pour les téléspectateurs de recevoir ce
contenu télévisuel s’inscrivait principalement dans une logique de jugements, faisant
129
alors ressortir tant des goûts personnels, qu’un niveau culinaire, ou qu’une attente
spécifique de ce que devait être un dîner où l’on reçoit ou de ce que devait être l’émission
UDPP. Alors que l’an dernier les téléspectateurs me parlaient de l’émission avec un
certain recul sur leur pratique et les raisons qui les poussaient à la regarder, j’ai pu
cette année percevoir la façon dont ils reçoivent l’émission au moment même ou juste
après la diffusion de l’émission.
Là où l’impact du contenu télévisuel a en revanche été différent d’un forum à un
autre concerne deux points :
Les messages des téléspectateurs du FO au sujet de ce qu’ils voient se dérouler sur
leur écran de télévision sont bien souvent teintés d’une demande implicite ou
explicite à la production, ou d’un message à un candidat. Les membres du FO
gardent donc toujours en tête lorsqu’ils s’expriment sur ce média social, que
c’est un lien possible avec la chaîne, la production, et les candidats.
Les péripéties propres à la semaine d’émission choisie ne sont pas
appréhendées de la même manière sur les deux forums. Alors que la dimension
de compétition d’UDPP est à l’origine d’un débat tournant au conflit sur le FO –
répondant ainsi à l’une de mes hypothèses de recherche -, elle n’est quasiment pas
abordée par les membres du FNO. De même, lorsque des visions de l’émission
s’affrontent sur le FO, impulsées par la soirée d’Ecclésiaste, cette dernière est prise
avec humour et permet avant tout aux membres du FNO de passer un moment
télévisuel divertissant, ce dont ils ne s’étonnent plus avec UDPP, l’évolution de
cette émission où le culinaire n’a plus vraiment la place principale ayant déjà fait
l’objet de discussions entre les membres qui ont donc déjà bâti une opinion
commune à ce sujet.
Cette veille analytique de la réception online des téléspectateurs d’UDPP constitue
donc un complément à l’analyse que j’avais pu faire l’an passé de la réception des
téléspectateurs d’émissions culinaires.
Elle a permis de creuser la piste de la réception collective virtuelle que je n’avais pu
qu’entrevoir à travers les discours de trois membres du FNO, en mettant en avant la
réappropriation du forum de discussion par ces téléspectateurs afin d’en faire leur lieu
commun de réception d’UDPP. Elle a également permis de démontrer que le rituel de la
visite du FNO pendant ou peu après la diffusion de l’émission était à l’origine de la
création de liens amicaux entre ces internautes qui ne se connaissaient en rien avant de se
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retrouver sur ce forum : c’est une complicité qu’on lit dans les échanges des téléspectateurs
de ce forum, mais également une culture commune assez caractéristique du groupe de fans.
J’ai également pu comprendre comment la réception télévisuelle online pouvait être
orientée par la structure et les caractéristiques propres – dont notamment le caractère
officiel - du média social sur lequel les téléspectateurs décident de s’exprimer : la présence
d’un community manager ou d’un modérateur professionnel, le référencement d’une
plateforme d’échanges, l’hypothétique lien avec la production/chaîne/candidats, le
caractère plus ou moins privés des messages.
Enfin, analyser la réception des téléspectateurs d’UDPP m’a permis de confronter la façon
dont les téléspectateurs me parlaient des émissions culinaires et donc du contenu télévisuel,
à la façon dont ils en parlaient, que ce soit de manière assez individuelle en exprimant un
sentiment ou une opinion sur une des plateformes d’échange étudiées, ou en conversant
avec d’autres usagers. J’ai alors pu retrouver un certain nombre d’éléments caractéristiques
de cette émission tels que l’intérêt porté tant au visuel des plats qu’à la technique culinaire
du candidat, le plaisir de regarder une émissions divertissante avant tout, ou encore
l’importance du comportement et du caractère des candidats. C’est néanmoins la logique
de jugement que j’ai pu mettre à découvert grâce à la veille analytique : à travers leurs
commentaires, les téléspectateurs portent un jugement qu’ils basent sur des valeurs, des
goûts, et des compétences qui leur sont propres et auxquels ils font appel de manière
explicite ou implicite dans leurs discours online.
Enfin, cette veille qualitative de la réception online des téléspectateurs d’UDPP,
réalisée après mon enquête qualitative sur la réception des émissions culinaires, est je
pense – et je l’espère – représentative de tout l’intérêt que pourrait avoir ce type
d’étude pour le secteur audiovisuel. En effet, en mêlant des outils méthodologiques tels
que les entretiens, la veille qualitative et quantitative (l’utilisation du logiciel Radarly,
comme je le faisais pour mon travail sur l’étude online de la réception de la réforme des
rythmes scolaires), et éventuellement un questionnaire, il serait possible de déterminer
pour une émission télévisée donnée :
- les différentes composantes du public pour satisfaire tous les téléspectateurs usagers de la
Social TV et les fidéliser encore un peu plus ;
- les types de pratiques multi-supports par les téléspectateurs et être en mesure de les
expliquer, ce qui serait alors une base nécessaire à la mise au point d’une stratégie tant de
développement d’application Smartphone, que de fanpages Facebook ou de forums de
discussion ;
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- les critiques et attentes en termes de contenu de cette émission ;
- les lieux privilégiés des téléspectateurs en fonction du type d’émission et en fonction de
leur profil socio-culturel.
Dès lors, la chaîne ou la production pourra bâtir une stratégie multi-support efficace en
sachant quels supports développer ou non, quel est le niveau d’interaction attendu et
souhaité, quels sont les points forts de l’émission à développer et les points faibles à
repenser, quelles sont les caractéristiques de l’émission à développer pour fidéliser encore
un peu plus les téléspectateurs usagers de la Social TV, ou encore quels sont les lieux
d’expression à mieux contrôler afin de bâtir une e-réputation de l’émission propre à ce que
la chaîne souhaite.
En un mot, la réception télévisuelle est d’une véritable richesse, et l’étudier en mêlant un
bagage et une méthodologie sociologique à une veille stratégique serait sans doute un
support de réflexion utile au secteur audiovisuel tant dans une optique de stratégie de
communication voire de communication digitale, de développement de la Social TV, et
d’intentions de réalisation audiovisuelle ; reste à en convaincre les principaux intéressés.
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