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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, 83—84 LETTRE À LA RÉDACTION Maladie cœliaque compliquée d’un carcinome épidermoïde de l’œsophage : à propos d’un cas Celiac disease complicated by a squamous cell carcinoma of the esophagus: A case report Le cancer de l’œsophage est une complication néo- plasique rare de la maladie cœliaque. Cependant, son incidence chez les patients cœliaques apparaît nettement supérieure à celle de la population générale. Nous rap- portons le cas d’une patiente de 22 ans chez qui il a été découvert un carcinome épidermoïde du haut œsophage, 12 ans après le diagnostic de la maladie cœliaque. Observation Une jeune patiente de 22 ans était suivie depuis l’âge de dix ans pour une maladie cœliaque. L’observance du régime sans gluten (RSG) était mauvaise et la patiente souvent perdue de vue. À son admission dans notre ser- vice, elle rapportait depuis trois mois une dysphagie haute d’allure organique, associée à une dysphonie, des régurgitations et une importante altération de l’état général. L’examen clinique trouvait une pâleur cutanéo- muqueuse. La fibroscopie œso-gastroduodénale mettait en évidence, au niveau de la bouche œsophagienne, un processus bourgeonnant obstruant la lumière. Le transit pharyngo-œsophagien confirmait l’existence d’une sténose irrégulière du tiers supérieur de l’œsophage étendue sur 4 cm. L’étude anatomopathologique des biopsies réali- sées au niveau du bourgeon avait conclu à un carcinome épidermoïde infiltrant de l’œsophage. Dans le cadre du bilan d’extension, l’examen ORL découvrait une diminution de la mobilité de l’hémilarynx gauche. L’échographie cervicale montrait une adénopathie jugulocarotidienne, tissulaire, grossièrement arrondie et bien limitée faisant 39 mm × 15 mm de grand axe. La radiographie pulmonaire ainsi que l’échographie abdominale étaient normales. La tomodensitométrie thoracique montrait le processus tumoral du tiers supérieur de l’œsophage envahissant les structures vasculaires adjacentes : carotide primitive gauche, veine azygos, artère sous-clavière et crosse de l’aorte. Un envahissement trachéal était également noté de même que des adénopathies hilaires gauches. Le pro- cessus tumoral présentait un rapport étroit avec le corps vertébral adjacent sans signe de lyse osseuse. La résection curative de la tumeur œsophagienne étant impossible, un traitement palliatif comprenant une radio-chimiothérapie avec une jéjunostomie d’alimentation avait été proposée. Ce traitement a été refusé par la patiente qui est décédée deux mois après sa sortie de l’hôpital. Discussion Le risque relatif du cancer œsophagien au cours de la maladie cœliaque est estimé à 12,3 et son incidence chez les patients cœliaques est évaluée entre 50 et 120/100 000 [1,2]. Une étude récente a révélé un risque relatif de carci- nome œsophagien accru de 7,48 chez les patients cœliaques méconnus et dépistés par une recherche positive des anti- corps antitransglutaminase [3]. Habituellement, cette complication survient après une période d’évolution de la maladie cœliaque variant entre 15 et 30 ans [4]. L’âge moyen des patients est de 50 ans, généralement de sexe masculin et le cancer prédomine au niveau du moyen œsophage. Les études concernant les facteurs de risque impliqués dans la cancérogenèse œsophagienne au cours de la mala- die cœliaque comportent des biais liés à la non-exclusion de variables confondantes telles que le tabagisme, les tares associées et les habitudes alimentaires[5]. Néanmoins, le non-suivi du RSG apparaît comme le facteur de risque le plus déterminant [2]. L’âge tardif du diagnostic de la maladie cœliaque semble également être un facteur de risque [6,7]. Les études ont démontré que les patients cœliaques ayant développé un cancer œsophagien ont été diagnostiqués à un âge avancé (47,6 ± 10,2 ans) par rapport aux patients cœliaques sans complications (28,6 ± 18,2 ans) [7]. Ce risque est probablement lié à l’exposition prolongée au gluten. L’originalité de notre observation réside en la survenue du cancer œsophagien chez un sujet de sexe féminin, à un âge jeune (22 ans), après une évolution de 12 ans d’une mala- die cœliaque diagnostiquée à l’enfance. Dans notre cas, le principal facteur de risque semble être la non-adhésion au RSG. 0399-8320/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2009.08.010

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Page 1: Maladie cœliaque compliquée d’un carcinome épidermoïde de l’œsophage : à propos d’un cas

Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, 83—84

LETTRE À LA RÉDACTION

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Maladie cœliaque compliquée d’un carcinomeépidermoïde de l’œsophage : à propos d’un cas

Celiac disease complicated by a squamous cellcarcinoma of the esophagus: A case report

Le cancer de l’œsophage est une complication néo-plasique rare de la maladie cœliaque. Cependant, sonincidence chez les patients cœliaques apparaît nettementsupérieure à celle de la population générale. Nous rap-portons le cas d’une patiente de 22 ans chez qui il a étédécouvert un carcinome épidermoïde du haut œsophage,12 ans après le diagnostic de la maladie cœliaque.

Observation

Une jeune patiente de 22 ans était suivie depuis l’âgede dix ans pour une maladie cœliaque. L’observance durégime sans gluten (RSG) était mauvaise et la patientesouvent perdue de vue. À son admission dans notre ser-vice, elle rapportait depuis trois mois une dysphagiehaute d’allure organique, associée à une dysphonie, desrégurgitations et une importante altération de l’étatgénéral. L’examen clinique trouvait une pâleur cutanéo-muqueuse. La fibroscopie œso-gastroduodénale mettaiten évidence, au niveau de la bouche œsophagienne, unprocessus bourgeonnant obstruant la lumière. Le transitpharyngo-œsophagien confirmait l’existence d’une sténoseirrégulière du tiers supérieur de l’œsophage étendue sur4 cm. L’étude anatomopathologique des biopsies réali-sées au niveau du bourgeon avait conclu à un carcinomeépidermoïde infiltrant de l’œsophage. Dans le cadre dubilan d’extension, l’examen ORL découvrait une diminutionde la mobilité de l’hémilarynx gauche. L’échographiecervicale montrait une adénopathie jugulocarotidienne,tissulaire, grossièrement arrondie et bien limitée faisant39 mm × 15 mm de grand axe. La radiographie pulmonaire

ainsi que l’échographie abdominale étaient normales.La tomodensitométrie thoracique montrait le processustumoral du tiers supérieur de l’œsophage envahissantles structures vasculaires adjacentes : carotide primitivegauche, veine azygos, artère sous-clavière et crosse de

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’aorte. Un envahissement trachéal était également notée même que des adénopathies hilaires gauches. Le pro-essus tumoral présentait un rapport étroit avec le corpsertébral adjacent sans signe de lyse osseuse. La résectionurative de la tumeur œsophagienne étant impossible, unraitement palliatif comprenant une radio-chimiothérapievec une jéjunostomie d’alimentation avait été proposée.e traitement a été refusé par la patiente qui est décédéeeux mois après sa sortie de l’hôpital.

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e risque relatif du cancer œsophagien au cours de laaladie cœliaque est estimé à 12,3 et son incidence chez

es patients cœliaques est évaluée entre 50 et 120/100 0001,2]. Une étude récente a révélé un risque relatif de carci-ome œsophagien accru de 7,48 chez les patients cœliaqueséconnus et dépistés par une recherche positive des anti-

orps antitransglutaminase [3]. Habituellement, cetteomplication survient après une période d’évolution de laaladie cœliaque variant entre 15 et 30 ans [4]. L’âge moyenes patients est de 50 ans, généralement de sexe masculint le cancer prédomine au niveau du moyen œsophage.

Les études concernant les facteurs de risque impliquésans la cancérogenèse œsophagienne au cours de la mala-ie cœliaque comportent des biais liés à la non-exclusione variables confondantes telles que le tabagisme, les taresssociées et les habitudes alimentaires[5]. Néanmoins, leon-suivi du RSG apparaît comme le facteur de risque le pluséterminant [2]. L’âge tardif du diagnostic de la maladieœliaque semble également être un facteur de risque [6,7].es études ont démontré que les patients cœliaques ayantéveloppé un cancer œsophagien ont été diagnostiqués àn âge avancé (47,6 ± 10,2 ans) par rapport aux patientsœliaques sans complications (28,6 ± 18,2 ans) [7]. Ce risquest probablement lié à l’exposition prolongée au gluten.’originalité de notre observation réside en la survenue du

ancer œsophagien chez un sujet de sexe féminin, à un âgeeune (22 ans), après une évolution de 12 ans d’une mala-ie cœliaque diagnostiquée à l’enfance. Dans notre cas, lerincipal facteur de risque semble être la non-adhésion auSG.

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Le lien intermédiaire entre la maladie cœliaque et leancer du haut œsophage pourrait être le syndrome delummer-Vinson. Ce dernier est rarement associé à la mala-ie cœliaque et dégénère dans 10 % des cas [8]. Cetteypothèse semble peu plausible dans notre cas, le délaintre l’apparition de la dysphagie et le diagnostic du cancersophagien n’étant que de trois mois.Sur le plan moléculaire, à l’instar de ce qui a été mis en

vidence chez les patients cœliaques compliqués d’un adé-ocarcinome de l’intestin grêle, le cancer de l’œsophageourrait être lié à un déficit de réparation des mésappa-iements de l’ADN [9]. Une surexpression du récepteur duacteur de croissance épidermique dans l’épithélium œso-hagien des patients cœliaques non traités, additionnéeux effets de la gliadine, similaires à ceux du facteur deroissance épidermique sur la prolifération des cellules épi-héliales, pourrait également être une hypothèse [10].

Au cours de la maladie cœliaque, le risque de dévelop-er des cancers digestifs, tous sites confondus, se réduit et’aligne à celui de la population générale après au moinsinq ans de RSG strict [2]. De plus, il a été démontré que leisque de cancer n’était pas plus important chez les patientsœliaques diagnostiqués à l’enfance et adhérant au RSG.e rôle protecteur du RSG a été attesté par de nombreusestudes et il apparaît impératif d’encourager les patients àne compliance stricte et à vie au RSG.

Un dépistage actif du carcinome épidermoïde de’œsophage est proposé par certains auteurs chez lesatients cœliaques de plus de 50 ans [6]. Cette stratégieermettrait de diagnostiquer le cancer œsophagien à sahase in situ et donc curable. Elle contribuerait égale-ent à estimer l’incidence de la dysplasie épithéliale de

’œsophage au cours de la maladie cœliaque et la fréquencee sa progression vers le carcinome. Inversement, le dépis-age sérologique de masse de la maladie cœliaque n’estas recommandé. En effet, le risque global de malignitéemeure faible dans les cas de positivé des auto-anticorpseprésentant des patients cœliaques méconnus [3].

En résumé, le cancer œsophagien est une complicationéoplasique de la maladie cœliaque à ne pas méconnaître.’instauration d’un RSG strict et définitif paraît réduire signi-cativement le risque de survenue d’une telle complication.

éférences

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Lettre à la rédaction

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[9] Potter DD, Murray JA, Donohue JH, Burgart LJ, Nagorney DM,van Heerden JA, et al. The role of defective mismatch repairin small bowel adenocarcinoma in celiac disease. Cancer Res2004;64:7073—7.

10] Barone MV, Gimigliano A, Castoria G, Paolella G, MauranoF, Paparo F, et al. Growth factor-like activity of gliadin,an alimentary protein: implications for coeliac disease. Gut2007;56:480—8.

S. Reggoug ∗

N. BenzzoubeirL. Ouazzani

I. ErrabihH. Krami

H. OuazzaniClinique médicale « B », hépato-gastro-entérologie et

proctologie, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc

∗ Auteur correspondant. 103, avenue El Haour,

Adresse e-mail : [email protected](S. Reggoug).

Disponible sur Internet le 28 octobre 2009