magazine palais #19

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PALAIS offre un regard enrichi sur les expositions et la programmation du Palais de Tokyo. Il donne une large place à la parole des artistes et invente des formats d'intervention, pour devenir un outil de saisie du présent.

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Page 2: Magazine Palais #19

8HIROSHI SUGIMOTOGARDIEN DU VIDE

GUARDIAN OF THE VOID

Texte / Text : Minoru Shimizu

HONKADORI : L’ANCIEN

ET LE NOUVEAU

HONKA-DORI ALLUSIONS

Texte / Text : Hiroshi Sugimoto

38MICHAELA EICHWALD1 . 12 . 13

48 THOMAS HIRSCHHORN« ÉCRITS D’ARTISTE »

“ARTIST WRITINGS”

Textes / Texts : Thomas Hirschhorn

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PALAIS19

SOMMAIRECONTENTS

PALAIS 19 Le magazine du Palais de TokyoThe magazine of the Palais de Tokyo www.palaismagazine.com E [email protected] Directeur de la publication, Publisher : Jean de Loisy Rédacteur en chef, Editor-in-chief : Frédéric Grossi Éditeur, Editor : Vincent Simon Assistante éditoriale, Editorial assistant : Julie Chateignon Conception graphique, Graphic design : Helmo Traducteurs, Translators : Corine Atlan, Alfred Birnbaum, Caroline Burnett, Joseph Denize, Nicolas Garait, Judith Hayward, Shane Lillis, Ian Monk, Aude Tincelin Relectures, Proofreading : Nolwenn Chauvin, Tiffany Thomas Ont participé à ce numéro,Have contributed to this issue : Ed Atkins, Jacques Aubert, Stef Aupers, Daria de Beauvais, Lucas Biberson , Julien Bismuth, Sophie Bonnet-Pourpet, Marie de Brugerolle, Arnaud Desplechin, Georges Didi-Huberman, Rebecca Digne, David Douard, Michaela Eichwald, Harald Falckenberg, Sébastien Faucon, Alain Fleischer, Arno Gisinger, Guillaume Henry, Thomas Hirschhorn, Jennifer Lacey, Rebecca Lamarche-Vadel, Luca Lo Pinto, Mikhail Lylov, Éric Mangion, Henry Martin, Angelika Markul, Sébastien Martinez Barat, Jérôme Mauche, Alessandro Piangiamore, François Piron, Michael Riedel, Vivien Roubaud, Karin Schlageter, Clémence Seilles, Minoru Shimizu, Chai Siris, Hiroshi Sugimoto, Thomas Teurlai, Serge Toubiana, Jeanne Truong, Antonio Vega Macotela, Yonatan Vinitsky, Agnès Violeau, Gérard Wajcman, Tatiana Wolska PALAIS est édité par, is published by : Palais de Tokyo SAS, 13 avenue du Président Wilson, F-75116 Paris T +33 1 4723 5401, www.palaisdetokyo.com Publicité, Advertising : Mazarine Culture, 2 square Villaret de Joyeuse, F-75017 Paris T +33 1 5805 4970, www.mazarine.com Contacts : Françoise Meininger, Carole Nehmé Diffusion, DistributionPALAIS est diffusé en France et à l'étranger. Liste et coordonnées des diffuseurs, voir www.palaismagazine.com / PALAIS is distributed internationally. List and contact details of distributors, see www.palaismagazine.com Abonnements et ventes en ligne, Subscriptions and online orders : www.kdpresse.com / www.palaismagazine.com

Conseil en fabrication, Production advisor : Ex Fabrica (Paris) Imprimé en Union européenne par,Printed in European Union by : Grafiche Flaminia S.R.L., Loreto (AN), Italie, Italy Dépôt légal à parution, imprimé en février 2014 ISSN 1951-672X / ISBN 978-2-84711-055-5© Palais de Tokyo et les auteurs, 2014© Adagp (Paris), 2014 pour les œuvres de ses membres

Image de couverture / Cover image : (Premier plan / Foreground) Raijin [Dieu du tonnerre / Thunder God] ; Période Kamakura / Kamakura period (1185-1333) ; Laque sur bois / Lacquer on wood(Arrière-plan / Background) Hiroshi Sugimoto, Lightning Fields 128 (2009) ; Épreuve gélatino-argentique / Gelatine silver print ; 149,2 x 119,4 cm ; Courtesy de l’artiste / of the artist & Gallery Koyanagi (Tokyo) ; © Hiroshi SugimotoVue de l’installation / Installation view,Biennale de Sydney / Sydney Biennial, 2010

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79FOCUS

THOMAS TEURLAIALESSANDRO PIANGIAMORE TATIANA WOLSKAVIVIEN ROUBAUD Interviews par / by : François Piron, Luca Lo Pinto, Daria de Beauvais, Éric Mangion

97PETIT DICTIONNAIRE ILLUSTRÉ DE LA CHUTE UNE PROPOSITION

DE MARIE DE BRUGEROLLE

& GÉRARD WAJCMAN

LITTLE ILLUSTRATED DICTIONARY

OF THE FALL

A PROJECT BY MARIE DE BRUGEROLLE

& GÉRARD WAJCMAN

Textes / Texts : Jacques Aubert, Julien Bismuth, Marie de Brugerolle, Arnaud Desplechin, Jennifer Lacey, Henry Martin, Jérôme Mauche, Serge Toubiana, Gérard Wajcman

128 ANGELIKA MARKUL VITESSE HUMAINE

HUMAN SPEED

Texte / Text : Jeanne Truong

146LE PAVILLON NEUFLIZE OBCPATH

Contributions par / by : Yonatan Vinitsky, Chai Siris, Mikhail Lylov, Sophie Bonnet-Pourpet, Antonio Vega Macotela, Lucas Biberson & Guillaume Henry, Karin Schlageter, Sébastien Martinez Barat, Rebecca Digne & Clémence Seilles

160TURNING THE MONUMENTAL INTO THE IMMATERIALTexte / Text : Sébastien Faucon & Agnès Violeau

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PALAIS19

168DAVID DOUARDMO’SWALLOW

Une discussion entre / A conversation between : Stef Aupers, David Douard & Rebecca Lamarche-Vadel

186 NOUVELLES HISTOIRES DE FANTÔMESUNE PROPOSITION

DE GEORGES DIDI-HUBERMAN

& ARNO GISINGER

NEW GHOST STORIES

A PROJECT

BY GEORGES DIDI-HUBERMAN

& ARNO GISINGER

Textes / Texts : Georges Didi-Huberman, Harald Falckenberg, Alain Fleischer, Arno Gisinger

220ED ATKINSAIMÉ PAR LITTÉRALEMENT

DES MILLIONS DE GENS

LIKED BY LITERALLY MILLIONS

OF HUMANS

+UNE INTERVENTION

DE MICHAEL RIEDEL POUR LE

NUMÉRO 19 DU MAGAZINE PALAIS :

« FREITAGSKÜCHE (DEPUIS 2004) »

A PROJECT BY MICHAEL RIEDEL

FOR THE ISSUE #19

OF THE MAGAZINE PALAIS:

“FREITAGSKÜCHE (SINCE 2004)”

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If one takes a broad overview of Sugimoto’s photography, including all the subjects he has captured, all the approaches

he has used, all the different periods of his career, and all the diverse captions, one can see a single concept that permeates his oeuvre from the beginning to his most recent series. This concept comes, more than anything, from the conditions that existed in the world of pho-tography in the United States back when Sugimoto was just getting started. Sugimoto left Japan in 1971 to go to Los Angeles, and then moved to New York in 1974.

He released his first series, Dioramas, in 1976 and held his first solo exhibitions in Japan in 1977 at Tokyo’s Minami Gallery, and in the United States at New York’s Sonnabend Gallery in 1981. Since then he has released many more series, mostly in New York, from Theaters, Seascapes, Wax Museums and Portraits to Sea of Buddha, In Praise of Shadows, Architecture, Conceptual Forms, Colors of Shadow and then, through his photographic interpretation of Marcel Duchamp’s The Large Glass, Photogenic Drawings and Lightning Fields. In other words, the starting point of Sugimoto Hiroshi as a photographer coin-cided with the 1970s in the United States, a major watershed in con-temporary photography.

THE 1970S1971 to 1981 was, broadly speaking, a period of transition from mod-ern to post-modern, a process that brought a re-emergence and re-evaluation of pictorialism. At the core of this transition was Walker Evans. The 1970s, which included Sugimoto’s first few years in New York, were a time when Evans was once again being closely stud-

Si l’on pose un regard d’ensemble sur le travail photogra-phique de Sugimoto, tous ses sujets, toutes ses approches,

les différentes périodes de sa carrière et les différentes légendes de ses photographies, on perçoit un unique concept qui parcourt son œuvre du début jusqu’à ses séries les plus récentes. Ce concept s’inspire, plus que tout, des conditions du monde de la photographie américaine, à l’époque où Sugimoto faisait ses débuts.

Sugimoto a quitté le Japon en 1971 pour Los Angeles, avant de s’installer à New York en 1974. Il a publié sa première série, Dioramas, en 1976, et présenté ses premières expositions personnelles à la gale-rie Minami à Tokyo en 1977 et à la galerie Sonnabend à New York en 1981. Depuis, il a réalisé de nombreuses autres séries, principale-ment à New York – de Theaters, Seascapes, Wax Museums et Portraits à Sea of Buddha, In Praise of Shadows, Architecture, Conceptual Forms, Colors of Shadow, jusqu’à son interprétation photographique du Grand Verre de Marcel Duchamp, Photogenic Drawings et Lightning Fields. Les débuts de Hiroshi Sugimoto en tant que photographe ont donc coïncidé avec les années 1970 aux États-Unis, un tournant majeur dans la photographie contemporaine.

LES ANNÉES 1970De manière générale, la période allant de 1971 à 1981 représen-tait une transition du moderne au postmoderne, une évolution qui conduisit à une réémergence et à une réévaluation du pictoria-lisme. Au cœur de cette transition se trouvait Walker Evans. Les années 1970, qui virent les débuts de Sugimoto à New York, furent un moment de réexamen scrupuleux d’Evans. Mais une autre évo-

HIROSHI SUGIMOTOGUARDIAN OF THE VOID

GARDIEN DU VIDETEXTE / TEXT

MINORU SHIMIZU

10

MONOGRAPHHIROSHI SUGIMOTO

MONOGRAPHIEHIROSHI SUGIMOTO

• •

LES SÉRIES PHOTOGRAPHIQUES DE HIROSHI SUGIMOTO ALLIENT MAÎTRISE TECHNIQUE PARFAITE ET FORCE CONCEPTUELLE. QUELS LIENS CE TRAVAIL PHOTOGRAPHIQUE ENTREPRIS DEPUIS LA FIN DES ANNÉES 1970 ENTRETIENT-IL AVEC LES PROJETS PLUS RÉCENTS DÉVELOPPÉS PAR L’ARTISTE, À PARTIR DE SES COLLECTIONS D’OBJETS ET D’ANTIQUITÉS, MAIS AUSSI DANS LE DOMAINE DES ARTS PERFORMATIFS TRADITIONNELS JAPONAIS ? SELON LE CRITIQUE D’ART MINORU SHIMIZU, UNE MÊME TENTATIVE DE RÉVÉLER UN MONDE ÉTERNEL.

HIROSHI SUGIMOTO’S PHOTOGRAPHIC SERIES COMBINE

PERFECT TECHNICAL MASTERY AND CONCEPTUAL

STRENGTH. WHAT LINKS DOES THIS PHOTOGRAPHIC WORK

UNDERTAKEN SINCE THE LATE 1970s HAVE WITH THE MORE

RECENT PROJECTS THE ARTIST HAS DEVELOPED BASED

ON HIS COLLECTIONS OF OBJECTS AND ANTIQUES, AS

WELL AS IN THE FIELD OF THE TRADITIONAL JAPANESE

PERFORMING ARTS? ACCORDING TO THE ART CRITIC

MINORU SHIMIZU, THE SAME ENDEAVOR TO REVEAL AN

ETERNAL WORLD.

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MONOGRAPHHIROSHI SUGIMOTO

MONOGRAPHIEHIROSHI SUGIMOTO

ied, but a process was also under way whereby the photographic per-spective of modernism was fading and artists were in the process of looking for alternative means of expression. The idea behind mod-ernist photography was to use the camera’s eye to take a clear picture of something exactly as it is, completely unembellished, without fil-tering the image through any human meaning or symbol. In 1969, writing under the title “Photographs” for Quality: Its Image in the Arts edited by Louis Kronenberger, Evans came up with four fundamen-tals that he considered necessary in photography.1 Looking at these, it is clear that the photographic ethic still lay in realism that captures, without embellishment, the unembellished way things are.

Thus, what Evans’ name came to stand for was an ethic charac-terized by a world free from all misrepresentation, which can only be attained by keeping the camera’s eye unsullied by all human prej-udices. In other words, his was an ethical faith in a world that exists beyond any system of human social values and symbols. And it was this ethic that lost validity as a core quality of photography during the 1970s.

Already in 1967 Robert Smithson, in an essay titled “A Tour of the Monuments of Passaic,” had been the first to point out the situation in which the unembellished world was being photograph-ized and media-ized. When reality itself is being photograph-ized, the kind of reality that is only attainable through photography is no longer self-evident. The ever-advancing medium of advertising was enveloping the everyday, and reality and the self were undergoing a transforma-tion with the advent of an information-dominated society. The “New Documents” exhibition in 1967 took as its subject the changing quali-

lution était engagée, témoin de l’épuisement du point de vue pho-tographique moderne et des premières recherches de moyens d’expression alternatifs par les artistes. L’idée au fondement de la photographie moderne était d’utiliser l’objectif de l’appareil photo pour saisir une image claire d’une chose précisément telle qu’elle était, sans aucune forme d’embellissement, ni passage de l’image au filtre d’une signification ou d’un symbole humains. En 1969, dans « Photographs », publié dans l’anthologie Quality, Its Image in the Arts réalisée par Louis Kronenberger, Evans avançait quatre élé-ments fondamentaux qu’il jugeait nécessaires en photographie 1. À les observer de plus près, il est clair que l’éthique photographique se fondait encore sur un réalisme capable de fixer sans artifice l’exis-tence sans fard des choses.

Ainsi, le nom d’Evans en vint à représenter une éthique carac-térisée par un monde libéré de toute falsification, éthique que l’on ne pouvait atteindre qu’en préservant l’objectif de l’appareil photo de tout préjugé humain. Autrement dit, sa foi éthique allait à un monde au-delà de tout système de valeurs sociales et de symboles humains. Et c’est cette éthique qui, dans les années 1970, perd sa validité comme caractéristique fondamentale de la photographie.

Déjà, dans un essai de 1967 intitulé « Une visite aux monuments de Passaic, New Jersey », Robert Smithson avait été le premier à sou-ligner la « fictionnalisation » et la « médiatisation » du monde sans artifice. La réalité que seule pouvait manifester la photographie n’al-lait plus de soi, dans une réalité elle-même fictionnalisée. La pro-pagation du médium publicitaire imprégnait alors le quotidien et l’avènement d’une société dominée par l’information venait trans-

HIROSHI SUGIMOTO

EARLIEST HUMAN RELATIVES [1994] ÉPREUVE GÉLATINO-ARGENTIQUE / GELATINE SILVER PRINT

119,4 × 149,2 CMCourtesy Gallery Koyanagi (Tokyo) © Hiroshi Sugimoto

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MONOGRAPHIEHIROSHI SUGIMOTO

MONOGRAPHHIROSHI SUGIMOTO

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SPECIAL PROJECTMICHAELA EICHWALD

PROJET SPÉCIALMICHAELA EICHWALD

MICHAELA EIChWALDNée en 1967. Vit et travaille à Berlin. Parmi ses expositions personnelles et collectives récentes : « Knotti Times », Silberkuppe (Berlin, 2013) ; « Painting Forever! Keilrahmen », KW Institute for Contemporary Art (Berlin, 2013) ; 12e Triennale Kleinplastik Fellbach (2013) ; « Some End of Things », Museum für Gegenwartskunst - Emanuel Hoffmann-Stiftung (Bâle, 2013) ; « Das Allerletzte Prof. Winkler Stipendium », Kunstverein Weiden (2013) ; « KW69 #7. Kalin Lindena », KW Institute for Contemporary Art (Berlin, 2011) ; « The White Columns Annual », White Columns (New York, 2011). Elle est lauréate du Prix Lafayette 2012.—— Exposition personnelle de Michaela Eichwald du 11/07/14 au 07/09/14 au Palais de Tokyo.Cette exposition est organisée dans le cadre du Prix Lafayette 2012, avec le soutien du Groupe Galeries Lafayette et de la FIAC.

MICHAELA EIChWALDBorn in 1967. Lives and works in Berlin. Among her recent solo and group exhibitions:“Knotti Times,” Silberkuppe (Berlin, 2013); “Painting Forever! Keilrahmen,” KW Institute for Contemporary Art (Berlin, 2013); 12th Triennale Kleinplastik Fellbach (2013); “Some End of Things,” Museum für Gegenwartskunst - Emanuel Hoffmann-Stif tung (Basel, 2013); “Das Allerletzte Prof. Winkler Stipendium,” Kunstverein Weiden (2013); “KW69 #7. Kalin Lindena,” KW Institute for Contemporary Art (Berlin, 2011); “The White Columns Annual,” White Columns (New York, 2011). She is laureate of the Prix Lafayette 2012.—— Solo exhibition by Michaela Eichwald from 11/07/14 to 07/09/14 at the Palais de Tokyo.This exhibition is organized in the context of the Prix Lafayette 2012, with the support of the Groupe Galeries Lafayette and of the FIAC.

MICHAELA EICHWALD

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POURQUOI J’ÉCRIS SUR MON TRAVAIL ?

Chère Lisa, Cher Hal 1,Voici quelques réf lexions sur mes « Écrits d’artiste ». En y

réfléchissant, il y a plusieurs raisons ou nécessités qui m’ont – depuis le début – poussé à produire des « Écrits d’artiste ».

- J’écris parce que je fais des ŒUVRES D’ART. Faire mon travail est le fondement de mes « Écrits d’artiste » et c’est ce qui me donne la légitimité pour écrire. Écrire est – pour moi – un geste simple et qui m’engage.

- J’écris parce que je peux écrire – comme n’importe qui – et que je veux écrire de manière égalitaire. Cela signifie que j’écris avec mes mots à moi !

- J’écris – comme tout le monde peut le faire – parce qu’écrire est une manière égalitaire d’EXPRIMER, DE DIRE OU DE COMMU-NIQUER à l’autre, à ma mère, à l’historien de l’art ou à celui qui me pose ou pourrait me poser une question sur mon travail et sur ce dont il s’agit.

- J’écris parce que je veux INSCRIRE les choses. Pour être engagé envers une forme, écrire les choses m’aide à rester fidèle à cette forme, parce qu’une fois écrites, les choses ne sont plus aléatoires ni arbitraires, mais fixées.

- J’écris parce que je veux CLARIFIER, je veux clarifier les choses, d’abord pour moi-même. Produire des « Écrits d’artiste » m’aide à déterminer plus précisément ce que je veux ou que j’ai voulu faire.

- J’écris parce que je sais ce que je fais, pourquoi je le fais et comment je le fais, alors c’est FACILE DE L’ÉCRIRE, c’est un positionnement, c’est un engagement, c’est une déclaration, c’est un jugement, c’est quelque chose de défini et c’est quelque chose d’absolu.

- J’écris parce que l’art est AFFIRMATION de la forme, c’est pour moi l’essentiel. Donc, écrire est aussi une affirmation et écrire – en tant qu’artiste - est toujours un outil qui permet de renfor-cer mon affirmation de la forme. Écrire n’est pas une explication, ni une justification, ni une argumentation.

- J’écris parce que je veux INSISTER SUR CE QUI EST ESSENTIEL pour moi. Écrire m’aide à décider et à insister sur ce qui compte vraiment pour moi. Écrire m’aide à approfondir cet essentiel, à le confronter – quand c’est envoyé à quelqu’un ou publié quelque part – et à le conserver dans une dynamique, comme quelque chose d’actif.

- J’écris parce que j’ai besoin d’établir mes PROPRES TERMES : dans mon effort pour énoncer de nouveaux termes d’art, les vieux termes ou les termes des autres ne peuvent plus servir. Avec les « Écrits d’artiste » je crée et reste fidèle à mes propres termes dans l’art.

- Finalement je produis des « Écrits d’artiste » pour donner mon propre TÉMOIGNAGE, et parmi le flot de critiques, d’infor-mations, d’interprétations et d’opinions sur mon travail, mon témoignage d’artiste est là – lui aussi.

[14 décembre 2011]

1 Lisa Lee et Hal Foster ont édité l’ouvrage Critical Laboratory: the Writings of Thomas Hirschhorn (An October Book, MIT Press, Cambridge, MA, 2013).

Traduit par Aude Tincelin

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MONOGRAPHTHOMAS HIRSCHHORN

MONOGRAPHIETHOMAS HIRSCHHORN

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WHY DO I WRITE ABOUT MY WORK?

Dear Lisa, dear Hal1,Here are some thoughts about my “A r tist Writing.”

In thinking about it, there are different reasons or necessi-ties that have—since the beginning—pushed me to do “Artist Writing.”

- I write because I am DOING ART. Doing my artwork is the basis of my “Artist Writing,” and this gives me the competence to write. To write is—to me—a simple and engaging gesture.

- I write because I can write—just as everybody can—I want to write in an egalitarian way—this means: I write with my words!

- I write—just as anyone can—because writing is an egalitarian way to EXPRESS, TELL OR COMMUNICATE to the other, to my mother, to the art historian or to whoever asks me a ques-tion concerning my work and what it’s about.

- I write because I want to FIX things. In order to be commit-ted to a form, writing things down helps me to be truthful to it, because once written down, things are no longer random or arbitrary, but set and fixed.

- I write because I want to CLARIFY, I want to clarify things—first for myself. Doing “Artist Writings” helps me work out more precisely what I want or wanted to do.

- I write because I know what I am doing, why I am doing it and how I am doing it, so it’s EASY TO WRITE DOWN, it’s an engagement, it’s a commitment, it’s a statement, it’s a judge-ment, it’s something definite and it’s something absolute.

- I write because art is ASSERTION of form, this is to me essen-tial. Therefore to write is also an assertion, and writing—as the artist—is always a tool to reinforce my assertion of form. Writing is not explanation, justification or an argumentation.

- I write because I want to INSIST ON WHAT IS ESSENTIAL to me. To write helps me decide and insist on what really counts for me. To write helps me develop this essential thing , confront it—when it is sent to someone or published somewhere—and to keep it in a dynamic, as something active.

- I write because I need to designate my OWN TERMS: in my efforts to establish new terms in art, old terms or terms of oth-ers can’t be used. With “Artist Writing” I create—and stay faith-ful to—my own terms in art.

- Finally I do “Artist Writings” in order to give my own TESTIMONY. In the blizzard of critiques, information, mean-ings and opinions about my work, my artist testimony is there, also.

[14 December 2011]

1 Lisa Lee and Hal Foster edited Critical Laboratory: the Writings of Thomas Hirschhorn (Cambridge, MA: MIT Press, An October Book, 2013)

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MONOGRAPHTHOMAS HIRSCHHORN

MONOGRAPHIETHOMAS HIRSCHHORN

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physiques que tu essaies de capter et de fixer. Considères-tu que ton travail relève d’une forme de théâtralisation ?

TTJe le vois comme de l’inframince augmenté. Il s’agit souvent de prolonger un geste anodin. Cette contrainte de l’éphémère qu’il faut pérenniser se retrouve dans l’intérêt que j’ai pour des machines sonores et éthyliques qui ont un effet sculptural sur le corps et qui le soumettent à une expérience, physique autant que psychique, du son et de l’espace. J’y vois une expérience proche du rituel, syncrétique : du religieux en canette.Une goutte qui brûle tout doucement au bout d’un fil électrique, un néon en fin de vie qui clignote sont des dispositifs théâtralisés et amplifiés, ou au contraire quasiment imperceptibles, visibles seulement si on prend le temps de les regarder, de les écouter ou de les sentir. Mon travail fait des allers-retours entre amplification et clandestinité. Il est peut-être réussi quand les deux arrivent à se tisser en parallèle, sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre. L’architecture et le moment de l’exposition sont pour moi l’occasion de sortir de l’atelier et des expériences faites dans mon coin. C’est l’occasion de penser qu’il va falloir ajouter une durée de vie à ces expériences. Les procédés et mécanismes sont fragiles, aléatoires. Certaines choses ne peuvent pas être montrées telles quelles au sein d’une institution, avec ses paramètres de sécurité. C’est plus facile au sein d’une usine en Islande ou dans des lieux parallèles.

FPÀ Nice, en 2012, tu as réalisé une œuvre en collaboration avec un autre artiste, Ugo Schiavi, Looters will be shot [Les Pillards seront abattus]. Vous avez constitué une archive sauvage de graffiti en les arrachant de là où ils étaient pour les déplacer vers un dépôt, une sorte de

musée ou mausolée, qui contenait ces morceaux de peinture séchée, roulés comme des parchemins ou des momies. Le projet incluait aussi un rapport à la loi, à la propriété.

TTEn allant sur le terrain, à des endroits où il y avait vingt ans de couches de graffs, on a constaté que les murs avaient une peau, une peau de peinture pure. En les décollant des murs à la vapeur et au couteau de cuisine, on pensait aux tableaux volés, découpés au cutter sur leur châssis. Pour les transporter plus facilement il fallait qu’on les roule. Les gestes pratiques rejoignaient des gestes de l’histoire : en les roulant, c’est l’image de gisants qui s’est imposée. Lorsqu’il a fallu fabriquer des caisses de transport, nous avons réalisé des châssis en bois similaires à ceux que les archéologues utilisent pour transporter des choses fragiles, en suspension sur des chambres à air. On a ensuite empilé ces caisses pour qu’elles deviennent des étagères et des présentoirs. Ce projet a été une expérience forte.

Il propose un face-à-face avec des objets qui renvoient à l’histoire de la peinture. Mais en amont, il s’agit avant tout d’une entreprise collaborative et de questions pratiques. Le faire, dans ce rapport pratique et économique, a permis de régler toutes les questions esthétiques et visuelles.

FPComment envisages-tu la question d’un compromis avec les normes, notamment celles de sécurité ?

TTC’est l’occasion de devenir plus subtil, de ne pas être dans un rapport d’opposition à la loi et aux normes de sécurité. En revanche, si c’est pour enfermer le travail derrière une grille comme au zoo, ce n’est pas la peine non plus. Cette négociation est plutôt l’occasion de faire muter le travail. Une séance d’aïkido.Lyon, 15 novembre 2013Transcription : Edwige Fontaine

THOMAS TEURLAINé en 1988. Vit et travaille à Vladivostok et Genève. Diplômé du DNSEP à l’École nationale supérieure d’art de la Villa Arson (Nice) en 2009. Parmi ses expositions personnelles récentes : « Chopper Desk », The Fish Factory (Stodvarfjordur, 2012) ; « Klaus Nomi auf L.S.D. », Picto (Genève, 2011). Parmi ses expositions collectives récentes : « Le Trou », Villa Bernasconi (Genève, 2012) ; « Mauvais coups pour trois fois rien », Hangar Alstom (Nantes, 2011) ; « Le Laboratorium » (Arles, 2011). —— Exposition personnelle dans le cadre des Modules – Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, du 25/04/14 au 23/06/14 au Palais de Tokyo. En collaboration avec la Villa Arson (Nice).

François Piron est critique d’art et commissaire d'exposition, responsable du post-diplôme de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon, et fondateur de l’espace d’art indépendant castillo/corrales (Paris) et de la maison d’édition Paraguay Press.

THOMAS TEURLAI

CHOPPER DESK [2012]

VENTILATEURDE PLAFOND,

DISPOSITIF SONORE / CELLING FAN, SOUND

SYSTEM Courtesy de l’ar tiste / of the artist

THOMAS TEURLAI& UGO SCHIAVI

LOOTERS WILL BE SHOT [2013]

GRAFFITI PILLÉS / PLUNDERED GRAFFITI

Collection Michel Fedoroff

Page 13: Magazine Palais #19

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FOCUS#1

François PironSix months before your exhibition at the Palais de Tokyo, you have not yet defined everything, and rightly so. How do you approach your relationship to a space? How do you work in a space that’s not your studio?

Thomas TeurlaiThe work is fashioned by the defects and qualities of the architecture that accommodates it, by the context. It can rarely—indeed, never—change location. I need to spend time on site and, depending on the place and temporality of the exhibition, I make adjustments to the set-up. When I was a student, I made stills that spewed flames and alcohol vapours. At the same time, I built clandestine bars without any sign of intervention even though the pipes and radiators were filled with red wine. At the moment in my work I try to nuance this binarity and align my interest in sculpture—with its ability to be present and erect—on one hand, with my taste for disappearance on the other. Recently, the driving forces of my work have rather been travelling and abandoned spaces. During a trip to Iceland, I was able to take over an abandoned fried fish factory. The fish trade and fishing industry collapsed during the 2008 financial crisis. My experience inside this architectural structure that carried the traces of an industry stunned into a long, artificial slumber, with its production potential and its machines waiting to be reactivated, was particularly interesting to me because it resulted in a strong relationship between

an artwork, a place and a context of plural economies.

FPYour work often involves a set of technologies that are more amateur than imitative of industrial processes. The organic rather than mechanical aspect that reveals itself in your operations with electricity or certain devices such as distillers or oxy-fuel welding torches is something I find quite striking.

TTI realized that I had an anthropomorphic relationship with architecture and energy sources. Plugging a drip feed onto a lighting system in order to produce a buzzing sound and make the lights flicker, putting to use the plumbing or the heating; these are ways of regarding the building as a body with its central nervous system, its digestive system and its circulation. The idea is to make these systems visible. I would find it difficult to consider a work enclosed within four walls—rather, I imagine it as connected to other spaces and other networks. When I work with electricity, water, heating or from an economic context, the image that comes to mind is irrigation. I’m very interested in alchemy and all these representations of stills are like metaphors of the human body.

FPThere’s a synesthetic dimension in this idea of making heard the sound of an electrical system that produces light. The senses are put into contact and short-circuit each other. In your work, a derivation takes place that goes from image to sound, from sound to smell.

TTI have a problem with images: maybe when working with images, I tend to overdo it, whereas smells or sounds stimulate sensorial—erogenous—zones, creating images in a more indicative and intuitive way. For the light fixtures “on the drip,” the electrical circuit was shunt and beer cans released a drip feed onto two wires. Each time a drop fell the electricity could flow. As there wasn’t sufficient current to fully turn the light on, the fluorescent tubes flickered like an old subway carriage and the electricity’s frequency was audible. As the current flowed, it burned the liquid and alcohol vapours were released: after spending about fifteen minutes in the room, you began to feel the effects of the alcohol.

THOMAS TEURLAI

RIGOLETTO [2013]

CHAÎNE HI-FI, EAU / HI-FI SYSTEM, WATER

DIMENSIONS VARIABLES / DIMENSIONS VARIABLE

Courtesy de l’ar tiste / of the artist

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YVES KLEINDimanche (revue / journal) : “La révolution bleue continue” / “The blue revolution keeps on going” : Le journal d’un seul jour / The newspaper of a single day (27.11 1960); Numéro unique / Unique issueCentre Pompidou – MNAM – Bibliothèque Kandinsky (Paris)

| George Brecht évoquait une grande partie de son œuvre comme « Le Livre du gobelet [tumbler] en feu » et ce titre s’est tout simplement cristallisé dans son esprit, un peu comme une phrase entendue en rêve. Je crois qu’il me l’a expliqué lors d’un entretien en 1967. Un gobelet [tumbler] est un verre, un verre plutôt ordinaire, simple, et « to tumble » signifie « rouler » ou « tom-ber ». Et ces boules d’herbes sèches qui roulent poussées par le vent dans les déserts américains sont des « vire-voltants » [tumbleweed]. Un « tumbler » peut aussi être un acrobate. George acceptait toutes ces significations de « tumble/tumbler » comme une partie

| « Marie de Brugerolle : Quand avez-vous réalisé vos premières perfor-mances ?Paul McCarthy : En 1967, je faisais des peintures noires, que je réalisais, pour la plupart, directement avec mes mains. J’avais entendu parler du Saut dans le vide de Klein. Je l’ai alors imité : j’ai sauté ou, plutôt, je me suis laissé tomber d’un balcon. C’était moins dynamique que Klein, je n’avais pas vu la photo à ce moment-là. Ce que j’ai fait tenait plus de la chute que du saut dans le vide. Je me suis luxé la che-ville. Durant la même période, j’ai des-cendu une colline dont la pente était très raide, de plus en plus inclinée, je suis tombé et j’ai roulé jusqu’en bas. La première fois que j’ai fait cela, c’était une sorte de course avec un ami. Cette action, je l’ai répétée en tant que per-formance, à deux reprises, en 1968 et en 1972. Son titre c’est Too Steep, Too Fast. J’ai aussi fait rouler une balle noire du haut d’une colline. » (Hors Limites. L’art et la vie, Centre Pompi-dou, Paris, 1994) M.B.

des significations possibles de son titre. Il y a aussi plusieurs façons de comprendre l’expression « en feu ». Je ne crois pas que George ait « su » ce que son titre signifiait exactement. C’était une sorte d’épiphanie, une sorte de don qu’il avait reçu d’il n’au-rait trop su dire où. Il recèle une notion de liberté, mais aussi d’aléa – et ces concepts sont étrangement complé-mentaires tout en étant contraires. Ils se croisent dans une sorte de zone grise, dans laquelle George se sen-tait particulièrement à l’aise. Il aimait la clarté des situations qui ne se font aucune illusion sur la clarté. H.M.

| George Brecht referred to much of the body of his work as “The Book of the Tumbler on Fire,” and that title sim-ply crystallized in his mind, rather like a phrase he had heard in a dream. I think he explained this to me in the interview I did with him in 1967. A “tumbler” is a drinking glass, a rather ordinary, sim-ple drinking glass, and “to tumble” is rolling or falling. And those masses of dead rolling grass that move in the wind across the American deserts are called “tumbleweed.” A “tumbler” might also be an acrobat. George accepted all of these meanings of “tumble/tumbler” as a part of whatever his title might mean. There are also several ways to

understand the term “on fire.” I don’t think George exactly “knew” what his title meant. It was sort of an epiphany, a kind of gift that he received from he couldn’t have said quite where. There’s a notion of freedom in it, but also of randomness, and these concepts are strangely complementary while also opposed to one another. They come together in a gray sort of area in which George felt very much at home. He liked the clarity of situations that hold no illu-sion of clarity. H.M.

A MAN IN THE SPACE | “Marie de Brugerolle: When did you put on your first performances? Paul McCarthy: In 1967, I was making black paintings, most of which were done directly with my hands. I’d heard about Klein’s Leap into the Void. So I imitated him: I leapt or, rather, I let myself drop from a balcony. It was less dynamic than with Klein. I hadn’t yet seen the photo. What I did was more like falling than leaping into the void. I sprained an ankle. Around the same time, I went down a hill with a very steep slope, and an ever-increasing gradient. I fell over and rolled to the bottom. The first time I did it, it was like a race with a friend. I repeated the same action, as a performance, twice over, in 1968 and in 1972. Its title is Too Steep, Too Fast. I also rolled a black ball down from the top of a hill.” (Hors Limites. L’art et la vie, Paris: Centre Pompidou, 1994) M.B.

TUMBLE / TUMBLER

UN HOMME DANS L’ESPACE

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LITTLE ILLUSTRATED DICTIONARY OF THE FALL

PETIT DICTIONNAIRE ILLUSTRÉ DE LA CHUTE

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| Je suis sujet au vertige. J’ai vécu durant des années en me tenant à un tas de choses qui, finalement, per-mettaient de me garder plus ou moins debout. Des idéaux, des théories, des doctrines politiques. Et puis à un moment — c’était au milieu des années 1970 —, ces étais se sont dérobés d’un coup. Patatras. Croyances, convictions, illusions, tout s’est foutu la gueule par terre, emporté, nettoyé, giflé comme dans une vague énorme. Et il faut bien dire que rien de ce qui s’est passé dans

VERTIGO

ALFRED HITCHCOCK, Vertigo (1958)© NBCUniversal Archive & Collection

| Alfred Hitchcock, maître du sus-pend. G.W.

| Alfred Hitchcock, master of suspen-sion. G.W.

le monde durant les années qui ont suivi n’a pu me donner à espérer que ça s’arrange, au contraire. J’ai vacillé. Comme le dit gentiment Dom Juan à Sganarelle qui vient de s’étaler après un beau discours : « Voilà ton raison-nement qui s’est cassé le nez. » Heu-reusement, je suis tombé juste sur un divan. La psychanalyse est cette chose étonnante où, quand on a le vertige et qu’on tombe, on s’allonge pour pouvoir tenir debout, sans garde-fou. G.W.

VERTIGO | I’m subject to vertigo. I lived for years by gripping onto a load of things that, in the end, allowed me to stay more or less upright. Ideals, the-ories, political doctrines. And then suddenly—it was in the middle of the 1970s—all these props collapsed. Crash. Beliefs, convictions, illusions, the whole lot fell flat, carried off, washed out and slapped around by a gigantic wave. And it has to be said that nothing which has occurred in the world during the years that followed has

made me hope that things will ever sort themselves out again. On the contrary. I have vacillated. As Dom Juan puts it to Sganarelle, when he’s taken a dive after making a fine speech: “Now your reasoning has broken its nose.” Luck-ily, I fell onto a couch. Psychoanalysis is that astonishing thing which means that, when we get vertigo and fall, we lie down so as to be able to stand up, without a guardrail. G.W.

VERTIGE

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LITTLE ILLUSTRATED DICTIONARY OF THE FALL

PETIT DICTIONNAIRE ILLUSTRÉ DE LA CHUTE

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MONOGRAPHANGELIKA MARKUL

MONOGRAPHIEANGELIKA MARKUL

128ANGELIKAMARKUL

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MONOGRAPHANGELIKA MARKUL

MONOGRAPHIEANGELIKA MARKUL

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SPECIAL PROJECTTHE PAVILLON NEUFLIZE OBC

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HT

AP Avec la participation de

With contributions by • Yonatan Vinitsky : The world is flat,

like a plate (“I can’t believe I just saidthat!”) [Martha Bloom explains her 5-year-old son Matt Montini about the world, 1912] (p. 147-148)

• Chai Siris (p. 149)

• Mikhail Lylov : Dark Ikebana (p. 150-151)

• Sophie Bonnet-Pourpet (p. 152)

• Antonio Vega Macotela (p. 153)

• Lucas Biberson & Guillaume Henry :Le parcours est récit (p. 154-155)

• Karin Schlageter : Vue d’exposition (p. 156)

• Sébastien Martinez Barat (p. 157)

• Rebecca Digne & Clémence Seilles : Cosmic Tools (p. 158-159)

CES PROPOSITIONS CONSTITUENT UN PREMIER ENSEMBLE D’INSPIRATIONS ET DE RÉFÉRENCES POUR LES RÉSIDENTS 2013-2014 DU PAVILLON NEUFLIZE OBC, LE LABORATOIRE DE CRÉATION DU PALAIS DE TOKYO. LE PREMIER STADE D’UNE RECHERCHE EN VUE DE L’EXPOSITION QUI AURA LIEU AU PALAIS DE TOKYO EN JUIN 2014, APRÈS UN SÉJOUR À KYOTO ET LA COLLABORATION AVEC SHUHÔ, MAÎTRE DES FLEURS DU TEMPLE AU PAVILLON D’ARGENT.

THESE PROPOSITIONS

STAND AS AN INITIAL SET

OF INSPIRATIONS AND

REFERENCES FOR THE

2013-2014 RESIDENTS

OF THE PAVILLON

NEUFLIZE OBC, THE PALAIS

DE TOKYO’S RESEARCH

LAB. THE FIRST RESEARCH

STAGE BEFORE AN

EXHIBITION WHICH

BE HELD AT THE PALAIS

DE TOKYO IN JUNE 2014,

AFTER A STAY IN KYOTO

AND A COLLABORATION

WITH SHUHO, FLOWER

MASTER AT THE TEMPLE

OF THE SILVER PAVILLION.

Traductions françaises : Caroline Burnett, Aude TincelinEnglish translations: Ian Monk

PROJET SPÉCIALLE PAVILLON NEUFLIZE OBC

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TEXT / TEXTLOREM ISODORUM

TURNING

THE MONUMENTAL

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TURNING THE MONUMENTALINTO THE IMMATERIAL

L’EXPOSITION « DES CHOSES EN MOINS, DES CHOSES EN PLUS » PRÉSENTE UN CHOIX D’ŒUVRES PROTOCOLAIRES ET RELATIONNELLES ISSUES NOTAMMENT DES COLLECTIONS DU CENTRE NATIONAL DES ARTS PLASTIQUES. À CETTE OCCASION, LES DEUX COMMISSAIRES DE L’EXPOSITION, SÉBASTIEN FAUCON ET AGNÈS VIOLEAU, ABORDENT LES DÉFIS QUE DE TELLES ŒUVRES, PAR ESSENCE « VIVANTES », POSENT À QUI VEUT LES CONSERVER ET LES RESTITUER DANS LEUR SINGULARITÉ.

THE EXHIBITION “SOMETHING LESS, SOMETHING

MORE” PRESENTS A SELECTION OF PROTOCOL-BASED

AND RELATIONAL WORKS, SOURCED FROM THE

COLLECTIONS OF THE CENTRE NATIONAL DES ARTS

PLASTIQUES IN PARTICULAR. THE TWO CURATORS

OF THE EXHIBITION, SÉBASTIEN FAUCON AND

AGNÈS VIOLEAU, USE THIS OPPORTUNITY TO TACKLE

THE CHALLENGES THAT SUCH ESSENTIALLY “LIVE”

WORKS REPRESENT FOR ANYONE WISHING TO PRESERVE

THEM, AND RECONSTITUTE THEM IN THEIR UNIQUENESS.

THE MONUMENTAL

INTO

TEXTE / TEXT SÉBASTIEN FAUCON & AGNÈS VIOLEAU

THE IMMATERIAL

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PALAIS19

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LE « SUJET » DE L’EXPOSITION

DAVID DOUARD Dans mon exposition « Mo’Swallow » au Palais de Tokyo, tous les objets seront les « sujets » d’une matrice qui va générer l’exposition tout entière. Cette matrice sera un texte, un poème. J’ai commencé à travailler sur ce projet avec des textes col-lectés sur Internet, comme une subjectivité ready-made, produite par et sur Internet. Ma première intention était de traduire ce lan-gage sous la forme d’objets qui auraient cette subjectivité logée en eux et qui seraient animés dans l’espace. Cette subjectivité pourrait alors être comme un fantôme. Le point de départ d’une exposition est toujours difficile à définir. J’ai besoin de motifs, de matériaux, de choses liquides qui me permettent d’introduire de la subjectivité dans les objets. Pour l’exposition « Mo’Swallow », j’ai pensé à la représentation d’un sein malade présent dans les collections du musée des Moulages dermatologiques de l’hôpital Saint-Louis (Paris). Ce sein est réel, il a été objectivé scientifique-ment. Ce qui m’intéresse est de décontextualiser ce genre d’objet afin de l’infecter par une autre forme de maladie. Il devient ainsi le signe d’une maladie sociale, d’un conditionnement contempo-rain que l’on ne veut pas s’avouer et qui reste invisible. L’idée est que ce sein puisse contenir de la subjectivité et être la matrice de tous les objets présents dans l’exposition. Chaque objet a besoin de son lait malade pour croître, comme un enfant. Ce n’est ni théo-rique ni fantaisiste. Ce monde est réel mais parallèle. C’est aussi pourquoi je parle d’animisme. Il y a quelque chose de vivant à l’in-térieur des objets.

RLV La première salle de l’exposition regroupe des œuvres inspi-rées par l’esthétique zoomorphe du design automobile, d’étranges créatures menaçantes, dont l’aspect morphologique rappelle celui des félins. Alors qu’elles prennent vie de manière aléatoire et imprévisible, chacune d’entre elles émet un son, une sorte de voix intérieure. Elles sont hors de contrôle et magiques, bien que paradoxalement alimentées par un fluide électrique, fluide que contrôle l’homme pour domestiquer le monde.

DD Des rideaux courbes forment une cage qui protège ces sculp-tures, mais ils leur permettent aussi de se mouvoir dans leur espace propre. Le rideau, qui me rappelle l’esthétique d’un bureau, une image de la bureaucratie, est comme une peau, une cage qui délimite un espace de vie, l’enveloppe sociale de la sculpture. C’est le cadre à l’intérieur duquel quelque chose peut se produire : une réaction qui sera activée par un texte, source de l’exposition. Les mouvements des sculptures sont l’écho de schémas sociaux dans un espace déterminé par notre quotidien. Je veux que le mouve-ment soit porteur de l’idée et de la sensation d’une menace, d’un état sauvage qui reste indomptable. Les sculptures peuvent être perçues comme des animaux en cage, mais elles peuvent passer au travers des barreaux. Leur mouvement n’a rien de naturel dans la mesure où il est produit par un ordinateur ; c’est la traduction d’un texte dans la matière.

SA Je suis surpris par l’utilisation de cages en acier, de fer dans votre travail. Est-ce le résultat d’une intention précise ? Dans votre exposition « Animorphs 1 » il y avait des fleurs qui sortaient des barres de fer. Ferez-vous la même chose au Palais de Tokyo ou bien ce sera juste un espace clos ?

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MONOGRAPHDAVID DOUARD

MONOGRAPHIEDAVID DOUARD

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The sculptures’ movements are the echo of social patterns in a space determined by our everyday experience. I want movement to be the carrier of the idea and feeling of a threat, a wild state that remains untamable. The sculptures can be perceived as caged animals, but they can get through the bars. Their movement has nothing natu-ral about it insofar as a computer produces it; it is the translation of a text into matter.

SA I’m surprised by the fact that you use steel, iron cages in your work. Does that express any intention? In your exhibition “Animorphs,” 1 there are flowers coming out of the iron bars. Will you do the same at the Palais de Tokyo or will it just be a closed space?

DD The flower is an important motif: It’s an abstract object that can contain all subjectivity within it. In my work it is both the flower cor-rupted by the subject, and an object born from that idea. It militates against all forms of cage without that being noticed. Its growth takes place beyond our perception, it arises without needing the artist to carry on doing his work. If sculpture is a story of death, it’s interesting to think of what swells and grows from that death. The aim is to haunt the exhibition space without giving either an answer or an explana-tion. In the “Mo’Swallow” exhibition, I think I achieve the same form of ambiguity with the diseased breast, which likewise contains the ideas of growth and contamination within it.

RLV You seem to envisage language as a vital fluid.

DD The text is at the source of the exhibition; it feeds the objects and loads subjectivity onto them. Technological prowess doesn’t interest me, it’s more a question of hacking into a sculpture to give it a new life form, like a shaman in his garage practising a form of urban ani-mism. I use these “readable” motifs to put them to the service of a different life form and introduce the idea of life through movement. Movement can evoke many things, and can even be far more violent than words. The Morse language, for example, is a language born of prostration. It’s the language of survival. In the same way, a move-ment can be charged, and contain within it a contraction of the lan-guage that defines it. It can explain all the other movements, like the movement of text or subjectivity.

SA The artist always tries to animate the object. I have the feeling that you do it in a double sense. If the artist doesn’t animate the object, it always stays the object and never connects with anybody in a neg-ative or positive sense. Your objects are not only animated by you as an artist; they are haunted. It’s the same thing I felt when I did my research in Silicon Valley among the programmers. They would always say: “Of course I know my program is all rational. But the sum of all these parts behaves in a way that I feel it is a sort of thing, it is a sort of life form.” In Silicon Valley they have the feeling that there is a ghost in the machine. Whether it is real or not in an objective sense is irrelevant here; a presence is felt and experienced. I think there is something new going on. In a mechanism, like in a clock, there is no space for ghosts since it is thought to be transparent.

PARANOIA, RUMOR, REAL, IMAGINARY

RLV It is becoming ever more complicated to differentiate between reality and fiction, which seem to be notions that have become obso-lete. Nonetheless, language does not provide us with a sufficiently

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MONOGRAPHDAVID DOUARD

MONOGRAPHIEDAVID DOUARD

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TITRE DE LA SOUS-PARTIE FRTITRE DE LA SOUS-PARTIE EN

NOUVELLES HISTOIRESDE FANTÔMES

UNE EXPOSITION

À L’ÉPOQUE DE SA REPRODUCTIBILITÉ

TECHNIQUE TEXTE : GEORGES DIDI-HUBERMAN

• D’abord il y a eu l’exposition « Atlas 1 ». C’était une entre-prise assez complexe et vaste (je n’ai pas gardé en mémoire

le nombre exact de mètres carrés dans les grandes nefs somp-tueuses du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid, entre deux mille et deux mille cinq cents). Au ZKM-Museum für Neue Kunst de Karlsruhe, elle était un peu plus resserrée dans sa disposition carrée, mais à la Sammlung Falckenberg de Ham-bourg elle était bien plus vaste encore (près de cinq mille mètres carrés, je crois, sur les différents niveaux de sa complexe archi-tecture). Ce fut un travail intense, tendu dans tous les sens du mot, les délais de préparation étant assez courts, bien qu’ils fussent étayés par une réflexion que je menais depuis plusieurs années sur la question de ce que je nomme la « connaissance par les images » qui est aussi, fatalement, une connaissance par les mon-tages d’images. C’était une exposition sur – avec, à travers – de tels montages d’images : c’était donc, plus précisément, un grand mon-tage de montages d’images, un grand atlas d’atlas d’images.

Travail tendu, également, pour la raison que mon approche de la question des atlas n’allait pas sans un point de vue – discrè-tement ou pas, je ne sais – polémique avec certains modèles théo-riques que le monde de l’art contemporain a intégrés avec d’autant plus d’évidence qu’ils ne sont jamais explicités et encore moins mis en question (je pense particulièrement au stéréotype du découpage historique et esthétique entre « modernisme », « anti-modernisme » et « postmodernisme »). D’où discussions passion-nées avec Manolo Borja Villel, le directeur du musée Reina Sofía.

Les rencontres épisodiques avec lui, dans les huit ou neuf mois qui ont précédé l’ouverture de cette exposition, ont été décisives dans tous les sens du mot : importantes théoriquement – parce que nous accordions ou confrontions justement nos modèles esthé-tiques et historiques respectifs –, et emportant immédiatement des décisions très concrètes sur la teneur finale de ce qui allait être présenté aux spectateurs. J’avais constaté, en visitant l’accro-chage des collections permanentes du Reina Sofía, à quel point Manolo se sentait impliqué dans la question des atlas d’images, bien qu’à cette époque, je crois, il ne percevait pas encore la dis-tinction nécessaire entre la problématique de l’atlas et celle, très à la mode alors, de l’archive. C’est pourquoi j’avais fait le choix de ne pas me poser en « maître absolu » des œuvres à exposer – la posi-tion du maître absolu, légitimée par sa seule autorité abstraite, me semble toujours détestable, éthiquement comme épistémi-quement –, mais de discuter avec Manolo sur chaque point de vue théorique, chaque artiste et chaque œuvre envisagée pour l’ac-crochage.

Le grand bénéfice de cette position, c’est que j’ai énormément appris de quelqu’un qui connaissait la situation de l’art contem-porain de l’intérieur (ce qui n’est pas mon cas). La difficulté, c’est que je devais constamment défendre et justifier – mais aussi préciser – mon propos général comme mes choix de détail, mes « règles » comme mes « exceptions ». Étant un commissaire non professionnel, puisque mon milieu de travail n’est ni le musée ni la galerie, ni l’institution publique, ni le marché de l’art, je me heur-tais quelquefois à des logiques qui m’échappaient voire, quand je les identifiais, qui me révoltaient (par exemple quand une œuvre était considérée comme indigne d’être exposée du simple fait qu’elle avait déjà été montrée sur les cimaises du musée, ou bien quand certaines institutions refusaient des prêts pour des raisons de stratégie culturelle : pas de grand Boetti « puisque » une rétrospective aura lieu bientôt, etc.). Mais, les œuvres une fois accrochées, j’ai bien compris ce que le résultat devait à toutes ces tensions, toutes ces discussions préalables, toutes ces tentatives de marchandages qui contrastent tant avec le travail souverain mais éventuellement solipsiste, du chercheur solitaire. Sans elles, l’exposition eût été plus complète, mais sans doute plus naïve et, de toute façon, moins pertinente.

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TITRE DE LA SOUS-PARTIE FRTITRE DE LA SOUS-PARTIE EN

La même tension – la même confrontation dialectique ou dia-logique – aura aussi accompagné l’accrochage de Hambourg, puisqu’il fallait y tenir compte des apports spécifiques de la col-lection Falckenberg et, donc, du point de vue du collectionneur qui « défendait » âprement la logique de son espace et de ses choix d’images (par exemple en accentuant la place dévolue à Hanne Darboven ou à Dieter Roth, ou bien en introduisant de nou-veaux artistes tels que Gerhard Rühm, Arthur Köpcke, Richard Hamilton, Anthony McCall, etc.). À transformer nos débats en nouveaux jeux de montages ou nos mutuelles contestations en communes expérimentations d’accrochage, nous avons fini, avec Harald Falckenberg, par transfigurer littéralement la présenta-tion initiale du musée Reina Sofía sans pour autant dissoudre ou affaiblir son propos théorique, bien au contraire. Si Aby Warburg a été la figure tutélaire de cette exposition qui prenait pour point de départ l’atlas d’images Mnémosyne, c’est bien la pensée dialectique de Walter Benjamin – sa pensée même des « images dialectiques » – qui aura été le moteur fondamental de cette exposition, aussi bien dans son processus, dans son travail, que dans son résultat.

Tous les amateurs et tous les professionnels de l’art contempo-rain sont – ou se croient – désormais familiers avec la pensée de Walter Benjamin. Tout le monde, en premier lieu, connaît – ou croit connaître – les leçons théoriques inhérentes au texte fameux sur « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », dans ses deux versions de 1935, puis de 1938 2. L’intérêt pour un tel texte dans le « monde de l’art » est d’autant plus fort qu’il commence pratiquement avec une prise de position concernant la politique de l’art, motif inhérent aux questions que se pose un tel monde, surtout dans le cadre de grandes institutions muséales ou péda-gogiques telles que le musée Reina Sofía, le ZKM de Karlsruhe ou les Deichtorhallen de Hambourg : « Les concepts que nous intro-duisons dans la théorie de l’art, écrivait Benjamin, se distinguent d’autres concepts en ce qu’ils sont complètement inutilisables pour les buts du fascisme. En revanche ils sont utilisables pour formuler des exigences révolutionnaires dans la politique de l’art 3. »

Dans un musée comme le Reina Sofía où est exposé rien de moins que le Guernica de Picasso – et où Manolo Borja a eu l’audace pédagogique de proposer aussi à la vue du public cer-

tains documents historiques tels que le film des obsèques de Buenaventura Durruti en 1936 –, la question d’une telle « politique de l’art » est, évidemment, cruciale. Or, la reproductibilité tech-nique se trouve bien au centre de telles « politiques » muséales : on expose aujourd’hui, dans les musées d’art moderne, autant d’œuvres « reproductibles » (gravures, photographies, films, édi-tions d’objets ou de livres) que d’œuvres « originales » (tableaux, sculptures, dessins), façon utile de questionner, de déplacer les hiérarchies esthétiques. Mais il faut se souvenir que la première leçon politique tirée, dans ce contexte, par Walter Benjamin, concernait bien la scission à opérer entre « valeur cultuelle » et « valeur d’exposition », la seconde permettant ce « déclin actuel de l’aura 4 » équivalent à une profanisation du monde des images.

Benjamin s’expliquait en ces termes sur un tel processus de scission : « On pourrait représenter l’histoire de l’art comme la confrontation entre deux pôles au sein de l’œuvre d’art elle-même et considérer que l’histoire de son déroulement est définie par le déplacement du centre de gravité qui passe d’un pôle de l’œuvre d’art à l’autre. L’un de ces pôles est la valeur cultuelle de l’œuvre, l’autre sa valeur d’exposition. La production artistique commence par des images qui sont au service de la magie. Seule l’existence de ces images est importante, non le fait qu’elles soient vues. L’élan que l’homme figure sur les parois d’une grotte, à l’âge de pierre, est un instrument magique, mais c’est un fait contingent qu’il l’ex-pose aux regards de ses semblables ; ce qui importe tout au moins, c’est que l’image soit vue par les esprits. La valeur cultuelle en tant que telle exige véritablement que l’œuvre d’art soit gardée au secret : certaines statues de dieux ne sont accessibles qu’au grand prêtre dans la cella, et certaines Vierges restent couvertes presque toute l’année, certaines sculptures de cathédrales gothiques sont invisibles si on les regarde du sol. À mesure que les différentes pra-tiques artistiques s’émancipent du culte, les occasions deviennent plus nombreuses de les exposer. Un buste peut être envoyé ici ou là ; il est plus exposable par conséquent qu’une statue de dieu, qui a sa place assignée à l’intérieur d’un temple. Le tableau est plus exposable que la mosaïque ou la fresque qui l’ont précédé 5. »

Le problème se complique terriblement à partir du moment où nous observons que cette « confrontation » soulignée – et même politiquement revendiquée – par Benjamin entre valeur cultuelle

NEWGHOST STORIES

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SPECIAL PROJETED ATKINS

PROJET SPÉCIALED ATKINS

ED ATKINS

AIMÉ PAR LITTÉRALEMENT

DES MILLIONS DE GENS

LIKED BY LITERALLY

MILLIONS OF

HUMANS

ED ATKINSBorn in 1982. Lives and works in London. Among his recent solo exhibitions: “Ed Atkins,” MoMA PS1 (New York, 2013); “Ed Atkins,” Bonner Kunstverein (Bonn, 2012); “Art Now: Ed Atkins,” Tate Britain (London, 2011). Among his recent group exhibitions: “Speculations on Anonymous Materials,” Fridericianum (Kassel, 2013); “Performa 13,” Performa Biennial (New York, 2013); “The Encyclopedic Palace,” Venice Biennial (2013); “Meanwhile… Suddenly And Then,” Lyon Biennial (2013); “Relative Absolute,” Wysing Arts Centre (Cambridge, 2013); “Frozen Lakes,” Artist’s Space (New York, 2013); “Soundworks,” ICA - Institute of Contemporary Arts London (2012).—— Solo exhibition by Ed Atkins from 06/06/14 to 07/09/14 at the Palais de Tokyo.

ED ATKINSNé en 1982. Vit et travaille à Londres. Parmi ses expositions personnelles récentes : « Ed Atkins », MoMA PS1 (New York, 2013) ; « Ed Atkins », Bonner Kunstverein (Bonn, 2012) ; « Art Now: Ed Atkins », Tate Britain (Londres, 2011). Parmi ses expositions collectives récentes : « Speculations on Anonymous Materials », Fridericianum (Kassel, 2013) ; « Performa 13 », Biennale Performa (New York, 2013) ; « The Encyclopedic Palace », Biennale de Venise (2013) ; « Meanwhile... Suddenly And Then », Biennale de Lyon (2013) ; « Relative Absolute », Wysing Arts Centre (Cambridge, 2013) ; « Frozen Lakes », Artist’s Space (New York, 2013) ; « Soundworks », ICA - Institute of Contemporary Arts London (2012).—— Exposition personnelle d’Ed Atkins du 06/06/14 au 07/09/14 au Palais de Tokyo.

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like speaking to you like this, X: Barely.

c’est comme de parler comme ça, X : À peine.