lucier, p. - l’approche culturelle du phénomène religieux
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7/29/2019 Lucier, P. - Lapproche culturelle du phnomne religieux
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Chaire Fernand-Dumont sur la cultureAxe Culture, religion et socitPierre Lucier 1 de 17 2008
Lucier, PierreLapproche culturelle du phnomne religieuxTitulaire de la Chaire Fernand-Dumont sur la cultureINRS Urbanisation, Culture et Socit 16 avril 2008
Le titre de cet expos veut voquer des perspectives qui permettent daller au coeur du volet
culture religieuse du nouveau programme thique et culture religieuse1 et den marquer la
fois la nouveaut et la continuit. Il permet aussi de souligner la cohrence de ce programme
avec lensemble du Programme de formation de lcole qubcoise, qui invite enseigner
dans une perspective culturelle 2 et proposer des apprentissages culturellement ancrs 3.
Il rejoint galement cette orientation gnrale de la formation lenseignement qui, ct de
celle relative la professionnalisation de lenseignement , fait la promotion dune
approche culturelle de lenseignement 4. Nous sommes donc en solide compagnie.
Trois parties composent cet expos, la manire de couches concentriques qui, de lune
lautre, suggrent une exploration en spirale vers une lecture de plus en plus comprhensive
du programme thique et culture religieuse - car cest bien toujours ce programme dont on
veut ici dployer les perspectives et larticulation. La premire partie dfinit les concepts cls
par rapport auxquels il est ncessaire de situer le programme. Dans la foule de cette
explicitation notionnelle, la deuxime partie traite spcifiquement de la comptence
Manifester une comprhension du phnomne religieux et de ses coordonnes essentielles.
Dans la troisime partie, on semploie dgager les tenants et aboutissants de la pdagogie
culturelle qui sous-tend le programme. Cest labc, pourrait-on dire.
1. Les concepts cls
Trois concepts cls doivent ici tre brivement tablis : la culture , le phnomne
religieux et la culture religieuse.
1 Ministre de lducation, du Loisir et du Sport, Ethique et culture religieuse. Primaire et thique et culturereligieuse. Secondaire, Versions approuves et rvises sur le plan linguistique, dates du 27 aot 2007 etdisponibles sur le site du Ministre. Dornavant : CRP et CRS.2 Ministre de lducation, du Loisir et du Sport, Programme de formation de lcole qubcoise. Enseignementsecondaire. Premier cycle, Qubec, 2003, p. 7.3 Ministre de lducation, du Loisir et du Sport, Programme de formation de lcole qubcoise. ducationprscolaire. Enseignement primaire, Qubec, 2001, p. 4.4 Ministre de lducation, du Loisir et du Sport, La formation lenseignement. Les orientations, Lescomptences professionnelles, Qubec, 2001, p. 33ss.
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La culture
Le programme thique et culture religieuse ne propose pas de dfinition de la culture. Unetelle dfinition y est comme implicite, voire pralable, et reprend lessentiel des dfinitions les
plus couramment pratiques.5
5 titre dexemples parmi des dizaines et en plus des dfinitions proposes par les dictionnaires dusage gnral,on peut citer les suivantes, dont certaines ont beaucoup circul dans les milieux qubcois de formation :lensemble des traits distinctifs, spirituels et matriels, intellectuels et affectifs, qui caractrisent une socitou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de ltrehumain, les systmes de valeurs, les traditions et les croyances. (UNESCO, Dclaration de Mexico sur lespolitiques culturelles, 1982); un ensemble li de manires de penser, de sentir et dagir plus ou moinsformalises qui, tant apprises et partages par une pluralit de personnes, servent, dune manire la fois
objective et symbolique, constituer ces personnes en une collectivit particulire et distincte (Guy ROCHER,Introduction la sociologie gnrale, Montral, HMH, 1969, tome I, p. 102); lensemble des manires devivre et de penser, des institutions, des techniques, des reprsentations collectives, des croyances et des valeursqui caractrisent une socit donne (Jacques GRANDMAISON, Vers un nouveau pouvoir?, Montral, HMH,1970, p. 187); lensemble des modles affectifs, intellectuels et idologiques-, institutionnels, dans lesquelsles individus dun groupe donn vivent et conoivent leurs relations avec le monde, avec les autres individus etavec eux-mmes. Ces modles donnent signification lexistence, aux activits de tous ordres, aux relationsentre les hommes (Pierre ANGERS, Relations, n. 351, 1970, p. 187); un ensemble trs complexe dereprsentations organises par un code de relations et de valeurs : traditions, religion, lois, politique, thique,arts, tout cela dont lhomme, o quil naisse, sera imprgn dans sa conscience la plus profonde et qui dirigerason comportement dans toutes les formes de son activit, quest-ce donc sinon un univers de symboles intgrsen une structure spcifique et que le langage manifeste et transmet? (mile BENVENISTE, Problmes delinguistique gnrale, Paris, Gallimard, 1966, p. 30); un vaste appareil, pour une part matriel, pour une parthumain, et pour une autre encore spirituel, qui permet lhomme daffronter les problmes concrets qui se
posent lui (Bronislaw MALINOWSKI, Une thorie scientifique de la culture, Paris, Maspero, 1968, p. 35-36);Plus encore que lcran de rfrences utilis par lindividu pour encadrer ses perceptions, elle (la culture) est leproduit essentiel et cumulatif de son activit, elle est la trace permanente des facteurs dvolution, mais elle estaussi la possibilit daction sur la socit par lintermdiaire du cycle culturel (Abraham MOLES,Sociodynamique de la culture, Paris, Mouton, 1971, p. 310); La culture ne consiste pas exclusivement enformes de communication qui lui appartiennent en propre (comme le langage), mais aussi et peut-tre surtout-en rgles applicables toutes sortes de jeux de communication (Claude LEVI-STRAUSS, Anthropologiestructurale, Paris, Plon. 1958, p. 326-327); Le mot culture prend souvent un sens sociologique et mmeethnologique. En ce sens, on parle de la pluralit des cultures. Car des styles de vie divers et des chelles devaleurs diffrentes trouvent leur source dans la faon particulire que lon a de se servir des choses, de travailler,de sexprimer, de pratiquer sa religion, de se conduire, de lgifrer, dtablir des institutions juridiques,denrichir les sciences et les arts et de cultiver le beau. Ainsi, partir des usages hrits, se forme un patrimoinepropre chaque communaut humaine (Concile Vatican II, Constitution Gaudium et Spes, 1965, n 53); Laculture est ce dans quoi lhomme est un tre historique et ce par quoi son histoire tche davoir un sens
(Fernand DUMONT, Le lieu de lhomme. La culture comme distance et mmoire, Montral, HMH, 1968, p.189). Prsentant lapproche culturelle de lenseignement quil prconise, le document ministriel dj cit (Laformation lenseignement, p. 33ss) fait grand tat de la distinction enseigne par Dumont entre culturepremire et culture seconde. De manire un peu tonnante, cependant, il lapplique uniquement au sensobjectif du concept de culture. La thorie de Dumont inviterait la retrouver aussi et peut-tre mmedavantage- dans le sens subjectif du concept, dans la mesure o ce sont les individus et les groupes qui sontappels vivre ce passage -cette migration , selon le mot des mmoires posthumes- partir de leur culturepremire. La distinction entre culture premire et culture seconde renvoie un angle de lecture diffrent decelui qui sous-tend la distinction entre sens objectif et sens subjectif de la culture . Dans lune et lautre desacceptions objective et subjective, en effet, on peut considrer un niveau premier, du milieu de vie- et un niveausecond celui, distanci et savant, des rfrences celui, spontan et construites et institutionnalises.
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En fait, deux contenus smantiques sont viss et renvoient constamment lun lautre.
De porte objective, le premier voit dans la culture le complexe ensemble que constituent les
manires de sentir, de penser et de sexprimer, partages par un ensemble plus ou moins
considrable dindividus et qui marquent, ds lors, leur appartenance au groupe. Cet ensemblecomprend pratiquement tout ce qui peut caractriser un groupe et qui se traduit dans toutes
sortes de sphres dactivit et dexpression : les croyances, les traditions, les institutions, les
coutumes, les arts, etc. Cest l un sens souvent appel anthropologique . On nen fera pas
pour autant un tout chosifi ou essentialis , comme sil sagissait dun corpus qui ne
serait pas lui-mme un milieu dynamique et matriciel, sans cesse travaill et propuls par de
nouveaux dfis de configuration et dassemblage. On qualifie ce sens d anthropologique ,
parce quil recouvre lensemble de la vie en socit et offre des repres suffisamment camps
pour quon puisse, par exemple, parler de culture franaise , amricaine , chinoise ou qubcoise ou, selon certains clivages plus horizontaux, de culture jeune ,
militaire , universitaire , gothique ou autre. Dans un sens plus restreint et plus
spcifique, le mot culture est aussi employ pour dsigner, lintrieur de cette vaste
acception anthropologique, ce qui a trait lexpression artistique proprement dite la
littrature, le thtre, le cinma, la peinture, larchitecture, etc. Cest le sens qui correspond
la mission de la plupart des ministres de la culture ou du patrimoine ,
traditionnellement intresss aux affaires culturelles . Le programme qubcois La
culture lcole et le Protocole ducation-Culture qui lencadre se situent ce niveau
smantique. Le sens anthropologique large correspondrait davantage ce qui, la fin des
annes 1970, tait couvert par le Ministre dtat au dveloppement culturel .
Lautre signification du mot culture est dite subjective. Elle dsigne une comptence
personnelle acquise et dveloppe, une sorte de conqute gnralement estime comme
positive et louable : on parle dune personne cultive, cest--dire ayant des connaissances,
mais ayant aussi la capacit de situer les choses et den comprendre lmergence et le
fonctionnement. Cette culture peut tre porte gnrale : la culture gnrale suppose un
ensemble de connaissances concernant plusieurs dimensions de lactivit humaine. Elle peut
aussi tre de porte plus sectorielle : il y a telle chose quune culture littraire, scientifique,
cinmatographique, historique ou autre -religieuse, en loccurence. Des personnes
dveloppent ainsi, dans un domaine qui correspond un sous-ensemble de la culture
objectivement considre, une comptence o se conjuguent connaissances et capacit de
comprhension.
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De lune lautre de ces deux grandes acceptions, on note dincessants chasss-croiss; tre
cultiv , en effet, exige que lon soit capable de dcoder et de comprendre les signes et les
expressions de la culture objectivement considre. Le programme thique et culture
religieuse comporte un tel va-et-vient, qui touche tantt la culture de la personne, tantt sonobjet essentiel, la culture.
Le phnomne religieux
Le phnomne religieux est un concept central pour la comprhension du propos du
programme thique et culture religieuse : il sert dcrire lobjet mme de la comptence
relative la culture religieuse. Son explicitation est dautant plus ncessaire que, tout comme
les programmes confessionnels actuels, le programme thique et culture religieuse nepropose pas de dfinition de la religion. Trait paradoxal en apparence seulement, car
entreprendre de dfinir formellement la religion, cest facilement sengager dans un maquis,
moins dadopter carrment une approche thologique ou philosophique particulire ce que
ne peut videmment pas faire le nouveau programme. Les innombrables dfinitions de la
religion qui sont disponibles comportent invitablement des assises et une lecture qui relvent
tantt dune croyance particulire, tantt dune thorie, explicite ou implicite, sur la nature de
la religion. Et, cet gard, mme les grilles phnomnologiques ou religiologiques, qui se
veulent neutres par ailleurs, comportent des thses implicites qui exigent, tt ou tard,
dfinition et justification.
Lapproche culturelle prconise par le programme thique et culture religieuse a plutt
conduit emprunter une voie indirecte et cerner, lintrieur du vaste ensemble que
constitue la culture objectivement considre, une sorte de sous-ensemble constitu
dlments observables des croyances, des textes, des enseignements, des symboles, des
figures, des rites, des ftes, des rgles de conduite, des institutions, des valeurs, des lieux de
culte, des modes dorganisation, des personnages marquants, des oeuvres dart, des pratiques
alimentaires et vestimentaires, des noms de rues, etc.6- qui, des degrs divers, traduisent une
certaine vision du monde, affirment un certain sens de la destine humaine, promeuvent une
6 Voir les numrations dans CRP et CRS, p. 9 et 36. Les programmes confessionnels actuels comportent desemblables numrations : rcits, rites, symboles, lments littraires, artistiques, architecturaux, oeuvres,difices, objets de culte, toponymie, langage, etc. (Enseignement moral et religieux catholique, p. 298, 531, 535,547); pratiques, signes visibles, ftes, symboles, personnages fondateurs, rites et coutumes, expressionslangagires et artistiques, ftes, personnages marquants, pratiques alimentaires et vestimentaires, etc.(Enseignement moral et religieux protestant, p. 310, 314, 319, 553, 560, 561, 565).
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certaine faon de vivre et comportent frquemment, mais pas ncessairement, une rfrence,
voire une relation personnelle, un ou des tres transcendants. Ce sous-ensemble, lui-mme
trs vaste, est considr comme religieux moins par conformit quelque dfinition
pralable que rput tel , soit parce quil rfre explicitement une religion institue etreconnue comme telle un cas clair, qui est largement dominant dans le programme thique
et culture religieuse , soit parce que ses adeptes le dfinissent comme tel le cas nest pas
rare, y compris chez les groupes mergents, soit parce que le discours public ou mdiatique
le dsigne comme tel de commune renomme , soit parce quil est analys comme tel par
reprage expert thologique ou religiologique, et sans quon demande ncessairement alors
la permission des premiers intresss. Le phnomne religieux constitue donc un
important pan dexpressions culturelles, circonscrit ici de manire pour ainsi dire empirique et
sans contenu totalement dfini a priori.Ce sous-ensemble de la culture est appel phnomne , non pas parce quil serait , bizarre
ou rare, mais parce que, visible et observable7, il est ce qui apparat et que lon considre
comme tel. Le programme utilise parfois comme synonymes : le religieux 8, le champ
religieux 9 ou, plus souvent, les signes 10 ou les expressions du religieux 11. Ce
phnomne est inscrit et volue dans le temps et lespace 12 : il merge dans divers
univers socioculturels 13, quil influence aussi lui-mme; il produit et inspire des traditions; il
forme des hritages et des patrimoines, qui sdimentent eux-mmes dans lensemble de la
culture, y exerant souvent des influences directes sur les valeurs et les modles sociaux aussi
bien que sur le langage ou sur larchitecture, y laissant parfois des vestiges et des traces bien
au-del des adhsions croyantes de la collectivit. Cest un phnomne qui comporte ainsi de
nombreuses dimensions, que le programme thique et culture religieuse, deux fois plutt
quune, prend le soin dnumrer : les dimensions exprientielle, historique, doctrinale,
morale, rituelle, littraire, artistique, sociale, politique 14. La seule dfinition contenue dans
le programme, celle d expression du religieux , rfre justement ces dimensions :
7 Tangible , comme dit le Programme denseignement moral et religieux protestant(p. 560), qui, lui aussi,traite du phnomne religieux (p. 310, 319, 553, 561), linstar du Programme denseignement moral etreligieux catholique (p. 531-535).8 CRP et CRS, p. 6.9 CRP et CRS, p. 6.10 Par exemple, CRP et CRS, p. 6.11 Par exemple, CRP, p. 36, et CRS, p. 35.12 CRP et CRS, p. 6.13 CRP et CRS, p. 9.14 CRP, p. 9 et 36, et CRS, p. 9 et 35.
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lment appartenant une ou plusieurs dimensions dune religion 15. Le nouveau programme
place donc demble le phnomne religieux lenseigne des signes culturels observables
et cest par eux quil propose de remonter jusqu ses diverses dimensions, lexprientielle, la
doctrinale et les autres.
1.3 La culture religieuse
La culture religieuse , cet autre concept cl pour lintelligence du programme thique et
culture religieuse, renvoie, pour sa part, une dfinition qui est explicite dans le programme
lui-mme. Il sagit clairement dune comptence acqurir, faite de connaissances et de
capacit de comprhension, ce qui nous situe demble dans lacception subjective de la
culture. Il sagit de dvelopper chez les lves une comprhension claire des multiplesexpressions du religieux 16, une capacit de saisir le champ religieux dans ses diverses
expressions 17, une comprhension des signes dans lesquels sexprime lexprience
religieuse 18, une comprhension des principaux lments constitutifs des religions 19, une
capacit dassocier ces expressions leur religion respective et de percevoir les liens
quelles peuvent avoir avec divers lments de lenvironnement social et culturel 20. Llve
est ainsi amen dcouvrir la signification de diffrentes expressions du religieux 21 et
en saisir la complexit 22. On vise former des personnes cultives en matire
religieuse.
Conformment la dynamique smantique interne du concept de culture, qui renvoie toujours
son objet, autant le programme thique et culture religieuse dfinit la culture religieuse
comme une comptence, autant il en cerne lobjet propre, qui est le phnomne religieux tel
que dcrit plus haut -un sous-ensemble de la culture objectivement considre. Ce sera ds
lors une approche culturelle, parce quessentiellement ancre dans le dcodage des signes et
des expressions de la culture, celles qui sont rputes religieuses, bien sr, mais sans les isoler
de lensemble de la culture et des contextes socioculturels. Lapproche sera galement
culturelle en ce que lobjet religieux sera considr dans un espace que dfinit aussi le
15 CRP, p. 58, et CRS, p. 54.16 CRP et CRS, p. 6.17 CRP et CRS, p. 6.18 CRP et CRS, p. 6.19 CRP et CRS, p. 9.20 CRP, p. 36, et CRS, p. 35.21 CRP, p. 36, et CRS, p. 35.22 CRP, p. 36, et CRS, p. 35.
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programme thique et culture religieuse: cest la culture qubcoise qui y sera nettement
privilgie. Sans exclusive, cependant, et dans la perspective douverture et de libre
circulation qui caractrise cette culture mme. Le programme annonce donc clairement
lintrt particulier et prioritaire quil accorde aux expressions du religieux prsentes dans laculture qubcoise et dans le monde 23, l environnement social et culturel dici et
dailleurs 24, lexprience des individus et des groupes qui contribuent faonner la
socit 25. La stratgie pdagogique est nette : un regard privilgi est port sur le
patrimoine religieux de notre socit 26.
Ainsi, lapproche est culturelle, la fois parce quelle a les signes culturels pour objets et
parce quelle sintresse prioritairement la culture qubcoise. Ces traits, particulirement le
second, sont dune importance majeure et peuvent, bon droit, tre considrs comme la
principale base de lgitimation de la prescription relative limportance accorder auxdiverses religions et la prpondrance quon entend donner au catholicisme et au
protestantisme, puis au judasme et aux spiritualits des peuples autochtones, puis dautres
religions dimplantation plus rcente au Qubec. Cest aussi la plus solide base de
justification du caractre obligatoire du programme, lappropriation de la culture qubcoise
ne pouvant videmment pas constituer un objectif pdagogique facultatif.
Cette approche culturelle, le programme en pousse plus avant les implications en faisant de la
pluralit une dimension essentielle de la culture religieuse. Dj exige par linitiation une
culture qubcoise elle-mme plurielle, cette diversit fait partie de la comptence poursuivie.
Le programme est explicite : il vise la comprhension des multiples expressions du religieux
27, de diffrentes expressions du religieux 28, et propose lexamen dune diversit de
faons de penser, dtre et dagir issues de diffrents univers, religieux ou autres 29. Le motif
en est galement net : on ne propose pas llve un univers particulier de croyances et de
repres moraux 30. Dj exclue des vises des programmes confessionnels actuels, la religion
unique constituerait un objet inappropri pour lacquisition dune culture religieuse en prise
avec la socit qubcoise actuelle.
23 CRP et CRS, p. 6.24 CRP, p. 36, et CRS, p. 35.25 CRP et CRS, p. 6.26 CRP et CRS, p. 9.27 CRP et CRS, p. 6.28 CRP, p. 36, et CRS, p. 35.29 CRP, p. 36, et CRS, p. 35.30 CRP et CRS, p. 6.
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Pour le programme thique et culture religieuse, la culture religieuse est donc dfinie comme
une comptence acqurir, partir dun objet spcifique et pluriel les expressions du
religieux-, en lien avec lensemble de la ralit socioculturelle et en rfrence un espace
galement spcifique la socit qubcoise, ouverte sur le monde. Ce faisceau smantiqueest constant et systmatiquement repris l o le programme traite de culture religieuse et
jusque dans la prsentation dtaille de la comptence Manifester une comprhension du
phnomne religieux.
2. La comptenceManifester une comprhension du phnomne religieux
Les textes de prsentation gnrale du programme campent clairement le dcor, on la vu, et
dfinissent la nature et lobjet du volet culture religieuse du programme thique et culturereligieuse. Lexamen de ce qui est dit de la comptence elle-mme permet dexpliciter la
nature de cette vise spcifique du programme, son objet, ses tches essentielles, ses vecteurs,
ses composantes.
Plac sous le signe de la comprhension , le programme propose clairement une vise
proprement cognitive. Comprendre, cest plus que reprer, identifier, noter, observer,
collectionner, empiler ou cataloguer; cest aussi autre chose quexpliquer, dconstruire,
lgitimer ou refuser; cest mme aller plus avant que la seule capacit de vibrer aux mmes
motions. Max Weber lavait dj illustr, bien au-del de toute vise romantique :
comprendre, cest saisir les significations et les relations significatives, cest rejoindre le sens
des phnomnes, cest dvoiler quelque chose de lexprience personnelle et collective qui
sexprime et se traduit dans les signes, avec la conscience que sy projette invitablement l
ombre du sujet qui essaie de comprendre. Il est bien difficile, en effet, de percevoir la joie si
on ne sest jamais soi-mme rjoui de rien, ou la peur, si daventure on na jamais eu peur de
rien ni de personne. Comprendre, ce nest pas un acte sec, froid ou distant; mais ce nest pas
davantage un acte humide , chaud ou motivement envahissant . La comprhension
que vise le programme thique et culture religieuse renvoie essentiellement la saisie des
significations. Cest une tche dintelligence.
On soccupera donc des signes et des expressions du religieux. Non pas dabord des doctrines,
des systmes, des volutions historiques, encore moins des thories sur la religion. Ces
signes, on semploiera en expliciter le sens, cest--dire saisir ce quils veulent dire pour
les croyants eux-mmes et ce que les croyants veulent dire en les projetant visiblement. Dun
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rite funraire, par exemple, on ne sarrtera pas ses allures de spectacle : ce qui importe,
cest ce quon veut y traduire en vivant le deuil de telle ou telle manire et en traitant les
morts de telle ou telle manire. Les rites joyeux appellent le mme dchiffrement : de quoi et
pourquoi les croyants se rjouissent-ils? Quant aux plerinages, ils sont manifestement autrechose que du kilomtrage ou de la fte foraine: Compostelle, La Mecque et la Khumbh Mela
disent des choses diffrentes travers des dplacements et des rassemblements aux
indniables analogies.
Cette recherche du sens, on devra apprendre la distinguer de cette qute de sens et de
cette qute didentit dont les programmes confessionnels actuels ont fait leur stratgie
pdagogique de base, soucieux quils sont de proposer leur rponse religieuse particulire
des questionnements quils semploient systmatiquement nourrir. La qute de sens
dont le programme thique et culture religieuse fait une de ses tches essentielles, ce nestpas la qute de sens vcue par les lves et quon sappliquerait veiller, stimuler ou
accompagner. Cest la qute du sens des signes et des expressions du religieux. On peut
videmment penser que, linstar dautres matires denseignement la littrature, lart,
lhistoire, etc. , le programme thique et culture religieuse pourra fournir des occasions de
cheminement personnel. On peut mme le souhaiter, tout comme on le souhaite des autres
enseignements. Mais ce ne sera ni plus ni moins que cela. Contrairement aux programmes
confessionnels actuels, surtout le programme catholique, la qute de sens des lves nest
plus lobjectif formellement vis. Cest sans doute mme l un des aspects majeurs du virage
pdagogique exig denseignantes et denseignants dornavant clairement sortis du champ de
la formation religieuse ou de quelque autre perspective dadhsion. On demeurera quand
mme demble dans le champ du sens, mais ce sera celui des signes et des expressions du
religieux. Ce sera celui du dpliage progressif des diverses dimensions du religieux. Il y a
l une qute riche et quasi inpuisable, un passionnant jeu de piste sur les sentiers du champ
religieux.
Ce champ religieux, on la soulign, cest dabord celui de lespace qubcois, de son
patrimoine, de sa configuration socioreligieuse, auquel il sagit maintenant de sensibiliser
lensemble des lves, quelles que soient leurs origines et leurs appartenances religieuses. Ce
sera une sensibilisation la pluralit, celle-l mme qui, avec des insistances diverses,
caractrise notre socit et la relie lensemble de la plante, elle-mme rendue
quotidiennement prsente dans les foyers. Cette diversit, le programme thique et culture
religieuse en fait mme un vecteur de la comprhension recherche : manifester une
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comprhension du phnomne religieux, cest aussi saisir cette diversit mme et tre capable
de sy situer. Cest vrai pour la diversit des traditions religieuses observes. Cest vrai pour
la diversit des courants qui se manifestent lintrieur des traditions religieuses elles-mmes.
Cest galement vrai pour ces autres reprsentations du monde et de la vie humaine, desreprsentations non religieuses, souvent dsignes comme sculires , dont la
comprhension est indissociable de la comprhension du phnomne religieux. Cest quil y a
bien, aux niveaux mmes o se situe le religieux ceux du sens de la vie et de la destine
humaine , des discours et des reprsentations qui empruntent dautres voies que le religieux,
parfois mme en sen loignant ou en sy opposant. Le programme thique et culture
religieuse ne propose pas den faire un objet denseignement parallle; il invite plutt
inclure, dans la comprhension du phnomne religieux, une bonne saisie de ces perspectives
autres , une saisie quil prsente comme ncessaire au dveloppement de la comptencevise. Le dchiffrement du religieux inclut cela, comme en creux ou en contrepartie.
Les trois composantes de la comptence traduisent loquemment lensemble des traits que
lon a ici dcrits : dcoder, relier, situer, pourrait-on dire pour traduire librement les libells
du programme. Dcoder, cest--dire reprer, explorer et analyser les expressions du religieux
: cela campe nettement lobjet et la tche de la comptence, qui est dinterprter des signes.
Relier, cest--dire rattacher les signes aux diverses traditions et aux environnements
socioculturels dans lesquels ils surgissent et voluent: telle est bien la ncessaire porte de la
dmarche de dcodage. Situer, cest--dire replacer par rapport la diversit interne aux
traditions elles-mmes, par rapport aux autres traditions religieuses et par rapport aux autres
reprsentations sculires du monde et de la vie humaine : telle est aussi la porte
dune culture religieuse qui inclut ncessairement lintelligence de la diversit.
Lensemble de ces caractristiques de la comptence Manifester une comprhension du
phnomne religieux dcoupent et balisent ainsi un espace pour une pdagogie culturelle ,
dont il importe aussi dexpliciter la teneur, le potentiel et les dfis.
3. Une pdagogie culturelle
La mise en oeuvre de lacquisition de la comptence Manifester une comprhension du
phnomne religieux appelle une pdagogie dont les traits majeurs sont pour ainsi dire inscrits
dans ses objets et ses vises et commands par eux. Quelques-uns de ces traits doivent tre
souligns et explicits.
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Ce sera dabord une dmarche progressive, cest--dire une dmarche qui, autour dune
comptence unique la mme pour tous les cycles denseignement du primaire et du
secondaire-, devra se dcliner au cours des annes selon des couches successives
dapprofondissement. Il peut sembler lapalissade de le dire, mais on doit souligner que, desdiverses dimensions du phnomne religieux, certaines sont mieux adaptes certains ges et
certaines tapes qu dautres : on nentranera videmment pas de jeunes enfants du
primaire dans les ddales de lanalyse politique du champ religieux. La pdagogie est aussi et
toujours affaire de rythme. Limportant est de pratiquer des approches et des explorations qui
demeurent ouvertes de plus amples dpliages : lart de laisser lavenir ouvert, sans
anticipation indue.
Ce sera aussi une approche concrte, centre sur les expressions et sur les signes, et non sur
les syntaxes et les doctrines. Concrte mais inpuisable, comme le sont tout symbole et toutrcit un peu porteurs. Lunivers des signes et des symboles, on le sait, comporte un norme
potentiel dinterpellation et dapprofondissement, particulirement ces symboles dont le
propre est justement dvoquer davantage que leur signification premire et immdiate. Cela,
mme les jeunes enfants le peroivent, qui comprennent souvent spontanment les
diverses couches smantiques de symboles fondamentaux comme leau, le feu, le vent, la
maison, les gestes daccueil, etc. Leau, la fois source de vie et de fracheur, substance
dsaltrante et nettoyante, mais aussi lment menaant qui peut tuer et submerger : les
enfants ne sont-ils pas eux-mmes ns dans leau , et plus rcemment que moins ? Les
rseaux smantiques o se meuvent la plupart des grands rcits religieux nexigent pas quon
senlise dans daventureuses entreprises de dmythologisation . Laisser oprer librement le
poids de rverie des mots et des images vaut parfois mille images et combien plus de mots
encore. Les symboles ne sont pas de plats signaux porte univoque. Ils sont, tout au
contraire, des porteurs essentiellement polysmiques; cest pour cela que, selon le mot de Paul
Ricoeur, ils donnent penser et quils ont une efficacit qui tient leur pouvoir mme de
signifier.
Lapproche culturelle exige ds lors une pdagogie qui, dans son entreprise de dcodage et
dexplicitation du sens, ne craindra pas de viser lessentiel; de manire adapte lge des
lves, assurment, mais bien lessentiel, ce sans quoi on ne pointerait pas les significations
les plus porteuses et les plus vraies. Lexploration de la fte chrtienne de Pques, par
exemple, accordera la place qui leur revient aux lments festifs observs, y compris les plus
faciles les oeufs, le lapin, leau du ruisseau, la premire lune du printemps, etc. Mais la
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dmarche de comprhension devra bien, tt ou tard, aller au centre des mystres clbrs,
quelque chose qui, dans ce cas, ressemble au Calvaire et au tombeau, et qui voque la
dramatique de la mort et de la vie, de lexil et de la dlivrance, de la commmoration et de
lactualisation dun geste central de salut qui sous-tend lexclamation chrtienne Christ estressuscit ! Et la Pque juive, la chrtienne sy greffant dailleurs troitement, comment en
btir la comprhension sans aller, par-del le rituel observ, jusqu quelque chose qui voque
la sortie dgypte et le passage de la Mer rouge, la grande geste du salut et de lAlliance ? Et
la solennelle prire musulmane qui ouvre le Coran, comment en permettre la comprhension
sans voquer, par-del les prosternations observes la mosque ou ailleurs, quelque chose de
laffirmation, en Islam, de labsolue transcendance divine ? Et le baptme chrtien, par-del et
travers leau verse, le vtement blanc, le cierge allum, comment en comprendre quelque
chose dessentiel sans quelque perce sur le mystre de la mort et de la vie et sur laccueil dela communaut ecclsiale ? Et la circoncision, comment en avoir quelque comprhension sans
considration ventuelle dAbraham, pre des croyants et signataire de lAlliance?
Les tches dinterprtation inhrentes une pdagogie culturelle du phnomne religieux, on
le devine, sont complexes, et ce nest ni du premier coup, ni au premier cycle du primaire
quon ira dans les zones les plus profondes du sens. Mais on ne saurait sexempter de mettre
les lves sur les bonnes pistes et de prparer les explorations subsquentes. Il faudra,
pour cela, viter les cueils et les piges que sont le recours linsolite et lsotrique, au
bizarre prfrablement loign et souvent dform, qui peut tre distrayant mme sil
pogne auprs des lves. On se mfiera tout autant de laccessoire : non, Pques nest pas
quaffaire doeufs peints ou de chocolat; ou Nol, affaire de cadeaux et de sapins dcors; ou
le Ramadhan, affaire de rassemblements nocturnes; ou lEucharistie, affaire de bon repas
entre amis, etc. Et que dire de la surcharge ? Il y a sans doute de bonnes raisons de se rjouir
que certains reprochent au programme thique et culture religieuse de comporter de trop
nombreux lments de connaissance un beau reproche, tout compte fait! Mais simpose
assurment la ncessit de choisir parmi les contenus possibles, la modration, ici comme
ailleurs, ayant bien meilleur got. Il faut surtout viter les assimilations rapides et les
amalgames douteux, qui sont gnralement source de confusion ou de contresens.
Le programme thique et culture religieuse est gnreux dans lventail des possibilits
explorer. Mais on doit comprendre que cest pour faciliter ladaptation aux environnements
des divers groupes denfants et non pour favoriser quelque talage kalidoscopique. En toute
hypothse, cependant, on imagine bien que le pire ennemi dune approche culturelle centre
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sur linterprtation des signes serait de mettre les lves sur de fausses pistes et de faire
alors le contraire de ce que lon vise. Ainsi, proposer de trouver ltoile des Mages dans
quelque encyclopdie dastronomie, ou didentifier la montagne o se serait choue larche
de No, ou chercher comment une rsurrection gnrale des morts peut tre compatible avecles pratiques dincinration, ou tudier les rcits de cration la manire de thories
scientifiques ou en se demandant comment les fils dAdam et dve ont bien pu engendrer,
etc. : autant de pistes dont lnonc seul fait apparatre le caractre inappropri. Il faut les
mentionner, cependant, non pas parce quon serait tent de sy mouvoir, mais parce que cela
fait ressortir, comme a contrario, la ncessit de frquenter les bonnes voies dinterprtation.
Cette pdagogie est exigeante et suppose un bon bagage de connaissances matrises, ainsi
que le besoin en a t maintes fois exprim et quoi semploient les oprations de formation,
sans vritable prcdent, actuellement dployes sur lensemble du territoire. Il nen faut pasmoins rappeler que le programme thique et culture religieuse ninnove pas en tous points en
matire de pdagogie culturelle. En effet, les programmes actuels denseignement moral et
denseignement moral et religieux catholique et protestant font tous une place importante ce
quils appellent les repres culturels et, avec des accents qui diffrent selon les
programmes, la diversit . On observe mme quun nombre lev dlments de contenus
des programmes actuels, tant en ce qui touche la rfrence aux signes culturels quen ce qui a
trait la diversit des traditions religieuses, sont repris presque tels quels dans le nouveau
programme. On ne peut donc pas prtendre que le programme thique et culture religieuse
plonge le personnel enseignant dans une nouveaut laquelle il ne serait absolument pas prt.
Oui, il y aura un changement de cap majeur, mais cest essentiellement celui qui sollicite la
posture professionnelle, appele quitter les approches de type confessionnel pour adopter
lapproche culturelle quon a dcrite ici. Quant aux expressions du religieux et leur
diversit, la pratique des programmes confessionnels actuels peut tre considre comme
ayant dj bti dimportants acquis31.
On comprendra aussi que personne ne demande aux enseignantes et aux enseignants de se
lancer tout de go dans la panoplie complte des contenus du programme. Ils le voudraient,
dailleurs, quils nauraient mme pas le temps dy recourir en classe et ce serait trop, de
toute faon. On doit plutt souhaiter quils aient la sagesse dentrer progressivement dans les
31 Jai dvelopp ailleurs cette comparaison. Voir : Le programme thique et culture religieuse : lmentsdanalyse praxologique, dans Jean-Pierre BLAND et Pierre LEBUIS (dir.), Les dfis de la formation lthique et la culture religieuse, Qubec, PUL, paratre.
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contenus du programme, en tenant compte des besoins prioritaires de leurs environnements et
en tant attentifs leur propre confort pdagogique, lequel tient gnralement ce quon
enseigne dabord ce que lon sait ! Si une application progressive du programme a du sens,
cest celui-l. Et videmment pas celui dimaginer que lon puisse adopter progressivementlapproche culturelle qui sera dornavant la norme professionnelle et thique.
Sagissant de cette posture professionnelle, il est intressant de noter que ladoption de cette
pdagogie culturelle marque, pour le programme thique et culture religieuse, une entre de
plain-pied dans les perspectives gnrales des comptences attendues de tous les enseignants
du Qubec. Agir en tant que professionnelle ou professionnel hritier, critique et interprte
dobjets de savoirs ou de culture dans lexercice de ses fonctions 32, nonce la premire
comptence mise de lavant pour la formation lenseignement. Avec une smantique qui
sapparente troitement la typologie du programme thique et culture religieuse,lexplicitation des composantes et des niveaux de matrise attendus de cette premire
comptence nest pas en reste, qui parle de points de repre , de distance critique , de la
classe comme lieu culturel ouvert la pluralit , de regard critique sur ses propres
origines, et qui souligne la ncessit de comprendre les savoirs enseigns, de manifester
une comprhension critique de son cheminement culturel et des savoirs enseigner , de
construire des liens avec la culture des lves 33. La cohrence des perspectives apparat
ici lvidence. Comme celles et ceux de lensemble des disciplines, les matres en thique et
culture religieuse seront considrs comme des passeurs culturels, sans mandat
confessionnel spcial.
Le programme thique et culture religieuse marque galement une entre de plain-pied dans
lensemble du Programme de formation de lcole qubcoise qui, pour le premier cycle de
lenseignement secondaire, propose des formulations tout--fait convergentes par rapport
celles du programme thique et culture religieuse :
Dans le cadre du prsent programme, enseigner dans une perspective culturelle
consiste, notamment, exploiter des repres culturels pour amener llve
comprendre le monde et lui faire dcouvrir chaque discipline comme porteuse de sens,
tant par son histoire que par les questionnements particuliers quelle suscite. Cest
galement amener llve tablir un plus grand nombre de liens entre les divers
phnomnes scientifiques, sociaux, artistiques, moraux et conomiques, et se situer
32 La formation lenseignement. Les orientations. Les comptences professionnelles, p. 137.33 Ibid.
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par rapport eux. La dmarche culturelle lamne ainsi poser un regard critique,
thique et esthtique sur le monde.34
On vise la mme convergence au primaire :
lcole met llve en contact avec les croyances, les valeurs et les savoirscontemporains de manire aussi bien implicite quexplicite. Les apprentissages qui sy
ralisent ont donc invitablement un caractre actuel, tant dans leur forme que dans
leur contenu, mais ils auront dautant plus de sens et de profondeur que leurs repres
culturels seront connus et quils seront situs dans une perspective historique.
Lcole a donc un rle actif jouer au regard de la culture, entendue comme le fruit de
lactivit de lintelligence humaine, non seulement dhier mais daujourdhui. cette
fin, elle doit offrir aux lves de nombreuses occasions de dcouvrir et dapprcier sesmanifestations dans les diverses sphres de lactivit humaine35
Une telle approche culturelle dcoupe delle-mme un important dfi pdagogique :
relativiser, mais sans relativisme. Le mot relativisme importe ici moins que la chose, qui
semble en inquiter certains, surtout chez les croyants les plus fermement dclars. Le
relativisme , en effet, dsigne un ventail assez large de positionnements philosophiques, la
plupart narrivant tout de mme que rarement soutenir vraiment que tout est relatif y
compris cette proposition mme! Dans son sens le plus commun, le relativisme rfre une
forme ou lautre dabsence de repres objectifs, indpendants, absolus . Les repres, car il
y en a toujours, bougeraient avec lobservateur, selon les angles et selon les circonstances. Au
bout du compte, tout se vaudrait, tout reviendrait au mme : belle voie de banalisation et
daplatissement! Il faut le dire avec fermet : ce nest pas du tout ce que promeut le
programme thique et culture religieuse. Non, tout ny est pas dans tout, tout ny revient pas
au mme , toutes les religions ny sont pas confondues. Les signes ny signifient pas
nimporte quoi, surtout pas ce que lobservateur aurait le got ou la fantaisie dy voir. Il y a
des repres, il y a des interprtations plus valables que dautres; ici comme toujours, cest
mme la diffrence qui permet de dire et de saisir le sens.
34 Programme de formation de lcole qubcoise. Enseignement secondaire. Premier cycle. Chap. 1. p. 7.On peut seulement souhaiter quune prochaine dition intgre la mention religieux parmi les phnomnesquon invite prendre en compte.35 Programme de formation de lcole qubcoise. ducation prscolaire. Enseignement primaire, p. 4.
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Tout au long des activits de dcodage des signes et de pratique de dialogue, llve exerce
son droit dtre ce quil est, daffirmer ses croyances, ses valeurs et ses convictions. Celles-ci
peuvent tre coutes, respectes, reconnues ; elles devraient mme intresser les autres.
Mais llve constate aussi quil nest pas seul. Il est sensibilis dautres perspectives, dautres croyances et dautres pratiques qui ont cours dans la socit qui est la sienne. Il
prend conscience que dautres peuvent avoir des croyances, des valeurs et des convictions
diffrentes des siennes, quil doit aussi apprendre couter, respecter, reconnatre . Il
prend ainsi invitablement une certaine distance par rapport son exprience, celle-l mme
que lcole a la mission de proposer. Cela, nen pas douter, relativise les choses, qui sont
ainsi situes dans la pluralit: le vivre-ensemble nest pas possible autrement. On doit le dire
en toute transparence : cette relativisation est explicitement vise par le programme thique
et culture religieuse et on ne doit surtout pas sen excuser ! Mais ce nest pas du relativismepdagogiquement inexcusable, celui-l!
On le voit, il y a un potentiel norme dans une telle pdagogique culturelle. Cest mme celui
sur lequel lensemble de lcole doit pouvoir tabler pour la ralisation de sa mission
dinstruire, de socialiser et de qualifier.
* * *
Systmatiquement centr sur le volet culture religieuse du programme, le prsent propos
ne doit pas faire oublier que la comptence Manifester une comprhension du phnomne
religieux sarticule deux autres comptences, lune concernant la rflexion sur des questions
thiques, lautre concernant lapratique du dialogue.
Il y aurait beaucoup dire, tant du point de vue pdagogique que sous langle des contenus
dapprentissage, sur les liens qui relient ces trois comptences, tout autant que sur les
diffrences de registre respecter. Des rapports entre culture religieuse et thique, on
retiendra tout le moins les croisements et inclusions rciproques observables dans la culture
elle-mme. On retiendra peut-tre surtout que la comptence en culture religieuse nest ni
moins cognitive ni plus pieuse que la dmarche en thique, les deux voluant dans un
espace, commun certains gards, de connaissance, de rflexion et de comprhension des
repres culturels. Des rapports entre culture religieuse et pratique du dialogue, on rappellera
dabord que le dialogue fournit un lieu de rencontre pour le dchiffrement des signes du
religieux et pour la comprhension de leur porte et de leur diversit : on apprend ensemble,
dans louverture et le respect, comprendre le phnomne religieux ce qui, faut-il le
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rappeler, na rien voir avec quelque entreprise de dialogue interreligieux . On soulignera
aussi limportance croissante de cette capacit de comprendre et den parler pour la
reconnaissance de lautre et pour la poursuite du bien commun , les deux finalits
ducatives du programme.Il faut le redire : le programme thique et culture religieuse ne se meut pas dans la neutralit.
Ce nest pas parce quil nest pas confessionnel quil naffirme ou ne confesse rien. Ce
que certains voudront peut-tre appeler son parti pris, cest celui-l mme qui sous-tend les
grandes valeurs dont il assume explicitement la promotion : louverture, le respect, le dialogue
dans les rapports sociaux; lgalit de tous quant aux droits fondamentaux inscrits dans nos
chartes; la lgitimit dune culture publique commune laquelle tous doivent tre initis. Et
puis, bien sr, par le seul fait de ltablissement de ce programme obligatoire, laffirmation de
limportance de lthique et de la culture religieuse dans le profil de formation renduaccessible par lcole de base. Cela ne constitue assurment pas une avance pour quelque
philosophie spiritualiste de la personne humaine, mais cela quivaut encore moins quelque
vision aplatie de la personne humaine et de la culture.
On aura compris que, conduite avec lintention de laisser parler le programme et den faire
merger la dynamique interne en matire de culture religieuse, la prsente analyse nen a pas
moins tous les traits dune dfense et illustration . Oui, cest aussi un plaidoyer.