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[ N°3 - 12 / 2005 ] L'Europe offre-t-elle une alternative à l'Amérique Latine ?

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L'Europe offre-t-elle une alternative à l'Amérique Latine ?

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Table des matières

Introduction

L'Europe, alternative pour l'Amérique Latine ? par Gérard Karlshausen

Partie I : Anatomie des relations entre l'Europe et l'Amérique latine

Entre bonnes intentions et réalités, par Christiane DaemCartographie d'une nouvelle stratégie, par Cecilia Olivet

Partie II : Commerce et investissements en priorité

La gestion de l'eau urbaine au Mexique, par David BarkinLes négociations internationales vues par le monde rural brésilien, par Germano Batista Rodrigues

Partie III : Une coopération au développement contestée

PRODESIS ou les faces contestées de la coopération européenne, par Aldo ZanchettaL'intégration en Amérique Centrale et le rôle de la coopération européenne : des apports pour le développement ? par Marta Ibero

Partie IV : Dialogue et droits humains

La clause démocratique est-elle une opportunité pour promouvoir les Droits humains ? par Maureen MeyerLes A.N.E. restent au bord du chemin, par Gérard Karlshausen

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Introduction

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Les relations entre l'Union européenne et l'Amériquelatine trouvent leurs racines dans la déjà très longue histoireque partagent les deux continents. Pourtant, alors que denombreux liens culturels, historiques, politiques, sociaux etéconomiques tissent la toile d'échanges qui ne furent pastoujours équitables, l'Europe ne semble guère considérerl'Amérique Latine autrement qu'en vaste champ de compéti-tion qu'elle doit ouvrir à ses acteurs économiques et finan-ciers. Compétition d'abord avec les Etats-Unis d'Amériquequi restent de loin le premier partenaire commercial desEtats situés au Sud du Rio Grande. Mais compétition aussiavec ces nouveaux venus que sont le Japon et la Chine, enlutte pour s'emparer de parts du gâteau.

Pourtant l'Union européenne pourrait proposer à l'AmériqueLatine des relations qui s'inspirent plus ouvertement desvaleurs qui la fondent et qu'elle proclamme sans relâche.D'autant plus que ces valeurs ont mûri en inspirant une inté-ressante expérience d'intégration, même si aujourd'huicelle-ci cherche clairement un nouveau souffle. C'est laquestion que traversent les deux premiers articles de cetouvrage : dans le premier Christiane Daem dresse un bilandes relations entre les deux continents et plaide assurémentpour un partenariat renouvelé. Et dans le second, CeciliaOlivet dessine une cartographie des accords qui parsèmentaujourd'hui les relations entre l'Union européenne etl'Amérique Latine. En soulignant combien la dimension com-merciale semble prédominer.

Car, depuis 1995, l"Europe a orienté très clairement ses prio-rités vers le commerce et l'investissement. Bien des gouver-nements latino-américains, même si en coulisse certainsaspirent à d'autres relations avec l'Union, ont choisi de jouerle jeu de la négociation sur ces terrains, dans l'espoir tant defaire contre-poids aux Etats-Unis que d'ouvrir plus largementles marchés européens aux productions de leurs secteursd'exportation.

De grands accords se sont ainsi tissés et se tissent encoreaujourd'hui entre l'Union européene, certaines régions, voirecertains pays d'Amérique Latine. Et même s'ils intègrent desdimensions de dialogue politique et de coopération au déve-loppement, ils apparaissent avant tout comme les vecteursde mesures visant à libéraliser toujours plus le commerce.

L'article de .J. Germano Batista illustre par le cas de l'agri-culture brésilienne, qui est aujourd'hui au centre des négo-ciations entre l'Europe et le Mercosur, combien les intérêtsdes populations ne s'y retouvent guère : l'agriculture familia-le, base de la souverainété alimentaire, pourvoyeuse d'em-

plois et indispensable à l'alimentation populaire est mena-cée. De son côté, David Barkin montre qu'au Mexique, dansun secteur aussi sensible que l'eau les entreprises multina-tionales, surtout européennes, mettent à profit les déficien-ces de la gestion publique pour s'emparer de servicesessentiels

Tous les deux ans, les chefs d'Etat et de Gouvernement desdeux continents se retrouvent pour faire le point. Et ils met-tent depuis peu en tête de leurs agendas le thème de la"cohésion sociale", tant les disparités entre riches et pauvress'exacerbent. Mais la "cohésion sociale" n'est-elle pas uneautre version de la "lutte contre la pauvreté" tant mise enavant en Afrique ? Et ces deux préoccupations de l'Union nesont-elles pas avant tout des paliatifs offerts aux populationsvictimes d'un modèle qui produit pauvreté et exclusion ?

Deux articles illustrent ainsi combien l'actuelle coopérationeuropéenne avec l'Amérique Latine ouvre des portes qui nesont pas nécessairement celles qui mènent à un dévelope-ment durable librement assumé par les populations concer-nées. Le premier, d'Aldo Zanchetta, décortique un cas conc-ret au Mexique, ses ambiguités et contradictions. Lesecond, de Marta Ibero, explique ce qui attend la coopéra-tion entre l'Union européenne et l'Amérique centrale, tou-jours plus au service d'un modèle d'intégration qui tableessentiellement sur l'économie et le commerce.

Une des richesses des relations qui se construisent entre lesdeux continents réside cependant dans une bonne dose dedialogue politique entre les acteurs ainsi qu'un partenariatassociant la société civile à la mise en oeuvre de l'ensembledes Droits humains. Les lacunes de ce dialogue apparais-sent cependant en decryptant les carences que présententles politiques de promotion des Droits Humains à-travers ladénommée "clause démocratique", analysée ci-après parMaureen. Meyer. Il en va de même pour les faiblesses d'undialogue encore trop souvent "cosmétique" avec les organi-sations issues de la société civile des deux continents. C'estle sujet du dernier article.

Les enjeux sont importants. La société civile tant européen-ne que latino-américaine en prend de plus en plus conscien-ce. Les liens existant entre universités, syndicats, ONGs,parlementaires... sont nombreux et ancrés dans de richesexpériences. Alors que le discours des institutions tendrait àaccréditer l'idée que la coopération n'est plus de mise et queseul, commerce et investissement vont favoriser un déve-loppement durable, de nombreuses associations appellent àune autre rencontre entre les deux continents. Une relationqui se construise sur les aspirations des peuples et un dia-logue qui ne mette pas en son centre les relations commer-ciales. Bref, les deux continents ont à retisser une nouvellehistoire commune et la richesse de leurs expériences, par-fois douloureuses, ouvrent des perspectives alléchantes.C'est pourquoi, le dernier article se clôt par une fenêtreouverte sur les initiatives que prennent aujourd'hui des orga-nisations des deux continents afin de proposer, plus de 500ans après une première rencontre manquée entre euro-péens et latino-américains, la construction de réseaux soli-daires et porteurs d'alternatives.

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Introduction

L'Europe, alternativepour l'Amérique Latine ?Gérard Karlshausen

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Partie I :Anatomie des relations entre

l'Europe et l'Amérique latine

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"" HHiissttoorriiqquueemmeenntt,, ll''AAmméérriiqquuee dduu SSuudd aa ttoouujjoouurrssrreeggaarrddéé eenn ddiirreeccttiioonn ddeess EEttaattss-UUnniiss eett ddee ll''EEuurrooppee.. CCeettttee aattttii-ttuuddee ééttaaiitt ppeeuutt-êêttrree nnéécceessssaaiirree àà uunnee cceerrttaaiinnee ééppooqquuee.. MMaaiissaavveecc llaa mmoonnddiiaalliissaattiioonn,, ll''aavvaannccee tteecchhnnoollooggiiqquuee ddeess ppaayyssddéévveellooppppééss eett lleeuurr ppoolliittiiqquuee ddee ssuubbvveennttiioonnss,, nnoouuss ssoommmmeessoobblliiggééss dd''aaffffiirrmmeerr nnoottrree iiddeennttiittéé ssuudd-aamméérriiccaaiinnee eett nnoottrree iiddeenn-ttiittéé llaattiinnoo-aamméérriiccaaiinnee eett dd''ééttuuddiieerr ttoouutteess lleess ffoorrmmeess ppoossssiibblleessdd''aaiiddee aaffiinn ddee nnoouuss ddéévveellooppppeerr eennsseemmbbllee.. JJ''eenn ffaaiiss uunnee iiddééeeffiixxee.. JJee nn''aaii jjaammaaiiss aaddmmiiss qquuee llee BBrrééssiill ssooiitt ttoouurrnnéé ppeennddaannttcciinnqq ssiièècclleess vveerrss llee vviieeuuxx ccoonnttiinneenntt eett ssee ssooiitt aauussssii ppeeuu iinnttéé-rreesssséé aauuxx ppaayyss ffrroonnttaalliieerrss,, qquuii ssoonntt nnooss aammiiss eett nnooss ffrrèèrreess.. LLaapprriioorriittéé ddee mmaa ppoolliittiiqquuee ééttrraannggèèrree eesstt ddee ttrraavvaaiilllleerr àà ll''iinnttééggrraa-ttiioonn ddee ll''AAmméérriiqquuee dduu SSuudd.. ""..

Dans un entretien conjoint avec le président Kirchner au jour-nal argentin Pagina 12, le président Lula résume cette prisede conscience. Quant au président argentin, il insiste sur lanécessité de constituer un ensemble apte à négocier sur unpied d'égalité avec l'Union européenne, les Etats-Unisd'Amérique et les autres pays du Nord. Voilà l'expression del'état d'esprit actuel des grands dirigeants latino-américains. Tandis que les Etats-Unis sont et seront toujours présents ausud du Rio Grande, l'Europe cherche à y renforcer soninfluence politique et économique; chacun avec son modè-le de société. Les Etats-Unis proposent, sur le modèle del'ALENA - " Association de Libre Echange d'Amérique duNord " à laquelle participe le Mexique - la création d'unevaste de Zone de Libre Échange des Amériques (ZLEA ouALCA) et ne prennent en compte que la libéralisation écono-mique. L'Union européenne, de son côté, encourage l'inté-gration selon son propre modèle en y apportant des dimen-sions politiques et sociales importantes.

Mais l'Amérique latine, dotée pourtant de dirigeants d'untype nouveau, est encore loin d'être cohérente et intégrée.Elle se cherche une troisième voie pour répondre aux défisqui se présentent. En effet, les pays de région, le Brésil et leVenezuela en tête, cherchent à diversifier de plus en plusleurs alliances stratégiques, surtout vers d'autres grandesrégions du Sud, telles que l'Afrique Australe, l'Inde ou enco-re la Chine. Le désenclavement vis-à-vis des Etats-Unis estde plus en plus notable, notamment par le refus de certainspays (et non des moindres) de participer à la construction duprojet Nord-Américain de ZLEA et par la volonté d'entrerdans un processus d'intégration régionale fédérateur desmouvements morcelés déjà existants. Deux faits récents enattestent. En décembre 2004, à Cuzco (Pérou), l'on a assistéà la création de la " Communauté Sud-américaine desNations " qui regroupe tous les pays du cône Sud. Parailleurs, le tout récent sommet des Amériques qui s'est tenu

en novembre 2005 à Mar del Plata (Argentine) s'est soldé parun échec de la diplomatie de G.W. Bush. Il n'a pas suconvaincre ses voisins du Sud dont la plupart connaissentdes gouvernements de gauche et condamnent sa politiquede manière très générale.

C'est à la lumière de ce qui précède que nous allons tenterde donner un bref aperçu de ce que sont devenues au fil dece dernier quart de siècle, les relations entre cette région dumonde en pleine mutation et notre vieille Europe.

La redécouverte

L'Amérique Latine et l'Europe ont un long passécommun, fait de colonisation et d'exploitation, mais aussid'échanges humains, culturels et économiques intenses,notamment dans la première moitié du vingtième siècle.Après une période de distanciation due à la seconde guerremondiale et ensuite, à la guerre froide, les Européens redé-couvrent enfin l'Amérique latine dans les années 1980. C'estl'époque où l'Espagne et le Portugal sont sur le point d'intég-rer la famille européenne et où la plupart des paysd'Amérique latine cherchent à quitter la sphère d'influencedes Etats-Unis.

Dès janvier 1983, le Groupe de Contadora formé dequelques pays voisins de l'Amérique Centrale qui baignaitalors dans les dictatures et les guerres civiles, lance desappels pressants et répétés aux Européens qui tardent às'engager comme médiateurs d'un processus de paix. C'estque l'Amérique latine, considérée comme le pré carré desEtats-Unis, constituait à leurs yeux une région troublée, unevaste zone de non droit, d'instabilité et de violence.

La Communauté Economique Européenne d'alors hésitedonc à s'engager sur ce terrain miné par la doctrine nord-américaine de " sécurité nationale ". Finalement, sur l'insis-tance, notamment du Président Arias du Costa Rica, lesEuropéens finiront par devenir les principaux artisans de lapacification et du retour à la démocratie dans la région. Le"Dialogue de San José " qui aboutira à des accords de paix,constitue l'embryon du dialogue politique et du " partenariatstratégique bi régional" qui se nouera par la suite entrel'Union européenne et l'Amérique Latine. En 1986, c'est leGroupe de Rio, regroupant rapidement la plupart des paysde la région, qui prendra la relève dans le règlement desconflits et constituera l'interlocuteur des Européens.

Pour des raisons diverses (historiques, culturelles et écono-miques), dès son adhésion à la CEE, c'est l'Espagne quiconstituera le moteur du rapprochement. Une attitude quiprovoquera d'ailleurs chez les Latino-américains un mélangede sympathie et d'agacement, qualifiant de " reconquista "cet intérêt nouveau des Ibériques. Un intérêt d'ailleurs prin-cipalement justifié par des considérations économiques. Ausortir du franquisme et récemment acceptée dans le gironeuropéen, l'Espagne se cherchait de nouveaux alliés et denouveaux marchés. C'est ainsi que, dans l'esprit du " Consensus de Washington " des années 1990, les grandesentreprises espagnoles seront, devant les Allemands, lesItaliens et les Français, en tête du peloton des artisans de lavague de réformes de l'Etat, d'ajustements économiques etde privatisations en Amérique latine.

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Partie I

Entre bonnes intentionset réalitésChristiane Daem

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Les premières grandes rencontres transatlantiques serontdonc tout naturellement " Iberoaméricaines ". Depuis 1991,les sommets ibéroaméricains qui se succèdent à un rythmeannuel font progresser la coopération politique, culturelle,économique, sociale et environnementale entre l'Espagne,le Portugal et leurs anciennes colonies d'outre Atlantique.Au-delà des considérations d'ordre économique, la démar-che est identitaire et politique. Il s'agit pour l'Espagne d'affir-mer auprès de ses collègues européens, son statut d'inter-locuteur incontournable pour tout ce qui touche à l'Amériquelatine. Le système ibéroaméricain s'est d'ailleurs doté d'outilsde fonctionnement et d'un secrétariat permanent basé àMadrid (SEGIB). Même si le Portugal et les grands pays lati-no-américains y participent activement, l'Espagne en restele moteur et le principal bailleur de fonds.

Les sommets Union européenne-Amérique Latine etCaraïbes(ALC)

Ce sera un événement extérieur qui poussera lesEuropéens, la France et l'Espagne en tête, à se positionnerde manière volontariste sur le terrain géopolitique enAmérique latine. En 1994, à l'appel de Bill Clinton, se réunitle sommet des Amériques à Miami où sera exposé pour lapremière fois le projet de création de la Zone de LibreEchange des Amériques (ZLEA). La riposte de la France et del'Espagne ne se fait pas attendre. L'Amérique latine avec sonpotentiel d'expansion, devient dans le contexte de concur-rence globale effrénée, un enjeu aux yeux des Européensqui voient là de nouveaux débouchés pour leurs entreprises.Las de l'influence trop prégnante des Etats-Unis dans larégion, les présidents Chirac et Aznar émettent, au cours dusommet franco-espagnol de 1996, la proposition à leurs par-tenaires européens d'organiser des rencontres régulières dechefs d'Etat de l'Union et de la région Amérique latine etCaraïbes. L'Union européenne qui entretient déjà des rela-tions suivies avec le groupe de Rio, entamera dès lors, lasérie des sommets des chefs d'Etat et de gouvernement UE-ALC.

Le premier sommet qui aura lieu en 1999 à Rio jettera lesbases du " partenariat stratégique ". Le sommet de Madridde 2002 poursuivra l'approfondissement des relations poli-tiques, économiques et de coopération. Le troisième som-met, celui de Guadalajara en 2004 renforcera le thème du " multilatéralisme " et de la " cohésion sociale ".

Bien que l'ordre du jour des sommets ait été établi à Rio en1999, il évolue en fonction de l'actualité. C'est ainsi que,suite aux attentats du 11 septembre 2001, les thèmes de ter-rorisme et de sécurité ont dominé les discussions de Madriden 2002. Entre-temps, l'Europe sera passée de 15 à 25 mem-bres et se préoccupera pendant un temps à consolider sonflanc à l'Est et sur les rives de la Méditerranée. La concur-rence internationale s'accélérant, surtout avec l'arrivée mas-sive des Asiatiques sur les marchés mondiaux, le vieuxcontinent cherchera à se positionner aux quatre coins duglobe, négligeant ainsi les relations bi régionales privilégiéesavec l'Amérique latine. Ensuite, la crise socio-économiqueque subit l'Amérique latine sera au centre des discussionsde Guadalajara en 2004 et aboutit à un programme decoopération en matière de cohésion sociale. A la veille du

prochain sommet qui doit se tenir à Vienne en 2006, où enest le " partenariat stratégique " et comment les deux ensem-bles ont-ils progressé dans ce domaine tout en connaissantdes évolutions bien différentes ?

Des piliers pour un partenariat

Les objectifs de ce " processus de Rio " tiennent enquatre points essentiels : Resserrer les liens politiques; ren-forcer les relations économiques et commerciales; soutenirl'évolution démocratique et le progrès économique et socialdes pays latino-américains; favoriser l'intégration régionale.

Au contraire de ses relations avec les Etats-Unis qui sont enpanne, celles que l'Amérique latine entretient avec l'Europeprogressent, lentement mais sûrement dans leur volonté deréaliser le " partenariat stratégique ". Ce partenariat s'articu-le autour de quatre piliers: le dialogue politique multilatéral,l'intégration, les relations économiques et financières, lacoopération en matière sociale, culturelle, éducative, scien-tifique et technologique. Le partenariat stratégique n'estcependant pas homogène. Il est composé d'une série d'ac-cords bilatéraux. Comme l'Amérique latine ne constitue pasune entité cohérente, les Européens développent, au coursdes grands sommets, des rencontres parallèles où ils défi-nissent une approche différenciée en fonction des spécifici-tés de chaque pays et de chaque groupe de pays. Des réuni-ons séparées ont ainsi lieu entre les chefs d'Etat européenset ceux du Système d'Intégration centraméricain (SICA), dela Communauté Andine des Nations (CAN), du MarchéCommun des Caraïbes (CARICOM), du Marché Commun duSud (MERCOSUR), du Chili et du Mexique.

Dans le domaine du multilatéralisme, l'Union européenne etl'Amérique Latine estiment qu'il constitue la seule positionsoutenable face à l " unilatéralisme " des Etats-Unis pourrépondre aux défis de la globalisation. C'est dans les actesdu sommet de Guadalajara que l'on rencontre la formulationla plus achevée de ce principe. L'engagement sur le multi-latéralisme est fondé sur le droit international et s'appuie surles organisations internationales, notamment l'ONU, pour lerespect de la paix et la sécurité internationale. En soulignantque les partenaires représentent 30 % des pays membresde l'ONU, les deux ensembles expriment leur volonté d'im-primer leur marque à la réforme de l'organisation planétaire.Dans la Déclaration de Guadalajara, les États considèrentque les Nations Unies devraient jouer un rôle central dans lapromotion du développement économique et social et dansl'élimination de la pauvreté. Leur engagement envers lesNations Unies est très large dans les opérations de maintiende la paix ainsi que dans la reconstruction de post-conflit, enaccord avec la Charte et avec les principes du droit interna-tional.

Bien que l'Union européenne soit le deuxième partenairecommercial de l'Amérique latine et que les échanges ontplus que doublé en dix ans, c'est paradoxalement dans ledomaine économique que les liens demandent à être conso-lidés. Plusieurs facteurs interviennent ici : la nature mêmedes économies d'Amérique latine, la politique agricole com-mune (PAC) européenne, l'intérêt des Européens pour d'au-tres marchés plus attractifs tels que le marché asiatique…La structure des exportations pays de la région " Amérique

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Latine et Caraïbes " (ALC) vers l'Union européenne restedominée par les produits agricoles, tandis que les exporta-tions communautaires vers les pays de l'ALC sont plusvariées, les principaux secteurs concernés étant les équipe-ments et les produits manufacturés. Les économies latino-américaines accusent encore un sérieux retard en matièrede modernisation et d'innovation. Ces économies sont enco-re basées sur la production et l'exportation de matières pre-mières agricoles et minières. Même si l'on assiste àquelques créations industrielles innovantes telles que celledu biocarburant au Brésil, les pays les plus " émergents " pei-nent encore à développer des secteurs productifs autono-mes rentables. Une grande partie de l'industrie mexicainerepose, par exemple sur le système des " maquillas ", cesentités sous-traitantes des grandes compagnies nord-améri-caines où la main-d'œuvre est meilleure marché et plus doci-le qu'aux Etats-Unis. La PAC, quant à elle, constitue un freinaux négociations d'association en cours entre l'UE et ses par-tenaires latino-américains. La politique des subventions etdes quotas agricoles telle que menée par les Européensconstitue un des obstacles majeurs à l'aboutissement d'unaccord d'association complet, non seulement avec le MER-COSUR, mais aussi avec les autres ensembles sous-régio-naux. Dans le domaine des investissements, à part quelquesopérations spectaculaires récentes, notamment celle duBelge Interbrew au Brésil, les Européens, tout comme lesNord-Américains, préfèrent se tourner vers les marchés asia-tiques. Les Latino-Américains espèrent bien relancer lesnégociations dans ce domaine au cours du sommet deVienne en 2006.

L'autre grand thème discuté à Guadalajara était celui de la " cohésion sociale ". Pour se positionner sur le terrain minédes institutions internationales, l'Union européenne a besoind'avoir à ses côtés un partenaire solide. Or, bien quel'Amérique latine ne connaisse plus de dictature, une crois-sance économique de 4 à 5 % par an depuis trois ans et unemodernisation potentielle de ses systèmes économiques etfinanciers, elle reste cependant le champion mondial desinégalités : inégalités entre pays, entre régions, entre eth-nies, entre classes sociales. Les systèmes de protectionsociale sont obsolètes ou inexistants, tandis que les systè-mes de santé et d'éducation accusent un profond déficit.Même dans le domaine de l'enseignement supérieur et de larecherche, les universités accusent de sérieux retards. Or, ledéveloppement durable et la démocratie ne peuvent seconstruire sur des friches sociales. Si les pays de la régionne prennent pas rapidement à bras le corps ces problèmes,leurs efforts de reconversion, d'ajustement, d'intégration etd'ouverture n'auront servi à rien.

La cohésion sociale constitue donc une condition pour lastabilité de la région et la consolidation d'un partenariat stra-tégique. C'est pourquoi l'UE et le BID se sont engagés àGuadalajara à prévoir des fonds destinés à améliorer les poli-tiques qui ont un impact sur la cohésion sociale : l'éducation,l'emploi, la justice, les impôts et la santé. Reste à savoircomment seront distribués et utilisés ces fonds. Si la " socié-té civile " est une des grandes absentes du processus deRio, il est à craindre qu'elle ne soit que très modérémentconsultée sur ce terrain qui est pourtant le sien par excel-lence : celui des droits sociaux. Le prochain sommet pren-dra-t-il e compte cette dimension indispensable à la discus-sion et à la mise en place des programmes ?

Tandis que les volets économique et social du " partenariatstratégique " connaissent des lacunes, le pilier central de cepartenariat entre les deux régions reste, même à un horizonlointain, le projet d'intégration latino-américaine. L'Unioneuropéenne encourage les processus en cours Les ensem-bles régionaux (voir supra) sont nombreux et divers dansleurs formes et modes de fonctionnement. Certains sontplus avancés que d'autres dans leur construction. Ce qui nerend pas facile l'établissement de stratégies communes intraet extra régionales. Comme nous l'avons vu, l'Union euro-péenne noue des accords d'association avec chacune deces entités, faute de pouvoir établir un accord global avecl'ensemble de la région et chaque accord sera le reflet dudegré d'intégration du partenaire.

Créé en 1986, le Groupe de Rio est la principale structure(légère cependant) de concertation politique à l'échelle ducontinent. Il couvre aujourd'hui l'ensemble de l'Amérique lati-ne et compte aussi des représentants des pays desCaraïbes. Les relations entre l'Union européenne et leGroupe de Rio ont été officialisées à partir d'une déclarationfaite à Rome en 1990 et les partenaires se réunissent régu-lièrement. Le partenariat porte sur le dialogue politique, lacoopération technico-financière et économique, les échan-ges commerciaux. Il n'a cependant pas le même impact quele partenariat défini au cours des grands sommets et devra,à terme, lui céder la place.

C'est en 1984 que les représentants de la Communautéeuropéenne de l'époque et ceux des pays d'Amérique cen-trale (Costa Rica, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panamaet Salvador) se sont rencontrés à San José (Costa Rica) pourexaminer la situation dans la région alors en crise. Ils ontcontinué à se retrouver chaque année, dans une capitalecentraméricaine ou européenne. L'UE compte sur ce dialo-gue pour promouvoir dans ces pays la paix, la stabilité poli-tique, la démocratie, le respect des droits de l'homme et l'in-tégration régionale. Cette dernière a progressé entre-tempsavec la constitution, en 1991, du "Système d'IntégrationCentraméricain" (SICA). Un récent accord, signé en 2003,formalise le dialogue politique instauré depuis 1984 et ren-force les accords sur le plan économique et financier.

L'UE entretient des relations régulières avec les pays andins(Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou et Venezuela) depuis1969, date de la constitution du Pacte andin, devenu en 1996"Communauté Andine des Nations" (CAN). Elle a conclu aveceux un premier accord de coopération en 1983, puis unaccord de type "troisième génération" en 1993, qui prévoitune coopération économique et commerciale, une coopéra-tion au développement et l'octroi de la clause de la nation laplus favorisée. Le sommet UE/Amérique latine/Caraïbes deMadrid en 2002 a décidé d'actualiser l'accord. Toutefois, lesnouvelles dispositions n'incluent pas la libéralisation deséchanges comme le souhaitaient au départ les pays andins,en prenant pour modèle les accords UE-Mexique et UE-Chili.Néanmoins, elles ont pour ambition de "créer les conditions"- notamment une plus forte intégration et l'application desrègles de l'OMC - pour un accord d'association incluant lelibre-échange.

En 1991, l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay cons-tituèrent, sur un début de modèle européen, le " MarchéCommun du Cône Sud " (MERCOSUR). C'est à ce jour, l'en-

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semble régional le plus achevé en matière d'intégration. Il adécidé, à l'horizon 2006, de la création de fonds structurelset de l'élection d'un parlement régional au suffrage universel.Le fonds pour la convergence structurelle a été créé pourréduire les asymétries entre les différents partenaires qui lecomposent, de manière à parachever l'union douanière et àcréer un embryon d'union politique, tout en permettant lamise sur pied e programmes sociaux. L'union politique n'estcependant qu'un projet à plus ou moins long terme, dansune région où toute la culture est imprégnée de nationalis-me populiste. Les échanges à l'intérieur du MERCOSURdemeurent très inégaux, surtout entre le géant brésilien etses voisins dont les industries ne sont pas assez compétiti-ves. En 2004, les exportations du Brésil vers l'Argentine pro-gressaient de 75% tandis que les importations ne progres-saient que de 7%. Les réflexes protectionnistes sont doncencore bien présents. Des institutions communes voientcependant le jour avec l'installation en 2004, à Asunción(Paraguay), du tribunal chargé de la solution des contentieuxentre partenaires. D'autres initiatives se créent, comme parexemple, le forum des collectivités territoriales et le fondspour l'éducation. Tandis que le MERCOSUR constitue pro-gressivement un référent pour les membres des sociétésciviles qui le composent.

Les relations UE-MERCOSUR ont été institutionnalisées parl'accord-cadre de 1995, qui a ouvert la voie à une coopéra-tion politique et à une négociation dans la perspective d'unezone de libre-échange entre les deux parties. La PAC et lesrestrictions réciproques au libre échange, ainsi que laconjoncture internationale défavorable et notamment lacrise argentine de 2001-2002 ont eu un impact négatif surles négociations qui devaient aboutir à un accord d'associa-tion très vaste et complet. L'UE et le MERCOSUR peinentdonc à achever les négociations d'un accord d'association etde libre-échange qui aurait déjà dû voir le jour lors du som-met de Guadalajara.

Jusqu'à présent, l'Union n'a conclu d'accords très completsd'association qu'avec deux pays (Mexique et Chili) et nondes entités fédérées. Preuve, s'il en est, des contradictionseuropéennes et de la difficulté qu'ont les Latino-américainsà renoncer à leurs prérogatives nationales. Ces accords nese contentent pas de mettre en place une zone de libre-échange, ils institutionnalisent le dialogue politique. Ce quisuppose des clauses politiques, sociales et environnemen-tales dans les traités.

L'accord de partenariat économique, de coordination poli-tique et de coopération, dit aussi "accord global Mexique -Union européenne", est entré en vigueur le 1er juillet 2000.Les échanges commerciaux ont progressé depuis cetteentrée en vigueur (+ 19 % pour les exportations mexicaines,+ 28 % pour les exportations européennes). Un accord decoopération scientifique et technique a été signé début2004. Les deux partenaires envisagent également de conclu-re un accord dans le domaine de l'éducation, de la jeunesseet de la formation. L'accord entre l'Union européenne et leChili a, quant à lui, été signé fin 2002. Il comprend troisvolets (politique, commercial et coopération). La société civi-le est, cette fois, invitée à participer au dialogue politique.

En conclusion, il n'y a finalement pas si longtemps quel'Union européenne et l'Amérique latine se sont " redécou-

vertes ". Que représentent, en effet, vingt ans en regard d'undemi-millénaire de cohabitation à distance ? Il reste un longchemin plein d'embûches à parcourir. Il faudra compter avecles événements externes et internes à la relation UnionEuropéenne-Amérique Latine et Caraïbes, les changementsglobaux à venir, les progrès de l'intégration de chaque côtéde l'Atlantique, les revirements d'alliances toujours possi-bles. Si les pays de la région ALC semblent avoir pris la voiede la paix et de la démocratie, ils devront cependant, veillerau cours de la prochaine décennie, à renforcer les outilsinstitutionnels et opérationnels de l'intégration, de la moder-nisation économique, de l'innovation technologique, du pro-grès scientifique et de la remise sur pied des systèmes deprotection sociale, de santé et d'éducation. Ce n'est certespas un projet comme celui de la ZLEA qui pourra les y aider.C'est pourquoi, les Européens, qu'ils le veuillent ou non,qu'ils représentent les Etats ou la société civile, seront ame-nés à jouer un rôle de plus en plus important dans cetterégion du monde. Et, au-delà des déclarations fracassantes,la plupart des dirigeants latino-américains l'ont bien compris.La voie propre à l'Amérique latine devra peut-être passer parune coopération accrue avec le partenaire européen.

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Face à un contexte international en pleine évolution,l'Union européenne a donné en 1995 de nouvelles orienta-tions à ses relations avec l'Amérique latine. Un communiquéde l'époque, ouvrant une nouvelle phase qui conduira auxaccords de "quatrième génération"1, indique ainsi que : "entenant compte de l'hétérogénéité de l'Amérique latine, lesrelations UE/AL seront dorénavant présidées par une appro-che régionale (Groupe Andin, Amérique Centrale, Mercosur2)ou spécifique (Mexique, Chili, Cuba)". De même, ce docu-ment propose "de développer les potentialités spécifiquesde chaque ensemble et/ou pays dans ses relations avecl'Union européenne, en modulant la coopération commu-nautaire en fonction des différents niveaux de développe-ment atteints par chaque ensemble et/ou pays".

L'Union européenne concrétisera ces orientations en intro-duisant le concept d'"analyses différenciées" en fonction dechaque région et commencera à baser ses relations avecl'Amérique latine sur un modèle à deux vitesses. Elle propo-se aux "marchés émergents" (le Mercosur, le Chili et leMexique) la signature d'accords "de quatrième génération"qui viseront la création de zones de libre échange dans lesecteur du commerce et des services et qui favoriseront unelibéralisation des échanges de produits agricoles. Al'Amérique centrale et aux pays andins, régions de moindreattrait pour le commerce et l'investissement ainsi que de fai-ble intérêt stratégique, l'Europe propose de fortifier la coopé-ration existante par des d'accords dits de "troisième généra-tion", reléguant ainsi ces régions à un second plan.

Un contexte de fin de siècle

La conjoncture nouvelle qui marque les années 90amène les économies d'Amérique latine, après la crise qui acaractérisé la décennie précédente, à s'embarquer dans desprocessus d'ouverture unilatérale tant dans le cadre com-mercial que dans celui des investissements. L'ensemble deces circonstances fait que le continent se transforme en unpôle dynamique présentant un énorme potentiel de déve-loppement dans le domaine du commerce, des investisse-ments et du transfert de technologies européennes. C'estavec l'objectif de profiter de cette situation que l'Unionappuie, par différents moyens, la libéralisation du commerceet la déréglementation des investissements sur les marchéslatino-américains. A cet effet, elle se lance dans une straté-gie à plusieurs niveaux : multilatérale dans le cadre del'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et régionaleou bilatérale dans le cadre des différents accords signésavec l'Amérique latine. Quand les négociations au sein de

l'OMC bloquent, l'Union européenne poursuit ses objectifsvia des négociations bilatérales, et vice versa. En général, laportée des accords bi régionaux (UE-Mercosur par exemple)et bilatéraux (UE- Mexique par exemple) intègrent des thè-mes que les pays en voie de développement n'ont pas enco-re accepté d'inclure dans l'agenda de l'OMC. Tel est le cas,par exemple, des thématiques dites de "Singapour"3. D'autrepart, concrétiser avec l'Amérique latine des accords quiprennent en compte des sujets que les pays en voie dedéveloppement ne sont pas disposés à traiter dans le cadrede l'OMC donne à l'Union européenne la possibilité de lesutiliser comme terrains d'essais et comme moyen de pres-sion pour réincorporer ces sujets dans le cadre multilatéral.

Par ailleurs l'élan donné par la signature de nouveauxaccords coïncide avec le moment où les Etats-Unis cher-chent également à consolider leurs liens avec l'Amériquelatine. C'est en 1994 en effet que commencent à Miami lesnégociations de l'Accord de Libre Commerce des Amériques(ALCA). Mais c'est aussi à cette date que se concrétisel'Accord de Libre Echange de l'Amérique du Nord (TLCAN ouALENA, entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique). Dansce contexte, l'Europe se voit obligée de mettre sur pied unetactique défensive en vue de résister au poids croissant desEtats-Unis en Amérique latine.

Finalement, mais ce n'est pas le moins important, fortifier lesrelations avec l'Amérique latine traduit un objectif prioritairede l'Union européenne : affirmer son positionnementcomme acteur "global" sur la scène internationale.

Pour les pays d'Amérique latine, les relations avec l'Europe,seconde puissance mondiale, augmentent la confianceinternationale dans leurs politiques économiques. En outre,prévoyant que l'ALCA se réalisera, le continent souhaitedévelopper son partenariat avec l'Europe en vue d'éviter unetrop grande dépendance par rapport aux Etats-Unis. Mais leprincipal bénéfice que l'Amérique latine espère obtenir de lasignature des accords d'association avec l'Union européen-ne est la réciprocité en matière de libéralisation économiqueainsi qu'une diminution des asymétries dans les relationscommerciales.

Les trois axes des relations

Les relations Europe - Amérique Latine sont fon-dées sur trois piliers : le dialogue politique, la coopération audéveloppement, et les relations commerciales.

LLee ddiiaalloogguuee ppoolliittiiqquuee

La dimension politique et stratégique est indubitablement lesecteur qui a montré le plus de progrès dans le champ desrelations entre l'Union européenne et l'Amérique latine. Lefait que les deux continents partagent des liens historiques,des valeurs culturelles, des similitudes dans les traditionspolitiques ainsi que le même modèle de régionalisme, sontles principales raisons qui ont fait de ce dialogue un proces-sus presque sans obstacle. Il est considéré comme fonda-mental pour la consolidation de la Politique européenne deCoopération et Sécurité (PESC) puisqu'il permet à l'Uniond'agir en qualité d'acteur unique en appliquant dans unerégion comme l'Amérique latine des politiques communau-

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Partie I

Cartographie d'unenouvelle stratégieCecilia Olivet

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taires telles que la consolidation de la démocratie, les pro-cessus de pacification, les droits humains, le développe-ment soutenable, la lutte contre la drogue, l'intégrationrégionale et la sécurité.

LLaa ccooooppéérraattiioonn aauu ddéévveellooppppeemmeenntt

L'Union européenne est le principal fournisseur d'AideOfficielle au Développement à l'Amérique latine. En 1998,celle-ci représentait 49.3% du total de l'aide reçue par larégion. Toutefois, ces chiffres doivent être nuancés entenant compte des points suivants :

a) l'aide a remplacé le commerce au lieu d'en être uncomplément : par sa coopération, l'Union européennecherche à compenser le manque de volonté des gou-vernements européens qui rechignent à réduire les sub-sides qui soutiennent leurs produits, comme le deman-dent les Latino-américains.

b) l'aide a été instrumentalisée par les intérêts commer-ciaux et les investisseurs. Lors de la dernière décennie,l'appui aux projets de développement sociaux et rurauxa diminué. L'aide s'est concentrée sur des projets decoopération technique et financière qui ont contribué àcréer des infrastructures favorisant l'arrivée d'investisse-ments et de produits européens sur le marché latino-américain4. C'est dans cet objectif que l'Union a déve-loppé plusieurs programmes de promotion des investis-sements (AL-INVEST, ALURE, ALPHA et URB-AL), nou-velles composantes de l'assistance communautaire : ilsont directement contribué à augmenter les investisse-ments européens en Amérique latine.

c) l'aide s'est concentré sur quelques pays. L'Europe aconsidérablement diminué son aide aux pays économi-quement les plus avancés et a concentré ses ressourcesdans les régions les plus pauvres de l'Amérique latine :Amérique centrale et la région andine.

d) les chiffres de l'aide en Amérique latine sont margi-naux si on les compare avec celle que reçoivent d'autresrégions du monde, puisque la plus grande partie de lacoopération européenne s'adresse à l'Afrique et à l'Asie.Cette situation s'est encore aggravée depuis la fin desannées 90, suite aux réductions d'aide dont a souffertl'Amérique latine.

LLeess rreellaattiioonnss ééccoonnoommiiqquueess eett ccoommmmeerrcciiaalleess

L'analyse des relations commerciales entre l'Europe etl'Amérique latine, ainsi que celle des obstacles qui se sontprésentés dans ce secteur, sont essentielles pour compren-dre la véritable portée des relations bi régionales et de leurslimites, au moins dans le court et le moyen terme.

Des voix officielles affirment, de manière récurrente, que lesrelations commerciales entre les deux régions présententdes avancées considérables. Javier Solana, haut représen-tant de l'Union européenne pour la PESC affirme, par exem-ple, que "l'Union s'est renforcée comme premier investisseurdans la région ainsi que comme partenaire commercial, lesecond pour l'ensemble de la région mais le premier pour leMercosur et du Chili". Bien que ces affirmations soient cor-

rectes, elles peuvent induire en erreur et démontrent claire-ment le "dialogue de sourds" qui s'est instauré entre les deuxrégions au sujet du commerce. S'il est certain que l'Unioneuropéenne est le second partenaire commercial del'Amérique latine, ceci est dû au fait qu'entre 1990 et 1997les importations venant d'Europe ont augmenté de 161%,alors que les exportations latino-américaines vers l'Unionn'augmentaient que de 21%, ce qui a créé un déficit gravede la balance commerciale latino-américaine. Dès lors, ceque les autorités européennes présentent comme une gran-de réalisation, est pour ses partenaires une source d'asymé-tries graves qui conduisent à l'appauvrissement de leurspopulations.

Cette situation s'explique principalement par la réductionunilatérale des barrières douanières à laquelle l'Amériquelatine a procédé durant les années 90 dans le cadre des pro-grammes d'ajustement structurel, alors que l'Europe mainte-nait son protectionnisme. Par ailleurs, les exportations euro-péennes vers l'Amérique latine sont constituées principale-ment de produits industriels à haute valeur ajoutée, tandisque cette dernière exporte surtout vers l'Europe des biensprimaires, principalement des produits agricoles. Enfin,l'Union européenne a exclu l'Amérique latine des bénéficesqu'elle a accordé à d'autres régions en développement, par-ticulièrement les pays membres de l'Accord de Lomé(aujourd'hui Cotonou). La seule compensation partielle auxpertes économiques du continent a été l'introduction, en1971, du Système dit " de Préférences Généralisées " (SPG).Toutefois, cet instrument a non seulement été continuelle-ment critiqué5, mais, des pays comme l'Argentine, le Brésil,l'Uruguay, le Mexique et le Chili en ont été exclus.

Les trois points précédemment mentionnés représentent desérieux obstacles à des relations commerciales équitablesentre les deux continents. Mais ce sont le protectionnismeagricole et la Politique Agricole Commune (PAC)6 qui sontd'abord montrés du doigt comme source récurrente de sta-gnation dans les négociations du chapitre commercial entrel'Europe et l'Amérique latine. Des pressions externes cons-tantes, combinés à des bouleversements internes, particu-lièrement lors de l'élargissement de l'Union, ont amené cettedernière à réformer la PAC. Un premier pas a été fait en 1992et une seconde réforme, entamée en 1999, a abouti en2003. Toutefois, d'importants lobbies agricoles européens,principalement en Allemagne et en France, se sont forte-ment opposés à la proposition originale de réforme, ce qui afinalement conduit à l'adoption d'un document qui ne satis-fait pas les demandes des pays latino-américains.

Des relations à deux niveaux

Les relations institutionnelles entre l'Union euro-péenne et l'Amérique se structurent en deux niveaux :

a) au niveau macro, les relations bi régionales se sontconsolidées au moyen de diverses plates-formes de dia-logue et de concertation politique, comme lesConférences Interparlementaires, le Dialogue de SanJosé (1984), le Dialogue Union européenne - Groupe deRio (1986) et surtout les Sommets de Chefs d'État et deGouvernement des deux continents7. Lancés en 1999avec l'objectif principal d'établir une "Association

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Stratégique" bi régionale, ils sont devenus le niveau deconcertation politique le plus élevé.

b) l'Union européenne a tissé par ailleurs un réseau d'ac-cords avec les différents pays ou groupes de paysd'Amérique latine. En se basant sur le concept d'"analy-ses différenciées" introduit en 1994, elle a offert auMercosur, au Chili et au Mexique la signature d'accordsde "quatrième génération". La première étape en vue decréer une association et d'établir des zones de libreéchange avec ces pays ou régions a été la signatured'accords cadres avec chacun d'entre eux. Ces accordsdéterminent les principes et les objectifs généraux quirégiront ensuite les négociations entre les parties.

En même temps, l'Union a offert à l'Amérique centrale et à laCommunauté andine de renforcer ses relations avec ellespar la signature "d'accords de troisième génération plus".Mais il fallut attendre le Sommet de Guadalajara en mai 2004pour que l'Europe propose à ces deux régions d'étudier lasignature d'accords de quatrième génération. Cette offrearrive pratiquement 10 ans après celles faites au Chili, auMexique et au Mercosur, alors que les accords sont signésavec les deux premiers et en négociations très avancéesavec le dernier.

UUnniioonn eeuurrooppééeennnnee - MMeerrccoossuurr

Le Mercosur est le processus d'intégration régionale le plusdynamique de l'Amérique Latine et constitue le principal par-tenaire commercial de l'Union européenne dans la région.Ses membres ont absorbé en 1997 plus de 50% des ventestotales de cette dernière à l'Amérique Latine. Cela ne se tra-duit pas pour autant par des avantages pour le Mercosurdans la mesure où entre 1993 et 1997 les exportations euro-péennes vers le Mercosur ont augmenté de 343% contreune augmentation seulement de 25% dans l'autre sens !

L'importance économique, mais aussi politique, que leMercosur représente pour l'Union européenne se reflètedans le fait que celui-ci a été la première région à laquellel'Europe a offert de signer un accord de " quatrième généra-tion ". En 1995, les deux ensembles ont signé un accordcadre de coopération qui proposait de conclure à termes unaccord d'association entre les deux parties et la créationd'une zone de libre échange. Les négociations techniquescensées mener à la signature de l'accord d'association ontcommencé en novembre 1999. Il était prévu de les bouclerpour octobre 2004. Mais elles ont été marquées par de nom-breux obstacles et à ce jour, l'accord n'a toujours pas étésigné. Le principal désaccord a porté sur le chapitre agricoleet en particulier, le manque de réponse européenne auxdemandes du Mercosur visant la réduction des subsidesdans ce secteur : les produits agricoles et de pêche repré-sentent en effet plus de 40% des exportations du Mercosurvers l'Union européenne. A son tour, celle-ci a conditionnéles négociations au progrès des négociations agricoles ausein de l'OMC. Celles-ci auraient dû se clôturer le premierjanvier 2005. Mais ces délais n'ont été respectés.

UUnniioonn eeuurrooppééeennnnee - MMeexxiiqquuee

Suite à la signature du traité de libre-échange des Amériques(TLCAN), les flux commerciaux entre l'Union européenne et

le Mexique ont décru substantiellement entre 1990 et 1997et la part de l'Europe dans les importations du pays a étéréduite de moitié. Face à ce scénario, les deux parties ontcherché à renforcer leurs relations pour aboutir en 1997 à lasignature d'un accord cadre du même type que celui propo-sé au Mercosur.

Cependant, à la différence du Mercosur, la signature de l'ac-cord d'association qui débouchera sur la création d'une zonede libre échange entre le Mexique et l'Union européennes'est concrétisée en l'espace de moins de trois ans de négo-ciations. En mars 2000, le Mexique est devenu le premierpays de la région à conclure un accord de ce type avecl'Europe. Cette différence de vitesse est facile à expliquer. Enpremier lieu, la participation du Mexique au TLCAN a entraî-né pour l'Europe un recul important sur le marché mexicain,et ce, au bénéfice des Etats-Unis. Cette situation devait êtrecontrecarrée et dans la mesure du possible la tendancedevait être inversée avec urgence. Ceci explique la volontéeuropéenne d'accélérer la signature de l'accord d'associationavec le Mexique, en vue d'améliorer ses capacités exporta-trices et d'investissements. L'accord permet en outre àl'Europe d'utiliser le Mexique comme " porte d'accès au mar-ché américain ". De son côté, le Mexique voit en l'accord uneopportunité de contrebalancer le poids acquis par les USAdans son économie et de mettre en branle une politique dediversification de ses marchés d'exportation. Pour terminer,le secteur agricole représente seulement 7% des produitsd'exportation du Mexique vers l'Union européenne, ce qui aévidemment empêché que la PAC ne devienne un obstaclemajeur aux négociations.

UUnniioonn eeuurrooppééeennnnee - CChhiillii

Entre 1990 et 1997, les ventes du Chili à l'Union européen-ne ont chuté de 38,5% à 24,4%. Cependant, cette tendances'est renversée à partir de 1998 lorsque l'Europe est devenuela principale destination des exportations chiliennes. Le faitque le Chili soit membre associé du Mercosur et le portaillatino américain vers le marché asiatique ont amené l'Unionà offrir à ce pays un accord d'association. Les négociationsde celui-ci ont commencé en même temps que celles avecle Mercosur. Or à la différence de ces dernières et à l'instardu cas du Mexique, l'accord avec le Chili a été discuté rapi-dement dans les grandes lignes et a été signé à Madrid en2002 dans le cadre du deuxième sommet des Chefs d'Etat etde Gouvernement. Jean Grugel8 synthétise les raisons quiont simplifié le processus de négociation en ces mots : " Étant un pays plus petit, avec une base industrielle moinsdéveloppée et un profil agricole non traditionnel, les affairescommerciales ont été, en règle générale, moins conflictuel-les... "

UUnniioonn eeuurrooppééeennnnee -CCoommmmuunnaauuttéé aannddiinnee ddeess NNaattiioonnss ((CCAANN))eett UUnniioonn eeuurrooppééeennnnee -AAmméérriiqquuee cceennttrraallee

Sous prétexte d'adopter une approche différenciée tradui-sant la perception européenne des besoins de chaque payset de chaque région, tant l'Amérique centrale que les paysmembres du CAN ont été marginalisés par l'Europe. Celle-cine leur a offert que de renforcer les accords déjà signés detroisième génération, créant par la même occasion desaccords de " troisième génération plus ".

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La région andine a accédée au marché européen par le biaisdu " système de préférences généralisées " (SGP). L'Europea offert par ailleurs à la CAN l'inclusion de la norme " d'accu-mulation d'origine "9 dans le cadre du SGP, ce qui se traduitpar un traitement spécial. Cependant cet avantage "addition-nel" a été conditionné au respect des engagements andinsen matière de lutte contre les drogues. Bien que le SGPpermette à 90% des exportations andines un accès libre detaxe au marché européen, l'Union européenne a exclu dusystème plusieurs produits tels que la banane et certainsfruits de mer. Or, ces produits sont cruciaux pour les pays decette région, ce qui explique le déficit commercial que leCAN a présenté en 1998 par rapport à l'Union.

Les deux ensembles ont institutionnalisé leurs relations parla signature d'un accord de coopération en 1993 et dans lecadre de la déclaration de Rome de 1996.

L'Amérique centrale est la région la plus pauvre d'Amériquelatine. Contrairement à la solide relation commerciale quel'Amérique centrale entretient avec les Etats-Unis, les échan-ges commerciaux entre cette région et l'Union européennesont modestes. Par ailleurs, les deux parties sont en conflitautour du dossier de la banane10. Les produits quel'Amérique centrale exporte vers l'Europe accèdent à ce mar-ché par le biais du SGP. Pourtant, comme cela a déjà étémentionné, ce mécanisme est inadéquat et devrait êtreréformé. Étant donné le manque de liens commerciauxd'une certaine ampleur, la relation entre les deux régions sebase essentiellement sur la coopération au développementet le dialogue politique. Ces politiques ont joué un rôle pri-mordial pour pacifier la région et soutenir sa démocratisa-tion. A la différence des autres régions du continent vers les-quelles l'Union européenne a restreint son aide, celle-ci aaugmenté en Amérique centrale.

Région andine et Amérique centrale ont signé un accordsemblable en décembre 2003 à Rome. Ceux-ci ont élargi ledialogue politique et la coopération. Pendant le sommet deGuadalajara en 2004, l'Union européenne et l'Amérique cen-trale sont tombées d'accord pour ouvrir le processus condui-sant à un accord d'association prévoyant une zone de libreéchange entre les deux régions. Il en a été de même ensui-te entre l'Europe et la CAN.

Bien que ces événements aient généré pas mal d'enthou-siasme de la part des latino américains, la signature de cesaccords a une valeur toute relative. Elle répond davantage àune demande des pays andins et centre américains qu'à unevéritable volonté politique de l'Union. Il est indicatif à cetégard que ce processus ait commencé en janvier 2005 parune simple phase de valorisation conjointe des politiquesd'intégration en cours dans ces régions : on est loin du pro-cessus accéléré mis en place par l'Europe pour parvenir àdes accords avec le Mexique et le Chili.

En conclusion, les asymétries au cœur du débat

Les relations commerciales entre l'Amérique latineet l'Union européenne ont été marquées depuis leursdébuts, dans les années 70, par de profondes asymétries.Trente années plus tard, cette situation ne s'est pas modifiéeet on n'entrevoit que peu de perspectives de changement.Aucune étude portant les relations commerciales entre lesdeux continents ne saurait ignorer l'existence de ces asymé-tries et des conflits sectoriels qui, pendant des nombreusesdécennies, ont rendu difficile les contacts entre les deux par-ties. Ces difficultés contrastent avec l'avancement et l'insti-tutionnalisation du dialogue politique et la coopération audéveloppement. Pourtant, la problématique est encore pluscomplexe qu'il n'y paraît. Car il ne suffit pas de parler d'uncontraste entre ces dimensions. Il est également importantde faire remarquer que le dialogue politique et la coopéra-tion ont joué le rôle " d'instruments de substitutions ". Ensuivant l'analyse de José Antonio Sanahuja11 " l'absence deconcessions commerciales et de solutions aux problèmesde la dette a fait de la coopération au développement le prin-cipal mécanisme pour épauler le dialogue politique et maté-rialiser par des actions concrètes la volonté de rapproche-ment entre les deux régions ".

A partir de 1994, les efforts pour relancer la relation bi régio-nale et les propositions européennes de négocier desaccords de " quatrième génération " ont amené certains obs-ervateurs à estimer qu'allaient se mettre en place des instru-ments qui ouvriraient les marchés de l'Union aux produitslatino américains et qui permettraient à l'Amérique Latine desurmonter les déséquilibres économiques qu'elle connaîtavec l'Europe. C'est l'argument que l'Union européenne ad'ailleurs utilisé pour convaincre les pays d'Amérique Latinedes vertus des accords d'association. Pourtant, cinq ansaprès la signature de l'accord Union européenne - Mexiqueet trois années après l'accord avec le Chili, il est de plus enplus évident que non seulement les accords signés ne trans-cenderont pas la dimension politique et diplomatique, maisqu'ils ne permettront pas non plus de dépasser les asymé-tries économiques structurelles que connaissent les payslatino américains. Par le biais de ces accords, l'Union a sur-tout réussi à introduire des thèmes comme le commercedes services, les droits de propriété intellectuelle, la protec-tion des investissements et les marchés publics, secteursdont la libéralisation se trouve bloquée à l'OMC mais quisont à l'avantage des investisseurs européens.

Le Chili et le Mexique, qui malheureusement ne pourront sedélier des compromis passés avec l'Union européenne fontface au défi de sauvegarder, dans le cadre des accordssignés, leurs intérêts économiques nationaux. A la différen-ce de ces derniers, autant le Mercosur comme le restant despays qui cherchent à libéraliser le commerce agricole dansle cadre de l'OMC sont toujours en état de ne pas céderdans les négociations et d'obtenir des compromis réels de lapart de l'Europe sur le démantèlement des subsides agrico-les et la reforme de la Politique Agricole Commune (PAC). Lavolonté européenne de modifier celle-ci sera le thermomèt-re qui indiquera le prix que l'Europe est prête à payer pourd'aboutir concrètement à une zone de libre échange avec leMercosur et pour avancer dans la création d'une alliancestratégique bi régionale avec la totalité de l'Amérique Latine.

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1 Les termes première, seconde, troisième et quatrième génération distinguent, dans le jargon communautaire, les différents types d'accords signés entre l'Union européenne et l'Amérique latine. Les accords de première et seconde génération, se sont limités à consolider la coopération au développement. Les accords de troisième génération se sont caractérisés par l'inclusion de la "clause democratique"et incorporent le concept de "coopération avancée" qui promeut la coopération économique, industrielle et scientifico-technique. Ceux de quatrième génération (formellement appelés Accords d'Association), prétendent établir des zones de libre-échange entre les parties, ce qui condui-rait à une ouverture commerciale progressive du marché européen.

2 Mercosur : Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay

3 Les thèmes de " Singapour" incluent investissement, concurrence, marchés publics, facilitation des échanges.

4 Par exemple, plus de 50% du financement européen en Argentine entre 1990 et 1998 a consisté en des formes de coopération économique visant à aug-menter la pénétration d'investissements européens dans ce pays.

5 Cet instrument a été largement critiqué par les pays latino-americains, princi-palement pour avoir exclu des produits agricoles de grande importance pour la région. Il est critiqué également comme étant un mécanisme unilatéral, car l'Union européenne accorde des concessions de manière discrétionnaire et n'offre pas de garanties futures, ce qui le rend également peu transparent.

6 La PAC, créé dans les années 60, était basée sur le principe de préférence communautaire : la préférence devait être donnée aux produits agricoles européens par rapport aux importations d'un pays tiers. Ceci impliquait des barrières commerciales relativement hautes et l'imposition de quotas d'impor-tation aux produits de pays tiers.

7 Il y a eu jusqu'à présent trois Sommets: le premier à Rio en juin 1999, le deuxième à Madrid en mai 2002 et le troisième à Guadalajara en mai 2004. Le prochain Sommet se tiendra à Vienne en mai 2006.

8 Grugel, Jean (2002), " España, La Unión Europea y América Latina : gobierno de identidad en la creación del nuevo " interregionalismo ", document de tra-vail, Real Instituto Elcano, Madrid.

9 La norme " d'accumulation d'origine " fonctionne entre pays d'un groupe régio-nal reconnu par le SPG. Les matières originaires d'un pays du groupe, élabo-rées ou transformées dans un autre pays du même groupe sont considérées comme étant originaires de ce dernier pays tant qu'elles respectent un certain nombre de conditions.

10 En 1993 l'Union européenne a introduit des restrictions sur les bananes issues de la zone dollar en faveur des producteurs européens et des pays d'Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP), liés avec elle par l'Accord de Cotonou

11 Sanahuja, José Antonio (2003), " De Río a Madrid. Posibilidades y límites de las relaciones Unión Europea-América Latina", Barcelone, Institut Universitari d'Estudis Europeus, Working Paper de l'Observatoire de politique extérieure Européenne, n°45, avril.

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Partie II :Commerce et investissements

en priorité

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Les gouvernements locaux du Mexique se trouventface à un défi presque infranchissable, celui d'assurer desservices d'eau potable et d'assainissement d'eaux résiduel-les de manière efficace et économiquement viable, tout enrestant socialement et écologiquement responsables. Laplupart des organismes opérant au niveau local dans la ges-tion de l'eau manquent de ressources et des connaissancesnécessaires pour fournir un service approprié qui répondeaux normes environnementales, sanitaires, économiques etsociales. Cette situation a eu pour conséquence de transfor-mer la Commission Nationale de l'Eau (CNA) en une puis-sante instance, chargée non seulement de dessiner, d'ex-ploiter et de contrôler le système hydraulique national maisaussi de mener son processus de modernisation. Cetteinstance maintient sa mainmise sur la prise de décisions enmême temps qu'elle noie tout débat public et intensifie sesefforts de promotion de la participation du secteur privé.

La plupart des 2.500 organismes chargés de l'eau sont despetites agences improvisées dont le personnel est nomméplus par relations politiques que pour son expérience admi-nistrative et technique. La durée dans ces postes est parailleurs assez limitée. Les directeurs octroient des faveurspolitiques et tirent profit de leur mandat pour grimper dansla hiérarchie politique. Il s'agit d'environ 435 organismessemi-autonomes qui fonctionnent en tant qu'agences indé-pendantes, soit comme instances du gouvernement munici-pal soit en tant que concessionnaires. Une petite douzainesont des entités complètement privées ou bien des entre-prises mixtes réunissant l'organisme local et des partenairesou concessionnaires qui reçoivent un contrat de gestiond'une partie d'un système de la municipalité. Les grandsgéants du secteur de l'eau au niveau international sont pré-sents au Mexique -Suez (Ondeo), Aguas de Barcelona,Vivendi (Veolia)-, ainsi que bien d'autres entreprises interna-tionales de plus petite taille. Certains acteurs internationauxparticipent dans la gestion d'un ou de plusieurs systèmeslocaux de gestion et/ou d'assainissement de l'eau.

Le problème le plus grave qu'affrontent les autorités mexi-caines est peut-être leur incapacité d'assurer le respect deslois et des standards nationaux, spécialement de la part desgrands utilisateurs d'eau. Ce problème est encore aggravépar des problèmes techniques et politiques qui restent sanssolution: la Constitution mexicaine dit que l'eau est la pro-priété de la nation et doit être gérée selon des critères poli-tiques. Or, les concessions de longue durée pour la perfora-tion et l'exploitation des puits pour usage agricole sont horsdu contrôle des organismes en charge de gérer le système.Avec l'expansion urbaine et la croissance industrielle a

émergé un juteux marché "parallèle". Il favorise le transfertde droits à des acteurs commerciaux et industriels qui en-trent en concurrence avec les institutions locales : acteursprivés et publics exploitent les mêmes nappes aquifèressouvent au détriment des écosystèmes et du bien êtresocial. Il existe en plus un grand nombre d'acteurs clandes-tins, principalement des moyennes entreprises commercia-les et industrielles. Enfin, très peu d'attention est portée auproblème de la "nouvelle culture de l'eau" qui exigerait undébat sur la répartition de l'eau entre les secteurs et lesmesures à prendre pour en modérer l'usage.

La gestion publique de l'eau est inadéquate

Dans bon nombre des zones urbaines les plus peu-plées du Mexique, les services d'eau sont fournis par desorganismes publics décentralisés. Ces organismes para-municipaux ont diverses compétences techniques, com-merciales, financières, avec quelques exceptions. Certainesexpériences sont positives. Ainsi, le meilleur système degestion publique du Mexique se trouve à Monterrey, deuxiè-me ville la plus grande du pays. Cette région, située dans ledésert, demande d'importants investissements en infras-tructure, qui sont apportés par diverses agences. Autreexemple : dans les années 1980, à León, Guanajuato, lepremier système opérateur décentralisé non privatisé étaitun centre de tannage du cuir et de fabrication de chaussu-res. C'était alors une initiative du gouvernement local enopposition aux tendances de privatisation dominantes ausein du gouvernement fédéral. Ces organisations, parmid'autres, apportent un service de qualité tout en réduisant laperte d'eau et tout en augmentant les rentrées pour le servi-ce presté.

Mais, dans la plupart des régions du pays les services sontdéficients. Ils sont répartis inégalement et se montrentextrêmement inefficaces. Le favoritisme politique, des pro-cédures administratives obsolètes, du personnel faiblementformé, des infrastructures vieilles et mal conçues ainsi qu'unmanque évident de moyens ont créé des pratiques opaqueset pratiquement impénétrables, rendant impossible la réali-sation de diagnostics efficaces.

D'un point de vue social, les groupes les plus pauvres sontceux qui paient le plus (par mètre cube) pour bénéficierd'eau. Ils sont aussi ceux qui reçoivent un service de moind-re qualité en comparaison avec d'autres groupes sociaux.Même si dans certaines parties du pays ces groupes obtien-nent l'eau par le biais de camions réservoirs ou via despoints d'approvisionnement publics installés dans leursquartiers, dans d'autres régions, les populations doiventacheter le précieux liquide aux fournisseurs privés à des prixélevés " fixés par le marché ". Mais certaines communautésmarginalisées périurbaines n'ont même pas la chance depouvoir s'adresser à ces "pirates", comme les clients lesappellent familièrement vu leur collusion avec les fonction-naires locaux. Beaucoup de gens doivent encore puiserl'eau dans les ruisseaux et canaux d'arrosage, ce qui forceles femmes -qui sont généralement responsables de cestâches dans les ménages - à consacrer jusqu'à un tiers deleur journée de travail à la question de l'eau.

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Partie II

La gestion de l'eauurbaine au MexiqueDavid Barkin

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En général, on peut donc dire que la gestion publique del'eau au Mexique est inadéquate. Le précieux liquide est dis-tribué de manière injuste, très inefficace et sans aucunmécanisme efficient de participation des usagers. Le systè-me actuel fait peser une charge démesurée sur les pauvreset sur les classes laborieuses, alors que ce sont les plusgrands consommateurs d'eau qui tirent profit des bénéfices.Par ailleurs, les questions de santé publique, générées par lamauvaise qualité de l'eau fournie au plus grand nombre, nefont qu'aggraver le problème.

Le privé entre dans la danse

La privatisation de la gestion des services d'eau auMexique est encore relativement marginale. Les acteursinternationaux participent de manière significative seule-ment dans quatre aires métropolitaines. Il est dès lors sur-prenant que les rares systèmes gérés par des sociétés ano-nymes ne soient pas sujets à un contrôle efficace.

Aguascalientes, centre industriel florissant de la région aridedu Nord, a connu le premier système privatisé en 1993, dansle cadre de la réorganisation néo-libérale des politiquespubliques. Le partenaire étranger chargé des opérations estl'entreprise Veolia (Ex Vivendi. France). Il existe des plaintesfréquentes concernant la détérioration de la qualité du servi-ce de l'eau ainsi que l'élimination des sources traditionnellesd'eau souterraine. Ces politiques ont provoqué l'effondre-ment du sol et l'apparition de fissures mettant en danger l'in-tégrité des habitations dans certaines communautés de lapériphérie de la ville. Les tarifs de cette région sont parmi lesplus élevés du pays et la nappe aquifère, dont la villedépend, est en train de s'épuiser dangereusement sansqu'aucune mesure efficace pour réduire la consommation oupour mieux gérer le système ne soit prise. L'institution loca-le de régulation s'est montrée insensible aux protestationsdes populations. Elle est considérée généralement comme " prisonnière " de la compagnie privée. La plupart des expertsanticipent que cette région sera l'une des premières à souf-frir d'une crise en matière d'approvisionnement en eau etque cette crise mènera à une restriction dramatique de sonexpansion économique. Mais les autorités locales font lasourde oreille…

En 1993, un consortium privé s'est vu octroyer une conces-sion de 20 ans pour gérer le système d'eau de Cancún. A latête de consortium se trouvent les groupes mexicains GMD(construction) et Grupo Bal, (un consortium qui réunit l'en-treprise minière Peñoles, et d'autres entreprises dans le sec-teur des assurance et du commerce). Ils se sont associés àla division de l'eau (Azurix) de l'agressif géant américainEnron. Lorsque celui-ci dut vendre ses actifs dans le secteurde l'eau pour cause de problèmes financiers, un nouvelaccord fût établi avec un autre géant du secteur, Suez desEaux (Ondeo). Cette multinationale obtint des financementspar le biais de ressources publiques mexicaines (Banobras)afin d'acheter l'entreprise locale d'eau, Aguakán, et pour enélargir la concession durant dix autres années. L'agencepublique de l'eau tente aujourd'hui de surveiller la compagnieprivée. Mais, bien qu'elle connaissent les conditions de tra-vail et les conséquences sociales de ses politiques, elle nedispose pas des bases comptables et administratives ni del'autorité nécessaire pour superviser correctement le fonc-

tionnement interne de l'entreprise. Les observateurs locauxpointent les insuffisances du service d'eau potable dans leszones marginales à croissance rapide, où les populationsdoivent recourir aux camions citernes, assez chers, poursubvenir à leurs besoins. Les tarifs de l'eau sont fixés par legouvernement de l'Etat. Les usagers commerciaux, quant àeux (environ 65 % du volume facturé) se plaignent des coûtsélevés et deux hôtels ont déjà installé des plantes de désali-nisation comme alternatives aux services de l'entreprise. Lesconsommateurs individuels profitent, eux, d'un service rela-tivement bon marché grâce aux subsides du gouvernementde l'Etat.

L'entreprise d'eaux de Saltillo, ville industrielle dans le désertdu Nord, est gérée par une société mixte. Créée en 2001,cette entreprise est contrôlée à 51% par l'entreprise munici-pale d'eau et à 49% par Aguas de Barcelona, par le biais d'unintermédiaire mexicain. La direction est composée de repré-sentants de la communauté d'entrepreneurs locaux, maiselle manque d'une capacité indépendante de recherche, deconnaissances techniques et de sources d'informations pro-pres. Un groupe citoyen de vigilance s'est vu refuser toutaccès à l'entreprise. Parmi toutes les expériences de privati-sation au Mexique, celle-ci est la plus polémique : durant lesdeux premières années, les tarifs d'eau ont augmenté entre32 et 68%, contrevenant aux conditions de concession quilimitaient les hausses en fonction de l'inflation à environ11%. L'auditeur du Congrès local a révélé des irrégularitéssubstantielles dans les transactions financières, y comprisdes augmentations de prix non autorisées, des change-ments non autorisés de services, des procédures impropresd'acquisition d'équipements et des disputes entre la direc-tion et le syndicat. Malgré tous ces problèmes, l'entrepriseest considérée comme un succès au niveau de l'améliorationde la qualité du service et de l'augmentation de sa couvertu-re. Cependant, les violations flagrantes des conditions de saconcession ont donné lieu à d'importantes protestations.

La plus grande expérience en matière de gestion d'eau par lesecteur privé est la ville de Mexico. En 1994, la ville a étédivisée en quatre quarts et dans chacun d'eux, un contrat dedix ans fut attribué à des entreprises à capitaux majoritaire-ment mexicains mais avec des partenaires étrangers dispo-sant d'une expérience dans le secteur. Néanmoins durant ladécennie qui a suivi, trois entreprises sur les quatre furentréorganisées et certaines parties ont été vendues à d'autresacteurs. Il est surprenant de constater que la population estencore aujourd'hui inconsciente du fait que cette part dusecteur est gérée par des entreprises privées.

Et les gens?

Lorsque la société civile remet en cause les poli-tiques publiques et propose de nouveaux projets, elle estconfrontée à une absence de réponse officielle ou, pire àune mobilisation rapide des forces de l'ordre pour dissoudretoute action collective. Lors des confrontations les plusrécentes, les agences du gouvernement ont souvent accep-tés des compromis irréalistes. Mais lorsque l'Etat s'estabstenu d'honorer ses promesses, la mobilisation des popu-lations s'est soldée par des emprisonnements, des tortureset même des assassinats des leaders locaux.

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Les fonctionnaires publiques ont tenté de reléguer le débatsur la gestion de l'eau au Mexique à un niveau purementtechnique, excluant tout débat avec la société : les déci-sions essentielles seraient trop complexes pour que lecitoyen ordinaire puisse y participer. Dialoguer avec desopposants informés ou de propositions alternatives estinconcevable. Toute approche alternative des politiquespubliques ou de leurs priorités est irrecevable. Les intérêts " collectifs " de la Nation, tels que définis par l'élite au servi-ce du capital, sont toujours plus importants que les intérêtsdes populations directement victimes des pouvoirs écono-miques. Sans prendre en considération la " raison ", la pra-tique actuelle au Mexique a mené à la construction d'unegestion nationale de l'eau et d'un système d'utilisation decelle-ci qui détruisent des écosystèmes et empoisonnent lesgens. Ils laissent le pays mal préparé pour affronter les défisd'un développement durable et équitable. Les décisions sontprises de manière ad hoc et sans les connaissances adé-quates, uniquement sur base de confrontations entre grou-pes inégaux. Les ressources sont gaspillées, les personnespassent au deuxième plan et l'ensemble de la population enpaie les conséquences, à l'exception de certains opportunis-tes qui réalisent des profits à court terme.

Conclusions

Le Mexique est incapable d'assurer un service d'eauadéquat et accessible à tous. Il est incapable de protéger lesécosystèmes dont dépend son avenir. L'obstacle majeurauquel le pays est confronté pour atteindre ces objectifs estle refus du gouvernement d'animer ou même d'accepter uneparticipation sociale dans les discussions sur la gestion, lecontrôle ou l'administration des services publics. Les barriè-res les plus importantes se situent au niveau de la solvabili-té financière et de l'incapacité d'introduire des mécanismesde régulation et de spécialisation qui amélioreraient sub-stantiellement l'administration, la qualité et l'efficacité duservice. Ces limites ne seront gérables qu'avec la participa-tion de groupes citoyens dans la résolution des problèmesau fur et à mesure qu'ils se présentent.

Cette expérience confirme le besoin d'une institution indé-pendante de régulation, au niveau tant des organismespublics que du secteur privé. La participation étrangère dansles services locaux d'eau n'offre qu'une maigre consolationaux défenseurs de la privatisation. Certes, des améliorationssignificatives ont été atteintes en termes de nombre declients servis et de rentrées financières. Mais beaucoup dequestions importantes restent sans réponse, notammentsur les pratiques financières des entreprises concernées.Par ailleurs, les rares exemples d'organismes publics indé-pendants offrant un service efficace montrent que le gou-vernement peut se réorganiser de manière productive.Malheureusement, dans la plus grande partie du pays, lesentreprises publiques gérant la problématique de l'eau sontextrêmement mal préparées à satisfaire les besoins de leursclients ou à affronter les demandes futures. Le schémaactuel de décentralisation offre plus de chances aux politi-ciens ambitieux et soucieux de contrôler le système au pro-fit de leur enrichissement personnel, qu'à la création demécanismes efficaces aptes à assurer des bénéfices pour lasociété. LLee tteexxttee ccoommpplleett ddee cceett aarrttiiccllee aa ééttéé ppuubblliiéé eenn aannggllaaiiss eett eessppaaggnnooll ppaarr llee

""TTrraannssnnaattiioonnaall IInnssttiittuutt"" ((AAmmsstteerrddaamm))

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En négociant deux accords commerciaux (avecl'Union européenne sur le plan bilatéral et au sein del'Organisation mondiale du commerce sur le plan multilaté-ral), le Brésil, par l'intermédiaire de ses acteurs politiquesreprésentant respectivement l'agriculture industrielle etfamiliale, se bat pour trouver un espace politique et écono-mique dans les forums internationaux de négociations com-merciales.

Cherchant à légitimer les avancées significatives des fillièresagroindustrielles dans l'agriculture et l'économie du pays,les représentants des secteurs de production à grandeéchelle détiennent, en majeur partie, le pouvoir d'orienter lespropositions dans le cadre des négociations actuelles. Cequi fait que des thèmes comme le développement durablerestent en dehors de l'agenda de celles-ci. En fait, l'intégra-tion de ces thèmes est essentiellement fonction des initiati-ves prises par les négociateurs des pays dits développés envue de protéger un groupe toujours plus restreint d'agricul-teurs. En attendant et en opposition à cette tendance, lesorganisations défendant l'agriculture familiale et quelquesrares secteurs du gouvernement brésilien qui s'engagent enfaveur de la sécurité et de la souveraîneté alimentaires ten-tent de construire des alternatives aux orientations actuellesqui traduisent la domination économique des multinationa-les alimentaires.

Deux accords, un objectif.

L'accord multilatéral en négociation à l'Organisationmondiale du Commerce (OMC) et l'accord discuté entre leMercosur et l'Union européenne visent une ouverture desmarchés et une réduction des subsides qui stimulent tant laproduction que l'exportation des produits agricoles. Bienque l'accord entre le Mercosur et l'Europe soit toujours enphase de négociation, l'échange de propositions entre lesdeux bloques est actuellement arrêté. Toute l'attention seporte en effet vers les négociations au sein de l'OMC

Le Brésil joue un rôle de grande importance dans le cadre deces deux processus de négociations. Soit au côté del'Argentine quant il s'agit de défendre le Mercosur. Soit auxcôtés de l'Inde et de la Chine au sein du G20. Dans les deuxcas, le Brésil développe une position agressive tant sur lethème des subsides agricoles que sur celui de l'ouverturedes marchés. Et pourtant, si cette approche est soutenue

majoritairement par les négociateurs, elle n'est pas homo-gène au sein du gouvernement brésilien. En effet, le minist-re du Développement Rural, avec l'appui de diverses organi-sations de la société civile cherche a protéger les intérêts del'agriculture familiale et paysanne par le biais de mécanis-mes qui puissent être utilisés pour garantir la souveraînetéet la sécurité alimentaire.

Actuellement, la stratégie principale du gouvernement brési-lien est d'obliger l'Union européenne tant à ouvrir ses mar-chés qu'à diminuer les subsides qu'elle octroie aux agricul-teurs de ses pays membres. Mais cette stratégie rencontreune grande résistance au sein de l'Union. Un des principauxopposants à l'ouverture commerciale er à la diminution dessubsides est la France qui envisagea même la suppressiondu mandat du négociateur européen, le CommissaireMandelson, si celui-ci cédait à la forte pression brésilienne.Cette impasse a mené les négociations au sein de l'OMC àse prolonger en 2006.

Néanmoins, même pour certains secteurs représentant l'a-griculture à grande échelle au Brésil, la stratégie de leur paysau sein des négociations avec l'Union européenne et lesEtats Unis est erronée. Selon Camargo Neto, cité par RaquelLandim, dans "Valor Econômico", le 14 novembre 2005, "lapriorité du Brésil à l'OMC devrait être la diminution des sub-sides". Car en mettant toutes ses forces au service de cettecause au niveau multilatéral, le conflit sur l'accès aux mar-chés pourraient se règler par le biais des accords bilatéraux.Cette argumentation se base aussi sur les déclarations del'Union européenne qui affirme qu'elle ne discutera pas de laquestion des subsides avec le Mercosur, laissant donc à cethème l'OMC comme seul lieu de négociation.

Agriculture à grande échelle et accords de libérali-sation commerciale

Le secteur agricole occupe une place importantedans l'économie brésilienne. Alors que dans certains pays del'Union européenne, l'agriculture et l'élevage ne dépassentpas 3% du produit interne brut, ils atteignent 30% au Brésil.Dans le tableau qui suit, on découvrira la participation dusecteur agricole dans le produit interne brut (PIB) du pays telqu'il a évolué durant ces dix dernières années. On y lira qu'iloccupe une part croissante du PIB national. Et ceci alorsqu'on s'attend à une demande accrue de matières premièresagricoles poussée actuellement par la Chine et dans le futurpar l'Inde.

TTaabblleeaauu 11 PPaarrttiicciippaattiioonn ddaannss llee PPIIBB dduu BBrrééssiill ((%%))

Període Total Agriculture Elevage1994 30,45 21,96 8,481995 30,07 21,45 8,621996 28,81 20,71 8,101997 27,65 20,09 7,561998 27,78 19,89 7,891999 28,07 19,76 8,312000 26,92 18,55 8,372001 27,04 18,66 8,382002 28,86 20,25 8,612003 30,58 21,69 8,902004 30,07 21,39 8,68

Sources: PIB total: IBGE; PIB Agro: Cepea-USP/CNA.

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Partie II

Les négociations inter-nationales vues par lemonde rural brésilienGermano Batista Rodrigues

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C'est pour cette raison que le gouvernement brésilien s'in-vestit largement en vue de faire progresser les négociationsagricoles. De la même manière, les organisations représen-tant les agriculteurs patronaux et familiaux suivent active-ment ces dernières. Mais les conceptions qui sous-tendentle développement agricole et les priorités au sein des négo-ciations multilatérales et bilatérales sont différentes selonqu'elles émanent du secteur de l'agriculture familiale et pay-sanne ou du secteur des entreprises agricoles.

L'agriculture patronale et processus de libéralisation

L'agriculture patronale brésilienne s'appuie sur desréférences économiques comme celles produites par laBanque mondiale qui affirme (voir "Valor Econômico, 14novembre 2005.) qu' "une libéralisation totale augmenteraitla rente réelle liquide des activités agricoles de 46%". Cetype d'arguments est utilisé autour de toutes les tables dediscussions sur le commerce agricole au Brésil. Mais on n'ydiscute nullement des impacts qu'une ouverture commer-ciale de cette envergure aurait sur les pays en développe-ment.

L'ouverture commerciale unilatérale brésilienne date déjà d'ily a pratiquement quinze ans. Elle s'accompagne d'une dimi-nution des subsides et des taxes tant à l'importation qu'àl'exportation. Différentes entreprises commerciales commeCargill et Bunge ont ainsi occupé l'espace abandonné par legouvernement fédéral qui soutenait financièrement jusquelà certaines parties de la production. Ces acteurs ont stimu-lè certains secteurs du commerce agricole dont les exem-ples les plus marquants sont la production agroindustriellede soja ainsi que les multinationales du secteur laitiercomme Danone, Nestlé et Parmalat qui se sont emparè dela distribution des produits lactés.

Parallèlement à ce glissement des investissements du sec-teur public vers le secteur privé s'est produit une intensifica-tion de la migration des productions des régions tradition-nelles (Sud et Sud Est) vers d'autres régions (Centre, Ouestet Nord.) Actuellement non seulement les cultures du soja,du maïs et du coton ont augmenté dans ces nouvellesrégions mais s'y sont ajoutées des industries liées aux sec-teurs de la viande, du lait, de l'huile, du sucre et de l'alcool.Celles-ci occupent aujourd'hui des territoires auparavantpresque uniquement dédiés à l'élevage intensif de bovins età la production de grains.

L'évolution du modèle de financement des activités agrico-les à partir des années 90, avec l'arrivée des acteurs privés,n'a pas stimulé la production agricole brésilienne mais l'aorientée vers la production de matières premières pour l'ex-portation. Selon des informations fournies par les NationsUnies, le Brésil est le pays qui a connu la plus forte crois-sance d'exportations agricoles sur le marché mondial pen-dant la période 1990-2003: 6, 2% en moyenne annuellealors que durant la même période, les taux de croissance del'Union européene et des Etats-Unis furent respectivementde 3,2% et 2%. Ces deux grands producteurs restent néan-moins les principaux exportateurs agricoles dans le mondeavec environ 61 milliards de dollars chacun. Mais le Brésil sesitue maintenant au troisième rang avec un chiffre qui atteintpresque les 20 milliards. Ce qui explique le niveau financier

limité des exportations brésiliennes vers l'Europe et lesEtats-Unis, c'est qu'elles concernent essentiellement desmatières premières à faible valeur ajoutée comme le soja.

L'agriculture familiale victime de la libéralisation

Le secteur de l'agriculture familiale est celui qui aconnu le plus de pertes suite aux processus de libéralisationcommerciale qui a débuté dans les années 90 et s'étendactuellement. Selon les données de la Compagnie Nationaled'Approvisionnement (CONAB), reprises dans le tableau 2 ci-dessous, presque toutes les cultures ont vu leurs surfacesdiminuer entre 1990 et 2004.

Seul le soja a connu un développement absolu réellementconsidérable. Ce qui fait qu'aujourd'hui, il occupe 50% desterres cultivées au Brésil soit le double d'il y a 15 ans.L'expansion du soja est due essentiellement aux avancéesde cette culture dans d'autres régions que le sud du pays etsur base d'une production à grande échelle qui est arrivée àtirer profit des évolutions de la politique agricole brésilienne.

La culture du coton qui se basait jusque dans les années 80sur une agriculture de type familial s'est fortement réduiteavec l'ouverture commerciale de la décennie des années 90.Actuellement, elle récupère du terrain mais sans arriver auxniveaux d'il y a quinze ans. Cette augmentation est due auxchangements stratégiques que connaît la Chine qui estpassé d'un rôle d'exportateur à celui d'importateur de cotonbrésilien pour alimenter ses industries textiles. Mais, la pro-duction de coton n'est plus aujourd'hui le fruit de l'agricultu-re familiale. Celle-ci a été remplacée par de grands produc-teurs installés au coeur de l'Etat de Bahia et dans la régiondu Centre-Ouest.

TTaabblleeaauu 22 SSuuppeerrffiicciieess AAggrrííccoolleess :: rrééccoolltteess ddee 11999900//9911 aa 22000044//0055 ((eenn mmiilllliieerrss dd'' hheeccttaarreess))

PPRROODDUUIITTSS 11999900//9911 11999955//9966 22000000//0011 22000044//0066 %%COTON 1.938,8 952,5 868,4 1.172,4 - 39,53ARACHIDE 87,4 81,4 102,4 129,5 + 48,17RIZ 4.232,8 3.863,6 3.248,6 3.916,3 - 7,48AVOINE 253,7 147,1 248,5 326,2 + 28,58SEIGLE 5,2 5,4 7,2 2,6 -50,00ORGE 98,1 89,1 140,6 140,0 +42,71HARICOT 5.504,2 5.272,9 3.878,7 3.812,8 - 30,73MAMONA 238,9 121,5 161,4 215,1 - 9,96MAIS 13.451,4 13.756,7 12.972,5 12.025,7 - 10,60SOJA 9.742,5 10.663,2 13.969,8 23.301,1 +139,17SORGHO 194,8 184,6 502,0 788,5 +304,77BLE 2.145,9 1.832,9 1.710,2 2.756,3 +28,44BBRREESSIILL 3377..889933,,77 3366..997700,,99 3377..884477,,33 4488..773366,,11 ++2288,,6611

Source : Conab. 2005. Elaboration: Deser.

Les indicateurs sont donc clairs : ils traduisent l'évolution del'agriculture brésilienne depuis 15 ans et sa migration versde nouvelles régions lui offrant des conditions de productionadaptées aux grands latifundios. Ils montrent que l'agricultu-re familiale perd progressivement des espaces commeacteur indépendant du secteur agricole brésilien.

Le retrait de l'Etat comme moteur du développement agri-cole et l'élimination des restrictions à l'importation d'intrantsainsi que des taxes d'exportation ont amené l'agriculturefamiliale à se convertir en maillon des agro-industries au seind'un système de production intégré. Elle a perdu ainsi toute

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maîtrise du système de production. Ceci se manifeste parexemple dans le secteur avicole dominé au Sud du pays parde grandes industries brésiliennes ou étrangères commePerdigão, Sadia, Cargill ou Doux, parmi d'autres.

Pour conclure, donnons la parole à diverses organisationsreprésentatives et entités liées à l'agriculture familiale et pay-sanne. Celles-ci ont présenté un document lors du séminai-re organisé par le " réseau brésilien pour l'intégration despeuples" (REBRIP), le 7 octobre 2005. Ces acteurs sontentrés en résistance en vue de modifier les politiques delibéralisation commerciale qui se sont développées depuis1990 et qui sont actuellement en négociation tant entrel'Union européenne et le Mercosur que dans le cadre del'OMC. Pour ces organisations, il s'agit de défendre l'agricul-ture familiale et de promouvoir tant la souveraîneté que lasécurité alimentaire en exigeant du gouvernement brésilien:

1) Qu'il refuse toute mesure qui limite les politiquespubliques actuelles d'appui à l'agriculture familiale et pay-sanne, en matière de développement rural, de crédit, deréforme agraire, de recherche, de sécurité alimentaire,d'assistance technique et d'augmentation des superficiesagricoles.

2) Qu'il donne, au contraire, la priorité à un développe-ment substantiel de ces politiques.

3) Qu'il refuse toute mesure qui limite sa capacité à pro-téger l'agriculture familiale et paysanne des importationsqui affectent et destructurent ce secteur en compromet-tant la souveraîneté et sécurité alimentaires de ses pro-ducteurs : le gouvernement doit préserver la possibilitéd'appliquer des mesures de défense commerciale, ycompris par l'augmentation des tarifs.

4) Qu'il lutte pour l'élimination du dumping.

5) Qu'il refuse tout accord concernant la propriété intel-lectuelle et qui vise à limiter l'accès et le contrôle des agri-culteurs sur les semences, la biodiversité et d'autres res-sources : il faut lancer des débats politiques y comprispour revoir les lois actuelles sur les patentes et brevetsagricoles de façon à garantir les droits des agriculteurs.

6) Qu'il refuse les échanges croisés qui balisent les mar-chandages au sein des négociations commerciales: lesbénéfices illusoires retirés par d'aucuns ne doivent pass'échanger contre des pertes effectives subies par desmillions d'autres.

7) Qu'il garantisse la gestion, l'amplification et la qualitédes services publics fondamentaux pour le développe-ment de la société comme l'énergie, l'éducation, la santé,la sécurité sociale, l'eau... parmi d'autres.

La société civile, et plus particulièrement les acteurs de l'a-griculture familiale et les paysans doivent être pleinementassurés que seront garantis leurs droits à participer à tousles processus de décisions dans le cadre du mandat denégociation des représentants brésiliens au sein des négo-ciations internationales et qu'ils pourront en accompagner lamise en oeuvre.

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Partie III :Une coopération au développement

contestée

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C'est en l'an 2000 qu'est entré en vigueur un " Accord Global " entre l'Union européenne et la Républiquedu Mexique. Cet accord fut défini avec beaucoup d'empha-se comme " hautement innovateur " car il intégrait une clau-se dite " démocratique " comme prémisse à la validité de l'ac-cord. Elle engage les partenaires à respecter l'ensemble descontenus de la "Déclaration universelle des droits del'Homme".

Cet accord, a-t-il été déclaré, était un modèle pour tous lesfuturs accords signés par l'Union Européenne dans lemonde. Malheureusement, cet accord comme les suivantsont oublié de définir qui veillerait au respect de la clausedémocratique et avec quels instruments. Elle est donc res-tée une inefficace déclaration de pure rhétorique. Il suffit,pour s'en rendre compte de se souvenir des nombreux rap-ports établis par les Commissions des Droits de l'Hommetant des Nations Unies que de l'Organisation des EtatsAméricains qui dénoncent les graves violations de ces droitsau Mexique.

L' Accord Global est articulé en trois parties : l'associationéconomique, la concertation politique et la coopération audéveloppement. Mais, dans la pratique, la seule qui ait faitdes pas du géant est l'association économique qui s'est tra-duite en un accord de libre commerce qui a rejeté les autresobjectifs dans l'ombre.

Prodesis, phare de la Coopération européenne auMexique

La coopération au développement fut balisée par unaccord ultérieur dont la seule réelle concrétisation (à partquelques microprojets pour quelques milliers d'euros cha-cun) est le projet appelé PRODESIS. Il fut dessiné en 2002puis signé entre la Commission européenne et le gouverne-ment de l'Etat mexicain du Chiapas. Il est entré en vigueur àla fin 2003.

PRODESIS signifie en espagnol " Projet de développementintégré et durable de la Selva Lacandona ". L'engagementfinancier du gouvernement local est de 31 millions d'euros.Il se monte à 30 millions d'euros pour l'Union européenne.Ce Projet fait partie d'un programme plus vaste défini par laGouvernement du Chiapas et appelé PIDSS (Programme

intégral de développement durable de la Selva). Selon la ver-sion officielle, l'Union européenne a choisi l'Etat du Chiapas,situé dans la zone méridionale des Etats les plus pauvres dupays (Chiapas, Oaxaca, Guerrero) car c'est lui qui avait pré-senté la proposition la plus fiable. Le projet se réalise dansla partie occidentale de la Selva Lacandona, une des grandesforêts tropicales résiduelles au sein de laquelle on a définiune zone de protection absolue : la réserve intégrale de labiosphère des Monts bleus (Montes Azules). Les habitantsde quelques dizaines de petites communautés qui s'yétaient établies durant les années 50 en sont actuellementévacués car tenus pour responsables de la détérioration duterritoire.

Le Projet PRODESIS concerne 16 des 36 nouvelles microré-gions redessinées par le gouvernement actuel pour diviser leterritoire. Il poursuit 2 objectifs principaux :

- la diminution de la pression humaine sur le patrimoineenvironnemental des Monts bleus pour en préserver inté-gralement la très riche biodiversité ;

- la création d'un modèle de développement durable capa-ble d'élever le niveau de vie des populations.

Les 16 microrégions sont toutes situées sur le bord occi-dental de la réserve, et pour certaines d'entre elles au seinde la réserve elle-même. Leur étendue totale est de1.260.000 hectares. Y vivent 150.000 personnes, presqueentièrement mayas, répartis en 830 communautés.

Formellement, le projet poursuit des objectifs indiscutables.Mais dans la réalité, il pose diverses questions et connaîtdes problèmes d'exécution dont nous avons pu nous rendrecompte lors de notre dernier voyage sur place en août 2005.

Droits des communautés indigènes : des textes auxréalités

Revenons à la Clause Démocratique prévue parl'Accord Global. Son application demanderait le respect inté-gral de la Charte universelle des droits de l'Homme et en par-ticulier, s'agissant d'une zone traditionnellement indigène, lerespect des " droits communautaires indigènes ". Ces droitssont pratiquement méconnus et la décennie organisée parles Nations Unies pour parvenir à leur proclamation s'estconclue en décembre 2004 par un échec. Toutefois, il existeun Traité International, le Traité 169 du Bureau Internationaldu Travail, organisme du système des Nations Unies, quiintègre plusieurs des droits essentiels qui faisaient partie del'ensemble des droits communautaires dont la reconnais-sance fut vainement discutée aux Nations Unies pendant 10ans. (voir : www.ilo.org/ilolex et aussi pour les droits indigè-nes, le site de l'ONG mexicaine www.ciepac.org). Ce Traité aété signé par presque tous les Etats membres mais ratifiépar peu d'entre eux. En Europe, le Danemark et la Hollandese sont signalés positivement en ce domaine. Mais il fautsurtout remarquer que le Mexique est également dans cecas. Or, ce Traité l'oblige à consulter ses populations indigè-nes et à obtenir leur accord chaque fois qu'un projet doit seréaliser au sein de leurs territoires. En ce qui concernel'Union européenne, il existe un document de 1998, confirmé

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Partie III

PRODESIS ou les facescontestées de la coopération européenneAldo Zanchetta

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par le Conseil en 2002, qui pose les mêmes exigences.Celles-ci furent intégrée dans le document fondant le projetPRODESIS qui estime nécessaire une large consultation despopulations concernées.

En Février 2005, les Nations Unies et l'Unesco ont organiséà Paris une conférence sur la biodiversité : l'invitation à celle-ci soulignait la nécessité de voir converger les intérêts de lasociété civile, y compris ceux des peuples indigènes, et ceuxdu secteur privé pour atteindre en 2010 les objectifs fixés auniveau mondial en matière de protection de la biodiversité.Mais en mars, au retour d'une concertation avec le gouver-nement français en préparation à la conférence mondiale surle tourisme durable, le Gouverneur Pablo Salazar Mendiguciaordonnait l'évacuation totale des Monts Bleus. Coïncidence :auparavant, ce sont des techniciens français qui avaientappuyé l'Université Autonome du Mexique pour définir leslimites des 36 microrégions concernées. Et, en mars unedélégation de la multinationale pharmaceutique françaiseSanofi-Aventis avait visité le Chiapas à l'instar d'ailleurs d'au-tres entreprises, suisses, allemandes et plus récemment,italiennes. Ces rencontres, destinées à étudier la disponibili-té des indigènes détenteurs des savoirs de la médicine tra-ditionnelle à collaborer avec les laboratoires européens,visent à réduire la durée des coûteuses recherches en matiè-re biologique. On dit qu'un indice n'est qu'un indice, maisque trois indices font une preuve….

Pluie de projets et bio colonialisme.

Le secteur pharmaceutique, tout comme l'agro-industrie, est une branche de l'économie mondiale qui est enpleine croissance. L' Organisation Mondiale de la Santé aainsi chiffré à 60 milliards de dollars le chiffre d'affaire annuelque les industries pharmaceutiques réalisent en produisantdes médicaments à base de plantes. La richesse biologiquedes forêts du Chiapas est parmi les plus importantes dumonde. Ne risque-t-elle pas d'être l'objet de la convoitise desmultinationales concernées ? Dès 1998, le Chiapas fut l'ob-jet d'un projet de prospection (ICBG-Maya) financé par uneuniversité des Etats-Unis : des milliers d'échantillons deplantes et de semences furent prélevés et exportés dans cecadre (voir www.etcgroup.org et http://rafi.org). Ce projet futarrêté par une campagne internationale menée par leConseil des médecins et accoucheuses indigènes duChiapas (COMPITCH) et d'autres organisations de la sociétécivile.

A son tour, le projet PRODESIS fut soupçonné dès le débutde visées bio coloniales par quelques communautés locales.Considérées comme fantaisistes, ces accusations ont repriscorps suite aux initiatives du gouvernement du Chipas visantà internationaliser et à privatiser l'utilisation des ressourcesbiologiques du territoire concerné. En témoigne une décla-ration récente du Gouverneur de l'Etat lors de la clôture de larencontre latino-américaine pour l'intégration qui s'est tenueles 9 et 10 juin 2005 : " les ressources du Chiapas suffisentpar elles-mêmes à créer une grande nation " Ce à quoi arépondu une incroyable proposition de l'actuel responsablede l'Organisation Mondiale du Commerce, Pascal Lamy qui aappelé à " l'internationalisation de l'utilisation protégées desressources biologiques du monde ", projet qui demanderade grands capitaux financiers, naturellement privés.

C'est dans ce contexte que le gouvernement du Chiapas aorganisée en février et mars 2005 trois congrès internatio-naux dans trois villes différentes de l'Etat en vue de soumet-tre de façon accélérée à consultation internationale un pro-jet de loi " pour la conservation de la biodiversité et la pro-tection environnementale de l'Etat du Chiapas ". (cfr:www.chiapas.gob.mx et www.ihne.chiapas.gob.mx). Lorsde la rencontre du 4 mars, les spécialistes qui participaientaux débats proposèrent que l'initiative privée et les organi-sations internationales interviennent dans l'élaboration desprogrammes visant à la gestion des surfaces naturelles pro-tégées. Les experts ont souligné que le projet de loi préparépar l'exécutif de l'Etat était d'avant-garde (voir : " la Jornada "du 7 mars 2005). Et Iñacio March, directeur scientifique del'organisation internationale " Nature Conservancy " a ajoutéque " les populations indigènes et paysannes propriétairesde la plupart des terres concernées devaient intégrer l'initia-tive privée et les organisations environnementales commedes alliés ". Face aux réactions d'une partie de la sociétélocale accusant le gouvernement de vendre la souveraineténationale dans le secteur alimentaire et biologique, le gou-vernement a reconnu que le fait de soumettre le projet de loia consultation internationale avant de mener une discussionsur le plan local avait été une erreur. Toutefois, il n'a pasrenoncé à ses objectifs malgré les protestations de 350organisations indigènes et paysannes réunies en congrèspour dénoncer non seulement son projet de loi mais aussil'ensemble des projets internationaux en cours dans larégion : du " Couloir biologique Mésoaméricain au projet tou-ristique 'Ruta Maya' en passant par les grandes œuvres d'in-frastructure prévues par le plan dénommé " Puebla-Panama "et qui vise à relier la région centrale du Mexique à l'isthme dePanama en passant par le Chiapas. A ceci, il faut encoreajouter le " Plan intégral de restructuration de la SelvaLacandona ", les projets financés par les agences duGouvernement des Etats-Unis, la coopération allemande, laBanque mondiale, les Nations Unies, des Fondationscomme Ford ou des ONG comme Oxfam… Bref : une pluiede programmes pour un seul territoire, sans objectifs tou-jours compatibles entre eux…

Le Chiapas attirent donc bien des intérêts… et tous nevisent pas à la seule réduction de la pauvreté ou à la protec-tion des ressources de la région. Ainsi, récemment, l'entre-prise multinationale Monsanto a acheté la société mexicaineSeminis, spécialisée dans la production et l'exportation desemences vers près de 150 pays : or, cette entreprise estlocalisée à proximité des Monts Bleus.

Dans un tel contexte, le COMPITCH déjà cité, s'étonne, dansun de ses documents, que pour réaliser un projet destiné àréduire la pauvreté dans une des régions les plus défavori-sées du Mexique, la Commission Européenne ait ignoré lazone voisine des " Altos de Chiapas ", plus pauvre car moinsriche en ressources naturelles et ait préféré à la partie orien-tale de la forêt, plus densément peuplée, la partie occiden-tale, moins peuplées et plus riche en ressources naturellesdiverses.

Enfin signalons que l'ONG " Madera del Pueblo " soupçonnela chaîne hôtelière destinée à favoriser l'écotourisme et pré-vue par le projet PRODESIS de cacher en partie d'autres acti-vités: l'un de ses établissements n'est pas accessible aupublic (il est même difficile de s'en approcher), ce qui est

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plutôt curieux pour une structure dont le but est d'accueillirles touristes.

Bien des questions qui laissent planer des doutes sur lecaractère désintéressé du projet dans un contexte de cour-se internationale aux nouvelles richesses offertes par la bio-diversité exceptionnelle du Chiapas.

Une entreprise anti-insurrectionnelle ?

Mais le projet PRODESIS n'est pas seulement misen cause pour le rôle qu'il jouerait en matière de biodiversi-té. Il est aussi questionné pour ses objectifs stratégiques. LeChiapas est bien connu pour être le lieu d'un conflit entrel'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) et les for-ces armées mexicaines. Ce conflit est aujourd'hui loin d'êtrerésolu. Il a entraîné l'apparition de forces paramilitaires enco-re en activité et qui ont même tendance aujourd'hui à se mul-tiplier après la relative accalmie qui a marqué le début du siè-cle.

Le territoire d'influence de l' EZLN, qui en partie est intégrédans la zone couverte par le PRODESIS, est caractériséactuellement par une expérience d'autogestion originale,celle des " caracoles " : ces unités d'organisation territoriale,sociale, économique et culturelle réunissent 28 municipali-tés comprenant plusieurs centaines de communautés. Dansces unités " non légales mais légitimes ", s'applique le conte-nu des accords de San Andrés, signés en 1996 entre l'insur-rection et le gouvernement mais jamais traduits par celui cien instruments légaux et dont la méconnaissance est a labase de la permanence du conflit.

Il existe en outre au Chiapas d'autres luttes sociales, essen-tiellement causées par des problèmes de propriété des ter-res. Elles sont menées par des organisations qui ne sont pasliées à l'EZLN mais qui n'en sont pas moins en conflit avec legouvernement : citons, par exemple, l' " ARIC Independiente"(paysans) o Xi 'nich (indigènes). Il faut ajouter à cela la résis-tance de plusieurs communautés à leur évacuation forcéedes Monts Bleus.

Les divers protagonistes de ces conflits ont refusé de parti-ciper aux discussions concernant le projet PRODESIS. Cedernier avait en effet été formulé avant le lancement de laconcertation et les organisations concernées craignaient,comme c'est souvent le cas avec le gouvernement mexicain,de voir leur seule présence actée comme assentiment auprojet. Les mêmes motivations avaient d'ailleurs amené plu-sieurs ONG de la région à rejeter toute participation.

Ces absences pèsent sur la légitimité d'un projet suspectéde couvrir un processus anti-insurrectionnel. C'est-à-dire d'a-voir été conçu, consciemment ou non, de façon à accroîtreles tensions existantes et pour légitimer ainsi la présence etles interventions de l'armée mexicaine et des forces parami-litaires dans la zone.

Un projet contradictoire et mal parti

Le texte qui fonde le projet PRODESIS souligne l'importanced'assurer une cohérence entre celui-ci et les autres projets

internationaux et nationaux en cours de réalisation dans larégion. L'armée fédérale y est par exemple en train de cons-truire un réseau de routes dont les caractéristiques ont étédénoncées par plusieurs communautés qui soupçonnent ceprojet de poursuivre des objectifs militaires bien déterminés.Au lieu de prendre en compte les racines des conflits encours et de dialoguer avec toutes les populations concer-nées, le PRODESIS risque d'accroître les tensions dans lazone.

Au moment d'écrire ces lignes, il devrait être déjà bien avan-cé. Néanmoins, la bureaucratie excessive et l'inexpériencedes européens confrontées à une multiplicité d'acteurs insti-tutionnels à mettre d'accord au niveau des municipalités, del'Etat du Chiapas et de l'Etat fédéral, ont retardé le lancementdes opérations. Les premiers euros commencent seulementà arriver et encore au goutte a goutte. Or, les élections pré-vues en 2006 approchent à grands pas et la campagne élec-torale risque de faire intervenir un nombre croissant de fac-teurs partisans.

Ne serait-il pas temps de remettre en cause un projet por-teur de tant de contradictions et qui est loin de faire l'unani-mité parmi les communautés locales et les observateursinternationaux ?

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PPeennddaanntt qquuee jj''ééccrriiss cceett aarrttiiccllee,, llee SSuudd dduu MMeexxiiqquuee eettll''AAmméérriiqquuee cceennttrraallee,, pplluuss ccoonnccrrèètteemmeenntt llee SSaallvvaaddoorr eett lleeGGuuaatteemmaallaa,, ssoonntt,, uunnee ffooiiss ddee pplluuss,, vviiccttiimmeess dd''uunn ddééssaassttrreennaattuurreell aapprrèèss llee ppaassssaaggee ddee ll''oouurraaggaann SSttaann.. EEtt lleess eeffffeettss lleesspplluuss ddéévvaassttaatteeuurrss ddee cceettttee ccaattaassttrroopphhee nnaattuurreellllee rreettoommbbeennttàà nnoouuvveeaauu ssuurr lleess ééppaauulleess ddeess sseecctteeuurrss lleess pplluuss vvuullnnéérraabblleessddee llaa ssoocciiééttéé:: lleess ppooppuullaattiioonnss rruurraalleess,, lleess ppaayyssaannss eett ppaayy-ssaannnneess,, lleess ffeemmmmeess eett lleess ccoommmmuunnaauuttééss iinnddiiggèènneess..

Cependant, nous ne devons pas laisser passer l'occasion deréfléchir aux causes structurelles qui se trouvent à la basedes effets dévastateurs dus à la vulnérabilité environnemen-tale de cette région. L'exploitation irrationnelle des ressour-ces, l'absence de politiques environnementales et sociales,le manque d'une politique de prévention des catastrophes, lapollution quotidienne, les dommages des systèmes natu-rels… sont autant d'éléments qui ont été constamment aucentre du modèle de "développement" en l'Amérique centra-le et qui ont contribué à approfondir la vulnérabilité écolo-gique et sociale de la région.

Parallèlement au déséquilibre environnemental, il existe enAmérique centrale un déséquilibre social qui fait qu'un phé-nomène naturel se transforme en désastre par les gravesdommages qu'il cause aux populations les plus vulnérables.Ce n'est pas du tout par hasard que les effets les plus dévas-tateurs de ces catastrophes retombent sur les échelons lesplus faibles ou vulnérables de la structure sociale. C'est lerésultat d'un modèle social excluant, qui refuse à desmillions de personnes tout accès aux conditions matériellesassurant une vie digne.

Aujourd'hui, plus que jamais, nous devons à nouveau réflé-chir au modèle de développement qui promeut l'UE enAmérique centrale et, plus concrètement, au type de modè-le d'intégration régionale qui est en train d'être promu. Afinde répondre à ces questions, cet article se divise en deuxparties, la première montre un panorama de l'état actuel desrelations entre les deux régions, dans le cadre plus large desrelations avec l'Amérique latine. La deuxième partie estconsacrée au rôle des politiques de coopération de laCommission européenne (CE) en Amérique centrale, plusconcrètement dans le cadre du processus d'intégrationrégionale de la région.

Quel modèle d'intégration régionale et de cohésionsociale veut impulser l'Union européenne enAmérique centrale?

Historiquement, l'Union européenne a joué un rôlefondamental en Amérique centrale dans les processus denégociations visant à résoudre les conflits armés, établir lapaix et la démocratie, évoluer vers des institutions démocra-tiques ainsi que promouvoir le processus d'intégration régio-nale.

Néanmoins, il persiste encore de graves problèmes qui fontque l'agenda socio-économique des accords de paix n'esttoujours pas respecté et que les causes structurelles de laviolence politique d'hier et sociale d'aujourd'hui n'ont pasencore été résolues. La corruption, l'impunité et les inégali-tés sociales se répercutent clairement sur la gouvernancedémocratique.

Le rapport du PNUD de 2003 sur l'Amérique centrale affirme :"Au début du XXI ème siècle, la pauvreté -en Amérique cen-trale- reste très élevée et, par l'effet de la croissance démo-graphique, il y a davantage de pauvres qu'il y a dix ans. Il exis-te des fortes inégalités tant au niveau de la pauvreté de reve-nus qu'au niveau de la satisfaction des besoins de base. En2001, la moitié de la population de la région d'Amérique cen-trale (50.8%) avait des niveaux de revenus inférieurs auxniveaux considérés comme minimums pour mener une viedigne, priorité du développement humain. Et une personnesur quatre (23%) se trouvait en situation de pauvreté extrême,c'est à dire, ne disposait pas de revenus suffisants pour satis-faire les besoins alimentaires de base. Les zones rurales et lapopulation indigène sont celles qui ont le moins de choix. Ilexiste, par ailleurs, une inégalité très forte au niveau de la dis-tribution des revenus au sein de la population, avec desmodèles similaires à ceux appliqués au reste de l'Amériquelatine et qui font du continent la région la plus inégale aumonde".

Dans ce contexte, l'UE a adopté une nouvelle approche dansses relations avec la région et plus largement avecl'Amérique latine : elle donne priorité à une vision " écono-miciste " du développement dans laquelle la solution à lapauvreté passe par l'ouverture au libre marché. Cette nou-velle approche est reflétée par le rythme accéléré des rela-tions commerciales entre l'UE et l'Amérique latine : desaccords de partenariat intégrant des traités de libre com-merce avec le Mexique, le Chili, des accords en cours denégociation avec le Mercosur, et, dans le cas qui nous pré-occupe, les accords de dialogue politique et de coopérationavec l'Amérique centrale et avec la Communauté Andine quidevraient déboucher sur des futurs Accords de Partenariat,comme l'indique la déclaration finale du troisième Sommetdes Chefs d'Etat et de gouvernement UE-AL, tenu enGuadalajara, Mexique en 2004.

Lors de ce Sommet, les mandataires des deux régions ontdéclaré que les priorités pour l'Amérique latine en général etde l'Amérique centrale en particulier, seraient la cohésionsociale et l'intégration régionale. Mais, qu'est-ce que l'UEentend par ces termes ?

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Partie III

L'intégration en AmériqueCentrale et le rôle de la coopération européenne : desapports pour le développement ? Marta Ibero

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Dans la Déclaration, les mandataires des deux régions affir-ment : " reconnaître les avancées dans la mise en œuvre duPlan d'action pour l'intégration Economique, particulièrementen ce qui concerne l'établissement d'une union douanière enAmérique Centrale et de son programme de travail. La célé-bration d'un Accord de Partenariat incluant une zone de librecommerce est un objectif stratégique commun. Le futurTraité de libre commerce sera construit sur base du résultatdu programme de Doha pour le Développement et sur basede la réalisation d'un niveau suffisant d'intégration écono-mique."

La Déclaration de Guadalajara affirme "…nous donnons unepriorité à la Cohésion sociale en tant que l'un des élémentsprincipaux de notre partenariat stratégique et nous nous som-mes engagés à éradiquer la pauvreté, les inégalités et l'ex-clusion sociale".

Si tout le monde peut être d'accord avec le fait que l'intégra-tion sociale, politique et économique de l'Amérique Centraledoit constituer un moyen pour le développement, la consoli-dation de la démocratie et le renforcement de l'Etat de Droit,il est très préoccupant de constater que la priorité a été clai-rement donnée à l'intégration économique et commerciale.

De plus, il n'y a presque aucune référence aux grands dés-équilibres socio-économiques en Amérique Centrale, ni auxengagements des deux régions en termes de protection desdroits humains : la problématique de l'impunité et des diffi-cultés pour atteindre la gouvernance démocratique dans larégion sont passées pratiquement sous silence.

Bref, les intérêts stratégiques de l'UE en Amérique latine sesituent principalement et presque exclusivement dans ledomaine économique : libéralisation du commerce, desinvestissements et des services. En plus, l'ensemble destrois aspects des Accords -clause démocratique, dialoguepolitique et coopération - est subordonné à la logique com-merciale. Le rythme accéléré des négociations, les pro-grammes de coopération éminemment économiques et leurcentralisation dans la sphère intergouvernementale laisse unénorme vide de fond dans la recherche d'une véritable inté-gration et cohésion sociale. Dans cette perspective, l'UE aréitéré à plusieurs occasions le besoin de créer une " zoneeuro-latino américaine de Libre Commerce pour 2010 "...

Politiques de coopération et d'intégration régionale

Signé en 2003, l'Accord de Dialogue Politique et deCoopération entre l'Union Européenne et l'AmériqueCentrale, constitue l'instrument principal visant à régir etconsolider les liens entre les deux régions.

Si les objectifs de la coopération établis dans l'article 6annoncent que la promotion de la démocratie, du respectdes droits humains et de la bonne gouvernance, la réductionde la pauvreté et l'approfondissement de l'intégration régio-nale sont les objectifs principaux de la coopération, 28 arti-cles sur les 44 consacrés à la coopération ont une approchede coopération économique et commerciale.

De nombreuses organisations non gouvernementales euro-péennes de développement et de droits humains ont mani-

festé leur préoccupation face à cette nouvelle approche dela coopération européenne avec l'Amérique centrale.Concrètement, elles critiquent les principes directeurs quiencadrent la future stratégie de coopération 2007-2013.Ceux-ci indiquent clairement la primauté d'une approcheessentiellement économique au détriment d'une vision poli-tique et sociale de la coopération. Cette intention est trèsclairement reflétée dans la note conceptuelle sur la stratégiede coopération de l'UE avec l'Amérique centrale. Cette noteaffirme que " l'objectif principal de la stratégie régionale estd'appuyer le processus d'intégration politique, économiqueet sociale dans le contexte de la préparation d'un Accord dePartenariat avec l'Union européenne ". Dans la même page lanote affirme que " la cohésion sociale, qui constitue la toilede fond de tous ces efforts, serait opérationnellement déve-loppée dans les stratégies nationales ".

Lorsque l'on étudie en détail les thèmes pris en compte dansle cadre de l'intégration régionale, les concepts " intégrationsociale " et " cohésion " relèvent purement de la rhétorique.L'accent est presque totalement mis sur l'intégration desaspects économiques ou commerciaux. L'approche écono-mique est certes importante, mais face à des populationsmajoritairement affectées par l'exclusion et la pauvreté, lemanque d'une véritable politique d'intégration socialecondamnera ce processus à l'échec.

Il faut donner la même importance à l'intégration sociale etpolitique qu'à l'intégration économique, et ce, afin de pro-mouvoir la paix, la démocratie, le plein respect des droitshumains, les Etats de Droit, l'éradication de la pauvreté, lareconnaissance de la richesse multiethnique et pluriculturel-le de la région et, en particulier, la reconnaissance des droitsdes peuples indigènes. Tout cela, en faveur des secteurs oudes communautés traditionnellement exclues.

L'intégration sociale ne doit pas être traitée comme unthème transversal des politiques de coopération, tel que lesuggère la note conceptuelle de l'Union européenne. Aucontraire, elle doit constituer une ligne stratégique à partentière, avec des montants destinés à la coopération quisoient équivalents aux montants consacrés au renforcementde l'intégration économique.

La cohésion naîtra d'une meilleure distribution des richesseset des revenus, ainsi que de l'élimination des discriminationsde genre et d'origine raciale ou ethnique. Il est urgent deconcrétiser cette dimension sociale dans les politiquesrégionales concertées qui complètent et qui dynamisent lespolitiques nationales. Cela, pour des raisons de principes,comme la justice sociale, mais aussi pour des raisons poli-tiques pratiques : seule une intégration sociale favorisant leprogrès et le bien être permettra aux majorités de la régionde se joindre, dès le départ, au processus d'intégrationrégional, avec leurs valeurs et leurs attentes.Des organisations non gouvernementales européennes ontrépété maintes fois que la participation de la société civiledans le processus d'intégration de l'Amérique centrale estune condition nécessaire pour que ce processus bénéficiede l'appui des populations et intègre tous les secteursconcernés. La participation active de la société civile estessentielle pour l'intégration sociale, les avancées dans l'é-galité sociale, la prévention de conflits, la lutte contre ladélinquance et la marginalisation.

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La note conceptuelle, lorsqu'elle aborde la définition despolitiques de coopération, affirme : " Ainsi, la pleine partici-pation des acteurs non gouvernementaux sera assurée dansle même processus ". Même s'il s'agit, en principe, d'une pro-position fondamentale, la note ne précise pas les mécanis-mes de participation de la société civile. Elle ne dit pas si ellesera impliquée dans tout le processus de définition, de miseen œuvre et d'évaluation des programmes d'appui à l'inté-gration sociale, politique et économique de l'Amérique cen-trale.

Il faut promouvoir clairement des mécanismes de participa-tion de tous les acteurs et secteurs sociaux sans aucunediscrimination. La compétence des organismes institution-nels de consultation sociale des deux régions, le CCSICA (leConseil Consultatif du système d'intégration centraméricain)et le CESE (le Comité économique et social européen), estreconnue mais ceux-ci ne représentent pas tout le tissu dela société civile organisée. Il faut donc trouver des formesd'institutionnalisation du dialogue qui soient plus ouvertes etplus inclusives.

Fort probablement, lors du prochain Sommet des Chefsd'Etat et de gouvernement de l'Amérique latine et de l'UE,qui aura lieu au mois de mai 2006, le début des négociationsd'un Accord de partenariat entre l'UE et l'Amérique Centralesera annoncé. Cet accord devra inclure un Traité de LibreCommerce. Les sociétés civiles d' Amérique Centrale etd'Europe doivent réfléchir au modèle de développementqu'elles désirent promouvoir dans les deux régions et étu-dier des propositions alternatives à ce que propose l'Union.Mais il s'agit là du sujet d'un autre article, à écrire entre noustous.

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Partie IV :Dialogue et droits humains

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Depuis 1992, tous les Accords de Commerce ou deCoopération conclus entre l'Union européenne (UE) et desEtats tiers intègrent une clause démocratique. Celle estaussi appelée clause de droits humains. L'UE affirme que " le respect des droits humains a un caractère contraignantpour les pays qui veulent en devenir membres et est unecondition préalable pour les pays qui signent des accordscommerciaux ou autres avec elle." Notons qu'actuellementplus de 120 accords contiennent ce type de clause.

Le texte de la clause démocratique varie en fonction desAccords, mais elle stipule toujours que les droits humainssont un élément essentiel dans la relation entre les Etatssignataires. Ainsi, l'article premier de l'Accord de PartenariatEconomique, de Dialogue Politique et de Coopération,conclu entre l'Union européenne et le Mexique (l'AccordGlobal) et entré en vigueur en octobre 2000, affirme que:

"Le respect des principes démocratiques et des droitshumains fondamentaux, tels qu'ils sont énoncés dans laDéclaration Universelle des Droits de l'Homme, inspire lespolitiques internes et internationales des deux Parties etconstitue un élément essentiel du présent Accord".

Ce sont les mots " élément essentiel du présent Accord " quirendent cette clause contraignante et lui donnent une forcejuridique. Cela signifie que non seulement elle est un pilierde l'Accord, mais qu'en plus, elle devrait être développéelors de sa mise en œuvre.

Pour l'Union européenne, la clause démocratique impliquedes mesures positives. Il s'agit notamment d'un appuiconjoint à la démocratie et aux droits humains, de la ratifica-tion et la mise en œuvre des instruments internationaux liésaux droits humains ainsi que de la prévention des crisesgrâce au maintien de relations cohérentes et à long terme.Le dialogue sur les droits humains doit mener à un traite-ment réciproque, par lequel l'Union européenne accepteégalement de discuter des questions de droits humains etde démocratisation à l'intérieur de ses propres frontières.

Rhétorique ou réels engagements en matière dedroits humains ?

Du point de vue des droits humains, l'inclusiond'une clause démocratique dans les accords conclus parl'Union européenne peut être un outil précieux pour proté-

ger, promouvoir et faire respecter les droits humains, en par-ticulier dans le cadre des relations commerciales et d'inves-tissements entre les Etats signataires. Mais si aucun méca-nisme concret n'assure son opérationnalité, la clause démo-cratique reste un outil limité qui ne peut être considéré quecomme une simple expression de bonnes intentions par lesEtats concernés.

L'expérience de l'Accord Global entre le Mexique et l'Unioneuropéenne est assez éclairant à cet égard. Sur le plan desdroits humains, quelques actions positives ont été réaliséesdans le cadre de cet Accord. Il en va ainsi de l'adoption parla Commission européenne et le gouvernement mexicain,d'un " Programme de coopération sur les droits humains "qui est entré en vigueur le 30 décembre 2003.

Pourtant, des cas concrets de violations des droits humainsmis en lumière par différentes organisations (gouvernemen-tales et non-gouvernementales) nationales et internationalesmontrent que le gouvernement mexicain ne respecte passes obligations internationales en la matière. Et que, de soncôté, la Commission européenne se montre réticente à for-cer le gouvernement mexicain à respecter ses engagementsdans le cadre de la clause démocratique ou rechigne à émet-tre des résolutions relatives à des violations de droitshumains dans ce pays.

Ce fut notamment le cas lors des événements qui se sontdéroulés en marge de la manifestation du 28 mai 2004, orga-nisée dans le cadre du troisième Sommet des chefs d'étatset de gouvernements latino-américains, caribéens et l'Unioneuropéenne, qui s'est tenu à Guadalajara (Jalisco). LaCommission Nationale des Droits Humains du Mexique adénoncé des faits perpétrés par des fonctionnaires locaux etnationaux. Ceux-ci se sont rendus coupables de 73 déten-tions illégales, de 55 cas de traitements cruels et dégra-dants, de 73 cas d'isolement et de 19 cas de torture à l'en-contre de participants à cette manifestation ainsi qu'à l'en-contre de personnes arrêtées suite à cet événement. Lesorganisations de droits humains et des groupes locaux deGuadalajara dénoncent des chiffres encore plus préoccu-pants.

Face à cette situation, Raúl Romeva Rueda, député euro-péen membre du groupe des Verts, a insisté auprès de laCommission européenne pour qu'elle explore la possibilitéd'appliquer la clause démocratique si la gravité de la situa-tion le méritait. Il a envoyé une question écrite à laCommission européenne demandant, entre autre, quellesavaient été les actions entreprises par celle-ci pour quesoient sanctionnés les cas de torture et lui demandant d'en-visager de mettre ce point à l'agenda du dialogue politiqueavec le Mexique. La Commission s'est contentée de signalerqu'elle avait interrogé les autorités mexicaines à ce sujet,qu'elle avait insisté sur l'importance de respecter le droit etl'application scrupuleuse de la loi, et que ses ambassadeursavaient été invités à une conférence d'information afin derecevoir plus de détails sur les actions entreprises par lesautorités mexicaines. A ce jour, la Commission européennen'a rien fait de plus concernant ce cas. Le Parlement euro-péen, pour sa part, n'a émis aucune résolution en vue demettre en marche les mécanismes politiques permettantd'envisager des actions qui pressent le gouvernement mexi-cain à trouver une issue favorable au problème.

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Partie IV

La clause démocratique est-elleune opportunité pour promouvoir les Droits humains ?Maureen Meyer

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De son côté, et en rupture totale avec ses obligations inter-nationales, le gouvernement fédéral du Mexique n'a pasassumé ses responsabilités dans le cas de Guadalajara.C'est en particulier le cas face à l'inaction du gouvernementde l'Etat de Jalisco qui s'est gardé de diligenter une enquêtesur les violations et de sanctionner les responsables.

En octobre 2005 deux personnes étaient encore incarcéréeset 30 autres étaient en liberté sous caution en attendantleurs procès.

Les entreprises européennes et les droits humainsdans la région.

D'autres cas démontrent les limites de la clausedémocratique et le manque d'initiatives des Etats concernéspour en assurer réellement l'opérationnalité : il s'agit de l'im-plication d'entreprises européennes dans des violations dedroits humains dans des pays tiers. Examinons quelquescas :

MMeexxiiqquuee :: CCoonnttiinneennttaall TTiirree,, ssiièèggee eenn AAlllleemmaaggnnee

En décembre 2001, Continental Tire a fermé l'une de sesdeux usines mexicaines sans obtenir les autorisations léga-les prévues par la législation nationale. Le gouvernementmexicain n'a pas condamné cette attitude. Plus grave enco-re : lorsque les travailleurs du syndicat SNRTE (SindicatoNacional Revolucionario de Trabajadores de Euzkadi) ontdécidé d'appeler à la grève le 22 janvier 2002 pour protestercontre les licenciements, le gouvernement a soutenu l'argu-mentation de l'entreprise et déclaré que la grève était " abu-sive ", figure juridique qui n'apparaît nulle part dans la loi.

Il a fallu attendre le 17 février 2004 pour que l'AssembléeFédérale de Conciliation et d'Arbitrage, instance officiellecomposée de représentants du gouvernement, des patronset des travailleurs, reconnaisse la grève. Les travailleurs ontdonc dû maintenir leur grève durant 25 mois sans revenu, niautre prestation sociale, pour que les autorités mexicainesvalident un droit aussi essentiel que le droit de grève et pourque se mette en place un processus de conciliation entresyndicats et entreprise en vue de rechercher une solution.

Le 17 janvier 2005, un peu plus de trois ans après la ferme-ture de l'usine, le SNRTE, Continental Tire et une firmedénommée Llanti Systems sont finalement parvenus à unaccord qui a mis un point final à ce conflit social. Si les vio-lations des droits humains perpétrées par l'entrepriseContinental ont ainsi pris fin, le gouvernement fédéral n'amis en place aucune mesure en vue de réparer les domma-ges subis par les travailleurs. Beaucoup d'entre eux en effetont été notamment privés de soins médicaux (ce qui aconduit à la mort de quelques-uns) ou victimes de la distri-bution de " listes noires ", qui ont provoqué le renvoi injusti-fié de parents travaillant dans le couloir industriel d' El Salto.

GGuuaatteemmaallaa//NNiiccaarraagguuaa :: UUnniióónn FFeennoossaa,, ssiièèggee eenn EEssppaaggnnee

Depuis 1996 l'entreprise espagnole Unión Fenosa fournit l'é-nergie dans les zones orientales et occidentales duGuatemala. En juin 2005, près de 4.500 plaintes ont été

déposées contre cette entreprise auprès de la Commissionde l'Energie et des Mines du Congrès de la République. Ellesconcernent des augmentations injustifiées de factures d'é-lectricité et des coupures de courant. La CommissionNationale de l'Energie Electrique a également reçu l'annéedernière 4.065 requêtes concernant des abus, des pannes etun manque de fluidité du service. Comme le relate " ElPeriódico " dans son édition du 14 août 2005, beaucoup desconsommateurs de ce service vivent dans la pauvreté et ontdû faire appel à des crédits pour payer les prétenduesconsommation d'électricité de leurs foyers.

Au Nicaragua, la situation est comparable. Cette année,Unión Fenosa a demandé aux autorités en charge de l'éner-gie électrique la faculté d'augmenter de près de 12% le prixau kilowatt distribué dans le pays. Elle a utilisé l'argumentselon lequel l'augmentation du prix de l'électricité permet-trait d'éviter les pannes qui ont affecté le réseau ces dernierstemps. Selon l'agence de presse Pulsar (11 mai 2005), àcette date, le gouvernement avait rejeté cette demande.Des études effectuées au Nicaragua ont montré en effet queces deux dernières années, Unión Fenosa avait augmenté leprix de l'énergie de plus de 200%.

Ces actions vont à l'encontre du droit à une vie digne telleque définie par le Pacte international relatif aux droits éco-nomiques, sociaux et culturels. De plus, comme l'a fait obs-erver le Conseil économique et social de l'ONU : " Tous lesbénéficiaires du droit à un logement adéquat doivent avoiraccès en permanence aux ressources naturelles et commu-nes, à l'eau potable, à l'énergie pour la cuisine, le chauffageet l'éclairage "

UUrruugguuaayy// AArrggeennttiinnee :: PPaappeetteerriiee EENNCCEE,, ssiièèggee eenn EEssppaaggnnee eettBBOOTTNNIIAA,, ssiièèggee eenn FFiinnllaannddee

En septembre 2005, le Centre argentin des Droits humainset de l'Environnement ainsi que l'Agence argentine desDroits de l'Homme ont introduit conjointement des requêtesauprès de la Société financière internationale de la BanqueMondiale et de la Commission inter-américaine des Droitshumains, contre l'éventuelle installation de deux usines pro-ductrices de pâte à papier par les papeteries ENCE et BOT-NIA. Ces requêtes ont été introduites au nom de plus de40.000 communautés concernées et des représentants gou-vernementaux de Fray Bentos (Uruguay) et de Gualeguaychú(Argentine). Cette installation violerait des droits tels que ledroit à la santé, à un environnement sain ainsi que le droit àl'information.

Il faut souligner que ces entreprises ont " une longue histoi-re de contamination, de sérieux conflits avec des commu-nautés installées à proximité des usines et de sérieux pro-blèmes avec la loi ". Pour la production de pâte, ces entre-prises emploient des technologies de seconde catégorie,qui ne sont plus utilisées en Europe.

Ces cas parmi d'autres mettent une fois de plus en avant l'at-titude des entreprises européennes opérant en Amériquelatine et s'y convertissant en acteurs ayant un impact néga-tif sur les droits humains. Dans le cadre de la clause démo-cratique et des engagements internationaux et régionaux enla matière, les Etats européens ont la responsabilité d'assu-rer que les entreprises dont le siège est situé sur leur terri-

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toire et qui sont sous leur protection, ne contribuent pas àdes violations des droits humains dans des pays tiers. C'estune responsabilité qu'ils n'assument pas pour le moment.Parallèlement à cela, les Etats latino-américains doivent ren-dre compte des mesures qu'ils prennent pour surveiller lesactivités et opérations de ces acteurs sur leurs propres terri-toires.

Vers une opérationnalité de la clause démocratique

Les exposés précédents montrent qu'il y a encoredu chemin à parcourir pour que la clause démocratique soitun outil efficace qui assure le respect, la protection et la pro-motion des droits humains. C'est le cas en particulier dans lecadre de l'espace créé par l'Accord entre le Mexique etl'Union européenne. Des organisations mexicaines et euro-péennes ont élaboré et présenté aux signataires de cetAccord des propositions en vue de promouvoir une dimen-sion positive de la clause démocratique qui se traduirait parl'adoption d'actions volontaristes en matière de droitshumains.

Quelques-unes de ces propositions visent à ce que les Etatsconcernés établissent et mettent en oeuvre des mécanis-mes officiels qui permettent la participation de la sociétécivile dans le suivi et la mise en oeuvre des accords. Il fautaussi qu'ils reconnaissent le travail d'observation social réali-sé par la société civile sur l'impact de ceux-ci. Les Etats doi-vent aussi s'engager à surveiller les opérations et les activi-tés des entreprises opérant sur leurs propres territoires maisaussi les activités que ces firmes exercent dans des paystiers. Et finalement, il est important qu'ils informent demanière transparente et adéquate la société civile sur lamanière dont ils font face à leurs obligations internationalesen matière de droits humains dans le cadre de la mise enœuvre des accords bilatéraux dont ils sont parties-prenan-tes.

C'est seulement en reconnaissant leur responsabilité fonda-mentale en matière de droits humains, que les signatairesde ces Accords pourront affirmer que les principes de démo-cratie et les droits humains en constituent un " élémentessentiel ". Rendre la clause démocratique opérationnelle comme lepermettrait la mise en œuvre des propositions mentionnéesplus haut et la réalisation d'autres initiatives de la sociétécivile, serait une preuve concrète que cette responsabilitéest prise au sérieux. Sans cela, la clause démocratique nepermettra pas de faire autre chose que d'adopter des mesu-res restrictives ou négatives et ne sera jamais un réel instru-ment de promotion et de protection des droits humains.

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Dans une communication de novembre 2002 auConseil et Parlement européens ainsi qu'au Comité écono-mique et social, la Commission a développé ce qu'elle enten-dait mettre en oeuvre en vue d'assurer la participation desActeurs non-étatiques (A.N.E.) à ses politiques de dévelop-pement. Dans ce document, elle reconnaît que ceux-ci peu-vent remplir une double fonction : exécuter des program-mes mais aussi défendre les intérêts de divers secteurs dela population. Dans les deux cas, affirme-t-elle, les A.N.E."constituent l'élément opérationnel déterminant dans les par-tenariats public/privé...". Elle encourage dès lors les autori-tés compétentes à les associer entre autre à la préparationdes stratégies de développement, aux consultations concer-nant les domaines prioritaires visés par celles-ci ainsi qu'à lamise en oeuvre et à l'évaluation des programmes.Remarquons que les autorités européennes parlent ici desassociations du Sud, celles du Nord étant renvoyées à unrôle d'identification, de soutien et de renforcement desA.N.E. africains, asiatiques ou d'Amérique latine.

Dans cette dernière région du monde, cette approche s'estcaractérisée essentiellement par la mise en place de réseauxd'échanges entre universités, entreprises, villes, chambresde commerce et dans le domaine de la communication. Demouvements paysans, d'organisations de femmes, indigè-nes, de consommateurs ou de travailleurs, il n'est pas ques-tion dans le document de stratégie régionale pourl'Amérique Latine qui définit la programmation de la coopé-ration entre 2002 et 2006.

Il est dès lors peu étonnant que la société civile peine à trou-ver son chemin et à se faire entendre dans le cadre desAccords qui unissent l'Union européenne et des pays ourégions d'Amérique Latine. Lors du lancement de l'Accordd'association Europe-Mexique, sa place avait d'ailleurs ététout simplement oubliée. Et il fallut plusieurs années demobilisations d'organisations mexicaines et européennespour que les autorités concernées ouvrent enfin un espacede débat sur les conséquences de l'Accord. Espace d'ailleursplutôt chiche : depuis 2002, seul trois journées de réunionsse sont tenues (une à Bruxelles, deux à Mexico) et l'institu-tionnalisation du processus se fait attendre.

Certes, le second forum de dialogue entre sociétés civiles etautorités européennes et mexicaines, organisé à Mexico enfévrier 2005, ouvrit quelques perspectives intéressantes : legouvernement mexicain et la commission européennes yavaient délégué des représentants de bon niveau ; la parti-cipation des organisations mexicaines fut importante ennombre et qualité, malgré les obstacles mis à certaines

inscriptions par d'impitoyables procédures bureaucratiques ;les groupes de travail permirent en général de vrais débatset des interpellations multiples. A des degrés divers, le dia-logue fut réel.

Mais, la présence européenne fut limitée en nombre car lesorganisations devaient prendre entièrement en charge leursfrais de voyage et de participation. En outre, l'invitation futlancée tardivement et serait restée confidentielle sans lamobilisation de réseaux d'ONG comme CIFCA ou des orga-nisations syndicales. La formule même du forum apparutquelque peu ambiguë : s'agissait-il de discuter entre acteursde la société civile de leurs analyses et attentes pour les pré-senter ensuite aux autorités ? Mais alors que faisaient cesmêmes autorités dans les groupes de travail ? Ou s'agissait-il d'arriver immédiatement à un dialogue avec ces mêmesautorités, ce qui aurait impliqué in fine des réponses de leurpart. Réponses qui ne vinrent pas et se font toujours atten-dre…

Les limites de la concertation

Un des débats majeurs du forum tourna autour dela création d'espaces récurrents qui permettent aux organi-sations sociales et citoyennes d'exprimer leurs demandes, lamise en place de consultations permanentes que les autori-tés politiques puissent réellement prendre en compte aumoment d'arrêter leurs décisions. Des propositions de struc-tures et mécanismes, souvent concertées entre organisa-tions européennes et mexicaines, étaient sur la table. Ellesvisaient à ouvrir le débat à tous les secteurs concernés parles retombées de l'Accord et à veiller à ce que les futuresconsultations soient suivies d'effets. Elles prenaient la formed'un Conseil consultatif mixte articulé avec un observatoiresocial permettant d'analyser les retombées des politiqueseuro mexicaines. Le forum débattit des propositions et lesautorités en prirent acte. Hélas, jusqu'ici, les réponses n'arri-vent pas. Le comité conjoint qui réunit des fonctionnairesdes deux bords a bien décidé en novembre 2005 de repren-dre le débat avec les A.N.E. intéressés. Mais il semble bienque la Commission ait dans ses papiers une propositionalternative qu'elle voudrait implanter dans le cadre de l'en-semble des accords qu'elle conclut avec l'Amérique latine.

Cette proposition existe en fait déjà. On la découvre à l'arti-cle 10 de l'Accord entre l'Union européenne et le Chili quiprévoit effectivement la création d'un Comité consultatifmixte. Mais dans des limites bien plus restrictives que cellesdessinées par la société civile. En effet, il est composé pari-tairement de membres du Comité économique et socialeuropéen (CESE) et d'un organisme similaire au Chili.L'article 11 prévoit bien la réalisation de réunions péridiquesentre cette instance et d'autres organisations de la sociétécivile ... " en vue de les tenir informées de l'application del'Accord et de recevoir leurs suggestions pour l'améliorer".Mais c'est tout ... Et il semble bien que même cette formuleminimale n'ait pas fonctionné jusqu'à présent.

Les organisations européennes ne contestent en rien lepoids politique et historique du CESE. Mais elles constatentqu'il reflète essentiellement les vues des deux grands sec-teurs sociaux (patronat et syndicat) traditionnels sans offrir àd'autres acteurs de réels espaces pour s'exprimer. Or, parler

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Partie IV

Les A.N.E. restent aubord du cheminGérard Karlshausen

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développement, ce n'est pas seulement parler d'emplois, desalaires et de conditions de travail, les centres d'intérêt prio-ritaires des partenaires sociaux. C'est aussi parler de Droitshumains, civils et politiques mais aussi sociaux et culturelscomme le droit à l'alimentation, à un logement, à la santé ouà l'éducation. C'est aussi parler des droits des consomma-teurs et de la défense de l'environnement. Un ensemble desujets pour lesquels les instances européennes pourraientbénéficier de l'expertise et de l'expérience des multiplesacteurs de la société civile.

En Amérique latine, le problème est encore plus évident.D'abord parce que des organismes semblables au CESEn'existent pas vraiment. Et que le gouvernement mexicainpar exemple, en freine des deux pieds la création. Ensuite,parce que vouloir répéter un modèle lié au dévelopement del'Europe au vingtième siècle n'est peut-être plus en phaseavec la société latino-américaine contemporaine.

Cohésion et nouveaux acteurs sociaux

Prenons le rapport du "Programme des NationsUnies pour le Développement" (PNUD) élaboré en 2004 surla démocratie en Amérique latine. On y lit que la consolida-tion de la démocratie dans ce continent "est gravementmenacée par le faible niveau de participations aux élections,la marginalisation systématiques des voies alternatives et laperte manifeste de confiance dans les partis politiques tra-ditionnels" En fait, les sondages indiquent que plus de lamoitié des Latino-américains seraient prêts à accepter desgouvernements autoritaires si ceux-ci parvenaient à résoud-re leurs problèmes socio-économiques.

Cette crise du politique s'intègre dans une crise plus géné-rale des organisations représentatives. Le monde politiquen'est pas le seul à être touché. Les formes traditionnellesd'organisation syndicale ne font plus autant recette. Certes,elle garde leur importance et leur pertinence. Mais l'hétéro-généité du monde du travail, le volume croissant du sous-prolétariat et des populations sans emploi.... font que le tra-vail salarié n'est plus la seule référence pour s'organiser. Desmouvements se font et se défont sur base de multiples iden-tités : comme consommateurs, habitants d'un quartier, surbase du sexe ou de l'ethnie, en fonction de luttes spéci-fiques comme la terre ou un toit...1. Les syndicats tradition-nels, tout comme les partis politiques, ont difficile à saisir etincorporer dans leurs structures et stratégies ces nouveauxacteurs. Les ignorer et parler de cohésion sociale semblentcependant contradictoire. Car, " si au cours des décenniesprécédentes, la majorité des luttes relevaient de l'espace detravail (entreprise), les modalités de protestation dépassentla problématique du travail et s'ancrent plus dans des pra-tiques de type territorial. Le logement, l'alimentation, l'écolo-gie, les services publics, les droits de l'Homme, la culturesont les axes qui traversent les nouveaux mouvementssociaux. "2

Dépasser la crise de la démocratie et construire une cohé-sion sociale par des mesures qui questionnent fondamenta-lement les inégalités minant le continent sont des objectifsque partage l'Union européenne. Mais alors qu'elle affirmevouloir ouvrir un réel dialogue avec les acteurs non-éta-tiques, la Commission se prive immédiatement d'interlocu-

teurs en voulant circonscrire ce dialogue à des cercles tradi-tionnels et de plus en plus restreints.

Certes, le dialogue avec les nouveaux mouvements sociauxn'est pas facile pour des institutions habitiuées au rite desconcertations traditionnelles et au langage des salons poli-tiques. Car ces organisations mettent souvent en avant desdemandes radicales, bouleversent les manières d'agir etquestionnent ainsi les formes habituelles de la concertationsociale. Elles apparaissent plus incontrolables, moins défi-nissables par des critères bureaucratiques. A ceci s'ajoute lefait qu'elles ne donnent pas priorité au dialogue avec lesautorités mais cherchent essentiellement à renforcer les lut-tes de terrain et à renforcer une gestion horizontale de lasociété. Des Sans terre du Brésil aux mouvements indiensd'Equateur, des "piqueteros" argentins aux Zapatistes duChiapas, des mobilisations boliviennes contre la privatisationde l'eau aux mouvements contre l'ALCA (Accord de librecommerce des Amériques) qui ont encore perturbé le récentsommet des Amériques à Mar del Plata, cette nébuleuse d'i-nitiatives, parfois spontanées parfois plus structurées, trou-vent difficilement crédit aux yeux des autorités : elles nesont pas bienvenues au royaume des A.N.E.

La Commission, sans parler des gouvernements latino-amé-ricains se méfient aussi des ONG et autres défenseurs desDroits humains, même si leurs discours et propositionsapparaissent plus policés. Et la dynamique des forumssociaux qui promeut les relations entre ONG et mouvementssociaux- anciens ou nouveaux- n'est pas là pour la rassurer.Le dialogue apparaît dès lors difficile ou s'embourbe rapide-ment dans des procédures qui n'en laissent que le vernis.

Et pourtant. Comment construire une réelle cohésion socia-le, comment lutter efficacement contre la pauvreté et lesdiscriminations sans références aux analyses et pratiques deces organisations et mouvements ? Et à contrario, commentces derniers peuvent-ils arriver à traduire leurs protestationset à proposer leurs alternatives sans que ne s'ouvrent desespaces de réel dialogue avec les autorités ? Même si celas'avère difficile, la Commission et les autorités latino-améri-caines gagneraient à se mettre à l'écoute de larges secteursde la société civile qui ne se sentent pas représentés par lemonde traditionnel de la concertation sociale. Car ces mou-vements expérimentent quotidiennement de nouvelles for-mes de relations sociales, proposent des alternatives dedéveloppement et sont par là facteurs d'une nouvelle cohé-sion sociale.

Ce qui vaut pour l'Amérique Latine est aussi pertinent pourl'Europe. Entre les deux continents croît la conscience queles politiques portées par les Accords bilatéraux peuvent serévéler aussi néfastes de chaque côté de l'Atlantique. Et sidiverses organisations revendiquent aujourd'hui leur placedans le dialogue autour des politiques européennes vis-à-visde l'Amérique latine, ce n'est pas qu'en vertu d'un lien desolidarité. C'est de plus en plus parce qu'il apparaît qu'unmodèle de développement fondé sur d'autres politiques etd'autres relations est une nécessité pour chacun :Européens et Latino-américains. Ici aussi, vouloir donner auConseil Economique et Social l'exclusivité de la représenta-tion des sociétés civiles européennes procèdent d'une visionpasséiste. La concertation gagnerait non seulement à s'ins-titutionnaliser mais aussi à s'élargir.

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Réviser les conceptions, changer les pratiques

Ouvrir de vastes espaces pour favoriser de vérita-bles échanges implique néanmoins la révision de certainesattitudes tant de la part des autorités que de la société civile.Cette dernière doit pouvoir montrer son unité dans sa diver-sité. Et promouvoir une collaboration tout azimuth qui per-mette de dépasser les chapelles politiques et les débatsstratégiques. S'opposer sans proposer ne mène pas bienloin. Et jeter l'anathème sur celles et ceux qui cherchent ledialogue avec les autorités, même si cela implique de lisserle discours de la rue, est une erreur. Tout comme il est erro-né de croire qu'un dialogue sans mobilisation peut débou-cher sur des résultats tangibles. L'expérience montre qu'op-poser les deux approches ne profite... qu'aux autorités.

Mais du côté de celles-ci, le temps est aussi venu de chan-ger d'attitude. A se contenter de consultations rituelles sansréellement en tirer les leçons et à diaboliser toute forme decontestation qui ne passe pas par leurs moules prédéfinis, laCommission tout comme les gouvernements encouragentactuellement les mouvements sociaux et les organisationscitoyennes a passer d'une stratégie de dialogue à une stra-tégie d'opposition et de résistance. Cette évolution s'alimen-te du rejet ambiant des institutions. Elle le nourrit à son tourdes désillusions vécues par la société civile. Tout se passecomme si les autorités s'empressaient de privatiser à leurprofit les espaces publics qu'elles avaient ouverts pourdébattre de leurs projets avec les organisations concernées.Il faut une certaine myopie pour ne pas voir que le dialoguetant promis avec la société civile est surtout aujourd'hui unesource de frustrations multiples. Et que celles-ci sont autantde freins à la cohésion sociale dont se gargarisent les grandsSommets.

Celles et ceux qui, au nom de la société civile, rencontrentles autorités européennes ou latino-americaines doivent exi-ger des échanges transparents et productifs. Mais du côtédes pouvoirs politiques à qui reviennent les décisions fina-les, la concertation, aussi exigeante soit elle, doit être vécuecomme une richesse, d'autant plus qu'elle s'enracine dansles pratiques quotidiennes des acteurs sociaux.

A l'occasion du Sommet Union européenne - Amérique lati-ne qui s'est tenu à Guadalajara (Mexique) en 2004, diversesorganisations de la société civile se sont rencontrées en vuede lancer un réseau (REAL) permettant à celles et ceux quisouhaitent d'autres relations entre les deux continents d'é-changer des informations et de se mobiliser sur des objec-tifs communs. Cette initiative, appelée "Enlazando alternati-vas" (tressant des alternatives) fut lancée à l'initiative duRéseau mexicain d'action sur le libre-commerce (RMALC),du réseau d'ONG européennes CIFCA ainsi que de la plate-forme "France - Amérique Latine". Lors du forum social deLondres qui suivit en novembre, le REAL se dota de troisthèmes de travail : le rôle des multinationales, la coopéra-tion, les questions de paix et de sécurité. Avec en ligne demire le Sommet suivant prévu à Vienne en mai 2006.

Cette dynamique ne fut cependant pas la seule : dans lesmois qui précédèrent le Sommet, le réseau d'ONG latino-américaines ALOP avait convoqué un autre forum en vue dedéfinir la position qu'elles défendraient à Guadalajara. Le

moins qu'on puisse dire, c'est que leur présentation en cetteoccasion passa plutôt inaperçue. Mais le plus regrettable, c'est que ces deux initiatives s'i-gnorèrent pratiquement alors qu'au-delà de styles certes dif-férents et de stratégies finalement complémentaires, lesidées défendues ne diffèrent pas fondamentalement.

Tressons des alternatives

Alors, à Vienne en 2006, comment cela va-t-il sepasser ? Dans la mesure où les deux dynamiques réunissentdans la réflexion et l'action un vaste éventail d'organisationsde tous types, il reste à souhaiter que leurs promoteurs tanteuropéens que latino-américains, jettent entre eux les pontsqui s'imposent. Il est tout à fait possible de réfléchir, mêmeavec la Commission européenne, les relations que la socié-té civile souhaite voir se construire entre les deux conti-nents... tout en se retrouvant au moment du Sommet pourclamer qu'il est temps que les autorités prennent réellementen compte les attentes des organisations sociales etcitoyennes, c'est-à-dire passe des paroles... aux actes.

La plate-forme proposée par "Enlazando Alternativas II" pro-pose de chercher des convergences solidaires entre les peu-ples d'Amérique latine et d'Europe et de construire un espa-ce politique et de mobilisation bi régional réunissant desorganisations des deux continents pour résister aux poli-tiques néolibérales qui y sont appliquées. Cette résistancedoit se matérialiser en exigeant des gouvernements lerespect des droits humains considérés intégralement (civils,politiques, sociaux, économiques, culturels et droits collec-tifs à un environnement sain), de la paix, de l'autodétermina-tion et de la souveraineté, comme établi par la Déclarationde l'Assemblée Général des Nations Unies de 1986, quirevendique le droit du développement comme un droithumain. Mais la plate-forme souhaite aussi créer un agendapositif se traduisant par des projets et des alternatives com-munes.

Dans deux continents dont l'un -l'Amérique Latine - connaîtla distribution des richesses la plus inégalitaire du monde etl'autre -l'Europe- voit ses politiques sociales s'effriter dange-reusement, dans deux ensembles de pays dont les citoyenset les citoyennes mesurent de façon de plus en plus critiqueles distances qui les séparent des institutions qui décidenten leurs noms…, ce programme devrait mobiliser un nomb-re croissant d'acteurs de la société civile. Les autorités sau-ront-elles enfin leur proposer des mécanismes qui leur per-mettent d'être entendus ? Là se trouve sans doute un despiliers majeurs de la cohésion sociale qui sera une nouvellefois sur la table de Vienne 2006. Mais, quoi qu'il en soit,avant, pendant et après le Sommet, les peuples d'Europe etd'Amérique Latine continueront à " tresser des alternativescommunes " en vue d'unir les deux continents dans la mêmerecherche d'un développement humain équitable et basé surune promotion active de tous les Droits. Un développementqui réponde aux attentes des populations plutôt que d'êtresubordonné aux intérêts de quelques entreprises et groupesfinanciers internationaux.

1 Voir à ce propos "Mouvements et pouvoirs de gauche en Amérique Latine". CRI/Syllepse volume 12, 8 août 2005 , p 31

2 ibidem p. 94

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Les auteurs

CChhrriissttiiaannee DDaaeemmSecrétaire générale du Centre d'Etudes des Relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine, CERCAL (UniversitéLibre de Bruxelles)

CCeecciilliiaa OOlliivveettMembre de l'ONG uruguayenne REDES.Collaboratrice du " Transnational Institut " d'Amsterdam.

DDaavviidd BBaarrkkiinnProfesseur à l'Université Autonome Metropolitaine de México (Unidad Xochimilco)

JJ.. GGeerrmmaannoo BBaattiissttaa RRooddrriigguueess Spécialiste en agro-économie auprès du Département d'Etude Socio-économiques rurales (DESER), Curitiba, Brésil.

AAllddoo ZZaanncchheettttaaPrésident de la Fondation Neno Zanchetta et membre de la Commission Amérique latine de Mani tese (Italie).

MMaarrttaa IIbbeerrooSecrétaire exécutive adjointe du réseau européen CIFCA (Initiative de Copenhague pour l'Amérique centrale et le Mexique)

MMaauurreeeenn MMeeyyeerrCollaboratrice du Centre pour les Droits Hummains "Miguel Agustín Pro Juárez" (Mexique)

GGéérraarrdd KKaarrllsshhaauusseennResponsable des questions européennes au Centre national de Coopération au Développement (Bruxelles) Président de la plate-forme belge de CONCORD.

Ont aidé à la traduction de la plupart de ces articles : Stéphane Compère, Gérard Karlshausen, Deborah Myaux, FranciscoPadilla, Marta Ruiz.

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Centre National de Coopération au Développement (CNCD - 11.11.11.)

9 Quai du Commerce B - 1000 Bruxelles

[email protected]

+32 (0)2 250.12.30

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EEddiitteeuurr rreessppoonnssaabbllee AArrnnaauudd ZZaacchhaarriieeCCNNCCDD - 1111..1111..1111..

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