les relations entre associations et collectivitÉs : vers quel avenir ? introduction

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40 186 Dossier Les relations entre associations et collectivités : vers quel avenir ?  coordonné par Florence Abrioux Comité scientifque : JeAn.Pierre AuGuStin, Professeur, Université Michel de Montaigne Bordeaux III dominique BeSSire, Professeur, Université d’Orléans ALAin BrioLe, Professeur, Université Paul-Valéry Montpellier III dAn FerrAnd-BechmAnn, Professeur, Université Paris VIII Saint-Denis StéPhAne onnée, Professeur, Université d’Orléans FrAnçoiS Priet, Professeur, Université d’Orléans

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Dossier 

Les relations entre associations et collectivités :

vers quel avenir ?

 

coordonné par Florence Abrioux

Comité scientifque :

JeAn.PierreAuGuStin, Professeur, Université Michel de Montaigne Bordeaux IIIdominique BeSSire, Professeur, Université d’OrléansALAin BrioLe, Professeur, Université Paul-Valéry Montpellier IIIdAn FerrAnd-BechmAnn, Professeur, Université Paris VIII Saint-DenisStéPhAne onnée, Professeur, Université d’OrléansFrAnçoiS Priet, Professeur, Université d’Orléans

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tant qu’espace autonome de réunion, de décision et d’action dans la Cité, ne

devrait se rapprocher de l’administration qu’en quelques occasions. Pourtant,les associations apparaissent aussi comme des « partenaires naturels, sinon

privilégiés, des collectivités locales » (Pugeault, 2009 p.15) parce qu’elles inter-viennent sur les mêmes territoires, auprès des mêmes populations, parfois sur les mêmes objectifs. Les associations sont en outre largement tributaires desaides publiques : leur budget de fonctionnement est composé pour moitié d’aidespubliques72.

Cette ambivalence originelle reste intacte, bien que pour de nouvelles raisons.Les lois de décentralisation ont amené les élus locaux à mobiliser l’ensemble des

acteurs de leur territoire. En démultipliant les occasions de travailler ensemble,les peurs de l’instrumentalisation et de la réduction des nancements publics se

sont substituées à la peur de la répression politique (Demoustier, 2005).

L’objectif de cette introduction est de présenter le cadre problématique dans lequels’inscrivent les différents articles, en montrant l’ambivalence des positionnementsdes acteurs comme des relations.

Tout d’abord, nous reviendrons sur les conséquences du développement desrelations contractuelles depuis les années quatre-vingts. Au l du temps, le cadre

de la relation contractuelle s’est précisé et des ajustements ont été nécessairesau plan juridique. La conséquence majeure a été la rationalisation de l’activitédes associations soutenues par des fonds publics. Les exigences ont modié

les pratiques qui se sont complexiées et ont nécessité de s’appuyer sur des

compétences professionnelles (1). La professionnalisation des associations lesplus en lien avec les collectivités les a soudainement fait apparaitre comme desorganisations digne d’intérêt et ayant besoin de s’appuyer sur les sciences degestion pour encadrer leur activité, améliorer leur performance. Les impératifsde gestion modient en retour les relations entre élus et acteurs associatifs (2).

Enn, la sollicitation accrue des associations comme l’émergence de nouveauxterritoires institutionnels posent en permanence la question de la gouvernancelocale. Elles amènent aussi à reconsidérer le fonctionnement interne desassociations comme leurs nalités (3).

Les auteurs, trois enseignants-chercheurs en sociologie, trois enseignants-chercheurs en sciences de gestion et deux en géographie, apportent un éclairagepluridisciplinaire à ces questions. La plupart des articles croise une réexion

conceptuelle et une analyse de terrain.

72. D’après la communication « Quels impacts et quelles conséquences de la montée en charge des collectivités locales dans lefinancement des associations ? » présentée par Viviane Tchernonog, économiste (Chargée de recherche, CNRS Matisse / UniversitéParis 1).

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1. Des relations sous contrats : quel impact ?

En invitant les associations à animer le territoire, puis en leur conant la réalisation

d’une partie des missions d’intérêt général, les collectivités ont profondémentmodié le rapport aux acteurs associatifs. Serge Pugeault (2009) rappelle

l’évolution du cadre juridique qui commence par préconiser 73, puis par rendreobligatoire74 la contractualisation dès lors que l’aide directe excède 23.000euros.

Le développement des relations contractuelles induit de nombreux changementsqui se prêtent à une lecture duale, opposant les visions pessimistes et optimistes.

Les conséquences sont trop nombreuses pour être citées de manière exhaustive,je m’arrêterai sur les plus visibles ou les plus en lien avec notre propos. Il s’agitnotamment de l’accroissement de l’interdépendance, de l’évolution   du cadrejuridique, de la pression concurrentielle, de la complexication de l’activité et

de la professionnalisation. Le développement des relations contractuelles ainversé le sens jusque-là habituel de la relation entre collectivités et associations(Pugeault, 2009).

L’activité d’intérêt général peut avoir deux origines, soit elle est à l’initiative de

l’association, qui demande le soutien des acteurs publics, soit de la collectivité,qui s’entend avec les associations pour qu’elles réalisent une partie des objectifspolitiques. Alors que les initiatives ont longtemps été principalement « montantes »,elles sont aujourd’hui essentiellement « descendantes ». Cette nouvelle situationfavorise la création d’associations, mais aussi le développement de leur activité.Leur champ d’action tend à se diversier (Abrioux, 2003) après une période

plutôt marquée par une organisation sectorielle et verticale (Demoustier, 2010).De même, les nancements publics et en particulier ceux des collectivités ont

augmenté. Ils participent largement à la valorisation du rôle économique desassociations et plus généralement du tiers secteur comme en témoigne la valse

des chiffres75

. On peut opposer à ces avantages le risque d’instrumentalisation.Les associations perdraient leur capacité à développer leurs propres projetset objets d’action pour n’être que la cheville ouvrière des politiques locales. Lesecond risque est lié à la plus forte dépendance aux subventions publiques.Toute réduction ou suppression aurait des conséquences dramatiques sur leur développement, voire leur survie. Plus que jamais les associations sont tributairesdes fonds publics, ce qui suscite des inquiétudes bien légitimes. Selon VivianeTchernonog (2009) cette peur reste pour le moment non fondée, les aidespubliques sont stables, voire en légère hausse d’après l’enquête à grande échellemenée en 2005. Les communes viennent en tête des subventions publiques,

73. Par la circulaire du 27 janvier 1975.74. Loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration.75. Les journaux, les revues et ouvrages scientifiques, les bulletins et autres informations diffusées par les acteurs associatifsreprennent largement les « chiffres clés » afin de montrer la vigueur et l’ampleur de l’activité des associations, actrices de la vieéconomique et sociale.

Les relations entre associations etcollectivités : vers quel avenir ?

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devant l’Etat, lui-même talonné par les départements. Les craintes des acteurs

associatifs s’expliquent notamment par le contexte de crise économique, lefait que les conseils généraux (troisième plus gros contributeurs public) soientparfois en délicatesse avec leur budget ou par la réforme de la scalité locale 76.Par ailleurs, les cas d’associations dont la subvention diminue réellement ne sontpas rares, pouvant conduire à leur dissolution lorsque les contrats des salariésne peuvent être renouvelés. Ces exemples sont bien connus dans les milieuxassociatifs.

Ces différentes raisons font que la prochaine livraison statistique est attendueavec impatience pour vérier la bonne tenue des aides publiques : les impressions

des hommes et des femmes de terrain sont-elles fondées ? Le niveau des aidespubliques sera-t-il maintenu en 2011 ? Il semblerait d’ailleurs intéressant devérier à un niveau plus n le jeu des répartitions. Des effets de concentrations

pourraient expliquer le contraste entre la perception et la réalité statistique car,on le sait, les plus grosses associations absorbent la plus grosse partie del’enveloppe77. Et si la concentration était devenue encore plus importante ? L’onpeut également s’interroger sur la répartition des aides par secteur d’activité : lepoids de quelques secteurs s’accroît-il au détriment d’autres ?

Le développement des relations contractuelles entre les collectivités et lesassociations a également conduit à préciser le cadre juridique. Comme le rappelaitSerge Pugeault, « la nature juridique réelle des relations conventionnelles ainsi 

instituées entre collectivités territoriales et associations s’est révélée source de

difcultés et d’incertitudes » (op. cit., p.16). Le développement des relationscontractuelles fait courir un risque aux associations comme aux collectivités :risque de gestion de fait, risque de requalication. La délégation de service

public ou le marché public semblent plus adaptés. Lorsque le doute subsiste sur la nature de l’activité de l’association, l’analyse d’un point de vue scal permet

de trancher. La journée d’étude organisée à Reims78 en 2007 a cerné la plupart

de ces questions à partir des entrées juridiques et scales.

L’ouverture à la concurrence prévue par le législateur lève l’incertitude sur lanature de la relation. Elle renforce en revanche le risque de banalisation, auquelon peut opposer la possibilité de développer une autre économie.

La banalisation signie la perte des spécicités de l’acteur associatif en termes

d’organisation et de fonctionnement : le travail, les prix, la mise en concurrence fontque les distinctions avec les entreprises à but lucratif se réduisent. La « pression

concurrentielle » comme la nomme Jean-Louis Laville, oblige les associations

à modier leur fonctionnement et les craintes portent alors sur le maintien des

76. Suppression de la taxe professionnelle remplacée par la contribution économique territoriale au premier janvier 2010.77. Tchernonog V. (2007), Le paysage associatif français, Dalloz, Paris.78. Le colloque a donné lieu à une publication : Dreyfus J.-D., Groud H., Pugeault S. (2009), Association et collectivités territoriales,les liaisons dangereuses, L’Harmattan, Paris.

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valeurs associatives. Pour Anne Labit (article du dossier) l’utilisation récurrente

du terme « d’entreprise associative » serait une preuve de banalisation : soumiseaux lois du marché et à sa pression, l’association devient une entreprise commeune autre. Le risque de marchandisation a été analysé de longue date par leséconomistes qui ont importé le concept « d’isomorphisme institutionnel » consacrépar les travaux de Di Maggio et Powell, repris en France par Bernard Enjolrasen 1996. Le colloque organisé à Nantes en 2000 sous la direction de LionelProuteau79 a bien exploré ces questions, notamment sous le joli nom « d’entrée

en économie des associations ».

Patrick Nogues (2010) montre toutefois que le verdict doit être nuancé. La

concurrence possède aussi des aspects positifs, il rappelle notamment que lemonopole associatif a ses limites. D’un autre côté, il souligne que la concurrenceexcessive nous prive de l’analyse et de l’expertise de proximité, de possibilitésd’innovations dans les pratiques et qu’elle conduit à la standardisation desréponses.

A l’autre extrémité, Danièle Demoustier dans son introduction au numéro de larevue Géographie, économie et société (2010) sur l’économie sociale et solidaire(ESS) propose une lecture plus positive du terme d’entreprise associative. Ilrenvoie selon elle à leur autonomisation par rapport aux politiques publiques et

à l’économie domestique. Le l conducteur du dossier consiste justement à voir en quoi les entreprises de l’ESS participent aux mutations locales en termes degouvernance et de régulation.

La relation contractualisée a quant à elle complexié le travail en développant la

professionnalisation. Le champ du travail social est un bon exemple pour l’illustrer.Dominique Balmary (2010) précise que les demandes sont à la fois plus nes,

plus technologiques, plus systémiques.

Il en résulte de manière générale que le travail requiert plus de professionnalisme,

plus d’efcience, plus de sécurité, plus de considération à l’égard des usagers, ceque Sylvie Rascol-Boutard constate elle aussi dans ce dossier à partir d’étudesmenées localement. Elle relève même le paradoxe entre un travail de proximitéplus complexe nécessitant des compétences et des savoirs faire ns, mais

accompli par les plus précaires des salariés.

Or, la complexication du travail a un effet d’entrainement. Elle accroît le besoin

en professionnels formés, qui augmente le coût du travail associatif et par répercussion la dépendance aux collectivités, tout en diminuant la spécicité

du produit des associations. Le cercle de la professionnalisation peut alors

se mettre en place à deux niveaux : recrutement de salariés professionnels,professionnalisation des bénévoles.

79. Le colloque a également donné lieu à la parution d’un ouvrage sous la direction de Lionel Prouteau (2003), Les associations entrebénévolat et logique d’entreprise, Presses Universitaires de Rennes, Paris.

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La professionnalisation, à la fois point fort et point faible des associations,

a profondément modié la portée de leur action. Elle a également impacté larelation aux collectivités.

La professionnalisation est à double tranchant. Elle permet d’une part untravail plus efcace, des compétences accrues. Elle est donc un moteur du

développement de l’activité. D’autre part, elle accélère la dépendance aux aidespubliques et la pression sur les bénévoles. Dans ce dossier, Anne Labit préciseles effets du salariat associatif. Il tend à décourager les bénévoles d’action qui netrouvent pas bien leur place à côté des professionnels. Pourquoi continueraient-ilsà donner de leur temps alors que d’autres sont rémunérés pour réaliser le même

travail ? (Abrioux et Labit, 2008). Il décuple aussi le travail et les responsabilitésdes cadres bénévoles qui doivent désormais être omniprésents et omniscients.Ce « modèle de l’investissement sans limite » décourage les jeunes. Dans cesconditions, l’encadrement peine à se renouveler. La professionnalisation alimented’une certaine manière le discours sur la crise du bénévolat.

La poussée du salariat associatif bien que longtemps passée inaperçue malgréson ampleur (Hély, 2008b) pose des questions essentielles, notamment le rapportau travail et la valeur du travail associatif.

De nouveau, les approches sont contrastées, alors que certains voient la capacitédes associations à créer des emplois malgré le marasme de la croissance,d’autres déplorent soit l’émergence d’une forme de travail au rabais, soit l’ombrequ’il fait planer sur le bénévolat, ou plus largement sur le devenir des valeursassociatives.

Le nombre d’emplois créés ne suft pas pour triompher, il faut observer les types

d’emplois, le cadre de travail. Matthieu Hély pointait le risque que les valeursassociatives de solidarité, de démocratie, d’engagement et du don de soi ne

soient que le cache sexe d’une réalité de travail « low cost ». Il a bien montréd’une part, la proximité des missions et services réalisés avec ceux de la fonctionpublique et d’autre part, l’homologie structurale entre fonctionnaires et salariésdes associations à un niveau supérieur (origine sociale marquée par une fortereproduction, correspondance des diplômes, idéal de travailler au service del’intérêt général) ce qui le conduit à l’hypothèse de l’émergence d’une « quatrième

fonction publique » (2008b). Or, les conditions de travail des cols blancs desassociations ne sont pas celles des fonctionnaires : salaires largement inférieursà diplôme et fonction équivalente, précarité de l’emploi, faibles perspectives depromotion. Sous couvert de don de soi, peut-on accepter une telle précarité ? La

communication qu’il propose dans ce dossier montre que la plupart des salariésaccepte justement au nom de l’idéal associatif. L’équilibre précaire de ce systèmerepose donc sur la sensibilité des salariés aux valeurs de référence.

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Mais deux éléments risquent de fragiliser l’équilibre. D’une part les collectivités

n’hésitent pas à mettre en concurrence les associations (délégation de servicepublic, marché public). D’autre part, le salariat associatif apparait comme uneniche pour l’emploi, niche largement courtisée par les écoles qui forment de futurscadres associatifs pour placer leurs jeunes. La mise en concurrence doubléede la mise sur le marché du travail conduisent à une forme de banalisation del’emploi associatif qui ne s’accorde pas toujours avec « l’économie sacricielle du 

don ». En effet, des salariés « banalisés » mus par le désir de trouver un emploiplus que par les valeurs associatives ne sont pas prêts à s’investir totalement,donc à intégrer la logique sacricielle attendue. Des cas de revendications

salariales ou de refus de travailler au-delà des horaires eurissent ici où là,

désemparant totalement les cadres des associations. Inversement, l’idéologie dudon de soi peut masquer des rapports salariaux parfois violents ou aux conns

de l’exploitation.

Le développement du salariat associatif met en relation – et en tension – deuxsystèmes de valeurs, celui du monde associatif (don de soi, aide à autrui…) etcelui propre au monde du travail qui possède ses cadres normatifs.

L’article présenté par Matthieu Hély (sociologue), « Le travail ‘d’utilité sociale’ 

dans le monde associatif », analyse les relations sous cet angle du salariat

comme enjeux de société, comme analyseur de l’évolution des liens. Il pose demanière très précise les ambiguïtés du salariat associatif, notamment à partir del’analyse des différentes tensions qui le traversent. Il s’interroge in ne sur lesmodalités de sa valorisation. Pour l’auteur, elle doit passer par la prise en comptede la performance sociale et par l’objectivation de l’utilité sociale de ce travail. Ilprécise toutefois que pour avoir du sens, le travail d’objectivation doit être portéet défendu par les associations elles-mêmes.

La question de la valorisation se pose désormais aussi pour le travail des salariésdes associations. Les économistes (Prouteau, 2004 ; Archambault, 2003, 2002)

puis les gestionnaires (Perrot80) avaient déjà amorcé la réexion sur la manièrede valoriser le travail des bénévoles. Aujourd’hui, c’est également sur la valeur du travail des salariés qu’il faut s’entendre.

Les associations produisent et emploient. Ainsi elles deviennent visibles d’uneautre manière, par l’entrée économique. Les associations présentent l’intérêtd’être des organisations « pas totalement comme les autres » et c’est bien ce quiattire les gestionnaires.

80.Intervention de Pascal Perrot aux quatrièmes rendez-vous de l’ESS à Châteauroux (2008) : conférence sur « la valorisation dubénévolat ». On peut encore se reporter au rapport de recherche « Les ressources associatives non marchandes : bénévolat etsubventions » pour la DIIESES, publié en 2009 et consultable en ligne :http://www.audiar.org/emploi/doc/ess_benevolat_subventions.pdf 

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2. Quel rôle des sciences de gestion dans le changement des

relations entre collectivités et associations ?

Le monde associatif « qui emploie » s’apparente pour les sciences de gestionà la découverte d’un terrain vague à explorer. Jusque-là l’occupation du terrainétait faible, mais l’espace se comble tant les explorateurs sont maintenantnombreux. Pour preuve les articles publiés dans la Revue Management & Avenir ces dernières années ou les récents ouvrages rédigés sous la direction de Jean-Louis Laville (2009, 2008), qui sont un concentré d’articles d’économistes et degestionnaires. Si l’on se reporte aux bibliographies des différents contributeurs,l’on peut d’ailleurs vérier à quel point les références relevant des sciences de

gestion sont récentes. Le colloque a également participé à la mise en valeur de laréexion des gestionnaires en leur consacrant l’un des trois axes thématiques.

L’intérêt des gestionnaires pour les associations introduit un renouveau dessujets. Les thèmes de la performance et de la mesure de la performance desassociations, de l’évaluation, de la gestion efciente des ressources, de la

gouvernance, de l’éthique, etc., percent depuis quelques années.

La plus forte présence des sciences de gestion dans le fonctionnement associatif est elle aussi sujette à des prises de positions antagonistes (Laville, 2008).

Progrès notoire pour les uns : l’on ne saurait aujourd’hui se priver de ces outilsqui   participent au savoir-faire du dirigeant associatif. Accélération du risquede banalisation et de démantèlement des spécicités associatives pour les

autres. Le management diffuse jusque dans ces organisations au risque d’uneuniformisation des pratiques.

Notons toutefois que beaucoup d’articles se posent à mi-chemin ; ils commencentpar énumérer les risques pour mieux percevoir comment les dépasser ou enquoi la gestion des associations peut conduire à de nouvelles pratiques. Ensomme, il s’agit de déterminer « ce que les associations font à la gestion » ou à

l’inverse « ce que la gestion fait aux associations » pour parodier le titre du livrede Nathalie Heinich81.

Dans la continuité thématique de la poussée du salariat associatif, l’approchedes gestionnaires nous renvoie à l’association-organisation, c’est-à-dire àl’association qui produit et emploie. Les différents articles montrent commentla pérennisation du partenariat a contribué à modier les pratiques de part et

d’autres, allant jusqu’à des congurations inédites qui appellent à repenser les

modèles de la performance ou du contrôle. Réciproquement, les changementsde pratique peuvent induire un renouvellement de la relation contractuelle. 

81. Heinich N. (1998), Ce que l’art fait à la sociologie, Les Editions de Minuit, Paris.

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La gestion des ressources humaines appliquée aux associations est le produit

des changements induits par une collaboration appuyée, construite au l del’eau. En effet, les associations ont des personnels à gérer. Tout naturellement lesgestionnaires se sont penchés sur ces organisations. Quasiment la même annéesortent deux ouvrages contenant des articles traitant de questions voisines :comment élaborer des outils RH spéciques aux associations ? Comment les

faire reconnaitre ? (Auberger, 2010 ; Meyer, 2009). Autant de questions jusque-làinvisibles.

Dans ce dossier, Sylvie Rascol-Boutard (sciences de gestion) avec «Auto- 

régulation des ressources humaines : des pistes d’action pour la gestion

des ressources humaines. Le cas de dispositifs d’action sociale » abordece sujet en montrant combien les politiques de gestion des ressources humaines(GRH) sont peu présentes dans les associations, alors même que les salariéset les bénévoles sont les principales ressources. Elle décrit notamment lesfacteurs propices au turn-over pour constater que malgré son ampleur, il n’estpas endigué par une politique de gestion des ressources humaines. De même,elle constate que le développement des compétences n’est pas encadré par uneréexion des décideurs. Elle s’interroge alors sur les stratégies utilisées et les

modes de gestion des ressources humaines pour développer des compétences

sources de performances. Elle montre que des compétences que l’on pourraitqualier « d’informelles » se développent en dépit de l’absence de politique de

GRH forte.

L’article met en avant des formes particulières d’apprentissage et de création decompétences, qui pourraient être valorisées si la GRH était vraiment pensée.

Les associations ne pourraient-elles se transformer en laboratoire pour inventer de nouvelles formes de GRH ? Ne pourraient-elles créer un pont entre les deuxsystèmes de valeurs décrits par Matthieu Hély ?

Les deux contributeurs suivants s’intéressent au contrôle de gestion. L’un àtravers l’utilisation par les associations de l’outil qu’est le budget. Le second nousplace « de l’autre côté » puisqu’il étudie les pratiques de contrôle de gestion dupoint de vue des municipalités, en s’intéressant aux modalités d’attribution desressources.

« De la politisation à l’instrumentation d’un outil de gestion : le cas du

budget dans les théâtres associatifs », cosigné par Pascale Amans, Agnès

Mazars-Chapelon et Fabienne Villesèque-Dubus (sciences de gestion)

interroge la manière dont les exigences des collectivités en matière de contrôlese transposent aux associations.

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Le contrôle appliqué aux associations du domaine artistique peut être

problématique voire paradoxal. En effet, la dimension créatrice du projet artistiquese combine mal avec le contrôle de gestion. Par ailleurs, le projet est souvent ou

et comme les collectivités en sont partie prenante, il devient difcile de placer la

frontière entre les organisations et leur environnement. Il en ressort que parmiles deux principales utilisations du budget, la dimension instrumentale, à usageinterne, devrait dominer par rapport à la dimension politique, à usage externe.C’est la conclusion que tirent les auteurs d’une revue de littérature sur le sujet.Or, l’analyse de la situation de deux théâtres associatifs montre que la dimensioninstrumentale est moins présente dans les deux cas et que la dimension politiques’établit de manière différenciée.

A la différence des stratégies de gestion des ressources humaines encore peudéveloppées pour améliorer la performance, le budget comme outil de gestionest inscrit dans les pratiques, y compris dans des domaines associatifs où celasemblait moins probable. Cette démonstration conforte le fait qu’à un certainniveau d’activité et notamment en fonction de la masse salariale, les outils degestion se mettent nécessairement en place, mais de manière plus ou moinsconsciente, plus ou moins formelle, plus ou moins rapide et plus ou moinsefcace.

Dans « L’affectation des ressources aux associations partenaires : la

nécessaire politisation des outils de gestion », Pascal Fabre (sciences degestion) pose trois questions essentielles : quels sont les instruments de gestionmis en place pour objectiver l’allocation des ressources ? Dans quelle mesurefavorisent-ils le contrôle de gestion et quelles sont leurs limites ? Quelle part reste-t-il à la négociation dans ce qui est un processus nalement très politique ?

Face à l’enjeu que représente la répartition des ressources, les collectivitéstentent de s’affranchir d’une distribution « sous contrôle politique » proche de

la logique discrétionnaire, dont l’auteur rappelle les limites. Les procéduresdéveloppées par les collectivités pour encadrer la distribution des ressourcespassent par la contractualisation (objectif négocié) ou par l’établissement denormes de nancement (grilles ou critères de répartition). Pour autant, ces normes

ne sont pas appliquées de manière homogène car les contraintes politiques etopérationnelles rendent difcile l’application d’un cadre unique. Les modalités

de répartition sont donc plus souvent « mixtes ». Les standards servent de pointde départ à la négociation ou s’appliquent aux plus petites associations. Lanégociation devient alors l’outil de gestion qui se substitue au contrôle.

Cet article rappelle s’il en est besoin que les relations entre élus et acteursassociatifs s’inscrivent dans la durée. L’interconnaissance des acteurs, desprojets, des réalisations est primordiale et explique qu’un changement de pouvoir 

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municipal soit propice à l’introduction d’outils objectifs, comme le constate Pascal

Fabre : pour un nouvel élu, le décit de connaissance du vivier associatif localrend l’attribution négociée moins opératoire. Il n’est pas non plus surprenant quel’élaboration des grilles soit discutée avec les acteurs associatifs ou dénie par 

un tiers (par exemple l’ofce municipal des sports qui possède compétence et

légitimité dans le cas du sport) tant l’enjeu est important.

Notre étude sur la dynamique associative dans le département de l’Indre (Abriouxet Labit, 2008) montrait la réciprocité des stratégies. Certaines associationsinsatisfaites des relations n’hésitaient pas soit à mettre en concurrence lespourvoyeurs de ressources publiques, soit à délocaliser leur siège et/ou leur 

activité. Dans ce cas, cela prouve l’existence d’un projet associatif fort, prêt à sedéployer sous d’autres hospices si le résultat de la négociation - ou de l’applicationdes critères - ne parait pas satisfaisant.

Le travail de Pascal Fabre semble montrer que les modalités d’attribution et decontrôle sont variables pour une même collectivité et entre collectivités en fonctiondes secteurs, du poids des associations, de leur ancienneté. On peut espérer que ce vaste échantillon (54 entretiens qualitatifs et 251 questionnaires auprèsde services opérationnels et nanciers) continuera à nous livrer ses secrets :

existe-t-il des régularités en fonction par exemple du nombre d’administrés descommunes, de l’ancienneté des élus locaux et de la taille des associations dontnous percevons l’importance dans l’aménagement des modalités d’allocation deressources ?

Autant de questions qui nous mènent à l’analyse des relations - et de leursconséquences - à l’échelle des territoires.

3. Développement, gouvernance et démocratie dans les

territoires : quels positionnements des acteurs ?

Le jeu des acteurs dans les territoires est plus spéciquement étudié dans les

quatre textes suivants.

Un premier groupe de deux textes s’intéresse à l’impact des transformationsinstitutionnelles comme l’émergence de l’intercommunalité ou de la démarche dePays. En effet, elles sont porteuses de changements culturels et organisationnels.Elles permettent des rationalisations ou des économies d’échelle (fusions,regroupement, équipements nouveaux, etc.). Elles font aussi émerger une

nouvelle caste de décideurs et de dirigeants, voire de nouvelles associationsdont l’objet consisterait justement à promouvoir l’une ou l’autre des actions, par exemple d’un Pays. L’on peut s’interroger sur le type de gouvernance qui résultede l’émergence de nouveaux acteurs : comment les élus vont-ils prendre en

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compte le vivier associatif local ? Inversement, comment les associations vont-

elles tenir compte de ces nouveaux étages institutionnels ?

L’on peut également s’interroger sur les dynamiques de développement qui sedéploient. Que peuvent produire les interactions entre acteurs dans le cadre del’intercommunalité et comment maximiser la performance ? Quelle modélisationpeut-on envisager ? Ce sont les questions auxquelles José Chaboche (géo-graphe) essaie de répondre dans son article intitulé « Evaluer la performance des

dynamiques sportives intercommunales : théorie, méthode, modélisation » à partir du cas du sport. Le cadre intercommunal peut pousser la logique inter-organisationnelle et « doper » certaines formes de proximité. La proximité réelle

tout d’abord, à savoir une proximité géographique qui redevient visible et constituealors un levier utilisé. La proximité organisée ensuite, qui consiste à créer desespaces de fusion, de circulation. Enn la proximité culturelle. L’intercommunalité

favorise donc des systèmes sportifs locaux au visage contrasté qui s’appuient sur différentes formes de proximité, sur des logiques identitaires à ancrage territorialou sur le développement du partage des savoirs, sur l’accroissement de l’offreet des pratiques de qualité. Néanmoins, plusieurs facteurs peuvent limiter laperformance. Parmi eux la différence des horizons temporels entre associationset collectivités. Le tempo des premières est calé sur le cycle des contrats alorsque la temporalité des secondes est liée à l’agenda des élections. Il en résulteincertitude et indécision.

Ce point n’est toutefois pas spécique au cadre intercommunal. Il est en revanche

renforcé par le jeu des attentes réciproques que relève bien José Chaboche :certaines communes se désengagent par une attitude de « laisser faire » ;elles se reposent sur les acteurs compétents au motif spécieux de leur propreincompétence en matière sportive. Réciproquement, certains acteurs sportifsassociatifs se désengagent tout autant, ils « attendent d’être pris en main ». Uneautre difculté se situe à un niveau relationnel, qu’il soit inter-associatif, ou bien

entre acteurs publics, politiques et associatifs.

Enn, et c’est probablement l’élément à la fois le plus transversal aux trois cas

et le plus embarrassant, la dimension intercommunale n’est pas afrmée d’un

point de vue politique. Elle est marquée par la difculté à « produire un projet 

sportif territorial » ou par le fonctionnement « décousu et prudent d’instances

intercommunales qui se cherchent encore ».

Dans «Dynamiques associatives et transformation des territoires », Marc

Fourdrignier explique en quoi l’émergence de nouveaux acteurs affecte les

acteurs traditionnels et engendre de la « complexité institutionnelle ». La présenced’acteurs politiques multi-casquette brouille la lisibilité. Il s’agit par exemple del’imbrication des responsabilités politiques à différents niveaux institutionnels, oudu cumul des responsabilités politiques et associatives. Pour afner l’analyse

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de l’impact des territoires émergents sur les dynamiques d’acteurs, il propose

une typologie des associations fondée sur deux critères : leur implantationlocale physique et la force du lien entre le projet de l’association et le territoired’action. Les différents types qui en sont issus sont étroitement liés aux stratégiesobservées. La première, dite « d’adaptation » consiste à intégrer le nouveau territoire ;l’identité de l’association est marquée par cette dimension territoriale. Pour unepartie des associations cependant l’adaptation est purement formelle, les actionsrestent ancrées à un niveau d’action infra-territorial. La deuxième stratégie relèvedes acteurs politiques qui procèdent « par substitution » : des acteurs publics

remplacent les associations, ce qu’il observe dans le cadre de l’intercommunalitébien que cette pratique reste peu courante. Enn, la troisième stratégie est celle

de la « collaboration », prévue dans la démarche de Pays. Il constate que lesinstances de délibération comme les Conseils de développement tendent àrassembler ceux qui ont moins de poids et qui ne « tiennent pas » dans la durée,ce qui vérie a posteriori la mauvaise image que les acteurs locaux ont d’eux.

La conclusion amène deux points essentiels, d’une part l’importance de lamanière dont les différents acteurs se jaugent, se perçoivent et perçoivent lesprojets. D’autre part le fait que la convocation des associations à participer audynamisme du territoire renforce la perte du sens associatif : les associationssont perçues comme des prestataires de service, des « opérateurs fonctionnels

indifférenciés » (Lafore, 2010). Le service, l’activité ou le projet comptent plusque le cadre qui lui donne vie.

La forte sollicitation des associations aux différents niveaux territoriauxcomme l’apologie de la logique du projet peuvent avoir pour effet pervers leur « neutralisation » (Lafore, 2010) en tant qu’institution. En se dépersonnalisant ouen entrant trop ouvertement dans le jeu des acteurs politiques, les associations

risquent d’être dépossédées de leur capacité à innover, à rééchir ou à inéchir.

Le groupe des deux derniers articles s’intéresse aux relations entre associations etcollectivités dans des territoires ruraux. Quel est l’impact des relations en termesde dynamique locale ? Au niveau local les associations sont-elles un rouage dela vie démocratique ? Cette dernière question peut être abordée de manièreplus globale, à partir des différentes territorialités. La sociologie de la démocratieparticipative (Blondiaux, 1999, 2007, 2008 ; Gaudin, 2007 ; Neveu, 2009, 2007,1999 ; Sintomer, 2009) fournit un background intéressant pour formuler quelqueshypothèses, toujours sur le mode bipolaire. L’une des hypothèses serait que la

démocratie s’exerce au niveau des instances locales et que les associations sontun réservoir de citoyenneté. L’autre hypothèse afrmerait au contraire que les

instances locales ne sont que des « coquilles vides » qui servent à présenter desprojets plus qu’à les discuter. La démocratie serait donc formelle et supercielle.

Les relations entre associations etcollectivités : vers quel avenir ?

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La décision est le monopole des acteurs politiques dans le cadre d’un rapport de

forces qui leur reste très favorable. Les éclairages apportés par les auteurs sonttout en nesse et en nuance.

Christine Roméro (géographe) dans son article « La cohésion territoriale et 

le développement local au déf des territorialités discontinues » s’intéressenotamment à la manière dont le territoire fait sens. Elle constate la moindrecoïncidence entre les territoires institutionnels82 et les territoires du quotidien83.Pour les collectivités, les limites territoriales sont rapidement cernées dès lorsqu’on les considère individuellement. Cependant, l’emboitement des territoiresinstitutionnels jette un voile opaque sur l’ensemble. Autant de facteurs de

complexication des relations qui interfèrent sur le jeu des acteurs dans lagouvernance des territoires ruraux qu’elle observe.

La territorialité des associations est difcile à appréhender parce que leur 

territorialisation est plus ou moins marquée et que le positionnement des acteursassociatifs est subtil. On peut distinguer les associations de proximité, dontl’objet est inséparable du lieu et les associations d’adhésion à des valeurs, pour lesquelles la localisation peut s’avérer secondaire. Quant au positionnement desacteurs, il peut être uctuant ou difcile à jauger. C’est le cas lorsque qu’un acteur 

possède une multiplicité d’engagements : président d’une association, trésorier d’une autre et adhérent à une troisième84. L’interlocuteur associatif peut aussi êtredifcile à identier en raison de l’incertitude sur ce que l’acteur représente : à quel

titre et au nom de quoi s’exprime-t-il dans le débat public ? La voix qui s’élève est-elle celle du citoyen, du chercheur, de l’habitant, du cadre associatif ?

Enn, l’origine des populations interfère dans le système local des acteurs. Elle

cite les néo-ruraux qui « choisissent » la campagne, développent un projet de vieet s’investissent. Cette « campagne désirée », vue par des urbains qui cherchentles richesses si rares en ville (espace, calme, verdure, temps, etc.) est souvent

perçue comme un espace à protéger. L’auteur parle même de « nébuleuse »dans le cas d’associations locales de défense – souvent investies par ces mêmesnéo-ruraux – qui portent des valeurs y compris contre les habitants ou au-delàdes objectifs afchés par l’association.

Dans son texte « Associations et collectivités territoriales au cœur de la

démocratie locale. Le cas de l’Indre », Anne Labit défend l’utilité politiquede l’association, c’est-à-dire sa capacité à être un lieu d’expression citoyenne,de diffusion de valeurs, de résistance, de contestation, etc. Dans quelle mesureparticipent-elles à la vie démocratique locale aux côtés des collectivités ?

82. Ou « territoires conçus » si l’on reprend le découpage inspiré par Henri Lefebvre, que retient Marc Fourdrignier dans l’articleprécédent.83. Ou « territoires vécus ».

84. Les données de l’INSEE confirment qu’une proportion non négligeable d’acteurs associatifs adhère à plusieurs associations, voireest membre du bureau ou bénévole actif dans plusieurs associations ; à une échelle locale, l’étude menée dans le département del’Indre fournit une nouvelle preuve que ces « piliers » de la vie associative locale sont nombreux.  

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Le territoire rural étudié rencontre des difcultés qu’il faudrait dépasser pour que

s’afche une démocratie politique. Il est caractérisé par une forte croissance del’emploi associatif qui crée une forte pression sur les bénévoles.

Anne Labit dépeint aussi les passerelles entre monde associatif et mondepolitique. Notons que des exemples célèbres peuvent être pris au niveau national(Fadela Amara ou Harlem Désir) et que cela peut être vu comme la preuve del’intérêt pour les affaires publiques, donc de la réalité de la « l’utilité politique ».Son analyse locale présente enn l’intérêt d’avoir sondé la vision des élus, dont

nous avons déjà signalé l’importance. Certains élus, surtout de petites communes,ont une vision très traditionnelle des associations dont le rôle serait cantonné à

l’animation, à la création de lien social. Ces élus minorent la portée économiqueet plus encore la portée politique de l’activité des associations. En conséquence,soit ils n’investissent pas beaucoup dans la dynamique associative, soit ils lesannexent et les instrumentalisent. D’autres élus ont une vision plus précise maisils ne les convoquent pas forcément pour participer aux décisions. L’auteur remarque que les associations sont invitées au débat public là où la fragilité duterritoire est telle qu’il serait suicidaire d’évincer le moindre acteur.  Elle noteégalement l’existence d’un nombre conséquent d’associations qui fonctionnentsans subvention publique.

Ces associations sont-elles pour autant sans liens avec les collectivités ? Ouplus démocratiques ? Rien n’est moins sûr, s’il s’agit d’associations de défensesd’intérêts, elles peuvent développer une relation conictuelle dont les effets

peuvent s’avérer signicatifs. D’autres sont autonancées mais centrées sur leur 

projet et la démocratie en interne comme le débat avec les habitants ne sont pasmême pensés.

De nouveau, la diversité des scénarios témoigne de la complexité et nousenjoint à la prudence en termes d’analyse. L’on se heurte toujours à l’extrême

hétérogénéité du monde associatif, raison pour laquelle il est préférable de biendécliner de quelles associations ou de quels territoires on parle, ou bien deproposer des typologies. A travers les textes proposés cinq axes ressortent pour analyser les liens entre collectivités et associations :

1° L’implantation de l’association. La situation, géographique, politique,sociologique locale forment un contexte qui n’est pas sans incidence sur la naturedes relations entre associations et collectivités. Par exemple, l’implantation enterritoire moins dynamique laisse supposer que les associations seront davantagepriées de prendre part au projet de développement.

2° La territorialisation du projet. Un projet peu territorialisé est relativement moinsdépendant des acteurs politiques locaux.

Les relations entre associations etcollectivités : vers quel avenir ?

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3° La taille de l’association (dont le seuil critique est franchi dès le premier 

salarié). D’une part les petites associations n’ont pas les mêmes problèmes,d’autre part le salariat fait rapidement basculer vers la dépendance économique,le resserrement des contraintes et la pression sur les bénévoles.

4° Le champ d’intervention et la logique dominante. Selon qu’il s’agisse de sport,de culture, de santé, d’action humanitaire ou sociale, d’insertion, de défensed’intérêt, etc., les rapports ne seront pas déterminés de la même manière. Eneffet, la volonté des collectivités de contrôler l’action des associations est plusimportante dans les secteurs de leur champ de compétence directe ou lorsqueles moyens engagés sont très importants. De même selon qu’il s’agisse d’une

association de pratique ou au contraire de prise de position, la relation peut varier de la collaboration plus ou moins étroite à la recherche d’indépendance pour contrer l’autre acteur.

5° La connaissance des autres acteurs et les représentations. L’ancienneté desliens entre acteurs associatifs et élus détermine le degré d’interconnaissance quiest aussi une variable d’ajustement de la relation. Les représentations qu’ont lesacteurs les uns des autres orientent la manière d’entrer en relation et les attentesà l’égard de l’autre acteur : est-il plutôt considéré comme un levier ou un frein audéveloppement de sa propre activité ? Conclusion

Les différents articles permettent de croiser les champs disciplinaires et lescadres conceptuels. Leur complémentarité procure une connaissance plus ne

des différents enjeux associés aux relations entre associations et collectivités.Dans cette mesure, les articles permettent d’envisager l’avenir des relationsentre associations et collectivités. En effet, ils pointent à la fois les thèmes derecherche de demain et les questions concrètes que se posent aujourd’hui les

élus ou les acteurs associatifs. Ces questions sont inhérentes à la nature du lien.En retour, les réponses expérimentées par chaque acteur impactent les relationscomme la manière de travailler et de se positionner.

La dépendance est réciproque, les collectivités ont besoin des acteurs associatifspour appuyer leur politique locale et les associations s’appuient sur les aides descollectivités. La question des rapports de forces entre acteurs, pour reprendreun cadre conceptuel plus ancien mais non moins pertinent, est centrale. Quelleest la capacité des associations à peser dans les débats et à se positionner pour inéchir les politiques locales ? En d’autres termes, quel est leur réel « pouvoir 

de déformation » (Bourdieu, 1996) desespaces politiques, économiques etsociaux ? C’est ce qui est au cœur des tensions depuis toujours, mais le centrede gravité des relations semble s’être déplacé. Désormais les tensions portentplus sur le lien avec l’économie et l’aspect politique a parfois des difcultés à

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se faire entendre, alors qu’il était un moteur pour les associations des années

soixante. Le lien économique n’écrase-t-il pas la relation plus politique ?

Le monde associatif sait se positionner, il possède ses structures, infrastructureset superstructures, il sait s’organiser en réseau, créer de nouveaux regroupementsrééchissant aux problèmes à la pointe de l’actualité, organiser la diffusion d’un

savoir auto-constitué. L’une des limites reste l’hétérogénéité du mouvementet la diversité des logiques. Le principal risque pour toutes à l’exception desassociations de défense, serait l’oubli de la dimension citoyenne. L’associationest une autre école de la vie et de l’action collective, y compris dans sa dimensionpolitique.

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