les dÉbuts dans la vie de madame de montespan

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LES DÉBUTS DANS LA VIE DE MADAME DE MONTESPAN C'est dans le Poitou et dans la Saintonge, où, au dire de l'auteur des Délices de ta France, l'on n'a « jamais vu de la noblesse si bien faite, des dames si civiles, des bourgeois si obligeants, et d'où viennent les plus agréables airs et les plus jolis menuets », que se passèrent l'enfance et l'adolescence de Mlle de Tonnay-Charente. Le voyageur qui, au bourg de Lussac en Poitou, quitte la route de Montmorillon pour prendre le chemin de Sillars, arrive, en effet, par un lacet au-bord d'un long étang, d'où s'élèvent, parmi les eaux et les roseaux, les piles de pierre de l'antique pont-levis qui, du côté de l'orient, défendait l'entrée d'un « château ». Ce château, aujourd'hui — et depuis longtemps — tombé, et sur l'emplace- ment duquel furent bâties, avec ses propres pierres, des maisons citadines, formait au siècle dix-septième un gros quadrilatère de murs avec tours d'angle et chemin de ronde, dont la masse imposante se carrait entre l'étang à l'ouest et le village au nord et à l'est. Mi-séjour de plaisance, mi-forteresse, protégée d'un côté par une « mer morte », et de l'autre par de larges fossés à murs d'escarpe, avec ses souterrains de résistance et de fuite, c'était l'une, et la plus importante, des demeures des Mortemart ; et c'est là (non à Tonnay-Charente, comme l'impriment encore maintes biographies) qu'en l'an de grâce 1640 (et non pas 1641) naquit celle qui devait illustrer, dans l'histoire du siècle de Louis XIV, le nom de Montespan. On peut lire au registre de Lussac :

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Page 1: LES DÉBUTS DANS LA VIE DE MADAME DE MONTESPAN

LES DÉBUTS DANS LA VIE DE MADAME

DE MONTESPAN

C'est dans le Poitou et dans la Saintonge, où, au dire de l'auteur des Délices de ta France, l'on n'a « jamais vu de la noblesse si bien faite, des dames si civiles, des bourgeois si obligeants, et d'où viennent les plus agréables airs et les plus jolis menuets », que se passèrent l'enfance et l'adolescence de Mlle de Tonnay-Charente.

Le voyageur qui, au bourg de Lussac en Poitou, quitte la route de Montmorillon pour prendre le chemin de Sillars, arrive, en effet, par un lacet au-bord d'un long étang, d'où s'élèvent, parmi les eaux et les roseaux, les piles de pierre de l'antique pont-levis qui, du côté de l'orient, défendait l'entrée d'un « château ». Ce château, aujourd'hui — et depuis longtemps — tombé, et sur l'emplace­ment duquel furent bâties, avec ses propres pierres, des maisons citadines, formait au siècle dix-septième un gros quadrilatère de murs avec tours d'angle et chemin de ronde, dont la masse imposante se carrait entre l'étang à l'ouest et le village au nord et à l'est. Mi-séjour de plaisance, mi-forteresse, protégée d'un côté par une « mer morte », et de l'autre par de larges fossés à murs d'escarpe, avec ses souterrains de résistance et de fuite, c'était l'une, et la plus importante, des demeures des Mortemart ; et c'est là (non à Tonnay-Charente, comme l'impriment encore maintes biographies) qu'en l'an de grâce 1640 (et non pas 1641) naquit celle qui devait illustrer, dans l'histoire du siècle de Louis XIV, le nom de Montespan. On peut lire au registre de Lussac :

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« Le vendredi cinquiesme jour d'octobre mil six cent quarante^ a esté babtisée Françoise de Rochechouard, née en cette paroisse, fille de Gabrielle de Rochechouard, chevallyer de l'ordre du Roy, conseil­ler d'Estat, premier gentilhomme de la Chambre de Sa Majesté, sei­gneur marquis de Morthemart et de Lussac-le Chasteau, prince de Tonnai-Charente, et de Diane de Grandsaîgne, Et ont esté parryn et marraine Nicolas Rozet et Françoise Massoulard qui ne purent si­gner. »

« Tartaud, prêtre. * '

Françoise de Rochechouart était la troisième en date des enfants du marquis de Lussac, qui comportaient un fils, Louis, né en 1636 à Tonnay-Charente, qui fut plus tard le maréchal de France duc de Vivonne, et quatre filles : Gabrielle, Françoise, Marie-Christine et Marie-Madeleine, toutes venues au monde à Lussac ; Gabrielle, l'aînée, fut la marquise de Thianges ; Marie-Christine, qui n'eut pas d'histoire, entra en religion au couvent des Filles de Sainte-Marie de Chaillot ; Marie-Madeleine, la ben­jamine, fut la célèbre abbesse de Fontevrault. Les quatres sœurs vécurent leurs années d'enfance à Lussac, avant d'être « élevées », adolescentes, à Saintes, au couvent de Sainte-Marie.

Quand Françoise — qui fut Mlle de Tonnay-Charente, puis Mme de Montespan — vit le jour, son père, Gabriel de Roche­chouart, seigneur marquis de Mortemart (dans la Marche limou­sine) et de Lussac et Vivonne (dans le Poitou), prince en outre de Tonnay-Charente (dans la Saintonge), se trouvait être le premier gentilhomme de la Chambre du roi, et n'avait, pour riva­liser avec lui en « hauteur et puissance », dans ces provinces de l'Ouest, que les seigneurs de La Rochefoucauld. Diane de Grand-seigne, fille de Jean de Marsillac, était elle-même de très noble extraction, et, pour lors, dame d'honneur de la reine.

Fier, spirituel, lettré, assez haut (comme tous les Mortemart), fort réputé pour sa galanterie au reste tout dévoué au roi son maître et au cardinal-duc, qui trouva en lui un habile allié et agent d'exécution auprès de Louis XIII lors du complot de Cinq-Mars, Gabriel de Rochechouart, bien en cour et du bon côté, du côté cardinalice, avait une renommée de gentilhomme adroit et accompli. Assez fastueux, au point de dépenser beaucoup et sou­vent en réceptions et en fêtes lorsqu'il résidait dans ses fiefs, aimant la chasse et la table, la musique et la danse, aimant surtout l'amour et le plaisir, on le voit, lorsqu'il quitte le Louvre pour Tonnay, plus souvent pour Lussac, qu'il affectionne, observer ses devoirs envers une belle et pieuse épouse qui l'adore et à qui i l fait de beaux enfants, mais attirer aussi, pour courre le cerf, quelques châtelaines ou « cousines » des environs.

A peu près au moment où Mortemart atteignait la quarantaine

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et où Mme de Montespan venait au monde, un billet de lui, — adressé à qui ? ( 1 ) — ouvre un jour assez amusant sur les délas­sements et les jeux du premier gentilhomme de la Chambre : « Je serai à Lussac pour Pâques, et nous jouerons à Rosette. Diane, n'épargnez pas la chair... ».

Billet amusant, dis-je, parce qu'il renferme non point, comme on l'a cru, une faute d'orthographe (chair pour chère), mais sans doute deux allusions littéraires : l'une, ce semble, à la fameuse et toujours chantée villanelle de Philippe Desportes (2) ; l'autre, à l'aubade aux Dames pour le dimanche gras, moins connue aujourd'hui, mais non moins délicieuse et non moins célèbre dans la première moitié du X V I I e siècle, du spirituel et gaillard bouffon de Henri IV, Maître Guillaume le Fol, et dont le refrain, selon toute apparence, est repris par Mortemart. On n'a point de peine à imaginer celui-ci alternant avec sa bergère (Diane ou Rosette) les couplets de la villanelle, ou scandant les strophes de l'aubade dont le Vert-Galant faisait ses dé'ices :

Si ce jour montré vous avez Le devant aux tables friandes, Moins encor la nuit vous devez Tourner le derrière aux viandes. Voici le carême approcher : Belles, n'épargnez pas la chair...

Comment Diane de Grandseigne, si c'est à elle qu'était destiné le billet précité, accueillait-elle les galants messages d'un époux

(1) A Diane de Grandseigne, son épouse ? ou à une autre Diane moins légitime (Puyrajoux ? Mauprevoir ? ou autre ?)... Depuis la gloire amoureuse et deux fois royale de Diane de Poitiers, le nom de Diane était resté à la mode. La marquise de Montespan est appelée elle-même Françoise-Diane dans certains actes, et notamment dans l'inscription en relief ceignant la cloche de bronze offerte à l'église paroissiale de Bonnefont, près Antin, à l'occasion du baptême du duc.

Quoi qu'il en soit, i l n>'est pas impossible — et i l est même assez probable — que le billet de Gabriel de Rochechouart fût à l'adresse d'une épouse qu'il n'a d'ailleurs jamais cessé d'aimer, semble-t-il — et qui était d'ailleurs fort aimable — tout en folâtrant d'occasion, et surtout peut-être au moment des couches de sa femme, avec quelque autre Diane.

(2) Publiée en 1576, mais antérieure d'une année au moins, puisqu'elle avait été mise en musique dès 1575 par Eustache du Caurroy, la villanelle de Desportes :

Rosette, pour un peu d'absence, Votre cœur vous avez changé, etc.

et dont le refrain est : Nous verrons, volage bergère, Qui premier s'en repentira,

entraîna une réponse de « Rosette », digne du texte de Desportes, et qui fut imprimée de 1576 dans le Sommaire de tous les recueils de chansons, tant amoureuses, rustiques, que musicales (Paris, Nicolas Bonfons). Chanson et réplique eurent un succès considérable et durable. Cf. Jacques Lavaud, Philippe Desportes, pp. 235, 493, 509, 525 (Droz, 1936).

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quadragénaire, mais toujours jeune ? Sans doute avec l'admira­tion constante et l'amour voluptueux que cette pieuse et fidèle épouse avait voués depuis toujours à son mari. La fille de Jean de Marsillac faisait partie de cette charmante escorte de jeunes femmes dont la reine Anne d'Autriche aimait à s'entourer. Blonde et belle, n'adorant après Dieu que son époux, enjouée, heureuse, trouvant dans l'exercice d'une exacte et fervente piétié les douces délices de l'âme, elle animait la chambre de la reine, gaie, volup­tueuse et dévote comme elle, de sa jolie voix caressante, de ses chants et de ses talents de musicienne. Elle « sonnait » de tous les instruments qui étaient alors en honneur, et avait appris d'Anne elle-même à jouer aussi de la guitare. Elle fut la joie de la « chambre », et continuait, joyeuse, lorsqu'elle allait successi­vement mettre au monde, au château de Lussac, chacune des belles enfants que son galant mari lui avait faites, d'éveiller de ses rires et de ses grâces vivantes la demeure favorite du marquis.

Françoise, comme sa sœur aînée et ses cadettes, confiée, quand les époux reprenaient le chemin du Louvre, aux bons domestiques du château, à la Nono — une nourrice du nom d'Auzanneau, — à la Troubat et à la Gailledrat, connut le premier décor de la vie par les vastes pièces dallées et tapissées d'une demeure dont la vue plongeait sur un étang, couvert en ses eaux plus lointaines d'une silve de roseaux, à travers lesquels s'insinuaient des pas­sages pour les barques... Sa mère aimait, lorsqu'elle était là, à traverser l'oblongue étendue d'eau pour aller faire ses dévotions en une sorte d'oratoire — ancienne léproserie, croient certains — construit sur la berge méridionale de l'étang, et qu'on appelait — qu'on appelle encore — « la grotte » parce que la berge ici s'in­curve au bord de l'eau... Françoise connut le plaisir de parcourir l'étang parmi les hautes quenouilles de la flore aquatique et les fourrés où filent les sarcelles ; puis, grandissante, les charmantes promenades dont s'agrémentait le séjour lussacois : Fontserein, une maison paysanne près d'une source, un petit coin d'une fraî­cheur divine aux jours d'été ; Chantegros, dans un creux de verdure, sur le chemin de Persac, val ombreux où faisaient les oiseaux leur concert ; l'Age, où l'on accédait, par un sentier en pente dans les bois, à un ruisselet qui court en bruissant vers la Vienne.

Elle connut les deux grands charmes de Lussac : la rivière, la forêt. La rivière, l'une des plus belles de France, la Vienne, coule à une demi-lieue du château au nord-ouest. I l y avait, — il y a toujours là, — un pont, un moulin au bord du pont ; et, à quelques pas de l'onde, voilé par un rideau de peupliers serrés, un pré où une pierre tombale attestait qu'on s'était battu pour

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passer la rivière au temps du sage roi Charles V et que le capitaine anglais Jean Chandos y avait été tué.

Ce pré, les eaux si belles, le rustique moulin marquaient le terme d'une promenade... Sur la rive droite, à une demi-lieue aussi du châtau vers le nord, sur le chemin de Chauvigny, une belle forêt, qui s'étendait — et qui s'étend toujours malgré les déboisements — tout le long de la rivière, qu'elle bordait de ses talus ou de ses pentes assez molles, dressait ses hautes futaies ou ses épais taillis, hantés des cerfs et des sangliers. A un certain endroit où la rivière fait un léger coude se trouvait le gué où la légende veut que Clovis, cherchant à passer la Vienne, ait vu une biche lui montrer la route, et c'est encore aujourd'hui l'en­droit où les cerfs et les biches viennent boire. Gabriel de Roche-chouart, lorsqu'il était à Lussac, y donnait de grandes chasses, et Françoise, trop petite pour y participer, put du moins assister sans doute au spectacle d'une curée...

Dans quelle mesure les années d'enfance à Lussac, tantôt fami­liales, tantôt « domestiques », furent-elles déterminantes pour Françoise ? Qu'ajoutèrent-elles aux traits de caractère qu'elle tenait d'un père enjoué, spirituel et mordant et d'une mère pieuse et gaie : qui peut le dire ? A quelle date l'enfant ou plutôt l'adoles­cente quitta-t-elle Lussac pour compléter son éducation par celle que le couvent de Sainte-Marie à Saintes avait déjà procurée à sa sœur aînée ou allait procurer à ses cadettes, on ne peut le fixer avec précision. I l est pourtant probable qu'elle entra à Sainte-Marie peu de temps avant que sa sœur en sortît pour épouser, toute jeune, en 1655, le marquis de Thianges. D'environ 1653 à 1659, la pensionnaire de Saintes y reçut une instruction qui n'allait point jusqu'à savoir mettre l'orthographe, les religieuses elles-mêmes la sachant mal, mais grandit en beauté et en grâce édi­fiante, et prit le nom de Tonnay-Charente qu'on lui donna alors pour la distinguer de ses cadettes. Lorsque ayant atteint dix-huit ans elle sortit du couvent, elle fut, <à la prière de sa mère, choisie par la reine Anne d'Autriche pour être attachée, comme demoi­selle d'honneur, à la nouvelle maison de la nouvelle Madame.

Elle apportait à la Cour, dont le récent mariage d'un jeune et brillant roi avait ravivé l'éclat par l'afflux de jeunes gentilshom­mes et de jolies filles ou dames d'honneur, l'incomparable fleur d'une beauté que tous s'accordent alors à trouver non point altière ou opulente, mais angéîique : celle d'une blonde aux yeux bleus, avec, dit Primi Visconti, un nez aquilin mais bien fait,

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la bouche petite et vermeille, de très belles dents, un visage parfait, un corps de taille moyenne mais de proportions accom­plies. Son teint surtout, d'une merveilleuse blancheur, la rendait rayonnante entre toutes ; et si le roi n'avait été tout à son amour pour la jeune et passionnée La Vallière, i l eût sans doute remarqué plus tôt la royale et souveraine beauté de Mlle de Tonnay-Cha-rente.

Elle y apportait aussi cet esprit inimitable des Mortemart. loué par Saint-Simon et par Voltaire, et qui lui faisait dire, comme à son frère Vivonne et à sa sœur Thianges, « des choses plaisantes et singulières, toujours neuves, et auxquelles personne, ni eux-mêmes en les disant, ne s'attendait » — un esprit, fait pour la raillerie et l'épigramme, dont hérita Mlle de Blois, et qui, sur les indications de Tonnay-Charente, dictait à un poète ce sixain contre la rivale d'abord triomphante qu'elle remplaça dans le cœur du roi :

Soyez boiteuse, ayez quinze ans, Pas de gorge, fort peu de sens, Des parents, Dieu le sait. Faites, en fille neuve, Dans l'antichambre vos enfants. Sur ma foi! vous aurez le premier des amants Et La Vallière en est la preuve.

Elle y apportait enfin — les tenant de son éducation et de sa nature — des sentiments de piété et de pudeur très fière, qui n'étaient nullement feints, quoiqu'on l'ait affirmé, et qui lui fai­saient dire avant de devenir elle-même la maîtresse du roi et en parlant de Mlle de La Vallière : « Si j 'étais assez malheureuse pour que pareille chose m'arrivât, je me cacherais pour le reste de ma vie. »

Depuis le jour où Françoise de Rochechouart, demoiselle de Tonnay-Charente, arriva à la Cour jusqu'à celui où elle épousa Louis-Henry de Pardeilhan de Gondrin, marquis de Montespan„ trois années s'écoulèrent; quatre autres jusqu'au moment où elle supplanta dans la faveur royale Louise de La Vallière ; quarante jusqu'à celui où, favorite déchue et depuis longtemps déjà à peu près oubliée, elle acheta, le 15 avril 1700, au nom des enfants du duc d'Antin, son fils, le château du duc de La Feuillade à Oiron, près de Loudun en Poitou.

Au cours de ces quarante années, revint-elle parfois à Lussac ? On ne sait. Sa mère, qui avait été une si belle Diane et dont la piété fervente s'était encore accrue avec l'âge, mourut le 11 février 1666, à Poitiers. Son père décéda, plus que septuagénaire, le 26 septembre 1675 : élevé à la dignité de pair de France en 1663, i l avait, par l'entremise de Françoise, été nommé gouverneur de Paris au mois de mars 1669.

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Ante mare, undae... Songeant à l'altière devise des Mortemart et tout ensemble des Rochechouart, car un distique ingénieux paraphrasait ainsi la concision du latin :

Avant que la mer fût au monde, Rochechouart portait les ondes,

Françoise, qui connut le triomphe, puis les sournoises intrigues de la Cour, plus perfides que les « ondes », a dû plus d'une fois sans doute revoir en pensée et en songe Lussac et son château, la petite « mer » si calme et si douce de l'étang parmi les roseaux, l'oratoire où priait sa mère, la Vienne et la « forêt » de ses années d'enfance : ante undas, mare.

« La nature, a écrit le duc de Noailles, avait prodigué tous ses dons à Mme de Montespan : des flots de cheveux blonds, des yeux bleus ravissants, avec des sourcils plus foncés, qui unissaient la vivacité à la langueur, un teint'd'une blancheur éblouissante, une de ces figures enfin qui éclairent les lieux oh elles paraissent. »

Le jour de la Saint-Sylvestre, en l'an de grâce 1662, Françoise de Rochechouart, demoiselle de Tonnay-Charente, fille d'honneur de Madame, eut l'honneur de quêter devant la Cour, et s'acquitta de ce pieux office avec tant d'éclat et tant de charme, sous la modestie apparente, et avec de si douces inflexions dans la voix et un regard si suave et si beau que le fidèle Loret, dans sa Muse historique, ne lui consacre pas moins de vingt-huit mauvais vers dont voici le début et la fin :

L'admirable de Mortemart, Très aimable mignonne, car C'est une des plus ravissantes, Des plus sages, des plus charmantes De toutes celles de la Cour Où l'on voit mille objets d'amour ; Cette aimable, dis-je, mignonne, Si rare et si belle personne Fit la quête ce saint jour-là...

Cet objet, toujours éclatant, Qui de mille amour est la source, Attaquait le cœur et la bourse !

Il faut, quand on lit Loret, oublier les méchants termes et les pénibles rimes dont i l use, pour ne retenir que la substance même de ce qu'il dit, vraie d'ordinaire dans le plus petit détail. Jamais Mlle de Tonnay-Charente, qui venait d'atteindre sa vingt-deuxième année, n'avait été plus belle, ni d'une beauté plus tou­chante. La calomnie n'avait encore pas eu la moindre prise sur elle. On l'avait plainte l'hiver précédent d'avoir entendu pronon-

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cer une sentence de mort, par contumace, contre son fiancé, le marquis de Noirmoutier, qui, à la suite d'un duel meurtrier, avait dû rapidement franchir les Pyrénées. On la savait aussi pieuse que sage ; n'avait-elle pas surpris Madame elle-même par ses dévotions ? ne communiait-elle pas tous les dimanches ? « Morte­mart, cet ange visible », disait d'elle Loret, au début de l'an­née 1663.

Un ange qui dansait, du reste, à ravir... Au dernier mois de l'été, dans le ballet d'Hercule amoureux, où le royal amant de La Vallière incarnait et le Soleil et Mars, de quel attrait n'avait-elle brillé, pudique et rayonnante en sa modestie même, ses blonds cheveux flottant au/our d'un pur visage, où les cils blonds tranchaient sur l'arc des sourcils noirs ! Benserade, l'auteur du livret, ne la présente-t-il pas alors en ces termes :

Dieux ! à quel comble est-elle parvenue ! Jamais beauté n'eut de progrès si prompts. Comme elle y va ! Si elle continue Je ne sais pas ce que nous deviendrons.

L'aimable fille ! A tous les cœurs elle donne la loi, Et pour avoir une belle famille,

Voilà de quoi !

Pour avoir une belle famille... La si jolie Françoise, et de beauté si décente, ne pouvait manquer de prétendants. Elle en eut, et d'abord un jeune gentilhomme, digne d'elle, semble-t-il, par le sang, par le prestige, un La Trémoille, le marquis de Noir­moutier qui était de la même province. Mme de La Fayette assure qu'elle le trouvait à son goût et qu'elle souhaitait de l'épouser. Le destin contraria ce projet. A un bal du Palais-Royal, le 20 jan­vier 1662, le beau-frère de Noirmoutier, Adrien-Biaise de Talley-rand, prince de Chalais, s'étant pris de querelle avec un gentil­homme nommé La Frette et l'ayant souffleté, un duel, en dépit des défenses royales, s'ensuivit qui eut lieu, le lendemain, au point du jour, dans le clos d'une chartreuse du faubourg Saint-Germain. Noirmoutier, le marquis de Flamarens et le marquis d'Antin y prirent part avec Chalais ; Argencourt, Saint-Aignan et le cadet La Frette assistèrent l'offensé. Duel sanglant. Du côté de Chalais, Antin fut tué sur place (par Saint-Aignan). Les sept autres, blessés ou indemnes, mais qui avaient contrevenu aux édits royaux interdisant les rencontres sous peine de mort, prirent le large et bien firent, car trois mois après, le 24 avril, un arrêt du Parlement les condamnait, par contumace, à être décapités.

Noirmoutier, promis à Françoise, blessé au cours du duel, passa les Pyrénées et, prenant du service, en Portugal, se fit tuer cinq ans plus tard dans un combat contre les Espagnols.

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Comment et par quelle bizarrerie du sort Mlle de Tonnay-Charente, qui perdait en l'occurrence un fiancé, en trouva-t-elle un autre dans le frère d'Antin mort, un cadet du nom de Mon-tespan ? Fut-ce par entraînement romanesque vers, le frère de celui qui s'était fait tuer pour Noirmoutier? Ou, bien que de moindre famille, ce cadet, devenant l'aîné, apparut-il au duc de Mortemart comme un parti sortable pour sa fille ? Plut-il, comme i l est aussi probable, à Mlle de Tonnay-Charente par la jeunesse arrogante et pimpante de ses vingt-deux ans, par son charme de beau Gascon brun ? Qui peut le dire ?

En 1662, Mortemart, sexagénaire glorieux et galant, riche mais couvert de dettes, dépensait gros pour la présidente Tambon-neau, sa maîtresse ; son épouse, la belle Diane, de plus en plus confite en dévotion, et qui vivait quasi dans la retraite, comblait de ses dons, bienfaits et offrandes, le monastère de Picpus. Tous deux désiraient fort, le père pour des raisons matérielles, la mère, confidente d'Anne d'Autriche, pour des raisons morales, l'établis­sement de leur fille. N'avaient-ils point accordé l'aînée, Gabrielle. toute jeune encore, au marquis de Thianges ? accepté la vocation de la troisième, Marie-Madeleine, qui finira religieuse à Sainte-Marie de Chaillot ?

Toujours est-il que, le 28 janvier 1663, Louis-Henry de Pardeil-han de Gondrin, marquis de Montespan et d'Antin, fils du gou­verneur du roi en Bigorre, épousait Françoise de Mortemart, demoiselle de Tonnay-Charente, fille de Gabriel de Mortemart, premier gentilhomme de la Chambre.

Loret, parfait gazetier, enregistre l'événement en des termes dont certains valent qu'on les souligne. Mardi, écrit-il :

Mardi, l'heureux marquis d'Antin, Chéri du ciel et du destin, Sans que personne y mît obstacle, " Epousa ce charmant miracle, Ce divin paradis des yeux, Ce rare chef-d'œuvre des dieux, Cette demoiselle excellente, Mortemart ou Tonnay-Charente, Qu'on ne saurait voir sans amour, Fille d'un des ducs de la Cour, Et d'une autant aimable mère Qu'il en soit sur notre hémisphère. C'est donc à ce noble seigneur, De bien user de son bonheur, Car en possédant cette belle, De toutes grâces le modèle, Et de sa maison l'ornement, S'il n'aimait pas, uniquement, Les agréments de sa jeunesse, Sa vertu, douceur et sagesse, Et ses adorables appas, Il ne la mériterait pas.

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A lire ces versiculets, où Loret, selon sa coutume, se fait l 'in­terprète de l'opinion courante, i l apparaît que le marquis de Montespan et d'Antin avait beaucoup de chance en devenant le mari de Françoise de Tonnay-Charente. On lui conseillait d'aimer uniquement sa femme : n'est-ce point allusion aux amours assez grossières où s'était complu jusqu'ici ce Gaston, grand coureur de guilledou ? On semblait s'étonner que personne n'eût mis obstacle au mariage : qui eût pu y mettre obstacle, sinon le roi ?

Or le roi n'y mit pas opposition, mais i l est remarquable qu'il s'abstint, ainsi que la reine, ainsi que Monsieur, ainsi que Madame, de signer au contrat comme i l était d'usage lorsqu'un « duc de Cour » mariait sa fille. Le nom du roi ne figure point sur ce document et non plus celui de la reine mère Anne d'Autriche, dont la mère de la mariée était dame d'honneur. Mortemart n'avait pu faire donner que son frère Louis-Victor (avec sa femme), son gendre le marquis de Thianges (avec sa femme), quatre ou cinq cousins, des parents par alliance, les marquis et marquise de Ruffec, les duc et duchesse de La Rocheguyon-Lian-court, deux La Rochefoucauld et le marquis de Sillery. Côté Montespan, avaient signé seulement « Monseigneur l'illustrissime et révérendissime Louis-Henri de Gondrin, archevêque de Sens, primat des Gaules », et « l'illustre demoiselle Octavie de Gondrin, fille majeure usante et jouissante de ses biens et droits ».

Quelles étaient les causes de l'abstention royale ? L'un des meilleurs historiens de Mme de Montespan, Jean Lemoine, n'y trouve guère d'autre raison « qu'un certain mécontentement de Louis X I V de voir entrer une Mortemart dans une maison aussi peu parée en cour que celle des Montespan ». Et i l est bien vrai qu'à côté de l'illustre famille des Mortemart, dont le chef avait été élevé en 1650 à la dignité de duc et pair, donc de « cousin du Roi », la famille des Montespan, bien que le jeune marquis « le portât haut », faisait tout de même assez mince figure — non point si mince pourtant qu'elle ne fût bien assise en terre de Foix, d'Armagnac et de Bigorre, et qu'elle ne rejoignît par ses alliances les maisons de Châtillon, de Dusignan, de Bellegarde et de Termes.

L'animosité de Louis X I V avait des raisons plus certaines : les Pardeilhan de Gondrin avaient encouru la défaveur royale, parce que de deux de leurs chefs, toujours vivants, l'un avait trempé dans l'a Fronde, et c'était Jean-Antoine de Pardeilhan, soi-disant duc de Bellegarde, marquis de Montespan de Gondrin, l'autre, L A R E T U E N ° 4 2

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et c'était l'archevêque de Sens, Louis-Henry de Gondrin, se trou­vait fortement entaché de jansénisme.

Le premier, homme « fort extraordinaire », dit Saint-Simon, enragé frondeur et fieffé trublion, enrôlé en Guyenne lors des troubles sous la bannière des Princes, et pillard sans vergogne, y avait combattu contre le roi son maître, et, malgré des lettres de rémission en 1653, était demeuré en disgrâce.

Le second, qui avait accédé à vingt-six ans, en 1646, au siège archiépiscopal de Sens, prélat de mœurs galantes, voire dit-on italiennes, fort intrigant et fort despotique, processif et autori­taire, qui parlait bien, mais trop, si l'on en croit Gourville, ne venait-il pas de s'aviser, après la quarantaine, de donner bruyam­ment dans le jansénisme et de vouloir convertir Madame à la doctrine ?

Est-il besoin de dire qu'ancien frondeur lui-même i l déplaisait au roi ?

Sa Majesté s'abstint donc, et malgré son affectueuse estime pour Mortemart, son amitié pour Vivonne, le frère de la mariée, n'apposa point son nom au contrat.

Contrat du reste plein de leurres pour les deux parties contrac­tantes et qui grevait lourdement l'union. Les Mortemart don­naient bien à leur fille 150 000 livres de* dot, dont 120 000 venaient du duc et 30 000 de la duchesse, mais n'en versaient comptant que les 2/5 ; les 90 000 livres restantes seraient « à prendre sur les biens desdits seigneurs après leur décès » ; jusque-là on en servirait la rente au denier vingt, c'est-à-dire à 5 p. 100, soit 4 500 livres payées sur la terre de Landal en Bretagne. Les deux tiers de cette dot resteraient en propre à la jeune mariée, l'autre tiers entrant dans la communauté. I l était spécifié en outre que les 60 000 livres payées comptant par les Mortemart le seraient aux mains du marquis et de la marquise d'Antin, parents du marié, qui en serviraient la rente à leur fils au denier vingt, soit 3 000 livres par an.

Les Antin, eux, tout en donnant la moitié de leurs biens pré­sents et futurs « à l'un des enfants mâles qui naîtraient du mariage », n'accordaient pour l'heure qu'une rente de 15 000 livres tournois, qui serait payée sur les terres de Blanquefort Bonsceur, dans la haute Guyenne, et de Murât, dans le Bourbonnais. Encore sur ces 15 000 livres, 8 000 sont constituées en douaire à Mme de Montespan, qui n'en touchera d'ailleurs que 6 000 du vivant de ses parents. Elle aura en plus, à son choix, soit 1 500 livres par an, soit, si elle le préfère, une terre et une maison, avec ses meubles, tant qu'après la mort de son mari elle ne se remariera.

Contrat curieux qui n'assure au marié que 22 500 livres de

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rentes et le prive de tout capital. Pour quelles raisons ? Une clause du contrat nous le laisse entendre, où les Antin promettent de payer « toutes les dettes antérieures » du jeune homme.

Le marquis de Montespan, en effet, était couvert de dettes : joueur et perdant au jeu, assez coureur, très gaspilleur, ayant pris l'habitude d'emprunter de gauche et de droite, i l eût pu « en se rangeant » mener, avec 22 500 livres de rente, et à la Cour, un train honnête. Il ne se rangea pas. Le 17 août 1663, sept mois à peine après son mariage, i l emprunta 4 000 livres à une bourgeoise parisienne, Mme Barauque, et 660 livres à un certain Pierre Chau-veau ; le 21, accompagné de Mme de Montespan, i l reçoit d'un autre bourgeois, Charles Seignerolles, demeurant rue des Anglais, paroisse Saint-Séverin, 7 750 livres, « pour cause de pur, vrai et loyal prêt fait par ledit sieur créancier auxdits seigneur et dame débiteurs pour équiper ledit seigneur marquis de Montespan pour suivre le roi en son voyage de Lorraine, sans quoi ledit créancier n'aurait prêté ladite somme », et cela sous caution d'un ménage de plumassiers du port Notre-Dame, les Pancatelin, et de deux marchands du Pont-aux-Changeurs, les Chevilletj. Fin août, le marquis emprunte 500 livres à son beau-frère Vivonne.

Fâcheux début, qui s'aggravèrent encore par la suite. Pour ses frais de campagne (Lorraine en 1663, Afrique en 1664, etc.) et pour ses dépenses à la Cour dans l'intervalle, Montespan emprunte, au denier vingt, puis au denier seize, puis au denier douze, 8 000 livres en 1664, 8 000 livres en 1665, 17 000 en 1666, 20 000 eh 1667. A ces emprunts s'ajàutent les billets souscrits et impayés aux fournisseurs : selliers, carrossiers, charrons, marchands de drap et de dentelles. Dès 1665, des sentences sont rendues contre les deux époux. L'année suivante, le 26 novembre, le marquis de Montespan empruntait à Gabriel Delorme, bourgeois de Paris, place Maubert, 1 600 livres, mais « pour sûreté et nantissement » lui remettait en gage « une paire de pendants d'oreilles à trois branches, chacun garni de trois gros diamants et, au milieu, d'un moyen, et de quantité de petits diamants faisant ornement ».

N'honorant point sa signature, assailli par ses créanciers, dé­pensant le double de ses revenus, M . de Montespan, qui avait fait à sa femme une fille en 1663, un fils en 1665, tirait le diable par la queue et tant bien que mal sauvait l'apparence. Non toutefois aux yeux de son épouse qui, restée soumise à ses devoirs, embellie de deux maternités, toujours pieuse et décente, mesurait tout de même la distance qui séparait leur médiocre et mesquin logis de la rue Taranne, proche de l'ancienne église Saint-Sulpice, des splendeurs de la Cour. Peut-être se détachait-elle déjà, sans bien le savoir, d'un mari qu'elle aimait encore et qui l'aimait toujours,

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mais qui l'humiliait par la fâcheuse gestion de leurs revenus, l'obligeant à des signatures assez sordides, et qui était plus large pour ses harnachements et équipages guerriers que pour la parure de sa femme et le rang que devait tenir une fille des Mortemart.

Au lendemain de ses premières relevailles, au mois d'avril 1664, à Saint-Sulpice, sa paroisse, où Bossuet était venu prêcher à l'occasion du baptême d'un petit Maure (et le roi et la Cour s'intéressaient au salut de l'enfant), la marquise de Montespan tint le jeune catéchumène sur les fonts. La marraine, dit Loret :

La marraine fut cette belle Qui contient tant d'appas en elle, La marquise de Montespan, Le merveilleux modèle ou plan D'un extrêmement beau visage D'une dame charmante et sage, Où les Grâces font leur séjour, Que depuis quelque temps la Cour Met au nombre de ses miracles...

1665 : marié depuis deux ans, d'un caractère, dit la non sus­pecte Mme de Caylus, « naturellement éloigné de la galanterie et porté à la vertu », Mme de Montespan était jusqu'ici demeurée irréprochable. Sa sœur cadette, Marie-Madeleine, venait de prendre le voile, en présence des deux reines (Anne d'Autriche et Marie-Thérèse), à l'abbaye de Notre-Dame-aux-Bois : c'était le 19 février. C'est alors que sa sœur aînée, Mme de Thianges, qui entretenait avec Monsieur « une confidence libertine », et la fille de Villeroy, la comtesse d'Armagnac, la poussèrent à intriguer contre Mme de Mecklembourg, qui avait sur Madame un très grand ascendant. Le complot échoua, irritant fort Madame contre la Montespan. Le roi, à l'instigation de Monsieur et de Vivonne, accorda aussitôt à Mme de Montespan une première marque de sa bienveillance : i l la désigna, au lieu et place de la comtesse de Guiche, pour être, avec deux duchesses, deux princesses et une dame, l'une des six nouvelles dames d'honneur de la reine.

Louis XIV, non encore las de La Vallière, avait-il quelque incli­nation naissante pour la marquise de Montespan ? On peut le croire, surtout si l'on observe que, quelques semaines plus tard, i l inscrivait Françoise parmi les bénéficiaires de sa loterie.

MAURICE RAT.