le dossier patient informatisé : un « corps étranger
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Dimitri BRILLAUD
Le dossier patient informatisé :
Un « corps étranger » dans le métier infirmier
Mémoire présenté pour l’obtention
Du diplôme de Cadre de Santé.
De la 1ère
année du Master Economie et gestion de la santé –
Parcours : Economie et gestion des établissements de santé.
Sous la direction de Madame Fermon Béatrice
Année scolaire 2016/2017
Institut de Formation
des Cadres de Santé
Centre Hospitalier Universitaire
de Nantes
Université Paris Dauphine
Département d’éducation permanente
Dimitri BRILLAUD
Le dossier patient informatisé :
Un « corps étranger » dans le métier infirmier
Mémoire présenté pour l’obtention
Du diplôme de Cadre de Santé.
De la 1ère
année du Master Economie et gestion de la santé –
Parcours : Economie et gestion des établissements de santé.
Sous la direction de Madame Fermon Béatrice
Année scolaire 2016/2017
Institut de Formation
des Cadres de Santé
Centre Hospitalier Universitaire
de Nantes
Université Paris Dauphine
Département d’éducation permanente
AVERTISSEMENT
Les mémoires des étudiants de l’Institut de Formation des Cadres de Santé de Nantes en
partenariat avec l’Université Paris-Dauphine, sont des travaux réalisés au cours de leur
formation. Ils ne constituent donc pas nécessairement des modèles. Les opinions exprimées
n’engagent que les auteurs. Ces travaux ne peuvent faire l’objet d’une publication, en tout ou
partie, sans l’accord des auteurs, de l’Institut de Formation des Cadres de Santé de Nantes et
de l’Université Paris-Dauphine.
REMERCIEMENTS
Mes premiers remerciements sont pour ma femme, Maryline, à mes côtés depuis 20 ans, et
pour mes enfants, Anaé, Soren et Calie. Merci à vous pour votre soutien, votre patience et
votre amour pendant ces dix mois.
Je remercie également Mme Béatrice Fermon, ma directrice de mémoire, pour son
accompagnement, ses conseils, sa bienveillance et ses encouragements dans l’élaboration de
ce travail.
Un grand merci à toute l’équipe pédagogique de l’Institut de Formation des Cadres de Santé
du CHU de Nantes et de l’Université Paris-Dauphine pour la grande qualité de leurs
enseignements et leur bienveillance tout au long de l’année.
Je tiens aussi à remercier tous les professionnels rencontrés au cours de notre travail de
recherche et durant nos stages de professionnalisation pour le temps accordé et les
expériences partagées.
Enfin, un énorme MERCI aux amis de la promotion qui malgré la somme de travail ont
toujours su amener un sourire, un rire et souvent un grain de folie pour faire de ces dix mois
une période inoubliable….
Tables des sigles et abréviations
ANAES : Agence nationale d’évaluation de santé
ANAP : Agence nationale d’appui à la performance.
ARS : Agence régionale de santé
ASIP Santé : Agence des systèmes d’informations partagées de santé
CEE : Centre d’études de l’emploi.
CNRTL : Centre national de ressources textuelles et lexicales
DMP : Dossier médical partagé
DPI : Dossier patient informatisé.
HAS : Haute Autorité de Santé.
1
SOMMAIRE
INTRODUCTION : .................................................................................................................. 3
1 LE DOSSIER PATIENT INFORMATISÉ ET LE MÉTIER INFIRMIER ............... 6
1.1 Le dossier du patient et son cadre légal ..................................................................... 6
1.2 L’informatisation du dossier patient ........................................................................ 10
1.2.1 Le contexte législatif et les incitations au déploiement du DPI ......................... 10
1.2.2 L’intérêt des établissements pour la mise en place du DPI ................................ 13
1.3 Le métier infirmier .................................................................................................... 14
1.3.1 D’une vocation sacerdotale à la soignante professionnalisée ............................. 15
1.3.2 Infirmière, professionnelle du soin et de la relation ........................................... 18
1.3.3 L’infirmière dans le contexte économique de la santé ....................................... 19
1.3.4 De l’oralité au tout écrit ...................................................................................... 21
1.4 L’objet de notre recherche ........................................................................................ 22
2 LA MÉTHODOLOGIE ................................................................................................. 24
2.1 La bonne méthode pour une bonne recherche ........................................................ 24
2.2 Le choix de l’entretien semi-directif ......................................................................... 25
2.3 Le choix du terrain et de la population .................................................................... 26
2.4 Les guides d’entretien ............................................................................................... 29
2.5 La réalisation des entretiens et les difficultés de la recherche ................................ 32
2.6 L’analyse du matériau suivant la conception du métier d’Yves Clot ...................... 34
3 D’UN IDEAL DU MÉTIER À UNE ADAPTATION DU MÉTIER ......................... 36
3.1 Infirmière, un métier choisi mais un métier difficile et contrarié .......................... 36
3.1.1 Une vocation, mais aussi un métier .................................................................... 36
3.1.2 Un métier relationnel et technique...................................................................... 38
3.1.3 Un métier difficile, un sentiment d’activité inachevée ....................................... 40
3.1.4 Un épanouissement personnel par des activités complémentaires ..................... 42
2
3.2 Le DPI, un corps étranger du cœur de métier ? ...................................................... 43
3.2.1 Le dossier du patient version papier ................................................................... 44
3.2.2 Les outils numériques de communication, des outils de tous les jours .............. 45
3.2.3 Des attentes contrebalancées de craintes ............................................................ 46
3.2.4 Le DPI, un outil qu’il faut « assimiler » ............................................................. 48
3.3 Un nouvel outil pour de nouvelles relations ............................................................ 49
3.3.1 Trouver « son » utilisation de l’outil .................................................................. 50
3.3.2 Le trio soignant / soigné / ordinateur .................................................................. 52
3.3.3 Les relations et la communication entre collègues évoluent. ............................. 54
3.3.4 Des stratégies d’adaptation ................................................................................. 57
3.4 Des visions différentes de l’outil ............................................................................... 61
3.4.1 Les conformistes ................................................................................................. 61
3.4.2 Les proactifs ....................................................................................................... 62
CONCLUSION : ..................................................................................................................... 65
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ............................................................................. 68
Livres .................................................................................................................................... 68
Articles de revues ................................................................................................................. 68
Webographie ........................................................................................................................ 69
ANNEXES ................................................................................................................................. I
ANNEXE I : Guide d’entretien définitif : infirmière .......................................................... II
ANNEXE II : Guide d’entretien définitif : cadre supérieure de sante en charge du DPI V
3
INTRODUCTION :
La tradition médicale a très longtemps marqué la relation médecin – malade par une
pratique orale de la transmission d’information. La rédaction par le médecin de documents
retraçant certaines pathologies n’avait que des buts orientés sur le métier : son apprentissage,
par la conservation d’informations relevant de cas intéressants ou son exercice, en tant que
support à la mémoire du médecin. Les premières traces de dossiers ou de relevés
d’informations de santé sur un patient remontent au IXème siècle avec les premiers cliniciens
arabes tels que Rhazès (865-925) et Avicenne (930-1037), mais il faut attendre le XIXème
siècle pour voir les premiers dossiers médicaux apparaitre au sein des hôpitaux. A partir de la
deuxième moitié du XXème siècle, le dossier médical devient un élément crucial pour
l’amélioration de la pratique de soin face à une complexification des prises en charge
médicales, un besoin de transmission d’informations pour la recherche clinique et de
conservation des informations face à des problématiques de traçabilité et de responsabilités
médico-légales.
Depuis le début des années 70 et la Loi n°70-1318 du 31 décembre 19701 portant
réforme hospitalière, il est préconisé d'effectuer, au sein d’un dossier médical, une traçabilité
des actes de soins réalisés pour la prise en charge d'un patient. A ce dossier médical, sera
adjoint progressivement, à partir de la fin des années 70, le dossier de soins infirmiers et
médicotechniques ainsi que le dossier administratif. Il faudra attendre le début des années 90
pour voir un cadre réglementaire donner un périmètre et un contenu légal au dossier patient
hospitalier avec la publication du décret n°92-329 du 30 mars 19922 relatif à l’article R710-2-
1 du code de la santé publique. Cinq ans plus tard, l’article 45 du code de déontologie
médicale rend obligatoire la constitution et la tenue du dossier patient pour l’ensemble des
praticiens hospitaliers publics, de cliniques privées et libéraux.
De nos jours, le contenu du dossier patient est encadré par le décret n°2002-637 du 29
avril 2002 relatif à l’accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et les
établissements de santé en application des articles L1111-8 et L1112-1 du code la santé
1 Loi n°70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière.
2 Décret n°92-329 du 30 mars 1992 relatif au dossier médical et à l'information des personnes accueillies dans les
2 Décret n°92-329 du 30 mars 1992 relatif au dossier médical et à l'information des personnes accueillies dans les
établissements de santé publics et privés et modifiant le code de la santé publique
4
publique3. Aujourd’hui, il parait plus judicieux de parler de dossier du patient afin de ne pas
induire une notion d’appartenance purement médicale du dossier. Selon la définition de
l’ANAES4 datant de juin 2003, « le dossier du patient est le lieu de recueil et de conservation
des informations administratives, médicales et paramédicales, formalisées et actualisées,
enregistrées pour tout patient accueilli, à quelque titre que ce soit, dans un établissement de
santé ». Le dossier du patient est devenu l’objet central de la gestion médico-administrative du
patient pour les établissements de santé.
En 50 ans, les professionnels du soin ont vu leur métier fortement modifié par un
passage du « tout oral » vers une pratique du « tout écrit » en réponse à de fortes évolutions et
complexification des prises en charge, au risque judiciaire et à une volonté de traçabilité
nécessaire pour répondre aux demandes institutionnelles (certification).
En parallèle, les grandes évolutions technologiques ont fait progresser les systèmes
d’informations numériques en les rendant de moins en moins coûteux et de plus en plus
performants. Le milieu de la santé a investi ces systèmes comme des outils d’amélioration de
la qualité de la prise en charge des patients grâce à la centralisation des informations
désormais effective. Les premiers logiciels étaient, soit dédiés à une gestion purement
administrative du patient, soit des logiciels spécifiquement dédiés à certaines spécialités
médicales et donc limités aux seuls services pratiquant ces activités. A partir de la fin des
années 90, les premiers logiciels de système d’information hospitalière commencèrent à se
déployer sur les établissements de santé français avec un dossier patient informatisé complet
regroupant le suivi médical et le dossier de soin paramédical.
C’est dans ce contexte que notre recherche voit le jour. En tant que manipulateur
d’électroradiologie médicale diplômé depuis 19 ans, notre activité voit très régulièrement les
avancées technologiques modifier les organisations et les pratiques professionnelles dans les
services d’imagerie, de médecine nucléaire et de radiothérapie. A l’arrivée du dossier patient
informatisé au sein de notre institution, nous avons aussi été concerné par sa mise en service
et cela nous a paru être une avancée des plus pertinentes pour une amélioration de la prise en
charge de nos patients. Ce ne fut pas le cas au sein des services de soins où nous avons été
témoin vis-à-vis de ce progrès, d’un fort ressentiment provenant du corps médical, mais aussi
3 En lien avec les articles L .1110-4, L.1111-7 et L.1112-1 du code de la santé publique issus de la loi n°2002-
303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (Loi Kouchner) 4 ANAES : Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé intégrée depuis le 1
er janvier 2005 au sein
de la Haute Autorité de Santé
5
et surtout du corps infirmier. Les infirmières5, utilisatrices principales et expérimentées du
dossier de soins papier depuis de nombreuses années, ont dû du jour au lendemain laisser
leurs crayons dans la poche de la blouse pour pianoter sur un clavier d’ordinateur. Elles ont vu
l’arrivée de ce nouvel outil de prise en charge du patient bouleverser leurs activités soignantes
générant des réticences, des craintes et des appréhensions quant aux apports que cela pouvait
procurer dans leurs activités et pour la qualité des soins donnés aux patients.
Nous nous sommes interrogé quant aux raisons qui ont pu motiver ce rejet. Nous avons
pu émettre plusieurs hypothèses pour comprendre ce phénomène. Elles ont vu dans cet
ordinateur une tâche administrative de plus venant grignoter un peu plus le temps de soin
qu’elles considèrent comme le cœur de métier. Ce changement pour passer d’un outil de
recueil manuscrit vers un outil de recueil numérique met le métier en difficulté. L’outil
purement technique est un obstacle à la relation soignant-soigné en s’intercalant entre les
infirmières et les patients remettant en cause la dimension relationnelle pour laquelle certaines
infirmières font ce métier. Le DPI perturbe l’organisation du travail et impacte les relations au
sein des équipes. Ce ne sont là que des présupposés.
Notre recherche a pour objectif d’essayer de comprendre les raisons de ce frein face à
l’évolution technologique que représente le dossier patient informatisé.
Dans un premier temps, nous allons définir le contexte dans lequel ce dossier patient
informatisé a été déployé. Nous expliquerons l’histoire du DPI6, comment il s’est développé,
quelles sont les raisons de son émergence et ses apports dans le monde de la santé. Nous nous
pencherons aussi sur le métier infirmier et son histoire. Nous étayerons notre réflexion par des
apports théoriques permettant de cerner notre sujet.
La deuxième partie de notre travail sera consacrée à la présentation de la méthodologie
de recherche mise en pratique dans notre travail, à l’argumentation de nos choix d’entretiens,
de population et de terrain.
Enfin dans la troisième partie, nous présenterons les résultats des entretiens réalisés
auprès des professionnels afin de les croiser avec le contexte et des concepts et d’apporter un
éclaircissement sur notre question de recherche.
5 Nous utiliserons principalement cette dénomination au féminin dans ce mémoire de par la forte représentation
féminine au sein du corps professionnel 6 DPI : dossier patient informatisé
6
1 LE DOSSIER PATIENT INFORMATISÉ ET LE MÉTIER
INFIRMIER
Dans cette première partie, nous allons présenter dans un premier temps le dossier
patient, son évolution, ainsi que la réglementation qui l’encadre du fait de l’importance que ce
dossier a pu prendre pour la société et les institutions de santé. Puis, la deuxième partie nous
permettra de présenter le contexte de l’informatisation du dossier patient mais aussi les
raisons pour lesquelles les établissements s’engagent dans cette voie. Enfin, dans la troisième
partie, nous nous intéresserons à l’un des principaux acteurs dans la tenue de ce dossier du
patient : l’infirmière. Nous reviendrons sur l’histoire du métier infirmier, sur ce qui compose
le cœur du métier infirmier, sur l’évolution du métier dans des organisations en pleine
mutation depuis 30 ans et enfin nous évoquerons la dichotomie de la transmission de
l’information pour l’infirmière.
1.1 Le dossier du patient et son cadre légal
Le dossier du patient est un objet central dans la prise en charge du patient dans un
service de soin. Il est un outil indispensable pour noter et garder une trace de tout ce qui se
fait auprès du patient, pour le patient ou au sujet du patient. Il permet de centraliser
l’ensemble des examens réalisés par le patient, de retrouver des informations médicales et
paramédicales, d’aider à la synthèse et à la décision et enfin, c’est un outil de communication
à l’attention des autres professionnels. En clair, le dossier du patient est un système
d’information car selon Christian Braesh7, enseignant-chercheur à l’université de Savoie (IAE
Savoie Mont-Blanc), « Le système d’information est un système qui est capable d’une part de
contrôler le déroulement de différents processus d’une organisation et, d’autre part, de fournir
aux gestionnaires les informations sur l’état de la structure pilotée et sur l’environnement de
l’entreprise. Il informe l’ensemble des acteurs impliqués dans le fonctionnement de
l’entreprise et collecte, diffuse, transforme et stocke des données pour fournir les informations
nécessaires à un acteur ou un groupe d’acteurs ». Aux origines, le dossier appelé « dossier
médical » n’était utilisé que par le corps médical mais depuis les années 50, un cadre légal
s’est progressivement mis en place pour donner une forme et un contenu réglementaire à un
7Christian Braesch, enseignant-chercheur à l'Université de Savoie dans le domaine de la modélisation
d'entreprise et de son système d'information.
7
dossier censé représenter l’activité que les médecins réalisent pour le compte de la société.
« Après des siècles de paternalisme médical, préservant le malade de l’information et de la
vérité, et négligeant parfois la demande de consentement, c’est avec le procès de Nuremberg-
faisant suite aux exactions des nazis dans la recherche biomédicale- que s’est faite la prise de
conscience de la nécessité de réintégrer la personne dans la relation médecin/malade, c’est-à-
dire, d’un point de vue éthique et juridique, d’intégrer l’information et le consentement dans
la pratique médicale de recherche et de soins » (Lièvre, Moutel, 2010, p.2)8
Les premières réglementations encadrant le dossier du patient date de 1970 avec la Loi
n°70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière qui incite les établissements de
santé à constituer des dossiers de suivi pour chacun de ses patients. Ce ne sera que le 30 mars
1992 que le décret n°92-3299 créera l’Article 710-2-1 du Code de la santé publique dans
lequel il sera notifié qu’ « un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé
dans un établissement de santé public ou privé » tout en donnant une liste des documents
devant être établis au sein du dossier à l’admission et durant le séjour de tous patients. Cette
liste de documents obligatoires se verra élargie par différents décrets en 199410
et en 199811
avant que la LOI n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité
du système de santé (dit Loi Kouchner) ne vienne redéfinir les droits fondamentaux des
patients. L’article 710-2-1 sera abrogé par le décret 2003-462 du 21 mai 200312
qui modifie le
code de la santé publique en y intégrant l’Article R.1112-2 qui enrichi la liste des éléments
obligatoires du dossier. Cet article sera modifié en 200613
puis en 201614
et permet de définir
le contenu d’un dossier patient depuis le 1er janvier 2017.
Parmi les documents devant obligatoirement être contenus dans le dossier du patient,
nous retrouvons le dossier de soins paramédicaux et plus particulièrement le dossier de soins
infirmiers. Depuis la fin des années 70, quelques textes officiels ont incité à la constitution
d’un dossier de soins, mais il faudra attendre le décret n°2002-194 du 11 février 2002 relatif
aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier et son article 3, pour voir
8 Astrid Lièvre et Grégoire Moutel, médecins
9 Décret n°92-329 du 30 mars 1992 relatif au dossier médical et à l'information des personnes accueillies dans les
établissements de santé publics et privés et modifiant le code de la santé publique 10
Décret n°94-68 du 24 janvier 1994 - art. 2 JORF 26 janvier 1994 11
Décret n°98-1001 du 2 novembre 1998 relatif à la commission de conciliation prévue à l'article L. 710-1-2 du
code de la santé publique et modifiant ce code 12
Décret n° 2003-462 du 21 mai 2003 relatif aux dispositions réglementaires des parties I, II et III du code de la
santé publique 13
Décret n°2006-119 du 6 février 2006 relatif aux directives anticipées prévues par la loi n° 2005-370 du 22
avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et modifiant le code de la santé publique 14
Décret n° 2016-995 du 20 juillet 2016 relatif aux lettres de liaison
8
inscrite la participation du corps infirmier à la constitution et à la tenue du dossier de soins.
Ce décret sera ensuite abrogé par le décret n° 2004-802 du 29 juillet 200415
dans lequel est
inscrit que l’infirmier « est chargé de la conception, de l'utilisation et de la gestion du dossier
de soins infirmiers. »
Enfin, l’Ordre national des infirmiers, créé en 2006, a édité la première version de son
code dans lequel il est notifié que : « L’infirmier établit pour chaque patient un dossier de
soins infirmiers contenant les éléments pertinents et actualisés relatifs à la prise en charge et
au suivi. L’infirmier veille, quel que soit son mode d’exercice, à la protection du dossier de
soins infirmiers contre toute indiscrétion. Lorsqu’il a recours à des procédés informatiques, il
prend toutes les mesures de son ressort afin d’assurer la protection de ces données ». Cet
article fait référence à l’article R.4312-35 du code de la santé publique. Ce code sera
promulgué par le décret n°2016-1605 du 25 novembre 2016 portant code de déontologie des
infirmiers. Le dossier de soins infirmiers est un document individualisé relatif au patient que
l’infirmier met en place à l’admission du patient et alimente au fil des évolutions de la prise
en charge du patient. L’ANAES précise dans son rapport de juin 2003 que le dossier de soins
infirmiers est « un document unique et individualisé regroupant l'ensemble des informations
concernant la personne soignée. Il prend en compte l'aspect préventif, curatif, éducatif et
relationnel du soin. Il comporte le projet de soins qui devrait être établi avec la personne
soignée. Il contient des informations spécifiques à la pratique infirmière.» Il contient une fiche
administrative, les feuilles de transmissions infirmières, les plans ou diagrammes de soins, les
fiches de transmissions ciblées, les feuilles de surveillances spécifiques (diabète, plaies,
risques de chute, évaluation de la douleur, risque d’escarre, état nutritionnel,…) et la fiche de
liaison. L’ensemble des informations intégrées dans ce dossier de soins doit être complété par
une identification claire des auteurs qui datent et signent leurs écrits.
Nous pouvons donc observer une forte évolution du dossier du patient dans sa
composition par une multiplication des contraintes légales permettant de donner au dossier du
patient une architecture commune à tous les établissements de santé. Plus particulièrement
marquée ces 30 dernières années, cette évolution est due à des évolutions sociétales
importantes, les droits à l’information des patients ont été érigés en dogme par la Loi du 4
15
Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du code de la
santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code. Les dispositions réglementaires des parties IV et V
du code de la santé publique font l'objet d'une publication spéciale annexée au Journal officiel de ce jour
9
mars 200216
(dit Loi Kouchner). Cette loi consacre des principes essentiels qui sont « le droit
fondamental à la protection de la santé…..à la continuité des soins et la meilleure sécurité
sanitaire possible » (Art. L. 1110-1) et que « Toute personne a accès à l'ensemble des
informations concernant sa santé détenues par des professionnels et établissements de santé »
(Art. L. 1111-7). De plus, la loi précise que « deux ou plusieurs professionnels de santé
peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations
relatives à une même personne prise en charge, afin d'assurer la continuité des soins ou de
déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en
charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant
sont réputées confiées par le malade à l'ensemble de l'équipe » (Article L. 1110-4). Par
l’expression de ces droits, le législateur impose aux établissements la tenue obligatoire d’un
dossier pour chaque patient dans une extrême rigueur car il doit être le reflet de l’ensemble
des évènements survenus au cours d’une hospitalisation et la communication du dossier
patient comme élément essentiel à la continuité et la coordination des soins. Face aux risques
inhérents à la judiciarisation de la société, les établissements de santé doivent aussi pouvoir
justifier de l’ensemble des actes et procédures mises en place lors de l’accueil ou
l’hospitalisation d’un patient. Cette évolution du cadre légal entourant le dossier du patient est
aussi le résultat d’une complexification des prises en charge due aux progrès de la médecine
et des techniques qui nécessite de pouvoir suivre l’ensemble des procédures de soins réalisées
par des intervenants multiples.
Enfin, du fait de son importance, le dossier du patient est soumis à une surveillance
accrue de la part des autorités de tutelle lors de la visite de certification. Dans son manuel de
certification17
daté de janvier 2014, la Haute Autorité de Santé a défini des pratiques exigibles
prioritaires sur lesquelles elle applique un contrôle avec un niveau d’exigences renforcées lors
de ses visites d’inspection. Une de ces pratiques prioritaires surveillées est inscrite sous la
référence 14, le dossier du patient. Elle comprend deux critères que sont la gestion du dossier
et l’accès du patient au dossier, le premier critère étant évalué au regard d’indicateurs pour
l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (IPAQSS) nationaux donnant une valeur
comparative encore plus importante au critère de gestion du dossier.
Ainsi, il apparait clairement que le dossier est devenu au cours des années un objet
essentiel dans la prise en charge des patients par sa vocation à centraliser les informations
16
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé 17
Haute Autorité de Santé, Manuel de certification des établissements de santé v2010 édité en janvier 2014
10
concernant les patients dans les institutions de santé. Ce dossier devenant de plus en plus
important en termes de contenu, son informatisation devenait nécessaire.
1.2 L’informatisation du dossier patient
Les 30 dernières années ont vu les systèmes informatiques se développer de manière
exponentielle. Les premiers ordinateurs personnels sont apparus au milieu des années 80
souvent à des prix très élevés puis les progrès technologiques et les développements réalisés
dans les systèmes de stockages, les processeurs et les réseaux de communication ont permis
une baisse conséquente des coûts de production de ces systèmes mais aussi une augmentation
phénoménale des capacités de stockage et des puissances de calcul. C’est ainsi que les
entreprises ont commencé à s’équiper de systèmes d’information permettant d’aider à la
gestion et à la production. Dans la lignée des entreprises et au vu des apports de
l’informatisation, les établissements de santé se sont eux aussi « attaqués » à l’informatisation
de leurs services.
1.2.1 Le contexte législatif et les incitations au déploiement du DPI
Les établissements de santé se sont donc équipés en systèmes informatiques au sein de
leurs services administratifs dans un premier temps pour gérer entre autre les ressources
humaines et aider à l’organisation des services techniques. Puis les services
médicotechniques comme les services d’imagerie ou bien les laboratoires d’analyses
médicales ont été les premiers à investir dans des systèmes d’information dédiés à leurs
activités réciproques. Dans les années 90, les premiers services de soins se sont équipés à leur
tour en déployant des systèmes spécifiques permettant de créer et gérer des dossiers patients
propres au service mais qui souvent étaient uniquement utilisés dans une spécialité médicale
et donc non-consultables par d’autres unités et peu ou pas du tout interconnectés.
Les institutions hospitalières ont ensuite déployé des systèmes d’information
hospitaliers combinant l’ensemble des différentes briques d’applicatifs dédiés afin de pouvoir
compiler les informations administratives, médicales et paramédicales au sein d’un applicatif
unique à l’établissement qui est le dossier patient informatisé. Ce dossier patient doit être le
reflet numérique du dossier papier tel que décrit dans l’article R1112-2 du code de la santé
publique. Il y a peu de textes législatifs spécifiques régissant le dossier patient informatisé. Il
11
y a bien entendu la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et
aux libertés, qui encadre l’utilisation de l’informatique et la production de bases de données
relevant d’informations individuelles privées et depuis peu, le Président de la République, sur
proposition du Ministère des Affaires Sociales et de la Santé, a signé l’ordonnance n°2017-29
du 12 janvier 201718
qui reconnait « la force probante des documents comportant des données
de santé à caractère personnel créés ou reproduits sous forme numérique et de destruction des
documents conservés sous une autre forme que numérique » permettant une avancée
supplémentaire vers le « zéro papier » dans les services de soins des établissements de santé.
C’est dans ce contexte législatif que la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a
décidé de lancer le programme « hôpital numérique » en novembre 2011 afin de développer et
moderniser les systèmes d’informations hospitaliers. Le programme hôpital numérique
s’inscrit dans une stratégie visant l’atteinte par tous les établissements de santé d’un socle
fonctionnel minimal de leur système d’information (SI), un renforcement des compétences
des équipes en charge de ces SI, une mutualisation des SI, une gestion par les Agences
régionales de santé (ARS) d’enveloppes financières d’aide aux établissements et enfin la
stimulation et la structuration de l’offre de solutions technologiques. L’objectif final de cette
stratégie est l’atteinte d’indicateurs de maturité de leur SI dans certains domaines fonctionnels
prioritaires, dont fait partie le DPI, par tous les établissements d’ici à fin 2017. Dans ce cadre,
chaque établissement peut prétendre à une aide financière de sa tutelle régionale afin de
développer son système d’information sous condition de remplir un certain nombre de pré-
requis et de démontrer les gains générés suivant les différents indicateurs définis dans le
programme. Les institutions peuvent aussi bénéficier du support de l’Agence national d’appui
à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) pour apporter une
aide au diagnostic de performance du SI et de l’Agence des systèmes d’informations
partagées de santé (ASIP Santé) pour le développement de l’e-santé19
(échanges ville/hôpital,
parcours de soins coordonnés, télémédecine,…).
Au regard de la faible réglementation entourant le dossier patient informatisé, il apparait
assez clairement que pour les établissements, la volonté de moderniser leur système
d’information n’est pas impulsée par des contraintes réglementaires imposant les systèmes
18
Ordonnance n°2017-29 du 12 janvier 2017 relative aux conditions de reconnaissance de la force probante des
documents comportant des données de santé à caractère personnel créés ou reproduits sous forme numérique et
de destruction des documents conservés sous une autre forme que numérique 19
e-santé : l’utilisation des outils de production, de transmission, de gestion et de partage d’informations
numérisées au bénéfice des pratiques tant médicales que médico-sociales
12
numériques, mais plus par des contraintes législatives d’amélioration de la qualité des
prestations fournies par un établissement de santé ainsi qu’une obligation d’avoir une gestion
plus performante. Les établissements ont ainsi vu dans les systèmes d’informations
numériques le moyen de répondre à ces injonctions des tutelles. Ils ont aussi profité des
opportunités de financements que représentaient les différents plans hôpital (2007, 2012 et
numérique) pour se mettre à niveau sur les cinq domaines prioritaires fonctionnels20
. Par son
programme hôpital numérique, la DGOS veut, dans le respect de la Stratégie Nationale de
Santé21
, utiliser les SI comme « un levier au service de la modernisation de l’offre de soins au
sein des établissements de santé et de la performance de leur gestion ». Grâce à ce
programme, l’informatisation du dossier médical du patient est en cours ou achevé dans 94%
des 2689 établissements ayant répondu à l’enquête 2016 de l’observatoire des systèmes
d’information de santé (oSIS) et 90% des établissements déclarent être en cours ou avoir
achevé l’informatisation du dossier de soins ou du plan de soins. Enfin, le DPI n’est que la
première pierre du dossier médical partagé qui à terme, selon la volonté politique, doit être le
réceptacle des informations sociales et sanitaires de chaque patient. Par conséquent, l’Etat se
doit d’aider les structures de soins à mettre en place un système d’information performant afin
de pouvoir alimenter le dossier médical partagé (DMP) dont il a instauré la création sous le
nom de dossier médical personnel en 2004 par la LOI n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à
l'assurance maladie (article 5), puis relancé en 2009 par Mme Bachelot, Ministre de la Santé
et des Sports. Il est à nouveau relancé par le décret n°2016-914 du 4 juillet 2016 relatif au
dossier médical partagé en application de l’article 96 de la LOI n° 2016-41 du 26 janvier 2016
de modernisation de notre système de santé qui en confie la gestion à la Caisse nationale
d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) afin d’accélérer son déploiement. Le
dossier médical partagé se veut être un dossier comprenant les informations de santé
principales relevant d’un patient qui peut en gérer les droits d’accès par les professionnels.
Ce cadre réglementaire permet de comprendre les différentes incitations qui sont mises
en place pour engager les établissements dans un processus de modernisation mais il ne faut
pas omettre les intérêts propres aux établissements qui les poussent à s’équiper de ces
logiciels.
20
Résultats d’imagerie, de biologie et d’anapath, le dossier patient informatisé et interopérable, la prescription
électronique alimentant le plan de soins, la programmation des ressources et agenda patient, et le pilotage
médico-économique. 21
Stratégie Nationale de Santé, septembre 2013, 2. Organiser les soins autour des patients et en garantir l’égal
accès : la révolution du premier recours, s’appuyer sur les nouvelles technologies
13
1.2.2 L’intérêt des établissements pour la mise en place du DPI
Les établissements de santé comme toutes les entreprises qui ont évolué vers un système
d’information numérique se sont heurtés à des résistances habituelles face à l’informatisation.
L’ANAP, dans son guide intitulé : « Comprendre les problématiques du dossier patient
informatisé et interopérable » nous présente quatre grandes craintes face au tout numérique. Il
y a tout d’abord le risque informatique pur avec une cyberdépendance pouvant générer des
difficultés lors des pannes, des mises à jour logicielles ou bien des pertes de données. Les
experts de l’ANAP évoquent aussi des inquiétudes sur l’ergonomie du logiciel et son
utilisation couplée au dossier papier au sein d’un même service ou entre service « DPI » et
service « papier ». Enfin, la dernière appréhension des établissements se concentre sur la
pérennité des systèmes dans le temps qui vont demander des investissements importants de
maintien à niveaux des outils et des systèmes d’exploitation.
Face à ces craintes importantes à prendre en considération, il existe des gains et
bénéfices clairement identifiés. Les établissements de santé voient dans l’utilisation du dossier
patient informatisé un moyen de centraliser les informations concernant le patient dans un
seul et unique fichier dématérialisé permettant une consultation simultanée et donc une grande
accessibilité aux informations que ce soit d’un point de vue temporel ou spatial. Cette
possibilité d’avoir accès aux informations depuis n’importe quel poste informatique à
l’intérieur ou à l’extérieur de l’institution, par toutes personnes ayant les autorisations
adéquates, est la base obligatoire pour une prise en charge coordonnée du patient entre les
différents professionnels travaillant au sein de l’établissement ou à l’extérieur, dans les
réseaux de soins ou dans les autres établissements publics ou privés.
Le déploiement du dossier patient informatisé dans un établissement est aussi un facteur
d’homogénéisation de la tenue du dossier dans toute l’institution. Cette uniformisation
permet, une fois le personnel formé, une prise en main très rapide du dossier médical ou du
dossier de soins par les professionnels évoluant d’un service vers un autre comme lors de la
mobilité des personnels soignants ou lors de la demande d’un avis spécialisé d’un médecin
d’un autre service. De plus, l’utilisation de logiciels de prescriptions permet de limiter les
risques d’erreurs de prescription par des problématiques de lisibilité de prescription ou de
recopiage erroné dans le dossier de soins.
14
L’ensemble de ces bénéfices permettent aux établissements d’améliorer la prise en
charge globalisée du patient mais surtout d’apporter un haut niveau de sécurisation des soins
par la traçabilité des actions réalisées en identifiant les acteurs responsables ainsi que le
moment de la réalisation de la prescription ou du soin. Le dossier patient informatisé permet
aussi aux hôpitaux d’aider à l’amélioration de la qualité de tenue des dossiers, du parcours du
patient ou de la dispensation médicamenteuse qui sont des pratiques exigibles prioritaires
dans la version 2014 du manuel de certification de la HAS.
Enfin les institutions de santé ont aussi compris l’intérêt économique qu’elles avaient en
déployant un logiciel de dossier patient informatisé qui leur permettrait d’améliorer la qualité
de l’archivage, d’en diminuer le coût aussi bien humain que structurel (locaux) mais aussi de
permettre une récupération de l’information beaucoup plus rapide sans intervention humaine.
Par son activité de centralisation de l’ensemble des actes et activités de soins réalisés auprès
d’un patient, le DPI est aussi un outil de rationalisation de l’activité des unités de soins car il
permet de quantifier les activités de soins au plus réel de leur production mais aussi d’éviter
de multiplier des examens parfois redondants. Selon Françoise Acker22
, « pour les
responsables hospitaliers et les gestionnaires, l’informatisation des unités de soins, au niveau
local, est un des moyens disponibles pour faire face au rationnement des ressources
hospitalières et a, entre autres, pour objet d’augmenter la productivité des services de soins
considérés comme peu performants, mal organisés, et représentant donc des "gisements de
productivité" » (Acker,1995,p74). Les établissements peuvent ainsi espérer optimiser les
ressources au regard de la réalité des activités et avoir une vision médico-économique encore
plus pertinente.
Face à ce dossier patient informatisé, centre de tous les intérêts dans un hôpital, nous
retrouvons l’infirmière qui se trouve en être l’une des principales utilisatrices.
1.3 Le métier infirmier
Pour comprendre les enjeux que cette informatisation des unités de soins représente,
nous nous sommes penché sur le métier infirmier et ce qui fonde les représentations que les
infirmières ont de leur profession de nos jours.
22
Françoise Acker : sociologue au Centre de recherche médecine, sciences, santé et société, laboratoire de
l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales).
15
1.3.1 D’une vocation sacerdotale à la soignante professionnalisée
Quand nous regardons l’histoire du métier infirmier, il faut remonter jusqu’au XIIIème
siècle, période à laquelle apparait le terme « enfirmière » pour désigner les personnes qui
s’occupent des « enfermes » (devenu infirmes par la suite), personnes qui ne sont pas fermes
au sens où elles sont peu robustes donc malades. A cette époque déjà, l’action de prendre soin
était dévolue aux femmes. Pendant toute la période du moyen-âge, le christianisme se
développe comme religion unique et ce sont donc les ordres religieux qui organisent les
maisons de soins charitables où les religieuses font preuve d’abnégation et d’obéissance dans
une organisation très hiérarchisée comme l’étaient les congrégations. Nous pouvons citer
Jacques Saliba, sociologue à l’université Paris X qui décrit leur travail comme ceci : « La
croyance et la dévotion produisent et contrôlent l’action. Elles orientent le sacrifice de soi, de
son temps, de son activité, de sa vie, selon une démarche sacrificielle » (Saliba, 1993, p.16).
Selon l’auteur, la religion va « conférer un sens, en fournir les valeurs et les motivations ; elle
lui donnera aussi un cadre institutionnel, définira son contenu et son organisation » (Saliba,
1993, p.14) pendant les cinq siècles qui suivent, préférant les soins de l’âme aux soins du
corps, en contradiction aux demandes de respect des thérapeutiques initiées par les premiers
médecins cliniciens.
Après la Révolution Française, le développement de la médecine clinique transforme
l’hôpital en un lieu de savoirs et d’expertise à distance des notions de charité. Les médecins
acquièrent un prestige et une importance sociale qui leur permettent d’obtenir une forte
autonomie professionnelle et un pouvoir certain. Les sœurs, comme les servantes laïques,
deviennent des employées au service des médecins pour lutter contre la misère dans une
volonté de don de soi, d’engagement moral et religieux. Face aux exigences de connaissances
des techniques et thérapeutiques, il convient pour les médecins de « constituer un corps de
professionnelles du soin, répondant au double critère de la laïcité et de la compétence. C’est
l’acte de naissance de la profession infirmière » (id. p.36). Le docteur Bourneville23
ouvrira
donc en 1878 la première école d’enseignement du métier d’infirmière au sein de l’assistance
publique de Paris, ce qui légitimera la pratique infirmière comme étant le fruit d’une réelle
formation scientifique et technique.
23
Désiré-Magloire Bourneville (1840 – 1909) Neurologue français qui a participé activement au débat sur la
laïcisation des hôpitaux français.
16
Durant le XXème siècle, plusieurs courants de pensées vont s’opposer sur les modèles
de professionnalisation entre laïcité et traditions religieuses. Jacques Saliba en dénombre trois,
chacun étant représenté par une personnalité charismatique. Il y aura le modèle anglo-saxon
avec Florence Nightingale24
qui défendra l’émancipation de la femme, l’amélioration de la
formation des soignantes et de l’état des hôpitaux. Elle concentrera son action sur une
formation basée sur la pratique auprès du patient dans une laïcité totale. Ce principe sera
repris par l’Etat français qui évincera toutes les religieuses des postes de soignantes générant
une grave pénurie qui mettra en évidence l’absence d’un système de formation des
infirmières. L’Etat demandera alors aux préfets de créer des écoles d’infirmières auprès de
chaque faculté de médecine avec une conception du soin entièrement centrée sur la maladie et
le corps dans laquelle le médecin doit être secondé par un personnel infirmier formé,
compétent et dévoué. Cette vision du soin et du rôle infirmier sera défendue par le docteur
Bourneville. En opposition à ce modèle, Léonie Chaptal25
, une jeune infirmière, crée son
école de formation infirmière où elle revendique une filiation du métier d’infirmière à son
passé religieux. Elle veut promouvoir pour la fonction d’infirmière une notion de sacré, de
vocation marquée par un engagement fort et des compétences reconnues. Elle défend l’idée
d’une formation minimale de deux ans où les valeurs morales sont élevées au même rang que
les connaissances techniques et intellectuelles et s’acquièrent par des cours théoriques mais
aussi par de nombreux stages variés dans les services des hôpitaux publics. Elle défendra un
statut professionnel reposant sur une législation le protégeant et une formation garantissant la
légitimité et l’autorité du diplôme d’infirmière.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’infirmière est une servante dévouée du
médecin. Selon Dorsafe Bourkia26
, « la relation infirmière/médecin a longtemps évolué sur le
mode symbolique du couple « bonne épouse obéissante » et « chef de famille » : considérées
comme de bonnes maîtresses de maison, les infirmières gardent leurs malades comme s’il
s’agissait d’enfants, en attendant les visites du médecin… » (Bourkia, 2015, p.27). Les
hôpitaux se réorganisent pour pallier aux augmentations des dépenses médicales induites par
une hausse de la demande de soins des usagers. Le rôle infirmier évolue aussi très vite, les
médecins préférant se recentrer sur des activités plus valorisantes, ils délèguent alors certaines
tâches aux infirmières qui à leur tour délègue aux aides-soignantes des tâches dont elles
24
Florence Nightingale (1820 – 1910) Infirmière britannique, pionnière des soins infirmiers modernes 25
Léonie Chaptal (1873 - 1937) Infirmière considérée comme le précurseur de l'infirmière moderne et de
l'assistance sociale en France. 26
Dorsafe Bourkia, cadre de santé formatrice en institut de formation en soins infirmiers
17
avaient l’exclusivité. Ce glissement de tâches vers le bas « permet une promotion de l’activité
de ceux qui occupent la position statutaire inférieure mais elle crée aussi un « flou » dans la
délimitation des rôles et des compétences. » (Saliba, 1993, p.82). La formation infirmière
évolue aussi, elle s’allonge (33 mois), elle doit permettre aux futures infirmières d’élaborer
une démarche de soins infirmiers et d’avoir une surveillance clinique du patient adaptée en
prenant en compte la globalité du patient et non-plus la maladie. La loi du 31 mai 1978 qui
reconnait « le rôle propre » de l’infirmière est le premier acte d’émancipation et
d’autonomisation de l’infirmière qui peut réaliser certains actes sans prescription médicale.
Depuis les années 80, les responsabilités de l’infirmière ne cessent d’augmenter, les
conditions de travail se tendent sous les réorganisations du fait de maîtrises des dépenses
indispensables pour les hôpitaux, le mécontentement croît et poussera les infirmières dans la
rue au printemps 1988.
Les changements se font aussi du côté de la formation au sein des instituts de formation
en soins infirmiers (IFSI), il n’y aura plus de diplôme d’infirmier de psychiatrie (1992), le
rôle prescrit et le rôle propre sont redéfinis, des règles professionnelles sont édictées. L’Ordre
infirmier est créé en 2006 dans une défiance importante des soignants salariés qui ne
comprennent pas son rôle et son action. Les années suivantes ne verront que croître leurs
responsabilités et leurs compétences en réponse à la pénurie médicale et aux besoins de
maîtrise des dépenses de santé. En 2009, la formation passe dans un cursus de « Licence-
Master-Doctorat » (LMD) suivant les directives européennes et ceci afin de pouvoir initier des
programmes de recherche infirmière et ainsi « élever le degré de qualité des soins délivrés aux
patients et le niveau de formation, dans l’espoir que se crée un doctorat en sciences
infirmières » (Bourkia, 2015, p.33).
Le métier continue d’évoluer fortement au grès des réformes hospitalières qui se
succèdent (Loi hôpital, santé et territoires de 2009, la Loi de modernisation de notre système
de santé de 2016) et modifient les limitent de leur exercice, les organisations de leurs actions
auprès du patient et leur demandent une reconfiguration de leur travail.
Après des centaines d’années d’évolutions, le métier infirmier reste toujours très
féminisé dans « une tradition séculaire qui associe féminité et gestion de l’intimité des corps,
dans la réalité comme dans l’imaginaire culturel » (Bon-Saliba, 1993, p.92).
18
1.3.2 Infirmière, professionnelle du soin et de la relation
Selon l’article 2 du décret n°2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes
professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier, la législation définit les soins
infirmiers de la sorte : « les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs, intègrent qualité
technique et qualité des relations avec le malade ». Il ressort de cette définition que le métier
infirmier est une combinaison complexe entre la réalisation d’actes techniques nécessaires au
traitement de la maladie et des interactions sociales avec le patient. Dans son activité,
l’infirmière met en exergue de nombreux types de relation pour assurer les soins nécessaires à
la guérison des patients dont elle s’occupe. Le soin infirmier repose de nos jours sur deux
notions importantes, le cure et le care, deux mots aux origines anglo-saxonnes. Le premier
désigne d’un côté l’activité curative de la maladie et donc les soins techniques permettant de
diagnostiquer ou d’éradiquer une maladie, le second désignant la notion de « prendre soin »
(to take care) où la dimension relationnelle est très fortement marquée. Pour Walter
Hesbeen27
, « prendre soin est un art, il s’agit de l’art du thérapeute, celui qui réussit à
combiner des éléments de connaissance, d’habilité, de savoir-être, d’intuition qui vont
permettre de venir en aide à quelqu’un, dans sa situation singulière » (Hesbeen, 1997, p.35).
L’infirmière exerce donc cet art au même titre que l’ensemble des personnels soignants
œuvrant dans un établissement de santé comme les kinésithérapeutes, les diététiciens, les
manipulateurs d’imagerie médicale, les aides-soignants, etc. Mais il est vrai que les
infirmières « disposent d’atouts supplémentaires et d’opportunités bien plus grande pour
exercer cet art soignant » (id. p.44). Selon l’auteur, les infirmières, par les activités qui
caractérisent leur métier, disposent de proximité plus forte et de temps d’action bien plus
importants auprès des patients et de leurs entourages « car tel est le soin infirmier, composé
d’une multitude d’actions qui sont surtout, malgré la place prise par les gestes techniques, une
multitude de « petites choses » qui offrent la possibilité de témoigner d’une « grande
attention » à la personne soignée et à ses proches, tout au long des vingt-quatre heures d’une
journée » (id. p.45).
Bien qu’aujourd’hui, la profession infirmière revendique une prise en soin du patient
dans sa globalité avec une forte implication dans la relation avec le patient, le travail infirmier
27
Walter Hesbeen est infirmier et docteur en santé publique, responsable pédagogique du GEFERS (Groupe
francophone d’études et de formations en éthique de la relation de service et de soin), Paris et Bruxelles, et
professeur invité à l’université catholique de Louvain (Belgique). Il est également rédacteur en chef de la revue
Perspective soignante.
19
dans les services de soins ne s’arrête pas qu’à cette relation au patient. L’infirmière réalise des
actes purement techniques auprès des patients, elle joue aussi un rôle d’organisatrice des
activités et des soins des patients et elle sert de relais auprès des multiples intervenants de
diverses spécialités paramédicales qui interviennent auprès du patient. De plus, elle transmet
les informations nécessaires à chacun des acteurs du soin, elle participe fortement à la tenue
du dossier du patient au sein duquel elle trace l’ensemble de ses actions de soins. Et ce n’est
qu’une partie de toutes les tâches que les infirmières réalisent dans leur activité journalière.
Autant d’actes ou d’activités qu’il est facile de voir, d’identifier alors que toutes les « petites
choses » qui font la relation soignant-soigné comme les nomme Walter Hesbeen, semblent
trop peu visibles et si peu formalisées qu’elles n’apparaissent pas aux yeux des profanes.
Mais dans la réalité des activités hospitalières d’aujourd’hui, cette volonté infirmière de
globalité de la prise en soin des patients semble bien mise à mal par les bouleversements
réguliers que subissent les institutions hospitalières.
1.3.3 L’infirmière dans le contexte économique de la santé
Depuis la fin des années 70 et la reconnaissance de leur rôle propre, les infirmières ont
vu les tâches qui leur incombent s’accroitre avec la tenue d’un dossier de soins infirmiers, la
production d’un plan de soins infirmiers, la rédaction de transmissions ciblées…. Ce métier
construit sur l’oralité et la relation au patient, a vu ces nouvelles activités l’emmener sur le
terrain de la formalisation des soins et de la standardisation de l’information dans un dossier
unique. Elles ont aussi vu les institutions où elles évoluent, et par ricochet leur métier,
fortement impactés par une succession importante de réformes visant à améliorer l’efficience
médico-économique d’un système de santé dont l’accroissement des dépenses à la fin des
années 70 et au début des années 80 devenait problématique pour sa pérennité. Les différentes
lois de santé et plans ont fortement modifié l’organisation des structures hospitalières et du
système de santé. L’Ordonnance du 24 avril 199628
crée l’Agence Régionale
d’Hospitalisation qui deviendra l’ARS, renforce le Programme de médicalisation des
systèmes d’information (mis en place en 2001) pour les établissements assurant des activités
de courts séjours en médecine, chirurgie et obstétrique. Elle crée aussi L’ANAES qui
deviendra l’HAS et dont le rôle est de mettre en place une certification permettant de s’assurer
28
Ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée dite
Ordonnance Juppé
20
du développement d’une démarche d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins par
les établissements de santé. Le plan Hôpital 2007, les « 35 heures » en 2001, la loi «
Kouchner » du 4 mars 2002, l’ordonnance du 2 mai 2005 avec la mise en place de la
tarification à l’activité (T2A), le plan Hôpital 2012, la loi « Hôpital, patients, santé et
territoire » du 21 juillet 2009 et enfin la loi de modernisation de notre système de santé du 26
janvier 2016 ont provoqué d’incessantes modifications des organisations hospitalières. Les
hôpitaux ont vu leur financement passer d’une dotation globale forfaitaire annuelle à une
rémunération en fonction de l’activité qui engendrera une rationalisation de l’activité et des
besoins de rentabilisation des activités avec des politiques institutionnelles de fermeture ou
d’ouverture d’activités au gré des valorisations des groupements homogènes de séjour.
Selon Mihaï Dinu Gheorghiu29
et Frédéric Moatty30
, « Les établissements hospitaliers
ont fait évoluer leur gestion de l’emploi et leur organisation du travail en raison d’une
succession de réformes et de l’exigence toujours plus affirmée de maîtriser les dépenses de
santé. L’introduction de la tarification à l’activité (T2A) a transformé le financement du
secteur, notamment celui des établissements publics, l’allocation de leurs ressources
budgétaires dépendant désormais de la production des soins. » (Gheorghiu, Moatty, 2014,
p.1). Ces transformations de paradigmes économiques et d’organisations des hôpitaux dans un
but de limitation des dépenses et d’adaptation aux évolutions des besoins de la population
n’ont pas eu qu’une influence sur la gestion financière des établissements. Les conditions
d’exercice des personnels soignants s’en trouvent clairement impactées, l’emploi qui
représente en moyenne 70% des charges d’un hôpital, est devenu une variable d’ajustement
mettant les professionnels sous tension. « Dans ce contexte de mise sous tension des effectifs,
les rythmes de travail s’accélèrent, alors même qu’en raison des exigences du secteur, les
soignants ont depuis longtemps le sentiment d’exercer leur métier sous pression » (id. p.3).
Pour ces deux sociologues, les réformes hospitalières de ces dernières décennies ont aussi
contribué à une « flexibilisation de la main d’œuvre », à une sensation « d’accentuation des
contraintes » (id. p.3). La mise en place des pôles a permis aux directions de développer la
mobilité entre les services ou les pools de remplacement au sein des pôles, avec des
incertitudes permanentes au sein des équipes de par une flexibilité qui « affaiblit le collectif
de soin et son identité ; elle rend difficile l’intégration des nouvelles recrues. La pression
29
Mihaï Dinu Gheorghiu, sociologue au Centre Européen de sociologie et de science politique, chercheur au
Centre d’études de l’emploi 30
Frédéric Moatty, Docteur en statistiques et titulaire d’une maîtrise d’ethnologie, directeur adjoint de l’unité de
recherche « Dynamiques des Organisations et du travail » au Centre d’études de l’emploi. Ses travaux
s’inscrivent dans les domaines de la sociologie du travail et des organisations.
21
exercée sur les soignants engendre, par exemple, un manque de temps pour les échanges, les
transmissions ou la régulation des conflits à l’intérieur des équipes ou avec le public. » (id.
p.4).
Ces évolutions des institutions hospitalières mettent sous pression le métier infirmier
dont les fondements sont quelque peu bousculés par cette injonction de « productivité », si
péjorative pour les soignants qui la rattachent à une production industrielle de biens de
consommation mais pas à la réalisation de soins auprès de patients et de réponses à leur
besoin de santé. Maintenant, les institutions leur demandent de calculer la charge de soins
pour évaluer le coût des soins au plus près du réel de l’activité en faisant fi de la singularité
des patients et donc d’une prise en soin globale et individualisée du patient. Il leur ait aussi
demandé de remplir un dossier patient informatisé avec encore plus de traçabilité et qui
participe à la médicalisation de la gestion de leurs établissements dans un but d’optimisation
des ressources nécessaires, incluant évidemment les ressources humaines. Ce grand
changement ne va pas sans créer son lot de troubles parfois plus profonds qu’il n’y
parait : « Si l’intensification du travail à l’hôpital s’inscrit dans des évolutions communes à
l’ensemble de l’économie, elle présente aussi des spécificités. L’introduction de mécanismes
de régulation économique ne se traduit pas seulement par une course contre la montre mais
s’accompagne également d’une perte de repères sur les finalités et le sens du travail » (id.
p.3).
Ces changements dans les activités des infirmières, avec le dossier de soins, la
traçabilité pour la qualité, les transmissions écrites, ont aussi eu un impact sur les pratiques
des infirmières et en particulier sur l’utilisation de l’oralité dans les transmissions de
l’information.
1.3.4 De l’oralité au tout écrit
Depuis toujours, le métier infirmier s’est construit sur l’oralité. Les infirmières ont
toujours beaucoup transmis ou reçu de l’information par voie orale que ce soit avec les
patients, les médecins, les collègues du service ou les autres professionnels paramédicaux de
leurs institutions. Le métier infirmier a dû progressivement apprendre à transmettre les
informations par écrit avec le dossier de soins et les transmissions ciblées dans un contexte de
22
recherche de fiabilité et de qualité que l’écrit permet d’apporter. Selon Michèle Grosjean31
et
Michèle Lacoste32
, « traditionnellement opposé à l’oral, fugace, soumis à l’oubli et à la
déformation par les limites mêmes de la mémoire, à la contestation du fait de l’absence de
traces, l’écrit bénéficie dans notre culture d’une aura de sérieux et de crédibilité. Stable et
garant de pérennité, il se prête à la consultation à distance, dans l’espace et le temps, et permet
un engagement durable sur des faits, livrés grâce à lui au jugement public » (Grosjean,
Lacoste, 1998, p.439-440). L’information dans les institutions est un élément stratégique pour
pouvoir se prémunir des procédures pénales et garantir une certaine standardisation dans une
organisation très complexe où la coordination des intervenants est essentielle à l’efficience du
soin : « L’intervention croissante de professionnels aux compétences différentes, le relais des
équipes, la gestion des aléas, la réélaboration des objectifs, la prise de décision à différents
échelons rendent essentielles la coopération, la communication et la circulation de
l’information et obligent à penser leur organisation » (id. p.441).
Malgré la mise en place de cette formalisation de l’activité par l’écrit, les infirmières
utilise toujours de façon prédominante l’oralité selon Marie-Andrée Vigil-Ripoche33
: « La
pratique infirmière reste aujourd’hui essentiellement une pratique hospitalière orale, peu
formalisée, souvent tacite et implicite, qui va de soi et dont la référence première est le «
Terrain » de l’hôpital » (Vigil-Ripoche, 2006, p.67). Il n’en est pas moins vrai qu’aujourd’hui,
l’institution demande l’exhaustivité du dossier du patient dans un but d’optimisation médico-
économique de son activité et la société, par la loi Kouchner de 2002, a rappelé que le dossier
pouvait être consulté par le patient à sa demande et nécessitait donc d’être parfaitement tenu.
1.4 L’objet de notre recherche
Au final, le métier infirmier, comme tous les métiers du monde soignant, a vu son cadre
d’exercice professionnel fortement évoluer aux rythmes des réformes organisationnelles de
ces trente dernières années. Ces changements ont nécessité des adaptations, des modifications
des pratiques des infirmières et ont fortement impacté les organisations des services de soin et
les conditions de travail des infirmières.
31
Michèle Grosjean, psychologue du travail 32
Michèle Lacoste, professeur en sciences de la communication (Paris XIII) 33
Marie-Andrée Vigil-Ripoche, Docteur en sociologie-anthropologie
23
Le déploiement du dossier patient informatisé, nouveau changement dans la pratique du
métier infirmier, semble lui aussi apporter son lot de tensions au sein des services ce qui a
motivé notre recherche.
Plusieurs suppositions peuvent être avancées pour expliquer les raisons de ces tensions
et pour nous aider à la construction de nos guides d’entretien. La première relève de l’idéal de
métier des infirmières et des activités qui pour elles semblent essentielles dans le métier. Cette
nouvelle tâche que représente la gestion du dossier patient informatisé les éloigne-t-elle du
cœur de métier ? Nous pouvons aussi supposer que l’utilisation de l’outil informatique de
façon plus importante les mette en difficulté et que la notion d’habitude d’utilisation des outils
numériques joue un rôle dans le niveau d’appropriation du logiciel. Nous pouvons aussi nous
poser des questions sur la qualité de la formation et sur leurs compréhensions des intérêts que
revêt le DPI pour elles. Cette nouvelle évolution du métier dans une période de changements
permanents dans les institutions de soins a-t-il contraint ou modifié les relations des
infirmières avec le patient ou l’équipe médico-soignante ? Autant d’interrogations qui nous
ont permis de réfléchir sur notre question de départ et de la faire évoluer, en lien avec nos
lectures et nos échanges, vers une problématique que voici :
Comment les infirmières incorporent dans leur métier ce nouvel élément du travail qu’est le
DPI ?
Pour pouvoir apporter une compréhension à cette question, nous avons réalisé des
entretiens auprès des professionnel(les) pour entendre la parole du terrain et ainsi construire
notre réflexion et notre analyse. Pour ce faire, nous avons suivi une démarche de recherche
méthodologique que nous vous présentons dans les paragraphes suivants.
24
2 LA MÉTHODOLOGIE
Notre attention doit maintenant se poser sur la méthode que nous avons déployée lors de
ce travail de recherche. Nous présenterons tout d’abord la démarche compréhensive ainsi que
le choix de l’entretien semi-directif. Puis nous nous expliquerons sur le choix d’un terrain ou
le déploiement du DPI date de moins de deux ans, sur le choix d’une population d’infirmières
avec des profils sociologiques variés ainsi que sur le choix que nous avions d’interroger une
cadre supérieure de santé en charge du DPI de son établissement. Nous détaillerons ensuite les
guides d’entretien par thèmes avant de nous pencher sur la réalisation des entretiens et les
difficultés que nous avons rencontrés pour recruter les infirmières et réaliser ces entretiens.
Pour finir, nous nous attarderons quelque peu sur le concept du métier selon Yves Clot 34
qui
nous sera utile pour comprendre les dimensions du métier infirmier.
2.1 La bonne méthode pour une bonne recherche
Max Weber35
, considéré comme un des pères fondateurs de la sociologie, a défini la
sociologie comme étant « une science qui se propose de comprendre par interprétation
l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets. » (Weber,
1995, p.28). La sociologie wébérienne s’intéresse au sens que l’individu met dans l’action, il
cherche à savoir pourquoi les personnes disent ce qu’elles disent et pourquoi elles font ce
qu’elles font. C’est une sociologie compréhensive.
Notre choix méthodologique s’inscrit dans une démarche compréhensive par laquelle
nous cherchons à saisir, par le témoignage même des sujets de l’étude, les raisons de leurs
actions mais aussi le sens de leurs actions. Pour pouvoir engager notre recherche, il était
important de pouvoir définir son périmètre par une question de départ et ainsi engager un
travail de problématisation de notre recherche. Cette question de départ est primordiale, selon
Raymond Quivy36
et Luc Van Campenhoudt37
, « la meilleure manière d’entamer un travail de
recherche en sciences sociales consiste à s’efforcer d’énoncer le projet sous la forme d’une
question de départ. Par cette question, le chercheur tente d’exprimer le plus exactement
possible ce qu’il cherche à savoir, à élucider, à mieux comprendre. La question de départ
34
Yves Clot, professeur et chercheur en psychologie du travail, titulaire de la chaire de psychologie du
travail au Conservatoire national des arts et métiers. 35
Max Weber, économiste et sociologue allemand 36
Raymond Quivy, Docteur en sciences politiques et sociales de l'Université catholique de Louvain 37
Luc Van Campenhoudt, Docteur en sociologie de l'Université catholique de Louvain
25
servira de premier fil conducteur à la recherche » (Quivy, Van Campenhoudt, 1995, p.35).
Après divers temps collectifs et personnels de réflexion et de recherche, nous nous sommes
efforcé de formuler une question de départ en respectant les trois exigences essentielles qui
sont : « primo des exigences de clarté, secundo des exigences de faisabilité et tertio des
exigences de pertinence, » (ibid.). Une fois cette étape cruciale franchie, nous avons pu nous
attaquer à la phase exploratoire du travail au cours de laquelle nous avons orienté nos
recherches sur des lectures permettant d’éclairer notre sujet. Le travail de sélection des
lectures fut un travail complexe, il fallait pouvoir donner un cadre contextuel à notre
recherche sans se perdre dans une boulimie livresque dans laquelle nous pouvions nous perdre
et nous écarter de notre fil conducteur.
La posture de chercheur nécessite aussi de savoir se mettre à distance de son sujet, de
savoir mettre de côté ses prénotions38
pour qu’elles n’influencent pas l’interprétation qui sera
faite des propos tenus par l’enquêté. Lors de cette phase exploratoire, nous nous sommes
attachés à construire un guide d’entretien exploratoire afin de réaliser deux entretiens semi-
directifs auprès d’infirmières.
2.2 Le choix de l’entretien semi-directif
Pour Quivy et Van Campenhoudt, l’entretien doit permettre d’instaurer « un véritable
échange au cours duquel l’interlocuteur du chercheur exprime ses perceptions d’un événement
ou d’une situation, ses interprétations ou ses expériences, tandis que, par ses questions
ouvertes et ses réactions, le chercheur facilite cette expression, évite qu’elle s’éloigne des
objectifs de la recherche et permet à son vis-à-vis d’accéder à un degré maximum de sincérité
et de profondeur » (id. p.170). Le choix de l’entretien semi-directif est un choix raisonné, il
permet à la fois de laisser une certaine ouverture à la parole de l’interviewé tout en permettant
à l’intervieweur de maintenir l’entretien dans le cadre de sa recherche, en guidant la personne
interviewée dans un cheminement intellectuel permettant d’élaborer son raisonnement
progressivement. L’entretien se veut aussi être individuel afin de ne pas offrir aux regards
d’éventuels collaborateurs le propos d’une personne enquêtée qui se verrait ainsi contrainte
dans sa liberté de parole. Notre travail fut donc de construire un guide d’entretien exploratoire
qui soit à la fois structuré et progressif intégrant des questions claires, ouvertes et concises.
Une fois ce guide élaboré, nous partons sur le terrain pour réaliser les deux entretiens
38
Prénotion : Connaissance spontanée, générale, tirée de l'expérience, antérieure à toute réflexion (CNRTL)
26
exploratoires auprès d’infirmières. L’analyse de ces deux entretiens nous permettra de reposer
clairement la problématique, de revoir légèrement notre guide d’entretien exploratoire pour
qu’il devienne le guide d’entretien définitif que nous administrerons auprès de notre
population cible. Les personnes interviewées seront choisies suivant le terrain d’investigation
que nous aurons choisi.
2.3 Le choix du terrain et de la population
Lors du choix du terrain d’investigation, nous avons pris le parti de sélectionner une
institution dont les services de soins étaient en phase de déploiement du dossier patient
informatisé. Notre choix s’est ainsi porté sur un centre hospitalier universitaire de plus de
12000 agents dont le déploiement du DPI avait commencé deux ans auparavant. Nous
voulions pouvoir interroger des infirmières qui utilisaient le dossier informatisé depuis
suffisamment longtemps pour qu’elles puissent avoir un certain recul sur l’usage qu’elles en
faisaient. Mais nous voulions aussi qu’elles puissent se souvenir des conditions d’utilisation
du dossier patient papier afin de leur faire exprimer leurs expériences antérieures
d’organisation de leurs activités.
Ce choix de terrain restreignait assez fortement notre panel d’établissements
susceptibles d’entrer dans le cadre de notre recherche. De plus, nous devions aussi composer
avec un emploi du temps qui ne nous permettait pas de prospecter des établissements
géographiquement trop éloignés. Les établissements périphériques (départements voisins par
exemple) étaient soit équipés du dossier patient informatisé depuis plus de 5 ans, donc trop
ancien pour pouvoir interroger les personnels sur le moment du changement, ou bien dans les
tout premiers déploiements et n’offraient donc pas assez de recul aux équipes sur cette
évolution technologique. Il nous paraissait essentiel de ne pas enquêter sur des terrains qui
venaient d’être intégrés au dispositif de DPI depuis moins d’un à deux mois afin de ne pas
être dans le moment potentiellement tendu que peut-être une telle évolution des pratiques dans
une unité de soins. Nous avons donc réalisé l’ensemble de nos entretiens exploratoires et
définitifs au sein du même établissement mais sur différents services.
Notre volonté fut d’interroger uniquement les infirmières car l’objet de notre
questionnement reposait uniquement sur leurs expériences du DPI et leurs ressentis face à
cette évolution. Nous n’avions pas de volonté sélective sur les services auprès desquels nous
voulions enquêter, ni sur un type de profil sociologique privilégié. Au contraire, nous avons
27
cherché à avoir des entretiens auprès d’infirmières (ou d’infirmiers) d’âges variés,
d’expériences variées et travaillant dans des services de niveaux techniques variés. Ainsi,
nous avons pu enquêter auprès d’infirmières provenant de service de soins de suites, de
cardiologie, de soins intensifs de pneumologie, de service de réanimation médicale, d’unité
neurovasculaire, de service de médecine polyvalente d’urgences et une infirmière travaillant
au sein d’un service de suppléance l’amenant à travailler sur plusieurs services d’un même
pôle.
Au fur et à mesure de la réalisation de nos entretiens, il nous parut important de pouvoir
mettre en perspective les propos et informations issus des entretiens réalisés auprès des
infirmières avec une vision plus institutionnelle des motivations, des enjeux et des
problématiques que peut générer le déploiement d’un dossier patient informatisé. Nous nous
sommes donc penché sur la construction d’un deuxième guide d’entretien afin de pouvoir
interroger un cadre supérieur de santé en charge du déploiement du DPI dans son institution.
Nous avons pris contact avec Mme LAURENT, cadre supérieure de santé travaillant au sein
de la Direction des systèmes d’information et d’organisation d’un centre hospitalier de 1600
agents, afin de pouvoir obtenir un entretien. Cette vision promettait d’être triplement
intéressante car elle émanait d’une personne qui avait réalisé le déploiement du DPI 8 ans
auparavant, qui continuait de déployer des briques complémentaires depuis et qui participait
aux réunions du collège d’experts de l’ANAP en charge du programme Hôpital numérique
afin de produire des documents d’aide à la décision et au déploiement d’un DPI.
Voici un tableau récapitulatif de l’ensemble des personnes interrogées que ce soit durant
la phase exploratoire ou au cours de l’enquête définitive. Ce tableau permet d’avoir un aperçu
des profils sociologiques des différentes personnes ayant participé à ce travail de recherche.
28
Tableau 1: Profils sociologiques de l'échantillon
Entretiens exploratoires
Entretien Nom/Prénom
(d’emprunt)
Age
(ans) Etablissement Service
Année
d’obtention
du diplôme
Ancienneté
dans
l’établissement
(ans)
Ancienneté
dans le
service
(ans)
IDE 01 RENAULT
Corinne 45 CHU
Soins de
suites post-
chirurgicales
1992 22 10
IDE 02 ROUX
Delphine 34 CHU Cardiologie 2002 13 11
Entretiens définitifs
Entretien Nom/Prénom
(d’emprunt)
Age
(ans) Etablissement Service
Année
d’obtention
du diplôme
Ancienneté
dans
l’établissement
(ans)
Ancienneté
dans le
service
(ans)
IDE 01 DUPOND
Justine 31 CHU
Soins
intensifs de
pneumologie
2010 4 3
IDE 02 MARTIN
Pauline 29 CHU
Soins
intensifs de
pneumologie
2009 7 6
IDE 03 RICHARD
Augustin 38 CHU
Service de
réanimation
médicale
2002 14 8
IDE 04 ROBERT
Antonin 26 CHU
Service de
réanimation
médicale
2012 4 4
IDE 05 THOMAS
Laurine 39 CHU
Unité neuro-
vasculaire 2009 7 4
IDE 06 PETIT
Maryline 43 CHU
Service de
médecine
polyvalente
d’urgence
1997 19 6
IDE 07 DUBOIS
Adeline 28 CHU
Service de
suppléance
d’un PHU
2010 7 4
CSDS
en
charge
du DPI
LAURENT
Christine 55 CH
Direction des
systèmes
d’information
et
d’organisation
1983 IDE
1989 CDS 16 11
29
2.4 Les guides d’entretien
Le travail de préparation des entretiens demanda une grande rigueur pour pouvoir
produire des guides ouverts tout en gardant un certain cadre à l’entretien, ce qui demande
d’avoir des questions simples mais qui doivent faire parler la personne interviewée sur les
thèmes qui soit en lien avec la question de recherche. L’objectif était que les acteurs décrivent
leurs activités, en étayant leurs dires de faits et de descriptions circonstancielles, tout en
essayant de les faire parler du sens qu’ils donnent à leurs actions. Pour Quivy et Van
Campenhoudt, le guide d’entretien doit permettre au chercheur de laisser venir « l’interviewé
afin que celui-ci puisse parler ouvertement, dans les mots qu’il souhaite et dans l’ordre qui lui
convient. Le chercheur s’efforcera simplement de recentrer l’entretien sur les objectifs chaque
fois qu’il s’en écarte et de poser les questions auxquelles l’interviewé ne vient pas par lui-
même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que possible » (id. p.171).
Il nous fallait aussi proposer dans nos guides d’entretien une certaine progressivité que
nous avons organisé en élaborant des guides d’entretien divisés en thèmes permettant à la
personne interrogée d’entrer progressivement dans le vif du sujet et ainsi produire une
connaissance et un matériau le plus propice à répondre à notre objet de recherche. Les
entretiens exploratoires que nous avions tout d’abord réalisés, nous ont permis de ramener un
contenu intéressant que nous avons décidé d’intégrer dans l’analyse définitive. Le guide
d’entretien exploratoire semblant pertinent, nous avons que très peu modifié son contenu en
rajoutant quelques questions de relance afin de produire le guide d’entretien infirmier définitif
qui nous a servi lors de nos entretiens suivants.
Le guide d’entretien infirmier39
se base sur 5 grands thèmes.
Le 1er thème : Présentation de la personne avec son déroulé de carrière.
L’objectif de ce premier thème est de mettre en confiance la personne interviewée car le
début d’un entretien est un moment primordial pour déterminer le contexte de réalisation de
l’ensemble de l’entretien. Pour Stéphane Beaud40
, « on peut dire, sans exagérer, que les
premiers moments de la rencontre sont stratégiques : ils marquent un climat, une
« atmosphère » dans laquelle se déroulera ensuite l’entretien » (BEAUD, 1996, p.238).
39
Annexe I : Guide d’entretien infirmier, p II-IV 40
Stéphane Beaud : sociologue
30
Ce thème nous permet de connaitre l’histoire de vie professionnelle de la personne et de
connaitre l’organisation de son lieu d’exercice et la place qu’elle y occupe.
Le 2ème
thème : L’idéal du métier.
Notre volonté dans ce thème est de comprendre les raisons qui ont amené l’infirmière à
embrasser cette carrière, quelles valeurs et quelles activités sont les plus représentatives de ce
métier d’infirmière. Nous voulons aussi nous attarder sur les ressentis que la personne peut
avoir aujourd’hui sur son métier et son évolution mais aussi sur le niveau d’appréciation
qu’elle a de son métier par sa capacité à se projeter professionnellement dans 5 ans. Une
dernière question nous permet de comprendre si elle estime toujours autant son métier ou bien
si elle apporterait quelques bémols à une personne désirant se lancer dans des études
d’infirmière.
Le 3ème
thème : L’utilisation du numérique dans le privé.
Dans cette partie de l’entretien, nous cherchons à évaluer le niveau de maîtrise de l’outil
informatique de la personne. Nous voulons savoir quelles sont les utilisations que la personne
fait des moyens technologiques d’information et de communication dans sa vie privée et si
cette utilisation lui parait indispensable ou non. Le but final est de faire parler la personne
pour qu’elle nous exprime son ressenti sur la place que prennent ces nouvelles technologies
dans sa vie personnelle.
Le 4ème
thème : Avant le DPI, le dossier papier.
Nous souhaitons faire parler la personne sur son activité, la faire décrire l’utilisation
qu’elle pouvait avoir du dossier papier patient dans son exercice professionnel pour
comprendre la place que ce dossier prenait dans l’activité quotidienne d’une infirmière et les
éventuelles difficultés qu’elles pouvaient rencontrer dans son utilisation. Une question
s’attache aussi à savoir si la personne utilisait déjà des outils informatiques professionnels
avant le déploiement du DPI.
Le 5ème
thème : Le déploiement du DPI.
Cette partie de l’entretien est la plus importante du guide, elle comprend plus de la
moitié des questions. Nous cherchons à apprécier l’organisation du déploiement au sein du
service, les éventuelles prénotions des futurs utilisateurs et le rôle de ces utilisateurs sur ces
phases de déploiement. Nous demandons aussi à la personne de décrire son utilisation du DPI
31
au quotidien afin de la faire parler des éventuels gains ou difficultés que ce changement peut
générer. Enfin nous cherchons à évaluer l’impact relationnel que le DPI peut avoir sur les
relations et moments importants qu’une infirmière peut avoir avec dans son activité
(transmissions orales, relations soignant/soigné, relations au sein de l’équipe).
A la fin de ce thème, nous finissons l’entretien par une dernière question qui nous
permet de laisser la parole à la personne afin qu’elle puisse compléter ses propos sur l’objet
de notre recherche ou bien exprimer d’autres idées ou pensées qui lui paraissent importantes.
Le guide d’entretien destiné à un cadre supérieur de santé en charge du DPI fut créer au
cours de la réalisation des entretiens auprès des infirmières ce qui permit d’adapter le guide
d’entretien cadre supérieur de santé41
aux informations que nous avions déjà pu obtenir de la
part des infirmières.
Nous n’avons intégré à ce guide que 3 grands thèmes.
Le 1er thème est identique au premier thème du guide d’entretien infirmière et poursuit
les mêmes objectifs.
Le 2ème
thème : Les raisons de la mise en place du dossier patient informatisé et son
déploiement.
Dans cette partie de l’entretien, nous voulons que la personne nous raconte l’histoire de
l’arrivée et du déploiement du DPI au sein de son institution en nous présentant les raisons du
choix de la mise en place d’un DPI, les motivations, les enjeux que cela implique et aussi les
difficultés que cela a entrainé dans le déroulé du projet ou bien dans les unités de soins. Nous
désirons aussi profiter de ses connaissances en tant que membre du collège d’expert de
l’ANAP.
Le 3ème
thème : Le retour d’expérience après 12 ans d’utilisation.
Dans ce dernier thème, notre objectif est d’avoir une sorte de retour d’expérience de la
personne sur son rôle, sur l’évolution du DPI dans l’institution et de la faire s’exprimer sur ses
ressentis sur les éventuels effets du DPI sur l’activité quotidienne des infirmières
(organisation, transmissions, relationnel, gains ou pertes). A la fin de l’entretien, la parole est
laissée à la personne interviewée pour qu’elle puisse amener à notre connaissance des
informations qu’elle pense être importante.
41
Annexe II : Guide d’entretien cadre supérieur de santé, p V-VII
32
A présent que le terrain et la population ont été choisis et que nos outils d’entretien sont
prêts, il est temps de se lancer dans le bain de l’enquête de terrain.
2.5 La réalisation des entretiens et les difficultés de la recherche
Nous partons donc en recherche des infirmières intéressées pour nous témoigner leur
expérience. Cette phase de recherche fut complexe. Il fallait dans un premier temps trouver
des relais dans notre entourage pour pouvoir nous indiquer les services au sein desquels le
déploiement du DPI était réalisé et ensuite contacter les cadres des différentes unités pour
pouvoir leur présenter le thème général du projet de recherche afin qu’ils puissent en parler
aux équipes. Cela nous a demandé de la pugnacité et de nombreuses relances pour pouvoir
obtenir des réponses. Nous nous sommes souvent heurté à des refus, les personnes ne désirant
pas consacrer du temps personnel à la réalisation des entretiens car la possibilité de réaliser les
entretiens durant leur journée de travail ne leur était pas toujours offerte. Sur les dix entretiens
réalisés, six l’ont été sur le temps de travail, avec les contraintes de dérangements potentiels
que cela comporte, et les quatre autres ont été réalisés sur le temps personnel des infirmières.
Il n’y a eu que deux entretiens qui se soient déroulés en dehors des services sinon les
entretiens se sont déroulés dans une pièce du service ce qui a occasionné pour certains
entretiens des arrêts dans le déroulé, soit à la demande de la personne qui voulait s’enquérir de
la prise en charge de ses patients par ses collègues ou bien pour des sollicitations de la part
des collègues des personnes interrogées.
L’ensemble des entretiens ont été enregistré sur un dictaphone avec l’accord des
participants à qui nous avions apporté la garantie de l’anonymisation des retranscriptions et la
confidentialité de nos entretiens. Les entretiens ont duré entre 50 minutes et 1 heure et 25
minutes (avec une moyenne de 65 minutes par entretien).
Nous avons pris conscience par la réalisation des premiers entretiens exploratoires de la
charge psychique importante que cela demandait, notre concentration doit être totale pour
pouvoir saisir le sens de chacune des paroles prononcées. Nous avons essayé au fur et à
mesure d’adopter une posture de chercheur avec une écoute attentive tout en cherchant à aider
les personnes interviewées à élaborer ou approfondir son discours. Cette posture nous a
demandé un effort afin de discipliner notre subjectivité car nous sommes porteurs de
prénotions sur chacun des métiers qui interviennent dans notre cadre professionnel et en cela,
nous devions prendre garde lors de nos questions de relance à ce qu’elles ne soient pas trop
33
inductives au risque de s’exposer à ce que Pierre Bourdieu42
appelle : « l’effet d’imposition
que les questions naïvement égocentriques ou, tout simplement distraites peuvent exercer et
surtout, de l’effet en retour que les réponses ainsi extorquées risquent de produire sur
l’analyste, toujours exposé à prendre au sérieux, dans son interprétation, un artéfact qu’il a
lui-même produit » (Bourdieu, 1993, p.1394). Ce fut particulièrement le cas lors de certains
entretiens durant lesquels les personnes interrogées étaient peu loquaces nécessitant des
questions de relance régulières qui ont mis à rude épreuve le jeune chercheur débutant que
nous sommes.
Nous avons aussi constaté que de nombreux cadres de santé que nous avions contactés,
nous ont proposé des rencontres avec des infirmières qui avaient un statut de référente sur le
DPI au sein de leur service. Nous avions précisé lors des prises de contact qu’il n’y avait
aucun critère de sélection mais au final, nos entretiens ont été réalisés à 75% avec des
professionnels référents du DPI (7 personnes sur 9 entretiens). Cela nous pose question dans
le sens où nous nous demandons si c’était un choix du cadre du service ou des professionnels
de nous mettre en relation avec des référents soit par peur des non-référents d’être en
difficulté face aux questions ou bien par volonté des référents d’exposer leurs ressentis sur ce
nouvel outil. Toujours est-il qu’il nous semble important de garder ce biais d’échantillonnage
à l’esprit lors de l’analyse de nos entretiens car il nous parait possible que les réponses
apportées lors des entretiens soient quelque peu influencées par une appropriation plus forte
de l’outil DPI du fait d’une formation initiale plus poussée et d’une intentionnalité dans la
valorisation de l’outil.
Enfin, notre dernier entretien fut réalisé auprès de la cadre supérieure de santé en charge
du déploiement du DPI au sein de son institution d’exercice. Cet entretien fut plus ouvert car
nous n’avions pas d’autre entretien avec une personne du même profil professionnel, ce qui
nous laissait assez libre de pouvoir nous écarter un peu du guide d’entretien ou d’ajouter
éventuellement des questions en réaction au discours de notre interlocutrice. Mais cela a aussi
nécessité une forte concentration pour pouvoir saisir l’ensemble des propos afin de réagir et
de faire compléter la moindre information qui pourrait enrichir notre matériau.
Cette étape importante de notre recherche terminée, il nous restait maintenant à analyser
le contenu de tous ces entretiens.
42
Pierre Bourdieu, sociologue
34
2.6 L’analyse du matériau suivant la conception du métier d’Yves
Clot
L’ensemble de nos entretiens ont été retranscrits, cela nous a demandé un travail
considérable, mais ces heures passées à écouter et dactylographier nos enregistrements nous
ont aussi permis de nous imprégner un peu plus des discours des soignants rencontrés.
Pour pouvoir construire notre analyse, nous nous sommes appuyé sur l’ouvrage d’Yves
Clot intitulé « Travail et pouvoir d’agir » et particulièrement sur sa conclusion où l’auteur
tend à montrer que le mot métier est aussi un concept. L’auteur explique que « le métier a
plusieurs vies simultanées et c’est ce qui rend possible son développement » (Clot, 2008,
p.258). Ces vies ou dimensions du métier sont au nombre de quatre et cohabitent dans le
métier.
La première dimension décrite par Yves Clot est la dimension « impersonnelle », elle
représente le métier « consigné dans les tâches prescrites » (ibid.) par les organisations et les
institutions. Elle représente la formalisation du métier dans les lois qui le régissent et dans les
protocoles, fiches de tâches ou de postes qui encadrent son activité. Elle peut sembler assez
rigide et figée mais le contexte socio-économique peut parfois faire bouger cette dimension du
métier comme le précise l’auteur : « Il arrive donc que la prescription impersonnelle d’origine
hiérarchique anticipe sur le développement d’un métier et que des réformes institutionnelles
fortes soient la source d’un renouvellement de la créativité professionnelle » (id. p.259).
Les deuxième et troisième dimensions du métier sont les dimensions qui se jouent
« entre professionnels et en chacun d’eux dans la motricité des dialogues où se réalisent ou
non les échanges intrapersonnels et interpersonnels sur le réel du travail » (id. p.258). La
dimension intrapersonnelle représente l’expression personnelle du métier que l’infirmière
porte en elle, c’est son appropriation du métier et sa façon personnelle de l’exercer. La
dimension interpersonnelle est, quant à elle, la représentation du métier construit par les
échanges, les confrontations d’idées et de façon de voir ou faire le métier par les
professionnels. « Il s’agit du travail collectif pour accomplir la tâche et la repenser ensemble
dans l’activité conjointe » (ibid.). Ces deux dimensions contribuent par leur expression à
construire la quatrième dimension du métier qu’Yves Clot nomme : « la dimension
transpersonnelle ».
35
Cette dimension, le psychologue du travail la définit comme « l’histoire et la mémoire
professionnelle » (ibid.) du métier « puisqu’elle n’appartient à personne, est un moyen
disponible pour tous et chacun, traverse les générations et même chaque professionnel »
(ibid.). Elle est l’accumulation des expériences et des connaissances permettant aux
professionnels de faire évoluer leur métier comme nous la décrit Jean-Luc Roger43
quand il
dit qu’elle est « l’objet et le résultat du travail que le collectif fait sur lui-même pour
conserver, transmettre et finalement « retenir » sa mémoire du travail, et « refaire » le métier
tout en le faisant » (Roger, 2007, p.20).
Au final, l’ensemble de ces dimensions, combinées entre elles, permettent à un jeune
professionnel qui débute dans son activité de commencer à exercer avec sa dimension
intrapersonnelle, son idée du métier qu’il a pu éventuellement se forger dans son cursus de
formation. Son exercice du métier va s’inscrire dans la dimension impersonnelle liée aux
prescriptions de tâches encadrées par son institution et la réglementation. Ensuite, il va
construire son métier par les échanges avec ses collègues qui vont lui permettre de relier les
dimensions interpersonnelle et transpersonnelle par la transmission de l’histoire du métier par
les collègues plus expérimentés. Cette grille de lecture nous permet de mieux comprendre les
différentes dimensions du métier qui sous-tendent sa pratique et la réalisation des activités,
mais aussi comment le métier peut évoluer suivant le développement ou les contraintes que
subit le métier.
43
Jean-Luc Roger, psychologue du travail au Conservatoire national des arts et métiers.
36
3 D’UN IDEAL DU MÉTIER À UNE ADAPTATION DU
MÉTIER
Un métier évolue au fil du temps et des mouvements des organisations. Une jeune
infirmière arrive pour la première fois en stage avec ses idées d’idéal du métier et parfois cet
idéal se trouve bousculé par la réalité de l’activité. Dans cette troisième partie de notre travail,
nous allons essayer de comprendre comment les infirmières que nous avons interrogées, ont
dû adapter leur métier à ce nouvel outil qu’est le DPI. Nous verrons comment ces infirmières
ont choisi leur métier et comment elles le vivent aujourd’hui. Puis, nous aborderons la
question du dossier du patient, de l’utilisation des outils numériques et enfin de l’utilisation
du DPI. Ensuite nous nous attarderons sur les changements que le DPI a pu provoquer dans
les différentes relations que les infirmières entretiennent avec les professionnels et les
patients. Enfin, nous finirons par une présentation des différents niveaux d’appropriation du
DPI par les infirmières.
3.1 Infirmière, un métier choisi mais un métier difficile et contrarié
Les infirmières que nous avons interrogées nous ont toutes exprimé les raisons de ce
choix de métier et les représentations qu’elles avaient sur leur idéal de métier. Cette partie de
notre travail nous permet de comprendre ce choix de métier et de comprendre les implications
de ces professionnelles dans un métier de soins relationnels et de soins techniques. Nous
aborderons aussi la difficulté de réaliser ces activités avec un sentiment d’inachevé et pour
finir nous évoquerons une des raisons qui font que ces infirmières restent dans le métier
malgré ces difficultés.
3.1.1 Une vocation, mais aussi un métier
L’utilisation de ce terme de « vocation » prête souvent à discussion auprès des
professionnels de santé qui voient en lui une forte connotation religieuse due aux origines du
métier extrêmement marquées par les congrégations religieuses qui ont été pendant longtemps
les principales organisatrices et actrices du soin. Nous nous orientons plus sur le terme de
« vocation » au sens de « inclination, penchant marqué pour une profession exigeant
37
dévouement et désintéressement (enseignement, médecine, recherche scientifique) ».
(CNRLT)44
. Les infirmières que nous avons interrogées, dans la grande majorité, nous ont
parlé d’une réelle motivation, d’une envie, d’un réel choix réfléchi dans leur engagement
professionnel. Leur motivation reposant essentiellement sur les valeurs personnelles qui
définissent quelles soignantes elles veulent être comme Mme Martin nous l’explique : « Donc
moi j’ai choisi d’être infirmière depuis toujours, j’ai toujours voulu être infirmière. Au départ
c’était vraiment pour le contact avec les patients, je recherchais vraiment un métier où je
pouvais apporter de ma personne et également avoir beaucoup d’échanges avec les
patients ». Mais il apparait aussi que ce choix est parfois très réfléchi et découle d’une volonté
de pratiquer un métier qui soit à la fois en accord avec les valeurs personnelles, mais qui
émane aussi parfois d’un raisonnement très concret, utilitariste45
. Mr Augustin, infirmier de
réanimation, semble très clair sur ce point : « Et puis en sortie de bac, je voulais une
formation pas trop longue et qui débouchait sur un secteur où il y avait du travail. Donc
c’était une réflexion qui s’est déroulée de cette façon. C’est ce qui correspondait à ma volonté
donc un métier dans la santé et une formation de trois ans et quelques mois, ce qui reste
correct en termes de durée ». Pour lui, être infirmier, c’est un métier au sens d’une
« occupation, profession utile à la société, donnant des moyens d’existence à celui qui
l’exerce » (CNRTL) plus qu’une vocation. Enfin pour d’autres, il apparait que ce choix de
métier s’est avéré être un second choix comme pour Mr Robert sans que cela ne soit, au final,
une frustration : « Au départ j'avais cette idée de vouloir faire un métier dans les soins, dans
la médecine sans forcément cibler tout de suite le métier d'infirmier, je savais que ça pouvait
être une possibilité, je n’ai pas forcément d’infirmier dans ma famille mais j'en connais. Donc
c'est vrai qu'au départ, j'ai choisi plutôt une voie large vers la médecine, la fac de médecine
ou le métier de dentiste qui me plaisait, le métier d'infirmier peut-être aussi. Donc, c'est un
peu aléatoirement, j'ai tenté aussi sans en être certain forcément, mais des gens qui font ça
par vocation ça existe mais finalement ils ne sont pas si nombreux que ça. Et du coup, une
fois l'aventure lancée, j'étais quand même motivé, intéressé et j'ai intégré l'école d’infirmier à
Tours en 2009 et finalement, l'envie et l'intérêt ont été exponentiels au fur et à mesure des
mois, des stages, des apports théoriques et du coup des années. Petit à petit j'ai conforté mon
projet, je me suis projeté comme futur professionnel, on travaille à l’IFSI la posture donc tout
ce pourquoi je voulais faire ça avec des choses qui m'intéressaient, des valeurs, aussi. »
44
CNRTL : Centre national de ressources textuelles et lexicales 45
Nous entendons ici l’adjectif utilitariste comme découlant de l’utilitarisme : Doctrine qui fait de l'utile, de ce
qui sert à la vie ou au bonheur, le principe de toutes les valeurs dans le domaine de la connaissance comme dans
celui de l'action.
38
Nous comprenons dans leurs propos tout au long de nos entretiens que quelles que
soient leurs motivations, les infirmières aspirent à un idéal de métier marqué par les valeurs
des soignants que sont le respect de l’autre, de sa dignité, l’empathie, la générosité, l’écoute,
l’esprit d’équipe, mais il apparait aussi pour certaines un intérêt intellectuel dans le métier.
Parfois, ce choix de métier est aussi très rationnel en lien avec une idée d’employabilité et de
débouché sur le marché du travail.
Mais au-delà de ces considérations de choix, le métier est aussi imprégné de
représentations professionnelles selon différents types de soignants exerçant à la fois des soins
relationnels et des soins techniques.
3.1.2 Un métier relationnel et technique
Pour Anne Véga46
, il existe plusieurs représentations des femmes soignantes. La
première représentation est « l’infirmière curative, experte en pathologie, secondant le
médecin » (Vega, 1997, p.109), c’est le modèle de « l’infirmière technicienne hospitalière…..
assimilé à des savoirs techniques valorisés et à des pratiques de soins efficaces et visibles »
(ibid.). La deuxième représentation est l’infirmière centrée sur la relation au patient, une
professionnelle qui s’intéresse à « l’aspect relationnel des soins et représentant la dimension
humaine à l’hôpital » (ibid.). A l’opposé, madame Véga décrit « la soignante religieuse,
« cornette », axée sur des soins moraux, serviable, secourable, faisant son métier par vocation,
humanisme, sinon par compassion » (ibid.). Ces trois typologies de « représentations
professionnelles sont construites à partir de notions communes ayant un caractère idéal »
(ibid.). Cette classification des infirmières n’est pas aussi nette et tranchée, chaque infirmière
n’est pas vouée à rentrer dans une case permettant de définir son « style ». Une infirmière est
un mélange de toutes ces représentations, mais chacune définit son idéal de métier à sa façon,
se construit et représente son cœur de métier différemment, c’est la dimension personnelle de
son métier que chacun apporte avec soi dans son exercice professionnel. Lors de nos
entretiens, nous avons pu ressentir une certaine dominante de l’une ou l’autre de ces
représentations chez les infirmières interrogées. Nous avons pu clairement identifier deux
catégories de professionnelles, la troisième représentation de la femme soignante, la
« cornette » selon la typologie de Mme Véga, n’ayant pas de représentante dans notre
échantillon d’infirmières.
46
Anne Véga, anthropologue et ethnologue de l'Ecole de hautes études en sciences sociales
39
La première catégorie est celle des infirmières mettant en avant la technicité du métier.
« En fait tout le côté scientifique, le côté de l’apprentissage du corps humain, de savoir toutes
les différentes parties, comment ça marche au niveau médical et puis après moi j’aime bien
tout ce qui est technique aussi. Je suis assez manuelle donc j’aime bien tout ce qui technique
dans ce côté de métier et puis le rapport avec le patient. Comment dirais-je ? Et bien le
contact humain quoi, finalement et puis aussi le travail en équipe » (Mme Roux). Ces
« infirmières techniciennes » (Véga, 1997, p.109) valorisent aussi la partie relationnelle de
leur métier mais elles expriment une certaine appétence pour les gestes techniques, les
procédures de soins nécessitant des connaissances médicales plus poussées. C’est dans cette
technicité qu’elles peuvent ressentir un certain épanouissement professionnel, les soins
relationnels ne venant qu’en complément des soins techniques : « Et puis également, j'associe
finalement aux soins techniques des soins relationnels qui me plaisent aussi énormément dans
la prise en charge des familles des patients et du patient en lui-même » (Mr Robert)
La deuxième catégorie regroupe les « infirmières relationnelles » (ibid.). Nous
retrouvons dans ce groupe, les infirmières qui mettent au premier plan la relation avec le
patient comme élément principal de l’activité d’une infirmière dans un service de soin.
« J’avais envie de m’occuper des autres, d’un métier relationnel, euh, me rendre utile. Pour
la société. » (Mme Renault). « Après, mes motivations, c'était surtout de prendre soin plus que
soigner, plus dans la démarche ou la notion du « take care » en anglais. C'est pour ça que je
m’y retrouvais assez bien en gériatrie parce qu'on a une prise en charge assez globale de la
personne et pas centrée juste sur la pathologie ou sur un point ponctuel…..C'est-à-dire qu'on
fait des soins techniques, on est auprès du patient, on a toute une dimension relationnelle
avec la prise en compte de la partie émotionnelle de ce que vit le patient et je trouvais que
c'était intéressant d'avoir cette richesse-là » (Mme Petit). Nous observons dans ces propos la
valeur dominante de l’humanité, de la dignité du patient en mettant au centre du soin le
patient et donc la qualité de la relation soignant/soigné, allant même jusqu’à donner une
grande valeur « thérapeutique » à la relation : « Je suis vraiment portée sur le relationnel
avec le patient, pour moi ça fait partie du soin et c'est même plus important parfois que les
soins techniques. Donc le plus important pour moi c'est d'être auprès du patient, c'est d'être
avec le patient, de mettre en place toutes les choses nécessaires à son bien-être, pour soigner
la maladie…….Et je pense que plus je vieillis et plus le relationnel finalement, on se rend
compte que si le patient n'est pas bien au niveau psychologique et bien les soins que l'on fait
ne sont pas de qualité suffisante en fait pour lui. Donc on peut faire tous les soins qu'on veut,
40
le patient ne sera jamais forcément super bien s’il est angoissé et que finalement on fait les
soins et qu'on parte comme ça, il restera toujours avec son angoisse et parfois ça peut
majorer d'autres troubles. » (Mme Dubois). Cette dimension relationnelle du métier semble
être pour ces infirmières un pilier de leur conception du métier comme l’écrit Françoise Acker
en 2005 : « L’écoute et l’accompagnement des patients qui a pour objet de les aider dans
l’expérience qu’ils font des différentes dimensions de la maladie : acceptation du diagnostic,
perturbations de leur vie personnelle et sociale en raison des conséquences de la maladie et
des traitements….constituent une norme professionnelle centrale ». (Acker, 2005, p.170).
Ainsi, nous avons pu observer que chacune des personnes interrogées concevait son
exercice professionnel selon ses propres valeurs mais, comme nous l’avons vu auparavant
avec les dimensions du métier d’Yves Clot, la dimension intrapersonnelle du métier s’exerce
en symbiose avec les dimensions interpersonnelle et transpersonnelle sous la contrainte de la
dimension impersonnelle édictant la prescription du métier. Mais, comme toute notion
d’idéal, que l’on peut définir comme ce « qui possède toutes les caractéristiques, toutes les
qualités propres à son type, mais qui paraît difficilement réalisable »47
, le métier idéal n’est
pas le métier exercé.
3.1.3 Un métier difficile, un sentiment d’activité inachevée
Lors de nos entretiens, nous avons aussi interrogé les personnes sur ce qui, pour elles,
faisait qu’une journée avait été bonne ou mauvaise. Notre intention était de comprendre ce
qui, dans leur activité professionnelle, est source de satisfaction ou de contrainte dans
l’exercice de leur métier. Une réponse est revenue très fréquemment, c’est la satisfaction du
travail accompli et le travail de qualité. Mme Renault nous décrit justement une mauvaise
journée : « Alors rarement je me dis que ma journée a été bonne. Euh, parfois c’est plus dans
l’autre sens quand les journées sont difficiles parce que la charge de travail a été lourde,
parce qu’on a parfois un sentiment d’inachevé que ce soit au niveau relationnel avec les
patients, les familles ou la prise en charge, voilà on a pas réussi à faire tout ce qu’on voulait
faire, c’était désorganisé. C’est plus quand c’est désorganisé que ça me déplait, en fait, que
j’ai plus ce sentiment d’avoir mal travaillé ». Pour Mme Roux, elle nous décrit aussi cette
insatisfaction : « Si je pars et que j’ai pas réussi à faire tout ce que je m’étais mis comme
objectif en arrivant, je ne vais pas sortir satisfaite. » Nous pouvons comprendre à travers ces
47
Idéal, définition du Larousse
41
propos un fort attachement à la réalisation de la tâche mais cela entraine une insatisfaction sur
la qualité du travail provoquant parfois une perte de sens ou du moins de compréhension dans
l’activité comme nous l’explique Mr Richard : « Pour ce qui est des prescriptions, on abat, on
abat, on abat et le soir on se dit : « Ok, j’ai fait plein de choses mais rien n’a été coordonné et
rien n’a été logique dans ma prise en charge parce qu’on m’a demandé de faire ça, après on
m’a demandé ça, après j’ai été interpelé par une famille qui voulait ça » et puis on n’arrive
pas à mettre un lien entre toutes les actions, un fil conducteur sur notre journée. C’est très
récurrent et c’est fatiguant de faire de l’abattage. ». Nous comprenons ici que l’activité des
infirmières dans les services de soin est très ancrée dans l’action et la répétition de tâches à
effectuer dans un délai imparti. Walter Hesbeen nous explique que « être centré sur la
succession de tâches à effectuer est ce qu’il y a de plus désastreux pour la construction de
l’identité infirmière car elle vide le soin infirmier de contenu, de sens. Cela va véritablement à
l’encontre du processus qui mènerait à plus de reconnaissance car une tâche ne nécessite
qu’un exécutant plus ou moins spécialisé » (Hesbeen, op. cit. , p.73).
Cette activité de « tâcheronne » comme l’appelle Mme Roux, n’apporte que du
mécontentement de la part des infirmières qui ne se retrouvent pas pleinement dans leur
exercice du métier. Leurs valeurs soignantes sont confrontées à la dure réalité du métier et
cette confrontation du « métier idéal » au « métier réel » est génératrice de souffrance, de
stress et de démobilisation. Les infirmières sont frustrées par la réalité du travail réalisé qui ne
correspond pas au travail souhaité ou idéalisé. «Une mauvaise journée, c'est quand on a été
dans « le jus » on va dire toute la journée. On a fait que des soins, qu’il y avait trop de travail
et qu'on n'a pas l'impression d'avoir abouti notre travail, de ne pas l’avoir fait jusqu'au bout.
Et c'est quoi faire le travail jusqu'au bout ? Et bien c’est de prendre en charge le patient en
globalité, de vraiment avoir le temps de lui faire ses soins, de lui parler, de l'écouter et de ne
pas être à courir partout » (Mme Dubois). Elles regrettent de voir le cœur de leur métier être
de plus en plus phagocyté par des contraintes ou des tâches qu’elles doivent assumer et qui les
empêchent de pouvoir passer plus de temps auprès du patient, « On peut dire qu’on nous en
demande toujours plus, ça c’est sûr, je pense que c’est un fait établi et que je peux voir même
sur les 2-3 ans que j’ai passé dans le service….. C’est-à-dire qu'on va, petit à petit, nous
donner des tâches un petit peu supplémentaires : « Tient finalement c’est vous qui allez
commander tel matériel, finalement c'est vous qui allez gérer telle organisation au sein du
service. ….. Ça me gêne un petit peu parce que quand je suis rentré à l’école d’infirmière ce
n’était pas quelque chose à laquelle j'aspirais, d'être productive. Je pensais que j'aurais plus
42
de temps pour m'occuper vraiment des gens. Mais après ce n’est pas pour ça qu'on le fait mal
mais effectivement cela nous demande de l'organisation derrière pour se dégager un peu
temps et pour profiter de s'asseoir deux minutes avec les patients et pouvoir être à leur
écoute. » (Mme Dupond). Yves Clot, dans son livre intitulé « Le travail à cœur », parle de
« qualité empêchée » pour énoncer ce malaise ressenti par les travailleurs, un malaise qui
provient d’un sentiment de travail mal fait ou inachevé au regard de la qualité de travail
espéré par ces travailleurs : « la souffrance n’est pas d’abord le résultat de l’activité réalisée.
C’est ce qui ne peut pas être fait qui entame le plus. La souffrance trouve son origine dans les
activités empêchées, qui ne cessent pourtant pas d’agir entre les travailleurs et en chacun
d’eux sous prétexte qu’elles sont réduites au silence dans l’organisation » (Clot, 2010, p. 165).
3.1.4 Un épanouissement personnel par des activités complémentaires
La question se pose alors de savoir comment ces infirmières font pour rester dans un
métier si exigeant à l’origine, et maintenant si contraint et source de malaise voire de
souffrance. Sur notre échantillon d’infirmières, nous avons constaté une forte implication des
personnels dans des activités complémentaires ou parallèles comme le tutorat des stagiaires, la
formation aux gestes d’urgences, au raisonnement clinique, les commissions ou bien référents
pour le dossier patient informatisé ou en soins palliatifs. Ces activités périphériques au cœur
de métier semblent apporter un certain exutoire à ce « travail empêché » comme Mme
Dubois, qui quand nous lui posons la question sur ce qui fait que son métier lui plait, nous
répond : « Alors, ce qui fait que mon métier me plait, en fait ce n’est pas vraiment mon métier
enfin mon cœur de métier, c'est vraiment tout ce qui est annexe. Je suis référente en soins
palliatifs et donc ça, ça me plaît beaucoup, de pouvoir mettre en place des choses pour les
patients, de conseiller mes collègues, de travailler avec certains médecins de soins
palliatifs…. En fait c'est vraiment tout ce qui est annexe au cœur de métier parce qu’à l’heure
actuelle, sur la prise en charge du patient, on est moins bons avec les effectifs et donc moi j'ai
besoin de ma petite soupape un peu en faisant autre chose que mon cœur de métier……
j’essaye de faire au mieux mais je reste frustrée sur certains points parce qu'on a un manque
de temps pour faire les soins, pour parler aux personnes et donc ça me frustre beaucoup et
c'est pour ça que je cherche à faire d'autres choses annexes pour ne pas rester dans cette
frustration et risquer ne pas m'épanouir dans mon travail. » La recherche d’épanouissement
professionnel ne se fait plus uniquement par la réalisation des activités propres au cœur du
métier devenues trop éloignées de leur idéal de métier.
43
Pour Mme Roux, cet investissement dans des activités complémentaires au service
infirmier permet son épanouissement personnel mais elle y voit aussi un moyen de faire
progresser l’équipe et le métier par l’échange et le partage sur l’activité, ce qu’Yves Clot
appelle « instituer les conflits sur la qualité de l’activité » (id. p. 162) pour débattre sur le
« travail bien fait » : « Ce qui me plait aussi, vu que ça fait un moment que je suis dans ce
service-là, c’est de faire des choses à côté parce que je maîtrise plus les choses maintenant
dans le service et donc je vais pouvoir m’investir dans des choses à côtés qui pourront aider
mes collègues qui, elles aussi, pourront faire d’autres choses à côté et comme ça, ça permet
de s’entraider entre nous sur différents sujets. Avoir des référentes comme on a une collègue
référente pansements, ça aide dans la prise en charge du patient et puis pour nous, on peut
lui montrer le pansement si on a une difficulté et ça permet de justement avoir moins de
difficultés ». Cet engagement reste un complément au cœur de métier dans un but de mieux
faire et vivre son métier, on pourrait assimiler ces activités à une sorte de bouée permettant de
se maintenir «à flot» dans l’activité : « mon métier principal reste auprès du patient mais je
trouve ça intéressant de pouvoir développer des choses en parallèle pour pouvoir justement
mieux revenir à mon métier et améliorer mes pratiques grâce à ça ».(Mme Dupont)
Par leurs histoires personnelles et leur façon de vivre le métier, les infirmières nous ont
expliqué les ressentiments qu’elles avaient face à une activité trop peu en phase avec leur
idéal du métier. L’arrivée du dossier du patient informatisé est une perturbation
supplémentaire dans ce métier, mais en quoi l’informatisation du dossier du patient peut-il
être source de changement dans les pratiques professionnelles des infirmières ?
3.2 Le DPI, un corps étranger du cœur de métier ?
Le DPI n’est en fait que l’informatisation d’un dossier patient que les infirmières
utilisent depuis de nombreuses années. De plus, elles utilisaient déjà des logiciels métiers
durant leurs activités mais de façon plus ponctuelle ainsi que des outils de communication et
d’information numériques dans leur vie personnelle. La question est de savoir comment les
infirmières appréhendent ce « nouvel acteur » dans l’activité de soin et comment elles peuvent
se l’approprier.
44
3.2.1 Le dossier du patient version papier
L’utilisation du dossier papier par les infirmières interrogées étaient très rodées, il
faisait partie de leur activité professionnelle et étaient donc un élément du cœur de métier.
Elles avaient leurs habitudes, elles passaient du temps chaque jour à le compléter ou le lire et
il était bien intégré dans la suite des tâches qu’elles devaient réaliser tout au long de leur
journée de travail. Elles étaient bien conscientes des enjeux du dossier papier en termes de
traçabilité, en tant que preuve de leur activité, mais aussi médico-légale comme nous le
souligne Mme Martin : « Et bien ça permettait d’avoir une surveillance rapprochée du
patient et de surveiller le fait qu'on fait bien les choses demandées, d'avoir une traçabilité. »
ou bien Mr Robert : «C'est aussi rendre compte de mon travail en inscrivant tout ce que je
fais et puis c’est aussi médico-légal. C'est ça l'intérêt fort.» Mais ces professionnels étaient
aussi lucides quant aux risques inhérents à cette activité de retranscription manuelle dans le
dossier. Mme Roux se rappelle très bien de ses difficultés pour comprendre les écritures et
faires des retranscriptions dans les dossiers et donc ses craintes : « Les difficultés déjà c’était
de relire les prescriptions, parfois c’était un peu fouillis et c’était aussi un peu risque
d’erreur quand même. Surtout au début, on réécrivait des prescriptions qui étaient écrites par
le médecin sur une page qu’on réécrivait, on réécrivait beaucoup en fait. Donc déjà on
perdait du temps pour ça parce qu’on était tout le temps dans la réécriture. ». De plus, elles
identifiaient aussi les problématiques de disponibilité du dossier qui devait être unique et donc
accessible que par une personne à la fois, « On courait beaucoup derrière parce que les
médecins l'avaient et il n’y avait qu’un dossier par patient. Après c'était la visite du médecin
donc souvent on n'avait pas le dossier » (Mme Dubois), ce qui générait des systèmes de
double retranscription des informations avec un risque en terme de qualité de l’information
transmise : « donc on faisait nos soins qui étaient notés sur une autre feuille qui était à côté. »
(Mme Dubois).
L’ensemble des professionnels interrogés lors de nos entretiens utilisaient déjà des
outils informatiques dans leurs services réciproques en plus du dossier patient papier. Il y
avait surtout un logiciel de prescription pharmaceutique informatisé et un logiciel de gestion
des demandes de brancardages. Mais les infirmières utilisaient l’ordinateur de façon limitée
pour préparer les médicaments et quand nous demandons à Mr Richard la durée d’utilisation
qu’il avait de l’ordinateur avant le DPI, il nous répond : « Sur une journée, une estimation,
j’essaie de me rappeler, oui j’aurais dit 10 % du temps soit 1 heure environ à 1h30 maxi sur
45
notre ordinateur. ». Sur notre échantillon, les réponses apportées nous permettent d’obtenir
une fourchette de temps allant de 30 minutes à 1 heure 30 minutes par jour. Et lorsque nous
posons la même question de temps d’utilisation mais cette fois-ci sur le dossier papier, Mme
Dupond déclare : « Beaucoup plus, sur une journée complète de travail, je dirais peut-être
trois heures », ce qui correspond à la valeur supérieure de temps exprimé par notre
échantillon qui se situe entre 2 et 3 heures d’utilisation du dossier papier par jour. Au final,
nous observons que les infirmières déclarent qu’elles passaient entre 2h30 et 4h30 par jour à
réaliser des activités autres que du soin auprès des patients, activités que nous appellerons des
« activités de traçabilité, de renseignement et d’organisation » du soin.
3.2.2 Les outils numériques de communication, des outils de tous les
jours
Lors de nos entretiens avec les infirmières, nous avons aussi cherché à évaluer leur
niveau d’appropriation des outils numériques d’information et de communication dans leur
vie privée pour essayer de comprendre d’éventuelles appétences ou parfois des blocages face
à l’outil informatique en tant que tel. Nous avons pu constater dans leurs propos qu’elles se
considéraient comme des utilisatrices quotidiennes des outils informatiques, mais pour des
utilisations simples et basiques. Elles estiment que ce sont des outils nécessaires mais pas
indispensables pour certaines et qu’in fine, cette évolution vers un monde plus numérique est
une évolution un peu contrainte, mais aussi souhaitable et qu’il faut suivre sous peine de se
trouver dépassé : « Et bien souhaitable, on n’a pas trop le choix finalement. On est obligé de
s’y résoudre, parce que tout va vite, tout évolue vite, et si on ne suit pas, comme dans nos
professions, si on ne suit pas les évolutions, on est vite décalé. Donc on est bien obligé. Et
puis en mode de communication aussi quelque part, après si on est anti-SMS, anti-mail, on va
perdre des contacts » (Mme Renault). Elles sont aussi très conscientes du gain de temps
apporté par ces outils qui sont des facilitateurs d’accès à l’information : « Oui, je pense que
c’est facilitant c’est-à-dire que l’on a accès à beaucoup de choses en peu de temps et on peut
avoir des informations de l’autre bout du monde en trois clics donc je pense que c’est une
évolution positive » (Mme Dupond). Ce sont aussi des outils qui simplifient les activités très
variées de la vie personnelle comme nous l’explique Mme Martin : « maintenant on fait
tellement de choses par internet, comme par exemple regarder les choses sur Internet avant
de se déplacer en magasin, au niveau administratif, on peut faire des choses par internet.
C'est sûr que ça simplifie quand même, il n’y a plus de besoins de faire les courriers, c'est
46
vrai que ça simplifie énormément la vie. ». Enfin, Mr Martin nous précisent que pour lui, les
outils numériques lui permettent d’organiser sa vie personnelle : « Ça organise une partie de
ma vie, c'est un outil qui m'aide à organiser donc ma vie ».
Au final, nous avons pu comprendre dans les propos tenus par les infirmières de notre
échantillon qu’elles ne se considéraient pas comme des geek48
, mais comme des utilisatrices
averties et conscientes des apports à leur vie personnelle de ces outils. « Je ne sais pas si c’est
souhaitable mais c’est l’évolution de la société actuelle. Après c’est difficile de rester en
marge, il faut être conscient des risques et des dangers. C’est un outil comme tous les autres
outils, à partir du moment où on comprend à quoi ça sert et les dangers, et comment bien s’en
servir, ce n’est ni plus ni moins qu’un outil, il y a aussi beaucoup d’avantages en termes de
réactivité, de rapidité de diffusion d’une information, un gain de temps. » (Mme Petit). Nous
avons pu interroger des infirmières âgées de 26 à 45 ans sans pouvoir faire de distinction de
discours entre des jeunes infirmières nées avec l’informatique et les moyens de
communications numériques et des plus anciennes dont l’apprentissage des outils
informatiques ne s’est fait qu’à l’âge adulte. Toutes ces expériences personnelles de
l’utilisation des outils numériques de l’information et de la communication ont clairement
généré chez les infirmières des attentes vis-à-vis du déploiement du DPI dans les services de
soins mais aussi des craintes.
3.2.3 Des attentes contrebalancées de craintes
Les infirmières placent dans le DPI des espoirs de gain de temps, d’accessibilité à toutes les
informations concernant le patient et d’une amélioration de la qualité de la tenue du dossier
comme nous l’expose Mme Dubois : « Je trouvais ça bien que l'on ait tout sur informatique,
que finalement ça serait peut-être un petit peu plus facile d'utilisation……. Et bien le fait de
ne pas recopier 10 fois les choses parce qu'en fait quand on fait une entrée dans un service,
on écrit une macro cible, quand il part dans un autre service, on refait une macro-cible. C'est
de la perte de temps, finalement maintenant on coche des cases et voilà ». Dans son article
« Informatisation des unités de soins et travail de formalisation de l’activité infirmière »,
Françoise Acker nous explique les attentes des infirmières quant à l’informatisation du dossier
du patient. Dans un premier temps, elles attendent un gain de temps et de sécurité : « A un
48
Définition de geek : Fan d’informatique, de science-fiction, de jeux vidéo, etc., toujours à l’affût des
nouveautés et des améliorations à apporter aux technologies numériques (Larousse)
47
niveau pratique, les infirmières des services attendent une meilleure efficacité de la gestion de
l'information et une sécurité accrue obtenue par la suppression des retranscriptions, un gain de
temps dans les saisies, une planification automatique des actes à partir des prescriptions
médicales, un accès rapide et permanent à des informations produites par d'autres services,
soit une autonomie plus grande dans la recherche d'informations, dans l'utilisation de leur
temps de travail, une maîtrise plus aisée de l'identification et de l'ordonnancement des actions
à entreprendre » (Acker, 1995, p.75). Mais elles voient aussi une possibilité de s’emparer de
ce nouvel outil pour améliorer la qualité des soins qu’elles délivrent : « L'outil informatique,
notamment avec une présentation ordonnée des informations à recueillir, une diffusion des
protocoles de soins, une planification automatique des soins à partir des prescriptions
médicales et des objectifs de soins infirmiers, l'enregistrement plus systématique des actions
infirmières que requiert la gestion de la trajectoire de maladie du patient, devraient fournir aux
infirmières les moyens d'avancer dans l'évaluation de la qualité des soins et d'améliorer les
pratiques. » (id. p.76).
Malgré ces visions de gains potentiels, les infirmières que nous avons interrogées
semblaient encore relativement inquiètes quant aux conditions de déploiement du système :
« On était plus inquiets de savoir comment ça allait se faire, dans quelles conditions ? Parce
que forcement l'installation de ce genre de logiciel ça pose des problèmes. On veut savoir si
on allait avoir des renforts à ce moment-là, qui allait nous aider, dans quelles conditions ça
allait se faire quoi ? C'était vraiment ça qui nous inquiétait. En combien de temps, à quelle
période ? » (Mme Roux). Il y avait aussi des inquiétudes en lien avec la nouvelle organisation
que cela allait entrainer : « Les craintes, c'était la peur d'avoir du mal à se « dépatouiller »
entre le patient et l'ordinateur, c'était en termes d'organisation, de savoir si on allait avoir
assez de matériel pour tout le monde et si ça tombe en panne, comment on fait ? » (Mme
Thomas). Ce DPI, comme tout changement dans les organisations de travail, apporte avec lui
des réticences et des craintes. Pour Norbert Alter49
, les organisations, les institutions sont en
mouvement permanent, elles évoluent sans cesse ce qui fait que les changements deviennent
des situations banales et fréquentes (Alter, 2000). Il définit le changement comme « une
transformation de l’un des éléments de l’organisation du travail, ou de l’organisation toute
entière. Le changement correspond ainsi à la comparaison entre deux états des relations de
travail et de la nature des activités » (id. p.119-120). Selon l’auteur, ces changements peuvent
avoir des effets positifs ou négatifs, suivant les points de vue, mais en tout état de cause, ils
49
Norbert Alter, sociologue à l’Université Paris Dauphine
48
sont générateurs de transformation aboutissant à « un nouvel état du tissu social et
organisationnel » (id. p.120). Face à ce nouvel outil, les infirmières interrogées ne se sentent
pas les mieux armées par la formation pour pouvoir s’adapter à ce changement. C’est avec un
certain sentiment d’insécurité qu’elles se projettent dans la mise en pratique de cette
formation. Les modifications dans l’organisation de leur travail qu’elles entraperçoivent dans
le déploiement du DPI les interrogent sur leurs capacités à pouvoir gérer à la fois cet outil tout
en gardant une relation au patient adaptée.
3.2.4 Le DPI, un outil qu’il faut « assimiler »
L’arrivée du DPI dans les équipes apportent son lot de craintes et de personnels réfractaires
comme nous l’explique Mme Dupond : « Et après, il y a toujours dans toutes les équipes des
personnes qui sont réfractaires au changement et voilà, le fait du changement en lui-même, ça
rebute plus d’une personne alors que notre travail est le même, c’est juste le mode de saisie
des informations qui n’est plus le même. Mais les informations sont toujours présentes ». Elle
notifie quand même que pour elle, le travail, entre autre le travail de transmission et
d’information, est juste réalisé de façon différente. Malgré le fait que les professionnels des
services utilisaient déjà l’outil informatique, son utilisation encore plus importante peut
occasionner des difficultés dans la réalisation de l’activité du fait d’une appropriation
déficiente de l’ordinateur en tant qu’objet de production. Xavier Berbain50
et Etienne
Minvielle51
nous explique que « l'acquisition technique de l'instrument informatique va
essentiellement se faire dans l'action, c'est-à-dire, pour le personnel de l'unité de soins, en
situation de prise en charge des patients. » (Berbain, Minvielle, 2001, p.88) et « La
méconnaissance instrumentale semble donc impliquer des dysfonctionnements liés à une perte
de fluidité dans l'enchaînement des activités ainsi qu'à une augmentation des facteurs
d'incertitude. Paradoxalement, la meilleure disponibilité des informations grâce à
l'informatisation est diminuée par une accessibilité précaire due à la faible maîtrise de
l'outil. » (id. p.89). Ces difficultés nous ont été confirmées lors de nos entretiens, « il y a eu
des difficultés au départ pour faire à la fois le travail quotidien ici et s'adapter à l'arrivée du
logiciel, pour faire comme avant, entrer les informations mais sur l'informatique, en prenant
50
Xavier Berbain, Docteur en sciences médicales 51
Etienne Minvielle, Professeur en sciences de gestion à l’Ecole des hautes études en santé publique, praticien
hospitalier à Gustave-Roussy, directeur de la qualité, gestion des risques et relation au patient
49
du temps qui n'était pas du coup du temps qui était donné aux patients ou aux soins donc oui,
ça c'était quand même une difficulté pour pas mal de gens ».(Mr Robert).
Face à ces difficultés d’appropriation de l’outil, le temps passé sur l’informatique
semble « du temps perdu dans la relation de soins » pour les infirmières. Quand nous
interrogeons Mr Robert sur le temps qu’il passe par jour de travail sur l’ordinateur, voici ce
qu’il nous dit : « je ne sais pas si c'est beaucoup mais oui deux heures sur 12 heures de temps
passé sur l'ordinateur. Ce n'est peut-être pas assez, plutôt 2h30 parce que si on passe du
temps à écrire les transmissions ou bien à lire les documents, ça rajoute des minutes. ». Mme
Thomas nous confirme cette évaluation : « Avec tous les coups d'œil qu'on jette tout au long
de notre activité, c'est difficile à quantifier, je dirais que peut-être, en cumulé on n'est pas loin
de trois heures ». En comparant ce temps estimé au temps cumulé de travail sur le dossier
papier et les logiciels de prescriptions avant le DPI (entre 2h30 et 4h30), nous pouvons nous
interroger sur ce ressenti exprimé par les infirmières.
De plus, le niveau d’aisance avec le matériel informatique varie fortement d’une
personne à une autre conduisant donc à des écarts d’appropriation des fonctions du logiciel du
dossier patient. Encore faut-il relativiser ces difficultés lors d’un déploiement de DPI réalisé
entre 2015 et 2016 (pour les infirmières que nous avons interrogé) car le niveau de maîtrise de
l’outil est bien plus haut de nos jours qu’il ne l’était quand, par exemple, Mme Laurent (cadre
supérieur de santé) a déployé le DPI dans l’établissement où elle exerce. Le niveau
d’acculturation n’était pas le même : « Ce n'est pas l’outil qui leur pose problème
contrairement ce qu'on peut penser. Entre 2006 et fin 2008, personne ne savait tenir une
souris, ou c'était compliqué. Dans les formations certaines n'avait jamais eu d'ordinateur.
Dans les formations que l'on fait aujourd'hui, tout le monde a son ordinateur, ce n’est plus
l’outil informatique qui est un problème, mais vraiment pas. » Le fonctionnement de l’outil ne
pose plus autant de problèmes mais il reste quand même source de difficulté dans
l’organisation du travail et dans les relations.
3.3 Un nouvel outil pour de nouvelles relations
Comme un artisan doit d’abord savoir manier un nouvel outil pour pouvoir développer
de nouvelles capacités de travail, les infirmières doivent aussi trouver une nouvelle façon de
travailler avec ce nouvel outil qu’est le DPI. Les infirmières doivent développer leur façon
50
personnelle de travailler avec le DPI, mais elles doivent aussi prendre en compte l’interaction
avec l’ordinateur dans leur façon de gérer leurs relations avec le patient et les collègues.
3.3.1 Trouver « son » utilisation de l’outil
Lors de nos entretiens exploratoires puis nos entretiens définitifs, nous avons essayé
d’avoir des interviews avec des infirmières qui utilisent le DPI depuis plusieurs mois afin de
ne pas nous trouver dans la phase de tensions potentielles qui peuvent perdurer quelques
semaines après le déploiement. Le but de cette démarche était de pouvoir obtenir un discours
« apaisé » et un retour d’expérience plus serein. Malgré cette précaution, les reproches au
sujet du DPI restent vivaces comme pour Mme Martin qui déclare : « Quand je me suis lancée
dans le métier d’infirmière, je ne pensais pas qu’on puisse avoir une aussi grosse partie de
secrétariat. Parce que moi, j’appelle ça faire du secrétariat, la saisie informatique c’est du
secrétariat ». Il est vrai que, comme nous en avons parlé dans les paragraphes précédents, un
outil informatique demande une prise en main et l’utilisation d’un clavier est moins innée et
demande plus de temps. Mme Roux, référente pour le DPI dans son service, nous a exprimé le
ressenti que pouvaient avoir ses collègues : « Après ce qui ressort de façon générale de la
part de mes collègues, c'est que c'est quand même beaucoup plus consommateur de temps que
le dossier écrit, c'est ce qu'elles trouvent. ». L’ordinateur est devenu un élément essentiel dans
les activités des infirmières : « Et bien il me suit, enfin pour le premier tour, il me suit partout.
Après, pour les soins de 10 heures à midi, quand on pose les perfusions par exemple, il reste
en salle de soins et après de midi à 14 heures on est sur l'ordinateur pour refaire le tour,
noter les transmissions et bien re-noter tous les soins qu'on a faits. » (Mme Dubois).
Une fois les premières difficultés passées, les infirmières finissent par trouver leur façon
de faire, leur façon de faire le métier avec ce nouvel « agent » du travail. « Moi
personnellement, j'ai trouvé ma façon de faire et je l'utilise partout, tout le temps. Pour faire
les relevés d'informations, on va plus se mettre dans la salle de soins, pour être plus au
calme. Mais moi en ce qui me concerne, j'ai tendance à tout faire au fur et à mesure. On a des
ordinateurs portables donc on peut se déplacer sans problème. Quand on a une entrée on va
directement dans la chambre avec un ordinateur puis on note tout au fur et à mesure et du
coup on ne réécrit pas, c’est l’avantage. Parce que avant, on avait tendance à prendre les
informations et après on réécrivait. » (Mme Roux). Et les gains apportés par le DPI
deviennent plus facilement identifiables au fur et à mesure que chacun construit sa nouvelle
façon de réaliser ses activités : « Eh bien oui, sur certains points, c'est vrai que l'on gagne du
temps finalement. Avec le recul. Au départ on en perd beaucoup parce qu’on se noie dans
51
l’information et on cherche les choses …….Avant vraiment à partir de 12h30 c'était le rush,
c'était vraiment compliqué à mettre en œuvre parce qu’on avait la prescription médicale qui
était recopiée par le médecin et donc nous on avait toute la programmation à faire sur la
journée à la main et ça, on n’a pu à le faire et ça nous permet de gagner beaucoup de temps.
C’est la même chose pour la préparation des bilans sanguins avec les feuilles, maintenant
une fois que c'est prescrit, on a juste à imprimer les feuilles le matin et c'est un réel gain de
temps. Vraiment. » (Mme Dupond). Les infirmières, au travers des propos qu’elles nous ont
tenus, ont toutes identifié les gains de sécurisation du travail et donc la sécurisation du soin
pour le patient ainsi que la disponibilité des informations concernant le patient.
Mais pour pouvoir mettre en place de nouvelles pratiques optimisées avec le DPI,
Xavier Berbain et Etienne Minvielle nous expliquent qu’il existe, selon eux, trois dimensions
d’apprentissage de l’outil. « Une première dimension concerne le rapport de l'acteur à sa
manipulation de l'outil informatique afin de lui permettre de réduire sa méconnaissance
instrumentale. L'apprentissage y est alors technique » (id. p.94). Cela se résume, dans le cas
des infirmières que nous avons interviewées, a « la prise en main », la maîtrise fonctionnelle
de l’outil et du logiciel et pour laquelle, nous avons pu avoir un aperçu de la variabilité des
niveaux atteints. Pour les auteurs, ce premier niveau doit être atteint pour pouvoir se lancer à
l’assaut du deuxième niveau. La « seconde dimension replace cet acteur face à ses pratiques
quotidiennes de travail et s'interroge sur la manière dont il insère l'utilisation de l'informatique
dans la réalisation d'activités précises. À ce stade, l'apprentissage n'est plus purement
individuel mais peut s'inscrire dans le cadre du collectif de travail » (ibid.). Ce stade
correspond à la recherche de « son » utilisation personnelle du logiciel pour reconstruire sa
dimension intrapersonnelle du métier mais il s’insère aussi dans une dimension
interpersonnelle du métier par la construction de nouvelles pratiques ou organisations
collectives du service. Nous reviendrons sur la troisième dimension de l’apprentissage lors de
notre dernier chapitre
Pour certaines infirmières, cette recherche de « son » utilisation se réalise par un
système d’essais/erreurs : « Eh Bien, j'ai été à tâtons, j’ai fait plusieurs essais, j'ai essayé de
faire évoluer ma façon de faire. J'ai essayé de voir par rapport à la façon dont je
m'organisais dans les tâches de ma journée, comment je peux remplir ça sans que ce soit
compliqué. Comme on travaille en binôme, si on rentre trop d'informations quand on fait le
premier tour avec l’aide-soignante, du coup l’aide-soignante doit attendre. Donc il ne faut
pas que ça ait un impact non plus sur son travail. Donc moi j'ai essayé plusieurs façons de
52
faire, essayer de réfléchir par rapport à ça et puis maintenant j’ai trouvé ma façon de faire »
(Mme Roux). Chaque infirmière, grâce aux multiples possibilités offertes par le logiciel, peut
trouver des fonctionnements différents : « Après il y a des façons de faire différentes mais il
faut quand même que tout le monde mette les informations au même endroit pour qu'il y ait
une harmonisation dans la façon de faire. Si l'infirmière A met la diurèse du matin à tel
endroit et puis l’infirmière B dans une transmission ciblée et qu'une autre dans la feuille de
surveillance ça devient difficile. Il faut que l'on retrouve l'information au même endroit donc
on a harmonisé en faisant des réunions, en discutant, et puis moi personnellement j'avais
travaillé aussi pour savoir ce qui semblait le plus pertinent en discutant avec mes collègues. »
(Mme Roux). La dimension de l’échange interpersonnel permet d’harmoniser ces nouvelles
procédures au sein du service, voire au sein de l’institution avec les comités de référents DPI.
C’est un travail de réflexion qui s’était déjà réalisé pour le dossier papier mais qui s’était fait
progressivement, sur plusieurs décennies au fur et à mesure des innovations techniques ou des
évolutions réglementaires. Chaque service avait pu ensuite adapter certains documents aux
spécificités de leurs activités. Pour le DPI, ce travail d’harmonisation est imposé par le
logiciel lui-même qui propose un système basé sur des listes d’actes ou actions proposant une
multitude de possibilités pour intégrer l’information au dossier. Les infirmières se retrouvent
alors face à de nombreux chemins d’information différents qui complexifient leur
appropriation du logiciel, le travail d’adaptation du groupe est alors nécessaire pour ne plus se
perdre dans un dédale de possibilités.
Mais ce n’est pas là le seul travail que l’infirmière doit réaliser pour intégrer ce nouvel
outil à sa pratique. Le travail relationnel de l’infirmière avec les patients est aussi impacté par
cette évolution professionnelle.
3.3.2 Le trio soignant / soigné / ordinateur
Durant le déploiement et les débuts de l’utilisation du DPI, la relation de l’infirmière
avec le patient semble pâtir de ce nouvel arrivant dans la relation de prise en soin du patient.
Pour Mme Martin, « ça a créé une barrière en plus. Déjà je passe moins de temps avec le
patient et le fait d'être rivée sur mon ordinateur et bien c'est une barrière à la communication
avec mon patient. ». On comprend alors que Mme Martin se sent un peu plus éloignée encore
de ce qui, pour elle, est le cœur du métier, la relation soignant/soigné. Et parfois, ce sentiment
peut être démultiplié quand c’est le patient lui-même qui questionne la professionnalité de
53
l’infirmière comme nous le raconte Mme Martin : « Le patient : « Ah, l'infirmière, elle est
encore sur son ordinateur », ça je l'ai entendu …….. Ça touche ma personne, ça touche aussi
mon côté professionnel parce que si le patient dit ça, il considère que quand je suis sur
l'ordinateur, je ne suis pas dans sa prise en charge de soins, alors que ce n’est pas le cas, je
m’occupe quand même de lui quand je suis sur mon ordinateur. Et c'est plus dans ce sens-là,
je pense que le patient pense que, quand je suis sur l’ordinateur, je ne prends pas soin de
lui ».
Nous avons pu aussi entendre de la part des infirmières des questionnements quant à
leur qualité de communication avec les patients dans le sens où elles expriment la
problématique d’une focalisation de leur attention sur l’utilisation du système : « Ça peut être
un piège là aussi. C'est vrai que les premiers temps, on était tellement focalisé sur
l'ordinateur qu'on a perdu ce contact visuel avec le patient et ce relationnel. » (Mme Petit).
« On pose des questions et parfois on est devant l'écran à cliquer selon les réponses et donc il
faut faire attention à toujours être en communication avec le patient. » (Mme Thomas). Et
quand nous demandons à Mme Thomas comment elle procédait avec le dossier papier et si
elle l’utilisait pendant qu’elle discutait avec le patient, elle nous répond : « Oui il était là mais
souvent il était fermé. On intégrait, on enregistrait les renseignements et à la sortie de la
chambre, on remplissait le dossier papier mais là maintenant, l'ordinateur est dans la
chambre du patient.......c’est notre organisation, après il y a toutes les manipulations
informatiques qui peuvent perturber la mémorisation des informations c'est pour ça que je dis
que le temps d'appropriation de l'outil est important. ». Nous comprenons dans leurs discours
que cet « étranger », l’ordinateur, interfère dans une relation qu’elles veulent être simple et
sans artifice ou intermédiaire.
Enfin, cet ordinateur, pas sa présence physique, perturbe aussi leur positionnement vis-
à-vis du patient et donc la relation ne leur parait plus aussi « directe ». « Après ce qui est
difficile avec l’ordinateur, c’est que soit on se met face au patient et on est caché derrière
l’écran, soit on se met à côté de lui et on discute mais il peut voir le nom d’autre patient donc
il y a un problème de confidentialité. Moi c’est vrai que je ne sais pas toujours comment bien
me positionner avec l’ordinateur, entre l’ordinateur et le patient. Il y a une espèce de
triangulaire qui fait que, on ne sait pas trop comment se mettre. Tout à l’heure avec un
patient, je suis en train de valider son traitement et tout ça et puis je me rends compte qu’à
côté, il y a les fenêtres des autres, deux autres noms. ». Mme Renault semble ne pas savoir
encore comment se positionner pour garder une relation « directe » et sans intermédiaire avec
54
le patient sans pour autant mettre en jeu la confidentialité des dossiers des autres patients.
Nous avons bien saisi par ces différents témoignages la difficulté que cet ordinateur procure
par sa simple présence dans une relation de soins qui représente un élément essentiel du
travail infirmier. Mais son utilisation affecte aussi les relations des infirmières avec leurs
collègues.
3.3.3 Les relations et la communication entre collègues évoluent.
Lors de la réalisation de nos entretiens, nous nous sommes aussi intéressé aux relations
que les infirmières entretiennent avec leurs collègues infirmières, aides-soignantes ou
médecins depuis la mise en place du DPI. Une des premières évolutions à nous être signalé
par les infirmières interrogées, c’est l’implication plus forte des aides-soignantes dans le
remplissage du dossier du patient. Mme Renault constate « que pour certaines aides-
soignantes qui n’écrivaient pas avant dans nos cibles, finalement maintenant elle note des
petites choses, un peu plus, qu’elle constate que ce soit sur l’état cutané du patient, des
choses comme ça, ou bien quelques fois, elles vont nous dire qu’elles ont constatées tel ou tel
truc : « eh bien, écrit-le », elles le font, alors qu’elles ne le faisaient pas par écrit avant. Pour
ça c’est bien, il y a peut-être un peu de leur part aussi au niveau des aides-soignantes, plus de
traçabilité dans le diagramme de soins, au niveau nursing et tout ça, c’est davantage fait je
trouve. ». Et Mme Roux d’enchérir : « Après moi comme je l'ai dit, pour les aides-soignantes
je trouve qu'elles s'approprient plus le dossier qu'auparavant. Du coup ça c’est bien parce
que les entrées on ne les faisait quasiment pas en binôme mais maintenant c'est tout de suite
on le fait en binôme, l'aide-soignante va rentrer ce qui est informations dans le logiciel et puis
nous on va faire plus les soins, poser notre perfusion, faire l’ECG, les soins techniques et puis
on les rentre après. Donc pour les entrées, oui, je trouve qu'il y a plus de travail en binôme.
Et même pas que pour les entrées, je trouve que les aides-soignantes s’approprient plus le
dossier qu'elles ne pouvaient le faire auparavant. ». Cette notion de l’implication des aides-
soignantes dans le travail de remplissage du dossier de soins semble être valorisée par les
infirmières qui y voient une reconfiguration du travail en binôme auprès du patient permettant
à chacune d’être plus à l’écoute et en relation avec le patient.
Les relations entre les infirmières ont aussi évolué avec l’utilisation du DPI. Le moment
des transmissions écrites dans le dossier, généralement fait en fin de matinée ou d’après-midi
est devenu pour certaines un moment de travail solitaire : «ça nous a peut-être éloigné aussi
55
comme je le disais tout à l'heure parce qu’on se retrouve toutes face à nos ordinateurs dans
notre bureau au moment des transmissions, dans notre bulle et donc je pense que ça nous a
un petit peu éloigné ». « Le dossier papier, on avait le classeur qui était ouvert et si on
parlait, je suivais ce qui se passait alors que là, avec l’ordinateur, il faut qu’on soit concentré
sur l'ordinateur et je ne peux pas taper sans regarder » (Mme Dupond). Mais nous avons
aussi pu comprendre que ces transmissions écrites n’étaient pas aussi utilisées que ça par les
infirmières lors des périodes de transmissions orales au changement d’équipe du fait de la
complexité du logiciel pour retrouver toutes les informations concernant le patient : « Avant
on prenait facilement le dossier de soins et on lisait les informations, les antécédents et tout
ça mais maintenant, j’ai l’impression que les gens, certaines personnes sont peut-être un peu
plus réticentes à ouvrir le dossier, à aller chercher dans le dossier patient la note du médecin
qui décrit les antécédents, les modes de vie du patient et les choses comme ça et du coup je
pense que dans les transmissions, on ne relit pas forcément ce qu’on a écrit. C’est-à-dire que
les collègues qui étaient là le matin par exemple, quand elles me font les transmissions pour
l’après-midi, elles ne vont pas revoir les transmissions qu’elles ont faites, elles font ça de
tête. » (Mme Dupond). Il peut alors se poser la question de la qualité et de l’exhaustivité des
informations échangées lors de ces transmissions.
Pour Mme Laurent (CSDS)52
, la problématique entourant les transmissions est tout
autre : « On voit bien quand on a informatisé les transmissions ciblées, la problématique ce
n’est pas l’outil du logiciel, c'est le contenu qu'il faut travailler. On va dire : «
informatiquement on va perdre par ce que on va perdre en volume » mais j'ai dit : « ce n’est
pas grave que l'on perde en volume si on gagne en pertinence ». Le problème c'est que quand
on écrit des romans de transmission ciblée, ce n'est plus pertinent. ». Elle nous explique par
son propos ses questionnements quant à la façon dont sont produites les transmissions ciblées
et transmises les informations oralement aux infirmières : « Moi, honnêtement, ça reste très
personnel mais je pense qu'on pourrait se passer de transmission sur les problématiques du
patient, elles sont écrites, je les lis, si c'est pour me relire les transmissions qui sont écrites
qu'on leur fait une transmission orale, je me demande quelle est la pertinence de la chose. Je
sais lire, je peux lire les transmissions écrites et je n’ai pas besoin qu'on me les lise. Oui, on
pourra s'en passer dans la prise en charge de patients. Ce dont on ne peut pas se passer, c’est
de l’échange oral et c'est là qu’il faut faire la différence. Si c’est pour lire ce que l’on a écrit,
on peut s’en passer, par contre si c'est effectivement utiliser ce petit temps qui se réduit, on ne
52
CSDS : cadre supérieur de santé
56
peut pas enlever les relais, c’est ce qu’ils ont fait sur les douze heures, ils ont retiré ce temps
de relais mais informellement, il existe parce qu’en tant qu'individu, on a besoin d'échanger
mais le problème c'est que on devrait plutôt se poser sur le problématique, échanger sur la
problématique. Si c'est juste pour dire la problématique ou les informations qui sont
présentes dans dossier, l'infirmier de relève peut les lire. » (Mme Laurent). Pour Mme
Laurent, les infirmières devraient profiter de cette évolution du dossier patient pour travailler
la qualité et la pertinence de leurs transmissions ciblées afin de pouvoir récupérer ce temps de
transmission pour échanger sur les éléments périphériques aux patients et sur le métier et
ainsi, travailler la dimension interpersonnelle du métier.
Enfin, un des effets de l’hyper-accessibilité de l’information depuis (presque) n’importe
quel poste informatique de l’hôpital, c’est que les médecins peuvent consulter et intervenir sur
le dossier du patient à tout moment. Auparavant, les infirmières avaient quelques
« indicateurs » d’une éventuelle modification des prescriptions dans le dossier d’un patient car
elles voyaient le médecin prendre le dossier et donc elles surveillaient le retour du dossier
pour faire un contrôle de son contenu. « Alors ça, on l'a ressenti du coup. Il y avait moins de
relations médico-soignantes, ça été relevé assez rapidement. L'explication, c’est que du coup
maintenant ils peuvent prescrire à distance, donc ils sont au staff, ils peuvent prescrire
quelque chose et nous on revient et on n’est pas au courant ». (Mr Richard). Cette situation
de non-connaissance d’une nouvelle information dans le dossier de soin provoque chez les
infirmières une certaine insécurité, la peur de passer à côté de l’information ou de la découvrir
trop tard et que l’action soit réalisée tardivement ou qu’elle se retrouve à la charge de
l’infirmière de relève. « Sur certains aspects, au niveau de la communication entre les
personnes, on se rend compte qu'un médecin peut très bien faire sa visite tout seul, faire ses
prescriptions, faire son observation sans venir nous voir, sans retransmettre une information
parce qu'il se dit qu'en fait l'infirmière peut voir tout ce qu'il fait. Donc on a perdu au niveau
relationnel, c'est le piège en fait, on essaie de ne pas tomber dedans mais on n'est plus obligé
entre guillemets de se parler » (Mme Petit). Cela obligeait les infirmières à retourner
régulièrement sur chaque dossier pour consulter d’éventuelles modifications des prescriptions
en générant une forme de stress supplémentaire.
Au travers de tous ces témoignages, nous comprenons que l’utilisation de ce DPI
modifie les relations, la communication et l’organisation des infirmières avec les patients et
leurs collègues. Pour pallier ces changements, certaines ont mis en place des stratégies
d’adaptation.
57
3.3.4 Des stratégies d’adaptation
La mise en place du DPI et donc l’utilisation d’un outil contenant toutes les
informations concernant le patient, était censée permettre le passage des services de soins vers
le « zéro papier ». Mais face à un logiciel que les infirmières ne trouvent pas forcément adapté
à leurs pratiques, certaines stratégies d’adaptation se sont mises en place allant à l’encontre
des injonctions des tutelles de synchronisation et de traçabilité de l’activité dans un dossier
patient unique et exhaustif. « Après on a toujours à côté une feuille cartonnée qui fait un petit
peu un résumé, c’est ça qu’on a pas dans ce logiciel d'ailleurs, c’est qu'on n'a pas d'endroit
où il y a un résumé du patient avec le motif d'entrée, ses antécédents, ce qu'il a en court
comme traitement, s'il a des allergies, son régime, son poids, enfin voilà, un résumé, un
condensé..........Si on doit le voir sur l'ordinateur et bien pour voir toutes les informations, ça
va nous prendre beaucoup plus de temps et sur l’ordinateur, il n’y a pas d’endroit qui peut
remplacer cette feuille-là » (Mme Roux). Le logiciel ne pouvant permettre de faire apparaître
sur un seul visuel l’ensemble des informations utiles pour les infirmières lors de leurs
transmissions, elles ont maintenu des fiches, des « petits papiers » qui existaient déjà avec le
dossier patient papier. Pour Mme Thomas, « un support de transmission qui n'est pas
institutionnel on va dire. ……Pour nous rassurer je pense et pour avoir quelque chose de plus
accessible et plus vite. Déjà on a peu de temps de transmission, on n’a pas envie de faire
d’heures supplémentaires parce qu’on en fait déjà souvent et que cliquer pour aller sur
chaque patient et recliquer parce que les informations ne sont pas accessibles sur une seule et
même page, c’est pénible ». Pour Xavier Berbain et Etienne Minvielle, la difficulté
d’utilisation de l’outil informatique et donc les lenteurs générées peuvent aussi « engendrer
une crainte qui pousse les utilisateurs à entretenir un double système de gestion de
l'information : l'un par l'informatique, l'autre par le papier. Cette situation a l'effet pervers de
ralentir l'activité en obligeant les acteurs à gérer deux systèmes avec une double saisie, l'une
manuscrite et l'autre informatique ». (Berbain, Minvielle, 2001, p.88)
Ce travail de retranscription « invisible » est un travail permettant aux infirmières de
donner du sens à leurs pratiques ou leur activités, pour elles ou pour l’équipe comme nous
l’explique mesdames Mayère53
, Bazet54
et Roux55
: « Dès lors, le travail invisible consiste à
53
Anne Mayère, professeure en sciences de l’information et de la communication, université Toulouse 3 54
Isabelle Bazet, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, université
Toulouse 3
58
réinscrire ces histoires, ces durées et ces trajectoires, à pointer les événements significatifs qui
en ponctuent leur déroulement, alors que le système informatisé lisse l’ensemble des
enregistrements en un flot sans faits saillants. Une autre caractéristique importante de ce
travail invisible tient à ce qu’il imbrique étroitement travail individuel et travail collectif, au
sens où ce qui est écrit l’est soit d’emblée pour d’autres, soit pour soi de façon à pouvoir en
faire état à d’autres que soi. C’est dire que ce travail invisible est un travail collectif de
construction de sens, alors que la conception du système informatisé pensait la question du
sens pré-résolue par le statut attribué aux« données » » (Mazière, Bazet, Roux, 2012, p.133).
Nous pourrions penser que cette stratégie ne serait que provisoire, le temps de s’approprier un
peu plus le logiciel, mais Mme Laurent (CSDS) confirme que huit ans après, ils sont toujours
là : « Je ne voudrais pas les voir mais si, il y en a parce qu’elles s'en servent pour elles. Ce
qu’on ne voit plus, je pense mais je ne suis pas toujours dans les services, mais je crois que ce
qu'on ne voit plus, c'est un recopiage de ce que j'ai à faire. Ça, je pense que nous avec le
logiciel qu'on a, on a réussi à ne pas avoir ce type de recopiage par les équipes soignantes.
….. Par contre la transmission globale, et c'est parce que le logiciel ne le fait pas très bien,
mais la transmission globale, l'infirmière a son secteur, ce qu'elle a besoin c'est une vision de
tout son secteur et en face des annotations que j'appelle « annotations pense-bête » c'est-à-
dire que sa collègue lui fait des transmissions orales, effectivement elles pourraient aller
relire toutes les transmissions ciblées mais elles s’annotent des choses. Donc il y a des
services qui ont développé des outils presque informatiques, qui se sont faits un tableau et qui
sert à toutes les infirmières les unes après les autres ce qui n'est pas idiot, comme ça elles
n’ont pas à le refaire mais oui, ça on en a encore ». Selon Mme Laurent, il apparaît que les
éditeurs sont intéressés, pour des questions financières, par le développement du logiciel pour
des problématiques concernant l’organisation médicale mais pas pour les problématiques
soignantes.
Le logiciel de DPI est un outil de concentration de toutes les informations concernant le
patient, il pourrait donc être possible de se dire que le temps de transmission orale entre les
équipes de soignantes ne soit plus réalisé. Pour les infirmières interrogées, cela n’est pas
possible : « Je pense que c'est important (les transmissions orales) encore parce que ça
permet d'échanger déjà, après les informations qu'on dit à l’oral, on peut retrouver
globalement ce que l’on met dans les transmissions écrites mais comme avant quoi. Après les
55
Angélique Roux, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, université
Toulouse 3
59
transmissions orales, ça permet d'avoir un échange aussi sur notre patient, sur son suivi.
Maintenant avec l'ordinateur, on n’étaye pas donc là ça permet de pouvoir étayer des
informations écrites donc c'est plus complet avec les informations orales. » (Mme Roux).
Pour elles, ce temps permet d’étayer l’histoire du patient avec des éléments qui n’ont pas
forcément besoin de se retrouver dans le dossier : « Je pense que c'est vraiment une tradition
soignante, enfin de l'hôpital en général. C'est vrai que c'est peut-être le moment où l'on peut
formaliser ou dire à l'oral des choses qu'on n’écrit pas forcement, sur un ressenti, plus de
notre ressenti infirmier par exemple : « la famille est venue, ça ne s'est pas trop bien passé »
mais on ne note pas forcement dans le dossier. C’est vraiment des choses qu'on peut se dire à
l'oral. Parce qu'il y a des choses peut-être qu’il n’est pas forcément nécessaire de noter, mais
que les collègues peuvent savoir par exemple : « l'épouse est venue, elle a pleuré dans le
couloir parce que la situation est difficile.», on ne met pas forcement ça dans le dossier ».
(Mme Dubois). Ou bien, l’oral peut permettre d’exprimer des hypothèses : « Ça dépend parce
que parfois on n’est pas sûr de nous, parce que parfois on émet des hypothèses sur lesquelles
on n’est pas forcément d'accord, on n’a pas grand-chose sur lequel s'appuyer pour étayer
cette hypothèse et ce sont des ressentis qui peuvent être pris comme du jugement ou des
choses comme ça peut-être. Mais simplement je pense qu'on perdrait dans le métier infirmier,
dans la clinique de perception des choses importantes. Je pense. » (Mme Dupont). Ces
moments semblent être essentiels pour permettre aux infirmières de prendre en soin le patient
dans sa globalité, donc avec les éléments extérieurs à la maladie et aux soins, et ainsi raconter
l’histoire du patient. Pour Mesdames Mayère, Bazet et Roux, les logiciels de dossier patient
informatique permettant de traiter l’information « comme un process linéaire dans lequel
chaque nouvelle saisie s’ajouterait aux précédentes comme autant d’items successifs et
d’instants juxtaposés. Les soins sont modélisés comme une liste d’actions successives, le
patient étant figuré en entrée et en sortie du process, sans boucles de rétroaction entre actions,
entre domaines d’intervention, et avec les patients et leur entourage » (Marrast, cité par
Mayère, Bazet et Roux, 2012, p.123). Mais cette vue linéaire de la maladie et des activités de
soins, représentée par une liste d’actions, ne peut permettre d’expliciter toute la complexité
d’une prise en soins « soumise par excellence aux aléas, aux imprévus » (id. p.122) et qui
selon les auteurs ressemble plus à un « récit » pour lequel « les écrits illégaux » permettent de
combler les manques de précision du logiciel. L’oral, quant à lui, sert d’explicitation à ces
écrits pour les rendre moins laconiques et éviter les problèmes de subjectivité de la personne
qui écrit et d’interprétation de la personne qui lit. (Grosjean, Lacoste, 1998).
60
Enfin, la dernière stratégie mise en place par les infirmières face aux modifications
provoquées par l’utilisation du DPI, n’est en fait que l’organisation d’un temps de
communication et d’échange médico-soignant. Mme Petit nous avait expliqué que les
médecins pouvaient prescrire sans qu’elle n’en sache rien ce qui l’obligeait à une attention
importante sur chacun des dossiers de patients dont elle s’occupait : « Donc il faut être
vigilant parce qu'on n'est pas toujours à regarder ce qui est écrit et puis il y a des infos qui
peuvent se perdre là aussi ou bien des priorités. Si on me prescrit un bilan en urgence, je
préfère qu'on vienne me le dire et voilà, je le fais tout de suite parce que je peux être à faire
autre chose, j’avance dans mes soins et je ne suis pas forcement à regarder si j'ai eu une
prescription urgente. S’il y a des choses urgentes, je préfère que le médecin vienne me voir et
me le disent. Donc on essaie de faire un point avec les internes avant qu'ils ne partent manger
le midi pour voir s'ils n'ont pas eu des infos entre-temps. C’est une dérive qu’on a eu au début
et qu'on peut avoir encore de temps en temps, de moins se parler entre guillemets, c'est un
peu dommage. ». Cette perte de relation avec les médecins du service est aussi une
problématique importante pour les infirmières. Elles ont besoin d’échanger avec les
prescripteurs afin de pouvoir donner du sens aux prescriptions qui leur sont faites par les
médecins : « Parce que parfois, on a besoin de faire les liens quand il y a un examen qui
apparaît, ça nous permet de discuter, de pouvoir poser nos questions…. on ne va pas
forcément les voir toute la matinée dès qu’il y a une information mais ils viennent faire un
petit échange en fin de matinée, on a les transmissions avec eux en début de matinée et puis
en fin de matinée ou début d'après-midi, ils viennent nous voir pour transmettre des
informations. » (Mme Dubois). Enfin, ces échanges avec les médecins permettent aux
infirmières de se rassurer sur la compréhension qu’elles ont des prescriptions comme nous
l’explique Mr Robert : « c'est important aussi de favoriser les échanges oraux avec le
médecin qui lui, a une part importante aussi dans le logiciel au niveau des prescriptions donc
on a essayé de mettre en place des temps de convergence orale avec l'outil informatique pour
ne pas avoir besoin tout le temps de revenir dessus et de se poser 10000 questions sur les
prescriptions et re-balayer toutes les prescriptions ensemble afin d'écarter toutes les
questions ». Ces moments de convergences médico-soignantes permettent aux infirmières de
diminuer un peu l’insécurité de l’activité dans un métier où l’inattendu est très présent étant
données les évolutions parfois imprévisibles de la maladie.
61
3.4 Des visions différentes de l’outil
Tout au long des entretiens que nous avons réalisés, les infirmières nous ont décrit la
façon dont elles réalisaient leurs activités. Nous avons pu ressortir de tous ces matériaux deux
typologies de professionnels face aux changements provoqués par le DPI. Pour nommer ces
deux catégories, nous empruntons à Alain Paul Martin, expert dans la négociation raisonnée et
dans la gestion des grands risques et enseignant universitaire aux Etats-Unis et au Canada, le
terme de gestion proactive56
. Ainsi nous pouvons nommer deux groupes de professionnels :
les conformistes et les proactifs.
3.4.1 Les conformistes
Dans la notion de conformiste, nous entendons par là une personne qui se conforme
passivement aux usages établis, aux traditions (définition CNRTL). Une partie des
professionnels interrogés nous ont expliqué avoir intégré le logiciel du DPI dans leurs
pratiques en réalisant les actions attendues sans réellement chercher à faire de cet outil une
opportunité pour essayer de rapprocher l’activité de leur idéal de métier. Pour certains, l’outil
doit s’adapter à la pratique des professionnels comme pour Mme Dupond : « Disons qu'il y a
eu des adaptations au début, j'ai un peu tâtonné mais très rapidement avec l'équipe, on s'est
dit que c'est le logiciel qui devait s'adapter à notre pratique et pas l'inverse. C'est-à-dire
qu’au départ, la solution de facilité, c'est de se dire que nous on va changer et on va faire
comme ça et plus comme ça, ce sera plus facile avec l'informatique. En fait, nous, on ne s’y
retrouve pas là-dedans et notre organisation c'est un peu notre repère, je pense que le fait de
garder notre organisation et de rajouter juste l'informatique par-dessus et donc de faire avec
l'informatique en gardant son organisation de base, c’est ce qu'il y a de plus judicieux et c'est
comme ça que l’on va pouvoir garder nos repères. ». La volonté affichée est de maintenir
l’organisation existante sans se demander si cette organisation ne pourrait pas y gagner à
évoluer avec le déploiement du DPI. Nous pouvons peut-être évoquer ici la problématique de
la formation à un outil important dans l’activité, voire également la qualité de cette formation.
Les infirmières interrogées ont toutes bénéficié d’une formation et plusieurs d’entre-elles nous
ont exprimé la faiblesse à leur yeux de cette formation : « Après on est toutes allées en
formation de quatre heures, ça nous a paru être un truc assez compliqué et puis on s’est dit :
56
Gestion proactive : gestion qui anticipe les résultats à fournir à un problème donné.
62
« on verra bien sur le tas ». C’est-à-dire que cette première formation qu’on a eue, n’était
pas du tout en adéquation avec ce qu’on a, ce qui s’est passé dans le service……. On nous a
envoyé vers des trucs qu’on n’avait pas utilisés et c’était pas du tout, ce n’était pas bien
pratico-pratique donc aucun intérêt. On s’est plus débrouillé sur le tas. En plus c’était une
perte de temps, un coût pour l’hôpital je pense. » (Mme Renault). Pour Mr Berbain et
Minvielle, cela peut s’expliquer par le fait que « Les formations étant souvent dispensées par
les distributeurs des logiciels, ceux-ci intègrent rarement des modules simples de
compréhension des systèmes. Ces formations sont principalement orientées sur la découverte
des fonctionnalités et oublient trop souvent qu'elles s'adressent à un public néophyte »
(Berbain, Minvielle, op. cit., p.95). Nous comprenons par-là que la formation doit être adaptée
à son public et aussi être régulière pour que chaque professionnel soit en mesure de se
réinterroger sur son utilisation du logiciel comme nous l’explique Mme Laurent (CSDS) :
« Alors j’ai mis en place depuis le départ des ateliers DSI. Ces ateliers ont lieu une fois par
mois, il dure 1h30 et donc les soignants, que ce soient les nouveaux ou les anciens, viennent
sur inscription en passant par leur cadre, ils viennent et moi je réponds à leurs questions. Ils
sont dans une salle équipée d’ordinateurs avec le logiciel DPI et s’ils me disent : « moi, je ne
suis pas à l’aise sur la planification d’une perfusion » on fait en temps réel une simulation de
l'utilisation du logiciel. Les nouveaux agents n’ont pas de formation à l'arrivée, ils ont accès
en ligne à la documentation de formation, ce sont les équipes avec lesquelles ils travaillent
qui les forment. Par contre s’ils ne sont pas à l’aise, ils peuvent venir à l’atelier qui suit dans
le mois où ils arrivent. Mais en fait, c'est un peu à leur demande, on ne peut pas les sortir des
services pour les former spécifiquement au logiciel. Ça, c’est le rôle du cadre et des équipes
des services de former les nouveaux arrivants. ». La formation régulière, que ce soit par des
temps de formations institutionnelles ou par de la formation informelle avec les échanges dans
les équipes soignantes, semble être un moyen important de faire évoluer les positions des
professionnels quant au métier. Au final, cet aspect « formation » est essentiel pour que les
infirmières puissent faire bouger leurs représentations du métier pour pouvoir passer d’un rôle
d’acteur « réactif » (action faite en réaction à une sollicitation, le DPI) à un rôle d’acteur
« proactif »
3.4.2 Les proactifs
Quand nous utilisons le terme de proactif, nous l’entendons dans le sens qu’il désigne
une personne entreprenante, qui prend des initiatives, qui agit de lui-même sans attendre
63
d’avoir une instruction ou une demande57
. Dans le cadre de notre recherche, nous voyons dans
ce qualificatif le moyen de louer les capacités professionnelles de certaines infirmières qui ont
vu dans le DPI une ressource leur permettant d’essayer de faire que leurs activités se
rapprochent de leur idéal de métier. Certaines y ont vu le moyen de pouvoir reprendre du
temps d’échange et de relationnel avec le patient comme Mme Dubois : « je suis revenue à la
relation que j'avais avant et j'ai même envie de dire qu’on gagne un peu de temps avec ce
dossier et donc j'ai retrouvé un petit peu de temps auprès du patient pour pouvoir vraiment
prendre le temps de parler un petit peu ». Elle a su adapter son utilisation de l’outil pour
gagner ce temps de communication en tête à tête avec le patient : « Alors mon ordinateur
reste toujours à l’extérieur de la chambre, je ne le rentre pas. Parce que je trouve que quand
on rentre avec, souvent on se trouve derrière l’écran, on regarde le patient par-dessus et il y
a un problème de communication. Je n'ai pas envie de toujours être derrière mon écran donc
je prépare tous mes soins à l’extérieur, je rentre dans la chambre et comme ça je suis
vraiment là pour le patient et pas à noter des choses. Je fais mon soin, je pars, je ressors et là
je vais noter les informations dans le dossier ». Et quand nous lui demandons comment se
comporte ses collègues, elle nous dit : « il y en a plein qui disent ; « on est toujours sur
l'ordinateur, on voit plus le patient. » Après, j'ai envie de dire, c'est sa pratique propre et c'est
sûr que si j'ai envie d’être toujours sur l’ordinateur, je serai toujours sur l’ordinateur. Si je
ne m'accorde pas le temps d'aller auprès du patient et bien je serais sur mon ordinateur.
Après chacune a sa façon de faire et j'ai envie de dire que c’est peut-être qu’elles n’ont pas la
bonne utilisation de l’outil en fait ». Alors, elle nous explique que ses collègues faisaient
comme elle avec le dossier patient papier, ce à quoi nous lui demandons si elle sait pourquoi
elles ont changé leur façon de faire : « Oui, je ne sais pas pourquoi maintenant elle rentre
avec. Après peut-être que ça a été vu avec l'hygiène et puis le circuit du médicament, que
c'était pas mal de rentrer l'ordinateur, comme ça on est au pied du patient pour donner les
médicaments mais bon quand on est devant la porte, je ne vois pas trop de différence.
Certaines veulent respecter ce qui est dit et donc moi j'adapte un peu vis-à-vis des consignes
données ». Nous comprenons clairement ici que Mme Dubois, malgré les injonctions
institutionnelles, a su organiser son activité avec le DPI pour pouvoir maximiser la qualité de
ses interactions avec les patients.
Certaines infirmières cherchent aussi à faire évoluer leurs pratiques comme Mme Petit
qui a décidé de ne plus utiliser les « petits papiers » pense-bêtes : « C'est plus compliqué d’où
57
Définition issue du site Reverso Dictionnaire, http://dictionnaire.reverso.net/francais-definition/proactif
64
le fait que ces petites fiches cartons soient restées et sont encore là, des petites fiches que moi
je ne regarde plus mais parce que j'ai essayé de trouver des solutions sur le DPI pour avoir
ces mêmes infos et c'est pour ça que je vais sur le plan patient pour avoir justement les
examens et avoir une vision à la journée sur les examens ou sur la semaine mais on n'a pas
une vue synthétique de tous ces éléments-là et il faut ouvrir plein de petites choses à droite et
à gauche et c'est vrai que c'est difficile de passer d’un support à un autre et j’ai des collègues
qui ont beaucoup de mal…… il faut s'y habituer, petit à petit on trouve des astuces mais ça
demande un effort, il faut aller chercher……… Je pense que les fiches, c'est une béquille qu'il
faut enlevé enfin qu'on aurait dû enlever depuis longtemps mais tant qu'il y a une solution, on
ne va pas en chercher une autre et donc pour moi c'est pour ça que je ne la regarde plus et je
me suis obligée à trouver dans le logiciel une autre façon de faire ». Elle nous démontre par-
là son intentionnalité et sa « proactivité » dans son utilisation de l’outil en cherchant à
améliorer ses pratiques mais aussi à faire progresser ce DPI : « Après, j'essaie de contacter
quand j'ai un souci, l'équipe du dépannage informatique, qui me passe l’équipe du fabricant.
Ou bien je fais des mails ou des FEI quand j’ai un souci pour faire remonter un petit peu les
difficultés du terrain et essayer d'apporter des améliorations. C'est arrivé plusieurs fois et on
a réussi à obtenir des petites choses qui nous simplifient quand même le travail ». Dans une
partie précédente de notre travail, nous avons évoqué les dimensions de l’apprentissage des
outils informatiques selon Xavier Berbain et Etienne Minvielle. Les deux premiers niveaux,
« l’apprentissage technique » et « l’apprentissage gestionnaire » sont indispensables pour
pouvoir atteindre le dernier niveau de l’apprentissage qui est l’apprentissage organisationnel :
« la dernière dimension dépasse l'individu et la maîtrise d'activités ciblées pour comprendre
comment l'organisation elle-même peut évoluer pour profiter des améliorations dont est
porteuse l'informatique de gestion. L'apprentissage est alors organisationnel. Comme nous
allons le montrer, ces trois dimensions constituent différents niveaux d'une même démarche. »
(id. p.94) Cet apprentissage gestionnaire doit permettre aux professionnels de mettre en place
de nouvelles pratiques pour développer ou améliorer les processus de travail en incluant
l’outil informatique avec ses gains potentiels, ce qu’expriment Mme Petit : « Par rapport au
dossier informatisé, comme je le disais tout à l'heure pour les outils de communication dans
la vie personnelle, et bien là aussi c'est un outil comme un autre après à nous d'apprendre à
s'en servir, d'être un petit peu curieux pour aller chercher les astuces, pour mieux l'utiliser au
quotidien. Et voilà, comme tout outil ce n'est pas miraculeux mais il faut savoir l'utiliser
correctement et s'adapter. ». Il faut une certaine intentionnalité et de l’adaptabilité pour
progresser et construire une nouvelle évolution de son métier.
65
CONCLUSION :
Les institutions hospitalières ont vu depuis une quarantaine d’années de nombreuses
réformes bouleverser leurs organisations en réponses à des demandes sociétales croissantes en
matière de santé mais aussi sous la contrainte d’une situation financière moins florissante. Les
attentes des usagers sont de plus en plus importantes, les prises en charges des patients sont de
plus en plus complexes et coûteuses mais les moyens de l’Etat ne sont pas inépuisables, bien
au contraire. Les différentes réformes qui se sont succédées dans le monde hospitalier ont eu
pour but de mieux adapter les offres de soins aux besoins de la population mais aussi
d’apporter une plus grande performance économique aux établissements dont les ressources
financières sont fortement contraintes.
De leur côté, les infirmières ont vu aussi fortement évoluer leur métier durant cette
même période : leur rôle propre est reconnu à la fin des années 70, leur formation est
réorganisée en 1992 avant la réingénierie de 2009 l’intégrant dans un cursus de licence-
master-doctorat. Un Ordre infirmier est institué en 2006 qui permettra d’élaborer un code de
déontologie rapprochant un peu plus ce métier d’une profession au sens sociologique. Leur
exercice professionnel évolue aussi dans le même temps, caractérisé par des gestes techniques
et des procédures thérapeutiques qui deviennent de plus en plus complexes. Les organisations
des services sont mises à rude épreuve dans un contexte de tension financière permanente. Le
patient, quant à lui, est reconnu comme un acteur essentiel dans la démarche de soin et ses
droits fondamentaux sont institués par la loi Kouchner en 2002. L’ensemble de ces
changements s’accompagne d’une difficulté pour les infirmières à donner du sens à leur
travail.
Parallèlement, un élément essentiel dans le suivi médical et paramédical va voir son
importance augmenter de façon exponentielle que ce soit par son utilité dans la prise en soin
pluridisciplinaire du patient ou bien par la charge de travail supplémentaire qu’il nécessite de
la part des professionnels hospitaliers : c’est le dossier du patient. Son cadre légal va être
constitué à partir de la fin des années 70 et son contenu ne cessera de croître durant les 30
années qui suivront pour en faire le reflet unique et le plus exhaustif possible de tous les
évènements survenus durant l’hospitalisation d’un patient. Enfin, de par son importance dans
les organisations hospitalières, il est aussi devenu un point de contrôle et de suivi primordial
pour les tutelles des établissements de santé.
66
Les institutions, dans ce contexte de forte pression économique, voient alors dans
l’informatisation du dossier patient un moyen d’améliorer leur performance générale et plus
particulièrement la qualité des soins et la gestion économique de l’établissement. Le DPI est
un outil permettant une homogénéisation des pratiques, une meilleure traçabilité, mais aussi
une rationalisation des activités par un suivi au plus près de la production des activités de
soins. Le DPI est aussi un moyen de réorganisation de l’offre de soins pour permettre la
circulation des informations entre les structures et ainsi améliorer le développement du
parcours de soins. Pour les infirmières, ce nouvel outil de travail est vu à la fois comme un
gain potentiel en termes de temps et d’accessibilité de l’information, mais aussi comme un
« corps étranger » dans un métier technique et relationnel où le travail, de plus en plus centré
sur la réalisation de la tâche, les éloigne de leur idéal de métier.
Notre recherche s’appliquait donc à essayer de comprendre comment les infirmières
peuvent intégrer à leur métier un nouvel outil qui vient contraindre leur exercice professionnel
par une autonomie diminuée du fait d’un travail formaté, d’une augmentation des
responsabilités avec une traçabilité accrue et une perturbation de leurs activités relationnelles
avec le patient et leurs collègues.
La méthode compréhensive que nous avons adoptée pour réaliser ce travail de recherche
nous a permis de mieux comprendre en quoi l’outil DPI est source de difficultés pour les
infirmières. L’utilisation purement technique de l’outil informatique et du logiciel n’est pas
une activité innée. Sa présence dans les moments de relation avec le patient semble
compliquer la communication et les relations entre professionnels se voient modifier par cette
nouvelle disponibilité de l’information. Dans ce contexte, certaines infirmières rencontrées
nous ont expliqué avoir mis en place des procédés palliatifs en maintenant une grande
utilisation de l’oral comme complément à une information numérique censée être exhaustive
et en gardant « les petits papiers » dans les poches ou sur les chariots afin d’y annoter les
informations leur semblant essentielles. D’autres infirmières nous ont, quant à elles, parlé de
leurs intérêts à faire du DPI un facteur d’amélioration de leur pratique afin de pouvoir se
rapprocher de leur cœur de métier. C’est ainsi que nous avons défini une double typologie des
utilisateurs du DPI. Il y a d’un côté les « conformistes » qui utilisent le DPI comme il est
attendu sans chercher d’avantage de gain et de l’autre côté, il y a les « proactifs » qui font
preuve d’initiatives dans l’utilisation de cet outil pour faire évoluer leur métier.
67
Ainsi, nous avons pu comprendre au terme de ce travail que pour que le DPI, « corps
étranger » au métier relationnel de soignant, soit assimilé par le corps professionnel infirmier,
il faut une certaine intentionnalité à faire évoluer ses pratiques et bouger ses représentations
du métier. Pour Xavier Berbain et Etienne Minvielle, « il y a construction, innovation, au sens
où l'utilisateur adapte son utilisation de l'informatique en fonction des objectifs qu'il poursuit
dans son travail et de la valeur d'usage qu'il accorde à l'informatique pour atteindre ces
objectifs. » (id. p.103) Une question se pose alors quant à la valeur d’usage que les infirmières
donnent au DPI et les moyens dont elles disposent pour découvrir cette valeur. La formation
sur le DPI, sur laquelle les infirmières ont été assez critiques, ne devrait-elle pas permettre aux
professionnels d’apprendre plus que les fonctionnalités pures du logiciel ? Ne devrait-elle pas
aider les acteurs à construire le sens qu’ils donnent à l’action autant que construire l’action
elle-même ? Ces nouvelles pratiques se construisant aussi dans la réalité de l’action et donc
sur le long cours, qu’en est-il de la construction collective du métier par les échanges
professionnels et les retours d’expériences ? Autant de questions qui ouvrent la voie à de
nouveaux axes de réflexion et d’étude possibles.
68
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numerique/Hopital-Numerique
I
ANNEXES
II
ANNEXE I : Guide d’entretien définitif : infirmière
Date de l’entretien :
Lieu de l’entretien :
Bonjour, je me présente, je m’appelle Dimitri BRILLAUD et je suis étudiant cadre de santé à
l’IFCS de Nantes.
Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour le temps que vous m’accorder pour la réalisation
de cet entretien. Dans le cadre de mes études, je réalise un travail personnel de recherche
sociologique dont le thème général est le dossier patient informatisé.
Je souhaiterais que vous puissiez vous exprimez le plus librement possible, il n’y a ni bonne,
ni mauvaise réponse.
Si vous le permettez, je vais réaliser un enregistrement de notre discussion et prendre des
notes afin de pouvoir faciliter mon travail d’analyse a postériori. Bien sûr, je vous garantis
l’anonymat et la confidentialité de nos échanges.
Avez-vous des questions au sujet de l’entretien ?
1er
Thème : Présentation de la personne avec son déroulé de carrière.
1-Pouvez-vous vous présentez et me parlez de votre parcours professionnel ?
2-Pouvez-vous me présenter le service au sein duquel vous travaillez ?
2ème
Thème : L’idéal du métier.
3-Pouvez-vous m’expliquer les raisons qui vous ont amené à devenir infirmière ?
4-Quelles sont pour vous les activités les plus représentatives du métier d’infirmière ?
5-Aujourd’hui, qu’est-ce qui fait que votre métier vous plait ?
6-Qu’est-ce qui, dans votre activité professionnelle, fait que vous puissiez-vous dire en
rentrant chez vous que la journée a été bonne ?
6bis- Qu’est-ce qui, dans votre activité professionnelle, fait que vous puissiez-vous dire en
rentrant chez vous que la journée a été mauvaise ?
7-Comment caractériseriez-vous l’évolution de votre métier entre le début de votre carrière et
aujourd’hui ?
7bis- Donnez-moi 3 mots qui caractérisent selon vous l’évolution de votre métier entre le
début de votre carrière et aujourd’hui. Pouvez-vous me les expliquer ?
8-Où vous projetez-vous professionnellement dans 5 ans ?
9-Conseilleriez-vous ce métier à un de vos proches ? (fils/fille, neveu/nièce)
III
QR- Si oui/non, pourquoi ?
3ème
Thème : L’utilisation du numérique dans le privé.
10- Dans votre vie privée, quels outils numériques d’information ou de communication
possédez-vous ?
10bis- Quelles utilisations en faites-vous ?
QR-Quand les utilisez-vous, pour quelles raisons ?
11-L’utilisation de ces outils vous parait-elle être essentielle pour vos activités personnelles ?
En quoi est-ce essentiel ? (ou non suivant réponse)
11bis- Est-ce une évolution souhaitable ? En quoi est-ce souhaitable ?
11ter- Comment faisiez-vous avant ?
4ème
Thème : Avant le DPI, le dossier papier ?
12-Pouvez-vous me décrire l’utilisation que vous faisiez du dossier patient papier dans votre
activité de tous les jours ?
12bis- A quel moment remplissiez-vous le dossier ? Intérêt de transmettre les infos sur
papier ? A qui ? Quelles informations vous paraissaient primordiales ? Quelles étaient les
difficultés de cette transcription ? Aviez-vous des consignes d’écriture ? Le dossier était-il
organisé avec des documents normalisés ? Aviez-vous des espaces d’écriture libre ?
13-Quelle était votre utilisation de l’informatique dans votre activité professionnelle avant le
DPI ?
+QR : Logiciel métier dédié ? Fréquence ?
5ème
Thème : Le déploiement du DPI
14- Quand avez-vous entendu parler du DPI ? Dans quelles circonstances ? Par qui ?
14bis- Que pensiez-vous du DPI ava nt son déploiement ?
15-Comment s’est déroulé le déploiement du dossier patient informatisé au sein de votre
service ?
+/- QR tutorat par experte DPI, formation ?
16-Avez-vous eu un rôle dans le cadre du déploiement du DPI ?
Si oui Lequel ? Qui vous a donné ce rôle ? Pour quelles raisons ? Avez-vous apprécié que
l’on fasse appel à vous ? Pourquoi ?
Si non De votre point de vue, pourquoi n’a-t-on pas fait appel à vous ? Le regrettez-vous ?
Pourquoi ?
IV
17- Pouvez-vous me décrire l’utilisation que vous faites du dossier patient informatisé dans
votre activité de tous les jours ?
17bis- A quel moment remplissez-vous le dossier ? Où se réalise ce travail de transcription ?
Est-ce aisé ou bien compliqué de remplir le dossier ? En quoi est-ce aisé ou compliqué ?
Comment faîtes-vous pour pallier ces difficultés ? Avez-vous des consignes
d’écriture (restrictions)? Des espaces d’écriture libre ?
18-Le déploiement du DPI a-t-il modifié la façon dont se déroulent les transmissions ?
19-Selon vous, l’utilisation de l’oral lors des transmissions est-elle importante ?
19bis- Les transmissions pourraient-elles ne se faire que par l’écrit ? Pourquoi ?
19ter- Les transmissions sont-elles un moment important pour l’équipe ?
20-La mise en place du DPI a-t-elle modifié votre organisation de travail dans votre
quotidien ?
Si oui En quoi ?
Si non Racontez-moi comment vous faites pour que votre organisation ne soit pas
modifiée ?
20bis- Avez-vous vu de nouvelles activités apparaitre pour vous ou les aides-soignantes ?
21-Diriez-vous que le DPI a amélioré vos conditions de travail ? En quoi ?
22-La mise en place du DPI a-t-elle modifié l’organisation du service ?
Si oui En quoi ?
Si non En quoi ? Comment comprenez-vous qu’elle ne soit pas modifiée ? Racontez.
23-De votre point de vue, pensez-vous que l’utilisation du DPI a modifié votre relation avec
le patient ?
Si oui En quoi ?
Si non En quoi ? Comment comprenez-vous qu’elle ne soit pas modifiée ? Racontez.
24-Pensez-vous que l’utilisation du DPI a modifié les relations au sein de l’équipe
paramédicale ?
Si oui En quoi ?
Si non En quoi ? Comment comprenez-vous qu’elle ne soit pas modifiée ? Racontez.
25-Enfin, une dernière question et puis notre échange sera terminé. Avez-vous quelque chose
à ajouter à notre entretien sur les thèmes abordés ou bien un autre?
Je vous remercie pour votre participation.
V
ANNEXE II : Guide d’entretien définitif : cadre supérieure de sante en
charge du DPI
Date de l’entretien :
Lieu de l’entretien :
Bonjour, je me présente, je m’appelle Dimitri BRILLAUD et je suis étudiant cadre de santé à
l’IFCS de Nantes.
Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour le temps que vous m’accorder pour la réalisation
de cet entretien. Dans le cadre de mes études, je réalise un travail personnel de recherche
sociologique dont le thème général est le dossier patient informatisé.
Je souhaiterais que vous puissiez vous exprimez le plus librement possible, il n’y a ni bonne,
ni mauvaise réponse.
Si vous le permettez, je vais réaliser un enregistrement de notre discussion et prendre des
notes afin de pouvoir faciliter mon travail d’analyse a postériori. Bien sûr, je vous garantis
l’anonymat et la confidentialité de nos échanges.
Avez-vous des questions au sujet de l’entretien ?
1er
Thème : Présentation de la personne avec son déroulé de carrière.
1- Pouvez-vous vous présenter et me parler de votre parcours professionnel ?
2- Pouvez-vous me présenter le service au sein duquel vous travaillez ainsi que
l’établissement?
2ème
Thème : Les raisons de la mise en place du dossier patient informatisée et son
déploiement.
3- Racontez-moi l’histoire de l’arrivée et du déploiement du DPI dans votre établissement.
QR : Pouvez-vous m’expliquer les raisons pour lesquelles l’institution à décider de
mettre en place le DPI?
Quel était l’objectif principal du Centre hospitalier ?
Comment le DPI a été déployé ?
Qui a porté ce déploiement ? (recours à un cabinet d’expert ou portage interne)
Y’a-t-il eu des personnes difficiles à convaincre ? Lesquelles ?
De votre point de vue, quelles étaient les raisons de leurs réticences ?
Considérez-vous que le DPI soit aujourd’hui complétement déployé dans votre
établissement ? Si non, quelles seraient les prochaines étapes ?
Combien de temps a-t-il fallu pour que le DPI soit complétement déployé ?
Etait-ce le temps initialement programmé ? Si non, pourquoi a-t-il fallu plus/moins de temps ?
VI
Quelle organisation de conduite de projet a été mise en place ?
Quel était votre rôle pour le déploiement du DPI ? Comment avez-vous
procédé face aux personnes opposantes ?
4- Quel était votre rôle lors de la phase de projet ?
5- Quel était le niveau d’équipement informatique des unités de soins avant le DPI ?
6- Les infirmières ont-elles eu un rôle au moment de la réflexion sur le choix du DPI ? Au
moment de la mise en place du DPI ? Au moment de son déploiement ?
Si oui/non, pourquoi ?
7- Selon vous, la mise en place du DPI (son déploiement) a-t-elle modifié les organisations
des services?
Si oui/non, pourquoi ?
8- Suivant votre expérience en tant que membre du collège d’experts pour le programme
Hôpital numérique, quelles sont les principales raisons de déploiement d’un DPI dans les
établissements de santé ?
QR Raisons légales ?
Raisons économiques ?
Raisons organisationnelles ?
Améliorations de la qualité/traçabilité ?
9- Pensez-vous qu’il soit possible d’atteindre l’objectif « zéro papier » à l’hôpital ?
Si oui/non, pourquoi ?
10- Selon vous, le dossier patient informatisé est-il un outil permettant une meilleure gestion
de l’institution ?
Si oui/non, pourquoi ?
11- Quelles ont été les réactions des infirmières lors du déploiement ?
3ème
Thème : Le retour d’expérience après 12 ans d’utilisation.
12- Quel est votre rôle maintenant ?
13- Quel regard avez-vous sur l’évolution du DPI au sein de l’institution ?
14- Comment qualifieriez-vous le niveau d’appropriation du DPI par les équipes ?
15- Selon vous, le DPI a-t-il modifié la communication entre les infirmières et les autres
professionnels (médecins du service, professionnels des services médicotechniques) ?
16- Aujourd’hui, comment se déroule les déploiements des nouvelles briques du logiciel ?
VII
Observez-vous des résistances lors de ces évolutions ?
17- Pour vous, quels sont les gains apportés par un DPI pour les infirmières ?
A l’opposé, quels sont les contraintes apportées par le DPI pour les infirmières ?
18- Selon vous, les infirmières ont-elles modifié leur organisation de travail personnelle
depuis la mise en place du DPI ?
Si oui, comment et pourquoi ?
Si non, pourquoi ?
19- Selon votre expérience sur votre institution ou en tant qu’expert du programme Hôpital
numérique, l’utilisation du DPI a-t-elle modifié la façon dont se déroule les transmissions
orales aux changements d’équipes (ici ou sur d’autres établissements) ?
20- Pensez-vous qu’un jour, les transmissions orales aux changements d’équipes ne se fassent
plus et que seules les transmissions écrites soient utilisées ?
Si oui/non, pourquoi ?
21-Selon vous, l’utilisation du DPI a-t-elle modifié la relation soignant/soigné pour les
infirmières ?
Si oui/non, pourquoi ?
Enfin, une dernière question et puis notre échange sera terminé. Avez-vous quelque chose à
ajouter à notre entretien sur les thèmes abordés ou bien un autre?
Je vous remercie pour votre participation.
Dans un contexte hospitalier très remanié ces dernières décennies, soumis à
de fortes progressions des besoins en matière de santé et contraint par un contexte
économique difficile, les hôpitaux ont dû s’adapter, se réorganiser et rationnaliser
leurs offres de soins pour améliorer leur performance générale. Un des leviers pour
pouvoir mieux suivre et gérer les unités de soins a été de développer des systèmes
d’information comme le dossier patient informatisé. Dans ce travail, nous nous
somme intéressé à l’utilisateur principal de ce dossier patient, l’infirmière. Nous
avons cherché à comprendre comment les infirmières incorporent ce nouvel outil de
rationalisation dans un métier à la fois relationnel et technique.
Notre recherche s’est réalisée dans une démarche compréhensive basée sur
des entretiens semi-directifs réalisés auprès d’infirmières utilisant un dossier patient
informatisé au sein d’unités hospitalières, afin de croiser leurs expériences et
ressentis sur cet outil. Nous nous sommes donc attaché à analyser les données,
étayées par nos lectures, pour essayer de répondre à notre questionnement.
Les propos recueillis nous ont permis de discerner les difficultés des
infirmières à réaliser leur métier dans le respect de leurs valeurs. Le dossier
informatisé est intégré dans les pratiques techniques et relationnelles différemment
suivant les professionnels, générant des évolutions du métier par des pratiques
nouvelles ou des stratégies d’adaptation. Il apparait deux typologies de
professionnels face à ce dossier que nous identifions comme les conformistes et les
proactifs, les premiers utilisant l’outil comme attendu sans chercher de gain pour le
métier, les seconds décidant d’optimiser leurs pratiques de l’outil pour faire évoluer
le métier et se rapprocher de leur idéal de métier.
MOTS CLES Dossier patient informatisé - Infirmière - Idéal de métier - Relation
Outil informatique - Proactivité