le "chemin d'haroua" jusqu'au bout

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Francesco Tiradritti 33 M es recherches dans le cénotaphe de Haroua (TT 37, première moitié du vII e s. av. J.-C.) dérivent d’une étude du chapitre 146w du Livre  des  morts gravé dans la tombe de Chéchonq (TT 27, moitié du vI e s. av. J.-C.). Les fouilles dans ce monument, dirigées par Monsieur le Professeur Sergio donadoni de l’uni- versité de rome (La Sapienza), avaient amené à la découverte en 1988, de plusieurs blocs décorés en calcaire dans un puits funéraire qui s’ouvrait dans le coin sud-ouest de la salle hypostyle. Monsieur le Professeur Alessandro roccati les avait identifiés comme provenant de l’effondrement du pilier et du pilastre qui surplombaient le puits creusé dans cette partie du monument. Même si Monsieur roccati avait réussi à reconstituer la plus grande partie de l’inscription hiéroglyphique gra- vée sur le pilastre, il n’avait pas réussi à l’identifier. Il m’en confia la tâche et, lorsque j’y reconnus le chapitre 146w du Livre  des  morts  (LdM), il m’en attribua aussi la publication. EN SUIvANT LE "CHEMIN d’HArOUA" JUSqU’AU bOUT Prologue fig. 1   La salle hypostyle du Cénotaphe de Haroua en 1995, avant le début des fouilles. Photo : Fr. Tiradritti © Ass. Cult. Per lo Studio dell’Egitto e del Sudan ONLUS

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Page 1: Le "Chemin d'Haroua" jusqu'au bout

Francesco Tiradritti 33

mes recherches dans le cénotaphe de Haroua (TT 37,première moitié du viie s. av. j.-C.) dérivent d’une étudedu chapitre  146w du Livre  des  morts gravé dans latombe de Chéchonq (TT 27, moitié du vie s. av. j.-C.).Les fouilles dans ce monument, dirigées parmonsieur le Professeur Sergio donadoni de l’uni-versité de rome (La Sapienza), avaient amené à ladécouverte en 1988, de plusieurs blocs décorés encalcaire dans un puits funéraire qui s’ouvrait dans lecoin sud-ouest de la salle hypostyle.

monsieur le Professeur Alessandro roccati les avaitidentifiés comme provenant de l’effondrement dupilier et du pilastre qui surplombaient le puits creusédans cette partie du monument. même simonsieur roccati avait réussi à reconstituer la plusgrande partie de l’inscription hiéroglyphique gra-vée sur le pilastre, il n’avait pas réussi à l’identifier.il m’en confia la tâche et, lorsque j’y reconnus lechapitre  146w du Livre  des  morts  (LdM), il m’enattribua aussi la publication.

EN SUivANT

LE "CHEmiNd’HArOUA"

jUSqU’AU bOUT

Prologue

f ig. 1  

La salle hypostyle du Cénotaphe de Haroua en 1995, avant le début des fouilles. Photo : Fr. Tiradritti © Ass. Cult. Per loStudio dell’Egitto e del Sudan ONLUS

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durant les deux saisons de fouille suivantes, jeparvins à identifier plusieurs autres blocs men-tionnant le chapitre 146w parmi ceux qui avaientété découverts au cours des fouilles précédentes.j’arrivai ainsi à comprendre que le texte commençaitsur l’architrave de la niche centrale de la paroi dufond de la salle hypostyle, continuait sur les montantsest et ouest puis sur la paroi, avant de s’arrêter aucentre de la face du pilastre qui surplombait le puits.

Le chapitre 146w du LdM est un long texte qui sedéroule en jouant sur la répétition de la formule "jesuis arrivé aujourd’hui à travers la porte (nom de  laporte). Seigneur(s) de (nom de la porte), laisse / laissez-moi passer (lit.  fais  /  faites-moi  la  route)." Avant des’arrêter au milieu du pilastre, la version deChéchonq offre ce récitatif : "je suis arrivé aujourd’huià travers la porte du puits [en connaissant les secretsqui sont en lui. je suis arrivé ici de la grande ville].

je suis rê au matin et jedonne le souffle vital àOsiris. je suis arrivé aujour-d’hui à travers la porte de[…] en connaissant la dateet le jour." 2 [fig. 14].Le fait que le pilastre sur-plombait un puits mepoussa à supposer que lechapitre  146w devait avoirété conçu comme une espè-ce d’indicateur qui montraità la statue du défunt (on a lamention explicite de xnty,"image", dans le texte) lechemin (virtuel) qui devaitl’amener de la niche au fondde la salle hypostyle jusqu’àla profondeur de la terre. La nécessité de reconstituerles lacunes dans le texte deChéchonq m’avait amené àrassembler d’autres attes-tations du chapitre  146w.dans le contexte de madécouverte, les deux ver-sions inscrites sur d’autresmonuments prirent beau-coup d’importance. Laplus ancienne est cellegravée dans ce que jeconsidère comme le céno-taphe de Sénenmout (TT353, Xviiie dynastie, règned’Hatchepsout)3.

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f ig. 2 (page de gauche)

Planimétrie du premierniveau souterrain du Cénotaphe deHaroua avec les parties de la décoration reconnues appartenir au "Chemin de Haroua". Élaboration digitale de Fr. Tiradrittià partir d’un dessin

de Anja Wutte © Ass. Cult. Per loStudio dell’Egitto e del Sudan ONLUS

f ig. 3 (ci-contre)

L’entrée au sanctuaireau fond du premierniveau souterrain duCénotaphe de Harouaavec les restes de la statue d’Osiris jadissculptée sur la parois de fond. Photo : G. Lovera © Ass. Cult. Per loStudio dell’Egitto e del Sudan ONLUS

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Elle venait confirmer mon interprétation du chapitre 146w en tant qu’"indicateur",car elle est gravée au-dessus du puits creusé dans le coin sud-ouest de la chambre Ad’où part l’escalier menant aux niveaux inférieurs. La deuxième version est celle ins-

crite dans le temple d’Hibis à Kharga, surla paroi nord de l’escalier  vii (K1) 4 quimène à un niveau supérieur et elle aurait pucontredire mon hypothèse s’il n’y avait pasun puits creusé dans le sol au fond de lapièce viii (K2), au sommet des marches. Fort de ces résultats et avec l’intention detrouver des parallèles dans les autresmonuments funéraires de l’Assassif, parmilesquels celui de Chéchonq est le plusrécent, je cherchai dans les publications etvisitai les monuments accessibles. marecherche se révéla infructueuse. devant rendre mon article sur le cha-pitre  146w du LdM, je décidai de ne pastenir compte de ces versions qui, à monavis, devaient pourtant exister dans l’un deces monuments inaccessibles et dont laconnaissance, j’en étais sûr, m’aurait permisde mieux compléter la reconstitution dupilastre et de la paroi du fond de la sallehypostyle de Chéchonq. En 1992, alors que mon article était enépreuve, le Professeur roccati me donnatrois photos en me disant qu’elles mon-traient une version du chapitre 146w. Sonaffirmation était vraie seulement pour l’uned’elles. Lorsque je lui demandai d’oùvenaient les photos, il me répondit qu’il lesavait prises dans le cénotaphe de Harouadurant les années 1970, quand il étaitencore visitable – il ne l’était plus audébut des années 1990, on pouvait alorsseulement accéder à la cour. j’y avais déjà

copié et identifié les chapitres du LdM gravés sur les parois et les pilastres des deuxportiques, sans pourtant pouvoir entrer dans la partie souterraine qui était fermée parune grille [fig. 1].je n’avais plus le temps de demander la permission officielle de visiter ce monumentet je me contentai de mentionner l’existence de cette version du chapitre 146w duLdM dans une note de mon article où je remerciais aussi le Professeur roccati dem’avoir montré les photos 5.

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f ig. 4 (page de gauche)  Paroi nord du passage entre la deuxième et la première salle hypostyle. Photographie : Fr. Tiradritti © Ass. Cult. Per lo Studio dell’Egitto e del Sudan ONLUS

f ig. 5 (ci-dessus)  vue de la paroi sud du passage P2 avec l’allégorie de la mort et de la deuxième salle hypostyle dans le Cénotaphe de Haroua.Photo : G. Lovera © Ass. Cult. Per lo Studio dell’Egitto e del Sudan ONLUS

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Deux ans plus tard…En 1994, mon article était en train de sortir et lareconstitution de la partie sud-ouest de la salle hypo-style de Chéchonq devait encore être achevée. L’envied’accéder au cénotaphe de Haroua et de copier la ver-sion du chapitre 146w qui s’y trouvait était pourtanttrès forte. j’avais l’intention de publier une monogra-phie sur ce texte qui, je le pensais, pouvait donner unenouvelle perspective à l’étude des textes funéraires,montrant que nous aurions pu obtenir de bons résul-tats dans la compréhension des croyances funéraireségyptiennes grâce à la contextualisation des textes. Profitant d’une exposition que j’avais organisée aumusée du Caire sur l’égyptologue Luigi vassalli et quim’avait créé une bonne réputation au sein du ConseilSuprême des Antiquités égyptiennes, je demandai lapermission pour la visite et la copie des inscriptionsdans le cénotaphe de Haroua. je réussis à y pénétrer en1995 et, lors de ma première reconnaissance des lieux,je copiai les textes et les images gravés sur les paroisdes passages qui mènent d’une salle à l’autre [fig. 6].L’année suivante, je demandai une concession defouilles, entamant alors une entreprise qui m’occupeencore aujourd’hui et qui m’accompagnera sûrementjusqu’à la fin de ma carrière d’égyptologue. L’étude du chapitre  146w du LdM m’avait appris àprendre en considération les textes gravés sur unmonument dans leur contexte architectural, une affir-mation qui doit sembler naturelle aujourd’hui, maisqu’il ne l’était pas il y a vingt ans. je me mis avec lamême approche, à l’étude des scènes et des inscrip-tions que j’avais copiées chez Haroua et me rendiscompte qu’on pouvait lire en succession les textes etles scènes gravés sur les parois sud des passages. mestoutes premières recherches m’amenèrent à y voir unedescription du destin de l’être humain, conçu commeun chemin qui l’amène de la vie quotidienne à larenaissance éternelle, en passant par l’inéluctableexpérience de la mort, vue non comme un point final,mais comme un douloureux passage pour rejoindreOsiris – dont l’image était jadis gravée sur la paroi dufond du sanctuaire, à la fin du premier niveau souter-rain [fig. 3]. depuis lors, j’ai décrit à plusieurs occa-sions ce parcours virtuel que je venais de découvrir etque j’ai décidé d’appeler "le chemin de Haroua" 6.

f ig. 6

L’auteur de l’articlecopie la décoration

de la paroi suddu passage entre la

première et la deuxièmesalle hypostyle du

Cénotaphe de Harouaen 1995.

Photo : G. Lovera© Ass. Cult. Per loStudio dell’Egitto

e del Sudan ONLUS

f ig. 7

"… afin que je sorte etreçoive le pain blanc".

Le coté nord du passageentre la première sallehypostyle et la cour et

la sortie du Cénotaphede Haroua.

Photo : Fr. Tiradritti © Ass. Cult. Per loStudio dell’Egitto

e del Sudan ONLUS

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Quinze ans aprèsLe début des fouilles m’amena à m’occuper de toutautre chose et ce fut seulement en 2009 que je réussisà revenir sur les textes des parois nord des passagesque j’avais aussi copiés en 1995. je suis aujourd’huiparvenu à en identifier la presque totalité et j’ai eu lasurprise de découvrir que le "chemin de Haroua" nes’achève pas avec l’arrivée du défunt devant Osirisdans le sanctuaire, mais continue dans un parcours àrebours qui conduisait à une résurrection sur terre. Sur la paroi nord du passage P3 qui, en sortant dusanctuaire, mène à la deuxième salle hypostyle, estgravée une inscription hiéroglyphique sur onzelignes, dont la partie inférieure est très lacunaire. Onarrive à identifier là une variante abrégée de la for-mule 227 des Textes des sarcophages (TdS) et un extraitdu chapitre 124 du LdM. En face se trouve la paroioù est gravée la scène de la renaissance dans laquelleHaroua, rajeuni, est conduit par Anubis vers l’au-delà. La paroi nord du passage P2 [fig. 4], qui mènede la deuxième à la première salle hypostyle, est occupéepar une inscription hiéroglyphique en dix-sept colonnes,composée de quatre textes différents : la formule TdS519, suivie de quelques phrases dont l’état lacunaire

en empêche encore l’identificationet des chapitres 690 et368 des Textes des pyramides (TdP). En face se trouvela scène avec l’allégorie de la mort où Anubis entraîneHaroua, vieux, dans l’obscurité de l’Au-delà. deux textes sont gravés dans une inscription en qua-torze colonnes sur la paroi nord du passage P1 quiamène de la première salle hypostyle à la cour. Le pre-mier est formé de TdS 151 et 625, le deuxième estdonné par la suite de Texte L, TdS 179, Texte M et TdS215 7. qu’il s’agit bien de deux compositions distincteson peut le déduire de l’expression Dd-mdw qui se trouveentre la fin de TdS 625 et le début de Texte L. Cettedivision amène à supposer que TdS 151 et 625 devaientà l’origine faire partie d’une seule composition, divisésuccessivement en deux parties. L’unité textuelle sem-blerait assurée par le début de 151 "Formule pour sortirde la tombe (cénotaphe ?) dans la nécropole" qui est évo-qué encore à la fin du 625 par "… afin que je sors etreçoive le pain blanc". La même chose peut être affirméede la suite Texte L, TdS 179, Texte M et TdS 215. Sur laparois sud du même passage se trouve l’inscription avecun Appel au vivants qui décrit une vie idéelleempruntée à l’accomplissement de bonnes actions.

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La première salle hypostyledu Cénotaphe de Harouaavec les piliers en en boiscontreplaqué à la fin de lasaison de fouilles 2002.Photo : G. Lovera © Ass. Cult. Per lo Studio dell’Egitto e del Sudan ONLUS

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Le retour sur terre dans "le chemin de Haroua"Si le parcours qui mène Haroua jusqu’à l’au-delàest bien compréhensible dans ses trois étapes prin-cipales (vie, mort et renaissance), le chemin àrebours qui se termine avec la sortie au jour est plusobscure. même s’il est lacunaire, le début de l’ins-cription gravée sur la paroi nord du passage P3,avant la titulature et le nom de Haroua, donne l’in-dication d’un point de départ qui est affirmé setrouver "à côté (r-gs) d’Osiris." Effectivement, à lagauche de l’image d’Osiris, au fond du sanctuaire,s’ouvre une niche dans laquelle se trouvait une statue

de Haroua assis, sculptée dans le roc et aujourd’huidétruite jusqu’au bassin. La formule TdS 227 estrécitée par Haroua qui affirme être "l’Ardent"(Osiris), Orion (Osiris  ?), Sepa (Anubis ou bienOsiris  ?) et Osiris. L’état du chapitre 124 est troplacunaire pour pouvoir dire sur quels critères s’estfaite la sélection des extraits. Ce texte a deux titresdifférents : le plus attesté est "accéder à la Djadjatd’Osiris", mais on peut aussi trouver "se transformeren oiseau-bénou", les deux choses n’étant pasmutuellement exclusives dans l’au-delà.

f ig. 9 

Photo de la sallehypostyle

de la Tombe de Pabasa.

Photo : C. de la Fuente

© Ass. Cult. Per lo Studio

dell’Egitto e delSudan ONLUS

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dans les textes inscrits dans le passage P2, Harouadevient l’objet de l’action. TdS 519 l’exhorte à se leversur ses os de métal et ses chairs d’or. La suite esttrès lacunaire, mais on sait par les versions les pluscomplètes de cette formule que le corps du défunt estdevenu désormais celui d’un dieu et qu’il peut reve-nir à la vie. Les chapitres TdP 690 et 368 font tousdeux référence à la sortie de l’horizon. Le 368 précisemême que Haroua prend le nom d’"Horizon d’où lesoleil sort", spécifiant qu’il s’agit du ciel oriental.Cette affirmation prend son plein sens si on tientcompte du fait qu’en face est gravée la scène avec l’al-légorie de la mort [fig. 5]. On obtient ainsi une pola-risation des deux parois dans un axe ouest (paroi sud)– est (paroi nord), qui crée un nœud conceptuelautour duquel pivote tout le discours lié au "cheminde Haroua." La centralité du passage P2 est aussispatiale, car il se trouve à mi-chemin entre la sortiede la première salle hypostyle et le fond du sanctuaireoù est gravée l’image d’Osiris. Le passage P1 amène de la première salle hypostyleà la cour et marque le retour à la lumière du jour [fig. 7].La lecture unifiée des formules TdS 151 et 625forme une récapitulation en chiasme de tout ce quiest arrivé à Haroua, qui redevient le locuteur, à par-tir de son arrivée chez Osiris jusqu’au moment desa résurrection sur terre. Cela commence par l’affir-mation que le défunt est sorti de sa tombe (il vau-drait mieux comprendre AH.t comme "cénotaphe"),moment décrit comme une descente dans un bassinlustral (et, en effet, il y en a un dans la cour de tousles monuments fouillés de l’Assassif ) en sortant du"Grand lac" où le mort était rameur dans la barquedu dieu. Avant cela, il avait été accueilli dans lagrande Djadjat du ciel (et ici on reprend le titre duchapitre 124 du LdM). Le défunt promet qu’il nedévoilera pas aux êtres divins ignorants, la formule(Tsw) qu’il y a apprise. il faut remarquer que, si onlit TdS 151 et 625 comme un seul texte, le momentoù le défunt est dans la Djadjat devient central etmarque le point de l’inscription à partir duquel cequi vient d’être affirmé est ensuite repris et répété,en partant de l’arrivée du mort dans l’au-delà.

C’est ainsi qu’on peut expliquer pourquoi Harouademande qu’on le laisse passer et qu’on lui amène lesdeux bateaux afin qu’il puisse sortir et recevoir le painblanc. Texte L, TdS 179, Texte M et TdS 215 sont descompositions qui ont comme sujet la provision desoffrandes et, comme on l’a déjà dit, il faudrait leconsidérer comme une seule composition. dans lecontexte d’un retour sur terre l’énumération de vête-ments, pain et bière peut être compris comme unsouhaite à ne pas rester sans le nécessaire dans lanouvelle vie. Avant de quitter le récit de la sortie de la nécropole,il est intéressant de noter la différence d’orientationdes textes, qui change selon le locuteur. TdS 227 etLdM 124 sont inscrits en lignes qui vont de gaucheà droite, orientation qui s’accorde avec le fait que cediscours direct est censé être récité par la statue deHaroua, assis dans la niche à côté d’Osiris (en effet,à gauche de l’inscription). Les séquences TdS 519,TdP 690 et 368 sont inscrites en colonnes sur le murnord de P2 et orientées de gauche à droite ; ces textessont prononcés par un narrateur extradiégétique quise trouve encore dans l’obscurité de la deuxièmesalle hypostyle. En P1, les inscriptions sont encolonnes et orientées de droite à gauche  : c’estHaroua qui parle à la première personne, comme s’ilse trouvait à l’extérieur du cénotaphe après sa sortieau jour. il est possible que la différence entre lignes etcolonnes soit significative et marque une différencia-tion dans la nature du locuteur. Ces denières sontnormalement utilisées dans les inscriptions sacrées etleur usage dans le cénotaphe de Haroua sert peut-être à manifester la nature divine de celui qui pro-nonce le discours. il s’agit seulement d’une hypothèse,mais dans cette perspective, l’usage des lignes en P3(avec "Dd-mdw" seulement au début du texte) et descolonnes en P1 (avec "Dd-mdw"au début de chaquecolonne) manifesterait le changement de nature deHaroua : sur le chemin du retour sur terre, il se trans-forme en un être dont la nature est très proche decelle du narrateur extradiégétique de P2 qui, selontoute vraisemblance, doit être un dieu.

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Francesco Tiradritti42

Le "chemin de Haroua" parcourt un monument que letemps a beaucoup ravagé et dont la reconstitution pré-sente de grandes difficultés. Les fouilles ont commencéen 1996 dans la partie souterraine et ont continuédans la cour, dont on espère achever le déblaiement enautomne 2014 ou 2015. depuis toutes ces années, lamission archéologique italienne à Louqsor (mAiL),que je dirige, a récupéré environ quinze mille blocsdécorés, dont plus de 70% ont été catalogués dans unfichier créé en 1999 et dont l’élaboration nous a occupéjusqu’en 2002. durant ces mêmes années, nous avonsaussi établi un modèle de fiche que nous utilisons pourles copies préliminaires des inscriptions.

L’étape suivante a été de trouver une méthode nouspermettant de reconstituer les inscriptions et lesscènes, avec la possibilité de modifier ces restitutionsau fur et à mesure de l’avancement des fouilles. dès2002, avec l’introduction de caméras digitales debonne qualité, nous avons commencé à prendredes photos des blocs enregistrés  ; à partir de cesphotos, nous avons élaboré les premières reconsti-tutions virtuelles avec les morceaux de décorationque nous avons été capable d’identifier [fig. 10].

Les fiches de l’année précédente contenant la des-cription des blocs avaient commencé à être copiéesdans une base de données informatique qui, depuis2007, est en ligne sur le site dédié à Haroua (ouverten 1996) et accessible à toutes les personnes tra-vaillant sur le projet. jusqu’à présent, nous avonsnumérisé neuf mille fiches. d’autres méthodes, ne nécessitant pas de toucher aumonument original, ont été utilisées pour reconstituersa décoration. C’est le cas pour les piliers de la premièresalle hypostyle qui s’étaient complètement effondrés.En 2001, nous les avons reconstruits avec des struc-tures en bois contreplaqué qu’on utilise normalement

dans la scénographie théâtrale [fig. 8]. Cesystème nous a donné une meilleure idée del’état original de la salle hypostyle et nous afourni des surfaces sur lesquelles coller lescopies en papier d’acétate des blocs que nousavions identifiés comme provenant despiliers. Ce travail, commencé par AliceHeyne et continué ensuite par miguel Angelmolinero Polo et son équipe de l’universitéde La Laguna, a été rendu possible par le faitqu’en 2004, le cénotaphe de Pabasa (TT 279,deuxième moitié du vie s. av. j.-C.) est entrédans la concession de la mAiL grâce à unaccord avec mahmoud Abd el-rasek, dépo-sitaire des droits de publication [fig. 9]. Les artistes qui travaillèrent dans Pabasacopièrent à pleines mains la décoration ducénotaphe de Haroua. Le bon état deconservation du monument de Pabasa l’a

rendu très utile pour la reconstitution de la décora-tion de Haroua, surtout dans le cas de la premièresalle hypostyle. Comme dans les autres monumentsde cette période, les piliers sont décorés avec le Ritueldes heures du  jour  et de  la nuit, tandis que les paroissont surtout décorées d’extraits des Textes des pyramides.Nous avons déjà travaillé plusieurs saisons à lareconstitution de la décoration de cette partie ducénotaphe, mais l’état de conservation très pénibledemande encore un grand effort.

La recherche des textes funéraires dans le cénotaphe de Haroua

f ig. 10  reconstitution virtuelle de blocs décorés.

Saison de fouilles 2003. Collagenumérique de Fr. Tiradritti

à partir de photos de C. de laFuente © Ass. Cult. Per lo

Studio dell’Egitto e del SudanONLUS

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durant les dernières saisons, la deuxième salle hypo-style du cénotaphe de Haroua a beaucoup profité dutravail de mariam Ayad et de son équipe de l’univer-sité de memphis (Tennessee), focalisé sur le Rituel del ’ouverture de la bouche  [fig. 11]. dans le "chemin deHaroua", cette composition intervient après la mortet, d’un point de vue conceptuel, marque la sépara-tion du corps et de l’âme, donc le rajeunissement quipermet à Haroua de se présenter devant Osiris.Après avoir travaillé à la reconstitution de la paroinord [fig. 12], mariam Ayad s’est penchée sur l’étudede l’Ouverture de la bouche et en a conclu que sa dis-position semblait être "orientée" vers l’embouchuredu puits qui s’ouvre dans l’angle nord-ouest de lasalle. Le travail va être bientôt publié dans la premièremonographie dédiée aux textes qui décorent lecénotaphe de Haroua.

dans la deuxième salle hypostyle, nous avons com-mencé à travailler aussi sur les textes inscrits sur lespiliers (dont trois sur quatre sont aujourd’hui conser-vés) et les pilastres. durant la saison de fouilles 2010,maria milagros Alvarez Sosa avait réussi à y identifierune vingtaine de chapitres du LdM. Son travail resteencore à compléter avant de pouvoir comprendre laraison du choix de ces textes funéraires. Le chapitre 15 du LdM est inscrit sur les parois est etouest de la portion sud de la deuxième salle hypostyle eton le retrouve aussi gravé sur la paroi est du portiqueainsi que sur la stèle fausse-porte de la cour, qui se trouventsur le même axe. Cette configuration trouve sa justificationdans l’ancienne tradition funéraire thébaine qui voulaitque la chapelle funéraire soit divisée en deux parties : lasud ayant un caractère solaire, dédiée à rê-Horakhty,et la nord ayant un aspect souterrain lié à Osiris.

f ig. 11 

Une scène du rituel del’ouverture de la bouche dansune phase dunettoyage de lacouche de guanode chauve-sourisqui la recouvrait.Saison de fouiles2000. Photo :G. Lovera © Ass. Cult. Per lo Studiodell’Egitto e delSudan ONLUS.

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Francesco Tiradritti44

Pour respecter cette symétrie, une stèle àl’adresse du roi des morts devait setrouver gravée sur la paroi ouest de laportion nord de la cour. mais cet endroita été choisi par Akhimenrou, successeurde Haroua et "Grand majordome de ladivine Adoratrice", pour réaliser l’entréede son cénotaphe ; on ne peut donc passavoir si la stèle y avait été gravée. Le caractère souterrain de la portionnord du cénotaphe de Haroua est peut-être encore reconnaissable dans le choixde graver le chapitre  154 du LdM("formule pour que le cadavre nepérisse pas") sur la paroi est du por-tique nord de la cour (en parallèle avecle chapitre 15 dans le portique sud) etde creuser l’embouchure du puits dansle coin nord-ouest de la deuxième sallehypostyle.

f ig. 12

reconstitution de blocsdécorés de la parois

nord de la deuxièmesalle hypostyle du

Cénotaphe de Haroua.Photo Alessio Corsi© Ass. Cult. Per lo

Studio dell’Egitto e delSudan ONLUS.

f ig. 13 (ci-dessous)

détail des textes gravéssur la parois nord de la

première salle hypostyledu Cénotaphe

de Haroua. PhotoGiacomo Lovera ©

Ass. Cult. Per lo Studiodell’Egitto e del Sudan

ONLUS

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La recherche sur les textes qui décorent le céno-taphe de Haroua a commencé il y a presque vingtans et est loin d’être achevée. il nous reste encore àidentifier des inscriptions et nous attend aussi latâche d’une reconstitution à partir des milliers deblocs qui se trouvent, dûment stockés, un peu par-tout à l’intérieur du monument. Le but n’est passeulement de restituer à l’Égypte un chef-d’œuvreartistique, magnifique produit de l’esprit de renais-sance culturelle de son époque, mais aussi de per-cevoir la signification des choix des textes et desscènes qui le décorent.Pour l’instant, nous sommes arrivés à comprendre leparcours virtuel en textes et en images, le "chemin deHaroua", autour duquel se déroule le programmedécoratif du monument dans sa quasi-totalité. Lespremières découvertes ont montré que figures et ins-criptions amenaient l’individu de la vie à la renaissancedans l’au-delà, en passant par l’expérience de la mort.Les recherches ultérieures ont amené à comprendreque le "chemin de Haroua" ne se terminait pas par larenaissance dans l’au-delà, mais que le défunt enta-mait ensuite un parcours à rebours, avec comme butultime une véritable résurrection sur terre. La premièrepartie de ce double mouvement est bien compréhen-sible car elle dérive de l’expérience humaine et estcommune à chaque individu, alors que la deuxièmeamène le défunt dans un monde imaginaire corres-pondant à des expectations propres à la culture égyp-tienne et qu’on ne saisit qu’avec difficulté. Autour du "chemin" existe une décoration quiattend encore d’être comprise [fig. 13]. Parvenir àidentifier les textes est un casse-tête dont la solution,avec les moyens informatiques d’aujourd’hui, estabordable avec une connaissance élémentaire des hié-roglyphes. Le véritable défi pour les égyptologues estmaintenant d’aller au-delà des numéros (parfoistrompeurs) des formules et des chapitres et de sortir desséparations conventionnelles des différents recueilsfunéraires – qui restent et resteront toujours très utilescomme point de départ. il faut désormais parvenir àpercevoir l’esprit de ceux qui nous ont laissé cestextes, véritable patrimoine intellectuel d’une valeurunique – esprit qui après presque deux cents ansd’égyptologie reste encore à appréhender.

f ig. 14  

dessin du pilastre surplombant le puits dans la salle hypostyle de la Tombe de Chechonq (TT 27) avec la fin du chapitre 146w du LdM marquée en gris ; dessin de Francesco Tiradritti à partir d’une photo de Giacomo Lovera.

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NOTES1 Les recherches ont démontré que le monument qu’on a toujours considéré comme la tombe de Haroua n’a jamais reçusa sépulture qui doit être cherchée ailleurs. C’est en raison de cette simple constatation que j’ai décidé d’adopter le terme"cénotaphe" en ce qui concerne cette sépulture et de garder "tombe" pour les autres monuments funéraires auxquels jefais référence. 2 Fr. TirAdriTTi, Il capitolo 146w del Libro dei Morti, Vicino Oriente iX, 1993, p. 71-106, notamment p. 85. 3 P.F. dOrmAN, The Tombs of Senenmut. The Architecture and Decoration of Tombs 71 and 353, New York, 1991, p. 119-120,pl. 66-69.4 N. dE GAriS dAviES, The Temple of Hibis in el-Khargeh Oasis. Part I-II: the Decoration, Publications of the metropolitanmuseum of Art Xv-i, New York, 1953, pl. 23E ; E. CrUz-UribE, Hibis Temple Project. Vol. I: Translations, Commentary,Discussions and Signs List, San Antonio, 1988, p. 100-102.5 Fr. TirAdriTTi, Il capitolo 146w del Libro dei Morti, Vicino Oriente iX, 1993, p. 103, n. 62.6 dans cette même revue, voir Fr. TirAdriTTi, La Tombe de Haroua à Louqsor : un chef-d’œuvre de la Renaissance pharaonique,Égypte Afrique & Orient 54, p. 25-40, surtout p. 29-30 et 33. 7 L. GESTErmANN, Die  Überlieferung  ausgewählter  Texte  altägyptischer  Totenliteratur  (‚Sargtexte‘)  in  spät zeitlichenGrabanlagen, ÄgAbh 68, Wiesbaden, 2005, p. 320.

Post-scriptum En écrivant sur les textes funéraires du cénotaphe deHaroua, je n’ai plus évoqué le chapitre 146 du LdM.Pourtant la nécessité de copier la version reconnuesur les photos du Professeur roccati avait été la rai-son qui m’a poussé à demander l’accès au monumentau Conseil Suprême des Antiquités. il ne s’agit pasd’une erreur d’inattention. Le fait est que je n’ai pastrouvé le chapitre  146w dans le cénotaphe deHaroua. La première découverte que j’y ai faite a étéque il n’était inscrit nulle part. je l’ai cherché partoutpendant deux jours dans un monument ruiné, pous-siéreux et plein de chauves-souris. Le troisième jour,je me suis faufilé dans un trou et je suis entré dansune salle hypostyle sans décoration. de là je suis sortidans une cour et suis entré dans une deuxième sallehypostyle. La photo de m. roccati avait été prise là-bas. La version du chapitre 146w du LdM que je cher-chais se trouvait inscrite sur la paroi du fond où j’aiaussi pu lire le nom du propriétaire qu’on n’arrivaitpas à discerner sur la photo. j’ai ainsi découvert queje me trouvais dans la tombe de Padineith (TT 197).monsieur roccati avait dû faire une erreur et m’avaitdonné les trois photos comme si elles avaient étéprises dans un seul monument.

En réalité, les deux autres montrent la paroi nord de lapremière salle hypostyle de Haroua. Après cette décou-verte, j’ai essayé d’échanger ma permission pourHaroua avec celle pour Padineith, mais cela ne fut paspossible. je me suis ainsi trouvé dans un monumentpour lequel je n’avais pas de véritable intérêt et avec leproblème d’y justifier ma présence. j’ai fait faire des tra-vaux de restauration d’urgence sur la paroi sud de ladeuxième salle hypostyle, dont une large portion étaiten train de s’effondrer, et entre-temps je me suis mis àcopier les textes des passages entre les salles. je n’ai jamais eu l’occasion de terminer mon étudesynoptique sur le chapitre 146 du LdM. En revanche,depuis un peu moins de vingt ans, je travaille dans unmonument qui est parmi les plus extraordinaires del’ancienne Égypte. j’en serai toujours reconnaissant auProfesseur roccati et à son erreur. Les trois photos ennoir et blanc, un peu floues et où les inscriptions sontà peine lisibles, qu’il me donna ce jour lointain sonttout au début du dossier, avec les premières notes quej’ai prises en 1995. je les chéries car elles représententpour moi le point de départ de cette grande aventurequ’est la recherche archéologique dans le complexefunéraire de Haroua et Akhimenrou.