lalive-p;application_du_droit...droit_international_1971.pdf · en droit international privé, ......

22
?¿ LALIVE-P; 4 1 ',71 ( Sur l'applicatÍon du droit public étranger Pierre lalive Professeur ordinaire à la Faculté de Droit et à l'lnstitut de Hautes Eludes inlernalionales de Genève, Associé de I'lnstitut de Droit international Tirage à parl de I'Annuaire suisse de droit internalional publié par la Société suisse de droit internalional Volume XXVII t97l Schulthess Polysraphisdrer Verlaq A.G. Zúrich. 1972 par

Upload: vanxuyen

Post on 15-Sep-2018

231 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

?¿LALIVE-P; 4 1 ',71

(

Sur l'applicatÍon du droit public étranger

Pierre laliveProfesseur ordinaire à la Faculté de Droit et à l'lnstitut de Hautes Eludes

inlernalionales de Genève, Associé de I'lnstitut de Droit international

Tirage à parl

de I'Annuaire suisse de droit internalional

publié par la

Société suisse de droit internalional

Volume XXVII

t97l

Schulthess Polysraphisdrer Verlaq A.G. Zúrich. 1972

par

Sùweizerisùes Jahrbuù für internationales ReùtAnnuaire suisse de droit international

Inhalt des Bandes XXUISommaire du volume XXUI

A¡rreNo¡-r¡r.¡cer - P¡¡'ræ DocTRTNALE

A. V¿lkøwcht - Droit ktûnation¿l þublit

H.rxs Hr¡sBR. - Die internationale Qtasilegislative 9

Erre,mv¡, Gn¡snr- - L'a¡rêt de la Cou¡ internationale deJustice dans I'affaire de laBarcelona Traction (seconde phase): hoblèmes de procédure et de fond. . . . 3l

Dnrn¡c¡¡ K¡pp¡r.Bn - Le problèrne de l'interprétation r.miforme des traités. . . . . 49

B. Int¿nßtitn¿lcs Prb¿trccht - Drcit intcrnatioøl priaé

Trnop¡n¡. vox M¡¡ro¡,er - Die erbrechdichen Klagen des ZGB tn internationalerrErbl?i.llen

funn¡ Le¡-rv¿ - Sur l'application du droit public étanger

SUR L'APPLICATIONDU DROIT PUBLIC ETRANGER*)

par Prnnno Le¿rve

Professeur ordinaire à la Faculté de Droitet à I'Institut de Hautes Etudes internationales de Genève,

Associé de l'Institut de Droit international

Il est permis de se demander s'il est raisonnable de prendre pour

thème de cet exposé un sujet aussi vaste, et aux innombrables applica-

tiorx théoriques et pratiques, un sujet manifestement troþ large pour qwe

l'on puisse espérer en faire le tour, même très sommairement, même à

vol d'oiseau, dans le temps disponible. Notre ambition n'est pas d'appro-fondir ici le sujet, ni même de le parcourir entièrement, mais seulement

d'en évoquer quelques aspects importants, d'en faire sentir la richesse

et la complexité - en vue de la discussion qui suivra.

Il s'agit donc pour nous, aujourd'hui, de tenter un inventaire (au

moins partiel) des principaux problèmes qui se Posent, et de vous sou-

mettre quelques réflexions critiques.Lévi-Strauss a écrit, voici quelques années, que:

<<Le savant n'est pas l'homme qui fournit les waies réponses; c'est celui qui

þose les uraies quest'ions>>.

Cherchons donc à agir comme le savant, et à poser correctement la

question (ou mieux, las questiors) que soulève I'application du droitpublic étranger.

En abordant un sujet aussi immense que complexe, notre première

tâche, bien entendu, doit être de restreindre le champ de nos investiga-

trons.

Une première limitation s'impose, qui peut du reste être considérée ici

comme sous-entendue: il s'agit de l'application du droit public étranger

en droit international privé, ou daru le cadre du droit international

privé.Nous n'alloru pas nous occuper ici, sinon peut-être incidemment, du

droit pénal international, du droit administratif international, du droit

*) Texte d'un rapport presenté, sous une forme un peu abrégée, à la Société Suisse

de Droit international à Berne, le 6 novembre 1971.

65

103

Dorr¡r,gr.¡r¡nscræn Terr, - P¡,nrg DocuMEryr.ê¡R¡

A. Võlkøtrecht - Dîoit intûlatiþnal publit

Rooor-præ Bü¡rn¡n - Les engagements internationaux conclus par Ia Suisse (1970)

Lucrus Ce¡¡¡scn - La pratique suisse (1970)

Luz¡us Wrr.one¡nn - Buchbesprechungen im Völkerrecht (1970-1971)

B. Intcnøtianahs Prioalrccht - Droit int¿rnatianal pílé

Fn¡¡¡r Vrscræn - Die Bundesgerichtspraxis zr¡m internationalen Obligationen-recht (1970).

P¡ur- Vorx¡r¡ - Übersicht über die schweizerische Literatur zum internationalenPrivat¡echt (1970-197 l)

Pdx de lllnstitut de droit international

t45

153

201

223

257

289

290

297

103

ûscal international, etc. (termes que nous distinguerions, quant à nous,de ces branches du droit international public que sont le droit internatio-nal pénal, le droit international administratif, le droit international fiscal,etc.); mais ce n'est pas ici le lieu de discuter d.es questions que soulèventcette terminologie et ce découpage.

Nous pouvons aussi nous dispenser d'examiner de vieilles questionscomme celle de savoir si le droit international privé fait partie du droitprivé ou, en tarì.t que <<droit de délimitation)> ou de droit sur I'applicationdu droit - <<Grenzrecht>> ou <<Rechtsanwendungsrecht>>, du droit pu_blic, comme la procédure. Nous n'aborderons pas d.avantage les relationsdu droit international privé avec le droit des gens.

<< L'application du droit public étranger en droit internationarþriaá . . .>>.

Le seul énoncé de ce titre aurait paru être une aberration, voici encorepeu d'années, à bien desjuristes suisses ou étrangers. peut-être le paraît-ilencore à certairu? N'y a-t-il pas une contradiction dans les ter¡nes à parlerde droit public étranger en droit international þriaé?

Laissons ici de côté les controverses doctrinares traditionnelles surI'objet et le contenu du droit international, sur la définition de cette dis-cipline !

rl paraît également superflu d'e'tamer une discussion sur l,existenceou le caractère des règles de collision, ou de conflit, en droit public, surleur nature unilatérale ou bilatérale, etc.

Qu'il nous suffise d'indiquer, sur le premier point, que nous entendonsla discipline du droit international privé dans un sens large et, sur lesecond point, que nous ne sommes pas persuadé du caractère nécessaire-ment <<unilatéral>> qu'auraient les règles de conflit en matière de droitpublic. sur le bilatéralisme ou I'unilatéralisme des règres de conflit (endroit international privé), d'ailleurs, on sait que le dernier mot n,est pasdit et que la controverse a rebondi, ces derniers temps, sous I'influencedes idées originales du Professeur Quaonr, en Italie, et d.u regain d'intérêtvoué par la doctrine française, notamment, ar:x lois dites <<d,applicationimmédiate>>1r.

sur l'intérêt et l'actualité du sujet, il est sans doute inutile d.'insister.Il s'agit, à l'évidence, d'un grand sujet théorique, qui touche à quantité

de questions fondamentales du droit internationar privé (ainsi, du reste,qu'il touche au droit international public), par exemple l'objet mêmedu droit international privé, sa finalité, sa structure, la nature de ses

1) Cf. sur ce sujet, P. Gorrror, Le renouaeau de la tendance unilatéraliste en droit internationalþriaê,RCDIP,1971, p. I ss., 209 ss. et 415 ss.

-{PPLICÀTION DU DRoIT PUBLIC ÉTRANGER

règles (s'agit-il seulement de règles de rattachement ou aussi de règles

matérielles?) . Il n'est guère de questions (du renvoi à la qualification, dela compétence judiciaire aux immunités de I'Etat, de l'application et de

l'interprétation des normes étrangères à I'intervention de l'ordre public)que I'on ne retrouve en étudiant ce thème là.

Quant à son intárât pratique, il est encore plus évident, à une époque oùI'on parle (du reste souvent sans nuances suffi.santes) de la <<publicisation>>

générale du droit privé. Qu'il suffise de citer ici Ia question des natio-nalisations et confiscations étrangères, des lois monétaires (un sujet com-bien actuel), des lois fi.scales, du droit international privé des cartelse),des lois relatives au droit du travail et à la sécurité sociale, sans oublierles lois et les jugements en matière de droit pénal!

On remarque immédiatement dans cette rapide énumération plusieursdomaines juridiques en pleine évolution. Les enseignements que nousapportent les litiges internationaux en matière de droit anti-trust ou enmatière monétaire, par exemple, doivent inciter les internationalistes à

reprendre I'examen de questions fondamentales du droit internationalprivé et, en particulier, à se poser des questions sur la validité de cer-taines vieilles formules jurisprudentielles, reprises parfois d'un arrêt à unautre sans beaucoup de réflexion.

Droit public et Droit privé

Aucun internationaliste ne peut manquer de se demander si la dis-tinction, pour nous classique, entre droit public et droit privé, la <<summa

divisio>> des juristes nourris de droit romain, conserve sa validité en droitinternational privé.

fl est permis d'en douter pour plusieurs raisons, bien connues: d'abord,cette distinction est étrangère à la tradition historique du droit internatio-nal privé (les anciens auteurs ne la connaissaient point). Elle est inconnueou assez peu comprise dans la tradition juridique de plusieurs pays,

notamment des pays de Common Law. Selon certains, elle serait absentedes systèmes juridiques des pays <<socialistes>>3).

Il est devenu banal d'observer que les frontières du droit public et dudroit privé s'estompent de plus en plus, que les <<cas mixtes> se multi-

2) Cf. à ce suiet, R. BÄn, Kartellrecht und IPR, Bern, 1956.3) Cf, à ce sujet les intéressantes observations de R. Bysrnrcxy, I¿s trails gíuraux de

la codfication tchrlcoslocaque en droit international prité in: Recueil des Cours, 1968, p. 433.note 23.

PIERRÐ L-,\LI\iE

104 105

PIERRE LALIVE

plient, et que les conflits <<de pur droit privé>> deviennent plus rares, en

matière économique internationale.L'intervention accrue de I'Etat, dans les pays occidentaux aussi, n'a

pas laissé d'avoir de nombreuses conséquences en droit international privé.

A une époque où le commerce international est Partout affecté, de

manière plus ou moins profonde, par les réglementations douanières,

monétaires ou fiscales, prises en application de politiques économiques

souvent contradictoires, n'y a-t-il pas une certaine <<irréalitó>> dans la dis-

tinction traditionnelle du droit public et du droit privé?

On en pourrait trouver la preuve, en particulier, dans I'imprécision et

la multiplicité des critères proposés pour opérer cette distinction - multi-plicité que I'on retrouve en droit interne (ainsi qu'en fait foi, par exemple,

la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui se refuse, sans doute avec

raison, à se lier à un critère déterminé, par- exemple, celui des intérêts,

plutôt qu'à un autre), dans la variété des solutions existant d'un pointde vue comparatif, même entre les systèmes qui connaissent la distinction,

et enfin, en droit international privé proPrement dit, dans I'incertitudedes qualif.cations: on sait que la même règle ou institution, considérée

comme de droit privé dans le pays d'origine, peut fort bien être qualifiée

comme étant de droit public dans un autre pays.

C'est I'occasion de mentionner I'application clue fait, en cette matière,

le Tribunal fedéral de la règle classique de qualification par \a lex fori:

<II fautjuger en vertu du droit suisse la question de savoir si une règle du

droit étranger relève du droit public ou du droit privé, quelle que soit sa qualifica-

tion dans sa propre législation>>.a)

En soi, cette solution ne paraît guère critiquable: dans le contexte du

système traditionneÌ qui distingue dans le droit étranger ce qui est droitpublic de ce qui est droit privé - pour rejeter l'application du premier

et accepter l'application du second - il s'agit donc de définir ou, mieux,

de délimiter la portée de la règle suisse de rattachement, et l'on conçoit

qu'il appartienne au droit suisse de qualifier les termes ou les critères de

limitation, comme le terme de <<droit public>> (ceci n'excluant pas, du

reste, une qualification <autonome>, c'est-à-dire tant soit peu différente

de celle du droit interne, et adaptée aux fi.ns du droit international privé

suisse). Si cette qualification <<lege fori>> paraît correcte en principe, il

a) r\TF 79 II 87, (1954) Wßmeyr. Notoru que, dans cette affaire, le Tribunal fédérala qualifié ia loi étrangère comme de droit þriaé, alors que la Cour cantonale s'étaitfondée sur son caractère de ðroít þublic pour rejeter l'action !

.\?PLIC.A.TION DU DROIT PUBLIC ÉTR.,\NGER

reste que ses résultats, dans la pratique, illustrent le caractère incertain,

voire artificiel, de la distinction droit public-droit privé sur le terrain

international.Rien n'empêche donc le juge suisse de qualifier comme loi de droit

þublic llrne loi qui, dans son pays d'origine, est considérée cornrne þriuée,

et vice-versa. On ne peut se délendre de I'impression, lorsclue l'on exa-

mine la jurisprudence, que les qualifications - dans notre domaine et, peut-

être aussi, dans beaucoup d'autres (mais ce n'est pas le lieu d'en parler

ici) - ont souvent été des prétextes, ou la justification a posteriori d'une

décision (d'application ou de non-application de la loi étrangère) fondée

sur d'autres motifs.<<Je te baptise carpe> disait le moine du fabliau au lapin ou à la

tranche de rôti qu'il désirait manger au lieu de faire maigre un vendredi !

De même, teile loi monétaire étrangère se voit considérée comme <<de

droit public>> lorsqu'elle est en I'espèce, discriminatoire, alors qu'une loi

emportant confi.scation sans indemnité se voit qualifiée, le cas échéant,

comrne <<loi de droit privé>>!5r

Ces manipulations judiciaires, si justifiables qu'elles puissent paraître

cluant à leur résultat pratique, laissent rêveur et contribuent à inclinerau scepticisme en ce qui concerne I'utilité ou la nécessité de la distinction

<<droit public-droit privé>> pour les besoins du droit international privé.

Observons en outre que le système de qualification par la lex fori a, ou

peut avoir, une conséquence assez curieuse: dans le système traditionnel(que nous allons discuter) où le droit public étranger est tenu pour inappli-cable a priori, la qualification <<legefori>> peut conduire à appliquer une

loi étrangère (jugée en Suisse comme de droit privé) quand bien même,

<j.ans le pays d'origine, elle serait tenue pour dudroitpublic... etmême

ne prétendrait pas s'appliquer à l'étranger!Si nous relevons en passant cette conséquence possible (mais, il est vrai,

non nécessaire), c'est pour signaler le problème, extrêmement intéressant

et difficile à la fois, de ce qu'on peut appeler I'<<auto-Iimitation>> du droit

public étranger.

Est-ce un préalable à toute application du droit étranger (public aussi

bien que privé) que ce droit <<veuille>> s'appliquer en dehors de son ter-

ritoire ? Ou peut-on admettre que le for << applique >> le droit (pubÌic) étran-

ger même dans un cas où celui-ci ne prétendrait pas avoir de tels effets

5) Dans des circonstances spéciales, il est vrai, celles des décrets néerlandais sur <<le

rétablissement des relations de droit>. en cause dans la célèbre affaire, ATF B0 II 53

(1954). Ammon cl Roltal Dutch.

106 107

PIERRE LALIVE

extraterritoriar.rx? En d'autres termes, le for peut-il appliquer le droitpublic étranger sans se préoccuper du point de vue de l'Etat dont émane

cette législation? La question mériterait un examen approfondi, qui dé-

passe les limites du présent exposé.

Cette brève évocation de la qualifrcation nous a conduit à anticiperdéjà sur I'un des aspects essentiels de notre rapport: y a-t-il applicabilitéde principe, ou au contraire inapplicabilité à priori, du droit public étran-ger, en tant que tel? Lajurisprudence du Tribunal fédéral, à cet égard,

est connue; aussi nous bornerons-nous à indiquer ici quelques points de

repère, pour en rappeler l'évolution, avant de la discuter.

L'inapplicabilité du droit public étranger selon la iurisprudence

A de multiples reprises, les tribunaux suisses ont affirmé, catégorique-

ment que:

<Le droit public d'un Etat étranger n'est ni applicable, ni exécutoire en

Suisse >>.

Ceci, surtout, à propos de trois catégories de mesures législatives étran-gères: les mesures de guerre, les mesures de confi,scation, et les mesures

monétaires (Devisenrecht, contrôle des changes).

La Première Guerre Mondiale a donné I'occasion au Tribunal fédéral

de se prononcer sur la portée, dans les relations internationales, des dé-

crets de guerre des Etats belligérants (interdisant tout commerce a\¡ec

les sujets ennemis).Darx un arrêt <<La Nationale clBiermann>>6r, il s'agissait d'un décret fran-

çais de septembre l9l4 déclannt <<nul et non avenu comme contraire à

I'ordre public tout acte ou contrat passé soit en territoire français . ..par toute personne, soit en tous lieux par des Français ou protégés fran-

çais>> avec des sujets ennemis, et interdisant I'exécution des obligationsenvers les sujets ennemis. Ce décret était-il applicable à un contrat d'as-

surance conclu en Suisse en 1900, et soumis au droit suisse?

La réponse donnée a été négative, pour un double motif: d'abordparce que le contrat était et restait soumis au droit suisse, ensuite parce

que:

<<Il ne peut être question pour le juge suisse d'appliquer les dispositions du

décret de guerre français, car iI ne s'agit pas là de dispositions de droit privé,

6) Du 17 avril 1916, JT 1916, 464.

APPLICÂTIoN DU DRoIT PTTBLIC ÉTRANGER

mais de dispositions de droit public, et encore d'un caractère tout à fait excep-tionnel. Déjà en principe le juge n'a pas à appliquer les règles de droit publicédictées par un Etat étranger; a fortiori ne peut-on exiger des tribunaux d'unEtat neutre qu'ils appliquent les lois étrangères visant la lutte contre un Etatennemi dans le domaine économique ou dans tout autre domaine>>?).

On trouve dans les années de guerre et après la Première GuerreNlondiale des décisions analogues, refusant par exemple de tenir compteen Suisse des dispositions du Traité de Versailles (qui interdisait auxAllemands de payer directement leurs créanciers français domiciliés enFrance) ou de la loi allemande d'exécution de ce Traité8r.

Signalons en passant une analogie, qui paraît intéressante: le décretfrançais de 1914, en cause dans l'affaire <La l{ationale>>, prétendaitréglementer (et annuler) les actes juridiques passés, soit sur territoirefrançais par toute personne, soit <<en tous lieux par des Français>>.

Dans une législation récente, dans le domaine cette fois du contrôle des

changes - la Loi et le Décret dits << sur les relations financières avec l'étran-ger>> (Loi No 66 - 1008 du 28 décembre 1966 et Décret No 67 - 78 du27 janvier 1967, modifié a diverses reprises depuis lorsgr - le législateurfrançais a prétendu régler ce qu'il appelle <<la constitution en Franced'investissements directs>>, constitution qui est <<soumise à déclaration>>auprès du Ministre des Finances.

Or le Décret s'applique:

(notamment lorsque la constitution de I'investissement est réalisée par voiede cession d'une participation dans le capital d'une société en France, effectuéeentre personnes physiques ou morales, publiques ou privées ayant leur résidencehabituelle ou leur siège à l'étranger>>. (Article 4).

Bien que l'interprétation de ce Décret soit controversée, il semble enrésulter que le législateur français a entendu interdire, si la chose lui con-vient, par exemple le transfert d'un paquet d'actiors au porteur (le trans-fert jusqu'à 20o/" fu capital restant autorisé) d'une société francaise,

7) Le Tribunal fédéral ajoute, <<pour le même motif> que I'interdiction de payer etde contracter édictée par le Décret français n'implique pas une <<impossibilité de laprestation)> au sens de I'article l19 CO.

8) \/oirparexemplel'arrêtGermaniacl Pinnau,du4. 1i.1920,JT 1921, 190: (cLaussiI'ATF 4l I145 Kistenfabrik Zug AG, du tB juin 1915 - oìr le Tribunal fédéral rappellequ'il a <<corstamment posé en principe que les trìbunau suisses ne peuvent prendre enconsidération les décrets de guerre des Etats belligérants>> 40-I 486 et 42-II lB3).

0) A ce sujet, voir les études Ce R. Le Cr-.r'urnnr, in: SemaineJuridique No ll, du16.3.1967, p.293, et de P. Due.r¡¡o etJ. Larscu-t, in: SemaineJuridique No 29 etN.30/31. du 20.7. et 3.8.1967. p. 853 et 881.

108 109

PIERRE LALIVE

lorsque ces actions sont déposées en suisse, et que leur propriétaire, unactionnaire suisse, souhaiterait les céder, en suisse, à une autre personne,physique ou morale, de nationalité suisse. La question peut donc se poseïde savoir si une telle défense peut avoir des effects hors de France ou sil'acquéreur suisse de ces actions au porteur pourrait contester la com-pétence des autorités françaises, soit au sens du droit international public,soit selon les règles suisses du droit international privé sur le transfertdes actions au porteur, pour prétend.e s'opposer à une teile cessio'd'actions.

On voit I'intérêt et I'actualité de ce genre de question.lrlous nous limiterons à observer ici que le Décret de r967 paraît alÌer-

nettement plus loin que le Décret de guerre de 1914, puisqu'il veut ré-glementer la conduite ou les actes, à l'étranger, de ressortissants étrangers(il est vrai lorsqu'ils visent des actions d'une société frangaise). on songeici aussi, tout naturellement, aux questions analogues qui se posent dansle droit international des cartels.

Refermons cette parenthèse, et abandonnons le cas des mesures deguerre en renvoyant sur cette question à une intéressante étude du pro-fesseur Scruxor,rn, de 1946, à propos de I'Accord de Washingtonr0). Onremarquera, dans les abondantes citations de doctrine et dejurisprudenceque fait notre collègue, un fait qui paraît significatif: Ie refus d,appliqueren suisse les décrets étrangers de guerre estjustifié, tantôt par leur carac-tère de droit public, tantôt par leur caractère de législation <<d'excep-tion>>, tantôt par la neutralité suisse, tantôt par l,ordre public suisse, et,assez souvent, par ces divers motifs réunis. L'affrrrnation revient, cons-tamment, chez les auteurs cités, <<qu'une législation d'exception touchantau droit public n'a jamais d'effet extraterritorial>r1).

ces différentes justifications se retrouvent, plus ou moins expressément,dans de nombrer¡x arrêts relatiß aux mesures de guerre; ainsi dans uneintéressante affaire weixler clsociété des Transþorts rnturnatíonaux, du \eravnl l924a2t où il s'agissait du séquestre et de la liquid.ation de bienssitués en Flance et appartenant à une société suisse; les autorités fran-çaises ayant restitué la part du produit de liquidation correspondant auxactions appartenant aux actionnaires suisses et français, les actionnairesallemands et autrichiens avaient intenté en suisse une action tendant à

Lo) Besitzen Kon1sl;atorische Gesetze az$crterritorîale tr4ârkung? cet Annuaire vol. III(19a6), p. 6s-9a.

11) NrBoyET, cité par Scnrxor-rn., art. cit., p. 69.re) A'IF 50 II 51.

APPLICATIoN DU DRoIT PUBLIC ÉTR,\NGER

naire constater que cette somme devait être répartie entre tous les action-naires, quelle que soit leur nationalité, et ils obtinrent gain de cause. LeTribunal fédéral a déclaft, notamment:

<<Les mesures prises en France par Ies autorités françaises en vertu de la légis-lation de guerre ne peuvent faire échec à r'application de la roi suisse. sans douteles effets matéri¿ls de ces mesures sur les biens qui en ont été l,objet subsistent etlejuge suisse ne peut que les enregistrer sans avoir à rechercher si lesdites mesuresétaient ou non justifiées en vertu de ra législation étrangère (49 II r29). Maisquand il s'agit d'en déterminer les effets juridiques dans res rapports entre rasociété et les actionnaires et sur les biens se trouvant en suisse, le droit suissereprend tout son empire: la conception que les autorités françaises ont pu avoirde Ia portée et des conséquencesjuridiques de leurs décisions ne fait naturellementpas règle pour le Tribunal fédéral et celui-ci nc saurait prêter la main à I'exécution enSuisse de mesures exceþtionnelles de guerre édietée þar un Etat,ltranger>>.

cette affaire offre aussi de I'intérêt, par rapport au cas que nous venonsde citer, celui du Décret de 1967 sur res investissements en France, enceci qu'il tire certaines conclusions du fait que |autorité française

',avaitjamais été en possession des actions des demand.eurs, et que res droits del'actionnaire, incorporés dans I'action, étaient en dehors du territoiresur lequel pouvait s'exercer le pouvoir de I'autorité française (considérant3, p. 60).

La jurisprudence suisse relative aux nationarisations et confscations ëtran-gères, d'une part, et à certaines mesures moruitaires comme res dispositionsdu droit des devises de l'Allemagne rtazie, d'autre part, est trop connuepour qu'il soit nécessaire de la rappeler ici. Elle a fait l'objet de nombreuxcommentaires et études, notamment dans l'Annuaire suisse de Droitinternational, sous la plume de ScrrrNor,Bn, Nrnornen, scuaulrervN, F.Vrscnnn, etc. . . . Sans revenir sur le détail d.e ces affaires classiques,touchant soit aux nationalisations, à I'expropriation des biens israélitesou à leur mise sous <<administrations offi.cielles>, au contrôle des changes,etc. - il convient de rappeler la (relative) variété des motiß qui ont étéinvoqués pour écarter l'application ou Ia reconnaissance en suisse desmesures étrangères.

c'est, tantôt, I'ordre PubÌic qui intervient (vu I'absence d'indemnitésprévues par la mesure d'expropriation, ou son caractère discriminatoire) .

c'est parfois, tout simplement, l'application du principe cìassique de laI¿x rei sitae. Mais c'est aussi, assez souvent (et en même temps) un refusd'application fondé sur la <<stricte territor-iarité du droit public étranger>>

II

l

110111

ou des <lois politiques>> étrangères. Et c'est ce dernier motif qui doitretenir ici notre attention.

C'est GurzwrLLER, croyorui-nous, qui, le premier ou l'un des premiers,

a mis en garde nos tribunaux contre le danger des formules catégoriques

d'exclusion du droit public étrangerrar. Auparavant, du reste, quelques

tribunar¡x cantonaux, notamment zurichois, semblent avoir eu con-

science de I'impossibilité d'une condamnation en bloc du droit publicétranger, et avoir cherché à y apporter des correctißla).

En 1949, dans I'arrêt Wichert (7+ II 224),le Tribunal fedéral entre-

prend de nuancer ce que Gutzwrr,r,en a appeLé un de ces <<postulats

dogmatiques, inacceptables dans leur généralisation . . . >. Il s'agissait,

on s'en souvient, des effets en SiÍisse d'une mesure tchécoslovaque de

mise sous administration publique de l'entreprise et des biens du deman-

deur, de nationalité allemande. L'arrêt invoque aussi bien l'ordre publicsuisse que la lex rei sit¿¿ suisse et le caractète territorial des mesures de

droit public de I'Etat tchécoslovaque.

Notons en passant, ce que les commentateurs ne paraissent pas avoir

signalé, une particularité curieuse de ce cas: le demandeur Wichert, ré-

fugié en Suisse et lésé par les mesures tchécoslovaques de mise sous ad-

ministration nationale, avait obtenu lui-même les biens dont il s'agit,

semble-t-il, en profitant, en 1942, de la confiscation par les Allemands

d'une entreprise israélite de Prague ! Quoi qu'il en soit, le Tribunal fédéral

s'exprime ainsi:

<<La gestion nationale ordonnée par I'Etat tchécoslovaque ne peut en aucune

façon s'ingérer dans ce droit de propriété [a marchandise en cause z"yarlt été

transportée en Suisse, oir elle était placée sous la protection du droit suisse, à

titre de LRS] le droit public d'un pays étranger n'est en principe ni applicable

ni exécutoire en Suisse, exceþté le cas où I'ordre juri'diqtu sui"sse ticnt lui-mime comþte

du droit étranger (par exemple pour savoir si une personne a acquis une nationalitéétrangère). Il faut en outre réserver les clauses des conventions internationales>>.

Le caractère vague de I'exceþtion ainsi apportée saute aux yeux. Le droitpublic étranger est inapplicable et inexécutoire, il est vrai <<en principe>>

(grundsätzlich), à l'exception du cas où I'ordre juridique suisse lui-même

veut en tenir compte !

ra) Ceci d'abord en 1940, dans son ouvrage, Der Geltungsbereich der Wahrungsaorschrif-

ten-p. 130, N.21, puis dans une Note à I'ASDI 1949, p.221, sur I'arrèt Wirh2rt (74

rr 22+, JT 1949 r 360).u) Par exemple OG Ztirich, du 11.11.1942, SJZ 39 p. 367 et 302.

It2

APPLICA.TION DU DROIT PUBLIo ÉTRANGER

On notera qu'il ne s'agit encore que des cas tout à fait classiques, oùle droit public étranger a toujours été pris en coruidération - générale-

ment à titre de question préalable ou comme condition d'applicationcorrecte de la lex fori.. Airui en matière de nationali.té (c'est le seul exemplecité par le Tribunal fedéral), <<pour savoir si une personne a acquis unenationalité étrangère>>. Ce à quoi l'on peut ajouter le cas où il s'agit desavoir si un national a perdu la nationalité du pays, pour avoir acquis celled'un Etat étranger. De même si la validité d'un mariage dépend de lacompétence d'un officier d'Etat civil étranger, ou si la validité d'un actejuridique dépend de la compétence d'un notaire ou d'une autorité étran-gère.

En 1953 s'amorce une évolution: la der¡xième Cour civile (qui a lunotre Annuaire et la Chronique de Gurzwrr-r-en) déclare ce qui suit, dansune affaire Wismelerrst :

<< On peut se dispenser d'examiner si I'arrêt Wichert - alors même qu'il réserve

certaines exceptions, ne formule pas de manière trop absolue et générale la règleselon laquelle le droit public d'un Etat étranger n'est en principe pas applicableni exécutoire en Suisse (voir la critique de Gutzwiller dans I'ASDI 1949). Car laseule question décisive ici, qui est celle de savoir si une règle de droit étrangerdoit être considérée cornme une règle de droit public ou comme une règle de

droit privé, doit être résolue d'après le droit suisse et sans égard à la qualificationque cette règle reçoit dans sa propre législation . . . >>.

Ceci posé, le Tribunal fédéral admet, contrairement à la Cour canto-nale, que le contrat relatif à un trarufert d'actions est de droit privé lorsmême qu'il a été conclu en vertu d'une obligation de contracter instituéepar le droit public (Considérant 3). It s'ensuit que seule une éventuelleintervention de I'Ordre Public (question renvoyée à I'instance cantonale)pouvait empêcher I'application en Suisse du droit tchécoslovaque com-pétent.

La législation néerlandaise dite <(de rétablissement des relations de

droit>> devait donner au Tribunal fédéral I'occasion d'amorcer un tour-nant important - ceci avec la célèbre affaire A¡nrnon clRoltal Dutch (arcêtdu 2 février 1954)tot.

Sollicité de déclarer inapplicable en Suisse une législation <<sympathi-

que> (à divers égards, et en tout cas non discriminatoire), le Tribunalfédéral n'est évidemment pas incité par les circonstances particulières de

ls) 23 janvier 1953, ATF 79 IL 87, JT 1954, 68, 74.16) A'fF 80 II 53, JT 1954 I 5BB, 1955, 274 et 1961,250, cet Annuaire vol. XII

(1955), p. 274.

113

PIERRE LAIIVE

PIERRE LALIVE

l'affaire à reprendre le cliché de I'inapplicabilité en bloc du droit publicétranger. Il commence du reste par qualifier la législation néerlandaise

de loi de droit priaé, ce qui tranchait la question (sous réserve, bien sûr,

de l'Ordre Public); mais il éprouve le besoin, et cela est signiûcatif, de

reprendre la question du droit public étranger: la portée du principede l'inapplicabilité du droit public étranger doit, constate le Tribunalfedéral, <<être précisée car, énoncé sous une forme aussi générale, il ne

tient pas sufûsamment compte du fait que I'ordre juridique d'un Etat est un

tout>>.

L'arrêt, malheureusement, ne tire pas de cette constatation fondamen-tale toutes les conséquences qu'elle pourrait comporter. fl poursuit:

<<La doctrine et la jurisprudence admettent généralement qu'en principe le

droit pénal étranger, la procédure, le droit public et administratif, y compris ledroit fiscal, ne sont pas applicables dans le pays, en tout cas pas comme source

directe de droit, mais qu'il y a néanmoins des cas oir il faut les appliquer indirec-tement; c'est uniquement la délimitation de ces cas qui prête à controverse . . . >

et le Tribunal fiédéral, influencé par certairx arrêts cantonaux (notam-ment de L'OG Zijric}:^ en 1924) et par les écrits de quelques auteurs, en

particulier de Nreorn¡n, énoncent lenouaeauþrincipe qui va gouverner sa

jurisprudence:

<< Il s'agit donc de rechercher quel est le bwt essenti¿l de la norme étrangère quiempiète sur une réglementation de droit privé. Si ce but est de protéger des inté-ftts þriués (par opposition aux besoins immédiats de I'Etat), il n'y a aucune

raison pour le juge suisse d'écarter le droit public étranger pour la seule raison

que, de par sa naturejuridique, il est du droit public>>.

Quelques années plus tard, en 1956, dans un affêt Carborundum cl

Bureau Fédéral de la Proþriété Intellectueller\r, le Tribunal fedéral con-firme

son nouveau principe en le combinant avec la formule de I'arrêt Wichert:

selon cet arrêt, le droit public ne s'applique que dans l'Etat qui le pro-mulgue (principe de la territorialité) et le droit public étranger n'est niapplicable ni exécutoire en Suisse, saqf si l'ordre juridique suisse lui-même l'exige, par exemple si la Confédération est liée sur ce point parun traité international, ou si le droit public en question ne fait qu'appuyerle droit privé qu'elle considère comme applicable. Mais, dans le cas parti-culier (expropriation d'une marque par I'autorité tchécoslovaque), on ne

se trouve pas, pense le Tribunal fiêdéral, <<dans un de ces ¿a¡ exceþtionnels>>.

18) A'fF 82 I 196, JT 1957 I 553.

tt4

APPLICATION DU DROIT PUBLIC É,TRÀNGER

Formule analogue dans un récent arrêt (du 27 février 1968) dans une

affaire Union Nasicast.

II s'agissait d'un décret-loi hongrois, de 1950, obligeant les résidents à

dÉclarer à l'Office des devises les papiers-valeurs étrangers ainsi que les

créances qu'ils possèdent contre un débiteur étranger. Les cessions faites

airui par les citoyens hongrois à l'Institut central hongrois devaient-elles

être considérées en Suisse comme valables ou comme nulles?

La Cour deJustice civile de Genève avait, notamment, invoqué I'ordrepublic suisse pour juger inopérantes les cessions de titres opérées en

Hongrie. Le Tribunal fédéraI, lui, analyse la législation hongroise, quitend au transfert de biens privés à l'Etat, et constitue, à son avis, <<mani-

festement du droit þublic>>. Revenant sur la question (tranchée affirma-tivement dans I'arrêt Wisme2er, (79 II 97) du caractère <<privé>> d'uncontrat conclu entre personnes privées soumises à une obligation de droitpublic de contracter, le Tribunal fedéral la laisse ici ouverte. Il note que:

<<Le fait que I'autorité recoure, comme en I'espèce, à des procédés de droitcivil pour réaliser un but que lui assigne le droit public ne confère par le caractère

de droit privé ar:x actes ainsi passés>>.

On trouve aussi le même <<Leitmotiv>> dans un arrêt du 4 février 1969

(UBS cl Poljakzot), où il est présenté, de manière également superflue,

comme un principe de droit des gens (principe de la territorialité), ce que

faisait déjà l'arrêt Carborundum.

Avant de poursuivre, nous voudrions mentionner un arrêt du Bundes-

gerichtshof allemand du l7 décembre 195921r.

Dans ce litige, il s'agissait d'un contrat de prêt, et de la validité ou de

la nullité d'une cession de créance - validité qui dépendait de l'applica-tion éventuelle d'une loi de l'Allemagne de l'Est (DDR) limitant lepouvoir de disposer du créancier.

Cet arrêt mérite d'être cité, au moins brièvement, car il se réfère ex-

pressément à la jurisprudence suisse (à l'arrêt Ammon cl Roltal Dutch) et

ar-rx écrits de NrBoBn¡n, à propos de la distinction à faire dans le droitpublic étranger, selon qu'il sert de façon prépondérante des intérêts privés

ou, au contraire, les intérêts politico-économiques de I'Etat.L'arrêt affirme aussi, de façon catégorique, la distinction - chère à

certains auteurs allemands, entre deux sortes de <<Kollisionsrechte>>, le

re) Semaine judiciaire 1969, p. 433.

'!o) ATF 95 II 109; cf. Clunet, 1970, p.427,note P. L,lr.rve.21) BGH 31, 368; voir aussi RabelZ, 1960, avec note critique K¡r¡. N¡uuever.

115

PIERRE LALIVE

droit des conflits prioé et le droit des conflits publi.c. Le prernier est, à son

avis, fondé sur I'idée de reconnaissance et d'application du droit privéétranger (comme l'écrit NrBonn¡n dans cet Annuaire, vol. XI (1954)

et fait une large place à l'autonomie des parties, tandis que le second, le

<<öffentliches Kollisionsrecht>> serait, lui, fondé sur I'idée de territorialitédu droit.

Cet arrêt fort intéressant (bien que sa portée soit peut-être un peu

réduite en raison de sa nature de droit <<interzonal>> allemand) appelle

des commentaires et des critiques très analogues à ceux que l'on peut et

I'on doit adresser à lajurisprudence fédérale suisse.

Examen critique

Il y a lieu maintenant, en effet, après ce rapide rappel de quelques

étapes jurisprudentielles, d'examiner l'inapplicabilité du droit publicétranger, aussi bien dans sa version ancienne et absolue que dans sa

version modernisée. Et ceci successivement sous quatre aspects ou quatre

éclairages, plus ou moins différents, qui se complètent:

1. Quid de ce principe, du point de vue de la distinction classique

entre droit public et droit privé?

2) Que faut-il penser de la <<territorialité>> du droit public, à laquelle

se réfèrent certains arrêts?

3) Que penser aussi du caractère de <<lois politiques>> attribué pat lajurisprudence, implicitement ou non, aux lois de droit public?

4) Enûn, faut-il approuver la version modernisée du principe tradi-tionnel, version que nous proPosent tant le Tribunal fédéral que le Bun-

desgerichtshof, à la suite d'auteurs comme Nreonnnn ?

l. Lorsque la règle de rattachement du for (par exemple la règle de

droit international privé suisse) <<localise>> le rapport litigieux dans un

pays étranger, c'est-à-dire désigne comme <<applicable>> le droit de ce

pays (pour la raison, en bref, que l'affaire présente des <<contacts>> pré-

pondérants avec ce pays étranger), sejustifie-t-il d'exclure à priori les lois

dites <<de droit public>>, telles qu'on les entend dans le pays du for?

A notre avis, une exclusion en bloc, fondée sur le caractère général et

abstrait <<de droit public>>, est insoutenable.

Une première raison en est le caractère fuyant, maintes fois mis en

lumière par la doctrine, de la distinction droit public - droit privé. Tout

116

APPLICATION DU DROIT PUBLIC ETR¡TNGER

principe d'exclusion à priori du droit public étranger présuppose, néces-

sairement, la possibilité d'une séparation suffisamment claire entre droitprivé et droit public - une idée encore plus discutable aujourd'hui qu'elle

ne l'était au début du siècle, à l'époque où Zrre¡-uaNx (par exemple),

dans son Traitê,, avançait l'idée que le droit international privé avait

pour objet la réglementation équitable des seules relations internationales

þriuéesz2t.On a vu, à propos de la qualification, ce que I'on pouvait penser d'une

jurisprudence qui s'emploie laborieusement à baptiser telle réglementa-

tion étrangère de <<loi de droit privé>> ou de <<loi de droit public>> - selon

qu'elle entend en admettre ou au contraire en proscrire l'application en

Suisse (pour des raisons qui, dans ce dernier cas, semblent impossible à

distinguer d'une intervention classique de I'ordre public suisse).

A l'époque actuelle, et en raison de ce que I'on peut bien appeler (en

simpliûant, certes) l'interpénétration croissante du droit public et du

droit privé, ainsi qu'à cause de la diversité des conceptions régnant à ce

sujet dans les divers pays, ne devrait-on pas reconnaître une bonne fois

l'inadéquation de cette distinction traditionnelle aux fins du droit inter-national privé?

(2) La jurisprudence du Tribunal fédéral (qu'il s'agisse de sa version

ancienne ou de sa présentation <<new-look>>) a recouru également, assez

souvent, à I'idée de territorialiÍl du droit public étranger.

Faut-il insister sur I'ambiguïté de cette formule classique, dont l'emploise réduit, le plus souvent, à une <<petitio principii>>? On sait que cette

expression (<<primaire et superficielle>>, comme le note M. FnBvnrezs)),

recouvre une multiplicité d'idées différentes, qu'il conviend¡ait de dis-

tinguer mier-rx que ne le fait la jurisprudence ou (souvent aussi) la doc-

trine. Il ne s'agit évidemment pas de la territorialité que l'on peut appeler

<<positive>> (c'est-à-dire de la volonté du législateur d'appliquer sa loi,sur son territoire, à toutes les personnes et toutes les situations). Il ne

s'agit pas davantage d'une territorialité <<négative, mais voulue>>, d'une

législation de l'Etat étranger qui ne <<veut pas>) produire des effets extra-

territoriaux (encore que la question se pose, nous y avons fait allusion,

de savoir si les autres Etats doivent tenir compte ou non d'une telle <<auto-

limitation>> du législateur étranger). Il s'agit, dans ce contexte, et comme

¿c) Voir I'excellente thèse zu¡ichoise de lferz, de 1959, Das fremde ffintliehe F.echt

im int¿nntionalen Kollisionsrec ht.2s) Dans une étude sur les conflits de lois en droit public, in: Travar:x du Comité

français de d.i.p., 1962 - 1964, p. 103 ss.

t17

PIERRE LA]-IVD

le titre même de cet exposé l'indique, d'une <<territorialité>> négative im-posée par le for, qui se refuse à laisser produire des effets à une législationétrangère (de droit public)zet.

Or lorsque l'on a affirmé: <<les lois de droit public sont territoriales>>, onn'a très exactement rien dit25). C'est là une pure afû,rmation, et il resteen tout cas à démontrer quel est le fait, la personne ou l'activité qui sertà localiser le rapport en cause, et pourquoi on juge opportun de choisirtel facteur de localisation en l'espèce.

En réalité, la prétendue <<territorialité>> des lois de droit public ap-partient à la catégorie de ces clichés ou de ces axiomes quejurisprudenceet doctrine répètent à I'envi, en les prenant pour des <<évidences>> qui se

passent, à leurs yeux, de démontration, alors que, précisément, elles sontimpossibles à-ðémontrer rationnellement. On trouve des observationsintéressantes sur ce point, en 1929 déjà, dans le cours fait à I'Académiede La Haye par Fnoozzr sur <<l'effi.cacité extraterritoriale des lois et desactes de droit public>20r.

Il faudrait aussi distinguer, au moins, entre deux conceptions de laterritorialité (négative) :

(a) la conception þrocédurale, chère à Sev¡cxv et Neumeyer - danslaquelle la compétence judiciaire du for suffit à exclure le droit publicétranger: ainsi, le juge est dans l'impossibilité absolue d'appliquer le droitpénal étranger, et

(b) une conception <<substantielle>> ou matérielle de la territorialité,d'autre paft, la plus répandue, est celle qui se fonde sur l'analyse durapport juridique litigieux, pour apprécier s'il a des rapports suffi,santsavec l'<<Eingriffsland>>zzr. C'est la conception la plus répandue, reflétéedans plusieurs arrêts du Tribunal îédéral (par exemple l,arrêt 60 II 2g+,à l'égard du <<Devisenrecht>> allemand).

Enfin - troisième source d'équivoques - ori. peut se demander si la pré-tendue règle d'inapplicabilité du droit public étranger relève du droitinternational privé (comrne la <<vorbehaltsklausel>>) ou du droit inter-national public. La confusion est fréquente à cet égard, et elle a été com-

¿¿) cf. I'excellent ouwage de v¡on rrrcxe, Problèmes htridiq,zs des Emþrtnts inter-natiotaux,2e éd. 1964, p. 236 ss.

25) Cf. B. GolouaN, in: Travaux du Comité français de d.i.p., 1962-1964, pp. l2g-129.

26) Recueil des Cours, 1929, pp. l4l-242, ad 149.2?) Cf.V¡NH¡cxn,Emþrunts,op.cit.,pp.237-2ZB;etNnr.:ruavnn,op.cit.in:RabelsZ.

1960 p. 655.

118

APPLICATION DU DROIT PUBLIC ÉTRANGER

mise, par exemple, dans l'arrêt Carborundurn, où le Tribunal fédéral croitdevoir rattacher la non-application du droit public étranger à:

<<un principe généralement reconnu du droi.t dzs geru . . . le principe de laterritorialité.

Nous avons critiqué ailleurs2er cette référence, inutile et discutable, audroit international public, et n'avons pas changé d'avis depuis lors. S'ilest permis de se citer soi-même, nous dirons que:

<<La formule de I'arrêt Carborundum revient presque à dire que Ie droitpublic étranger n'a d'effets en Suisse - ce dont on se doutait - que si I'ordrepublic suisse accepte de lui en reconnaître, pour une raison ou une autre)).

Or une constatation identique peut être faite, tout aussi bien, pour ledroit priaé - gu€, du point de vue du droit des gens, la Suisse n'a pas

davantage d'obligation d'appliquer, sauf convention bien entendu.En résumé, l'affirmation de Ia <<territorialité du droit public étranger -

bien qu'elle ait fini par faire impression à la suite d'innombrables ré-pétitions - ne répond aucunement à la question posée, soit celle de savoir

þourquoi certaines catégories de lois étrangères devraient être écartées àpriori et in abstracto, en tant que telles, plutôt que, in concreto, pourleur résultat d'espèce, au nom de l'ordre public.

Avec des auteurs comme V¡N lfpcx¡ et ZwErcERT2e), nous estimons

que le concept de <<territorialité> est tout à fait inutile ici. Il est, en outre,malfaisant car (vu la respectabilité que lui donne son ancienneté) il dis-pense les juristes et notamment les juges de réfléchir et encourage les

tribunar¡x à suivre une certaine pente naturelle à éviter toute applicationde la loi étrangère.

(3) Des critiques analogues peuvent être portées à l'égard desjustifica-tions, le plus souvent doctrinales, tirées du caractère de <dois þolitiques>>du droit public étranger.

Il est vrai que, à l'occasion (ainsi dans l'affaire Crédit Foncier Bauarois

cl Lecoultre)30), le Tribunal fédéral a rejeté l'argument tiré du caractère<<politique> d'une loi étrangère (en I'espèce l'<<Aufwertungsgesetz>> alle-mande de 1925). Il reste que, dans certains arrêts, I'affirmation de l'in-applicabilité de principe du droit public étranger est présentée assez

28) <<Droit Puhlie Etranger et Ordre Public Suisse>>, in: Eranion en I'honneur de G. S.Maridakis, Athènes 1964, p. 189 ss.

2e) Cf. VAN Hrcxr,, loc. cit. et Zvvercenr, <<Droit intemational priaé et droit þublirt>,RCDIP 1965, p.645.

30) A'IF 58 II I2O.

119

PIERRE L.A,LIVE

souvent en des termes qui rappellent la <<fameuse>> théorie des <<lois po-litiques>>, chère à un auteur comme AnrurN¡ox.

Cette doctrine a eu son heure de succès, avant la guerre, et des auteursaussi sérier¡x que notre maître Sausnn-Her,r, ou Cr¡anr,n,s KN¡pp ontparu l'approuver à I'occasion3l).

La prétendue territorialité des lois dites <<politiques)> a été largementdébattue dans la doctrine, en particulier lors des débats d'Aix-en-Pro-vence (avril 1954) de I'Institut de Droit International sur <<les lois politi-ques, fi,scales, monétaires en droit international privé>. Il n'est pas

exagéré de dire que les théories d'Anurw¡oN y furent proprement <<mises

en pièces>> - AnrrrN¡ox s'efforçant, en vain, de proposer une définitionconvaincante de la notion de lois politiques, et de la distinguer des cas

d'intervention de l'ordre publicszr. Il est apparu à l'évidence qu'aucunethéorie de droit intêinational privé ne pouvait sérieusement se fondersur une notion aussi obscure que protéiforme.

Il est vrai que ses partisans se réfèrent volontiers à la jurisprudenceanglo-américaine. Le Tribunal fédéral lui-même a cru utile de s'y ré-fërer33).

En effet, et la Règle 2l du Traité classique de Drcnv-Monnrs en té-moigne, lajurisprudence anglaise paraît à première vue refuser l'applica-tion des lois dites <<politiques, pénales, fiscales>> ou autres lois <<publi-

ques>>. Il convient toutefois d'y regarder de plus près et de noter, toutd'abord, que selon les meilleurs auteurs anglais eux-mêmes, le conceptde lois þolitiques ne signifie rien de spécial; à sa base, il y a toujours lanotion de <<public policy>aer.

En 1953, peu avant que l'Institut de Droit international n'<<exécute>>

la théorie des <<lois politiques>> et que, d'autre part, le Tribunal fedéralne rende le célèbre arrêt Amtnon cl Roltal Dutch, un juriste scandinave, leProfesseur Grnr,, proposait, dans un cours à l'Académie de La lIayessr,une nouvelle présentation de la théorie de la territorialité des lois politi-ques - lois qu'il déûnissait comme:

8r) Cf. S.eusen-Hl;-t-, La Clause-Or dans les contrats internationaux, Recueil des Cou¡s1937 II 737; Crr. K.nare, La Notion de lÌOrdre Publie , 1933, p. 149.

az) Voir sur ce débat: P. Lanrvn: <<La quarante-sixièm¿ sessíon de I'Institut de Droit inter-national>>, dans Friederx-Warte,52, 1954, No 3, pp. 219 ss., et Anluaire de I'Institut,1954,45 II 230 ss.

88) Dans l'arrêt Wi^ehert,74 II 224, à l'instar de NreorRx,n et de Scrr¡N¡r-Bn, oir il citele célèbre anêt Banco de Vízca1a tl Don Alfonso de Borbon (1935) I KB 140.

3a) Cf. C¡rrsr¡rnr,, in: Annuai¡e de I'Irxtitut de Droit international, 45 II 250-251;ainsi que pp.245-246, et Sc¡¡¡uu¡Nw, cet Annuaire vol. X, (1953), p. l3l, 170

35) Recueil des Cours 83, 1953 II 167, 177 et 245.

120

APPLICATION DU DROIT PUBLIC ÉTRANGER

<<Des lois qui n'ont pas pou-r but de règler les rapports de droit des personnes

privées aux fins de leurs intérêts, mais de servir directement les intérêts de I'Etatlégiférant>>.

L'idée était donc <<dans I'air>, si I'on peut dire, d'une distinction entreles lois <<sympathiques> ou <<antipathiques>), selon qu'elles servent les

intérêts privés ou les intérêts (présumés égoïstes) de l'Etat étranger.On a vu ç[ue, en 1942 déjà,I'Obergericht de Zirich évoquait le critère

des intérêts, à propos du droit public. En 1954, le Professeur N¡t'DnnBn 36)

opposait au droit international privé le <<öffentliche Kollisionsrecht>>,

fondé sur le principe de la territorialité - sous réserve, pourtant, d'im-portantes <<exceptions>>. Niederer allait jusqu'à admettre l'existence de

deux sortes de règles de <<droit public étranger>>, les unes purement étati-ques et territoriales, les autres (<servant à la réalisation du droit privé>>

et, par conséquent, applicables à l'étranger. C'est le nouveau principeconsacré par I'arrêt Atnmon cl Ro2al Dutch ainsi que par l'arrêt du 17

décembre 1959 du BGH allemand.

Que faut-il penser de cette nouvelle conception, qui distingue deuxsortes de droit public étranger (le <<bon>> et le <<mauvais>>), selon le vieuxcritère des inthêts?

La fragilité de cette distinction a été amplement démontrée dans ladoctrine, notamment dans la thèse de }Iørz¡' et on I'a trouve condamnéeaussi dans le récent Traité de notre collègue VrscusnsT).

En concédant qu'une þartie au moins du droit public étranger n'estauclrnement inapplicable, en tant que droit public, la nouvelle juris-prudence ruine le peu de crédibilité que possédait le principe traditionnel.La notion d'un <<droit public-public>> opposé à une sorte de <<droit public-privé>> ou <(au service du droit privé> est encore plus obscure et fuyanteque la distinction ancienne.

Comme I'a écrit RousrnR.ss):

<Il y a des cas où les intérêts publics et les intérêts privés paraissent liés d'u¡emanière indissoluble, sans qu'on puisse délimiter ce qui appartient aux uns et aux

autres...>.

Il est donc tout à fait vain de rechercher dans cette voie un critèred'application ou de non-application de certaines catégories de lois étran-gères.

as) <<Einige Grenzfragen des Ordre Public>>, cet Annuaire vol. XI, (1954), p. 91, 93 ss.371 IPR, in: Schweizerisches Privatrecht, Bd. I, 1969, p.537.381 Théoriz gónlrale du droit,2. éd. 1951, p. 297.

t2t

PIERRE LALIVE

Si le droit d'un pays <<forme un tout>) (comme l'a avec raison relevé

le Tribunal fédéral dans l'arrêt Ammon), il semble impossible, ration-nellement, de le découper en tranches au hasard des litiges !

On aurait pu croire la cause entendue. Les arrêts Nasi¡ et UBS cl Pol-jak, en 1968 et 1969, montrent que les mauvaises habitudes ont la viedure, et que la jurisprudence aime à se raccrocher à des formules rituelleset éprouvées, dont la répétition a quelque chose de rassurant.

Dans la doctrine récente (ou relativement récente), d'ailleurs, on

trouve encore des traces, plus ou moins nettes, de la distinction consacrée

par l'arrêt Atnmon entre deux catégories de règles de d¡oit public. C'est

ainsi que Zw¡rcn'nrset (dans u¡re intéressante étude publiée dans laRevue Critique de 1965), après avoir commenté le célèbre arrêt du BGHde 1959 et critiqué, à juste titre la notion de <<territorialité>>, écrit ce quisuit:

<Il existe différentes espèces de lois d'intervention en matière de droit écono-

mique et de droit social que le théoricien du conflit de lois doit prendre en con-

sidération: d'une part, des règles conformes à des considérations d'ordre écono-

mique et social largement répandues et approuvées, d'autre part des règles qui,

selon l'échelle de valeur du for, apparaissent comme des tentatives régulatrices

<hétérogènes> (pour employer une expression de Karl Neumayer) ou même

conìrne des mesures de combat dirigées contre d'autres Etats, dont celui du for>>.

Relèvent par exemple de la seconde catégorie (des lois <<hétérogènes>)

les règles de droit public des pays communistes, dont le <<système écono-

mique . . . est aux antipodes du nôtre>>, de même pour les <<interdictions

du commerce avec l'ennemi>>, en temps de guerre, etc. Appartiennent au

contraire au droit public étranger applicable <<sous l'angle d'un intérêtà vocation internationale typique>> (formule inventée par Zwrrennt) les

règles de contrôIe des changes entre pays occidentaux, solidaires écono-

miquement et <<dans une large mesure politiquement>> (cf. les Accords

de Bretton Woods), les dispositiorx sociales de protection en droit dutravail ou droit social, les règles relatives aux cartels (dans la mesure où

elles servent la tendance favorable à la concurrence prévalant sur nos

marchés occidentaux>>, etc.

L'auteur reconnaît que cette distinction repose sur <<un jugement de

valeur>>. Mais il se défend de revenir ainsi, tout simplement, avec sa

théorie, à I'ord¡e public:

te¡ Op. cit., supra note 29, pp. 653-654 ss.

122

ÄPPLICATION DU DROIT PUBLIC ÉTRANGER

( . . . n ne faut pas croire que I'application de règles étrangères de droit public

<sgnpathiques>>, d'une paft,la non-application de règles <<hétérogènes>>, d'autre

part, résulte du jeu de la clause d'ordre public. En vérité, cette appréciation

est inhérente à la règle de conflit elle-même . . . >>

Il est permis de juger cette théorie peu convaincante'

Est-it bien utile et oPportun d'ajouter, au motif classique d'éviction de

la loi étrangère normalement applicable, soit l'ordre public, un autre

motif, indépendant et général: celui de la non-application des lois étran-

gères de droit public dite <<hétérogènes>>: catégorie aux contours incer-

tairs, délimitées uniquement, à l'évidence, par des s1mþathies (le terme

est employé par Zwnrernr) politico-éconorniques?

Si I'on peut comPrendre que ce genre de théorie ait été développé par

des auteurs allemands, dans le contexte de I'antagonisme régnant alors

entre les deux Allemagnes, il est plus difficile d'y voir un progrès scien-

tifique ou pratique, en bonne doc6ine de droit international privé. Ceci

d'autant plus que, selon Zweigert lui-même:

<<. . . Le degré d'indignation nécessaire pour faire pencher la balance du côté

de la non-application est ici inférieur à ce qu'il est en cas de recours à l'ordre

public...>>

N'y a-t-il pas là, en définitive, une simple résurgence de la vieille

théorie des <<lois politiques>> et un élargissement contestable de la <<Vor-

behaltsklausel>>, utilisée, sous un autre nom, pour écarter, in abstracto,

des catégories de lois étrangères de droit public?

La controverse doctrinale, bien entendu, n'est pas close (en est-il une

seule qui le soit, dans tout le domaine du droit international privé?!).

C'est ainsi que I'on reparle beaucoup, ces derniers temps, dans la doctrine

française, sous l'impulsion de Fn¡NcBsc¿Ks, des vieilles <<lois d'ordre

public>> ou (Iois de police ou de sûreté)>, sous le vocable nouveau de

<< Iois d' aþþIit ation immédiate >> a0 t.

Il s'agirait, selon le savant auteur de cette formule, des lois (qu'e|les

soient de droit public ou de droit privé) <<dont l'intérêt pour la société

étatique française est trop grand pour qu'elles puissent entrer en con-

currence avec les lois étrangères ... Leur application est dite itnrnédiate

en ce sens qu'elle se fait sans I'intermédiaire des règles de conflits de

lois . . . >>. C'est l'élément d'organisation étatique que reflètent certaines

ro) Terme proposé da¡rs son remarquable ouvTage <<La théoric du renuoi>> en 1958, p.

11 ss.; cf. aussi Fn¿.¡.rc¡sctt<ts,<<Corfiits de lois>>, in: Répertoirg I No 122 ss'

Lr-7

PIERRE LALIVE

Iois qui interdit toute intrusion d'une loi étrangère et justifie que leurapplication soit <<normale>>.

En d'autres termes (selon Francescakis lui-même, qui reconnaît queI'expression <<lois d'application immédiate>> peut prêter à confusion), ils'agirait des lois

<<dont I'observation est nécessaire pour la sauvegarde de I'organisation politi-que, sociale ou éconornique du pays>>,

lois qui, d'ailleurs, ne sont pas nécessairement <<territoriales>> (puisqueleur raison d'être impose dans certains cas leur application à des faits ouà des actes se produisant à l'étrangeralr.

On peut se demander si cette théorie - qui répond indiscutablementà une certaine réalité contemporaine, marquée par le développement durôle de l'Etat et son intervention accentuée dans le domaine des relationséconomiques internationales - ne va pas <<emporter une renaissance dela fameuse question des lois_politiques >>

n z r.

Si I'on peut, et si l'on doit, croyons-nous, critiquer et rejeter les théoriesqui tendent à écarter en bloc soit tout le droit public étranger, soit des

parties de celui-ci, in abstracto, en les étiquetant comme <<lois politiques>>,lois d'<<exception>, lois <<dérogatoires ou exorbitantes du droit commun>>,ou lois <<hétérogènes>> (ZwnrceRT), etc. - il faut reconnaître tout demême l'eistence d'une certaine réalité sous-jacente aux préoccupationsqu'expriment, de façon plus ou moins claire ou ad-roite, ces diversestentatives. Cette <<réalité>), c'est tout simplement la diversité et parfoisl'opposition des intérêts politico-économiques que reflètent les diverseslégislatioru, surtout (de par la nature des choses probablement) lors-qu'elles sont de droit public, mais aussi, dans une mesure non négligeable,lorsqu'il s'agit de droit priaé.

La question n'est pas de nier cette réalité, ni de refuser à un Etat ledroit d'en tirer certaines conséquences, lorsque la divergence des intérêtsou l'affrontement des conceptions politico-sociales lui paraissent trop im-portants pour que son droit international privé fasse encore prévaloirl'idéal de collaboration internationale et de respect mutuel des systèmesjuridiques, idéal que traduisent les règles ordinaires de rattachement.

La question est de defnir, et par là même de contenir en de justes limites,les cas dans lesquels le droit étranger (qu'il soit public aussi bien queprivé) ne doit pas être appliqué, quand bien même les <<contacts> ou les

¿r) A¡ticle <<Confits de lois>>, cité, No 133.42) Cf. P. Gornor, in: RCDIP 1971, No 2, p. 236.

12+

APPLICATION DU DROIT PUBLIC ÉTRANGER

<(rattachements> de l'affaire aboutissaient, al¡x yeux du for, à <<localiser>>

la question dans l'ordrejuridique étranger.C'est la notion d'ordre þublic, on le sait, qui doit donner la réponse à

ce genre de question. Sa nécessité ne peut être mise en doute, et il esttout à fait superflu de rouvrir un débat à ce sujet.

Certes, on nous dira que la notion n'est pas moins imprécise et variableque celle de <<lois politiques>> ou de lois de droit public <<hétérogènes>> . . .

Peut-être, mais à quoi bon, alors, lui ajouter, parallèlement, une deuxièmecause d'exclusion de la loi étrangère, non moins indéû.nissable?

Faut-il, en conclusion, rejeter toute théorie d'inapplicabilité du droitpublic étranger, ou de certaines lois de droit public étranger (<hétéro-gènes>, <<politiques>>, ou autres), et se contenter de la seule clause d'ordrepublic?

Nous inclinons fortement à le perser, tout en reconnaissant que cettesolution pourrait entraîner certains aménagements (de détail) dans la con-ception actuelle de I'ordre public. Par exemple, il ne serait peut-être pluspossible de considérer que l'ordre public du for ne saurait intervenir àI'encontre d'une loi étrangère lorsqu'il existe une loi du même genre dansI'ordre interne du for. Ce principe - auquel il ne faudrait pas, d'ailleurs,attribuer une valeur absolue - ne permettrait pas, selon certains, des'opposer à une loi étrangère <<de combat>>, pâr exemple le droit publicéconomique. Il est facile, cependant, d'admettre un certain élargissementdu champ d'application de I'ordre public là où il s'agirait, par hypo-thèse, de défendre les intérêts fondamentaux du pays ou de ses habitantscontre une telle législation étrangère.

Et puisque nous parlons de I'ordre public, il faut mentionner ici I'idée,qui semble gagner du terrain dans la doctrine la plus récente, selon la-quelle l'ordre public d'un Etat exige, non pas le rejet systématique dudroit public étranger, considéré à priori comme <<exceptionnel>>, suspect,ou une pure émanation de la volonté de l'Etat (comme si la législationde droit privé n'était pas, elle aussi, une émanation de la volonté éta-tique!) - mais, bien au contraire, laþþlication de principes ou la prise enconsidération des règles du droit public étranger, qu'il s'agisse de droitéconomique, cartellaire, monétaire, social, etc., ceci dans des conditionsanalogues à celles qui postulent I'admission des règles du droit privéétranger: c'est-à-dire lorsque le <<centre de gravité> (le <<Schwerpunkt>)du rapport social en cause se trouve <<localisé>> dans I'Etat étranger ou,si I'on veut, lorsque ce dernier Etat paraît avoir une <<vocation inter-nationale sufûsante>> à réglementer le rapport en cause.

t25

PIERRE LALIVE

cette tendance, que manifeste un certain nombre de décisions récentesdans bien des pays et, aussi, Ies dispositions des conventions internatio-nales, devraient amener une certaine transformation des vues tradition-nelles, héritées du l9e siècle, et marquées par une hostilité inconscienteà l'égard de I'intervention étatique.

La notion d'<<application> du droit public éttanget

Avant d'aller plus loin, il convient de s'arrêter un instant à une ques-tion fondamentale, et dilficile - que nous nous sommes volontairementabstenu d'aborder au début de cet exposé, conune l'aurait voulu peut-être'n certain ordre logique des choses: il s'agit de savoir ce qu,il fautentendre exactement par I'<<application>> du droit public étranger.

Lajurisprudence des divers pays, encore plus que la doctrine, apparaîtpauvre d'indications sur ce point. On y parle tantôt d'<<application>>(Anwendung), tantôt de <<prise en considération>> (Berücksichtigung) oude notions sirnilaires.

Le terme d'<<application>> du droit étranger (public ou privé) est in-déniablement équivoque. Puisque distinguer, c'est une façon de définir,essayons de distinguer quelques aspects de cette notion:

Le premier, qui pose en un sens les questions les plus simples, c'estcelui de l'application coercitioe, de l'exécution (on y reviendra à proposdes prétentions émanant d'une autorité ou d'un organisme public étran-ger). II y a, d'autre part, l'application sans exécution.

Dans ces deux derniers sens, semble-t-il, l'<<application>>, prise stricte-ment, impliquerait l'inclusion de la norme de d¡oit étranger dans leraisonnement conduisant à la solution, c'est-à-dire dans le syllogismejudiciaire.

Enfi.n, il y aurait la simple <<prise en corxidération>> de la règle étran-gère - notion assez floue qui vise le fait pour le juge de <<tenir compte>)du droit étranger, pris soit comme un;fait, soit comme un <<droit-fait>>,pour utiliser l'expression de certains auteurs. Ici le juge <<tient compte>>des effets que la règle de droit public étranger exerce sur les relationsprivées. Il en tire certaines conséquences, dans url contexte qui peut, dureste, être différent de celui du pays dont émane ce droit public étranger.Quels que soient les termes employés, on voit qu'il s'agit ici de quelque

126

APPLICATION DU DROIT PUBLIC ÉTRANGER

chose de fort différent de l'application <<proprement dite>>, où le juge(ou une autre autorité du for) prête son concours à la mise en æuvre de

mesures ou de procédés caractéristiques du droit public (comme I'autori-sation, l'impôt, la peine).

Plus simplement, certains distinguent I'application <<directe> de I'ap-plication <<indirecte>>. Quant aux juristes anglais, eux, ils distinguent, on

le sait, entre <<applying foreign law>> et <<enforcing foreign law>> . . .

On connaît, d'autre part, Ies multiples théories proposées dans ladoctrine de droit international privé en matière d'application du droitétranger, en général: théorie de la <<réception>>, formelle, ou matérielle,théorie des droits acquis, etc.as).

L'analyse de la notion d'aþþlication de la loi étrangère mériterait certes

d'être approfondie davantage. Si sommaires qu'elles soient, ces quelquesindications devraient permettre pourtant de mier¡x comprendre les der¡x

questions suivantes que nous voudrions évoquer brièvement, darx unedernière partie: la question des prétentions <<de droit public>> formuléespar une autorité étrangère ou un organisme <<public> étranger; et celle

de l'influence d'une interdiction d'exécuter une obligation, interdictionédictée pas le droit public étranger. Chacune de ces deux questions -est-il besoin de le dire? - justiûerait à elle seule un exposé. On se borneraici à quelques réfle>rions et à quelques exemples.

Les prétentions <<de droit public>> émanânt d'urieautodté étrangère

<<Il n'est évidemment pas dans le rôle du Tribunal fédéral - déclare celui-cidans un arrêt (40 I 486) - d'assurer I'exécution de cette mesure exceptionnellede guerre édictée par un Etat étranger ... >>.

Indépendamment du fait que le décret français en question heurtaitsans doute la neutralité suisse et, partant, aurait entraîné l'interventionde I'ordre public suisse, cette observation du Tribunal fedéral exprimeune vérité généralement reconnue - qu'il ne faut pas confondre, cepen-

{8) Cf. par exemple P. Gorrror, op. cit., RCDIP 1971, No 3, p. 4l7,No l: ...<<Ledroit acquis à l'étranger porterait en quelque sorte avec lui la loi étrangère, laquelle,grâce à ce stratagème, ne serait pas <<appliquée)) comme telle . . . >.

r27

PIERRE LALIVE

dant, avec le prétendu principe de I'inapplicabilité générale du droitpublic étranger.

Cette vérité, on l'exprime souvent, dans la doctrine, en affi.rmant <<qu'

en droit public, la compétence judiciaire et la compétence législativecoincident>>. En ce sens, la règle d'application du droit public serait<<unilatérale>>, phénomène qui ne serait <<qu'un effet réflexe d'un règle-ment de compétence judiciaire>>. Il n'appartient pas au juge suisse, ou àl'autorité administrative suisse, a-t-on dit, de punir en vertu d'une autreloi (pénale ou autre) que la loi suisse. Mais si la loi étrangère ne peut pasfaire I'objet d'une <<application>> au sens coercitif du terme, elle peutêtre <<prise en considération>>:

Airxi, en appliquant I'article 5 ou l'article 6 du Code pénal suisse, lejuge suisse devra se demander, selon le même raisonnement qu'il sui-vrait s'il avait à <<appliquer>> la loi pénale étrangère, si I'acte est répriméaussi dans l'Etat où il a été commis. En un tel cas, a-t-on dit, il n'y ad'aþþIication, à proprement parler (c'est-à-dire au sens coercitif du terme)que de la loi locale, suisse (ici le CPS), mais non pas de la loi pénaleétrangère.

C'est une distinction semblable qui domine le droit international privéanglais, par exemple, à l'égard des lois pénales ou fiscales étrangères.Elles sont considérées comme <<non-e>récutoires>> (<<not enforceable>) enAngleterre, les tribunaux n'ayant pas compétence (<jurisdiction>) pource genre d'application coercitive, directe ou indirecteaa). Ce qui n'em-pêche pas de telles lois étrangères d'être <<appliquées>> (<<applied>>) ausens général du terme, lorsqu'aucune question d'exécution ou de con-trainte n'est en cause.

Cette distinction, qui paraît simple, peut soulever néanmoins bien des

problèmes.

Pour en rester au principe lui-même, peut-on admettre, sans autrenuance, que le droit public étranger serait non susceptible de cette <<ap-

plication coercitive>> (pour des raisons de compétence judiciaire)? Ceprincipe, lui aussi, devrait être soumis à un examen critique, examen quidépasserait le cadre de cet exposé.

Regardons les choses d'un peu plus près et demandons-nous, par exern-ple, s'il est bien exact, comme le soutient une théorie traditionnelle, qu'une demande ou prétention fondée sur le droit public étranger, lors-

aa) Cf. D¡c¡v-Monnrs, 8e éd. 1967, Rule 21.

128

APPLICATION DU DROIT PUBLIC ETRÂNGER

qu'elle constitue, directement ou non, I'exercice d'une souveraineté étran-

gère (<g'as ùnþerü>>) serait soit irrecevable, soit à rejeter Pour incom-

pétence du tribrrnal local. Ceci aussi bien lorsque la demande émane

d.'un Etat ou d'ur, organisme public étranger que lorsqu'elle émane d'r¡¡

tiers.Cette question, il n'est Peut-être pas inutile d'y insister, dewait être

(théoriquement au moiru) distinguée tout à fait de la théorie de I'inap-

plicabilité du droit public étranger, en tant que tel, dont nous avons vu la

fausseté.

La distinction apparaît en effet, déjà, en filigrane, dans les observations

qui précèdent, et nous la retrouverons, surtout, en étudiant les effets

d'une interdiction de droit public dans le domaine contractuel'

La distinction s'impose en effet: selon la théorie du Tribunal fédéral,

dans son ancienne ou sa nouvelle version, le d¡oit public étranger (ou sa

partie vraiment publique, et non <<privatisée>>) serait inapplicable de

manière générale, même s'agissant d'une application non coercitive. fci,

il s'agit d'¿n problème différent: celui d'une demande en justice ou d'une

prétention tendant à l'application directe du droit public étranger et

émanant d'une autorité.

Lorsque la demande, fondée sur le d¡oit public étranger, émane direc-

tement de I'Etat étranger ou d'une autorité publique, lit-on dans bien

des manuels de droit international privé, elle est généralement rejetée par

les tribunaux.

Sous cette forme, cette affirmation paraît insuffisamment nuancée et

elle ne correspond pas à Ia réalité.

Pour juger d.u sort de la demande, il convient d'examiner, en effet,

soit, selon les doctrines, en quelle qualité I'autorité étrangère formule sa

demande (est-ce en qualité de demandeur civil, est-ce au contraire comme

autorité?), soit la nature de la prétention (s'agit-il, directement ou non,

de l'exercice d'une prérogative étatique <jure imperü>?).

Prenons ici quelques exemples. Deux cas intéressants ont été juges, ces

dernières années, en France, cas qui impliquent tous deux la subrogation

d'une autorité ou d'un organisme public à un créancier privé'

(a) Dans un procès opposant la victime d'un accident, un militaire

américain, à l'auteur responsable (un autre militaire américain) et à son

assureur français, le Gouvernement des Etats-Unis est intervenu, sur la

base d'une loi américaine de 1962 subrogeant l'Etat, débiteur envers ses

fonctionnaires de diverses prestations, dans les droits de ceux-ci contre

t29

PIERRE LALIVE

les tiers responsables. Le Gouvernement américain a demandé le rem-boursement des frais médicar¡x avancés par l'US Army.

La Cour de Cassation n'a pas hésité, en rejetant le pourvoi formécontre un arrêt de la Cour d'Appel de Rouen, à appliquer la loi améri-caine et à accueillir la prétention du Gouvernement américain. La so-

briété des motiß, traditionnelle pour cette haute instance, laisse placeà diverses interprétations, mais il semble bien, selon les commentateurs,que cettejurisprudence consacre l'idée que, en principe, rien ne s'opposeà I'application des règles étrangères de droit publicasr.

(b) Dans une affaire plus ancienne, du 14 mai 1959a6r, la CaisseNationale Suisse d'Assurances réclamait le remboursement de Fr. s.

71 000.- environ, en se fondant sur l'article 100 de la Loi fédérale del9ll, qui consacre le principe de sa subrogation dars les droits de l'as-suré contre tout tiers responsable de I'accident.

Dans un arrêt assez confus (où la Cour mélange continuellement ledroit public et I'ordre public), la Cour de Besançon a déclaré notamment:

<<. . . Cette subrogation dérogatoire au droit conunun en matière d'assurancesen Suisse comme en France, résulte d'une disposition de droit þubli.c szrlsa; . . . sipour des motiß de protection sociale interne et d'ord¡e public suisse, le légis-lateur suisse a cru devoir créer en faveur de la Caisse Nationale un droit à sub-rogation dérogeant au droit commun, iI n'appartient pas aux juridictions fran-çaises de fonder une condam¡ation à I'encontre d'un débiteur français domiciliéen France, sur une loi d'ordre public étranger;>>

Et plus loin, la Cour constate que, malgré l'analogie entre la loi dontelle se prévaut et la loi française du 13 juillet 1930 sur les Caisses desécurité sociale,

<<Il n'en est pas moins certain que la subrogation invoquée par la CaisseNationale Suisse ne résulte que d'une disposition d'ordre public suisse; que cettedisposition ne saurait servir de fondement à une condamnation au proût deladite Caisse contre un débiteur français . . .>>.

Notons encore le considérant suivant:

<<Attendu enfin que si les organismes français et suisses de sécurité sociale etsimilaires acceptent réciproquement et à l'amiable de règler des indemnités dansl'autre pays, cette situation ne saurait permettre de prononcer par voie de dé-

4s) Arrêt du 17 mars 1970, Afaire Reltes et Soci,étê d'assurances La Strasbourgeoise cl At-tamelt Génlral dzs Etaß-Unis, Clunet 1970 No 4, p.923, Note G. o¡, r-e' Pn¡o¡,r.r,e.

¿e) L'affaire Dornícr; Clunet 1960, p. 778, Note Bnrorx; D 1959.515, Note P¡u¡-Es¡,crx.

130

APPLICATIQN DU DROIT PUBLIC ÉTRANGER

cision judiciaire r¡¡re condamnation qui n'aurait pas de base légale; qu'il y a

donc lieu de rejeter la demande de la Caisse Nationale Suisse ...>>.

Cette décision bisontine n'est pas satisfaisante, à l'évidence (indépen-

damment de la question, qui ne nous intéresse pas ici, du droit applicable

à la subrogation légale). II faut lui préférer la décision récente de la Cour

de Cassation de France.

Quoi qu'il en soit des variatiors considérables et des hésitations de lajurisprudence dans la plupart des pays, une tendance très répandue, au-

jourd'hui encore, en notre pays comme ailleurs, répugne à accueillir la

réclamation d'une autorité ou d'un organisme public étranger, soit que

cette réclamation se fonde sur une subrogation légale, soit qu'elle vise,

ouvertement, le recouvrement d'une créance de sécurité sociale ou d'une

créance dite <<fiscale>> (au sens large de ce terme)'

Il est probable (pour autant que l'on Peut être renseigné à cet égard)

que divers tribunaux suisses, sans voir l'existence d'un problème, ont

accueilli les demandes présentées par des organismes étrangers de sécurité

sociale. Dans d'autres cas (sans doute plus nombreux), ils ont rejeté les

mêmes demandes.

Nous pouvons nous poser la question: existe-t-il vraiment des raisons

décisives de rejeter de telles réclamations, mân¿e si elles sont bien fonùíes

selon le droit étranger qui leur a donné naissance, même si elles ne sont

pas contestées quant au fond - pour le motif, théorique, qu'il s'agit de

réclamations fondées sur le droit public ?

Que l'on ne vienne pas invoquer l'absence d'une réciprocité pour se

dispenser d'accueillir une telle demande ! On voit mal ce qui empêcherait

un tribunal, en dehors de toute convention internationale, d'examiner la

demande au fond, à la lumière du droit public étranger (les conditions

habituelles de sa compétence étant par ailleurs réunies). Pour que la

réciprocité entre en pratique (en dehors d'une convention), il faut bien

que le tribunal d'un des Etats en question commence!4?)

Prenons le cas, toujours en matière d'assurances sociales, de I'em-

ployeur qui aurait omis, par erreur' de retenir à son employé le montant

de cotisations AVS; peut-il poursuivre le recouvrement à l'étranger contre

son ex-employé? S'agit-il d'une créance de droit public ou s'agit-il d'une

créance de droit privé, en répétition de I'indû? Et faut-il envisager autre-

ment la question lorsque c'est I'Etat qui réclame à I'un de ses anciens

¿z) Ainsi que I'observait, dans un récent débat, le Professeur B. Gor-ou¡N.

131

fonctionnaires, retraité établi à l'étranger, le remboursement d'une pen-sion payée par erreur?

Dans d'autres exemples encore d'actions intentées par des particuliers,il peut s'agir, en fait, d'une prétention relevant ùt <jus inperü>> et quiaboutit à mettre en æuvre, plus ou moi¡rs directement, une prérogativesouveraine de I'Etat étranger. On cite parfois à cet égarda8) le cas desactions en paiement, dirigées contre divers débiteurs à l'étranger, parI'administrateur du séquestre allemand d'entreprises israélites; dans denombreux pays, les tribunaux ont repoussé ces actiors. La solution se

comprend fort bien, sur le terrain de l'ordre public. Elle se justifieraitmoiru aisément sur un autre terrain, puisqu'il s'agit, en définitive, dupaiement d'une dette de droit civil.

IJn autre exemple, curieux, est fourni par la jurisprudence irlandaisequi a rejeté l'action du curateur à la faillite d'une société écossaise, actiondirigée contre l'actionnaire unique qui s'était enfui en Irlande en em-portant le patrimoine de la société! Le rejet de l'action fut fondé sur lefait que l'unique créancier de la société étant le fuc britannique, l'actiontendait en réalité à I'encaissement d'une créance fiscaleaer! Fiscale ounon, I'action était fondée matériellement, et il est difficile de juger satis-faisantes des décisions de ce genre.

Dars sa Résolution d'Aix-en-Provence, en 1954, I'Institut de Droitinternational a consacré, non sans quelques hésitations, le principe tradi-tionnel selon lequel les lois fucales, sauf dispositiorx contraires des con-ventions internationales, <<ne sont pas applicables hors du pays où ellesont été édictées>. Mais l'Irutitut a marqué qu'il s'agissait là d'une for-mule limitée <<à l'état actuel du droit international>> et qui ne saurait êtreconsidérée comme I'expression du droit souhaitable. D'autre part, l'ar-ticle 3 de la Résolution prend soin de préciser que le principe (de l'article1..):

<<ne s'oppose pas à ce que soit considéré comme illicite tout acte, contrat, en-treprise ou organisation ayant pour objet d'empêcher I'application de lois fiscalesclans le pavs oir ces lois sont en vigueur>>.

Quoi qu'il en soit du point de vue ainsi exprimé en 1954, et si I'on doitadmettre qu'il n'y a pas d'obligation - de droit international public -pour un Etat d'appliquer les lois fiscales étrangères, en dehors d'obliga-

48) V.A,\ Ilncxn, Recueil des Cours 1969, p. 489.ae) VeN Ilecre, ibid., pp.489-490.

132

APPLICATION DU DROIT PUBLIC ÉTRANGER

tions conventiorurelles, il ne s'ensuit pas que les lois tscales étrangères ne

soient pas <<applicables>> aujourd'hui, au sens large et général de l'ex-pression.

Au contraire, elles sont parfaitement susceptibles d'être <<appìiquées>>

ou, tout au moins, <<prises en considération>> (comme on l'a indiqué en

passant à propos du droit international privé anglais).

En tout les cas, les incidences de droit civil des lois fiscales étrangères

devraient normalement être respectées: ainsi lorsqu'un acte juridiquequelconque doit être fait, dars un pays déterminé, dans une forme donnée

comportant une estampille ou un timbre ûscal sous peine de nullité, ira-t-on considérer à l'étranger cet acte comme valable malgré l'inaccom-plissement de cette formalité, sous prétexte qu'il ne faut pas appliquer à

l'étranger une loi <<ûscale>>?

Mais, par cet exemple, nous anticipons déjà sur la dernière question

que nous voud¡ons évoquer: celle de I'influence du droit public étranger

sur le droit privé compétent, en particulier en matière contractuelle. Or,avant d'aborder ce dernier thème, il convient d'essayer de résumer lasituation, pour autant que la diversité des opinions doctrinales et lavariété des pratiques nationales le permettent.

Lorsque des prétentions fondées sur le droit public étranger sont sou-

mises aux tribunaux du for, il ne saurait être question de les rejeter en

bloc, sans examen, sous prétexte que <<le droit public étranger est inap-plicable en tant que tel>>. Il s'agit de faire des distinctions entre différentscas:

Les prétentions relevant du <y'ru imþeri.i>> étranger et qui sont for-mulées directement par I'Etat étranger sont assez souvent rejetées par les

tribunaux, pour des motiß divers: certains arrêts invoquent l'incom-pétence matérielle des tribunar.¡x civils dars les affaires de droit publicet administratif. Pourtant, dans les pays où cette répartition des com-pétences existe, rien ne paraît obliger à trarsposer cette règle interne aux

rapports internationaux et à en conclure, par exemple, que les tribunauxadministratifs du for seraient eux aussi incompétents à l'égard d'unedemande fondée sur le d¡oit public étranger par une autorité étran-

gère.

Dans les cas au moins où la prétention fondée sur le droit public est

étroitement liee à un Iitige civil, il n'y a guère de raisons générales de

rejeter la demande, en tout cas pas au nom d'un prétendu principe de la<(territorialité> du droit administratif - principe dont l'existence, comme

IJJ

PIERRE LALIVE

PIERRE LAIIVE

règle à priori de conflits de lois, n'a jamais pu être démontrée, et paraît

des plus douteusesso).

Les difiërents arguments, en résumé, qui ont été présentés à I'appui

d'une prétendue interdicti on gmérale d'admettre devant les tribunaux du

for les prétentions d'une autorité étrangère fondée sur le droit public

paraissent fort peu convaincants: ceci qu'il s'agisse d'incompétence

<<ratione materiae>>, de territorialité, du caractère <<unilatéral>> des nor-

mes de conflits du droit public, ou de I'idée de souveraineté (sur ce

dernier point, on ne voit vraiment Pas en quoi une telle demande formée

par une autorité publique étrangère constituerait une atteinte à la souve-

raineté du for, ni, dans le sens opposé, une atteinte à la souveraineté de

I'Etat demandeur!).

N'ayant pas Ie temps de traiter véritablement ici cette question, ni

d'aborder le problème, connexe, du respect des actes de Gouvernement

ou des actes de souveraineté étrangers (<<Act of State doctrine>>, etc.)

nous renvoyorx ici à la doctrine récente et, Par exemple, à une intéres-

sante étude de RBTNBn FeaNr, dans la <<Rabels Zeitschrift>> de 1970 (50).

D'une manière générale, nous inclinons à partager les vues de cet auteur

qui remet en cause, de façon très pertinente, le vieux <<dogme>> d'une

prétendue impossibilité, pour les tribunaux du for, d'accueillir des actions

d.e droit public formulées par des autorités étrangères. Ainsi qu'il le diten conclusion, il ne s'agit aucunement d'un manque de compétence ou

d'un <<Nicht-dürfen>>, mais simplement d'un <<Nicht-wollen>>. Comme

l'a montré \Teuuaussr), rien n'empêche l'Etat du for (sauf,, bien entendu,

convention internationale) de donner à ses tribunaux compétence de

juger de telles prétentions de droit public formulées par des autorités étran-

gères; mais il arrive assez souvent qu'il ne le fasse pas, faute d'intérêt- Aquoi I'on peut ajouter qu'il arrive assez souvent aussi que les tribunaux,

en I'absence d'une disposition législative claire en la matière, croient

devoir décliner leur compétence parce qu'ils s'imaginent être liés par le

prétendu principe d'inapplicabilité du droit public étranger ou de la

<<territorialité>> du droit public!

En raison de l'interpénétration accrue et quasi universelle du droitpublic et du droit privé, d'une certaine <<publicisation>> du droit écono-

mique, en particulier, dans les relations internationales, et des exigences

so) Voir R. Fn-a¡'n<, <<Ôfentlich-rechtlichc Ansþüchefremder Staaten aor inlöndisch¿n Gerhh-

tm>>, ír: RabelsZ. 1970, pp. 56 ss, 59 et passrm.sll <<fnþrnationales ZPRund IPR>>, RabelsZ. 1955, pp. 201,212.

134

APPLICATION DU DROIT PUBLIC ÉTRANGER

de la société internationale contemporaine en matière de commerce (au

sens large de ce terme) et de collaboration internationale, il convient de

repenser toute la question, et de débarrasser I'arbre du droit international

(si I'on nous passe cette image banale) d'un certain nombre de branches

mortes qui empêchent une croissance harmonieuse.

L'impossibilité <<de dtoit public>> d'exécuter urieobli gation contractuelle

Nous avons vu çlue le droit public étranger est appliqué (au moins

ind.irectement) ou en tous les cas <<pris en considération>>, lorsque c'est

là une condition de l'application correcte du droit local, de la lexfori.

Nous avons vu aussi, au moins incidemment, que le droit public étran-

ger peut être <<applicable>> dans d'autres cas encore (sous réserve, tou-

jours, de l'ordre public) - ce qui résulte déjà de la constatation qu'il

n'existe aucun <<principe>> de l'inapplicabilité à priori du droit public

étranger.Dans l'hypothèse que nous voudrions considérer maintenant (de façon

très rapide, par la force des choses), le droit public étranger influence la

loi étrangère (privée) désignée comme applicable, dans les rapports con-

tractuels. C'est la fameuse question, d'une immerse importance pratique,

des effets d'une interdiction d.'exécution, interdiction édictée par un droit

public étranger.Cette question a fait I'objet d'assez nombreuses études doctrinales au

cours des vingt dernières années. EIle déborde d'ailleurs, dans une cer-

taine mesure, la question de l'application du droit public étranger, et son

étude nous obligerait à aborder le vaste domaine des dispositions impé-

ratives en droit international privé des obligations5'?r.

La question est bien connue des spécialistes - ce qui ne veut pas dire

qu'elle soit bien ou clairement réglée! Il suffi.t, pour percevoir la com-

plexité des problèmes, de penser à de¡x domaines, très actuels, du droit

international privé: celui du droit monétaire et celui du droit des cartels.

Le fait que certaines dispositions, soit du droit monétaire, soit du droit

des cartels, soit de tout autre domaine du <<droit économique>>, relèvent

du <<droit public>> (ou puissent être qualifiées comme tel), ce fait fournit-

52) Cf. sur ce sujet K¡¡¡- Nrurav¿n, RCDIP 1957, pp. 579404;1958, pp' 53-78'

135

V-PIERRE L.\LIVE

il un critère de rattachement valable, décisif, pour la solution d'un litigede droit international privé?

Disons que, en I'état actuel de la pratique, et vu les tendances de ladoctrine contemporaine, il est permis d'en douter.

En ce qui concerne l'effet des interdictions ou des restrictions <<de droitpublic>> dans le domaine contractuel, par exemple sur l'exécution (et lavalidité) des contrats, comment se présente la situation? Comment dé-terminer le droit public étranger (qu'il soit monétaire, cartellaire ouautre) dont les dispositiorx (dites souvent <<impératives>>, mais le termedemande à être précisé) se verront reconnaître des effets sur le contrat?Notons en passant que (<reconrraître>> les effets d'une disposition dedroit public, c'est nécessairement <<tenir compte)> de ce droit, voire l'<<ap-

pliquer>>, au moins indirectement.Comme I'a très bien montré VeN Ffncrn (dans son récent cours général

à La Hayesst) :

<<Il peut y avoir plus d'un pays étranger dont les réglementations adminis-tratives sont susceptibles d'exercer une influence sur les relations privées. La-quelle de ces réglementations prendrâ-t-on en considération; en prendra-t-onune seule ou plusieurs? C'est là un problème de règles de rattachement).

Restons-en à la méthode des règles de rattachement, et faisons abs-traction - pour simpliûer I'approche d'une matière déjà sufûsammentcomplexe - d'une éventuelle solution par les règles dites <<substantielles>>

du droit international privésar et n'abordons pas non plus ici la questiondu caractère unilatéral ou bilatéral des règles de droit public et adminis-tratif.

La doctrine, on le sait, se partage en deux courants: I'un, traditionnel,se borne à utiliser les règles habituelles de rattachement du droit inter-national privé et préconise la prise en considération, dars certaines limi-tes, des règles de droit public de la <<lex causae>>, généralement de la<dex contractus>>.

L'autre, à la suite d'une idée lancée par lVnNor,rn, en 1940 déjà, est

favorable à un <<rattachement spécial>> (<<Sonderanknüpfung>>) des dis-positions <<de droit public>> (ou <<impératives>>) - idée reprise notammentpar Zwrrcnnt et développée ou discutée depuis par de nombreux au-teurs, comme I{EUMAYER, LonrNz, etc.

s3) Recueil des Cours 1969, p. 493.5a) IJn exemple de ce type de règles est donné par l'article 501 al. 4 CO.

,{PPLIC.{TION DU DROIT PUBLIC ÉTRA'\GER

A propos de la méthode <<traditionnelle)), on peut dire, du point devue du droit international privé comparé, que la jurisprudence demeureassez hésitante, avec une tendance toujours plus grande, cependant, àrespecter les dispositions de droit public étranger si elles font partie dela << lex contractus >>5 5 t.

Ceci - on l'a compris - sous la réserve classique de I'ordre public (làoù des règles de droit public spoliatrices, du pays dont la loi régit lecontrat, prétendraient intervenir, comme dans les cas, bien connus, de lalégislation de l'Allemagne hitlérienne, avant la guerre, en matière dedevises, il va sans dire que le for pourrait écarter de telles dispositions).Si cette attitude tend à dominer dans la jurisprudence, de nombreusesdécisions ont pourtant refusé, notamment en Suisse, de tenir compte desinterdictions ou des restrictions édictées par la <<lex contractus>> étrangèreen invoquant, soit la <<territorialité>> du droit public, soit le caractère<<public> des dispositions étrangères en cause - deux explications totale-ment dénuées de pertinence (comme nous avons essayé de le montrer).

En cette matière, I'ordre public est souvent conçu d'une façon large,ou intervient avec des effets <<positiß>> - les dispositions impératives dela lex fori étant prises en considération même lorsque cette loi n'est pas

la loi du contrat. Les tribunaux devront prendre soin, ici, de ne pas

étendre indûment le domaine des dispositions impératives du for et dene pas confondre ce qui est, selon une certaine terminologie, d'<<ordrepublic interne>> avec ce qui doit être d'<<ordre public international>>.

Sans pouvoir entrer ici dans le détail, il faut relever que lajurisprudencesuisse s'est distinguée par la facilité excessive avec laquelle elle écarte les

inte¡dictions ou les restrictions du droit public étranger, même lorsqu'ils'agit d'interdiction édictées par la lex contractus (notamment en matièremonétaire) se r. La solution peut être approuvée lorsqu'elle évite un résul-tat concret <<manifestement incompatible>> avec l'ordre public du for.En revanche, on doit critiquer les décisions qui, sur le terrain de laprétendue <<territorialité>> ou du caractère <<politique> des lois moné-

s5) La question pourrait se poser ici, de savoir ce qu'il faut entendre par <<faire partie>r.On pourrait imaginer une situation de <<renvoi>> au deuxième degré, si le droit inter-national privé de la lex contractus <<renvoyait>> au droit public d'un Etat tiers, c'est-à-direprétendait l'<<appliquer> ou en <<tenir compte>; dans une telle hypothèse, le for pou-rait-il encore prétendre <<appliquer>> la lex contractus étrangère, en I'amputant des règlesde droit public d'un Etat tiers qui seraient ainsi <<incorporées>> à cellelà. <<par référence>>ou par <<renvoi>>?

56) Cf. par exemple ATF 60 lI 29+,61 II 242,63 II +2,6+ lI 38.

136 137

V_PIERRE LALIVE

taires, relèvent de conceptions largement périmées du commerce inter-national et d'une sorte d'hostilité, systématique autant que <<provinciale>>,

à l'égard du droit public étrangerszt.Certaines décisions suisses ont jugé qu'un contrat qui impliquait la

violation de règles monétaires étrangères n'était ni ilticite ni même con-traire aux mceurs. Elles ont refusé (ce qui peut encore se comprendre)de considérer un contrat comme nul, c'est-à-dire de tenir compte d'uneinterdiction de droit public étranger, lorsque la loi du contrat était la loisuisse (si bien que l'illicéité du contrat ne pouvait découler que de la loisuisse). On comprend déjà moins aisément cette même volonté d'ignorerune interdiction de droit public étranger, par exemple de droit monétaire(en dehors, toujours, d'une intervention justifrée de I'ordre public) dansd'autres cas, soit lorsque le contrat était régi par une loiëtrangère compre-nant de telles interdictions de droit public, soit aussi, indépendammentde ce cas, lorsque les parties au contrat avaient sciemment prévu, etvoulu, tourner une interdiction d'exécution (de droit public) émanant dela ioi du pays où I'opération devait se réaliser, en tout ou en partie. Onsait que plusieurs arrêts ont refusé de considérer comme <(contraire auxmæurs)>, selon I'article 20 CO, des contrats destinés à violer des règlesmonétaires étrangères. Que I'on relise aujourd'hui certaines décisionsdatant de vingt ans, l'on y trouvera (pour employer des expressions utili-sées par Gurzwrr.lBn) de véritables <<prêches>> sur la moralité juridiquesuisse, et des distinctions quelques peu laborieuses entre les différentstypes de contrebande, la contrebande de I'opium et la traite des Blanchesd'une part, et la contrebande monétaire ou le trafic de devises, d'autrepart. Il est diffi,cile de s'étonner que ces arrêts puissent prêter le flanc àcertaines critiques acerbes, comme celles de MeNw et d'autres auteurs. Onpeut comprendre que des décisions de ce genre aient été considéréesparfois comrne de véritables encouragements à la fraude à la loi étran-oÀre5 8)

Ces observations ne comportent aucune critique, est-il besoin de l'a-jouter, à l'égard du recours à l'ordre public suisse pour écarter I'applica-tion d'une loi monétaire étrangère si, dans le cas particulier, elle a pour

57) Des arrêts comme l'arrêt Sule2man clTungsram (76 II 33; cet Annuaire 1951, p.234, Note Gurzn'¡rr¡n - du 28 féwier 1950) ou comme I'arrêt ,4 tlas Transatlantic Trading(80 II 49, du 30 mars 1954; 1955, p.268) trahissent à l'égard du contrôle des changesétranger et du droit public économique en général une philosophie qui n'est plus guèresoutenable aujourd'hui.

ó8) C'est l'opinion exprimée, paraît-il, par NfawN dans son cours de 1970 à l'Académiede La Haye, dont le texte n'a pas encore paru.

APPLICATION DU DROIT PUBLIC ÉTR-{NGER

but de réaliser une discrimination ou une spoliation manifestement in-compatible avec nos conceptions juridiques.

Dans une décision assez récente, le BGH allemandss) a considéré

comme nul le contrat conclu, entre deux Allemands, dans le but d'ob-

tenir par fraude l'autorisation du Bureau du commerce étranger des

Etats-Unis d'exporter du borax. Dans le même esprit, il y a trois ans, le

9 mai 1968, le HG de Zürichnor a jugé contraire à I'ordre public suisse

de protéger un contrat visant à l'exportation illicite, par la contrebande,

en Italie, d'une certaine quantité de cafe.

Des décisions de ce genre paraissent aller, elles, dans le sens des besoins

actuels de la société internationale, tant du point de vue de la sécurité

juridique que de la moralité.

En cette matière délicate, il y a lieu probablement d'introduire diverses

distinctions que nous ne pouvons aborder ici, par exemple, selon que le

contrat en cause viole une restriction de droit public édictée antérieure-

ment à sa conclusion ou, au contraire, qu'il vient à être frappé rétro-

activement Par une nouvelle législation de droit public6l). Même dans

ce dernier cas, du reste, il est loin d'être certain que I'interdiction doive

toujours se voir refuser application ou reconnaissance-

La conception doctrinale la plus moderne, défendue en particulier par

plusieurs auteurs allemands (dans des termes et Pour des motifs qui peu-

vent, du reste, diverger sensiblement d'un auteur à l'autre), propose de

soumettre la question de I'effet des interdictions de droit public sur les

contrats à une <<Sonderanknüþfung>> - mais laquelle?

Faut-il tenir compte du contrôle des changes ou des restrictions à

Ì'iraportation ou à I'exportation de La <<Iex loci solutiottis>>? Plusieurs dé-

cisions, on le sait, ont tenu compte des interdictions valables au lieu

d'exécution ou de paiement. Faut-il tenir compte des interdictions de

droit public édictées par la <<Iex þatriae>> de I'un des contractants? Faut-ilprendre en considération, en outre, les règles de droit public de la <<Iex

monetae >>?

Il n'est pas possible ici de discuter ces diverses questions, et l'on se

bornera à rappeler clue la tendance marquée de ce dernier courant doc-

trinal est de tenir compte de toutes les règles de droit public étranger,

5s) BGHZ 34, 169.60) SJZ 1968 p. 354.6r) Cf. \¡^N l{rcxe, Emþrunts,p.225.

138 139

TPIERRE L.\LI\TE

pour autant qu'elles émanent d'un pays ayant des <(contacts> ou rattâ-chements suffisants avec l'affaire 6 2r.

ceci nous amène à évoquer, en terminant, une disposition bien connue(sinon toujours bien comprise ou régulièrement appliquées), celle deI'article vrrr, 2, b, des Accords de Bretton woods - disposition qui nemanquerait pas de modifier notre droit international privé si la suisse,comme on en parle de plus en plus officiellement, venait à adhérer auxStatuts du FMI. Selon cet article:

<<Les contrats de change qui mettent en jeu la monnaie d'un Membre et sontcontraires aux réglementations de contrôle des changes que ce Membre main-tient en vigueur ou qu'il a introduites en conformité avec cet Accord, ne serontpas exécutoires sur le territoire des Membres . . .>r.

Disons sommairement que cette disposition introduit un nouveau r-at-tachement et traruforme une conception traditionnelle de l,ordre public:un nouveau rattachement, d'abord, car peu importerait désormais quela réglementation étrangère des changes soit celle du pays d.e la lex con.tractus ou dela lex loci solutíonis: selon I'article vlrr, il faut et il suffit queles ressources de devises d'un pays membre du FMI soient susceptiblesd'être affectées par I'exécution du contrat. D'autre part, il devient im-possible de refuser, au nom de I'ordre public, le concours de l,autoritéjudiciaire ou administrative à I'application d.'une telle réglementationdes changes, sous prétexte qu'elle relèverait du droit public étranger,qu'elle serait territoriale, politique, etc.; tout au contraire, l'ordre publicnouveau (soit le traité lui-même) exigera dorénavant que les tribunauxrefusent leur concours à l'exécution de contrats violant cette réglementa-tion des changes6st.

En dehors même des Accords de Bretton woods, il est certain que lajurisprudence actuelle marque beaucoup moins d'hostilité qu,autrefoisaux lois monétaires et, plus généralement, au droit public étranger.

Conclusion

une étude plus poussée du sujet conduirait à se demand.er encore, parexemple, si la prise en coruidération d'une interd.iction de droit publicétranger édictée par une autre loi que la lex contractus entraîne, quant à

ca) Cf. N llrcxr, Recueil des Cours, 1969, p.494.63) Vo maintes fois discutée, J. Gor.n, ti p¡il a

Ies Transa n 1966, p. 22 ss.

140

r\PPLICÄTION DU DRoIT PUBLIC ÉTRÀNGER

I'exécution de l'obligation, une <<impossibilité defait>> - comme on le ditsouvent - auquel cas il ne s,agirait plus ni d'<<appliquer>, ni même de(tenir compte> du droit public étranger mais seulement de prendre enconsidération un¡fait: on serait par coruéquent tout à fait en dehors duproblème de <<l'application du droit public étranger>>. En réalité, cettemanière de s'exprimer esquive la véritable question: même vu sous cetangle, il ne s'agit pas d'effets de pur fait. S'agit-il, d'ailleurs, de <<recon-naître>> une interdiction ou c étranger (cequi peut être considéré com cle l,<<applica_tion> au sens large) ? Ou ne s effets de droitciuil d'une interdiction (de droit public étranger) reconnue? on voitcombien ces distinctions sont délicates, et peut-être même impossibles.

Tout ce problème est aujourd'hui, en droit international privé, enpleine évolution. La doctrine est à la recherche de nouveaux rattache-ments et de nouveaux principes. La jurisprudence, quant à elle, paraîtdominée dans chaque cas, assez naturellement, par les particularités deI'espèce et hésite sur les principes, non sans s'appuyer assez souvent en-core sur des <béquilles> héritées d''ne époque révolue. Dans ces con-ditions, il serait aventureux de prétendre résumer, en quelques proposi-tions, l'état du droit international privé positif mod.erne.

Une idée générale semble bien se dégager, néanmoins, de ce troprapide examen: qu'il s'agisse de certaines interd.ictions ou restrictionsaffectant l'exécution d'un contrat, qu'il s'agisse d.es prétentions formuléespar un Etat ou un organisme étranger ou, plus généralement, de l'<<ap_plication>> ou de la <<prise en considération>> des rois étrangères, la naturede <<droit public>> dt droit étranger en question paraît être le plus souventd'un fort piètre secours. Ne fournit-elre pas, en trop d'occasioru, unemotivation purement verbale et n'est-elle pas, en définitive, plus encom-brante qu'utile?

Certes, en pratique, il demeure que le <<d.roit public étranger>> estmoiru souvent <<appliqué>> que le droit privé étranger, çlue son <<domained'application>> apparaît comme moins étend.u. ce fait semble s'expliquer,parfois, par de bonnes raisons, parfois aussi, et même souvent, par d.emauvaises laisons.

De bonnes raisons, liées à la nature d.es choses, lorsque ces raisonstiennent à la compétence des autorités ou aux qualifications techniquesou spéciales que requiert la mise en æuvre de certaines règles de droitpublic. De mauvaises raisons, d'autre part, comme celles que nous avons

t4r

PIERRE I.ALIVE

évoquées, en suggérant la remise en cause de certaines formules routi-

nières.

Ce tour d'horizon, si incomplet qu'il soit, aura atteint son but s'il a pu

inciter des juristes suisses à poursuivre cet essai de réflexion critique sur

un chapitre important du droit international privé - à la þ:.mière des

besoins actuels du commerce international et des e:<igences nouvelles de

la collaboration internationale.

t+2

Dokumentarischer Teil - Partie documentaire

A. Völkerrecht - Droit international public