labiale pour enfants sourds ÂgÉs de huit …docnum.univ-lorraine.fr/public/scdmed_mort_2011... ·...
TRANSCRIPT
-
AVERTISSEMENT
Ce document est le fruit d'un long travail approuv par le jury de soutenance et mis disposition de l'ensemble de la communaut universitaire largie. Il est soumis la proprit intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de rfrencement lors de lutilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pnale. Contact : [email protected]
LIENS Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm
-
Facult de Mdecine de Nancy Universit Henri Poincar Nancy I
COLE DORTHOPHONIE DE LORRAINE
Dirige par Monsieur le Professeur Claude SIMON
Mmoire prsent dans le cadre de lobtention du Certificat de Capacit dOrthophoniste
Par Nomie FREUND
Le 21 juin 2011
Composition du Jury :
Prsident : Monsieur le Professeur Richard DUDA, Professeur la Facult de Lettres
Directrice : Madame Marie Madeleine DUTEL, Orthophoniste
Assesseurs : Madame le Docteur Bettina MONTAUT-VERIENT, Mdecin O.R.L.
Madame Stphanie LE CARDONNEL, Orthophoniste
LABIOKIDS :
DVELOPPEMENT DUN MATRIEL DENTRANEMENT LA LECTURE
LABIALE POUR ENFANTS SOURDS GS DE HUIT DOUZE ANS
Volume 1
-
Je tiens remercier
Monsieur le Professeur Richard DUDA, de mavoir fait lhonneur daccepter la prsidence de
mon jury et de mavoir suivie au cours de mon travail.
Madame Marie-Madeleine DUTEL, davoir accept de diriger mon mmoire, de mavoir
prodigu de judicieux conseils, et davoir t prsente tout au long de cette anne.
Madame le Docteur Bettina MONTAUT-VERIENT, davoir accept de faire partie de mon
jury et davoir accompagn mon travail.
Madame Stphanie LE CARDONNEL, de mavoir laisse poursuivre son projet mais aussi
pour sa gentillesse, son soutien et ses conseils pendant cette anne.
Jadresse galement mes remerciements Virginie CLAVEQUIN, qui elle aussi ma autorise
reprendre son travail.
Je remercie Mademoiselle Blandine CHONE, institutrice lcole Marcel Leroy et Madame
Laurence MAURICE, directrice de lcole, qui mont laisse rencontrer leurs lves.
Je tiens remercier Mesdames Brigitte ROY et Marie-Odile MARTIN qui ont eu lextrme
gentillesse de maider dans mes dmarches de recherche de population.
Merci galement Samuel BRUDER, dessinateur, pour son aimable participation mon
travail.
Je noublie bien videmment pas les enfants que jai rencontrs, ainsi que leur famille qui
mont accueillie chez eux avec une grande bienveillance. Sans eux, mon travail naurait pu
voir le jour.
-
Je ne saurais oublier
Mes parents,
Merci de mavoir encourage depuis le dbut et de mavoir permis dentreprendre les tudes
que javais choisies. Davoir tous les deux t l.
Jadresse une mention spciale ma Maman qui a pass un temps considrable me lire,
me relire, me re-relire... Merci pour ton courage et ta patience !
Mes frres et ma sur,
Merci vous trois pour votre prsence dynamisante, qui mest si chre (et de mavoir
supporte pendant cette priode difficile !).
Mes grands parents,
Vous mavez soutenue pendant toute cette anne, comme depuis toujours dailleurs. Merci
davoir t mes cts.
Elodie, Marion, Tiphaine, Delphine, Estelle, Alice et Madi,
Ces annes nauraient pas eu sans vous la mme saveur. Merci pour ces moments.
Cline,
Qui a relu tout mon travail.
-
Sommaire
-
INTRODUCTION
ANCRAGES THORIQUES
Chapitre 1 : De la perception la comprhension du message auditif
1.1 Brefs rappels concernant laudition
1.1.1 Les paramtres acoustiques du son
1.1.2 Physiologie de laudition
1.2 La perception du message auditif
1.2.1 Les trois niveaux de la perception de la parole
1.2.2 Thories pour la perception de la parole
1.2.2.1 Thories sensorielles
1.2.2.2 La perception directe de Gibson
1.2.2.3 Thorie Motrice de la Perception de la Parole (TMPP)
1.2.2.4 Thorie de Fowler
1.2.2.5 Thorie des dtecteurs de traits
1.2.2.6 Modles connexionnistes
1.2.2.7 La perception audiovisuelle de la parole
1.2.2.7.1 La perception audiovisuelle de la parole est [] une vidence
fonctionnelle (Calbour, Dumont, 2002, page 25)
1.2.2.7.2 La ralit des interactions audio-visuelles : leffet McGurk
1.3 Les units perceptives de base
1.4 Le traitement du message auditif
1.4.1 Les phnomnes dinteraction audiovisuelle
1.4.2 Architectures et natures des mcanismes de fusion audiovisuelle
1.5 La comprhension du message auditif
1.5.1 Lidentification des phonmes
1.5.2 Les reprsentations lexicales
1.5.2.1 Le modle abstractionniste
1
4
5
5
5
6
7
7
8
8
9
9
9
10
10
10
10
11
13
14
14
14
17
17
18
18
-
1.5.2.2 Le modle exemplaires
1.5.3 La reconnaissance des mots
1.5.3.1 Le modle de la Cohorte de Marslen et Wilson
1.5.3.2 Le modle TRACE de McClelland et Ellman
1.5.3.3 Le modle NAM (Neighborhood Activation Model) de Luce et Pisoni
1.5.4 Les informations fournies par les lments syntaxiques
1.5.5 Lexprience et les connaissances de lauditeur
1.5.6 Les procdures mises en jeu dans la comprhension
1.5.6.1 La procdure ascendante
1.5.6.2 La procdure descendante
Chapitre 2 : Dveloppement du langage et impact de la dficience auditive
2.1 Le rle des aspects perceptifs dans le dveloppement du langage des enfants
2.1.1 Le contexte interactionnel
2.1.2 Le rle de la prosodie
2.1.3 La perception catgorielle
2.2 Dveloppement des premiers comportements oraux et impact de la dficience auditive
2.3 Ecueils dans les changes entre le parent entendant et son enfant sourd : une relle
perturbation de la communication
2.4 Consquences de la dficience auditive sur le dveloppement ultrieur du langage de
lenfant
2.4.1 Apparition du premier mot
2.4.2 Le dveloppement lexical de lenfant sourd
2.4.3 La matrise de la syntaxe et de la morphosyntaxe
2.4.3.1 Hypothses explicatives des difficults dacquisition morphosyntaxique
de lenfant sourd
2.4.3.2 Caractristiques de la matrise morphosyntaxique de lenfant dficient
auditif
2.4.3.3 Dlai ou dviance de lacquisition morphosyntaxique du langage par les
sujets sourds ?
19
19
20
20
21
21
21
22
22
22
24
24
24
25
26
27
30
31
32
33
34
34
35
36
-
Chapitre 3 : La prise en charge de la surdit
3.1 Les aides auditives
3.1.1 Les prothses auditives conventionnelles
3.1.2 Limplant cochlaire
3.2 Les mthodes dducation destination des enfants sourds
3.2.1 Lapproche visuogestuelle
3.2.2 Lapproche audiophonatoire
3.2.2.1 Loralisme pur
3.2.2.2 Lapproche audiophonatoire en franais
3.2.2.2.1 Les aides manuelles la langue parle
3.2.2.2.2 Le franais sign
3.2.2.3 Lapproche audiophonatoire en franais avec LSF
3.2.3 La communication totale ou multimodale
3.3 Les bnfices du LPC
3.3.1 Bnfices du LPC au niveau du langage oral de lenfant sourd
3.3.1.1 La rception du message oral.
3.3.1.2 Lacquisition de la morphosyntaxe
3.3.2 Bnfices du LPC au niveau du dveloppement cognitif de lenfant sourd
3.3.2.1 Les habilets mtaphonologiques
3.3.2.2 La mmoire phonologique de travail
3.3.3 Bnfices du LPC au niveau du langage crit de lenfant sourd
3.3.4 La parole intrieure
Chapitre 4 : La lecture labiale
4.1 Dfinitions
4.2 Les facteurs influenant la lecture labiale
4.2.1 Les facteurs lis la situation communicationnelle
4.2.2 Les facteurs lis lmetteur du message oral
4.2.3 Les facteurs lis au labiolecteur lui mme
38
38
38
40
43
44
44
44
45
45
48
48
49
51
51
51
52
52
53
53
54
55
57
57
57
58
58
59
-
4.3 Que doit-on percevoir ? : les information visuelles
4.3.1 Les mouvements des organes phonateurs
4.3.2 Les vismes
4.3.2.1 Les vismes consonnes
4.3.2.2 Les vismes voyelles
4.4 Limportance de la lecture labiale en fonction du degr de surdit
4.5 Les limites de la lecture labiale
DMARCHE MTHODOLOGIQUE
1. Pourquoi un jeu de lecture labiale ?
2. Les deux axes de mon travail
3. Les preuves
3.1. Les trois types dactivits : analytique, semi-global, global
3.2. Le matriel verbal
3.3. Les supports des nigmes
3.4. La progression des preuves
4. Les capacits requises pour pouvoir participer au jeu
5. Lintrigue, les personnages, les lieux
6. Les objectifs de lexprimentation
7. Le descriptif des preuves
7.1. Les prnoms
7.2. Les horloges
7.3. quoi vont servir les objets de la liste ?
7.4. Les vtements de Tommy
7.5. Le sac dos
59
60
61
61
66
69
69
72
73
74
76
76
77
79
83
84
85
86
87
87
88
88
89
90
91
91
92
-
7.6. Lcole
7.6.1. Que vois-tu ?
7.6.2. Quelle est la leon du jour ?
7.6.3. Que choisir ?
7.6.4. De qui parle-t-il ?
7.6.5. Les affaires de Tommy
7.6.6. La posie
7.7. La plage
7.7.1. En rythme !
7.7.2. Budy aime
7.7.3. Quest-ce que cest ?
7.7.4. Mli-mlo des mots
7.7.5. De quoi parle Budy sur la plage ?
7.8. Le parc
7.8.1. Oui ou non ?
7.8.2. Quel est le mtier de Budy ?
7.8.3. Le contraire !
7.9. Le supermarch
7.9.1. Devine ce que Tommy essaie de dire Budy
7.9.2. Quavons-nous achet ?
7.9.3. Cest fou !
7.9.4. Combien a cote ?
7.9.5. Quest-ce quils disent ?
7.10. Le magasin de jouets
7.10.1. Quelle bouche vois-tu ?
7.10.2. Le jeu de ltagre
7.10.3. Il y en a plusieurs !
7.10.4. Le jeu de la rime
7.10.5. Quel est le jouet prfr de Budy ?
7.11. La maison de Tommy
7.11.1. La salle de bain
7.11.1.1. Qua fait Simon ?
7.11.1.2. qui est-ce ?
7.11.2. Le salon
91
91
91
92
93
93
94
95
95
96
96
97
98
98
98
99
99
100
100
101
102
103
103
104
104
105
105
106
107
107
107
107
108
109
-
7.11.2.1. Pub
7.11.2.2. Les nouvelles du jour
7.11.2.3. Bonne ou mauvaise nouvelle ?
7.11.2.4. Content ou pas ?
7.11.2.5. La recette
7.11.3. La chambre de Tommy
7.11.3.1. Le courrier de Tommy
7.11.3.2. Que se racontent-ils ?
7.11.3.3. La chasse aux intrus
7.11.3.4. Quelle question ?
7.11.4. La cuisine
7.11.4.1. O es-tu ?
7.11.4.2. De quoi parle Lola ? ou Qua fait Amandine ?
7.11.4.3. Quest-ce quil dit ?
7.11.4.4. De quoi parle-t-on ?
7.12. Quelle aventure !
8. Le rcapitulatif des preuves
9. La population dexprimentation
9.1. A.
9.2. E.
9.3. G.
9.4. M.
9.5. S.
ANALYSE DES RSULTATS
1. Les prnoms
2. Les horloges
3. quoi vont servir les objets de la liste
109
109
110
111
111
112
112
113
113
114
114
114
115
116
117
117
119
121
121
121
121
121
122
123
124
124
124
-
4. Les vtements de Tommy
5. Le sac dos
6. Lcole
6.1. Que vois-tu ?
6.2. Quelle est la leon du jour ?
6.3. Que choisir ?
6.4. De qui parle-t-il ?
6.5. Les affaires de Tommy
6.6. La posie
7. La plage
7.1. En rythme !
7.2. Budy aime
7.3. Quest-ce que cest ?
7.4. Mli-mlo des mots
7.5. De quoi parle Budy sur la plage ?
8. Le parc
8.1. Oui ou non ?
8.2. Quel est le mtier de Budy ?
8.3. Le contraire !
9. Le supermarch
9.1. Devine ce que Tommy essaie de dire Budy
9.2. Quavons-nous achet ?
9.3. Cest fou !
9.4. Combien a cote ?
9.5. Quest-ce quils disent ?
10. Le magasin de jouets
10.1. Quelle bouche vois-tu ?
126
127
128
128
129
130
132
133
134
135
135
136
137
138
139
140
140
141
142
143
143
144
145
146
147
148
148
-
10.2. Le jeu de ltagre
10.3. Il y en a plusieurs !
10.4. Le jeu de la rime
10.5. Quel est le jouet prfr de Budy ?
11. La maison de Tommy
11.1. La salle de bain
11.1.1. Qua fait Simon ?
11.1.2. qui est-ce ?
11.2. Le salon
11.2.1. Pub
11.2.2. Les nouvelles du jour
11.2.3. Bonne ou mauvaise nouvelle ?
11.2.4. Content ou pas ?
11.2.5. La recette
11.3. La chambre de Tommy
11.3.1. Le courrier de Tommy
11.3.2. Que se racontent-ils ?
11.3.3. La chasse aux intrus
11.3.4. Quelle question ?
11.4. La cuisine
11.4.1. O es-tu ?
11.4.2. De quoi parle Lola ? ou Qua fait Amandine ?
11.4.3. Quest-ce quil dit ?
11.4.4. De quoi parle-t-on ?
12. Quelle aventure !
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
149
150
151
152
153
153
153
154
155
155
156
157
158
159
160
160
161
162
163
164
164
165
166
167
168
169
173
176
-
Rcapitulatif des figures et tableaux :
Figure1 : Leffet McGurk (Calbour, Dumont, 2002)
Figure 2 : Modles dintgration des informations auditives (AU) et visuelles (VIS)
Figure 3 : Modle de la Cohorte de Marslen et Wilson
Figure 4 : Les prothses auditives conventionnelles : contours doreille et intra-auriculaires
(www.orl.nc)
Figure 5 : Les lunettes auditives (www.senioractu.com)
Figure 6 : Limplant cochlaire : constitution et localisation (www.coquelicot.asso.fr ;
www.fr.wikipedia.org)
Figure 7 : Les gestes de lAKA (Rondal, Henrot, Charlier, 1986, page 53)
Figure 8 : Configurations manuelles et digitales composant le LPC (Lopez Krhe, 2007)
Figure 9 : Les diffrents programmes ducatifs recommands par lHAS (www.has-sante.fr)
Figure 10 : Exemple de visibilit des consonnes en fonction de la voyelle qui suit (Istria et
coll., 1982, page 175)
Figure 11 : Les vismes consonnes (Istria et coll., 1982, page 174)
Figure 12 : Voyelles les plus facilement reconnaissables en labiolecture (Dumont, 2008)
Figure 13 : Les vismes voyelles (Istria et coll., 1982, page 173).
12
16
20
39
40
41
46
47
50
64
66
67
68
http://www.orl.nc/http://www.senioractu.com/http://www.fr.wikipedia.org/http://www.has-sante.fr/
-
Tableau 1 : Etude des corrlations entre degr de surdit et acquisition dun premier lexique,
daprs une tude de Grgory et Mogford (Dumont, 2008, page 181)
Tableau 2 : Le lexique, dcalage temporel et catgoriel entre entendants et malentendants
(Dumont, 2008, page 181)
Tableau 3 : Degr de visibilit des mouvements des organes phonateurs (Dumont, 2008, page
195)
Tableau 4 : Rcapitulatif des preuves
33
33
60
120
-
Introduction
-
Chez lenfant sourd profond, remplaant ou compltant la perception auditive, la lecture
labiale constitue la fonction centrale de la construction des articulations et du sens .
(Calbour, Dumont, 2002, page 118).
Jai choisi de mintresser la problmatique de lenfant sourd et de son apprentissage
de la lecture labiale. Cette ide est ne du constat quil nexiste ce jour aucun matriel
ludique destin aux enfants visant entraner cette comptence. La lecture labiale constitue
pourtant pour eux un des modes daccs la langue orale. Jai donc dcid de travailler sur un
projet de matriel visant combler ce manque.
Au cours de mes recherches, jai dcouvert la ralisation de deux tudiantes en
orthophonie, Virginie Conraux et Stphanie Clavequin (Conraux, Clavequin, 2001). Elles
avaient, loccasion de leur mmoire de fin dtudes, conu un matriel dentranement la
labiolecture pour enfants sourds gs de huit douze ans, intitul Labiokids. Jai donc, aprs
avoir obtenu leur accord, dcid de poursuivre leur travail dans le but den produire une
version plus dveloppe.
Le projet de conception dun matriel dentranement la lecture labiale a un rel
intrt thrapeutique. 95 % des enfants sourds naissent dans une famille entendante, qui
sexprime donc oralement. Leur arrive ou leur prsence dans le cercle familial va modifier
les changes entre les membres. Lenfant sourd nentend pas, ou entend mal : comment faire
pour quil puisse trouver une place dinterlocuteur et accder la langue orale ? Les prothses
auditives ne peuvent restaurer parfaitement laudition. Les informations perues visuellement
permettent ainsi au patient sourd de compenser celles qui sont peu ou mal perues
auditivement. Le Langage Parl Complt (L.P.C.), utilis pour lever les ambiguts produites
par la lecture labiale, a par ailleurs montr des rsultats tout fait intressants dans les
domaines du dveloppement cognitif et langagier de lenfant sourd. ces donnes sajoutent
les rcents progrs techniques de limplantation cochlaire. Il devient prsent possible
doffrir aux enfants dficients auditifs comme aux adultes la possibilit de percevoir des
informations par laudition dans le cas o un appareillage conventionnel ne permet pas un
gain prothtique suffisant. Les lments alors perus seront complts par ceux que le patient
apprhendera visuellement.
Lentranement de la labiolecture a donc sa place dans la prise en charge de lenfant
sourd : initialement moyen de construire sa langue, elle devient ensuite un objet
-
dapprentissage. Lenfant doit pour cela avoir dvelopp des bases de la langue orale : la
lecture labiale ne peut donc tre isole que tardivement.
Mais cet apprentissage peut savrer fastidieux, laborieux et peut tre mme rptitif,
dautant plus lorsquil sadresse des enfants. Cest la raison pour laquelle la mdiation par le
jeu me semble rellement pertinente. Elle a pour objectif de rendre le jeune patient acteur de
sa prise en charge.
De ces constats merge donc un questionnement : Comment pouvons-nous
amliorer, dvelopper, entraner la lecture labiale des enfants dficients auditifs? Quels
exercices proposer, et surtout comment rendre cette dlicate activit ludique et
amusante auprs de jeunes patients ?
Ce mmoire, compos de deux volumes et dun CD-ROM, tendra rpondre cette
interrogation. Mes recherches thoriques ont orient ma rflexion sur la problmatique de
lenfant sourd qui est avant tout un enfant devant dvelopper sa communication et sa langue,
jusque sur le versant prcis que constitue la lecture labiale. Ma dmarche exprimentale ma
quant elle amene me questionner sur la ralisation dun matriel rducatif, les moyens
mettre en uvre, les situations proposer pour entraner la lecture labiale de jeunes patients.
La finalit de mon travail est en effet de pouvoir proposer un outil complet et pertinent, ayant
sa place dans la prise en charge de lenfant sourd.
Jai donc dvelopp le matriel de Stphanie Conraux et Virginie Clavequin. Les
preuves ont t testes avec une population denfants dficients auditifs. Leurs rsultats ont
ensuite t analyss et les preuves modifies dans le but de rpondre la problmatique
formule. Les deux volumes retracent donc lvolution de cette rflexion.
-
Ancrages
Thoriques
-
CHAPITRE 1 : DE LA PERCEPTION LA COMPREHENSION DU MESSAGE
AUDITIF
Laudition est dfinie par le Dictionnaire dOrthophonie (2004) comme lactivit
sensorielle complexe ralise grce loreille et ses affrences permettant la perception et
lintgration des sons et des bruits. Cest un processus qui commence au niveau de loreille
externe et se termine celui du systme nerveux central.
1.1 Brefs rappels concernant laudition
1.1.1 Les paramtres acoustiques du son
Le son est dfini par trois paramtres acoustiques : lintensit, la frquence et la dure.
Lintensit :
Elle est dfinie par le Dictionnaire dOrthophonie (2004) comme la puissance du
son, de la voix, mesure en dcibels (dB) grce un sonomtre .
La frquence :
Elle correspond au nombre de vibrations par seconde dun son pur priodique
dterminant sa hauteur physique (Ibid.). Plus la frquence dun son est leve, plus ce son
est aigu. La frquence se mesure en Hertz (Hz).
La dure :
La dure se dfinit comme lintervalle sparant deux vnements. Selon Lienard (cit
par Laboulais, 2007), un vnement sonore doit durer au moins soixante millisecondes pour
tre peru dans toutes ses dimensions par loreille.
Ces trois paramtres composent le signal acoustique. [Leur traitement] par le
systme auditif permet notamment de reconnatre et didentifier une source sonore, de la
localiser dans lespace, de dcoder la parole et den analyser la prosodie (Laboulais, 2007,
page 4).
-
1.1.2 Physiologie de laudition
Linformation auditive, recueillie au niveau de loreille externe, va tre achemine
jusquau systme nerveux central. Ce faisant, le stimulus initial mcanique (vibratoire) va tre
transform en message lectrique (dcrypt par le systme nerveux central). Il y a donc, dans
le processus daudition, transduction dondes acoustiques en impulsion neurale. Cette
physiologie pouvant tre retrouve en dtails dans divers ouvrages, nous ne la dvelopperons
pas outre mesure.
Laudition ne consiste pas en une simple perception des sons de notre
environnement. Si cette dtection, cette perception en est la premire et ncessaire tape, le
message auditif doit ensuite tre intgr, trait, puis compris. Entendre , ce nest pas que
percevoir les sons, cest aussi comprendre, et cette comprhension achve le processus
daudition.
Laudition est donc un phnomne complexe. Plusieurs questionnements mergent de
ces informations :
Quelle est la nature des lments qui transitent par les diffrents constituants du systme
auditif ?
Quelles sont les informations transmises et comment sont-elles codes ?
Comment ces informations sont-elles traites ?
Sur quelles units de perception minimales nous basons-nous pour percevoir la parole ?
Comment laccs au lexique partir des units sonores est-il permis ?
Quels sont les processus qui permettent la comprhension du message ?
Nous nous attacherons tout dabord la perception auditive, en abordant dans un
premier temps les trois niveaux de cette perception et dans un second les diffrentes thories
se proposant de lexpliciter. Comme nous allons le voir, il nexiste pas de consensus ce
sujet.
-
1.2 La perception du message auditif
1.2.1 Les trois niveaux de la perception de la parole
Serniclaes (cit par Lpez Krahe, 2007) a mis en vidence, en 2000, les trois
niveaux du systme de perception de la parole : le niveau psychoacoustique, le niveau
phontique et le niveau phonologique. Ainsi, le traitement auditif ne se limite pas une
transduction dondes acoustiques en impulsion neurale, transduction qui peut tre assure par
limplant lorsque la cochle est dfaillante.
Le niveau psychoacoustique :
Il est priphrique et situ bilatralement. Cest ce niveau, sensible aux dtails
acoustiques, qua lieu lextraction dindices auditifs complexes. En 1976, Cutting a montr
que cest ici que se produit la prise en compte de la diffrence de localisation spatiale lorsque
le mme stimulus est prsent avec des intensits diffrentes dans les deux oreilles (Lpez
Krahe, 2007).
Le niveau phontique :
Ce niveau de traitement ne se situe pas uniquement au niveau central. En effet, une
slection a dj lieu au niveau de la cochle du fait de lorganisation tonotopique de cette
dernire1. On y observe une sensibilit aux traits universels de la parole, et ce
indpendamment de la langue considre. Ce niveau, plus labor que le prcdent, est
indpendant de lexprience qua le sujet des sons de sa langue.
Le traitement effectu est plus abstrait que celui du niveau prcdent : il procde par
intgration des indices acoustiques qui y ont t extraits. En effet, les reprsentations
phontiques tant plus abstraites que celles du signal acoustique2, la perception dun trait
1 La tonotopie cochlaire correspond une amplification des mouvements de la membrane
basilaire en fonction de la frquence du son peru : la base de la cochle code les frquences
aigus, lapex code les frquences graves.
2 Les composants du signal acoustique tant : intensit, temps et frquence, comme nous
lavons vu plus haut.
-
phontique ne dpend pas dun seul indice acoustique mais de lassociation de plusieurs
dentre eux.
Le niveau phonologique :
Chaque langue dtient son propre systme phonologique, cest--dire son propre
rpertoire de sons. Ce niveau permet ainsi la perception de catgories sonores propres la
langue de lindividu.
Dun point de vue physiologique, le traitement priphrique, ralis au niveau de la
cochle, apparat presque demble. Intgration et traitement du message ont donc lieu
prcocement. En effet, selon Virole (2000, page 70), loreille est capable de percevoir
simultanment plusieurs sons qui se distinguent par la frquence . Cela sexpliquerait par
lexistence, dans la cochle, de neurones correspondant des bandes frquentielles dfinies,
excits diffremment et qui de fait aboutissent une sensation sonore particulire en fonction
du message acoustique.
1.2.2 Thories pour la perception de la parole
1.2.2.1 Thories sensorielles
Miller a avanc en 1976 une thorie selon laquelle le processus de catgorisation
phontique serait li aux effets des seuils diffrentiels masqus3, en dessous desquels les
variations des paramtres du signal ne sont pas perues, et au-del desquels elles se traduisent
qualitativement sur le plan lectrophysiologique. Pastore a, quant lui, mis en 1977
lhypothse selon laquelle la catgorisation phontique est lie un processus neuroperceptif
dpendant soit de facteurs internes (seuil masqu faisant intervenir la cochle par exemple),
soit de facteurs externes (mettant en relation des mcanismes perceptifs et cognitifs) (Calbour,
Dumont, 2002).
3 Le seuil diffrentiel mesure partir de quelle valeur lindividu commence percevoir une
diffrence entre deux stimuli. Les seuils diffrentiels masqus visent donc mettre en
vidence la valeur partir de laquelle lauditeur peroit une diffrence entre deux stimuli, en
prsence de sons masquants.
-
1.2.2.2 La perception directe de Gibson
Cette thorie, dveloppe par Gibson en 1979, prend en compte la perception visuelle.
Son ide est que toutes les informations ncessaires la perception de la parole sont prsentes
dans l'environnement et quil va s'agir pour l'observateur de les saisir. Ceci serait possible
grce aux mouvements des objets ou de lobservateur lui-mme. Pour lui, la perception
consiste dtecter les invariants, c'est--dire dtecter l'information qui ne change pas.
1.2.2.3 Thorie Motrice de la Perception de la Parole (TMPP)
Elle a t labore par Libermann et Mattingly en 1985. Leur hypothse est que
lauditeur, lorsquil peroit la parole, peroit en ralit les gestes articulatoires de ceux qui la
produisent (Calbour, Dumont, 2002). Autrement dit, lobjet de la perception nest pas
construit par le signal acoustique lui-mme mais par les gestes articulatoires qui sont son
origine. La TMPP est ne du constat quil est difficile, du fait de phnomnes tels que la
coarticulation, dextraire des invariants du signal de la parole. Ainsi, la lisibilit des indices
articulatoires au niveau des mouvements qui les produisent est meilleure quau niveau
phontique : ce sont les reprsentations praxiques des sons, et non les phonmes, qui sont
stables.
Les sons perus nous renverraient en fait leur reprsentation praxique, images que
nous utilisons nous-mmes lorsque nous produisons ces sons. Lenfant, en articulant, en
produisant des sons, sentrane donc les percevoir. Daprs Calbour et Dumont (2002, page
20), les sonorits ne sont plus lobjet principal de la perception, mais les simples tmoins
de leur origine motrice .
1.2.2.4 Thorie de Fowler
Fowler a dvelopp en 1986 une variante de la Thorie Motrice de la Perception de la
Parole, en sappuyant galement sur la thorie de Gibson. Selon elle, le signal acoustique
contient suffisamment dinformations pour induire chez lauditeur la dduction intuitive des
gestes articulatoires qui le sous-tendent, sans recourir un module spcifique de traitement
(Calbour, Dumont, 2002). Lauditeur, pour percevoir la parole, utiliserait donc tous les
signaux disponibles dans lenvironnement. Ainsi tout signal, sil possde une valeur
-
phonmique, pourrait activer le systme responsable du traitement de la parole, comme les
signaux tactiles par exemple.
1.2.2.5 Thorie des dtecteurs de traits
Il existerait dans cette thorie des groupes de neurones spcialiss dans le traitement
de certains paramtres physiques du signal de la parole, et dont le rle serait de traiter les
traits phontiques qui y sont contenus. Il y aurait donc des groupes neuronaux spcialiss dans
la discrimination phontique, et de fait des liens entre mcanismes de traitement perceptifs,
auditifs et visuels.
1.2.2.6 Modles connexionnistes
Issus de lIntelligence Artificielle, ces modles sappuient sur une logique plus
indtermine que celle du tout ou rien propose par les modles des dtecteurs de traits :
elle permet denvisager des essais-erreurs et un apprentissage du systme. Daprs Lippman
(cit par Calbour et Dumont, 2002), il nexisterait pas de groupes de neurones spcialiss dans
la dtection de formes phontiques comme expos dans la thorie prcdente, mais des
entres actives par lexprience linguistique du sujet. Ces entres correspondent selon lui
une phase de reconnaissance et lexprience linguistique du sujet correspond quant elle
une phase dapprentissage.
1.2.2.7 La perception audiovisuelle de la parole
1.2.2.7.1 La perception audiovisuelle de la parole est [] une
vidence fonctionnelle (Calbour, Dumont, 2002, page 25)
Laudition sans la vision, mme si elle demeure dans la plupart des cas suffisamment
efficace, perd en confort perceptif et en intelligibilit (Calbour, Dumont, 2002, page 25). La
perception de la parole nest pas uniquement auditive : nous allons aborder le rle jou par la
vision dans la perception du message qui nous est transmis.
Plusieurs situations issues de la vie quotidienne montrent limportance de laudio-
vision, y compris chez les personnes normo-entendantes. Toute dsynchronisation entre les
-
perceptions auditive et visuelle entrane une situation dinconfort : citons les exemples dun
film mal doubl ou dun chanteur peu tmraire utilisant le play-back, qui sont trs souvent
remarqus par lauditeur. De mme, lors dune conversation tlphonique, les interlocuteurs
doivent redoubler dattention pour pallier aux aides visuelles manquantes. Lors dune
conversation en milieu bruyant (ambiance cocktail party ), tout auditeur saide des indices
quil peut trouver grce une lecture faciale de la parole du locuteur.
Il a t montr que lapport des informations visuelles nentre pas en jeu dans les
seules conditions o le message est incomplet ou masqu. Une tude de Reisberger, McLean
et Goldfield (cits par Calbour, Dumont, 2002) a montr que les informations visuelles aident
galement lauditeur saisir un message lorsque le signal auditif est complet mais difficile
comprendre ( lcoute dune langue trangre, ou dun texte comme celui de la Critique de
la raison pure de Kant par exemple).
Enfin, et cela nous concerne tout particulirement, remarquons lhabitude quont les
orthophonistes symboliser les phonmes de la parole pour aider leurs patients
construire des points de repres articulatoires et perceptifs.
Il a ainsi t montr que, quelle que soit la qualit du message acoustique, la
perception visuelle de la parole engendre une amlioration de lintelligibilit, et a fortiori de la
comprhension de celui-ci. Cette amlioration correspond, selon Calbour et Dumont (2002),
un gain moyen de 11 dB. Ajoutons par ailleurs que lorsque le signal audio diminue, quelle
quen soit la cause (dficit auditif ou bruit de fond), la contribution du visuel augmente
(Ibid.). Le fait de voir le visage de celui qui parle augmente donc significativement lhabilet
percevoir sa parole produite dans le bruit.
1.2.2.7.2 La ralit des interactions audio-visuelles : leffet McGurk
Lexistence dinteractions audio-visuelles a t prouve par le fort connu effet
McGurk , encore appel illusion McGurk , mis en vidence par les exprimentations de
McGurk et MacDonald en 1976 et 1978. Pour rappel, ces auteurs ont cr une situation de
conflit audio-visuel : ils faisaient entendre la squence audio [ba] alors quils montraient
conjointement limage vido dun locuteur articulant un [ka]. Dans 98% des cas, les
personnes auxquelles cette situation a t propose ont peru un [da], preuve des interactions
existant entre les modalits de perception visuelle et auditive. Ce type de rsultat peut tre
obtenu avec des phrases : la phrase audio my bap pop me poo brive doubl de la squence
-
visuelle my gag kok me koo grive est globalement perue my dad taught me to drive
(Calbour, Dumont, 2002). Ainsi, selon Cathiard (cite par Calbour, Dumont 2002, page 27) :
cet effet McGurk montre que les sujets ne sont pas capables de traiter slectivement une
composante du stimulus sans tre influencs par lautre, et constitue plus gnralement une
preuve dintgration des informations visuelles et auditives lors de la perception bimodale de
la parole .
Figure 1 : Leffet McGurk (Calbour, Dumont, 2002).
La perception audiovisuelle de la parole est effectivement une vidence fonctionnelle,
prsente chez tout individu.
Informations visuelles ? Auditives ? Motrices ? Audiovisuelles ? Neurones
spcialiss ? Tout signal prsent dans lenvironnement ?
Il nexiste pas de consensus concernant la manire dont lindividu peroit la parole de
son interlocuteur. Nanmoins, il semble que cette perception mette en jeu plusieurs modalits,
et non laudition uniquement : cest ce qui est appel la pluri-modalit de la perception de la
parole.
La place de laudiovision dans la vie quotidienne et lexistence de phnomnes
dinteraction audiovisuelle ont t prouves, et cela concorde avec ce que les professionnels
tels que les orthophonistes peuvent observer dans leur exprience clinique. Cette hypothse
sera donc celle que nous privilgierons dans notre travail.
1
1
Articulation sonore [bal ---,-i-------~.~: - I/---J~~ [da]
~ : Percept
Articulation faciale [ka] --~.,y~------"~ i1
1
-
1.3 Les units perceptives de base
Puisque nous abordons la perception de la parole, il nous faut nous attacher ce que
nous appelons les units perceptives de base. Quelles sont-elles ? Sur quelles units
minimales nous basons nous pour percevoir la parole ? Quel est le plus petit lment sur
lequel nous nous appuyons, celui la base du processus de perception ? Les implications
thrapeutiques de cette rponse sont primordiales lorsque la perception de la parole est
aborde, a fortiori avec un enfant sourd : quel matriel sonore lui proposer ?
Savin et Bever, soutenus par la suite par Mehler, Dommergues et Frauenfelder (cits
par Nguyen, 2005) ont propos des tches de dtection de fragment4 des franais ainsi qu
des anglais. Selon eux, les syllabes primeraient sur les phonmes lors de la perception de la
parole : lunit perceptive de base serait donc la syllabe.
Certains auteurs (Cutler, Mehler, Norris, Segui, Ibid.) ont avanc lide que cet effet
syllabique serait en fait caractristique de certaines langues comme le franais par exemple.
Daprs eux, la stratgie de perception de la parole serait diffrente chez les anglais.
Bien quaucune exprience nait vritablement pu le prouver, Content, Frauenfelder et
collaborateurs (Ibid.) ont mis lhypothse que certains constituants de la syllabe, comme
lattaque, pourraient servir de point dancrage, cest--dire de matriel de base au traitement
auditif.
Dautres travaux ont mis en vidence le fait que le trait serait la base du processus de
perception, et se placent donc au mme niveau que les thories de dtecteurs de traits pour la
perception de la parole. Certains modles postulent ainsi que lauditeur tablit une
correspondance directe entre une reprsentation en traits du signal de parole et le lexique, sans
passer par un niveau phonmique ou syllabique.
Enfin, citons ltude de Goldinger et Azuma (Ibid.) qui tendrait montrer quil ny
aurait pas, en ralit, de modle unique de ces units de base. Selon eux, lauditeur pourrait
tre simultanment sensible des units de taille diffrentes.
4 Cette tche consiste en la dtection ou non, de la part du sujet, dune cible (qui peut tre un
phonme ou une squence de phonmes) dans un stimulus acoustique qui lui est prsent.
-
1.4 Le traitement du message auditif
Une fois les informations perues par lindividu, elles doivent tre traites pour
pouvoir, ensuite, se charger de signification.
1.4.1 Les phnomnes dinteraction audiovisuelle
Leffet McGurk nous apporte des informations concernant linteraction audiovisuelle.
Linfluence de la perception visuelle sur lidentification du message acoustique montre que ce
phnomne se produit un niveau prcoce, et surgit parce que les formes auditives et
visuelles de la parole partagent une structure commune de traitement au sein du processus de
perception de la parole.
Cela suggre donc que lintgration audiovisuelle des signaux linguistiques se produit
un stade pr-lexical, avant celui de lidentification des mots (et probablement un stade de
catgorisation phontique) (Green, 1998 ; Summerfield, 1987, cits par Lopez Krhe, 2007),
et se droule donc dans une phase de traitement de linformation perue. Faisons un parallle
avec la thorie propose par les modles connexionnistes qui se situe elle aussi un niveau
pr-lexical, en dautres termes avant lentre dans le lexique interne5.
1.4.2 Architectures et natures des mcanismes de fusion audiovisuelle
Laudiovision, vidence fonctionnelle, entre part entire dans la perception de la
parole. Les deux types dinformations (auditif et visuel) doivent alors fusionner, afin daboutir
5 Le lexique interne correspond lensemble des reprsentations abstraites en mmoire ou des
reprsentations lexicales (informations orthographiques, phonologiques ou smantiques) que
possde un individu des mots de sa langue.
Comme nous pouvons le voir, aucune rponse communment admise na t
fournie la question de la nature des units perceptives de base de la parole. Syllabe ?
Phonme ? Trait ? Diffrents lments simultans ? Une attention toute particulire doit
donc tre porte aux tudes ultrieures tendant rpondre cette question. Quoi quil en
soit, aprs avoir t peru le message auditif va tre trait.
-
une information unique, pour que le sujet puisse la traiter. Comment cela se passe-t-il ?
Comment ces deux types dinformations sont-ils fusionns ? Il existe, selon Schwartz (2004),
quatre types possibles darchitecture.
Le premier modle (1) est appel le Modle identification directe : les deux types
dinformations sont apprhends en mme temps et aboutissent un code. Il ny a pas dtape
intermdiaire de mise en forme des donnes : le sujet effectue directement une classification
partir de cette entre multisensorielle.
Le deuxime modle (2) est le Modle identification spare . Chaque type
dinformations permet laccs code spcifique de la modalit utilise. Ils sont ensuite
fusionns (ceci est appel la fusion tardive), afin daboutir un code unique. La classification
phontique est donc, selon ce modle, spare du son et de limage du locuteur.
Le troisime modle (3) est celui du Recodage dans la modalit dominante .
Laudition est la modalit dominante pour la parole, et la vision est recode sous un format
compatible avec celui de la modalit auditive. La fusion est alors dite prcoce.
Enfin, le quatrime modle (4) est celui du Recodage commun des deux entres
sensorielles vers la modalit Motrice , et sinscrit donc dans des cadres thoriques se
rapprochant de la Thorie Motrice de la Perception de la Parole ou de la Thorie de la
perception Directe de Gibson dtailles plus haut. Une grande place est laisse aux
informations fournies par les gestes articulatoires, qui seraient apprhends par la modalit
auditive dune part, par la modalit visuelle dautre part. Laccs au code serait donc possible
grce ces reprsentations articulatoires, elles-mmes apprhendes par les deux modalits.
-
Figure 2 : Modles dintgration des informations auditives (AU) et visuelles (VIS)
Attachons nous prsent la nature de ces processus : quelles sont les rgles qui
rgissent cette fusion des informations auditives et visuelles ? En effet, nous avons dtaill le
fait que les indices visuels et auditifs taient apprhends : quel poids, quelle importance sont
donns tel ou tel type dinformations (auditif ou visuel) ? Il existe, selon Bloch (cit par
Schwartz, 2004), trois types de processus de fusion des deux types dinformations.
Le premier est le processus Indpendant du Contexte et Comportement Constant
(ICCC). La fusion exerce sur les deux types dentre y est fixe (multiplicative ou additive
par exemple).
Le deuxime est le processus Indpendant du Contexte et Comportement Variable
(ICCV). La loi de fusion est alors variable selon la valeur des diffrentes entres. Ainsi,
lentre prpondrante pourrait tre pondre de manire plus importante.
Le troisime processus est Dpendant du Contexte (DC). Il prend en compte les
connaissances qua le sujet sur son environnement. Selon leur valeur, les informations
fournies par le contexte seront donc plus ou moins pondres. Relions ce processus
lhypothse propose par les modles connexionnistes : dans cette thorie, la perception
auditive est le fruit de lactivation dentres grce lexprience linguistique du sujet. Nous
pouvons ainsi voir, dans ces deux thories, limportance des connaissances qua le sujet de
son environnement, autrement dit de son exprience.
~+-~U
~VIS
~~ ~ CodeAU 1'-",.
V Code
-
1.5 La comprhension du message auditif
Aprs avoir t peru puis trait, le stimulus auditif doit tre analys afin dtre
compris, et cela implique diverses oprations. Les mcanismes sous-tendant la comprhension
ont t longuement tudis. Ce chapitre portant sur la comprhension du message peru
auditivement, nous naborderons pas la comprhension du message crit.
1.5.1 Lidentification des phonmes
Lorsque deux personnes communiquent, lauditeur peroit le message produit par son
interlocuteur sous forme de flux sonore continu. Celui-ci doit tre segment, afin de permettre
lidentification des diffrents phonmes le constituant. Cela constitue le niveau danalyse
phonologique du message auditif.
Kuhl (cite par Nguyen, 2005) explique cette identification phonmique par la Thorie
des aimants perceptifs, selon laquelle chaque phonme dtient un prototype, cest--dire un
exemplaire qui le reprsente de la meilleure faon (un bon exemplaire selon lauteure).
Plus le stimulus auditif est proche dun prototype et plus son identification sera aise.
Nous avons pu expliciter quelque peu ltape de traitement du signal auditif lors du
processus daudition. Les phnomnes dinteraction audiovisuelle interviennent un stade
pr-lexical, c'est--dire prcocement.
Nous avons expos les hypothses se proposant dclaircir les processus de fusion
des informations audiovisuelles, ainsi que les principes qui semblent les rgir. Soulignons
nanmoins que ces informations ne sont pas les seules intervenir, et que dautres, plus
larges, entrent en ligne de compte comme nous lavons abord prcdemment.
Une fois le traitement de linformation audiovisuelle ralis, lindividu doit alors
avoir accs la signification de cette information. Cette tape est primordiale et soulve
elle aussi des questions : comment pouvons-nous, partir des units perceptives
minimales, avoir accs aux mots de notre lexique interne ? Quelle est la nature des
reprsentations lexicales lintrieur de notre lexique interne, autrement dit comment les
mots sont-ils stocks ? Quels lments entrent en jeu lors de la comprhension du
message ? Cest ce que nous allons aborder dans le prochain paragraphe.
-
1.5.2 Les reprsentations lexicales
Le signal de la parole est trs variable, et dpend de facteurs tels que lenvironnement,
le milieu sonore ou encore les interlocuteurs eux-mmes. Malgr cela, le locuteur doit extraire
de ce signal des informations afin daboutir la comprhension du message. Comment les
mots qui appartiennent notre lexique interne sont-ils stocks, de sorte que nous puissions y
avoir rapidement accs ? Il existe selon Nguyen (2005) deux principales hypothses
explicatives, portes par deux modles : le modle abstractionniste et le modle
exemplaires.
1.5.2.1 Le modle abstractionniste
Lauditeur associe chaque mot une reprsentation phonologique abstraite et
indpendante des caractristiques individuelles du locuteur . (Nguyen, 2005, page 12). Dans
ce modle, les mcanismes de traitement de la parole sont trs rsistants tous les paramtres
pouvant influer sur la situation de communication, comme les diffrences intra et inter-
individuelles par exemple. Cette rsistance serait le fruit dune phase dite de normalisation,
intervenant un stade prcoce du traitement.
Cette approche sappuie sur lide que la mmoire humaine nest pas infinie : nous
nous devons donc dconomiser nos ressources mmorielles. Ainsi, les mots seraient
reprsents chez chaque auditeur sous une forme minimaliste qui se rduirait un petit
nombre de traits distinctifs. La perception de la parole tendrait tre une rduction de
linformation perue.
La forme la plus radicale de ce modle abstractionniste est le modle Featurally
Underspecified Lexicom (FUL) de Lahiri et collaborateurs. Selon Lahiri et Marslen-Wilson,
lauditeur est tout fait insensible aux variations pouvant affecter la forme sonore dun mot,
comme les phnomnes dassimilation par exemple, car le signal de parole serait interprt
directement partir des reprsentations phonologiques stockes dans le lexique mental
(Ibid.). Pour reprendre lexemple des phnomnes dassimilation, ces derniers ne gnent pas
lidentification du mot cible car ils ne sont, selon les auteurs, tout bonnement pas dtects par
lauditeur.
-
1.5.2.2 Le modle exemplaires
Dans ce modle, lauditeur se reprsente mots et constructions grammaticales de
manire concrte et dtaille, sous la forme de listes dexemplaires et/ou de prototypes
(Nguyen, 2005, page 12). Lauditeur serait capable de mmoriser toutes les formes de surface
dun mme mot quil a entendues. Ainsi, lorsquil peroit un mot, sa forme est compare
toutes les formes pralablement stockes : celle qui sera active sera celle qui aura le plus
grand degr de ressemblance avec celle entendue, cest--dire avec le mot entendu. Le
rafrachissement des formes stockes se produit en temps rel et de manire dynamique :
chaque nouvelle forme entendue (c'est--dire stocke) les prototypes sont recalculs.
Divers arguments accrditent le modle exemplaires. Il a dune part t montr que
lauditeur, en situation de comprhension de la parole de son interlocuteur, est sensible la
structure prcise du signal acoustique. Ainsi les indices quextrait lauditeur du signal de
parole pour avoir accs au lexique sont riches, prcis. Dautre part, le fait que chaque auditeur
soit sensible aux caractristiques individuelles de son interlocuteur pse en faveur de ce
modle.
Plusieurs questions restent nanmoins lucider : nous avons vu que tout auditeur est
sensible aux caractristiques de son interlocuteur, mais nous ne savons pas dans quelle mesure
et comment cela influence la perception de la parole. Par ailleurs, le stock lexical slargit au
fur et mesure de son exprience : comment lidentification peut-elle avoir lieu lorsque ce
stock devient particulirement important ?
1.5.3 La reconnaissance des mots
Attachons-nous prsent aux processus mis en jeux pour accder aux mots stocks,
organiss dans notre lexique interne. Le sujet, aprs avoir segment le continuum sonore
peru, doit en effet identifier les mots qui le constituent. Ceci correspond au niveau danalyse
lexical du message auditif.
De quelle manire reconnaissons-nous les mots que nous entendons ? Quels
mcanismes sont mis en jeu dans la reconnaissance des mots perus ? Divers modles tentent
de fournir une explication ce questionnement.
-
1.5.3.1 Le modle de la Cohorte de Marslen et Wilson
Selon cette thorie, base sur une progression linaire, lorsquil y a perception dun
mot, il y a une activation de plusieurs mots (la cohorte) pouvant correspondre celui peru. Il
y a alors limination, au fur et mesure, de ceux qui ne peuvent correspondre au modle
peru : linformation nouvelle carte peu peu les constituants de la cohorte, et ce jusqu ce
quil nen reste plus quun (Lachaud, 2005).
La reconnaissance du mot a donc lieu lorsquil ne reste plus quun mot nayant pas t
limin. Par exemple, le mot cartable pourra tre identifi ds que le sujet aura peru
carta , car cartable est le seul mot franais qui commence par carta (Calbour,
Dumont, 2002).
Mot
Point didentification du mot
Figure 3 : Modle de la cohorte de Marslen et Wilson
1.5.3.2 Le modle TRACE de McClelland et Ellman
Il ny a pas, dans ce modle, de fonctionnement linaire comme avanc dans le modle
de la Cohorte. Cette hypothse se situe dans une approche connexionniste. Ainsi,
lactivation de phonmes entrane la prsentation dun mot et lactivation de ce mot fait
merger les autres phonmes qui le composent, et inhibe tous les phonmes qui nentrent pas
dans la composition du mot (Laboulais, 2007, page 24). Les signifiants sinhibent
mutuellement et proportionnellement leur degr dactivation, le moins inhib et/ou le plus
inhibiteur tant celui qui sera reconnu.
Cohorte
-
1.5.3.3 Le modle NAM (Neighborhood Activation Model) de Luce et Pisoni
Dans cette hypothse entre en jeu la notion de frquence des mots dans la langue : les
mots les plus frquents sont activs en priorit. Le contexte et la situation apportent des
lments.
1.5.4 Les informations fournies par les lments syntaxiques
La syntaxe est la partie de la grammaire qui tudie les rgles de combinaison des
units linguistiques dans un nonc (Dictionnaire dOrthophonie, 2004). Plusieurs lments
doivent tre analyss (Pohl, Poichet, 1995) : la catgorie grammaticale et lordre des
diffrentes units, ainsi que les marques morphologiques existantes. La connaissance de la
fonction de chaque mot est selon Mourot et Rovel (2007) essentielle pour accder la
comprhension du message. En effet, cette connaissance permet lauditeur de saisir les liens
unissant les diffrents constituants du message. Ces informations correspondent ainsi au
niveau syntaxique de lanalyse.
1.5.5 Lexprience et les connaissances de lauditeur
La comprhension du message auditif dpend galement de facteurs inhrents
lauditeur. Ils constituent le niveau textuel (ou discursif) de lanalyse.
La capacit traiter les infrences a un rle certain, et met en jeu les connaissances et
lexprience qua lindividu du monde. Les infrences correspondent des ajouts
dinformations qui ne sont pas fournies de manire explicite dans le message, mais que la
personne peut dduire ou supposer partir de ses propres connaissances gnrales sur le
monde (Dictionnaire dOrthophonie, 2004). La prise en charge de ces infrences, ajoute aux
informations explicites mises en lien par lauditeur, est primordiale pour permettre une bonne
comprhension du message. Les connaissances que possde lindividu de sa langue peuvent
par ailleurs lui permettre danticiper certaines informations compte tenu de ce qui figure dans
le message ou dmettre des hypothses, quil vrifiera par la suite de la conversation.
-
1.5.6 Les procdures mises en jeu dans la comprhension
Plusieurs niveaux danalyse sont mis en jeu lors de la tche de comprhension,
permettant lextraction de diffrents types dinformations (phonologiques, lexicales,
syntaxiques, textuelles ou discursives). La question est maintenant de savoir comment ces
informations sont mises en relation. Deux procdures sont utilises de manire parallle.
1.5.6.1 La procdure ascendante
Cette procdure, galement appele Bottom-up, fonctionne de bas en haut . Ainsi,
les informations fournies par lanalyse phonologique orientent linterprtation de celles
fournies par lanalyse lexicale, qui elles orientent celle des informations fournies par lanalyse
syntaxique, qui leur tour influencent linterprtation des informations procures par
lanalyse discursive ou textuelle.
Ainsi, daprs Mourot et Rovel (2007, page 35), le sujet identifie les phonmes les
un aprs les autres puis les regroupe en mots. Il saisit ensuite les relations syntaxiques entre
ces mots et construit une interprtation smantique. Enfin, avec les informations
extralinguistiques quil possde, le sujet labore une signification adapte la situation .
1.5.6.2 La procdure descendante
Elle fonctionne quant elle de haut en bas et est galement appele Top-dow. Les
informations fournies par lanalyse dun niveau suprieur (tel que le niveau discursif) peuvent
en effet influencer linterprtation de celles fournies un niveau infrieur (comme le niveau
phonologique par exemple).
Selon Caron (cit par Pohl, Poichet, 1995, page 26) chacun des processeurs
communique au fur et mesure ses rsultats tous les autres, soit directement soit par
lintermdiaire dun processeur central . Les diffrentes analyses seffectuent donc en
parallle.
-
Nous lavons vu, la comprhension du message auditif, tape ultime du processus
daudition, soulve elle aussi des questionnements et met en jeu divers niveaux danalyse.
Nous voici arrivs au bout du processus auditif : le message, aprs avoir t peru, intgr,
trait a pu tre compris par lauditeur. Ce processus est complexe et jalonn de plusieurs
tapes.
Mais quel est le rle de laudition dans le dveloppement du langage de lenfant ?
Et quelles sont, justement, les rpercussions dun dficit auditif sur ce dveloppement ?
Cest ce que nous allons aborder dans le deuxime chapitre de cette partie thorique.
-
CHAPITRE 2 : DVELOPPEMENT DU LANGAGE ET IMPACT DE LA
DEFICIENCE AUDITIVE
La surdit, handicap invisible, retentit tout particulirement sur la communication et le
langage (Dumont, 1996, page 44).
Puisque notre travail concerne lenfant sourd et en particulier ses difficults de
communication, il nous faut comprendre comment se droule le dveloppement du langage de
lenfant entendant, limportance de laudition dans ce processus et les rpercussions dun
manque dinformations auditives sur ce dernier. Ainsi nous serons mme de saisir les
difficults des enfants dficients auditifs, et ce dans le but de pouvoir leur offrir une prise en
charge la plus adapte possible.
2.1 Les aspects perceptifs dans le dveloppement du langage des enfants
Les aspects perceptifs tels que la vision et laudition jouent un rle prgnant dans la
communication. Au fur et mesure, lenfant va devenir un interlocuteur, un partenaire de
communication part entire.
2.1.1 Le contexte interactionnel
Le dveloppement des comptences langagires de lenfant va pouvoir avoir lieu
justement parce que le bb sera plac dans un contexte dchanges. Lapprentissage de
linteraction prcde celui du dialogue verbal : la comptence communicative dbouche sur
une comptence linguistique (Bouvet, 1982).
Ce contexte interactionnel est multimodal : laspect visuel comme laspect auditif joue
un rle. La vision est en effet un des modes daccs utiliss par lenfant pour accder la
parole et se placer dans la communication. Comme nous lavons vu, tout individu utilise la
lecture labiale pour percevoir la parole de son interlocuteur. Cette observation se fait
galement chez le tout petit : il a t dmontr que des enfants entre quatre et cinq mois en
situation dcoute de voyelles prfrent regarder un visage articulant un message en
adquation avec ce qui est entendu, plutt quun visage articulant une voyelle diffrente. Par
ailleurs, une exprience faite avec des enfants gs de dix seize semaines montre que ces
derniers consacrent plus dattention la parole quand son et mouvement des lvres sont
-
synchroniss, plutt que lorsque lon procde un dcalage de quatre cent millisecondes entre
ces deux lments.
Dans ce contexte interactionnel multimodal, le bb est donc comptent pour traiter
les variations prosodiques ainsi que les lments visuo-labiaux qui y sont fournis. Les tout
petits seraient ainsi prdisposs percevoir les informations sous toutes leurs formes.
2.1.2 Le rle de la prosodie
La prosodie est dfinie selon le Dictionnaire dOrthophonie (2004) comme lensemble
des faits suprasegmentaux (intonation, accentuation, rythme, mlodie, tons) qui
accompagnent, structurent la parole et qui se superposent aux phonmes (aspect segmental).
Cet aspect du langage vhicule, dans le contexte interactionnel, quantit dinformations sur
lesquelles le bb va sappuyer pour entrer dans la communication et dvelopper son propre
langage. La prosodie correspond ainsi au premier mode dentre de lenfant dans loral : cest
une manire de lui fournir un modle de langue, avec ses courbes intonatives caractristiques.
Elle correspond donc un facteur prdominant de la mise en place du systme linguistique de
lenfant : elle lui fournit les principes de base de segmentation de la parole et amorce les
stratgies dacquisition de la phonologie, du lexique et de la syntaxe (par les informations
fournies par la prosodie, lenfant va pouvoir prendre conscience des diffrents constituants de
la chane parle). Elle va en effet amener le bb focaliser son attention sur les variations
phontiques : grce aux modulations prosodiques les capacits de discrimination du bb sont
donc renforces (Boysson-Bardies, 1999). La prosodie participe donc, en tant la jonction
entre voix et articulation, au dveloppement psycholinguistique de lenfant (Collge National
dAudioprothse, 2008). Cet aspect du langage lui permet de fait dentrer dans les
caractristiques spcifiques de sa langue.
La sensibilit de lenfant aux lments prosodiques du langage est trs prcoce : les
nouveau-ns dun mois vont se montrer plus sensibles la voix de leur mre lorsque cette
dernire accentue les caractristiques prosodiques de son nonc que lorsque aucune
accentuation nest prsente (Dumont, 2008). Les tout-petits commencent par ailleurs reprer
et mmoriser ces lments ds les premiers jours de vie (Boysson-Bardies, 1999). La prise
en compte prcoce de cet aspect par le bb constitue donc une voie dentre dans la
perception de la langue. Il va progressivement sappuyer de manire plus spcifique sur les
aspects auditifs.
-
La maman, afin damener son bb prter attention ces caractristiques de la
langue, va utiliser une manire particulire de sadresser lui : le Motherese (galement
appel Parler-nourrice, Mamanais ou Maternais). Ce terme dsigne une forme particulire de
langage, renvoyant aux modulations de la prosodie et de la voix de la mre ou des adultes
parlant aux bbs (Dictionnaire dOrthophonie, 2004).
Cette manire de sadresser lenfant comporte des caractristiques telles que des
modulations et renforcements de la prosodie, des modifications de la voix (modulation de la
hauteur par exemple), des formes mlodiques douces et longues, un rythme ralenti avec
allongement vocalique : la prosodie est accentue car elle correspond aux actions du contexte.
Ce comportement vocal saccompagne dune exagration des expression faciales, de
mouvements rythmiques corporels, dajustements de la posture.
Grce cette faon de sadresser au bb, qui correspond aux premires relations que
ladulte essaie dinstaller avec lui, ladulte focalise lattention de lenfant et accentue son
intrt, afin de faciliter les changes. Les mots nouveaux sont ainsi mis en valeur dans la
chane parle, ce qui rend leur comprhension et leur apprentissage plus aiss.
Notons que, mme si ces caractristiques prosodiques du langage adulte changent au
fur et mesure de lvolution du bb et de ses intrts, nous pouvons en retrouver certaines
jusqu ses trois ans (Boysson-Bardies, 1999). Cela correspond aux modifications
prosodiques naturelles queffectuent les adultes dans leur langage lorsquils sadressent au
jeune enfant.
Laudition et la vision jouent ici un rle important : elles permettent lenfant de crer
des liens avec son environnement. Le bb va ragir aux interventions de ladulte, et va de fait
se montrer sensible ces caractristiques mlodiques et rythmiques. Ainsi, selon Dumont
(2008, page 37), la prosodie spcifique de la mre, dans le langage quelle adresse lenfant
pourrait remplir dimportantes fonctions dans le dveloppement de la communication .
2.1.3 La perception catgorielle
Ce concept est un des mcanismes fondamentaux servant discriminer les sons de la
parole. Cela renvoie au fait que les phonmes peuvent tre perus de faon discontinue sur
des sries sonores continues du point de vue physique (Boysson-Bardies, 1999, page 30).
la naissance, les bbs sont capables de discriminer la quasi-totalit des phonmes
existant dans toutes les langues naturelles : la perception catgorielle du nouveau n est donc
universelle dans les premiers moments de sa vie.
-
Le systme auditif du ftus est fonctionnel ds la vingt-cinquime semaine de
gestation, et son niveau daudition se rapproche de celui de ladulte aux alentours de la trente-
cinquime semaine de gestation. Le bb a donc des capacits auditives ds sa vie in-utro, lui
permettant dtre attentif au monde sonore qui lentoure6.
Au fur et mesure de lexprience linguistique et interactionnelle dont va bnficier le
petit, cette perception catgorielle va se spcifier pour ne devenir pertinente que pour les
phonmes de sa langue maternelle. En dautres termes, lenfant aux alentours de onze mois
devient expert dans la perception des phonmes pertinents dans sa langue naturelle, mais perd
cette capacit pour ceux qui nappartiennent pas son systme phonologique.
2.2 Dveloppement des premiers comportements oraux et impact de la dficience
auditive
La dficience auditive a des consquences sur les aspects rceptifs et expressifs des
premiers comportements oraux du bb. La boucle et le contrle audiophonatoires sont deux
aspects majeurs du dveloppement du langage. La boucle audiophonatoire correspond au
retour de la voix aux oreilles qui permet un ajustement plus ou moins conscient de sa hauteur
et de son intensit. Par extension, elle permet le contrle de nos propres productions verbales.
6 Cela laisse supposer les grandes difficults des enfants porteurs dune surdit pr-natale.
Les aspects perceptifs ont un rle certain dans le dveloppement du langage des
enfants. Le contexte interactionnel est initialement multi-modal, de fait la perception
visuelle y a sa place comme la perception auditive. Petit petit, sous linfluence de
lentourage, laudition va prendre une place de plus en plus importante. La prosodie,
accentue par le Motherese, va en effet constituer pour lenfant, comptent pour traiter
cette information, le premier mode dentre dans loral.
Dans un contexte o les aspects auditifs ont un rle prgnant, il est ais de
comprendre que la surdit ait des rpercussions sur le dveloppement oral de lenfant. Ce
sont donc cette notion que nous dtaillerons dans le prochain paragraphe.
-
Le rle de laudition est dans ce cas primordial (Dictionnaire dOrthophonie, 2004). Il existe
des liens entre boucle et contrle audiophonatoires ( On contrle sa voix parce quon
lentend ). Ce dernier a un rle important dans le dveloppement du langage de lenfant ainsi
que dans sa gestion de larticulation, et se met en place avec lapparition des premiers mots
(Collge National dAudioprothse, 2008).
Pendant la phase des premires vocalisations (entre zro et deux mois) lenfant sourd
jase, et ce quelque soit son degr de perte auditive. Ce stade de dveloppement ne dpend pas
de laudition : les productions de lenfant qui apparaissent dans un contexte interactif, et non
dans celui dun monologue, nous montrent que la seule sollicitation visuelle peut amorcer
cette tape (Vinter, 1994).
Alors que la phase du roucoulement (entre un et quatre mois) se manifeste chez
lenfant entendant par une diversification des schmas mlodiques7 nous observerons chez
lenfant dficient auditif une prdominance de courbes plates recto-tono, quelques courbes
descendantes, une quasi absence de courbes ascendantes, ainsi quun espace tonal et une
dure dmission rduits : cette tape est tributaire de laudition. Ds ce jeune ge, le
dveloppement communicatif et langagier de lenfant dficient auditif est mis en difficult.
Konopczynski (cite par Lepot-Froment, Clerebaut, 1996), a tudi le proto-langage
du bb, qui correspond des productions vocales qui ne seront mises quen situation
interactive. Daprs elle, il existe dans cette forme langagire les ingrdients de la future
organisation linguistique du langage de lenfant que sont la mise en place du rythme de base
de la langue maternelle (structuration temporelle des productions) et la prsence dune
intonation (modles intonatoires). Le proto-langage est ainsi considr comme un prdicateur
du positionnement de lenfant comme interlocuteur.
Entre trois et huit mois (priode du babillage rudimentaire), lenfant entendant fait
lexprience de diffrents modles intonatoires possibles, signe de son adaptation la
situation de communication. Nous pourrons par exemple observer la capacit dadaptation de
sa voix aux diffrentes situations, qui se manifestera par lutilisation dune voix plutt
conversationnelle en situation interactive, et dune voix plus ludique en situation solitaire
dexploration. Lenfant devient galement capable dun ajustement vocal en fonction de son
7 Ces schmas mlodiques correspondent des variations des intonations, des successions, des
dures.
-
intention de communication (Konopoczynski, cite par Vinter, 2005). Lenfant sourd nadapte
pas sa voix : il ny a pas ajustement en fonction de cette intention. Tandis que lenfant normo-
entendant varie de plus en plus les effets sonores quil produit, les productions de lenfant
dficient auditif se caractrisent par une prdominance de [] ainsi que par une absence de
jeux de variation de sons et de mlodies.
La priode dite du babillage canonique (entre cinq et dix mois) est, selon Thibault
(2007, page 46), le point culminant des vocalisations pr-linguistiques . Nous observerons,
durant cette priode, le dveloppement de la capacit de lenfant produire des structures
syllabiques complexes de type consonne-consonne-voyelle ou consonne-voyelle-consonne.
Cette aptitude est tributaire de laudition (cest cette priode que le contrle
audiophonatoire, confort par la boucle audiophonatoire, se met en place) : le babillage de
lenfant sourd sera donc anormal. Cette priode se traduit galement, chez lenfant normo-
entendant, par le respect des caractristiques prosodiques, rythmiques, temporelles et
mlodiques de ses missions : au fur et mesure de ses progrs langagiers, il va sadapter sa
langue maternelle et adopter ses caractristiques. Il sera ainsi possible dobserver la mise en
place, aux alentours de douze mois, de cette structuration temporelle qui consiste en
lallongement de la syllabe finale des mots, caractristique du franais : lenfant devient de
plus en plus spcialis dans sa langue. Cet vnement semble indiquer lentre du bb dans
cette dernire, en particulier dans son organisation syntaxique. Cela nest pas toujours le cas
de lenfant sourd : Vinter (1994) a mis en vidence deux types possibles de babillage du bb
priv dinformations auditives. Certains peuvent produire un babillage avec structuration
temporelle, alors que dautres ne produiront quun babillage sans cette dernire. Enfin, alors
que lenfant entendant produira des sries de syllabes diversifies, lenfant sourd aura une
nette prfrence pour la production de syllabes majoritairement formes de phonmes labiaux,
formant des syllabes que lon voit prononcer, comme [ba] par exemple.
La dficience auditive a donc un rel impact sur la mise en place du proto-langage
de lenfant sourd. Or nous lavons vu, cette dimension signe le positionnement de lenfant
comme futur interlocuteur. La surdit a donc certes des consquences nfastes sur les
aspects prosodiques du langage, mais galement sur la communication au sens large
puisque le statut dinterlocuteur de lenfant sourd est mis en difficult. Cette notion de
perturbation du processus de communication constitue un rel enjeu dans le cadre de la
dficience auditive. Nous le dvelopperons donc dans le paragraphe suivant.
-
2.3 Ecueils dans les changes entre le parent entendant et son enfant sourd : une relle
perturbation de la communication
Dans toute relation entre la mre et son bb, celle-ci a tendance attribuer son
enfant pr-linguistique une intentionnalit appele illusion cratrice . Elle permet au parent
de capter et de reconnatre les comportements de son bb comme tant des actes de
communication, des expressions dides ou encore de sentiments et engendre donc des
rponses ces messages enfantins par diverses modalits (vocale ou non). Dans le cas dune
dficience auditive, cette illusion cratrice disparat : la mre ne considre plus son enfant
comme tre parlant. Il y a donc une relle perturbation de la relation entre ces deux
protagonistes : le parent ne croit plus en son enfant.
La ralisation de lattention conjointe, qui est fondamentale, constitue lun des dfis
majeurs de la communication avec lenfant sourd. En effet, il existerait selon Dumont (2008),
un lien entre attention conjointe, acquisition des premiers mots et prise de conscience des tats
mentaux d'autrui. Dans le cas de dficience auditive, il suffit que lenfant dtourne les yeux
pour que la communication soit rompue. Les informations reues par lenfant sourd sont par
ailleurs squentielles et non synchrones : il doit partager son attention entre lobjet qui lattire
et le message fourni par son partenaire de communication, contrairement lenfant entendant
qui bnficie des informations auditives tout en pouvant continuer fixer son centre dintrt.
Dans cette situation, Tronick, Als et Brazelton (cits par Lepot-Froment et Clerebaut, 1996)
ont montr que la mre entendante dun enfant sourd passe plus de temps, compare la mre
entendante dun enfant entendant, attirer et diriger lattention de son petit, et moins de
temps jouer avec lui. La surdit engendre une difficult tablir une rfrence commune.
Il existe de manire assez gnrale une tendance la directivit dans le discours
parental propos lenfant sourd : le parent utilise un style plus directif que ludique car il
prouve, du fait du handicap de son petit, un sentiment de responsabilit ducative. Le
langage qui lui est adress devient moins flexible, plus intrusif que celui dordinaire adress
lenfant qui entend normalement (Shlesinger, cit par Dumont, 1996). Il arrive que le parent
ne parvienne plus prouver de plaisir interagir avec son petit. Du fait de la dficience
auditive, les parents peuvent donc se sentir plus instructeurs langagiers que partenaires de
communication de leur bb. Ses difficults incitent les parents utiliser des lments isols,
dans des phrases simples. Cela risque dentraner un manque de relations exprimes, de lien
non traduits. Plus lenfant va grandir, et moins les discours qui lui sont adresss seront
interactifs. Cest en effet linteraction de lchange qui est mise mal : les initiatives vocales
-
ou gestuelles de lenfant ne sont pas toujours prises en compte, les pauses et les tours de
paroles ne sont pas respects. Cela peut entraner des chevauchements dans les productions :
linteraction est rompue, lenfant et la mre perdent le fil de lchange, voire parlent en mme
temps.
plus long terme, divers auteurs constatent certaines caractristiques du langage qui
est adress lenfant sourd, telles quune rduction de la longueur moyenne des noncs, des
simplifications syntaxiques et grammaticales, une tendance dominer les changes ou
utiliser des phrases impratives. Selon Lepot-Froment et Clerebaut (1996), les parents
denfants sourds ont tendance se placer son niveau linguistique et non son niveau
cognitif, entranant une inadquation entre les structures linguistiques apportes et les relles
capacits cognitives de lenfant.
2.4 Consquences de la dficience auditive sur le dveloppement ultrieur du langage
de lenfant
Lenfant entendant pntre dans une maison (le langage) quil a vue de lextrieur,
o il voit les autres voluer et o il sait quil aura sa place. Il la dcouvre et dcouvre
comment sen servir par lusage quen fait son entourage. Lenfant sourd, lui, est dans une
situation autrement angoissante. Il ne saisit que des parcelles infimes de langage ou dispose de
celles qui sont mises au dbut sa porte. Autour de ces bribes, avec pour noyau, les quelques
premiers signifiants quon lui donne , il doit construire un difice quil na jamais aperu
dans son entier. Cest comme sil reconstituait un puzzle sans jamais avoir vu le dessin
Toutes ces donnes convergent vers un mme constat. Cest tout le schma de
communication qui est perturb : il est, du fait des cueils recenss, difficile pour lenfant
dy trouver une place. La surdit a donc bel et bien des consquences nfastes sur
linteraction et sur les changes conversationnels, et non uniquement sur les dimensions
rception et expression. Ceci constitue un des aspects dltres majeurs de la surdit : la
communication en soi est perturbe et perd son caractre naturel et spontan.
-
dorigine. Et les pices dont il dispose sont souvent dcoupes aussi arbitrairement quun
puzzle. (Sadek Khalil, cite par Dumont, 2008, page 171).
2.4.1 Apparition du premier mot
En rgle gnrale, lenfant entendant produit son premier mot aux alentours de dix
mois. Cest grce lillusion cratrice des parents, que nous avons aborde plus haut, quil
sera valid : persuads davoir entendu leur enfant dire un mot, ils montrent alors tout le
plaisir et le bonheur que cela leur procure, encourageant leur petit le reproduire, et, plus
long terme, en produire dautres.
Le lexique de lenfant entendant se dveloppe dune manire spcifique. En premier
lieu vont apparatre les mots qui lui permettent de nommer ce quil a dsign par le pointage,
ainsi que des actions, et des mots associs des gestes, formant des routines sociales (comme
au revoir par exemple). partir de vingt mois, son lexique stend de manire trs
importante : cest la phase de lexplosion lexicale . Entre deux et dix ans, il est estim que
lenfant apprend trois dix mots par jour. Pendant sa troisime anne de vie, le lexique va se
catgoriser en classes de mots.
La privation dinformations auditives influe sur le dveloppement lexical de lenfant
sourd. La date dapparition du premier mot est, selon Grgory et Mogford (cits par Dumont,
2008) trs variable (Tableau 1). Le dveloppement de son lexique restera lent, et estim avec
un dcalage temporel moyen de deux ans compar aux entendants (Tableau 2).
-
Perte auditive 1er
mot Stock 10 mots Stock 50 mots Stock 100 mots
45 dB 12 mois 19 mois 22 mois 30 mois
70 dB 13 mois 17 mois 24 mois 26 mois
83 dB 19 mois 22 mois 29 mois 34 mois
97 dB 15 mois 30 mois 28 mois 33 mois
102 dB 19 mois 26 mois 38 mois 43 mois
107 dB 18 mois 23 mois 34 mois 36 mois
Moyenne sourds 16 mois 23 mois 29 mois 34 mois
Moyenne
entendants
11 mois 12 mois 19 mois 20 mois
Tableau 1 : Etude des corrlations entre degr de surdit et acquisition dun premier
lexique, daprs une tude de Grgory et Mogford (Dumont, 2008).
Enfants entendants Enfants sourds
Premier mot : environ 10 mois Premier mot : date trs variable
Accroissement lent jusqu 20 mois
Brusque extension : 300 mots 2 ans ; 1000
mots 3 ans
Dveloppement lent
Pas dexplosion lexicale
Dcalage en moyenne de 2 ans
Lexique catgoris et organis Lexique peu catgoris
Tableau 2 : Le lexique, dcalage temporel et catgoriel entre entendants et malentendants
(Dumont, 2008).
2.4.2. Le dveloppement lexical de lenfant sourd
Selon le Dictionnaire dOrthophonie (2004), le lexique correspond lensemble des
units de langue que possde un individu ou une communaut linguistique. Lorsque les units
lexmes sont exprimes verbalement par un locuteur, il sagit de son vocabulaire actif
alors que si elles existent de faon potentielle, tant comprises sans jamais tre exprimes, il
sagit de son vocabulaire passif .
-
Plusieurs particularits du lexique des enfants sourds peuvent tre releves, comme le
dficit de mots connus. Mais celles-ci ne rsident pas seulement en un stock lexical appauvri
par rapport lenfant entendant : des difficults quant la catgorisation des mots ou la
connaissance du vocabulaire mathmatique ont en effet t recenses (Dumont, 2008).
Daprs Kretschmer (Ibid.), les mots polysmiques et les mots abstraits sont sources
de difficults. Selon lui, les enfants sourds auraient tendance lutilisation de mots concrets et
de verbes dactions courantes. La matrise des concepts de base (comme ceux de temps, de
quantit ou despace) peuvent galement poser problme. Enfin, la matrise mtasmantique,
qui dsigne laptitude dun sujet rflchir sur sa langue, et notamment sur les significations
des mots qui la composent, pourrait tre retarde compare aux entendants (Gartner, Trehub,
Mackay-Soroka, cits par Lepot-Foment, Clerebaut, 1996).
Soulignons nanmoins quil est en rgle gnrale assez difficile de savoir si les
difficults rencontres sont rellement mtasmantiques ou lies lutilisation de concepts de
base, ou si elles sont en fait la consquence dun dficit de mots pour exprimer ce que les
enfants dficients auditifs ont compris.
2.4.3 La matrise de la syntaxe et de la morphosyntaxe
Le Dictionnaire dOrthophonie (2004) dfinit la syntaxe comme tant la partie de la
grammaire qui tudie les rgles de combinaison des units linguistiques dans un nonc et la
morphosyntaxe comme ltude des variations de formes des mots en fonction des rgles de
combinaison rgissant la formation des noncs . La matrise de la morphosyntaxe se fait
naturellement et de manire passive par lenfant normoentendant, qui a acquis selon Hage
(cite Transler, Leybaert, Gombert, 2005) lessentiel de ce systme avant six ans : il fait des
essais-erreurs, corrigs par une reformulation de la part de ses parents sils sont incorrects.
Les enfants sourds prouvent quant eux des difficults majeures dans ce domaine, qui est
dailleurs souvent dcrit comme celui dans lequel ils sont le plus mis en chec.
2.4.3.1 Hypothses explicatives des difficults dacquisition morphosyntaxique
de lenfant sourd
Il existe, selon Jacq, Tuller et Fuet (1999), trois hypothses explicatives principales
quant ces difficults. Ces trois thories ne sexcluent pas, mais sont sans doute prendre en
compte simultanment.
-
La difficult perceptuelle :
Selon cette hypothse, les marques morphosyntaxiques poseraient problme lenfant
sourd car elles sont dune part des lments dpendants8 et donc difficile isoler, peu
perceptibles dautre part (ce sont souvent des tout petits mots furtifs sur les plans auditif et
visuel, prononcs rapidement et souvent peu accentus), et enfin peu porteuses dinformations
smantiques. Ces trois lments expliqueraient les difficults de lenfant sourd dans
lutilisation de ces mots.
Le caractre non naturel de linput linguistique :
Plusieurs auteurs parlent du fait que les enfants sourds bnficient, du fait de leur
dficience perceptive et des complications quelle entrane, dun enseignement explicite de
leur langue par leur entourage proche (les parents par exemple). Les rgles
morphosyntaxiques, tant difficiles expliciter, seraient ngliges dans le quotidien, ce qui
expliquerait les erreurs des enfants sourds. (Soulignons que cette tendance sapplique bien
lentourage proche de lenfant, et non ses thrapeutes).
Les effets de la surdit sur lorganisation cognitive :
Il existerait des schmas cognitifs spcifiques des enfants sourds. Ces derniers, ne
disposant pas dun canal auditif efficient, privilgieraient le canal visuel comme mode
dapprhension du monde, ce qui leur fournirait une vision des scnes dans leur simultanit.
Linfluence de cette percepetion visuelle du monde risque donc de ne pas leur permettre
dapprhender de manire aise linformation squentielle.
2.4.3.2 Caractristiques de la matrise morphosyntaxique de lenfant dficient
auditif
Le niveau des enfants dficients auditifs est, nous pouvons limaginer, infrieur celui
denfants entendants. Certains auteurs relvent des erreurs particulires, comme Geffner en
1987 (cit par Lepot-Froment, Clerebaut, 1996) qui souligne une difficult majeure dans la
comprhension des prpositions, ainsi quune sur-utilisation de noms et de verbes au
8 Ces mots sont dpendants du contexte linguistique dans lequel ils sont employs, comme les
morphmes par exemple : ils ne peuvent pas tre utiliss seuls, limage de re dans
refaire .
-
dtriment des autres classes de mots. Dubuisson, Vincent-Durroux et Nadeau (Ibid.)
mentionnent, aprs avoir en 1991 tudi les productions denfants sourds oralistes dge
moyen de quatorze ans, lexistence de plus de la moiti de phrases agrammaticales parmi
celles produites. Ils observent, par exemple, une absence de dterminants et de prpositions,
des erreurs dauxiliaires, des incohrences dans les temps verbaux. Brillet (2005, page 54)
relve la difficult quprouvent les sujets sourds exprimer des relations temporelles par
des moyens linguistiques appropris (conjonctions, prpositions, adverbes, ) . Soulignons
que, selon Weiss et Johnson (Ibid.), les performances des enfants sourds peuvent varier en
fonction du type dnonc produit (conversation ou narration par exemple).
2.4.3.3 Dlai ou dviance de lacquisition morphosyntaxique du langage par les
sujets sourds ?
Pour c