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La Reine des Neiges Equipe GlobeKid Février 2017

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La Reine des Neiges

Equipe GlobeKid Février 2017

La Reine des Neiges est un des contes d'Andersen lesplus célèbres. Sa version adaptée en dessin animé parles studios Disney, sous le nom de Frozen en anglais,a connu un grand succès. Retrouve le conte d'origineparu en 1844 avec des illustrations d'Edmund Dulac.

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Domaine PublicLivre généré à partir des contenus et services GlobeKid

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Sommaire

SommairePréface de la Reine des NeigesPremière histoire

Un miroir et ses morceaux

Deuxième histoireUn petit garçon et une petite fille

Cinquième histoireLa petite fille et les brigands

Sixième histoireSeptième histoire

Ce qui s'était passé au château de la reine et ce qui eutlieu par la suite

Préface de la Reine desNeiges

La Reine des Neiges est un des contes les plus célèbresde l'écrivain danois Hans Christian Andersen, auteurégalement de La Petite Sirène ou du Vilan Petit Canard,pour ne citer que quelques unes de ses oeuvres.

La version du texte en français présentée par GlobeKid, lesite web des livres de voyage personnalisés des enfantset des familles, reprend la première traduction de cetouvrage écrit en 1844 et qui ne comportait pas le nom dutraducteur comme c'était souvent le cas alors. Ce texteest issu du site web du projet Gutenberg, développé parla fondation du même nom qui oeuvre depuis 1971 à titrebénévole pour la diffusion gratuite des livres du domainepublicGlobeKid a scrupuleusement respecté le texte mais s'estpermis quelques modifications sur les titres de certainschapitres. Les illustrations, réalisées par d'Edmund Dulac,proviennent de l'édition originale en anglais, qu'on peutretrouver sur le site web Wikimedia Commons édité par laWikimedia Foundation, à l'origine également del'encyclopédie en ligne Wikipedia. A l'époque de Hans Christian Andersen, au XIXe siècle, ilétait coutume de donner des lectures publiques des livres.GlobeKid vous conseille vivement de lire en famille, vousaussi, à haute voix ce conte plein de charme où lesenfants prendront certainement plaisir à interpréter lesdifférents personnages.

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Première histoireUn miroir et ses morceaux

Voilà ! Nouscommençons. Lorsquenous serons à la fin del'histoire, nous ensaurons plus quemaintenant, car c'étaitun bien méchantsorcier, un des plusmauvais, le "diable" enpersonne. Un jour il était de fortbonne humeur : il avaitfabriqué un miroir dontla particularité était quele Bien et le Beau en se

réfléchissant en lui se réduisaient à presque rien, maisque tout ce qui ne valait rien, tout ce qui était mauvais,apparaissait nettement et empirait encore.Les plus beaux paysages y devenaient des épinards cuitset les plus jolies personnes y semblaient laides à fairepeur, ou bien elles se tenaient sur la tête et n'avaient pasde ventre, les visages étaient si déformés qu'ils n'étaientpas reconnaissables, et si l'on avait une tache derousseur, c'est toute la figure (le nez, la bouche) qui étaitcriblée de son. Le diable trouvait ça très amusant. Lorsqu'une pensée bonne et pieuse passait dans lecerveau d'un homme, la glace ricanait et le sorcier riait desa prodigieuse invention. Tous ceux qui allaient à l'école des sorciers - car il avaitcréé une école de sorciers - racontaient à la ronde quec'est un miracle qu'il avait accompli là. Pour la première

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fois, disaient-ils, on voyait comment la terre et les êtreshumains sont réellement. Ils couraient de tous côtés avecleur miroir et bientôt il n'y eut pas un pays, pas unepersonne qui n'eussent été déformés là-dedans. Alors, ces apprentis sorciers voulurent voler vers le ciel lui-même, pour se moquer aussi des anges et de Notre-Seigneur. Plus ils volaient haut avec le miroir, plus ilsricanaient. C'est à peine s'ils pouvaient le tenir et ilsvolaient de plus en plus haut, de plus en plus près de Dieuet des anges, alors le miroir se mit à trembler si fort dansleurs mains qu'il leur échappa et tomba dans une chutevertigineuse sur la terre où il se brisa en mille morceaux,que dis-je, en des millions, des milliards de morceaux, etalors, ce miroir devint encore plus dangereuxqu'auparavant. Certains morceaux n'étant pas plusgrands qu'un grain de sable voltigeaient à travers lemonde et si par malheur quelqu'un les recevait dans l'œil,le pauvre accidenté voyait les choses tout de travers oubien ne voyait que ce qu'il y avait de mauvais en chaquechose, le plus petit morceau du miroir ayant conservé lemême pouvoir que le miroir tout entier. Quelquespersonnes eurent même la malchance qu'un petit éclatleur sautât dans le cœur et, alors, c'était affreux : leurcœur devenait un bloc de glace. D'autres morceauxétaient, au contraire, si grands qu'on les employait pourfaire des vitres, et il n'était pas bon dans ce cas deregarder ses amis à travers elles. D'autres petits boutsservirent à faire des lunettes, alors tout allait encore plusmal. Si quelqu'un les mettait pour bien voir et juger d'unechose en toute équité, le Malin riait à s'en faire éclater leventre, ce qui le chatouillait agréablement. Mais ce n'était pas fini comme ça. Dans l'air volaientencore quelques parcelles du miroir ! Ecoutez plutôt.

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Deuxième histoireUn petit garçon et une petite fille

Dans une grande villeoù il y a tant demaisons et tant demonde qu'il ne restepas assez de placepour que chaquefamille puisse avoir sonpetit jardin, deuxenfants pauvresavaient un petit jardin.Ils n'étaient pas frère etsœur, mais s'aimaientautant que s'ilsl'avaient été. Leursparents habitaient juste

en face les uns des autres, là où le toit d'une maisontouchait presque le toit de l'autre, séparés seulement parles gouttières.

Une petite fenêtre s'ouvrait dans chaque maison, ilsuffisait d'enjamber les gouttières pour passer d'unlogement à l'autre. Les familles avaient chacune devantsa fenêtre une grande caisse où poussaient des herbespotagères dont elles se servaient dans la cuisine, et danschaque caisse poussait aussi un rosier qui se développaitadmirablement. Un jour, les parents eurent l'idée de placer les caisses entravers des gouttières de sorte qu'elles se rejoignaientpresque d'une fenêtre à l'autre et formaient un jardinminiature. Les tiges de pois pendaient autour des caisseset les branches des rosiers grimpaient autour des

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fenêtres, se penchaient les unes vers les autres, un vraipetit arc de triomphe de verdure et de fleurs. Comme lescaisses étaient placées très haut, les enfants savaientqu'ils n'avaient pas le droit d'y grimper seuls, mais on leurpermettait souvent d'aller l'un vers l'autre, de s'asseoirchacun sur leur petit tabouret sous les roses, et ils nejouaient nulle part mieux que là. L'hiver, ce plaisir-là était fini. Les vitres étaient couvertesde givre, mais alors chaque enfant faisait chauffer sur lepoêle une pièce de cuivre et la plaçait un instant sur lavitre gelée. Il se formait un petit trou tout rond à traverslequel épiait à chaque fenêtre un petit œil très doux, celuidu petit garçon d'un côté, celui de la petite fille de l'autre.Lui s'appelait Kay et elle Gerda. L'été, ils pouvaient d'un bond venir l'un chez l'autre ; l'hiveril fallait d'abord descendre les nombreux étages d'un côtéet les remonter ensuite de l'autre. Dehors, la neigetourbillonnait. - Ce sont les abeilles blanches qui papillonnent, disait lagrand-mère. - Est-ce qu'elles ont aussi une reine ? demanda le petitgarçon. - Mais bien sûr, dit grand-mère. Elle vole là où les abeillessont les plus serrées, c'est la plus grande de toutes et ellene reste jamais sur la terre, elle remonte dans les nuagesnoirs. - Nous avons vu ça bien souvent, dirent les enfants. Et ainsi ils surent que c'était vrai. - Est-ce que la Reine des Neiges peut entrer ici ?demanda la petite fille. - Elle n'a qu'à venir, dit le petit garçon, je la mettrai sur lepoêle brûlant et elle fondra aussitôt. Le soir, le petit Kay, à moitié déshabillé, grimpa sur unechaise près de la fenêtre et regarda par le troud'observation. Quelques flocons de neige tombaient au-dehors et l'un de ceux-ci, le plus grand, atterrit sur lerebord d'une des caisses de fleurs. Ce flocon grandit peu

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à peu et finit par devenir une dame vêtue du plus fin voileblanc fait de millions de flocons en forme d'étoiles. Elleétait belle, si belle, faite de glace aveuglante et scintillanteet cependant vivante. Ses yeux étincelaient comme deuxétoiles, mais il n'y avait en eux ni calme ni repos. Elle fitvers la fenêtre un signe de la tête et de la main. Le petitgarçon, tout effrayé, sauta à bas de la chaise, il lui semblaalors qu'un grand oiseau, au- dehors, passait en plein voldevant la fenêtre. Le lendemain fut un jour de froid clair,puis vint le dégel et le printemps. Cet été-là les roses fleurirent magnifiquement, Gerdaavait appris un psaume où l'on parlait des roses, cela luifaisait penser à ses propres roses et elle chanta cet air aupetit garçon qui lui-même chanta avec elle : "Les rosespoussent dans les vallées où l'enfant Jésus vient nousparler". Les deux enfants se tenaient par la main, ils baisaient lesroses, admiraient les clairs rayons du soleil de Dieu et leurparlaient comme si Jésus était là. Quels beaux jours d'étéoù il était si agréable d'être dehors sous les frais rosiersqui semblaient ne vouloir jamais cesser de donner desfleurs ! Kay et Gerda étaient assis à regarder le livre d'imagesplein de bêtes et d'oiseaux - l'horloge sonnait cinq heuresà la tour de l'église - quand brusquement Kay s'écria : - Aïe, quelque chose m'a piqué au cœur et une poussièrem'est entrée dans l'œil. La petite le prit par le cou, il cligna des yeux, non, on nevoyait rien. - Je crois que c'est parti, dit-il. Mais ce ne l'était pas du tout ! C'était un de ces éclats dumiroir ensorcelé dont nous nous souvenons, cet affreuxmiroir qui faisait que tout ce qui était grand et beau,réfléchi en lui, devenait petit et laid, tandis que le mal et levil, le défaut de la moindre chose prenait une importanceet une netteté accrues. Le pauvre Kay avait aussi reçu un éclat juste dans le cœur

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qui serait bientôt froid comme un bloc de glace. Il nesentait aucune douleur, mais le mal était fait. - Pourquoi pleures-tu ? cria-t-il, tu es laide quand tupleures, est-ce que je me plains de quelque chose ? Oh !cette rose est dévorée par un ver et regarde celle-là quipousse tout de travers, au fond ces roses sont trèslaides. Il donnait des coups de pied dans la caisse et arrachait lesroses. - Kay, qu'est-ce que tu fais ? cria la petite. Et lorsqu'il vit son effroi, il arracha encore une rose etrentra vite par sa fenêtre, laissant là la charmante petiteGerda. Quand par la suite elle apportait le livre d'images, ildéclarait qu'il était tout juste bon pour les bébés et sigrand-mère gentiment racontait des histoires, il avaittoujours à redire, parfois il marchait derrière elle, mettaitdes lunettes et imitait, à la perfection du reste, samanière de parler ; les gens en riaient. Bientôt il commença à parler et à marcher comme tousles gens de sa rue pour se moquer d'eux. On se mit à dire : "Il est intelligent ce garçon-là ! " Maisc'était la poussière du miroir qu'il avait reçue dans l'œil,l'éclat qui s'était fiché dans son cœur qui étaient la causede sa transformation et de ce qu'il taquinait la petiteGerda, laquelle l'aimait de toute son âme. Ses jeux changèrent complètement, ils devinrentbeaucoup plus réfléchis. Un jour d'hiver, comme la neigetourbillonnait au-dehors, il apporta une grande loupe, étalasa veste bleue et laissa la neige tomber dessus. - Regarde dans la loupe, Gerda, dit-il. Chaque flocon devenait immense et ressemblait à unefleur splendide ou à une étoile à dix côtés. - Comme c'est curieux, bien plus intéressant qu'unevéritable fleur, ici il n'y a aucun défaut, ce seraient desfleurs parfaites - si elles ne fondaient pas. Peu après Kay arriva portant de gros gants, il avait son

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traîneau sur le dos, il cria aux oreilles de Gerda : - J'ai la permission de faire du traîneau sur la grande placeoù les autres jouent ! Et le voilà parti. Sur la place, les garçons les plus hardis attachaientsouvent leur traîneau à la voiture d'un paysan et sefaisaient ainsi traîner un bon bout de chemin. C'était trèsamusant. Au milieu du jeu ce jour-là arriva un grandtraîneau peint en blanc dans lequel était assise unepersonne enveloppée d'un manteau de fourrure blancavec un bonnet blanc également. Ce traîneau fit deux foisle tour de la place et Kay put y accrocher rapidement sonpetit traîneau. Dans la rue suivante, ils allaient de plus en plus vite. Lapersonne qui conduisait tournait la tète, faisait un signeamical à Kay comme si elle le connaissait. Chaque foisque Kay voulait détacher son petit traîneau, cettepersonne faisait un signe et Kay ne bougeait plus ; ilsfurent bientôt aux portes de la ville, les dépassèrentmême. Alors la neige se mit à tomber si fort que le petit garçonne voyait plus rien devant lui, dans cette course folle, ilsaisit la corde qui l'attachait au grand traîneau pour sedégager, mais rien n'y fit. Son petit traîneau étaitsolidement fixé et menait un train d'enfer derrière legrand. Alors il se mit à crier très fort mais personne nel'entendit, la neige le cinglait, le traîneau volait, parfois ilfaisait un bond comme s'il sautait par-dessus des fosséset des mottes de terre. Kay était épouvanté, il voulait diresa prière et seule sa table de multiplication lui venait àl'esprit. Les flocons de neige devenaient de plus en plus grands, àla fin on eût dit de véritables maisons blanches ; le grandtraîneau fit un écart puis s'arrêta et la personne qui leconduisait se leva, son manteau et son bonnet n'étaientfaits que de neige et elle était une dame si grande et simince, étincelante : la Reine des Neiges. - Nous en avons fait du chemin, dit-elle, mais tu es glacé,

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viens dans ma peau d'ours. Elle le prit près d'elle dans le grand traîneau, l'enveloppadu manteau. Il semblait à l'enfant tomber dans desgouffres de neige. - As-tu encore froid ? demanda-t-elle en l'embrassant surle front. Son baiser était plus glacé que la glace et lui pénétrajusqu'au cœur déjà à demi glacé. Il crut mourir, un instantseulement, après il se sentit bien, il ne remarquait plus lefroid. - "Mon traîneau, n'oublie pas mon traîneau". C'est la dernière chose dont se souvint le petit garçon. Le traîneau fut attaché à une poule blanche qui voladerrière eux en le portant sur son dos. La Reine desNeiges posa encore une fois un baiser sur le front de Kay,alors il sombra dans l'oubli total, il avait oublié Gerda, lagrand-mère et tout le monde à la maison. - Tu n'auras pas d'autre baiser, dit-elle, car tu enmourrais. Kay la regarda. Qu'elle était belle, il ne pouvait s'imaginervisage plus intelligent, plus charmant, elle ne lui semblaitplus du tout de glace comme le jour où il l'avait aperçuede la fenêtre et où elle lui avait fait des signes d'amitié ! Ases yeux elle était aujourd'hui la perfection, il n'avait plusdu tout peur, il lui raconta qu'il savait calculer de tête,même avec des chiffres décimaux, qu'il connaissait lasuperficie du pays et le nombre de ses habitants. Elle luisouriait … Alors il sembla à l'enfant qu'il ne savait au fondque peu de chose et ses yeux s'élevèrent versl'immensité de l'espace. La reine l'entraînait de plus enplus haut. Ils volèrent par-dessus les forêts et les océans,les jardins et les pays. Au-dessous d'eux le vent glacésifflait, les loups hurlaient, la neige étincelait, les corbeauxcroassaient, mais tout en haut brillait la lune, si grande etsi claire. Au matin, il dormait aux pieds de la Reine desNeiges.

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Cinquième histoireLa petite fille et les brigands

On roulait à travers lasombre forêt et lecarrosse luisait commeun flambeau. Desbrigands qui setrouvaient là en eurentles yeux blessés, il nepouvaient le supporter.- De l'or ! de l'or !criaient-ils. S'élançant à la tête deschevaux, ilsmassacrèrent les petitspostillons, le cocher etles valets et tirèrent la

petite Gerda hors de la voiture.

- Elle est grassouillette, elle est mignonne et nourried'amandes, dit la vieille brigande qui avait une longuebarbe broussailleuse et des sourcils qui lui tombaient surles yeux. C'est joli comme un petit agneau gras, ce seradélicieux à manger. Elle tira son grand couteau et il luisait d'une façonterrifiante. - Aie ! criait en même temps cette mégère. Sa propre petite fille qu'elle portait sur le dos et qui étaitsauvage et mal élevée à souhait, venait de la mordre àl'oreille. - Sale petite ! fit la mère. Elle n'eut pas le temps de tuer Gerda, sa petite fille luidit :

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- Elle jouera avec moi, qu'elle me donne son manchon, sajolie robe et je la laisserai coucher dans mon lit. Elle mordit de nouveau sa mère qui se débattait et setournait de tous les côtés. Les brigands riaient. - Voyez comme elle danse avec sa petite ! - Je veux monter dans le carrosse, dit la petite fille desbrigands. Et il fallut en passer par où elle voulait, elle était si gâtéeet si difficile. Elle s'assit auprès de Gerda et la voiturerepartit par-dessus les souches et les broussailles plusprofondément encore dans la forêt. La fille des brigandsétait de la taille de Gerda mais plus forte, plus larged'épaules, elle avait le teint sombre et des yeux noirspresque tristes. Elle prit Gerda par la taille, disant : - Ils ne te tueront pas tant que je ne serai pas fâchéeavec toi. Tu es sûrement une princesse. - Non, répondit Gerda. Et elle lui raconta tout ce qui lui était arrivé et combienelle aimait le petit Kay. La fille des brigands la regardait d'un air sérieux, elle fit unsigne de la tête. Elle essuya les yeux de Gerda et mit ses deux mainsdans le manchon. Qu'il était doux ! Le carrosse s'arrêta, elles étaient au milieu de la cour d'unchâteau de brigands, tout lézardé du haut en bas, descorbeaux, des corneilles s'envolaient de tous les trous etles grands bouledogues, qui avaient chacun l'air capabled'avaler un homme, bondissaient mais n'aboyaient pas,cela leur était défendu. Dans la grande vieille salle noire de suie, brûlait sur ledallage de pierres un grand feu, la fumée montait vers leplafond et cherchait une issue, une grande marmite desoupe bouillait et sur des broches rôtissaient lièvres etlapins. - Tu vas dormir avec moi et tous mes petits animauxpréférés ! dit la fille des brigands. Après avoir bu et mangé elles allèrent dans un coin où il y

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avait de la paille et des couvertures. Au-dessus, sur deslattes et des barreaux se tenaient une centaine depigeons qui avaient tous l'air de dormir mais ils tournèrentun peu la tête à l'arrivée des fillettes. - Ils sont tous à moi, dit la petite fille des brigands. Elle attrapa un des plus proches, le tint par les pattes. - Embrasse-le ! cria-t-elle en le claquant à la figure deGerda. Et voilà toutes les canailles de la forêt, continua-t-elle, en montrant une quantité de barreaux masquant untrou très haut dans le mur. Ce sont les canailles de laforêt, ces deux-là, ils s'envolent tout de suite si on ne lesenferme pas bien. Et voici le plus chéri, mon vieux Bée ! Elle tira par une corne un renne qui portait un anneau decuivre poli autour du cou et qui était attaché. - Il faut aussi l'avoir à la chaîne celui-là, sans quoi il bonditet s'en va. Tous les soirs je lui caresse le cou avec moncouteau aiguisé, il en a une peur terrible, ajouta-t-elle. Elle prit un couteau dans une fente du mur et le fit glissersur le cou du pauvre renne qui ruait, mais la fille desbrigands ne faisait qu'en rire. Elle entraîna Gerda vers lelit. - Est-ce que tu le gardes près de toi pour dormir ?demanda Gerda. - Je dors toujours avec un couteau, dit la fille des brigands.On ne sait jamais ce qui peut arriver. Mais répète-moi ceque tu me racontais de Kay. Tandis que la petite Gerda racontait, les pigeons de laforêt roucoulaient là- haut dans leur cage, les autrespigeons dormaient. La fille des brigands dormait etronflait, une main passée autour du cou de Gerda et lecouteau dans l'autre, mais Gerda ne put fermer l'œil, nesachant si elle allait vivre ou mourir. Alors, les pigeons dela forêt dirent : - Crouou ! Crouou ! nous avons vu le petit Kay. Une pouleblanche portait son traîneau, lui était assis dans celui de laReine des Neiges, qui volait bas au-dessus de la forêt,nous étions dans notre nid, la Reine a soufflé sur tous les

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jeunes et tous sont morts, sauf nous deux. Crouou !Crouou ! - Que dites-vous là-haut ? cria Gerda. Où la Reine desNeiges est-elle partie ? - Elle allait sûrement vers la Laponie où il y a toujours de laneige et de la glace. Demande au renne qui est attaché àla corde. - Il y a de glace et de la neige, c'est agréable et bon, dit lerenne. Là, on peut sauter, libre, dans les grandes plainesbrillantes, c'est là que la Reine des Neiges a sa tented'été, mais son véritable château est près du pôle Nord,sur une île appelée Spitzberg. - Oh ! mon Kay, mon petit Kay, soupira Gerda. - Si tu ne te tiens pas tranquille, dit la fille des brigands àdemi réveillée, je te plante le couteau dans le ventre. Au matin Gerda raconta à la fillette ce que les pigeons, lerenne, lui avaient dit et la fille des brigands avait un airtrès sérieux, elle disait : - Ça m'est égal ! ça m'est égal ! - Sais-tu où est la Laponie ? demanda-t-elle au renne. - Qui pourrait le savoir mieux que moi, répondit l'animaldont les yeux étincelèrent. C'est là que je suis né, que j'aijoué et bondi sur les champs enneigés. - Ecoute, dit la fille des brigands à Gerda, tu vois quemaintenant tous les hommes sont partis, la mère esttoujours là et elle restera, mais bientôt elle va se mettre àboire à même cette grande bouteille là-bas et elle sepaiera ensuite un petit somme supplémentaire, alors jeferai quelque chose pour toi. Lorsque la mère eut bu la bouteille et se fut rendormie, lafille des brigands alla vers le renne et lui dit : - Cela m'aurait amusé de te chatouiller encore souvent lecou avec mon couteau aiguisé car tu es si amusantquand tu as peur, mais tant pis, je vais te détacher ett'aider à sortir pour que tu puisses courir jusqu'en Laponiemais il faudra prendre tes jambes à ton cou et m'apportercette petite fille au château de la Reine des Neiges où est

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son camarade de jeu. Tu as sûrement entendu ce qu'ellea raconté, elle parlait assez fort et tu es toujours àécouter. Le renne sauta en l'air de joie. La fille des brigands soulevaGerda et prit la précaution de l'attacher fermement sur ledos de la bête, elle la fit même asseoir sur un petitcoussin. - Ça m'est égal, dit-elle. Prends tes bottines fourrées car ilfera froid, mais le manchon je le garde, il est trop joli. Etcomme je ne veux pas que tu aies froid, voilà lesimmenses moufles de ma mère, elles te monterontjusqu'au coude, fourre-moi tes mains là-dedans. Et voilà,par les mains tu ressembles à mon affreuse mère. Gerda pleurait de joie. - Assez de pleurnicheries, je n'aime pas ça, tu devraisavoir l'air contente au contraire, voilà deux pains et unjambon, tu ne souffriras pas de la faim. Elle attacha les deux choses sur le renne, ouvrit la porte,enferma les grands chiens, puis elle coupa avec soncouteau la corde du renne et lui dit : -Va maintenant, cours, mais fais bien attention à la petitefille. Gerda tendit ses mains gantées des immenses mouflesvers la fille des brigands pour dire adieu et le renne détalapar-dessus les buissons et les souches, à travers lagrande forêt par les marais et par la steppe, il courait tantqu'il pouvait. Les loups hurlaient, les corbeauxcroassaient. Le ciel faisait pfut ! pfut ! comme s'iléternuait rouge. - C'est la chère vieille aurore boréale, dit le renne, regardecette lumière ! Et il courait, il courait, de jour et de nuit. On mangea lespains, et le jambon aussi. Et ils arrivèrent en Laponie.

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Sixième histoire

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Septième histoireCe qui s'était passé au château dela reine et ce qui eut lieu par lasuite

Les murs du châteauétaient faits de neigepulvérisée, les fenêtreset les portes de ventscoupants, il y avait plusde cent salles forméespar des tourbillons deneige. La plus grandes'étendait sur plusieurslieues, toutes étaientéclairées demagnifiques auroresboréales, elles étaientgrandes, vides,glacialement froides et

étincelantes.

Aucune gaieté ici, pas le plus petit bal d'ours où le ventaurait pu souffler et les ours blancs marcher sur leurspattes de derrière en prenant des airs distingués. Pas lamoindre partie de cartes amenant des disputes et descoups, pas la moindre invitation au café de cesdemoiselles les renardes blanches, les salons de la Reinedes Neiges étaient vides, grands et glacés. Les auroresboréales luisaient si vivement et si exactement que l'onpouvait prévoir le moment où elles seraient à leur apogéeet celui où, au contraire, elles seraient à leur décrue laplus marquée. Au milieu de ces salles neigeuses, vides et

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sans fin, il y avait un lac gelé dont la glace était brisée enmille morceaux, mais en morceaux si identiques les unsaux autres que c'était une véritable merveille. Au centretrônait la Reine des Neiges quand elle était à la maison.Elle disait qu'elle siégerait là sur le miroir de la raison,l'unique et le meilleur au monde. Le petit Kay était bleu de froid, même presque noir, maisil ne le remarquait pas, un baiser de la reine lui avaitenlevé la possibilité de sentir le frisson du froid et soncœur était un bloc de glace - ou tout comme. Il cherchaità droite et à gauche quelques morceaux de glace plats etcoupants qu'il disposait de mille manières, il voulait obtenirquelque chose comme nous autres lorsque nous voulonsobtenir une image en assemblant de petites plaques debois découpées (ce que nous appelons jeu chinois oupuzzle). Lui aussi voulait former des figures et les pluscompliquées, ce qu'il appelait le « jeu de glace de la raison» qui prenait à ses yeux une très grande importance, parsuite de l'éclat de verre qu'il avait dans l'œil. Il formait avecces morceaux de glace un mot mais n'arrivait jamais àobtenir le mot exact qu'il aurait voulu, le mot « Eternité ».La Reine des Neiges lui avait dit : - Si tu arrives à former ce mot, tu deviendras ton propremaître, je t'offrirai le monde entier et une paire denouveaux patins. Mais il n'y arrivait pas …- Maintenant je vais m'envoler vers les pays chauds, dit laReine, je veux jeter un coup d'œil dans les marmitesnoires. Elle parlait des volcans qui crachent le feu, l'Etna et leVésuve. - Je vais les blanchir ; un peu de neige, cela fait partie duvoyage et fait très bon effet sur les citronniers et la vigne.Elle s'envola et Kay resta seul dans les immenses sallesvides. Il regardait les morceaux de glace et réfléchissait, ilréfléchissait si intensément que tout craquait en lui, assislà raide, immobile, on aurait pu le croire mort, gelé. Et c'est à ce moment que la petite Gerda entra dans le

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château par le grand portail fait de vents aigus. Elle récitasa prière du soir et le vent s'apaisa comme s'il allaits'endormir. Elle entra dans la grande salle vide et glacée… Alors elle vit Kay, elle le reconnut, elle lui sauta au cou,le tint serré contre elle et elle criait : - Kay ! mon gentil petit Kay ! je te retrouve enfin. Mais lui restait immobile, raide et froid - alors Gerdapleura de chaudes larmes qui tombèrent sur la poitrine dupetit garçon, pénétrèrent jusqu'à son cœur, firent fondrele bloc de glace, entraînant l'éclat de verre qui se trouvaitlà. Il la regarda, elle chantait le psaume : Les roses poussent dans les valléesOù l'enfant Jésus vient nous parler. Alors Kay éclata en sanglots. Il pleura si fort que lapoussière de glace coula hors de son œil. Il reconnutGerda et cria débordant de joie : - Gerda, chère petite Gerda, où es-tu restée silongtemps ? Ou ai-je été moi-même ? Il regarda alentour. - Qu'il fait froid ici, que tout est vide et grand. Il se serrait contre sa petite amie qui riait et pleurait dejoie. Un infini bonheur s'épanouissait, les morceaux deglace eux-mêmes dansaient de plaisir, et lorsque lesenfants s'arrêtèrent, fatigués, ils formaient justement lemot que la Reine des Neiges avait dit à Kay decomposer : « Éternité ». Il devenait donc son propremaître, elle devait lui donner le monde et une paire depatins neufs. Gerda lui baisa les joues et elle devinrent roses, elle baisases yeux et ils brillèrent comme les siens, elle baisa sesmains et ses pieds et il redevint sain et fort. La Reine desNeiges pouvait rentrer, la lettre de franchise de Kay étaitlà écrite dans les morceaux de glace étincelants : Eternité…Alors les deux enfants se prirent par la main et sortirentdu grand château. Ils parlaient de grand-mère et desrosiers sur le toit, les vents s'apaisaient, le soleil se

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montrait. Ils atteignirent le buisson aux baies rouges, lerenne était là et les attendait. Il avait avec lui une jeunefemelle dont le pis était plein, elle donna aux enfants sonlait chaud et les baisa sur la bouche. Les deux animaux portèrent Kay et Gerda d'abord chez lafemme finnoise où ils se réchauffèrent dans sa chambre,et qui leur donna des indications pour le voyage de retour,puis chez la femme lapone qui leur avait cousu desvêtements neufs et avait préparé son traîneau. Les deux rennes bondissaient à côté d'eux tandis qu'ilsglissaient sur le traîneau, ils les accompagnèrent jusqu'à lafrontière du pays où se montraient les premièresverdures : là ils firent leurs adieux aux rennes et à lafemme lapone. - Adieu ! Adieu ! dirent-ils tous. Les premiers petits oiseaux se mirent à gazouiller, la forêtétait pleine de pousses vertes. Et voilà que s'avançait verseux sur un magnifique cheval que Gerda reconnutaussitôt (il avait été attelé devant le carrosse d'or),s'avançait vers eux une jeune fille portant un bonnetrouge et tenant des pistolets devant elle, c'était la petitefille des brigands qui s'ennuyait à la maison et voulaitvoyager, d'abord vers le nord, ensuite ailleurs si le nord nelui plaisait pas. - Tu t'y entends à faire trotter le monde, dit-elle au petitKay, je me demande si tu vaux la peine qu'on coure aubout du monde pour te chercher. Gerda lui caressa les joues et demanda des nouvelles duprince et de la princesse. - Ils sont partis à l'étranger, dit la fille des brigands. - Et la corneille ? demanda Gerda. - La corneille est morte, répondit-elle. Sa chérieapprivoisée est veuve et porte un bout de laine noire à lapatte, elle se plaint lamentablement, quelle bêtise ! Maisraconte-moi ce qui t'est arrivé et comment tu l'asretrouvé ? Gerda et Kay racontaient tous les deux en même temps.

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- Et patati, et patata, dit la fille des brigands, elle leurserra la main à tous les deux et promit, si elle traversaitleur ville, d'aller leur rendre visite … et puis elle partit dansle vaste monde. Kay et Gerda allaient la main dans la main et tandis qu'ilsmarchaient, un printemps délicieux plein de fleurs et deverdure les enveloppait. Les cloches sonnaient, ilsreconnaissaient les hautes tours, la grande ville où ilshabitaient. Il allèrent à la porte de grand-mère, montèrentl'escalier, entrèrent dans la chambre où tout était à lamême place qu'autrefois. La pendule faisait tic-tac, lesaiguilles tournaient, mais en passant la porte, ilss'aperçurent qu'ils étaient devenus des grandespersonnes. Les rosiers dans la gouttière étendaient leurs fleurs àtravers les fenêtres ouvertes. Leurs petites chaisesd'enfants étaient là, Kay et Gerda s'assirent chacun sur lasienne en se tenant toujours la main, ils avaient oublié,comme on oublie un rêve pénible, les splendeurs vides duchâteau de la Reine des Neiges. Grand-mère était assisedans le clair soleil de Dieu et lisait la Bible à voix haute : "Si vous n'êtes pas semblables à des enfants, vousn'entrerez pas dans le royaume de Dieu. "Kay et Gerda se regardèrent dans les yeux et comprirentd'un coup le vieux psaume : Les roses poussent dansles valléesOù l'enfant Jésus vientnous parler. Ils étaient assis là, tous deux, adultes et cependantenfants, enfants par le cœur…C'était l'été, le doux été béni.

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