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CLEFS CEA - N° 52 - ÉTÉ 2005 107 conditions physiques des réactions chimiques, en particulier la température, au sein du dispositif. De ce fait, la microfluidique est une sinon la composante critique de cette intégration. Ces laboratoires sur puce trouvent des applications dans divers domaines (1) : le diagnostic in vitro pour des tests rapides à proximité du lieu de soin du patient, comme dans le cabinet du médecin, en salle d’urgence, au chevet du malade ; le contrôle agroalimentaire pour détecter des contaminants chimiques ou biologiques, ou bien encore la présence d’organismes génétiquement modifiés ; le contrôle de l’environnement pour tester la qualité de l’eau ou de l’air, par exemple la détection de légionelles dans des circuits de climatisation ; la sécurité civile et la défense. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, une grosse partie des recherches est financée aux États-Unis pour ces dernières applications. La réduction de la taille des volumes manipulés est motivée par plusieurs raisons. Tout d’abord, il existe un besoin croissant d’analyser des échantillons de très petite taille physique, à l’échelle de la cellule ou de compartiments cellulaires, ou bien comprenant une très faible quantité de composés (analytes), comme par exemple l’analyse de l’ADN ou de l’ ARN de quelques cellules présentes dans une biopsie. De plus, la réduc- tion de la taille des échantillons est la plupart du temps G énéralement, les nanobiotechnologies sont d’abord considérées comme des nanotechnologies, c’est- à-dire qui, soit présentent des propriétés à l’échelle du nanomètre ou mettent en œuvre des éléments de taille ou de diamètre nanométriques (particules, fils, tubes), soit permettent de visualiser et de manipuler des objets à l’échelle du nanomètre (par exemple des molécules uniques) ou d’étudier leurs propriétés. Ensuite, elles sont “bio” dans le sens où, soit elles intègrent des éléments qui viennent du vivant (par exemple des molécules biologiques telles que des fragments d’ADN ou des protéines), soit elles ont pour champ d’appli- cations les sciences du vivant (biologie et médecine). Dans ce domaine se retrouvent donc une partie de l’instrumentation pour la biologie, des dispositifs d’administration de médicaments et des méthodes d’élaboration de matériaux. Étant donné que la quasi-totalité des réactions bio- chimiques et des mécanismes biologiques se passent en solution aqueuse, toute technologie (nano ou non) liée à la biologie comportera une part importante de “fluidique”, c’est-à-dire de manipulation de fluides, et d’opérations sur ces fluides telles que mélange, séparation, contrôle de la température, mise en mou- vement… Dans le cadre des nanobiotechnologies, pour des raisons qui seront précisées par la suite, le chercheur travaillera souvent dans des petits volumes (inférieurs au microlitre, soit 1 mm 3 ) ou dans des structures de faibles dimensions, par exemple des capillaires de l’ordre de la centaine de microns (environ le diamètre d’un cheveu) ou moins. Il est alors question de “microfluidique”. La microfluidique, composante clé de l’intégration Cet aspect microfluidique est particulièrement impor- tant dans le domaine des laboratoires sur puce (labo- puces) ou microsystèmes d’analyse totale (microTAS), qui vise au développement de systèmes d’analyse biologique présentant par rapport aux instruments plus classiques deux caractéristiques principales (voir Vers des microsystèmes d’analyse interfacés avec le vivant ). La première se rapporte à une miniaturisation et à une automatisation plus poussées. La seconde correspond à l’intégration dans un seul dispositif de plusieurs opé- rations successives d’un protocole complexe d’analyse. Cette intégration passe notamment par la maîtrise du mouvement, de la distribution, éventuellement du stockage des réactifs et de l’échantillon, ainsi que des La microfluidique ou l’art de manipuler des petits volumes de liquides L’intégration dans un laboratoire sur puce des opérations successives d’un protocole complexe d’analyse biologique, mettant en jeu des petits volumes d’échantillons et de réactifs devant circuler dans des canaux de taille nanométrique, est indissociable de la microfluidique, qui propose des solutions pour déplacer, fractionner, mélanger ou séparer ces liquides. Cependant, quand les dimensions diminuent, les liquides changent de propriétés. Essentiellement, les effets de bord deviennent prépondérants et les turbulences, utiles pour mélanger les liquides disparaissent. Des solutions originales pour manipuler de tels volumes doivent être développées. Artechnique Composant microfluidique permettant la réalisation de protocoles biologiques complexes. (1) Ici, seules les applications relevant des nanobiotechnologies sont prises en considération. Cependant, des retombées existent dans d’autres domaines, comme par exemple les piles à combustible, la chimie, l’optique intégrée pour réaliser des commutateurs optiques ou des lentilles liquides à focale variable pour des appareils photo intégrés dans des téléphones portables.

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Page 1: La microfluidique ou l’art de manipuler des petits … · La microfluidique ou l’art de manipuler des petits volumes de liquides ... Face à l’avantage de la simplicité,cette

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conditions physiques des réactions chimiques, en particulier la température, au sein du dispositif. De ce fait, la microfluidique est une sinon la composante critique de cette intégration.Ces laboratoires sur puce trouvent des applications dansdivers domaines(1) : le diagnostic in vitro pour des testsrapides à proximité du lieu de soin du patient, commedans le cabinet du médecin, en salle d’urgence, au chevet du malade ; le contrôle agroalimentaire pourdétecter des contaminants chimiques ou biologiques,ou bien encore la présence d’organismes génétiquementmodifiés; le contrôle de l’environnement pour tester laqualité de l’eau ou de l’air, par exemple la détection delégionelles dans des circuits de climatisation; la sécuritécivile et la défense. Depuis les attentats du 11 septembre2001, une grosse partie des recherches est financée auxÉtats-Unis pour ces dernières applications.La réduction de la taille des volumes manipulés estmotivée par plusieurs raisons. Tout d’abord, il existeun besoin croissant d’analyser des échantillons de très petite taille physique, à l’échelle de la cellule ou decompartiments cellulaires, ou bien comprenant unetrès faible quantité de composés (analytes), commepar exemple l’analyse de l’ADN ou de l’ARN de quelquescellules présentes dans une biopsie. De plus, la réduc-tion de la taille des échantillons est la plupart du temps

Généralement,les nanobiotechnologies sont d’abordconsidérées comme des nanotechnologies, c’est-

à-dire qui, soit présentent des propriétés à l’échelle dunanomètre ou mettent en œuvre des éléments de tailleou de diamètre nanométriques (particules, fils,tubes),soit permettent de visualiser et de manipuler des objetsà l’échelle du nanomètre (par exemple des moléculesuniques) ou d’étudier leurs propriétés. Ensuite, ellessont “bio” dans le sens où, soit elles intègrent des éléments qui viennent du vivant (par exemple des molécules biologiques telles que des fragments d’ADNou des protéines), soit elles ont pour champ d’appli-cations les sciences du vivant (biologie et médecine).Dans ce domaine se retrouvent donc une partie del’instrumentation pour la biologie, des dispositifs d’administration de médicaments et des méthodes d’élaboration de matériaux.Étant donné que la quasi-totalité des réactions bio-chimiques et des mécanismes biologiques se passenten solution aqueuse, toute technologie (nano ou non)liée à la biologie comportera une part importante de“fluidique”, c’est-à-dire de manipulation de fluides,et d’opérations sur ces fluides telles que mélange,séparation, contrôle de la température, mise en mou-vement… Dans le cadre des nanobiotechnologies,pour des raisons qui seront précisées par la suite,le chercheur travaillera souvent dans des petits volumes(inférieurs au microlitre, soit 1 mm3) ou dans desstructures de faibles dimensions, par exemple descapillaires de l’ordre de la centaine de microns(environ le diamètre d’un cheveu) ou moins. Il estalors question de “microfluidique”.

La microfluidique, composante clé de l’intégration

Cet aspect microfluidique est particulièrement impor-tant dans le domaine des laboratoires sur puce (labo-puces) ou microsystèmes d’analyse totale (microTAS),qui vise au développement de systèmes d’analyse biologique présentant par rapport aux instrumentsplus classiques deux caractéristiques principales (voirVers des microsystèmes d’analyse interfacés avec le vivant).La première se rapporte à une miniaturisation et à uneautomatisation plus poussées. La seconde correspondà l’intégration dans un seul dispositif de plusieurs opé-rations successives d’un protocole complexe d’analyse.Cette intégration passe notamment par la maîtrise dumouvement, de la distribution, éventuellement du stockage des réactifs et de l’échantillon, ainsi que des

La microfluidique ou l’art de manipulerdes petits volumes de liquidesL’intégration dans un laboratoire sur puce des opérations successives d’un protocolecomplexe d’analyse biologique, mettant en jeu des petits volumes d’échantillons et de réactifs devant circuler dans des canaux de taille nanométrique, est indissociablede la microfluidique, qui propose des solutions pour déplacer, fractionner, mélangerou séparer ces liquides. Cependant, quand les dimensions diminuent, les liquideschangent de propriétés. Essentiellement, les effets de bord deviennent prépondérantset les turbulences, utiles pour mélanger les liquides disparaissent. Des solutionsoriginales pour manipuler de tels volumes doivent être développées.

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Composant microfluidiquepermettant la réalisation de protocoles biologiquescomplexes.

(1) Ici, seules les applications relevant des nanobiotechnologiessont prises en considération. Cependant, des retombéesexistent dans d’autres domaines, comme par exemple les piles à combustible, la chimie, l’optique intégrée pour réaliser des commutateurs optiques ou des lentilles liquides à focalevariable pour des appareils photo intégrés dans des téléphonesportables.

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Des nanotechnologies aux applications

favorable à la vitesse des réactions chimiques et destransferts thermiques. Cela est en partie dû au fait quelorsque la taille des dispositifs et des échantillons dimi-nue, les rapports surface/volume augmentent et ainsitous les phénomènes qui se passent en surface sontaccélérés, comme l’hybridation d’acides nucléiquesdans le cas d’une puce à ADN (voir Vers des micro-systèmes d’analyse interfacés avec le vivant). La vitessedes réactions chimiques en volume est proportionnelle à la concentration des réactifs, soit inversement proportionnelle au volume. En particulier, quand l’opérateur dispose de peu d’analytes, il est importantde travailler dans des volumes aussi réduits que possi-ble. Enfin, le développement des microtechnologies au sens large permet d’envisager la fabrication en masse de tels dispositifs à des coûts relativement bas.

Les spécificités de la microfluidique

La plupart des dispositifs microfluidiques sont compo-sés de capillaires et de chambres de réactions. Pour lesusiner, l’opérateur part en général d’un matériau solideplan dans lequel il va former des canaux et des cuvettesqui seront ensuite recouverts d’un couvercle.Pour réa-liser ces motifs, il utilise la lithographie et la gravured’un matériau solide comme le verre, le silicium ou lequartz, ou procède par moulage ou emboutissage dematériaux polymères.Les dimensions caractéristiquesdes canaux sont de l’ordre de la centaine de micronsmais descendent parfois jusqu’à quelques dizaines denanomètres. La section est le plus souvent carrée ousemi-circulaire. La nature du régime d’écoulementd’un fluide est déterminée par le nombre de Reynoldsqui dépend de la vitesse d’écoulement, du diamètre du capillaire et de la viscosité(2) du fluide.À ces dimen-sions et dans les régimes de vitesse habituels (inférieureau centimètre par seconde),pour de l’eau ou une solu-tion aqueuse plus visqueuse, le nombre de Reynoldsest tel qu’il n’y a jamais apparition de turbulence.Cette turbulence ne peut donc pas être mise à profitpour effectuer des mélanges qui ne peuvent se faireque par diffusion, ce qui est beaucoup plus lent.

Une autre caractéristique de la microfluidique est l’importance, signalée plus haut, des phénomènes desurface. Un aspect particulier en est l’importance desforces de capillarité qui peuvent être utilisées à profitpour limiter un fluide dans son déplacement ou pourle mettre en mouvement.La microfluidique exploite de nombreux principesphysiques pour déplacer et contrôler le mouvementde liquides. Selon les applications visées, les solutionsles plus intéressantes seront,outre celles qui offrent lesmeilleures performances en termes de débit, vitesse,précision des différentes opérations…,celles qui serontplus facilement intégrables (idéalement, celles donttous les éléments pourront être embarqués au sein dulaboratoire sur puce), celles qui seront compatiblesavec les caractéristiques des fluides manipulés,et enfinet toujours, celles qui seront les moins coûteuses.Comme il est impossible de passer ici en revue toutesles solutions ayant fait l’objet de travaux, le lecteurintéressé pourra se référer à quelques publicationsrécentes qui constituent un excellent point d’entrée(voir Pour en savoir plus).Seules les principales appro-ches seront décrites.

Déplacer un fluide en appliquant un gradient de pression

La solution la plus immédiate pour mettre un fluideen mouvement dans un capillaire est d’exercer une différence de pression entre ses extrémités. Il en résulteun écoulement qui,du fait des frottements sur les paroisdus à la viscosité, présente un profil de vitesse para-bolique. Le liquide se déplace en effet beaucoup plusvite au milieu du capillaire que le long des parois.L’application d’un gradient de pression est un principelargement utilisé dans le contexte de la microfluidique.Face à l’avantage de la simplicité,cette solution présentequelques inconvénients. D’abord, avoir à dispositionune source de pression de bonne qualité, en généralexterne, n’est pas toujours possible ou facile. De plus,les pressions mises en jeu augmentent très rapidementavec la diminution de la taille des conduits(3). Enfin,il est parfois nécessaire que la totalité du liquide transite à la même vitesse dans le dispositif, ce quin’est pas le cas ici. L’une des approches actuellementles plus prometteuses pour intégrer des opérationsde microfluidique à une grande échelle est développée

(2) Viscosité : état d’un fluide dont l’écoulement est freiné par le frottement des molécules qui le composent.

(3) Dans des capillaires de section circulaire, la différence de pression pour assurer un débit donné est inversementproportionnelle à la puissance 4 du rayon du capillaire.

Étape de remplissageavec une solution

fluorescente du réservoird’un labopuce développé

autour du concept demicrofluidique en goutte.

Figure 1.Principe d’une vanne microfluidique en matériau élastomère.Le réseau de capillaires (en bleu) peut être mis sous pressiond’air, déformant ainsi localement le matériau et bloquant à la demande la circulation de fluide dans le canal de couleurbrune (d’après M. A. UNGER, H.-P. CHOU, T. THORSEN, A. SCHERER

and S. R. QUAKE, “Monolithic microfabricated valves and pumps by multilayer soft lithography”, Science, 288, pp. 113-116, 2000).

entrée de fluide

distance capillaire-canal: 30 µm

sortiede fluide

entrée et sortie

d’air

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(4) Élastomère : polymère, naturel (caoutchouc) ou synthétique,présentant des qualités élastiques.

Figure 4.Déplacement d’une goutte par électromouillage. En réalisant un réseaud’électrodes mises soustension séquentiellement, il est ainsi possible de déplacerla goutte d’une électrode à l’autre. Dans cetteconfiguration, la tensionélectrique est établie entrel’électrode située sous lematériau diélectrique et un filconducteur agissant commeune sorte de caténaire.

Figure 2.Schéma d’un circuit microfluidique de grande complexité mettant en œuvre les vannesmicrofluidiques de la figure 1. Ce circuit comprend 256 chambres de réactions de 750 picolitres.18 canaux pneumatiques (en rose, orange et vert) permettent d’actionner 2 056 valves qui contrôlent l’accès aux chambres de réactions. Les échantillons et réactifs circulent dans les canaux de couleur bleue (d’après T. THORSEN, S. J. MAERKL and S. R. QUAKE,“Microfluidic large-scale integration”, Science, 298, pp. 580-584, 2002).

par l’équipe de Stephen R. Quake au Caltech (États-Unis).Elle met en œuvre dans un matériau élastomère(4)

un réseau microfluidique et un réseau de canaux d’air sous pression,ce dernier permettant la réalisationde vannes et de pompes (figures 1 et 2).

Faire circuler un fluide par électro-osmose

Dans la plupart des cas, le fluide en mouvement estune solution d’eau chargée en différents sels. Lecontact de cette solution avec certains matériaux isolants (le verre en particulier) constituant les paroisdu capillaire donne naissance à des charges statiquesà sa surface, équilibrée localement dans la solutionpar une couche de charge opposée, d’épaisseur allantjusqu’à une centaine de nanomètres. Quand unedifférence de potentiel électrique est appliquée aux extrémités du capillaire, cette couche périphériqueest mise en mouvement par effet électrophorétique,ce qui entraîne un déplacement de l’ensemble dufluide présent dans le capillaire. Contrairement à ladifférence de pression, cet effet est d’autant plus fort,donc efficace, que la section du capillaire est faible.Le profil de vitesse ainsi créé est, à l’inverse du casprécédent, pratiquement uniforme. Autre avantage,l’intégration au sein d’un composant miniature estégalement plus facile. Cette solution présente cepen-dant quelques inconvénients. Les sources de tensionnécessaires sont généralement assez importantes en pratique (de l’ordre du millier de volts) et il fautrésoudre des problèmes d’électrolyse au niveau des électrodes. Par ailleurs, cet effet s’accompagne pour chaque espèce ionique en solution d’un effetélectrophorétique, qui se révèle parfois gênant.Dans le même esprit, un effet magnétohydrodyna-mique peut être utilisé. La conjugaison d’un champélectrique produisant un déplacement d’ions et d’unchamp orthogonal magnétique, engendrant ainsi uneforce de Lorentz sur ces ions, permet d’induire un déplacement du fluide suivant la troisième dimension.

Manipuler le fluide sous forme de gouttes

Dans certains cas, en particulier quand l’échantillon à traiter a un volume de l’ordre du microlitre, ou infé-rieur, il est possible de le garder sous forme de gouttetout au long du déroulement du protocole. La gouttepeut elle-même être considérée comme un réacteurchimique. À ces échelles, les forces de capillarité sontimportantes et sur un support hydrophobe, la gouttereste sous la forme d’une quasi-sphère attachée sur unplan,ou entre deux plans.Perturber les forces de capilla-rité, notamment de façon asymétrique, permet alorsde déplacer cette goutte. Plusieurs principes sont làencore applicables. La goutte est déplacée en utilisantl’action d’un champ électrostatique, principe dit d’électromouillage, et également en employant touteautre stimulation mécanique sur un support structuréde façon asymétrique.Enfin,la goutte peut être soumiseà une onde acoustique de surface.L’approche par électromouillage est particulièrementintéressante. Dans les solutions développées auLaboratoire d’électronique et de technologie de

Figure 3.Principe de l’électromouillage. Une goutte est déposée sur une électrode recouverte d’une fine couche de matériaudiélectrique hydrophobe, comme par exemple le téflon.Quand elle est mise sous tension électrique, l’angle de contactentre la goutte et la surface diminue, rendant le support plus hydrophile. Ici, la seconde électrode qui permet la mise sous tension, non visible sur la photo, est dans le même planet concentrique à la première.

V = 0 V V = 80 V

V

V

V

sortie d’échantillon entrée d’échantillonentrée du liquide de rinçage

sortie desubstrat entrée de

substrat

récupérationdu contenu

d’une celluleparticulière

4

contrôle desvannesvanne 4

vanne 3

vanne 2

vanne 1vanne

mélangeur

récupération du contenu d’unecellule particulière 2 et 3

5 mm

vannesandwich

récupération du contenu

d’une celluleparticulière

1

contrôle des vannes

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Des nanotechnologies aux applications

l’information (CEA-Leti), les gouttes se déplacent surun réseau d’électrodes enfouies sous une couche dematériau diélectrique hydrophobe (technique EWODpour ElectroWetting On Dielectric, voir Vers des micro-systèmes d’analyse interfacés avec le vivant).Pour action-ner les gouttes, une tension électrique est établie entreces électrodes et, soit un fil conducteur parallèle auplan des électrodes,soit une couche conductrice dépo-sée à la surface du “couvercle” du dispositif (figures 3et 4).Il est possible sur ce principe de dessiner des confi-gurations d’électrodes permettant de réaliser les opé-rations de base de la microfluidique et de la plupart des protocoles d’analyses biologiques (figure 5). Lechercheur dispose ainsi d’une “boîte à outils”, ou d’une “bibliothèque d’opérateurs” générique, pour, àl’instar de ce qui se passe pour la conception de circuitsintégrés en microélectronique,être capable à terme deconcevoir un laboratoire sur puce à partir d’opérationsstandards bien connues et caractérisées.

Vers l’émergence de solutionsprometteuses

La microfluidique est un domaine jeune et en pleineeffervescence.Si les problèmes abordés,motivés prin-cipalement par l’analyse biologique, sont bien iden-tifiés, les solutions proposées par la communauté sont extrêmement variées. Il faut s’attendre dans lesprochaines années à l’émergence des plus promet-teuses.La compréhension des phénomènes mis en jeun’est pas encore complète. Des progrès dans ce senspermettront vraisemblablement une amélioration desperformances et la mise à disposition des concepteursde modèles informatiques.

> Pierre Puget et Yves FouilletDirection de la recherche technologique

CEA-Leti centre de Grenoble

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Labopuce développé autour du concept de microfluidique en goutte en cours de test. Génération de deux gouttes, dont une fluorescente, qui se déplacent et se mélangent.

Figure 5.Validation des

opérations de base de la microfluidique.

À gauche, déplacementdans un plan (d’après

S.-K. FAN, C. HASHI andC.-J. KIM, “Manipulation

of multiple droplets on NxM grid by cross-

reference EWOD drivingscheme and pressure-

contact packaging”, IEEEConf. MEMS, Kyoto, Japan,

Jan. 2003, pp. 694-697) ;au milieu, morcellement

(d’après S. K. CHO,H. MOON and C.-J. KIM,

“Creating, transporting,cutting, and merging

liquid droplets byelectrowetting-based

actuation for digital microfluidiccircuits”, Journal of

MicroelectromechanicalSystems, 12(1),

pp. 70-80, 2003) ; à droite, formation

d’une goutte à partird’un réservoir.

POUR EN SAVOIR PLUSY. FOUILLET et J.-L. ACHARD, “Microfluidique discrèteet biotechnologie”, Comptes-rendus. Physique,5(5), pp. 577-588, 2004.

D. ERICKSON and D. Q. LI, “Integrated microfluidicdevices”, Analytica Chimica Acta, 507(1), pp. 11-26, 2004.

D. J. LASER and J. G. SANTIAGO, “A review ofmicropumps”, Journal of Micromechanics andMicroengineering, 14(6), pp. R35-R64, 2004.

H. A. STONE, A. D. STROOCK and A. ADJARI,“Engineering flows in small devices: Microfluidicstoward a Lab-on-a-Chip”, Annual Review of FluidMechanics, 36, pp. 381-411, 2004.

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bas du réseaud’électrodes haut du réseau

d’électrodes

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Afin de se représenter plus aisé-ment les dimensions des objets

micro et nanoscopiques*, il est pra-tique de procéder à des comparaisonset courant de faire correspondre diffé-rentes échelles, par exemple celle dumonde du vivant, de la molécule àl’homme, et celle des objets manipulésou fabriqués par lui (figure). Cettecorrespondance entre “artificiel” et“naturel” permet, par exemple, de voirque des nanoparticules fabriquéesartificiellement sont plus petites quedes globules rouges.Un autre mérite de cette juxtapositionest d’illustrer les deux grandes façons

Tranche de silicium de 300 mm réalisée par l’Alliance Crolles2, illustration de la démarchetop-down actuelle de la microélectronique.

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Du monde macroscopique au nanomonde, ou l’inverse…

d’élaborer des objets ou des systèmesnanométriques : la voie descendante(top-down) et la voie ascendante(bottom-up). Deux chemins mènent eneffet au nanomonde : la fabricationmoléculaire, qui passe par la mani-pulation d’atomes individuels et laconstruction à partir de la base, etl’ultraminiaturisation, qui produit dessystèmes de plus en plus petits.La voie descendante est celle du mondeartificiel, qui part de matériaux macro-scopiques, ciselés par la main del’homme puis par ses instruments: c’estelle qu’a empruntée l’électroniquedepuis plusieurs dizaines d’années,principalement avec le silicium commesubstrat, et ses “tranches” (wafers)comme entités manipulables. C’estd’ailleurs la microélectronique qui alargement contribué à donner à cettevoie le nom anglais sous laquelle elle

est connue. Mais il ne s’agit plus seu-lement d’adapter la miniaturisation dela filière silicium actuelle, mais ausside prendre en compte, pour s’en pré-munir ou les utiliser, les phénomènesphysiques, quantiques en particulier,qui apparaissent aux faibles dimen-sions.La voie ascendante peut permettre depasser outre ces limites physiques etaussi de réduire les coûts de fabrica-tion, en utilisant notamment l’auto-assemblage des composants. C’est elleque suit la vie en pratiquant l’assem-blage de molécules pour créer des pro-téines, enchaînement d’acides aminésque des super-molécules, les acidesnucléiques (ADN, ARN), savent faire pro-duire au sein de cellules pour formerdes organismes, les faire fonctionner etse reproduire tout en se complexifiant.Cette voie, dite “bottom-up”, vise à orga-

niser la matière à partir de “briques debase”, dont les atomes eux-mêmes sontles plus petits constituants, à l’instardu monde vivant. La nanoélectroniquedu futur cherche à emprunter cette voied’assemblage pour aboutir à moindrecoût à la fabrication d’éléments fonc-tionnels.Les nanosciences peuvent ainsi êtredéfinies comme l’ensemble des recher-ches visant à la compréhension despropriétés (physiques, chimiques etbiologiques) des nano-objets ainsiqu’à leur fabrication et à leur assem-blage par auto-organisation.Les nanotechnologies regroupent l’en-semble des savoir-faire qui permet-tent de travailler à l’échelle molécu-laire pour organiser la matière afin deréaliser ces objets et matériaux, éven-tuellement jusqu’à l’échelle macro-scopique.

*Du grec nano qui signifie “tout petit”et est utilisé comme préfixe pour désigner le milliardième (10-9) d’une unité. Enl’occurrence, le nanomètre (1 nm = 10-9 m,soit un milliardième de mètre) est l’unitéreine du monde des nanosciences et desnanotechnologies.

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A

mondevivant

voie ascendante“bottom-up”

monde artificielvoie

descendante“top-down”

homme2 m

véhicule individuel 2 m

papillon5 cm

téléphone portable 10 cm

fourmi1 cm

puce de carte 1 cm

puce1 mm

grain de pollen 10 µm à 20 µm

cheveu 50 µm(diamètre)

globule rouge5 µm

virus 0,1 µm

ADN3,4 nm

molécule quelques Å

microsystème 10-100 µm

interconnexions de circuit intégré

1-10 µm

transistor “Cooper”

1 µm

nanotransistor 20 nm

nanoparticule10 nm

boîte quantique5 nm

atome 1 nm

(Suite)

0,1 nm

10-10 m 10-9 m 10-8 m 10-7 m 10-6 m 10-5 m 10-4 m 10-3 m 10-2 m 10-1 m

1 nm

nanomonde

10 nm 100 nm 1 µm 10 µm 100 µm 1 mm 1 cm 10 cm 1 m

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B

La physique quantique (historique-ment dénommée mécanique quan-

tique) est l’ensemble des lois physiquesqui s’appliquent à l’échelle microsco-pique. Fondamentalement différentesde la plupart de celles qui semblents’appliquer à notre propre échelle, ellesn’en constituent pas moins le socle glo-bal de la physique à toutes ses échel-les. Mais à l’échelle macroscopique, sesmanifestations ne nous apparaissentpas étranges, à l’exception d’un certainnombre de phénomènes a prioricurieux, comme la supraconductivitéou la superfluidité , qui justement nes’expliquent que par les lois de laphysique quantique. Au demeurant, lepassage du domaine de validité des loisparadoxales de cette physique à celuides lois, plus simples à imaginer, de laphysique classique peut s‘expliquerd’une façon très générale, comme celasera évoqué plus loin.La physique quantique tire son nomd’une caractéristique essentielle desobjets quantiques: des caractéristiquescomme le moment angulaire (spin) desparticules sont des quantités discrètesou discontinues appelées quanta, quine peuvent prendre que des valeursmultiples d’un quantum élémentaire. Ilexiste de même un quantum d’action(produit d’une énergie par une durée)

appelé constante de Planck (h), dont lavaleur est de 6,626·10-34 joule·seconde.Alors que la physique classique distin-gue ondes et corpuscules, la physiquequantique englobe en quelque sorte cesdeux concepts dans un troisième, quidépasse la simple dualité onde-cor-puscule entrevue par Louis de Broglie,et qui, quand nous tentons de l’appré-hender, semble tantôt proche du pre-mier et tantôt du deuxième. L’objet quan-tique constitue une entité inséparablede ses conditions d’observation, sansattribut propre. Et cela, qu’il s’agissed’une particule – en aucun cas assimi-lable à une bille minuscule qui suivraitune quelconque trajectoire – de lumière

(photon) ou de matière (électron, proton,neutron, atome…).Cette caractéristique donne toute sa forceau principe d’incertitude d’Heisenberg,autre base de la physique quantique.Selon ce principe (d’indéterminationplutôt que d’incertitude), il est impos-sible de définir avec précision à un instantdonné à la fois la position d’une parti-cule et sa vitesse. La mesure, qui restepossible, n’aura jamais une précisionmeilleure que h, la constante de Planck.Ces grandeurs n’ayant pas de réalitéintrinsèque en dehors du processusd’observation, cette déterminationsimultanée de la position et de la vitesseest simplement impossible.

Quelques repères de physique quantique

“Vue d’artiste” de l’équation de Schrödinger.

D. S

arra

ute/

CEA

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C’est qu’à tout instant l’objet quantiqueprésente la caractéristique de superpo-serplusieurs états, comme une onde peutêtre le résultat de l’addition de plusieursautres. Dans le domaine quantique, lahauteur d’une onde (assimilable à celled’une vague par exemple) a pour équi-valent une amplitude de probabilité (ouonde de probabilité), nombre complexeassocié à chacun des états possibles d’unsystème qualifié ainsi de quantique.Mathématiquement, un état physiqued’un tel système est représenté par unvecteur d’état, fonction qui, en vertu duprincipe de superposition, peut s’ajouterà d’autres. Autrement dit, la somme dedeux vecteurs d’état possibles d’un sys-tème est aussi un vecteur d’état possibledu système. De plus, le produit de deuxespaces vectoriels est aussi la sommede produits de vecteurs, ce qui traduitl’intrication: un vecteur d’état étant géné-ralement étalé dans l’espace, l’idée delocalité des objets ne va plus de soi. Dansune paire de particules intriquées, c’est-à-dire créées ensemble ou ayant déjàinteragi l’une sur l’autre, décrite par leproduit et non par la somme de deux vec-teurs d’état individuels, le destin de cha-cune est lié à celui de l’autre, quelle quesoit la distance qui pourra les séparer.Cette caractéristique, également appe-lée l’enchevêtrement quantique d’états, a

des implications vertigineuses, sansparler des applications imaginables, dela cryptographie quantique à – pourquoine pas rêver? – la téléportation.Dès lors, la possibilité de prévoir le com-portement d’un système quantique n’estqu’une prédictibilité probabiliste et sta-tistique. L’objet quantique est en quelquesorte une “juxtaposition de possibles”.Tant que la mesure sur lui n’est pas faite,la grandeur censée quantifier la pro-priété physique recherchée n’est passtrictement définie. Mais dès que cettemesure est engagée, elle détruit lasuperposition quantique, par réductiondu paquet d’ondes, comme WernerHeisenberg l’énonçait en 1927.Toutes les propriétés d’un système quan-tique peuvent être déduites à partir del’équation proposée l’année précédentepar Erwin Schrödinger. La résolution decette équation de Schrödinger permetde déterminer l’énergie du système ainsique la fonction d’onde, notion qui a donctendance à être remplacée par celled’amplitude de probabilité.Selon un autre grand principe de la phy-sique quantique, le principe (d’exclu-sion) de Pauli, deux particules identiquesde spin 5 (c’est-à-dire des fermions, enparticulier les électrons) ne peuvent avoirà la fois la même position, le même spinet la même vitesse (dans les limites

posées par le principe d’incertitude),c’est-à-dire se trouver dans le mêmeétat quantique. Les bosons (en particulierles photons), ne suivent pas ce principeet peuvent se trouver dans le même étatquantique.La coexistence des états superposésdonne sa cohérence au système quan-tique. Dès lors, la théorie de la déco-hérence quantique peut expliquer pour-quoi les objets macroscopiques ont uncomportement “classique” tandis queles objets microscopiques, atomes etautres particules, ont un comportementquantique. Plus sûrement encore qu’undispositif de mesure pointu, “l’environ-nement” (l’air, le rayonnement ambiant,etc.) exerce son influence, éliminantradicalement toutes les superpositionsd’état à cette échelle. Plus le systèmeconsidéré est gros, plus il est en effetcouplé à un grand nombre de degrés deliberté de cet environnement. Et doncmoins il a de “chances” – pour resterdans la logique probabiliste – de sau-vegarder une quelconque cohérencequantique.

B (Suite)

POUR EN SAVOIR PLUSÉtienne KLEIN, Petit voyage dans le monde des quanta, Champs,Flammarion, 2004.

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C

La fabrication des puits quantiquesutilise la technique d’épitaxie (du

grec taxi (ordre) et epi (dessus) par jetsmoléculaires (en anglais MBE, pourMolecular Beam Epitaxy). Le principe decette technique de dépôt physique,développée initialement pour la crois-sance cristallinedes semi-conducteursde la famille III-V, est fondé sur l’éva-poration des différents constituantspurs du matériau à élaborer dans uneenceinte où est maintenu un vide poussé(pression pouvant être de l’ordre de5·10-11 mbar) afin d’éviter toute pollu-tion de la surface. Un ou des jets ther-miques d’atomes ou de moléculesréagissent sur la surface propre d’unsubstrat monocristallin, placé sur unsupport maintenu à haute température(quelques centaines de °C), qui sert detrame pour former un film dit épi-taxique. Il est ainsi possible de fabri-quer des empilements de couches aussifines que le millionième de millimètre,c’est-à-dire composées de seulementquelques plans d’atomes.

Les éléments sont évaporés ou subli-més à partir d’une source de hautepureté, placée dans une cellule à effu-sion (chambre dans laquelle un fluxmoléculaire passe d’une région oùrègne une pression donnée à une régionde plus basse pression) chauffée pareffet Joule.La croissance du film peut être suiviein situet en temps réel en utilisant diver-ses sondes structurales et analytiques,en particulier des techniques d’étudede la qualité des surfaces et de leurstransitions de phase par diffractionélectronique en incidence rasante, LEED(pour Low energy electron diffraction) ouRHEED (pour Reflection high-energyelectron diffraction) et diverses métho-des spectroscopiques (spectroscopied’électrons Auger, SIMS (spectromé-trie de masse d’ions secondaires), spec-trométrie de photoélectrons XPS parrayons X et UPS (Ultraviolet photoelec-tron spectroscopy).La technique d’épitaxie par jets molé-culaires s’est étendue à d’autres semi-

conducteurs que les III-V, à des métauxet à des isolants, se développant avecles progrès des techniques d’ultravide.Le vide régnant dans la chambre decroissance, dont la conception varieen fonction de la nature du matériauà déposer, doit en effet être meilleureque 10-11 mbar pour permettre lacroissance d’un film de haute puretéet d’excellente qualité cristalline àdes températures de substrat relati-vement basses. Il s’agit de qualité devide lorsque le bâti est au repos. Pourla croissance d’arséniures, par exem-ple, le vide résiduel est de l’ordre de10-8 mbar dès que la cellule d’arse-nic est portée à sa température deconsigne pour la croissance.Le pompage pour atteindre ces per-formances fait appel à plusieurs tech-niques (pompage ionique, cryopom-page, sublimation de titane, pompes àdiffusion ou turbomoléculaires). Lesprincipales impuretés (H2, H2O, CO etCO2) peuvent présenter des pressionspartielles inférieures à 10-13 mbar.

L’épitaxie par jets moléculaires

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D

En décembre 1947, John Bardeenet Walter H. Brattain réalisaient le

premier transistor en germanium.Avec William B. Shockley, aux BellLaboratories, ils développaient l’annéesuivante le transistor à jonction et lathéorie associée. Au milieu des années1950, les transistors seront réalisés ensilicium (Si), qui reste aujourd’hui lesemi-conducteur généralement utilisé,vu la qualité inégalée de l’interface crééepar le silicium et l’oxyde de silicium (SiO2),qui sert d’isolant.

En 1958, Jack Kilby invente le circuitintégré en fabriquant cinq composantssur le même substrat. Les années 1970verront le premier microprocesseur d’Intel(2250 transistors) et les premières mémoi-res. La complexité des circuits intégrésne cessera de croître exponentiellementdepuis (doublement tous les deux-troisans, selon la “loi de Moore”) grâce à laminiaturisation des transistors.Le transistor (de l’anglais transfer resis-tor, résistance de transfert), composantde base des circuits intégrés micro-

électroniques, le restera mutatis mutan-dis à l’échelle de la nanoélectronique:adapté également à l’amplification,entre autres fonctions, il assume eneffet une fonction basique essentielle :laisser passer un courant ou l’inter-rompre à la demande, à la manière d’uncommutateur (figure). Son principe debase s’applique donc directement autraitement du langage binaire (0, le cou-rant ne passe pas; 1, il passe) dans descircuits logiques (inverseurs, portes,additionneurs, cellules mémoire).Le transistor, fondé sur le transport desélectrons dans un solide et non plusdans le vide comme dans les tubesélectroniques des anciennes triodes,est composé de trois électrodes (anode,cathode et grille) dont deux servent deréservoirs à électrons : la source, équi-valent du filament émetteur du tubeélectronique, le drain, équivalent de laplaque collectrice, et la grille, le “contrô-leur”. Ces éléments ne fonctionnent pasde la même manière dans les deuxprincipaux types de transistors utilisésaujourd’hui, les transistors bipolaires àjonction, qui ont été les premiers à êtreutilisés, et les transistors à effet de champ(en anglais FET, Field Effect Transistor).Les transistors bipolaires mettent enœuvre les deux types de porteurs decharge, les électrons (charges négati-ves) et les trous (charges positives), etse composent de deux parties de sub-strat semi-conducteur identiquement

Le transistor, composant de base des circuits intégrés

Figure.Un transistor MOS est un commutateur qui permet de commander le passage d’un courantélectrique de la source (S) vers le drain (D) à l’aide d’une grille (G) isolée électriquement du canal de conduction. Le substrat en silicium est noté B (pour Bulk).

commutateur

transistor

source drain

source

source

isol

emen

t

isol

emen

t

isolant de grille

drain

drain

vue en coupe

Lg = longueur de grille

grille de commande

grille

grille

canalsubstrat Si

Lg

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D (Suite)

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(1) Figurent dans cette catégorie les transistors de type Schottky ou à barrière Schottky qui sont des transistors à effet de champ comportant unegrille de commande de type métal/semi-conducteur qui améliore la mobilité des porteurs de charge et le temps de réponse au prix d’une plus grandecomplexité.

(2) On parle alors de transistor MOSFET (Metal-Oxide Semiconductor Field Effect Transistor).

Transistor 8 nanomètres développé par l’Alliance Crolles2 réunissantSTMicroelectrronics, Philips et FreescaleSemiconductor.

dopées (p ou n), séparées par une mincecouche de semi-conducteur inversementdopée. L’assemblage de deux semi-conducteurs de types opposés (jonctionp-n) permet de ne faire passer le courantque dans un sens. Qu’ils soient de typen-p-n ou p-n-p, les transistors bipolai-res sont fondamentalement des ampli-ficateurs de courant, commandés par uncourant de grille(1): ainsi dans un trans-istor n-p-n, la tension appliquée à la par-tie p contrôle le passage du courant entreles deux régions n. Les circuits logiquesutilisant des transistors bipolaires, appe-lés TTL (Transistor Transistor Logic), sontplus consommateurs de courant que lestransistors à effet de champ, qui pré-sentent un courant de grille nul en régimestatique et sont commandés par l’appli-cation d’une tension.Ce sont ces derniers, sous la forme MOS(Métal oxyde semi-conducteur), quicomposent aujourd’hui la plupart descircuits logiques du type CMOS (C pourcomplémentaire)(2). Sur un cristal desilicium de type p, deux régions de typen sont créées par dopage de la surface.Appelées là aussi source et drain, cesdeux régions ne sont donc séparées quepar un petit espace de type p, le canal.Sous l’effet d‘une tension positive surune électrode de commande placée

au-dessus du semi-conducteur et quiporte tout naturellement le nom degrille,les trous sont repoussés de sa surfaceoù viennent s’accumuler les quelquesélectrons du semi-conducteur. Un petitcanal de conduction peut ainsi se for-mer entre la source et le drain (figure).Lorsqu’une tension négative est appli-quée sur la grille, isolée électriquementpar une couche d’oxyde, les électronssont repoussés hors du canal. Plus latension positive est élevée, plus larésistance du canal diminue et plus cedernier laisse passer de courant.Dans un circuit intégré, les transistors etles autres composants (diodes, conden-sateurs, résistances) sont d’origine incor-porés au sein d’une “puce” aux fonctionsplus ou moins complexes. Le circuit estconstitué d’un empilement de couchesde matériaux conducteurs ou isolantsdélimitées par lithographie (encadré E,La lithographie clé de la miniaturisation,p. 37). L’exemple le plus emblématiqueest le microprocesseur placé au cœurdes ordinateurs et qui regroupe plusieurscentaines de millions de transistors (dontla taille a été réduite par 10000 depuisles années 1960) et bientôt un milliard,ce qui amène les industriels à fraction-ner le cœur des processeurs en plusieurssous-unités travaillant en parallèle!

Le tout premier transistor.

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E

La lithographie optique (ouphotolithographie), appli-

cation majeure de l’interactionparticules/matière, est le procédétraditionnel de fabrication des circuits intégrés. Étape clé de ladéfinition des motifs de ces cir-cuits, elle reste le verrou de leurdéveloppement. La résolutionétant en première approximationdirectement proportionnelle à lalongueur d’onde, la finesse desmotifs a d’abord progressé avecla diminution, qui s’est effectuéepar sauts, de la longueur d’onde λdu rayonnement utilisé.L’opération consiste en l’expositionvia une optique réductrice d’une résinephotosensible à des particules énergé-tiques, depuis les photons ultraviolet (UV)actuellement utilisés jusqu’aux électronsen passant par les photons X et les ions,au travers d’un masque représentant ledessin d’un circuit. Le but ? Transférercette image sur l’empilement de couchesisolantes ou conductrices qui le consti-tueront, déposées précédemment (phasede couchage) sur une plaquette (wafer)de matériau semi-conducteur, en généralde silicium. Ce processus est suivi de ladissolution de la résine exposée à lalumière (développement). Les partiesexposées de la couche initiale peuventêtre alors gravées sélectivement, puis larésine est retirée chimiquement avant ledépôt de la couche suivante. Cette étapede lithographie peut intervenir plus d’unevingtaine de fois au cours de la fabrica-tion d’un circuit intégré (figure).Dans les années 1980, l’industrie de lamicroélectronique utilisait des lampes àmercure délivrant dans l’UV proche (raiesg, h, i), à travers des optiques en quartz,un rayonnement d’une longueur d’ondede 436 nanomètres (nm). Elle gravait ainsides structures d’une largeur de trait de 3 microns (µm). Employées jusqu’au milieudes années 1990, ces lampes ont étéremplacées par des lasers à excimèresémettant dans l’UV lointain (krypton-fluorKrF à 248 nm, puis argon-fluor ArF à193 nm, les photons créés ayant une éner-gie de quelques électronvolts), permet-tant d’atteindre des résolutions de 110 nm, et même inférieures à 90 nm avec de nouveaux procédés.Le Laboratoire d’électronique et de tech-nologie de l’information (Leti) du CEA aété un des pionniers, dans les années1980, dans l’utilisation des lasers en

lithographie et dans la réalisation descircuits intégrés par les lasers à exci-mères, qui constituent aujourd’hui lessources employées pour la productiondes circuits intégrés les plus avancés.Pour l’industrie, l’étape suivante devait êtrele laser F2 (λ = 157 nm), mais cette litho-graphie a été quasiment abandonnée faceà la difficulté de réaliser des optiquesen CaF2, matériau transparent à cettelongueur d’onde.Si la diminution de la longueur d’onde desoutils d’exposition a été le premier facteurà permettre le gain en résolution consi-dérable déjà obtenu, deux autres ont étédéterminants. Le premier a été la mise aupoint de résines photosensibles baséessur des matrices de polymères peu absor-bantes aux longueurs d’onde utilisées etmettant en œuvre des mécanismes de

propagation de l’énergie reçuetoujours plus innovants. Lesecond a consisté en l’améliora-tion des optiques avec une dimi-nution des phénomènes parasitesliés à la diffraction (meilleure qua-lité de surface, augmentation del’ouverture numérique).Au fil des années, la complexitéaccrue des systèmes optiques a ainsi permis d’obtenir des réso-lutions inférieures à la longueurd’onde de la source. Cette évo-lution ne pourra se poursuivre sans une rupture technologiquemajeure, un saut important enlongueur d’onde. Pour les géné-

rations des circuits intégrés dont la réso-lution minimale est comprise entre 80 et50 nm (le prochain “nœud” se situant à 65nm), différentes voies basées sur la projection de particules à la longueurd’onde de plus en plus courte ont été misesen concurrence. Elles mettent respecti-vement en œuvre des rayons X “mous”, en extrême ultraviolet (dans la gamme des 10 nm), des rayons X “durs” (à la lon-gueur d’onde inférieure à 1 nm), des ionsou des électrons.L’étape consistant à atteindre des réso-lutions inférieures à 50 nm conduira às’orienter plutôt vers la nanolithographieà l’aide d’électrons de basse énergie(10 eV) et d’outils plus adaptés comme lemicroscope à effet tunnel ou l’épitaxiepar jets moléculaires (encadré C) pour laréalisation de “super-réseaux”.

La lithographie, clé de la miniaturisation

Zone de photolithographie en salle blanche dans l’usineSTMicroelectronics de Crolles (Isère).

Figure. Les différentes phases du processus de lithographie dont le but est de délimiter les couchesde matériaux conducteurs ou isolants qui constituent un circuit intégré. Cette opération estl’enchaînement d’un étalement de résine photosensible, de la projection du dessin d’un masque parune optique réductrice, suivis de la dissolution de la résine exposée à la lumière (développement).Les parties exposées de la couche initiale peuvent être alors gravées sélectivement, puis la résineest retirée avant le dépôt de la couche suivante.

Art

echn

ique

étalement de la résine

centrifugationséchage

exposition pas à pas(“step and repeal”)

source

masque

optique de projection

gravureretrait résine

dépôt d’unenouvelle couche

développement