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1 Université Paris Descartes La douleur au XIXème siècle Evolution de son concept et de sa prise en charge dans un contexte de mutation de la pensée médicale et sociale Par Laura CONTENTE Mémoire dans le cadre du D.U Histoire de la Médecine Directeurs de l'enseignement: Pr Fabiani et Pr Berche Année de présentation : 2017

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Université Paris Descartes

La douleur au XIXème siècle

Evolution de son concept et de sa prise en

charge dans un contexte de mutation de la

pensée médicale et sociale

Par Laura CONTENTE

Mémoire dans le cadre du D.U Histoire de la Médecine

Directeurs de l'enseignement: Pr Fabiani et Pr Berche

Année de présentation : 2017

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Remerciements

A Patrick Berche et Jean Noel Fabiani qui dirigent les cours d’Histoire de la Médecine et la

partage avec passion.

A Claude Harel pour son investissement et sa gestion administrative.

A ma mère et mon mari qui m’ont soutenue dans cette aspiration pour l’Histoire de la Médecine

et la rédaction de ce travail.

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Avertissement

Réalisé en parallèle d’une vie professionnelle active en tant qu’ostéopathe dans le but d’enrichir

mes connaissances mais surtout de me permettre un recul concernant la médecine actuelle il n’a

pas la prétention d’une méthodologie ou d’une expertise professionnelle. Fruit de la synthèse

de nombreuses lectures, ce travail est fatalement biaisé par l’interprétation des sources

primaires. Par ailleurs, le fait est qu’il est réalisé dans le contexte d’un enrichissement personnel

sans les bases d’une formation en Histoire ni en méthodologie de mémoire en Histoire. C’est

en tant qu’amatrice avide de toutes ces histoires qui font l’Histoire que je me suis lancée dans

la recherche des réponses aux questions qui gravitaient autour de mon sujet.

Je certifie l’originalité de ce travail.

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Sommaire

REMERCIEMENTS ......................................................................................................................... 2

AVERTISSEMENT .......................................................................................................................... 3

SOMMAIRE .................................................................................................................................. 4

INTRODUCTION ............................................................................................................................ 5

1. RETOUR SUR LA DOULEUR AVANT LE XIXEME SIECLE ........................................................................... 5 2. CONTEXTUALISATION ................................................................................................................ 12 3. PROBLEMATIQUE ET INTERETS ..................................................................................................... 13

CONCEPTION DE LA DOULEUR AU XIXEME .................................................................................. 15

1- DE LA PHASE METAPHYSIQUE A LA PHASE PHYSIOLOGIQUE ................................................................. 15 2- LA PHASE CLINIQUE .................................................................................................................. 25

UTILITE ET PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR ............................................................................. 31

1. LA DOULEUR UTILE ................................................................................................................... 31 2. LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR ............................................................................................ 35

L’EVOLUTION DES MENTALITES A TRAVERS LE CONCEPT DOULEUR .............................................. 44

1. LE DECALAGE ENTRE LA THEORIE ET LA PRATIQUE ............................................................................. 44 2. LES DEBATS SUR L’ANESTHESIE : ENTRE MEDECINE, ETHIQUE ET POLITIQUE. ............................................. 48 2 LA PLACE DES MEDECINS ET DE L’EGLISE .......................................................................................... 51

DISCUSSION ............................................................................................................................... 54

1. UN CONTEXTE DISPOSE AUX INNOVATIONS ..................................................................................... 54 2. LA PHILOSOPHIE DE LA DOULEUR : LES EFFETS DU POSITIVISME ............................................................ 56 3. LES PREMICES D’UN SIECLE DE DECADENCE ...................................................................................... 58

CONCLUSION .............................................................................................................................. 60

ANNEXES ................................................................................................................................... 63

BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 69

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Introduction

« J’ai mal docteur »

Seul en cabinet, sur un terrain de sport ou humanitaire, à l’hôpital, sous son toit ou celui d’un

autre_ les mots l’entourent et semblent danser autour de son corps, comme pour le bercer ils le

poursuivent sans discrétion. Bien que leur présence le conforte parfois, souvent leur éminence

le percute comme ils le définissent. Qu’ils viennent d’un enfant, du sien ou d’un autre, d’un

ami ou d’un étranger, d’un sportif ou d’un ouvrier, la plainte reste fidèle. Elle est pour lui

comme l’arme du soldat, difficile à porter et indispensable à la fois. Il la craint et la demande.

Il a 2477 ans, 1887 ans, 507 ans, 251 ans ou 50 ans. Il s’appelle Hippocrate, Galien, Ambroise,

Jean-Dominique ou autre. Ils sont médecins et/ou chirurgiens. Au-delà de s’intéresser à rétablir,

préserver et promouvoir la santé ils sont sur la ligne de front des plaintes qui affluent, parés à

réfléchir, agir et lutter pour la santé.

Aujourd’hui comme à l’époque hippocratique, hellénistique et galénique ils placent les

plaintes du patient au centre de leurs préoccupations au premier rang desquelles la douleur.

1. Retour sur la douleur avant le

XIXème siècle

Afin de comprendre le contexte de la conception de la douleur au XIXème siècle il est

indispensable de revenir sur son évolution depuis l’Antiquité.

1.1 L’Antiquité

A l’époque gréco-romaine, les manifestations physiques et naturelles sont considérées

comme des interventions divines. La douleur est un châtiment divin. Au IVème siècle avant JC,

les théories philosophiques dégagent la médecine de l’influence religieuse. Aristote approfondit

la théorie de Platon selon laquelle le cœur est le centre de l’âme et demeure le centre de toutes

les fonctions. Le cœur est selon lui le siège des cinq sens et de la douleur est une augmentation

de la sensibilité aux différentes sensations dont le toucher. Parallèlement, Démocrite et

Hippocrate de Cos déclarent que la maladie est un phénomène naturel et non divin. Hippocrate

est le premier à désacraliser la maladie et la douleur. Grâce à une observation clinique

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rigoureuse, il élabore un modèle de soin et de prévention basé sur l’équilibre de ses quatre

humeurs : la bile noire, la bile jaune, le sang et le phlegme. Malgré l’assiduité de ses écrits et le

soutien de nombreux philosophes, face au peu d’efficacité des traitements, beaucoup continuent

de croire que la douleur est issue de la colère divine. A Rome, Celse et Galien reprennent et

approfondissent le modèle hippocratique. Grâce aux dissections animales, Galien démontre le

rôle conducteur des nerfs et localise l’âme rationnelle, siège du pneuma psychique dans le

cerveau et le pneuma sensoriel dans le cœur. Pour Galien comme pour les deux philosophies

importantes de l’ère Gréco-romaine, stoïcisme et épicurisme, la douleur n’a aucune finalité

utile.

Dans l’Antiquité, alors que la douleur est un châtiment divin, les centres médicaux sont

les sanctuaires. En ces lieux de guérison, les malades sont mis en relation avec les prêtres-

médecins qui officient pour intercéder avec la divinité de manière à faire taire son courroux.

On soigne par des ablutions, des purifications, des processions, des incantations et par des

offrandes. Une phase importante consiste en l’incubatio, qui passe par le rêve afin de chercher

la guérison. La médecine romaine se veut différente de la médecine hellénistique mais, au

départ, elle s’en inspire fortement puisqu’elle ne se développe qu’après l’arrivée des médecins

grecs. Les Médecins de Rome utilisent davantage la pharmacopée dont Diascoride en dresse un

inventaire remarquable de 900 substances dans le De Materia Medica sous des formes très

diverses : infusions, décoctions, lavements, bains, emplâtres, poudres, pâtes ou comprimés. On

utilise la camomille, la rue et le safran pour leur effet emménagogue, le lys pour panser les

brûlures ou encore le ricin comme laxatif. La gestion de la douleur est, en effet, le principal

problème des médecins, dentistes et chirurgiens. On recourt à des recettes destinées, sinon à

obtenir une anesthésie véritable, du moins à abrutir suffisamment le patient pour produire une

sédation. Le chanvre et l’opium en décoction sont ainsi utilisés dès la plus haute Antiquité en

Orient, la « pierre de Memphis » (un jaspe) dans l’Égypte ancienne, des mélanges savants de

jusquiame, belladone, suc de pavot, ciguë, mûre, chanvre indien et mandragore que les Romains

mêlent à du vin. L’opéré est enivré avec du vin ou de l’esprit-de-vin mélangé à diverses drogues.

Les matières animales sont également largement employées et sans doute très anciennement

connues. En marge de produits comme le beurre, le miel, l’œuf ou le lait, sont citées des

substances animales plus saugrenues comme les toiles d’araignée, l’urine, les fientes de lièvre

ou de mouton ou les sécrétions du castor (castoréum). Si les premières restent sans doute

inefficaces et renvoient au domaine de la magie, il est assuré que le castoréum faisait partie du

traitement de nombreuses maladies parmi lesquelles l’épilepsie ou les céphalées (1).

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1.2 Le Moyen-Age

Le Moyen Age en Occident est connu pour son immobilisme voire sa régression par

oubli des acquis. Le savoir hippocratique est recueilli par l’Orient et la traduction des textes

assurent le savoir au monde arabo-islamique en pleine évolution. L’œuvre de Galien, inspirée

du modèle hippocratique influence la médecine jusqu’au XVIIIème siècle. Le Moyen-Age en

Occident est dominé par l’influence du Christianisme sur le comportement face à la douleur.

Le Haut Moyen Age (Vème-Xème) est marqué par les textes de l’Ancien Testament qui

exhortent les patients à souffrir en silence comme le Christ. La douleur redevient une punition

divine mais elle a aussi une valeur expiatoire. La douleur est utile à absoudre ses pêchés jusqu’à

l’accomplissement de peines corporelles. La valeur rédemptrice de la douleur est accentuée par

les théologiens du XIIème siècle qui introduisent le Purgatoire entre le Paradis et l’Enfer. Si

l’époque est scientifiquement infertile, le Nouveau Testament permet le développement de la

charité compassionnelle et le développement de nombreux ordres monastiques et laïques.

Même si la valeur rédemptrice de la douleur est toujours revendiquée, ce sont les moines eux-

mêmes qui cultivent de nombreuses plantes médicinales. Ils sont les médecins de l’époque qui

voit naitre les premiers hospices.

Au Moyen-Age, le principe du traitement consiste à lutter contre le mal par son

contraire : l’humide contre le sec, le chaud contre le froid… d’où l’emploi de

remèdes « anodins » (contre la douleur) refroidissants. Le cadre théorique est galénique mais

les sources concernant les remèdes sont plus diversifiées : en plus de la Matière Médicale de

Diascoride et des médicaments décrits par Galien, un certains nombres de remèdes populaires

trouvent leur place grâce aux nombreux herbiers et antidotaires. Les pratiques, notamment dues

à la puissante influence du christianisme, montrent que la douleur quand elle est éprouvée est

occultée. Il y a une indifférence totale pour elle sauf quand elle peut amener au suicide. Pourtant

malgré ces faits et s’il est évident que l’Eglise s’est emparée de la douleur pour lui donner un

sens il est également indéniable que les Hommes, humains avant tout, sont prêts à utiliser la

médecine non officielle pour soulager les souffrances comme les « éponges somnifères » ou

encore l’usage de l’opium.

1.3 La Renaissance

A des calamités peu maitrisables comme les épidémies qui sont interprétées comme des

manifestations de la colère de Dieu s’ajoutent la fureur des Hommes incarnées par les guerres

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de conquête ou de Religion dont les conditions s’aggravent par leur durée, la nature des

blessures, le nombre de morts et la violence des massacres. C’est une période pendant laquelle

se multiplient dans les arts les représentations funestes et religieuses (Descente de la croix,

Mater dolorosa, Pietà…) comme une complainte continue dans laquelle la population se

réfugie. Au cours de ces atrocités s’émancipent des esprits libres d’interprétation religieuse qui

ne pensent pas les maux du monde en termes collectifs comme des châtiments divins mais se

concentrent sur l’expérience individuelle et strictement humaine de la douleur et la maladie. La

Réforme ou encore le renouveau de l’anatomie (permise par les dissections notamment) sont

quelques-unes des raisons qui peuvent expliquer un nouveau rapport au corps « non plus perçu

comme simple enveloppe charnelle (…), non plus transfiguré dans ses souffrances par

l’imitation de Jésus-Christ (…) mais du corps assumé dans la vérité de ses sensations, dans son

mélange de douleurs et de joies » (2).

Tous les grands traités de médecine de cette époque témoignent de la permanence du

Galénisme comme modèle physiologique et pathologique et malgré les innovations de la

chirurgie de guerre et le développement de l’anatomie il n’y pas de gain immédiat dans la

connaissance des mécanismes de la douleur.

Aux remèdes précédemment utilisés toujours basés sur l’indication d’opposer à la

maladie son contraire, apparaît l’utilisation de la ligature non seulement à titre d’hémostase

mais aussi avant l’amputation pour insensibiliser la zone. Cette nouvelle technique remplace

les « éponges somnifères » tombées en désuétude au cours du Moyen Age. Par ailleurs il existe

toutes sortes de préparations médicamenteuses destinées à soulager la douleur destituée de sa

valorisation stoïcienne ou chrétienne comme l’huile de vitriol, les décoctions à base d’orge, de

suc de laitue, de fleurs de camomille etc…Les épices font partie d’une pharmacopée luxuriante

à laquelle il fut toujours ajouter les purgations, saignées, scarifications et vésicatoires. Pour la

réussite d’une chirurgie, Ambroise Paré souhaite la coopération du patient qui est pour lui une

condition essentielle pour obtenir la guérison. Cette affirmation s’inscrit dans une pensée

médicale où l’état d’esprit influence profondément la marche des évènements morbides ou

salutaires.

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1.4 L’âge classique

La publication de W. Harvey en 1628 concernant la description de la circulation

sanguine marque une rupture avec l’héritage galénique et ouvre la voie pour une majorité de

médecins qui osent proposer de nouveaux modèles d’explications contestant ceux des Anciens.

Ces nouvelles propositions s’inscrivent dans un contexte de mécanisme triomphant à cette

époque dans les sciences de la nature (mouvement des corps, calcul des vitesses…) dont la

médecine s’inspire largement en concevant le corps humain comme une machine complexe

dans laquelle toutes les nouvelles théories concernant son fonctionnement ne sont acceptées

que si rigoureusement démontrées. Descartes s’inscrit dans cette démarche et définit les nerfs

comme des tuyaux à l’intérieur desquels des « petits filets » sont tirés à la manière de corde

permettent la transmission des sensations au cerveau. Il situe le centre de perception de la

douleur qu’il appelle « le centre de l’âme » au niveau de la glande pinéale. Concernant la nature

de ce qui est transmis par les nerfs, Descartes décrit les « esprits animaux » comme agents de

la transmission nerveuse poussés par la chaleur du cœur toujours en mouvement à la manière

du schéma circulatoire harveyen. Pour Willis, le cervelet est la source des esprits animaux de

l’âme sensitive et il se pose la question de la douleur dans le cadre des mouvements reflexes

également observés chez les animaux. Dans son système, il décrit que lorsque la sensation

désagréable parvient au cerveau, elle est reléguée au cervelet dont les esprits animaux troublés

déclenchent des modifications de pouls, respiration, spasmes etc. Descartes et Willis, ce dernier

introduisant une dimension chimique et s’appuyant sur des bases anatomiques plus riches,

cherchent à donner des bases matérielles de la sensation en accordant un rôle déterminant aux

esprits animaux fabriqués à partir du sang. Il s’agit là de deux scientifiques qui offrent une belle

image de la transition qui s’opère entre une volonté de rationnaliser la physiologie comme une

machine et l’ancrage permanent des concepts galéniques de « l’âme » ou encore des « esprits

animaux », sorte de « pneuma psychique ». Tout se passe comme si la répartition des rôles entre

Eglise et Médecine est bien établie. Si du côté médical la douleur ne suscite qu’une réaction qui

est la recherche du soulagement et que les débats sur l’opium restent purement scientifiques et

en aucun cas théologiques ; l’Eglise, elle, cherche à un donner un sens à la douleur. Les discours

de l’Eglise veulent apaiser et consoler mais ne paraissent pas dicter le comportement des

médecins. Ceci étant, le fait de devoir supporter la douleur n’est pas un choix pour l’écrasante

majorité de la population qui est pauvre et en milieu rural dépourvue d’assistance médicale.

Ainsi le prêtre de proximité pallie à l’absence de la médecine. Il faut nuancer l’influence de la

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religion compte tenu du large champ des courants à cette époque qui ont chacun une conception

du corps et de la douleur différentes.

A l’âge classique, les opiacés dont le laudanum de Sydenham sont utilisés pour bien des

maux mais aussi largement pour calmer les douleurs diverses surtout en Angleterre. En France,

le poids du galénisme et la réticence à se conformer aux iatrochimistes et paracelsiens qui

préconisaient son usage, restent vivaces.

1.5 Le siècle des Lumières

Le siècle des Lumières est marqué par la laïcisation de la pensée médicale et le

développement de l’observation clinique. La philosophie au cours de ce siècle selon laquelle

l’individu a besoin de connaître les choses qui sont transmises à sa conscience par ses sens

explique la volonté de comprendre le mécanisme des sensations. De nouveaux courants de

pensée s’opposent clairement à la théorie du châtiment divin ou de la douleur providentielle et

l’étude de la douleur se détache de la religion. Différents courants philosophiques se côtoient,

se complètent ou s’opposent: certains insistent sur l’utilité de la douleur sous l’influence de la

philosophie naturaliste tandis que d’autres s’expriment sur la nécessité d’évacuer la douleur par

des cris et des gémissements à l’instar des anciens remèdes basés sur l’évacuation des humeurs.

Pour d’autres encore, la douleur ne doit surtout pas être occultée car c’est un élément précieux

du diagnostic. Dans l’Encyclopédie, la douleur est définit comme un signal d’alarme. La

douleur est classifier selon quatre grands types et se déchargent des effets de vocabulaire qui

lui étaient attachés depuis l’Antiquité, elle devient donc tensive, gravative, pulsative ou

pongitive. Dans le but de proposer de nouvelles thérapeutiques, de nouveaux systèmes

émergent et notamment trois grandes théories concernant le fonctionnement humain :

mécaniste, vitaliste et animiste. Pour les mécanistes, le corps est un ensemble de fibres solides

combinées à la physiologie humorale. Selon eux, la source de la douleur est à chercher dans

l’étiologie de la maladie et le traitement repose donc sur l’application de son contraire (à la

tension on propose le relâchement, à l’acide la base etc…). Ils considèrent le système nerveux

comme un réseau de tuyaux creux qui véhiculent les esprits animaux constituant un système

logique et matérialiste dans un contexte de physiologie humorale. Pour leur part, les vitalistes

(Cabanis notamment) considèrent la douleur comme un pendant du plaisir, tous deux

constituants la sensibilité ils sont également nécessaires à la vie. Pour les vitalistes, l’animisme

est l’exact opposé du mécanisme dans la mesure où les animistes considèrent le corps comme

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un objet ne pouvant fonctionner sans l’intervention d’une force supérieure qui est l’âme. Selon

eux, la douleur est l’interprétation de la souffrance de l’âme et de l’effort de cette dernière pour

se débarrasser de la stimulation désagréable. C’est une sanction de la nature aux écarts de

régime et/ou un conflit entre les exigences des besoins de l’individu face à celles de la vie en

société.

Au cours de cette période, il est admis par la majorité que la douleur soit soulagée avant

ou en parallèle du traitement de la maladie. L’emploi de l’opium étant démystifié, son utilisation

n’est plus un sujet à controverse. Avant de proposer un traitement, la médecine doit statuer le

type de thérapeutique (expectante ou agissante) et la fonction qu’il doit remplir : s’il doit être

analogue au mal ou contraire au mal. En face de la médecine humorale, différentes doctrines

médicales convergent vers la croyance en l’existence d’une propriété vitale. Le but de la

thérapeutique devenant donc de raviver « l’Energie vitale », les effets de la nature pour lutter

contre le mal sont observés afin d’être provoqués ou exagérés par le traitement curatif. La

stimulation est valorisée notamment par le développement de l’électricité médicinale. Dans le

cadre de la thérapeutique par perturbation pour raviver cette énergie, plusieurs auteurs

proposent des moyens permettant de provoquer une douleur aigue pour traiter une douleur

chronique. Si la médecine se détache de la Religion, des pratiques trouvent leurs sources dans

les siècles précédents influencés par le dogme chrétien : les traitements magico-religieux, les

croyances populaires et les remèdes empiriques. Depuis la Renaissance, la chirurgie fait de

nombreux progrès mais le soulagement de la douleur n’est pas nécessaire à la manœuvre ce qui

explique que les moyens antalgiques ne soient pas très développés : les éponges soporifiques

ne sont pas utilisées dans ce cadre, l’éther n’est prisé que comme tonique et la préparation des

opiacés est sous dosée. Certains chirurgiens pratiquent la compression avant l’amputation

autrement la pratique la plus courante reste l’enivrement par le vin chaud.

En résumé, la conception de la douleur bien qu’évoluant perpétuellement reste la source

de maintes interrogations, discussions et expérimentations depuis l’Antiquité. Le Moyen-Age

est marqué par un ralentissement dans l’effusion d’idées nouvelles. L’époque, bien que souvent

décriée comme une vaste perte de temps et qualifiée d’inutile voire délétère au savoir aura

certainement été nécessaire au regain d’intérêt pour l’Homme observée à la Renaissance,

comme un souffle de vie puissant et inébranlable traversant tous les esprits insoumis à la fatalité

et avides de changement. Bien sûr, l’âge classique amorce de grandes découvertes et pourtant

à l’aube du XIXème siècle, les idées galéniques et la médecine traditionnaliste reste la base de

la pratique médicale.

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2. Contextualisation

2.1 Le décalage entre hier et aujourd’hui

Aujourd’hui définie comme une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable,

associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans ces termes selon l’IASP

(International Association for the study of pain), les mécanismes de la douleur sont de mieux

en mieux connus. A la lumière des observations rétrospectives concernant le concept de la

douleur de l'Antiquité au XVIIIème et des données actuelles quant à sa compréhension et sa

prise en charge, il est indéniable qu'il existe un décalage immense entre la fin du siècle des

Lumières et notre ère. Si son concept et sa prise en charge n'ont pas significativement évolué

pendant les dix-huit siècles précédents, le XIXème siècle paraît se définir comme un renouveau

ayant permis une mutation fulgurante dans son étude et sa conception.

2.2 Le contexte historique du XIXème siècle

D’un point de vue politique, le XIXème siècle est une période de profonds changements

et d’instabilité. Si la Révolution Française se termine en 1799 avec le coup d’Etat des

brumairiens, ce n’est que dans le dernier quart du siècle que la France trouve enfin son équilibre

politique républicain dont les insurgés avaient rêvé en 1789. Les mutations s’opèrent lentement

sur fond de crises et de ruptures : deux empires (1803-1814 ; 1852-1870), trois monarchies

(1815-1824 ; 1825-1830 ; 1830-1848), trois républiques (1792-1804 ; 1848-1852 ; 1870-1940),

trois révolutions (1830 ; 1848 ; 1871) témoignent des vives turbulences qui agitent les esprits

des contemporains XIXème. Les paysages changent. Les campagnes verdoyantes sont envahies

pars des usines, des canaux, des installations minières, des fabriques, ou des entrepôts. Les

paysans migrent pour aller travailler dans ces usines et se retrouvent logés dans des quartiers

misérables. Ils deviennent des ouvriers, qui ignorent encore leur condition de prolétaires. C’est

l’émergence d’une nouvelle classe, celle du prolétariat et des ouvriers, moins conservatrice que

les paysans. Profitant de l’affaiblissement de l’influence de la noblesse et du clergé sur les

affaires du pays, la bourgeoisie libérale et réformatrice s’affirme comme la classe sociale

déterminante, stimulant l’essor industriel (3).

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3. Problématique et intérêts

3.1 Objectifs

Ce travail a pour intérêt principal d’étudier la douleur dans ses conceptions scientifique

et philosophique, de sa définition à sa prise en charge au cours du siècle afin de comprendre les

modalités de cette évolution. Par ailleurs, la mise en lumière de certains bouleversements

contemporains médicaux et sociétaux permettent de mettre en perspective l'évolution du

concept de la douleur dans son contexte de mutation des mentalités.

Dans un premier temps, l’étude des différentes définitions de la douleur au cours du

siècle dans les dictionnaires médicaux permettent d’analyser ses modifications autant sur le

fond que sur la forme. Dans un second temps et à partir de ces mêmes dictionnaires comparés

à d’autres travaux actuels ou contemporains du XIXème, l’exploration des différentes

tendances concernant l’utilité de la douleur permet également de mettre en perspective les prises

en charge qui lui sont attribuées au cours du siècle. Enfin, l’investigation de certains

changements scientifiques, philosophiques ou sociétaux du XIXème permet d’établir des liens

plus ou moins directs avec les évolutions observées dans le processus de compréhension et

d’appropriation de la sensation douloureuse.

En d’autres termes, si l’obectif principal est l’étude de la douleur d’un point de vue

médical, de sa compréhension à sa prise en charge, ce travail a également pour objectifs

secondaires la mise en parallèle de son évolution avec les mutations de la société

contemporaine.

3.2 Intérêts

Les intérêts de ce travail sont de plusieurs ordres. Réalisé dans le cadre d’un D.U en

Histoire de la Médecine en vue de l’obtention du diplôme il a d’abord une vocation pédagogique

inévitable tant sur le plan de la méthode que sur le sujet en lui-même. De longue haleine, il

s’agit d’un travail qui permet, au-delà d’assouvir une curiosité débordante, de repousser sans

cesse la soif de connaissances, une question en engendrant une autre, tout en se bornant à un

sujet d’étude. Amatrice d’Histoire et ostéopathe de métier, ce travail présente bien évidemment

un intérêt à la fois personnel et professionnel. Les moments de recherche et lecture sont des

instants très agréables et la compréhension de la douleur dans l’évolution de son concept change

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la vision et la pratique de la prise en charge du patient. Effectivement, la compréhension de la

notion dans toute sa complexité à travers son histoire permet de relativiser la prise en charge

actuelle compte tenu de ce qu’elle a pu être et ce qu’elle pourrait être et d’ajouter de nouvelles

données dans la relation patient/praticien.

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Conception de la douleur au

XIXème

En parcourant les différents dictionnaires de médecine, de chirurgie ou encore de

sciences vétérinaires, le but de cette première partie est de resituer le concept de la douleur au

XIXème siècle : comment sa définition est-elle abordée? Quelles sont les caractéristiques qui

la décrivent et sous quels aspects est-elle comprise ?

En parcourant les dictionnaires de médecine, de chirurgie, de sciences vétérinaires du XIXème

siècle, il apparaît une nette évolution du concept tant sur le fond que sur la forme.

Sur le fond, la part des longues descriptions cliniques et remarquables concernant notamment

la variabilité de la douleur (selon l’âge, le sexe ou tempérament) ou encore ces différentes

formes d’expression ou adjectifs qualificatifs selon sa nature et sa cause laissent place aux

explications physiologiques basées sur l’expérimentation. Sur la forme, l’évolution de la

stylistique est le reflet du scientisme contemporain. La médecine expérimentale dont les bases

sont introduites par Magendie et Flourens et formulées par Claude Bernard influence même la

littérature et inspire jusqu’à Zola qui abandonne son style habituel pour se rapprocher des codes

de la médecine expérimentale dans Le roman expérimental notamment.

Dechambre (4) décrit trois phases conceptuelles de la douleur en leur imposant une

chronologie : la phase métaphysique est ainsi suivie de la phase physiologique puis de la phase

clinique. Si cette chronologie sera remise en question ultérieurement, les caractéristiques de ces

trois phases, que nous préfèrerons considérées comme des conceptions sans valeur temporelle,

restent vérifiables et nous permettent d’axer notre première partie.

1- De la phase métaphysique à la

phase physiologique

1.1 La phase métaphysique

Selon la loi des trois états d’Auguste Comte (5), l’humanité dans son histoire et dans les

recherches propres à une discipline passe nécessairement par trois étapes. Le siècle des

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Lumières permet la transition entre la première étape dite théologique et la seconde étape

métaphysique ou philosophique. Bien connus pour toutes leurs idées nouvelles et le refus de

l’explication de tous les phénomènes par la religion, les philosophes proposent l’explication

des choses par des entités abstraites comme la Raison, l’Infini, l’Absolu, la Nature ou encore la

Vie. La personnification de ces idées abstraites leur donnent l’efficacité de justifier la nature

comme seul agent de ce qui est au contraire de l’étape religieuse qui fait intervenir des agents

surnaturels ou des divinités. Cette conception métaphysique de la douleur très présente au

XVIIIème siècle est rapidement remplacée par le troisième état défini par A. Comte qui n’est

autre que l’état positif ou scientifique mais elle reste néanmoins très présente notamment dans

la première moitié du XIXème siècle. Il paraît essentielle de lui dédiée quelques lignes car elle

reste un courant important sinon majoritaire à la fin du XVIIIème et à l’orée du XIXème et

constitue une facette du pendant traditionnaliste de la médecine contemporaine. Par ailleurs, il

serait difficile de comprendre l’immense évolution dans la conception de la douleur au court de

ce centenaire sans en exposer en amont les bases de réflexions.

La douleur métaphysique

Dans son commentaire sur l’histoire de la douleur du dictionnaire encyclopédique des

sciences médicales en 1884 (4), A. Dechambre décrit une phase « métaphysique » de l’histoire

de la douleur caractérisée par la confusion entre la douleur morale et la douleur physique. Selon

lui, cette période pendant laquelle « les écrivains exerçaient à l’envi de leur plume plus souvent

que leur sagacité » prend fin avec l’avènement du siècle. Cette phase métaphysique est

caractérisée par la raison seule de la douleur, parce qu’elle existe « au-delà » et

indépendamment de l’expérimentation. Durant cette période, la douleur est décrite telle qu’elle

est perçue et ressentie, telle qu’elle apparait sans tentative de normaliser le concept.

L’introduction du Discours sur la douleur de M-A Petit (1799) (6) est un parfait exemple de

cette conception dans laquelle la vulgarité du vocabulaire et la ponctuation expressive évoquent

davantage une scène de tragédie classique qu’une définition rationnelle (Intégralité de

l’introduction en Annexe 1).

« Citoyens

Je viens vous entretenir un moment d'un de vos ennemis ; de l'éternel ennemi du genre

humain : d'un tyran qui frappe, avec une égale cruauté, l'enfance et la vieillesse, la faiblesse

et la force ; qui ne respecte ni les talents, ni les rangs ; qui n'est jamais attendri par le sexe

ou par l'âge ; qui n'a point d'amis à épargner, point d'esclaves à ménager ; qui frappe sa

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victime au milieu de ses amis, dans le sein des plaisirs, et sans craindre l'éclat du jour plus

que le silence des nuits ; contre qui la prévoyance est vaine, et la défense d'autant moins

sûre, qu'il semble s'armer contre nous de toutes les forces de sa nature.

A ce fidèle tableau, vous m'avez tous compris ; vous avez reconnu l'ennemi de la félicité

humaine, et la douleur est le tyran que je n'osois vous nommer. La douleur ! »

Sa tirade qui s’annonce comme un appel à la prise de conscience collective d’un ennemi

commun reflète l’universalité de la douleur qui touche tous les Hommes : inhérente au genre

humain, elle se définit d’abord par son existence même. Toutes les métaphores et figures de

style se mettent au service de la définition en y ajoutant une valeur argumentative subjective et

poétique. Plus loin, il définit la douleur à la manière des philosophes antiques comme « cet état

d’âme (…) que le corps éprouve (…) dans les altérations qui en dérangent l’harmonie ». Si cette

définition se veut plus impartiale, elle reste très sensible dans ses termes qui dénotent

l’affectivité liée à la douleur. Cette définition reflète l’exaltation pour les capacités de l’Homme

et sa mise sur un piédestal au XVIIIème siècle.

La mutation des idées : vers l’état positif ou scientifique.

Déjà avant le début du XIXème, le siècle des Lumières est marqué par une volonté

d’universaliser les connaissances sur la base d’observations objectives vérifiables et de

raisonnements rigoureux. Cet état scientifique renonce à expliquer la cause des choses ou les

interpréter et se contente d’établir des lois soit des rapports constants. L’ambition ultime de cet

état est d’établir une loi unique dont on pourrait tirer toutes les autres. C’est au XIXème que le

développement d’idées et philosophies concernant les théories médicales contribue à la

propagation d’un courant partisan d’une nouvelle médecine en rupture avec l’empirisme

traditionnel. Entre autres, Bichat et Cabanis sont des exemples représentatifs de ces savants

dont les aspirations philosophiques se sont traduites dans les faits en transformant la pratique

médicale par la mise en place de nouvelles normes du savoir (7). De son côté, Bichat rompt

avec le cumul des connaissances et savoirs disparates et parfois contradictoires hérités des

siècles précédents. Il propose un véritable discours de la méthode médicale dans lequel il s’agit

d’accomplir un travail d’investigation systématique et de discrimination permettant de retenir

des schémas reproductibles, vérifiés et vérifiables, sur lesquels un raisonnement logique et

universel peut être monté. Cabanis quant à lui contribue à la diffusion du matérialisme,

philosophie selon laquelle la seule chose pouvant être considérée comme existante est la

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matière. Si sa comparaison de la production de pensée par le cerveau à celle des sécrétions de

l’estomac est caricaturale, elle a le mérite de valoriser l’observation et la conception de

l’existence d’éléments physiques expliquant les phénomènes naturels bien qu’invisibles à l’œil

nu.

C’est dans ce contexte que la « phase métaphysique » que décrit Dechambre laisse place

à la « phase physiologique » qu’il décrit comme « l’heure de l’expérimentation et des

recherches de laboratoire : la discussion s’ouvre alors sur la nature même de la douleur

physique ».

1.2 La phase physiologique

Distinction entre douleur physique et douleur morale

La distinction entre les deux types de douleurs peut se justifier selon deux arguments et

plusieurs explications peuvent être avancées pour comprendre cette mutation au-delà de la

volonté de rompre avec l’empirisme pour une médecine rationnelle.

Reconnaissance de deux types de douleurs distinctes

D’abord, cette distinction passe par la reconnaissance de deux douleurs et la

classification distinctes de leurs caractéristiques propres qui se retrouvent déjà en 1814 dans le

Dictionnaire des sciences médicales édité par Panckoucke (8). Les auteurs distinguent

clairement la douleur physique et la douleur morale.

« La douleur physique est une lésion de la sensibilité animale ; elle dépend de l’altération

d’un organe susceptible de transmettre à la masse cérébrale l’impression qu’il a reçue. (…)

On appelle douleur ou peine morale, celle qui ne tient point au trouble et à l’altération des

parties solides et fluides de l’organisme, mais qui tire son origine de nos passions soit

débilitantes, soit excitantes »

Cette distinction est précisée dès le début du siècle et encore quelques années plus tard

notamment dans la Première et Seconde édition du Dictionnaire de médecine de Adelon (1823

et 1835) (9) qui définit la douleur morale comme la tristesse, le chagrin, la colère ou la frayeur.

Dans cette première moitié du XIXème, la douleur morale est située sur le même plan que la

douleur physique : les deux sont comparées et aussi bien décrites tant du point de vu de leurs

caractéristiques que de leurs effets.

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« Comme la douleur physique, c’est par des sensations que la douleur morale pénètre en

nous ; mais il est à observer que le cerveau, après en avoir eu la perception, réagit sur les

organes épigastriques ».

Par ailleurs, les liens entre les deux douleurs sont étudiés et décrits précisément aussi bien les

effets de la douleur physique sur le moral que des conséquences des affections morales sur l’état

physique.

« L’étroite dépendance sous laquelle le physique retient le moral est une vérité démontrée

depuis bien longtemps »

Au début du XIXème, les deux douleurs sont bien différenciées mais cette distinction ne peut

pas suffire à justifier le passage à la « phase physiologique » car elle existe déjà pendant la

« phase métaphysique » et finalement peut-être même bien avant elle.

La disparition de la douleur morale au profit des

« passions »

Ensuite, cette distinction disparait progressivement des définitions suivantes au profit

de l’étude de la douleur physique seule sans que sa définition ne fasse l’objet d’un article à part

entière ou autrement sous le terme de « passions ». Ainsi, « les médecins ont généralement

abandonné au langage vulgaire l’expression de douleur morale » (9). Cette observation est

beaucoup plus représentative du clivage entre douleur physique et morale. D’abord, il

semblerait que la précision entre les deux ne soit plus nécessaire donc sous entendue évidente.

Ensuite, le terme même de « douleur morale » disparait : le mot « douleur » est attribué à la

souffrance corporelle tandis que ce sont les « passions » qui remplacent la « douleur morale ».

Une mutation révélatrice d’une époque

Dans un premier temps, peut-être survient-elle en parallèle du désintérêt des

scientifiques de sciences dures pour la psychologie et proportionnellement à l’évolution de la

psychiatrie qui vit un véritable renouveau au XIXème siècle ? Même si la psychiatrie devient

une spécialité qui se démarque de la « médecine physique » elle n’échappe pas au courant

matérialiste, notamment grâce à Pinel qui privilégie une approche clinique dans l’observation

des maladies et une classification déductive pour éviter la confusion entre les anciens tableaux

pathologiques. De la même manière que Bichat, il fait partie du groupe des médecins

réformateurs qui cherchent à refonder la médecine sur des bases fiables, à la manière des

sciences physiques. Au-delà du désintérêt pour la douleur morale ou « les passions » des

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médecins de la nouvelle ère expérimentale, on pourrait presque deviner un certain dédain pour

ces sciences « molles » qui ne peuvent tirer de schéma universel et reproductible aussi

infaillible que la biologie ou la physiologie.

« Ce sont d’intéressants ouvrages (…) sur la médecine morale ; mais quand on essaie d’en

tirer quelques préceptes bien définis (…) on se trouve comme en présence du vide ». (10)

Dans un second temps, peut-être fallait-il pousser à son échelle extrême la dépersonnalisation

des individus pour réussir à étudier les mécanismes de la douleur et essayer d’effacer la

subjectivité interpersonnelle qui lui est liée pour comprendre qu’elle lui est inhérente ?

Il existe un décalage immense entre la définition de Panckoucke (1814) (8) dans laquelle la

douleur morale « contribue si fréquemment et avec tant de force à l’origine et au

développement des affections physiques de toutes espèces » et Dechambre (1884) (4) qui

dépersonnalise la perception et l’expression de la douleur qui est une « perspectivité associée

au non à une activité psychique, l’individu soumis à une sensation douloureuse juge de la

nature, de la variété ou du siège de l’excitation (…) et enfin, éprouve le sentiment même de la

douleur ». Le patient et toute son histoire devient un sujet d’étude, énième individu semblable

à tous les autres. Certains y voient une évolution visionnaire et indispensable à l’étude des

mécanismes du vivant, d’autres en font un argument de poids expliquant les difficultés qu’ont

pu avoir les physiologistes à cerner la douleur… dans le but de rompre avec la métaphysique,

peut-être que le curseur de la négation des phénomènes non expliqués a-t-il été poussé trop loin

ne permettant pas d’admettre que des faits non encore connus (ici l’inter relation

psychique/physique) et complexes puissent interférer sur le raisonnement ?

Caractéristiques de la douleur

Un signe d’alarme à l’opposé du plaisir

Au début du siècle comme avant, la douleur est considérée comme un signe d’alarme

« c’est presque toujours elle qui nous avertit que la santé chancelle » (11). Comparée au plaisir

dans plusieurs définitions du début du siècle, la douleur et le plaisir seraient tous deux « des

élémens de notre conservation » (8) et auraient les mêmes mécanismes comme le suppose le Dr

Beaude en 1849 n’ayant « qu’une même voie pour nous captiver » (12). Comme d’exact

opposé, Cabanis les décrit comme le paroxysme du malaise pour l’un ou du bien-être pour

l’autre qui sont les deux états très différents des « extrémités sentantes des nerfs » (13). Ainsi,

la douleur informe l’homme ou l’animal d’un danger et lui permet de se mettre en état de

vigilance, tandis que le plaisir « donne la conscience du bien-être de la vie » (8). Ces deux

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sensations régiraient donc l’ensemble des actions d’un individu, l’une devant être fuie « se retire

tout entier » et l’autre recherchée pour aller « au devant des impressions » (13). Au fur et à

mesure du siècle, cette comparaison disparait des définitions avec l’apparition des différentes

théories concernant les mécanismes de la douleur évoqués plus loin.

Un symptôme et non une maladie

Excepté pour Panckoucke en 1814 qui fait un amalgame entre douleur et maladie, les

auteurs sont d’accord pour affirmer que la douleur est un symptôme et non une maladie à

l’exception du cas de la névralgie dans lequel la douleur est essentielle (12) (14). La douleur

est considérée comme un signe systématique annonçant ou accompagnant la maladie « Aucun

dérangement de la santé n’a lieu sans douleur » (8) dont « l’intensité peut indiquer celle de

l’altération morbifique » pour certains (15) ou au contraire selon d’autres pour qui « l’intensité

de la douleur non proportionnelle à la gravité dépend des individus » (12). De ces différentes

appréciations et cette notion même de la douleur symptôme et non maladie découleront les

différentes théories quant à l’utilité de la douleur et son traitement. Ainsi pour Panckoucke, qui

assimile la douleur à la maladie au début du siècle, le traitement du mal consiste au traitement

de la douleur.

Causes de la douleur

Dans les sous parties traitant des causes de la douleur, la classification les définies

comme internes « l’irritation, la tension, le spasme des organes, leur constriction, leur rupture,

les obstructions ou engorgements qui enraient leur fonctions » ou externes « émanent de tous

les objets qui nous environnent, des accidens imprévus qui nous frappent, des instruments que

la chirurgie fait pénétrer à travers nos organes » (8) . Dechambre quant à lui parle « d’activité

irrégulière de l’organisme » pour les causes internes et « d’impressions senties sur les

extrémités et sur les troncs nerveux » concernant les causes externes.

Dans les premières définitions, les douleurs n’ayant pas d’explications « organiques » sont

classées dans les douleurs « imaginaires ». Ces douleurs regroupent celles décrites par les

hystériques, hypocondriaques ou maniaques : « il arrive fréquemment que l’imagination fait

percevoir des douleurs dans les organes intacts » et pour les amputés « ou même dans les

parties qui n’existent plus ». Panckoucke nuance ces propos en ajoutant que les douleurs d’un

membre amputé dépendent «évidemment de la mémoire ».

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En 1831, Andral ajoute que « toutes les sensations, même celles de la douleur, peuvent s’exercer

spontanément, c’est à dire sur de simple souvenirs » et qu’« on aurait tort de conclure que la

douleur qui a lieu dans ce cas soit purement imaginaire » car « elle est toute aussi réelle que

celle que témoigne une lésion physique ».

Mécanismes de la douleur

L’évolution de la description des structures anatomiques et des différentes théories

concernant les mécanismes de la douleur est certainement la plus marquante des rubriques

consacrées à la définition de la douleur au cours du siècle. D’une manière générale et dès le

début du siècle, les auteurs sont d’accord sur le fait que la transmission de l’information

douloureuse nécessite un organe répéteur, un nerf conducteur et un organe de perception qui

est le cerveau. Il est également admis que l’intégrité de ces trois éléments est indispensable à la

perception de la douleur. Il est aussi certain que le cerveau lui-même n’est pas douloureux.

« il est remarquable que ni les nerfs, ni le cerveau, ne jouissent par eux-mêmes de la

propriété de sentir ». (16)

Autant dire qu’au début du XIXème siècle, les connaissances au sujet de la physiologie

nerveuse de la douleur n’en sont qu’à leurs balbutiements et que les questions et zones d’ombre

sont bien plus nombreuses que les certitudes.

Parmi les nombreuses questions qui agitent les foules, « La douleur survit-elle à la

décollation ? », il s’agit d’ « une question curieuse et extraordinaire qui a été élevée et discutée

dans ces derniers temps à l’occasion du supplice de la guillotine » (8). Si «Soemmerring et Sue

ont prétendu prouvé par des expériences, que la douleur peut encore être perçue quelques

instans après que la tête a été séparée du reste du corps » (9), cette affirmation est largement

reniée par Panckoucke et Adelon dès le début du siècle. A chaque époque ces questions

d’actualité…

Une autre question récurrente semble tarauder les scientifiques concernant la douleur ressentie

sur des tissus à priori dépourvus de nerfs.

« les nerfs sont indispensables à la transmission de la douleur. Cependant il est des tissus où

l’on ne peut suivre de nerfs et qui n’en sont pas moins douloureux (moelle osseuse, tissu

fibreux) si c’est tissus n’ont réellement pas de nerfs, ce qui est invraisemblable » (9)

A cette question plusieurs théories se contredisent ou se complètent, certains pensent qu’ « il

existe en eux des moyens méconnus pour transmettre aux nerfs voisins les irritations dont ils

sont le siège » (9), d’autres pensent que l’état morbide y développe la sensibilité (16).

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Les questions existentielles de la douleur sont très bien résumées par Dechambre au milieu de

la seconde moitié du siècle

« Ces phénomènes (…) sont-ils sous la dépendance d’organes constituant par leur ensemble

un système anatomique destiné à la sensibilité douloureuse ? Doit-on voir dans la douleur

quelque chose de spécifique ? Dans l’affirmative, existerait-il, à côté des autres appareils

sensoriaux et des autres sens, des organes et un sens de la douleur ? Ou bien, la douleur est-

elle la conséquence de différences dans l’excitabilité des extrémités nerveuses ? Ou bien

encore a-t-elle pour organes les appareils nerveux affectés à la sensibilité générale et dans

ce cas ne serait-elle qu’une modalité de cette dernière ?

Concernant les récepteurs de la douleur

Les partisans du « sens de la douleur »

Ils pensent que la douleur est un sens comme les cinq autres classiquement reconnus par

les philosophes antiques et dépendrait donc d’organes nerveux impressionnables spécifiques à

la douleur. Selon eux et comme le décrit Beaude en 1848 dans son mémoire principalement

clinique il existe deux sensibilités : une sensibilité tactile et une sensibilité douloureuse. Afin

d’assoir leur théorie ils disposent de deux arguments forts : anatomique et clinique.

Anatomiquement, certains tissus sont dépourvus de sensibilité tactile mais possèdent une

sensibilité douloureuse ce qui expliquerait que les ligaments par exemple sont insensibles dans

leur état sain et douloureux s’ils subissent une lésion. Cliniquement, la peau étant le siège de

ces deux sensibilités (tactile et douloureuse) et bénéficiant d’organes impressionnables

spécifiques à chacune des deux sensibilités, on retrouve leur dissociation dans des états

pathologiques dans lesquels les malades peuvent être privés de l’un sans être privés de l’autre.

L’analgésie qui se définit par l’absence de sensation douloureuse se différencie de l’anesthésie

qui se traduit par l’absence de sensation tactile. Ce courant rejoint la théorie de la spécificité.

Les partisans du seuil d’excitabilité

Selon cette théorie qui s’appuie davantage sur l’histologie, il existe de nombreuses

terminaisons nerveuses spécifiques à différentes impressions : thermiques (terminaisons de

Cohnstetin), tactiles (corpuscules de Meissner), à la pression (corpuscules de Pacini) qui sont

distribués partout dans le corps de manière plus u moins dense en fonction des tissus.

L’information douloureuse serait due à une excitabilité plus ou moins grande des terminaisons

nerveuses. Ce courant rejoint la théorie de la sommation.

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Concernant les voies de conduction

De nouvelles questions se posent et se reposent au gré des nouvelles recherches et

auteurs émergeant. Quand Dechambre écrit en 1884 il est classiquement admis que le système

médullaire antérolatéral préside la motricité et que les impressions sensitives sont transmises

dans la partie postérieure de la moelle (Magendie etc). Brown-séquart démontre que dans la

substance grise, les voies de transmission des impressions thermiques forment es parties

centrales tandis que les conducteurs de la douleur les parties postérieures et latérales. Cette

théorie est reprise et confirmée par les expériences de M.Ch.Richet mais malgré ces faits, la

théorie de conducteurs distincts pour les différentes sensibilités soulève des objections.

Beaucoup de physiologistes désapprouvent et n’admettent pas ces conducteurs distincts : les

cordons postérieurs restent la voie de conduction des impressions tactiles et la substance grise

le conducteur sensitif indifférent notamment de la douleur.

Concernant la perception des impressions douloureuses

Il est admis que les conducteurs traversent la protubérance et concourent dans les

pédoncules à la formation de nerf sensitif. Il est également approuvé généralement que durant

ce trajet, des décussations ont lieu dont le siège est discuté (médullaire pour Brown-séquart,

bulbaire pour Meynert). Beaucoup d’études achevées ou en cours à l’époque pendant laquelle

Dechambre écrit prouvent la difficulté de situer le centre de perception de la douleur : « c’est

que jusqu’à présent, à côté des faits pathologiques, d’ailleurs peu décisifs, l’expérimentation au

moyen de lésions localisées des centres nerveux n’a pas donné de résultats concordants entre

eux ». Par leurs nombreuses expériences, Longet, Hitzig et Nothmagel constatent que malgré

l’ablation des lobes cérébraux et autres structures remarquables du cerveau, de la destruction

partielle ou totale des circonvolutions ils ne reproduisent pas la perte de la sensibilité à la

douleur. Le centre de la douleur n’existe donc pas. En parallèle, il est remarqué que l’animal

décérébré crie à la stimulation douloureuse ce qui laisse penser à un une action reflexe sans

activité cérébrale soit à un phénomène sensitivo-moteur selon Vulpian. Ainsi dans le

mécanisme de la douleur, l’intervention de la perceptivité du cerveau n’est pas indispensable.

Par ailleurs, d’autres études concluent que l’intervention du cerveau est nécessaire dans les

troubles d’origine sensorielle mais non dans le cas d’excitations douloureuses des nefs

périphériques. Il existe donc une différence entre les phénomènes de perceptivité de la douleur

et des sensations spéciales. D’autres auteurs placent le siège de perception de la douleur dans

le cervelet ou encore dans le corps strié ou encore dans le plus volumineux des noyaux gris des

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couches optiques… Finalement « un seul fait paraît acquis relativement à la perception de la

douleur, c’est d’abord la conduction des impressions douloureuses jusqu’aux cellules d’origine

du nerf, et plus loin l’intervention des cellules de la zone sensitive comme appareil de

perfectionnement » conclut Dechambre.

2- La Phase clinique

Dans son introduction, Dechambre décrit selon lui la phase contemporaine de la douleur

comme la phase clinique : « Enfin, depuis quarante ans, au lit du malade ou dans les salles

d’autopsie, les médecins, de leur côté, poursuivent cliniquement et anatomiquement l’étude de

symptôme douleur». Ainsi selon lui, la phase « clinique » commence dans les années 1840. Il

est pourtant indéniable que les descriptions cliniques de la douleur : ses variabilités intra et

interpersonnelles, ses effets selon le patient ou encore ses conséquences en fonction de chacun

n’ont jamais été aussi admirablement décrits au cours du XIXème siècle qu’à l’orée de ce même

siècle: lorsque la médecine expérimentale et son vocabulaire scientifique et élitiste n’avaient

pas encore supplanté les observations, évidentes et descriptibles par tous, mais

remarquablement précises des médecins du premier quart de siècle. Comme le précise R. Rey

(2) dans son livre Histoire de la douleur, la phase clinique qui n’est autre que l’intérêt porté aux

formes concrètes de la douleur et à leur valeur sémiologique précède sans aucun doute l’âge de

la médecine expérimentale.

2.1 Différences de la douleur

Le dictionnaire de 1814 (8) est un parfait exemple de cette description clinique des

différences de la douleur. « Le sentiment pénible de la douleur n’est point constamment

identique : il varie selon l’espèce d’impression qu’il excite suivant le siège qu’il occupe et le

genre de tissu organique dont il s’empare ». Ainsi, il déploie au début du siècle une quantité

impressionnante d’adjectifs qualificatifs pour décrire la douleur.

Natures de la douleur

Avant le XIXème siècle, les anciens décrivaient quatre types de douleurs : tensive (ou

divulsive quand la tension est très violente), gravative (sentiment de pesanteur), pulsative

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(sensation de battement des artères) et pongitive ou lancinante (pointue, qui peut être

déchirante, dilacérante ou encore pertérébrante). Les médecins du XIXème y ajoutent une

longue liste de types de douleurs. La force de la médecine clinique transparait ne serait-ce que

par cet effort de qualification des différents états de sensibilité désagréable ainsi que par l’effort

de leur description. Ainsi, aux quatre douleurs traditionnelles s’ajoutent :

- Douleur prurigineuse « elle consiste tantôt en une démangeaison très légère, comme

lorsqu’une mouche effleure la peau (…) tantôt en un prurit violent et continuel qui porte

les malades à se gratter vivement et à se déchirer l’épiderme avec une sorte de délice et

même de fureur jusqu’à ce que le sang coule »

- Douleur chaude « la partie souffrante semble être au milieu d’un brasier, ou se trouver

en contact avec des charbons ardents »

- Douleur froide « manifeste sa présence et ses effets par l’horripilation, le frisson, le

claquement de dents etc… »

- Douleur contusive ou conquassante « on dirait que les membres ont été frappés, froissés

par une violence extérieure »

- Douleur corrosive « cruelle, qui semble ronger profondément les parties souffrantes ».

La douleur est tantôt vague et erratique, tantôt fixe et immobile. La douleur peut aussi être

imaginaire (hystérique, hypochondriaque, maniaques, amputés). Elle est aigue ou chronique,

universelle ou partielle, continue ou intermittente, critique ou encore sympathique.

Chacun de ses adjectifs est défini et illustré par des exemples de pathologies et/ou des cas

cliniques ayant existé.

Dans ce même dictionnaire, la douleur est décrite en fonction du siège de celle-ci et différenciée

suivant qu’elle touche le système nerveux, cutané, séreux, synovial, muqueux, musculaire,

fibreux, cellulaire, glanduleux, osseux ou encore vasculaire, absorbant, cartilagineux ou pileux.

Pas moins de sept pages ne sont consacrées dans cette édition à la description de la douleur en

fonction de sa nature et vingt selon son siège. Ces pages d’observation sont ponctuées par des

expressions telles que « communément », « ordinairement », « souvent », « en général » ou

encore « tout le monde connaît » comme s’il était évident par la simple observation et

l’approbation de tous de généraliser des faits comme des vérités. Ces formules qui transpirant

l’empirisme disparaissent dans les définitions de la deuxième moitié du siècle tout comme la

description clinique au profit des mécanismes de la douleur.

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Expressions de la douleur

La rubrique concernant les phénomènes et moyens d’expression de la douleur par

Panckoucke dans ce dictionnaire est une description clinique remarquable par la précision des

observations physiques et psychologiques qui peuvent être faites lorsque le patient subi une

douleur aigue et/ou chronique (annexe 2). En lisant cette description, le lecteur peut tout à fait

percevoir l’attitude du patient souffrant : de ses mimiques à ses plaintes en passant par sa

respiration et son regard. Ce paragraphe suggère deux réflexions. D’abord et de la même façon

que pour la description de la nature de la douleur en fonction de son siège, il est évident qu’il y

a de la part des médecins du début du XIXème une volonté de matérialiser les faits observés

par l’écriture donc de généraliser, ce qui dénote un intérêt conscient ou non pour la

rationalisation. Pourtant si la forme transcrit cette tendance, le fond quant à lui reste empirique.

Ensuite compte tenu de la précision dont les auteurs font preuve il est facile d’imaginer qu’ils

ont « l’habitude » de côtoyer des patients en souffrance. Pour comparer avec notre époque, il

n’est pas certain que les médecins actuels sachent décrire avec tant de détails le visage, les sons

et les gestes d’un souffrant dans la mesure où la douleur est traitée…

Bien sûr cette dernière analyse concernant les phénomènes liés à la douleur accrédite la théorie

de R Rey qui contredit Dechambre dans son affirmation d’une phase clinique à compter de

1840.

2.2 Variabilité du ressenti de la douleur

Il est évident que la douleur est une notion subjective qui varie selon plusieurs données.

Au fil des descriptions de la première moitié du XIXème siècle on retrouve une classification

des agents susceptibles de diminuer ou augmenter la sensibilité à la douleur divers et variés :

du climat au tempérament en passant par l’âge, le sexe, la profession ou encore l’état de

conscience.

Concernant l’augmentation de la sensibilité à la douleur, il est décrit que l’homme du midi, le

bourgeois (par l’utilisation de leur organe de pensée et leur oisiveté) et les personnes nerveuses

hypochondriaques ou hystériques sont plus sensibles à la sensation douloureuse. Les femmes

éprouvent bien plus vivement la souffrance mais celle-ci cesse plus rapidement alors que si

l’homme est plus rarement souffrant, la douleur se montre plus continue et opiniâtre. Les

enfants sont plus sensibles aux sensations de douleur et de plaisir mais celles-ci disparaissent

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rapidement et souvent se confondent. Les affections morales tristes exaltent la douleur et parfois

même lui donne naissance.

Au contraire, dans la liste des sujets dont la sensibilité est amoindrie on retrouve l’homme du

Nord et les « Sauvages d’Amérique du Nord ». Les soldats, les matelos, les forgerons, les

verriers et les robustes villageoises souffriraient moins que les bourgeois et les citadines car

« l’homme qui mène une vie dure et fatigante, ressent moins vivement la douleur, que le sibarite

ou l’effeminé que blesse la chute d’une feuille ». Indéniablement, les vieillards souffrent moins

que les adultes car « ses impressions stimulent faiblement des organes débiles, usés, flétris » et

« Comment en effet la douleur aurait-elle prise sur une oreille qui perçoit à peine les sons, sur

un oeil qui distingue mal des objets ? » (8). Par ailleurs, « le peu d’exercice de l’organe de

pensée » conduirait à moins ressentir la douleur (9) ainsi que la consommation de spiritueux.

Les passions telles que l’amour et la foi permettent d’amoindrir voire d’annuler toute sensation

douloureuse et explique la vaillance des guerriers et des martyrs.

Andral précise que la perception de la douleur dépend de la « liberté d’action dans l’exercice

du moi : ainsi il n’y a pas de perception de douleur dans le délire, le sommeil, les passions

violentes, l’extase etc ».

On pourrait penser que comme les longues descriptions sur les douleurs morales se

rapportant à la psychologie, « science molle » et donc quelque peu méprisée par les

physiologistes ou biologistes de l’époque, les longues descriptions concernant la variabilité du

ressenti de la douleur en fonction des classes sociales, des générations ou encore des zones

géographiques se rapportant aux sciences sociales diminueraient également…. Effectivement

ces rubriques ressemblent davantage à des descriptions démographiques, sociales voire

psychologiques que médicales. Pourtant, ces descriptions persistent à classifier la population

sous le prétexte de la susceptibilité à la douleur.

Dans la perspective de classifier le genre humain selon des critères variés, les médecins,

spécialistes de l’individu, se sentent tout à fait à leur place. L’anthropologie médicale est

proposée par le médecin comme première étape vers une « science de l’homme ».

Dans un contexte de colonialisme, il n’est pas étonnant de retrouver dans des définitions de

dictionnaires français écrits par des médecins exerçant en métropole des propos de médecins

colonialistes.

« Cette susceptibilité individuelle pour la douleur n’est pas toujours une question de

tempérament, de manière de vivre, d’habitude, de condition sociale, d’éducation ; elle est

encore question de race : je dirai même de civilisation » (4)

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Au-delà de la question des maladies et des épidémies, le médecin colonial défend, dans ses

traités, un point de vue qui dépasse le diagnostic purement médical. Le jugement de valeur est

omniprésent et prend des formes subtiles. Puisque l’indigène n’a pas un corps comparable à

celui de l’Occidental, ses mœurs sont forcément différentes. Toute une littérature médicale

hésitant entre culpabilisation et voyeurisme savant s’est plu à décrire la volupté, la mollesse,

sinon la perversité des populations indigènes (7).

2.3. Effets de la douleur

Par effets de la douleur sont traitées les éventuels traces physiques de la douleur et

surtout les conséquences du ressenti de la douleur.

Dès le début du siècle, on sait que la douleur « ne laisse aucune trace dans les parties où elle

siégeait », « pas de marque visible de son existence » (8). Selon plusieurs auteurs (8) (9), les

douleurs les plus excessives finissent par ne plus être ressenties malgré la continuité de leur

cause : la perception de la douleur au niveau cérébral entraine un collapsus des facultés

cérébrales et un épuisement de la sensibilité due à une surexcitation. En fonction du terrain du

malade, la douleur peut entrainer une céphalalgie, un malaise, un abattement de quelques jours.

En revanche, elle peut aussi entrainer des « délires, des convulsions une inflammation du

cerveau et la mort ». Adelon fait mention de l’acide hydrocyanique qui procure une douleur si

vive qu’elle détruit toute vie dans le cerveau et les autres organes.

Il est intéressant de noter que les médecins du XIXème savent et décrivent que la douleur elle-

même peut entrainer la mort. Cette notion a son importance quant à la compréhension de

l’évolution de la prise en charge de la douleur en dehors même d’un traitement curatif d’une

éventuelle maladie sous-jacente.

Le lien entre la douleur et la mort soit l’agonie est une question qui évolue en parallèle de la

place relative des prêtres et des médecins au chevet des malades et de l’évolution de la médecine

par rapport à l’Eglise. S’il est évident que la douleur peut elle-même entrainer la mort, « quelle

que soit la cause de la mort, est-elle accompagnée de douleur ? » (8). Cette question posée dès

le début du siècle annonce les discussions et les mutations qui auront lieu autour des modalités

de la fin de vie au XIXème.

La différenciation entre la maladie et la douleur qui n’en est qu’un symptôme, la

reconnaissance de l’existence de douleur « essentielle », ou encore l’acceptation du fait que la

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douleur elle-même est néfaste à la santé dans le sens où elle peut entrainer la mort sont autant

d’arguments qui permettent l’avancement du raisonnement quant à l’utilité de la douleur et par

conséquent, sa prise en charge.

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Utilité et prise en charge de la

douleur

1. La douleur utile

Le texte de Panckoucke (8) qui fait un amalgame entre la maladie et la douleur est l’exemple

parfait de la conception de l’utilité de la douleur au début du XIXème siècle et constitue un

riche écueil de théories démantelées une par une au cours du siècle.

1.1 Au pronostic

Il affirme que la douleur a une importance dans le pronostic de la maladie. Ainsi il

indique que « moins la douleur est fixe et profonde, moins elle offre de danger », au contraire,

« elle est d’un mauvais présage toute les fois qu’elle est fixe, violente, continuelle ». Il cite

plusieurs fois Hippocrate, un « génie observateur » et dédie cinq pages à la déduction de

pronostics en fonction des douleurs et ses signes associées selon les régions du corps.

1.2 A la guérison naturelle et à la thérapie

« On peut en effet considérer la douleur, tantôt comme un effort salutaire que la nature

emploie pour écarter les agens qui troublent l’harmonie de nos fonctions, ou pour nous avertir

du danger qui menace notre existence ; tantôt comme un moyen précieux dont l’art se sert

habillement pour détruire des causes morbifiques qui résiste à la puissance conservatrice de

la nature » (8)

Ainsi Panckoucke affirme que la douleur est non seulement un signe d’alerte mais est aussi un

but que le médecin doit atteindre pour éliminer la cause du mal si la nature n’y parvenait pas

elle-même. Donc selon lui la douleur est utile à la guérison spontanée et devient le but de l’art

thérapeutique si la nature devait échouer.

Il insiste en écrivant « on ne peut méconnaitre un but d’utilité dans le développement spontané

de certaines douleurs » : ainsi les vomissements soulagent les maux d’estomac, les crises de

gouttes sont utiles pour détruire les semences de grandes maladies, les contractions sont

nécessaires à la parturition…

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Dans la mesure où la douleur est naturellement utile à la guérison spontanée, il paraît

logique que l’art médical cherche à exciter la douleur pour en obtenir des résultats avantageux.

Il fait un amalgame entre traitement curatif et palliatif : le traitement de la maladie repose sur

le traitement de la douleur. Ainsi il écrit « l’art médical ne triomphe de la douleur qu’en imitant

plus ou moins exactement les procédés de la nature » en provoquant des évacuations, des

sommeils, des suppurations, des gangrènes utiles.

- La saignée : en diminuant la masse sanguine, elle diminue aussi l’irritation (par

ouverture d’une veine, sangsues ou scarifications).

- Vomitifs ou boissons délayantes, apéritives, diurétiques, sudorifiques, expectorantes,

laxatives, clystères émollients,

- Bains chauds ou froids plus ou moins émollients (plantes mucilagineuses, lait huile,

sang animal) ou excitants (substances toniques, salines, acres, balsamiques, volatiles)

- Médicaments antispasmodiques : ceux qui engourdissent le système nerveux (pivoine,

valériane, camphre, musc…) ceux qui causent une sorte d’ivresse (alcool, ether, opium),

ceux qui réveillent les fibres nerveuses et musculaires (huiles essentielles

empyreumatiques et ammoniacales, celles de corne de cerf et de Dippel, l’alcali volatil,

l’eau de Luce, l’oranger, l’angélique etc)

- Préparations opiatiques « ont l’empire le plus puissant sur la violence de la douleur »

- Quinquina

- Frictions (rubéfiants, moutarde)

- Urtications ou flagellations avec orties « pour appeler à la surface cutanée la douleur

fiée dans la profondeur d’organe essentiel »

- Vésicatoires et ventouses pour une irritation plus profonde

- Sétons, cautères pour maintenir un écoulement en même temps que l’irritation

- Etincelles, bain et commotion électrique, irritation galvanique et de la pierre d’aimant.

- Cataplasmes, fomentations, onguens emplâtre, gargarisme, collyre…

« Les moyens dolorifères se divisent en mécaniques, chimiques et en spécifiques ». Les

premiers sont les instruments chirurgicaux, les seconds les moyens de stimuler l’inflammation,

de brûler et désorganiser les parties et les derniers sont l’électricité et le galvanisme. Ainsi ces

moyens artificiels entraine l’inflammation (vésicatoires, sinapismes, ventouses, sangsues,

urtication, flagellation), la compression (mécanique), la dilatation (écartement des parois par

instruments ou gonflement de substances par l’humidité), la division (incisons, piqures,

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déchirures), la désorganisation (cautères actuels moxa ou fer incandescents ou usage des alcalis

et acides concentrés). Les auteurs décrivent les moyens employés en fonction du but voulu et

résument donc leur propos « tels sont en abrégé les moyens dont l’art dispose pour exciter la

douleur et la faire servir à la guérison des maladies ».

La douleur est présentée comme la condition de ces thérapies or sans elle, toutes ces

manœuvres entraineraient les mêmes effets. Il est très intéressant de constater que les auteurs

n’envisagent même pas que ces phénomènes puissent ne pas être accompagnés de douleur…

tout comme pour la chirurgie.

1.3 A la chirurgie

La chirurgie est réalisée lorsque la douleur résiste à tous les traitements précédemment

et même si elle est elle-même la cause de souffrances intenses, « elles servent à délivrer de

celles (…) qui conduiraient à une destruction inévitable ». Comme il le décrit « la chirurgie

blesse pour nous guérir ». Il émet d’ailleurs l’idée que « peut-être sommes-nous trop réservés

aujourd’hui sur l’emploi du moxa et du fer rouge ? »

S’il n’est pas écrit clairement que la douleur est utile à la chirurgie, elle est pourtant présentée

comme une condition sinéquanone à celle-ci.

Une nuance est tout de même ajoutée en précisant que parfois les chirurgiens tentent de

diminuer la douleur de la chirurgie en faisant une compression ou une ligature au-dessus de la

partie qui doit être opérée. En 1823, Adelon avance un argument pour comprendre en quoi la

douleur peut être utile à la thérapie et par extension à la chirurgie « Les opérations faites avec

le plus d’adresse et de promptitude, et par conséquent les moins douloureuses ne sont pas

toujours celles qui sont le plus exempts d’accidents et qui réussissent le mieux ». Par ailleurs,

« il paraitrait que le collapsus causé par la douleur et par la perte d’une certaine quantité de sang

diminue les dispositions à la réaction inflammatoire et fébrile ». Il est ainsi supposé que peut-

être « serait-ce à cause de cette vertu antiphlogistique que la douleur est rangée par les partisans

de la doctrine italienne dans la classe des contre-stimulants ? »

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1.4 Pas si utile que ça…

Quant au pronostic, Adelon écrit dès 1823 que la douleur n’est pas proportionnelle à la

gravité de la maladie « vu des douleurs violentes qui n’annoncent aucun danger et des maladies

très dangereuses sans douleur ». Il est soutenu par Beaude plus tard qui indique que « l’intensité

de la douleur est non proportionnelle à la gravité et dépend des individus ».

Concernant l’utilité de la douleur au diagnostic, S.S Jaccoud (17) est « prêt à reconnaître qu’elle

est, dans certains cas, un élément précieux de diagnostic, mais que des fois ce signe fait défaut

(…) que le plus souvent le médecin et le malade pourraient également bien s’en passer ». Par

ailleurs Beaude invite à s’en méfier car si « le siège de la douleur vient souvent en aide au

médecin » il reste un « guide inconstant et parfois infidèle ». Enfin, Dechambre insiste sur sa

subjectivité :

« Comme pour tous les symptômes subjectifs, le médecin n’a ordinairement connaissance de

la douleur que par le témoignage des malades. C’est là un motif d’erreur dans l’appréciation

de ce phénomène. Conséquemment, son absence n’est pas un signe d’une valeur diagnostique

absolue » (4)

Il insinue presque que finalement, l’anamnèse, soit l’histoire de la maladie racontée par le

patient lui-même serait source d’erreur médicale. Avec cette idée, Dechambre marque un

tournant dans l’histoire de la médecine. Depuis l’Antiquité, le pronostic et le diagnostic

reposent sur les signes objectifs que le médecin relève sur le patient mais aussi et souvent

surtout sur l’histoire de ses symptômes et les signes subjectifs. Dechambre balaie en une phrase

l’ancienne pratique en privilégiant les signes objectifs et observables. En quelque sorte, il

amorce avec cette idée la suprématie de l’objectivité sur la subjectivité et en partie la

physiologie/biologie sur la clinique. D’ailleurs les médecins d’aujourd’hui ne se fient-ils pas

davantage aux examens biologiques et imageries qu’à l’histoire du patient ?...

Quant à son utilité dans les thérapies, Adelon décrie dès 1823 les pratiques comme

l’irritation cutanée, les sinapismes et vésicatoires comme des « remèdes empiriques qui

devraient être éclairés d’une physiologie toute positive ! » soit éclairés par la science. Il ajoute

que ces thérapies ne font qu’ « ajouter un désordre à un désordre » et quelles sont « contraire à

la raison ». Il dénonce des « pratiques incendiaires du brownisme », théorie de John Brown

(médecin écossais de la fin du XVIIIe siècle) selon laquelle, la vie émanant de l'excitabilité, les

maladies pouvaient donc être comprises comme un défaut d'excitabilité.

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Pareillement, Dechambre remet en cause la douleur comme agent thérapeutique et l’école

italienne en même temps en écrivant qu’ « à l’heure actuelle, il est permis de restreindre le

champ d’efficacité que l’école italienne attribuait à ce moyen. La contre-stimulation du moxa,

des révulsifs et des rubéfiants, dépend de phénomènes vaso-moteurs ou de la mise en jeu

d’activité nerveuses, et non pas de la douleur produite ».

Ces remises en question quant au sens de la douleur et à son utilité dans la guérison

permettent de repenser la pertinence et les modalités de sa prise en charge.

2. La prise en charge de la douleur

2.1 Notion de Palliatif et curatif

Malgré des indications différentes et ayant évolué, il a toujours été question de soulager

les douleurs. Déjà en 1814, le dictionnaire des sciences médicales (8) vantait les mérites des

opiacés par un éloge tout à fait incroyable compte tenu des propos tenus dans son discours

concernant l’utilité de la douleur. Au fur et à mesure, cette notion de soulagement de la douleur

s’est étoffée avec d’ailleurs l’apparition du terme « palliatif » et la dissociation entre la thérapie

palliative et la thérapie curative notamment en 1829 dans la définition de Coster (18).

« En général, on doit s’occuper à guérir les maladies qui donnent lieu à la douleur, et non la

douleur elle-même ; cependant il est des cas où celle-ci est tellement violente, que l’on est

obligé d’avoir recours à quelques moyens palliatifs pour la suspendre momentanément. Ces

moyens palliatifs, mais non curatifs, sont la plupart des substances narcotiques, telles que le

camphre, les liqueurs spiritueuses, et surtout l’opium. »

En 1823, Adelon parle du traitement palliatif sans le nommer.

« Il est des cas où l’on doit avoir recours à quelconque moyens spécialement dirigés contre la

douleur (…) il faut alors épargner au malade des souffrances qui aggraveraient son état ou

au moins qui le priveraient de repos le jour et la nuit ».

Il persiste pourtant une notion de douleur utile dans certains cas, comme si la douleur était

inhérente au processus de guérison et qui révèle encore la méconnaissance des mécanismes de

la douleur. Dans son exposé sur la douleur et après avoir différencié le traitement de la douleur

en soi et de la raison de la douleur, MJN Camus (19) persiste à écrire dans sa thèse présentée

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en 1834 « qu’il arrive que la douleur est un symptôme utile qu’on ne doit combattre que quand

on a des raisons de se méfier des forces du malade ».

2.2 Les moyens

La pharmaceutique

L’opium

« Nulle substance n’est plus célèbre dans l’histoire de la médecine, soit par l’ancienneté de

son emploi, soit par ses hautes vertus. La douleur la plus atroce calmée comme par

enchantement, le sommeil rappelé sur des paupières qu’il fuyait, l’adoucissement de nos

maux, même les plus incurables, ne sont qu’une partie des bienfaits causés par l’usage bien

entendu de l’opium » (8)

Le laudanum, le sirop diacode, l’opium de Rousseau, l’infusum aqueux de M Chaussier sont

différentes préparations opiatiques utilisées à cette époque. Le fameux laudanum de Sydenham

est le produit de macération dans du vin d’opium, cannelle, safran et girofle. Ce remède est

l’analgésique le plus utilisé avant la généralisation de l’usage du chlorhydrate de morphine.

La morphine

En 1803, le chimiste Derosne publie dans les annales de chimie la découverte de « sel

essentiel » comportant en fait différentes substances actives de l’opium qu’il nomma Narcotine.

C’est en 1806 que Sertuerner isole un principe somnifère, substance active de l’opium qu’il

baptise Morphine en 1817. Elle débute réellement sa carrière thérapeutique en 1823, en même

temps qu’elle débuta une carrière en médecine légale puisque utilisée en tant que poison (20).

Néanmoins dans la pharmacopée de l’époque, les préparations ancestrales comme le laudanum

de Sydenham et de Rousseau restent très utilisées.

L’aspirine

En 1839, R.Piria prépare l’acide salicylique à partir de la salicyline (provenant du saule).

D’abord préconisé comme désinfectant intestinal dans la fièvre typhoïde, les patients meurent

toujours autant mais sans fièvre… Il est ensuite préconisé comme antibactérien puis comme

traitement de douleur rhumatismale dont le raisonnement reste basé sur des théories ancestrales

(les rhumatismes étant des maladies humides et froides, il est logique que la salicine qui est un

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médicament humide et froid soit efficace) … Il faut attendre 1897 pour voir le véritable essor

de cette molécule sous l’impulsion de la firme Bayer sous le nom d’ « Aspirine » (20).

L’anesthésie

Quand on lit tous les moyens et les précautions qui ont pu être essayé et recommandé

par les chirurgiens qui ont essayé de diminuer la sensibilité lors de leur opérations sans véritable

succès ou seulement transitoire et peu reproductible, il est plus facile de comprendre que

Velpeau considère encore en 1839 qu’éviter la douleur par des moyens artificiels est une

chimère. C’est sans compter sur l’avènement de l’anesthésie…

L’anesthésie Générale

Au début du XIXème siècle, sous l’impulsion de la Révolution lavoisienne en France et

des travaux de J.Priestley en Angleterre (dépôt brevet d’oxyde d’azote en 1776), des progrès

importants dans l’analyse chimique quantitative des gaz sont réalisés, tandis que se

développent, à des fins thérapeutiques, des recherches sur la respiration, surtout en Angleterre,

destinées à tester les effets de ces gaz sur l’organisme animal et humain. C’est une médecine

savante, mais mise au ban de la médecine officielle acceptée, qui entre en scène : procédant par

tâtonnement, pratiquant l’auto-expérimentation des substances au prix de sa santé et parfois au

risque de sa vie.

Le gaz hilarant et l’éther

En cherchant à définir l’effet de l’inhalation de différents gaz respirés à des doses

croissantes à lui-même, Davy s’illustre dans ces recherches aussi insolites que dangereuses. Il

ne recherche pas de manière privilégiée un gaz qui atténue les douleurs. Nul ne sait vraiment

comment l’expérience peut tourner : si le gaz est « respirable » ou « mortel ». Il teste ainsi le

protoxyde d’azote (« oxyde nitreux ») mais également l’oxygène, l’hydrogène et le gaz

carbonique.

« Le protoxyde d’azote paraît avoir, entre autres propriétés, celle de détruire la douleur, on

pourrait probablement l’utiliser avec avantage dans les opérations de chirurgie » (21)

Dans les cours de chimie et de science, les étudiants répètent ces expériences en cherchant à

remplacer le protoxyde d’azote considéré dangereux par un autre gaz. C’est ainsi que

commence l’inhalation de l’éther.

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« L’Europe peut revendiquer pour elle l’idée première de l’anesthésie, mais c’est à

l’Amérique qu’appartient la découverte des substances vraiment anesthésiques et leur

première application à la chirurgie. L’Américain, brave et audacieux, ne doute jamais. En

Europe on élabore longtemps une idée, on l’approfondit, mais une lente prudence empêche

d’expérimenter in anima vili. » (22)

Wels, dentiste, a l’idée de vérifier les propos de Davy sur l’abolition de la douleur par le

protoxyde d’azote et l’essaie donc sur lui-même en 1844 alors qu’il se fait arracher une dent,

avec succès. Désireux de partager son expérience, il se rend à Boston et demande à son ami

Morton de lui en donner l’occasion. Malheureusement, la démonstration à l’éther est un échec

et c’est désespéré qu’il rentre chez lui. Inspiré par les connaissances des autres : ayant assisté

Wels dans ses expériences sur les inhalations d’oxyde nitreux et ayant appris de Jackson les

effets calmants de l’éther, Morton continue les expériences et persiste avec obstination

jusqu’à ce qu’il parvienne enfin, avec l’aide de Jackson, à faire valoir sa découverte. La

polémique se complique du fait que C.T.Jackson, le chimiste américain qui a fait connaitre à

Morton les propriétés anesthésiques de l’éther réclame une part des honneurs sans compter le

chirurgien J.Warren qui réussit la première intervention chirurgicale sous anesthésie générale

en public le 16 octobre 1846. Morton fait connaître sa découverte en Europe dans une lettre

au dentiste Booth de Londres en 1846. L’utilisation de l’anesthésie en chirurgie se propage

dans toute l’Europe suite à ces premières réussites.

Malgaigne, Velpeau, Roux et Laugier, initiés à cette pratique en font part aux académies.

Magendie proteste au nom de la morale et de la sécurité publique contre des essais imprudents.

La pratique se généralise rapidement en France, de Strasbourg à Nancy en passant par Lyon,

Montpellier et Toulon les médecins perfectionnent et régularisent les procédés (22).

L’essor de l’anesthésie permet également d’approfondir les connaissances de la physiologie du

cerveau.

Le chloroforme

Découvert en 1830 par M Soubeiran, il reste sans application. C’est Flourens qui déclare

qu’il s’agit d’un puissant anesthésiant qui d’après la composition du chloroforme et après

l’avoir expérimenté sur des animaux. C’est à Simpson que revient l’honneur de l’avoir

expérimenté sur l’homme et lui avoir conféré, par le succès des expériences, sa part glorieuse

dans l’histoire des anesthésiques. Le chloroforme reçoit d’ailleurs un aval officiel éclatant

puisqu’il fut administré à la reine Victoria le 7 avril 1953 pour la naissance de son quatrième

enfant. Par son action plus forte, rapide et régulière, le chloroforme détrône l’éther dans toute

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l’Europe. Très vite, son utilisation est entachée par des accidents qui donnent lieu à des règles

pour rendre son utilisation moins dangereuse. Mises en place neuf ans avant la rédaction du

mémoire d’Ozanam, il juge ces règles favorables en déclarant une mort sur tente mille. Il ne nie

pas que le risque existe mais il questionne

« Il n’y a pas de chemin de fer qui n’ait à déplorer plus de victime que le chloroforme, et

cependant qui songe à blâmer l’industrie ? » (22)

Il aura fallu que les découvertes américaines parviennent aux oreilles des Français et que

plusieurs débats concernant les indications, les modalités d’utilisation et les contre-indications

pour que l’anesthésie générale s’impose en 1847. Année charnière pendant laquelle la

strychnine, « contrepoison », antagoniste de l’éther est découverte et permet de rassurer les

réfractaires.

R Rey soulève plusieurs questions qui donnent des pistes de recherche intéressantes expliquant

en partie que la France reste longtemps à l’écart du processus de découverte de l’anesthésie.

« Après l’écroulement du premier Empire, l’activité des chimistes (…) n’était-elle pas plus

orienté vers les applications industrielles que vers les retombées thérapeutiques ? » « Quelles

étaient les relations entre les chimistes de l’Académie des sciences et les pharmaciens ? », « la

place des dentistes n’était-elle pas trop subalterne pour que la demande conjointe des patients

et des opérateurs dans un domaine particulièrement sensible fût prise en considération ? (…)

Quelles a été, surtout après 1820, l’incidence des thèmes de restauration et de régénération

de la société sur l’attention portée à la douleur ? » (2)

Anesthésie locale

Les applications d’opiacés

Ces applications sont connues bien avant le XIXème et se spécialisent avec l’application

de morphine au cours du siècle.

Le froid par les alcools

Le froid est bien connu pour ces propriétés anesthésiantes, notamment par le Baron

Larrey qui place les moignons des soldats amputés dans la neige qui les entoure afin de diminuer

leur douleur en 1812 lors de la campagne de Russie. Quand l’éther commence à être utilisé en

anesthésie générale, les médecins s’aperçoivent que le solvant produit un effet froid sur la peau.

Nombre de chirurgiens encore réticents à l’idée de l’anesthésie générale préfèrent donc

l’utilisation de tels solvants pour n’endormir que la partie (20).

La cocaïne

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La conquête du Nouveau Monde a fait connaitre aux Européens les vertus singulières

des feuilles de coca que les Indiens mâchent à longueur de journée. L’alcaloïde est isolé de

feuilles de coca en 1859. La substance est d’abord appréciée pour ses effets stimulants et pour

la sensation de bien-être qu’elle procure. Freud l’utilise notamment comme psychotonique

contre les états dépressifs et de sevrages des morphinomanes. Cependant dans son article de

1884 il signale à la suite d’autres auteurs un ensemble d’indications thérapeutiques dont

l’anesthésie de la peau et des muqueuses. Cette affirmation rejoint les remarques de 1862 de

Schroff concernant l’anesthésie de la langue sous l’action de la coca. Une vingtaine d’année

s’écoule entre l’isolement de l’alcaloïde et son utilisation en anesthésie locale lors d’une

chirurgie. C’est Karl Koller, ophtalmologiste, qui l’utilise pour la première fois lors d’une

chirurgie de l’œil plus pour la suppression du mouvement reflexe de la cornée, due à son

insensibilisation que pour la suppression de la douleur. Sa propriété anesthésiante est davantage

utilisée et popularisée par le chirurgien américain Halsted qui découvre que la cocaïne n’a pas

l’innocuité que Freud avait cru et quelle crée des phénomènes d’accoutumance.

Dans une certaine mesure, l’anesthésie locale précède l’anesthésie générale mais ne peut être

utilisée couramment que lorsque les moyens techniques le permettent grâce aux injections

(hypodermiques et intraveineuses). L’anesthésie générale peut se faire par inhalation alors que

l’injection est indispensable à l’anesthésie locale permise par le perfectionnement des seringues

et des aiguilles.

Autres moyens

L’électrothérapie

Connue depuis des siècles, elle est utilisée dans l’Antiquité via le poisson torpille pour

soulager les douleurs rhumatismales mais c’est au XIXème siècle qu’elle est richement

explorée. A l’aube du XIXème siècle, la découverte de l’électricité statique (bouteille de Leyde)

et de l’ « électricité animale » par Galvani au siècle précédent font considérablement exploser

l’intérêt des scientifiques pour l’électrothérapie. Bien que la théorie de l’électricité animal de

Galvani soit réfutée par Volta qui explique que les contractions musculaires sont dues à la mise

en contact de deux corps hétérogènes et non par une électricité inhérente au corps humain ou

anomale, ces discours permettent le développement des études électrophysiologiques et

l’utilisation de l’électricité galvanique en traitement contre les douleurs diverses. Dans les

années 1820-1840, la pratique de la galvanisation, décevante, douloureuse et parfois dangereuse

recule aussi vite qu’immense avait été l’engouement pour son utilisation. L’application

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médicale de l’électricité d’induction par Duchenne, soit l’invention de la « faradisation »

permet de cibler exactement l’action du courant sur un endroit strictement localisé. Il utilise son

procédé dans une gamme de maladies assez large : de la sciatique aux douleurs hystériques en

passant par les douleurs rhumatismales. Cette fustigation agit selon lui comme une méthode

perturbatrice (comme un stimulant de la même classe que les sinapismes ou vésicatoires) qui

peut être graduée et ne provoque pas les escarres de la cautérisation. Alors que Duchenne veut

réserver la galvanisation pour les usages chirurgicaux, Remak en Allemagne prétend que les

courants induits ont un effet affaiblissant et que seule la galvanisation pout être efficace.

L’électrothérapie dans les années 1860-1880, qu’elle soit galvanique ou induite, soulage

effectivement un certain nombre de douleurs surtout de type névralgique même si les processus

par lesquels elle agit restent incertains.

Une dernière étape majeure dans l’histoire de l’électrothérapie au XIXème siècle est la

découverte des courants à haute fréquence et l’œuvre de Jacques Arsène d’Arsonval qui utilise

ces courants dans un but thérapeutique : il s’agit de la « darsonvalisation » (qui deviendra plus

tard la diathermie). Elle commence à être utilisée en 1892 à l’Hotel-Dieu sur des patientes

souffrant de fibromes utérins. Si la méthode ne fait pas régresser les fibromes, l’effet antalgique

est remarquable. Tellement intéressant que ce moyen de lutte contre la douleur dépasse bientôt

la sphère gynécologique pour s’appliquer à la plupart des maladies douloureuses.

L’hypnose

Toute l’histoire de l’hypnose est marquée par la condamnation de Mesmer comme

charlatan et imposteur. Toutes les tentatives ultérieures de sommeil magnétique à visée

thérapeutique sont interprétées en relation avec le mesmérisme, là où au contraire il faut voir

une rupture. Cette confusion entre magnétisme et hypnotisme est provoquée par la permanence

du premier terme.

En 1814 dans son dictionnaire, Panckoucke renie complètement tous les courants d’induction

« Quant au mesmérisme, au magnétisme animal, au somnambulisme réel ou simulé, au

perkinisme et autre modèle d’invention du charlatanisme et de la mauvaise foi, si, dans

quelques cas, ces moyens, également dévoués par la raison et l’expérience, ont paru avoir

quelques influencent favorables sur la douleur, c’est évidemment chez des individus qu’une

aveugle confiance ou une crédulité sans bornes disposait d’avance à recevoir un allègement

désiré avec ardeur » (8)

Malgré une histoire mouvementée, une rapide recherche sur le terme « magnétisme » dans les

dictionnaires médicaux du XIXème siècle montre que la pratique n’a jamais été abandonnée.

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L’Académie de médecine est d’ailleurs saisie d’un cas d’opération sans douleur sous sommeil

magnétique en 1826 (extirpation d’un sein d’une jeune fille qui, tout en restant capable de

parler, ne ressentait rien de plus qu’un chatouillement sur la zone opérée). Après cinq ans

d’enquête, la commission nommée à la séance de 26 février 1826 conclu à l’authenticité des

faits. Malgré cette approbation médicale, certains continuent à chercher des explications comme

le courage ou la volonté même si Cloquet (chirurgien ayant procédé à l’ablation) assure qu’il

n’a remarqué aucun signe de souffrance comme le changement de pouls, les palpitations ou

encore les sueurs qui sont des signes visibles même chez les plus courageux. Le scepticisme est

omniprésent, plus ou moins marqué selon les voix qui s’élèvent contre cette pratique. Ainsi,

Roux déclare lors de la séance du 24 janvier 1837, alors qu’un cas d’extraction dentaire sous

sommeil magnétique est rapporté à l’Académie de Médecine :

« Ainsi, Messieurs, point de ménagement : le charlatanisme trouvera assez de voix hors de

cette enceinte qui le défendront ; il n’en doit point trouver parmi nous. » (23)

Les travaux de Braid de 1843, médecin de Manchester qui a assisté en sceptique aux

démonstrations d’un médecin français (Dr Lafontaine), font entrer l’hypnotisme dans une ère

plus acceptable par la science, dans la mesure où il élimine l’atmosphère de mystère et le

cérémonial de l’hypnotisation en indiquant une technique relativement simple pour la produire.

Le nombre d’observations recueillies par Braid et sa volonté d’exclure tout agens surnaturel ou

irrationnel faisaient de son travail un document capital sur les possibilités thérapeutiques de

l’hypnose même s’il était incapable de fournir une explication des effets sur les centre nerveux

de cette attention psycho-physiologique.

En parallèle, les travaux de Charcot à la Salpêtrière à partir de 1878 soulèvent un nouveau

problème qui est de savoir quel est l’efficacité de l’hypnose en dehors des sujets hystériques.

Les sujets sains sont-ils susceptibles d’être hypnotisés et l’hypnotisme ne révèle-t-il pas

toujours un état pathologique ?

L’histoire de l’hypnose et des travaux de Charcot, des prolongements de son œuvre, les débats

entre l’école de Nancy et de la Salpêtrière sont passionnant et soulignent l’importance de cette

pratique non pas simplement comme moyen de diagnostic et de traitement mais dans un

instrument de compréhension de la douleur et la complexité des processus et qui la créent et

l’entretiennent. S’il est bien une expérience médicale qui fait voler en éclat la théorie de la

spécificité, c’est bien celle des douleurs d’origine hystérique.

Le moxa

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Ce procédé venu d’Orient, connu depuis longtemps en Europe consiste à implanter sur

la peau du malade, le plus près possible de l’endroit douloureux un cône ou un bâtonnet de

matière végétale que l’on fait brûler jusqu’à la formation d’un escarre. La théorie sous-jacente

au procédé continue d’être utilisée au XIXème siècle reposant sur l’idée hippocratique que

lorsque deux douleurs coexistent, la plus forte fait disparaitre l’autre. Par ailleurs, les théories

médicales qui s’appuient sur le concept d’irritation permettant de réveiller l’énergie vitale du

patient relaient l’ancienne explication basée sur l’écoulement d’humeurs viciées et permettent

d’assoir la pratique du moxa. Il s’agit d’un procédé douloureux et très long car l’application des

mèches de coton doit être répétée et laisse des plaies effrayantes. Les témoignages de ceux qui

apportent le moxa en Europe ne précisent pas les modalités d’application ou encore la matière

végétale appliquée et certains médecins comme JB Sarlandière invitent leurs confrères à faire

preuve d’humilité et respecter des modalités d’application permettant de diminuer la douleur

induite par le traitement lui-même. L’insistance avec laquelle il indique que sa méthode,

l’électropuncture, est moins douloureuse que la galvanisation témoigne d’une évolution des

mentalités qui conduit à évaluer dans une thérapeutique non seulement son efficacité mais aussi

les souffrances qu’elle engendre. Le moxa semble être préconisé avec succès dans une vaste

gamme de douleurs et de maladies chroniques.

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L’évolution des mentalités à

travers le concept douleur

Le XIXème siècle est marqué par des changements majeurs dans tous les domaines et la

médecine n’échappe pas aux bouleversements autant d’un point de vue conceptuel que

logistique et pratique. Nous avons vu précédemment l’évolution du concept de la douleur

notamment concernant sa prise en charge et les nouveaux traitements qui émergent pour lutter

contre elle. On peut constater, sans établir de relation de cause à effet direct ou indirect, que

cette évolution de la conception de la douleur et du patient souffrant s’accompagne de faits

sociétaux observables à postériori. Ils ne sont pas causes ou conséquences des modifications de

la conception de la douleur mais ils sont en tant que faits et si nous pouvons imaginer parfois

des liens alors peut-être ont il exister ? Le décalage entre la théorie et la pratique, la difficulté à

comprendre la douleur d’un point de vue scientifique, les débats sur l’anesthésie et la question

de la place entre médecins et prêtres nous permettent d’aborder plusieurs notions

contemporaines des étapes de cette évolution.

1. Le décalage entre la théorie et

la pratique

« Une des énigmes les plus difficiles à résoudre concernant cette première moitié du XIXème

siècle provient de la coexistence de l’idée, parmi les médecins et chirurgiens, que la douleur

est insoutenable et inutile et de la conviction non moins assurée qu’il n’y a pas de moyens

disponibles pour amoindrir la douleur des opérations, alors que l’historien a l’impression

que les moyens étaient à portée de main et que les occasions ont été manquées » (2)

1.1 Entre traditionalisme et modernité

« A partir de l’Empire et de la Restauration, le monde médical fait mine de ne plus hésiter

entre les méthodes de l’Ancien Régime et l’expérimentation clinique. Pourtant, les exemples

qui prouvent que le quotidien des malades ou des praticiens n’a pas beaucoup changé sont

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abondants. Comme si la révolution médicale avait été interrompue et qu’un retour en arrière

avait encore été possible » (7)

Bien que la physiologie se développe à grande vitesse et profite aux théories des mécanistes,

l’état métaphysique reste bien présent dans les consciences médicales au début du XIXème

ayant d’ailleurs été redynamisé par l’émergence du vitalisme sur la deuxième moitié du

XVIIIème. Le vitalisme s’oppose au mécanisme dans la mesure où il ne considère pas que le

vivant soit réductible aux lois physico-chimiques. Le vitalisme rejoint la notion métaphysique

en attribuant les phénomènes de la vie à un « principe vital ». Au début du siècle, d’illustres

personnages comme Bichat, Cabanis ou Orfila, radicaux dans leur volonté de rupture avec

l’ancienne médecine font face à des conservateurs traditionnalistes (Laennec, Broussais…) qui

continuent de défendre les connaissances empiriques. Les courants s’imbriquent et

s’influencent, de chaque côté, les radicaux défendent leur point de vue permettant entre les deux

extrêmes une large palette de prise de position dans laquelle la portion de métaphysique et

physiologique varient. Au fur et à mesure du siècle, de plus en plus de scientifiques du monde

médical (biologiste, physiologiste, médecins) adoptent une pensée majoritairement

physiologique soit scientifique (ou positive) jusqu’à ce qu’elle fasse autorité à l’avènement du

XXème siècle. Il n’est pas invraisemblable d’imaginer que ce tâtonnement au premier tiers de

siècle entre l’empirisme et la médecine par les preuves, entre la tradition et l’innovation est une

des raisons pour laquelle la pratique médicale, le quotidien des malades et les thérapeutiques

proposés par les officiers de santé et les docteurs en médecine n’ont pas suivi les nouvelles

théories et découvertes médicales.

Pour illustrer ce propos, les attitudes lors de l’épidémie de choléra de 1832 semblent en être un

parfait exemple. Alors que la France est touchée par la deuxième pandémie de la maladie au

printemps 1832, la presse profite de l’occasion pour publier en gros titre les remèdes proposés

par les médecins les plus renommés. De Dupuyren à Magendie en passant par les médecins de

l’Académie, chacun y va de son remède miracle : entre scarifications, saignées, infusions, ou

encore champagne… l’affluence de toutes ces thérapies aussi diverses que variées et le nombre

de victimes qui ne cesse d’augmenter ne font que semer la confusion au sein de la population

désarmée et inquiète. Les médecins sont obligés de constater l’ampleur des dégâts en termes

d’image et de thérapeutique. Désabusés, les malades se tournent vers les potions, pratiques et

accessoires d’antan…

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1.2 Une médecine à deux vitesses

En 1803, la loi Fourcroy réforme l’exercice de la médecine en reconnaissant deux statuts

différents. Les officiers de santé sans diplôme ni formation, dont le parcours ne vaut pas la

confiance des bourgeois, sont relégués dans les campagnes tandis que les docteurs en médecine

pratiquent plus généralement dans les villes. L’espace rural et ses paysans, à l’ère de

l’industrialisation, est perçu comme une relique du moyen-âge et c’est comme un bon

samaritain que l’officier est considéré et que le sacerdoce médical prend tout son sens. Dans

ces espaces ruraux qui représentent la majeure partie du territoire et la plus grande fraction des

Français, les superstitions, pèlerinages et autres remèdes de grand-mères côtoient les rebouteux

et exorcistes qui font leur preuve par le bouche à oreille. A leur profit ou celui des médecins

qui avec le développement des chemins de fer peuvent davantage rejoindre les villes de

province, le nombre d’officiers de santé diminue tout au long du siècle jusqu’à ce que la loi de

1892 supprime purement et simplement le statut. Cette mesure renforce la crédibilité des

docteurs en médecine mais le constat est sans appel : les espoirs d’antan d’une médicalisation

des zones rurales sont éteints. La misère exclut les paysans et ouvriers de la culture médicale et

l’ignorance la détournent de la science au profit des croyances. (7)

1.3 L’hyperspécialisation et la difficulté à

comprendre la douleur

A postériori il est évident que les spécialisations et la volonté de la spécification n’ont

pas aidé les médecins et scientifiques de l’époque à évoluer plus rapidement.

Que ce soit dans la théorie de la spécificité, dans le finalisme en biologie en encore dans la

spécialisation sans ouverture des champs de réflexion des physiologistes qui eux même se

différencient des médecins on retrouve dans ce XIXème siècle un principe d’ordre d’ailleurs

également souverain à cet époque dans la philosophie industrielle et le travail à la chaine…

De la physiologie à la pathologie

Comme le décrit Roselyne Rey, « l’envers négatif et sans doute paradoxal des progrès

de la physiologie expérimentale du système nerveux a consisté en la croyance illusoire que le

passage de la physiologie à la pathologie pouvait se faire sans difficulté, comme une simple

application des résultats de l’une à l’autre » (2).

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Selon Magendie « Quel est le point du cerveau qui a été atteint ? Vous répondrez sans hésiter

et vous désignerez hardiment le siège de la lésion, si dans vos expériences de laboratoire, vous

avez reconnu l’endroit qu’il faut blesser pour développer de semblables phénomènes »

Cette conception de la maladie, dont la cause serait reproductible en laboratoire, et qui a été la

condition de grandes avancées en médecine, se révèle cependant plus productive pour la

compréhension des lésions du mouvement que pour les troubles de la sensibilité et la

compréhension de la douleur.

Absence de lien entre les spécialités scientifiques

Il se créé et se développe plusieurs spécialités dans les différents domaines médicaux : les

physiologistes, les biologistes, les cliniciens et encore d’autres sous –catégories comme la

neurologie, la psychiatrie etc… De nombreuses découvertes après l’opposition de plusieurs

théories et l’application des recherches expérimentales sont publiées dans chacun des domaines

mais il est indéniable qu’il manque une véritable communication entre les différentes

spécialités. Le clinicien décrit les syndromes qu’il observe tandis que le physiologiste s’acharne

à chercher toujours plus loin les réponses aux questions que pose sa propre spécialité.

En conclusion, l’absence d’uniformité, de coopération et de coordination se traduit par un

tâtonnement, une perte de temps et d’efficacité. Tandis que certains défendent ardemment une

volonté de renouveau, d’autres s’accrochent à la tradition en revendiquant sa « sureté » cachant

en réalité leur peur du changement. Les officiers de santé, « sous-médecins », sont relégués

dans les campagnes où la population pauvre et ignorante ne mérite par le grand savoir et savoir-

faire des médecins qui s’établissent en ville. L’hyperspécialisation ne permet pas de grand plan

de recherches transversaux dont les différents points de vue auraient peut-être permis des

découvertes plus rapides. Pourtant dans ce contexte de disciplines segmentées, l’anesthésie

apparait comme le parfait prétexte qui force différents domaines à priori sans rapport

jusqu’alors à s’unir et se compléter pour faire avancer les débats qui lui sont liés.

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2. Les débats sur l’anesthésie :

entre médecine, éthique et

politique.

A partir du moment où l’éthérisation est discutée à l’Académie de médecine et l’Académie

des sciences, le procédé se répand comme une trainée de poudre. La gloire du phénomène se

retrouve dans le premier livre d’anesthésie qui traite de l’insensibilité par le chloroforme et par

l’éther paru en 1848 dans lequel le Dr Sédillot conclu son introduction par un éloge de la

méthode :

« Le merveilleux pouvoir de suspendre la douleur dépasse à présent tout ce que l’imagination

avait prêté de prestiges aux charmes et aux enchantements d’un autre âge. C’est une brillante

et magnifique conquête du génie de l’observation sur la nature. A la médecine revient

l’honneur et le devoir d’en apprécier et d’en étendre les bienfaits » (24)

L’intérêt de l’anesthésie réside dans toutes les questions qu’elle pose en définissant un nouveau

champ des possibles. Comme la découverte d’un territoire jusqu’alors inconnu, ses contours

doivent être investigués, ses limites définies et ses caractéristiques évaluées dans toutes ses

dimensions. Des discussions passionnées ont lieu entre 1847 et 1848 entre réticences et

interrogations sur les conditions d’emploi et les effets secondaires notamment entre Velpeau et

Magendie.

2.1 Les indications et contre-indications de

l’utilisation de l’éther

La discussion porte surtout sur quatre points majeurs : la durée maximale de l’inhalation

et le moment le plus opportun pour commencer l’opération ; les risques de mort par inhalation

et les conséquences secondaires ; le champ d’application de la méthode avec en particulier un

débat concernant l’accouchement ; et enfin, les aspects éthiques.

Par ailleurs, concernant la question pratique, il s’agit de changer les habitudes des chirurgiens

qui acceptent d’ouvrir un corps sans vie dont les réactions ne peuvent plus guider le chirurgien

dans son travail.

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2.2 La question éthique

Les questions éthiques sont notamment soulevées par Magendie qui pose non sans raison la

question des droits du malade et des devoirs du chirurgien. Ces questions entrainent la naissance

d’une médecine probabiliste comme on la connait aujourd’hui.

« Avant d’imputer au chloroforme une mort à laquelle il pourrait bien être étranger, ne

convient-il pas de rechercher si le sujet n’était pas sous l’influence d’une autre cause de mort

bien reconnue ? Car la cause suffisante de la mort ainsi démontrée, l’administration du

chloroforme pourrait n’être qu’une simple coïncidence ; et si l’on juge, après tout, qu’elle a

pu concourir au résultat final, il ne faudrait pas encore accuser l’agent lui-même ; il y aurait

seulement lieu d’établir une contre-indication à son emploi » (25)

La généralisation d’une pratique nouvelle qui abolit la douleur chez la majorité des patients est

plus importante que la mort de quelques individus, même si on doit tout faire pour cerner

l’imprévu et déjouer la contre-indication. La majorité l’emporte sur l’individu comme condition

du progrès : le sacrifice de quelques vies individuelles, inacceptable du point de vue des

individus eux même, comme du point de vue éthique, est pourtant accepté dès lors que

l’intention est bonne et la prévision impossible. Le strict respect du droit de chacun pourrait

conduire à ne rien tenter dont le résultat ne soit pas certain. Ces arguments peuvent faire penser

à un autre débat du XVIIIème sur l’inoculation de la petite vérole.

Les termes du débat sont complexes et n’opposent pas seulement les droits de l’individu à la

vie contre les avantages de l’ensemble de la société mais aussi les degrés de probabilité

d’attraper la maladie et d’en mourir. L’attitude de Malgaigne s’explique par la conviction

légitime que toutes choses étant à peu près égales par ailleurs, c’est-à-dire l’accroissement du

risque mortel étant statistiquement négligeable, le véritable choix est entre souffrir et ne pas

souffrir. Ce qui signifie que dans l’appréciation des choix, le refus de la douleur peut, dans la

balance des avantages et inconvénients, peser plus lourd que la vie ce qui témoigne d’une

avancée des mentalités spectaculaire quand on se souvient qu’à l’époque précédente, la douleur

même si combattue par des traitements était considérée comme la preuve la plus éclatante de la

persistance de la vitalité.

Actuellement, cette même question est débattue depuis plusieurs années concernant la question

de l’euthanasie (dans le sens de provoquer la mort intentionnellement) dans laquelle deux

courants s’opposent et ne pourront jamais s’entendre : un qui fait de la vie la valeur suprême,

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l’autre qui ne veut pas de la vie à n’importe quel prix. Et c’est bien cette deuxième tendance

qui triomphe dans le débat sur l’anesthésie il y a plus d’un siècle.

Ces débats concernant l’anesthésie reviennent aussi à considérer la médecine comme un

art du probable. Il ne s’agit pas seulement de choisir entre la mort d’un individu et la vie de la

communauté mais d’une question de probabilité. Ce qui ne va pas au contraire de la rationalité

dont elle fait preuve avec la médecine expérimentale qui veut que chaque cause entraine un

effet mais finalement la rationalité doit justement considérer le probabilisme pour être exacte.

2.3 Considérations médico-légales

Toutes les tentatives qui suivent la découverte du protoxyde d’azote que ce soit pour l’isolement

de la morphine, pour l’éther ou, pour le chloroforme sont dominées par le spectre de

l’empoisonnement comme on peut le constater à la lecture du traité de toxicologie générale

d’Orfila. La naissance de la toxicologie et de la médecine légale se conjuguent en partie à leur

insu pour accréditer cette peur. La crainte de l’asphyxie par inhalation de gaz est tellement

ancrée que Claude Bernard doit encore démontrer en 1875 que l’anesthésie n’est pas une

asphyxie.

Afin d’éviter les accidents, de nombreuses techniques se développent comme l’observation de

la respiration ou autres instruments comme l’anesthésimètre du Dr Delabarre qu’il décrit dans

son livre en 1860 (26). Compte tenu de l’effet impressionnant qu’induisent les produits

anesthésiants sur la conscience et le corps humains, les questions d’une utilisation criminelle

émergent en même temps que le développement de la médecine légale.

Dans sa thèse sur les applications médico-légales des applications de l’anesthésie en 1868, E

Martino (27) résume les principales questions qui peuvent être soulevées. Concernant l’atteinte

même à la vie, les médecins détiennent une arme redoutable qu’ils peuvent utiliser à leur goût

au début de la pratique anesthésique et « il suffirait à des mains criminelles de prolonger ce

sommeil pour produire la mort ». Pourtant, Martino affirme qu’il doute que « les lois

n’autorisent jamais un droit de vie et de mort laissé ainsi au médecin » mais qu’en est-il de celui

qui désire soulager l’agonie d’un mourant… ? Par ailleurs, il relève la possibilité de la

dissimulation d’un accouchement : la contraception non courante, de nombreuses grossesses

sont dissimulées afin de permettre la disparition du bébé dès sa naissance. L’utilisation de ces

substances peut faciliter la dissimulation de l’enfantement en éliminant les cris et plaintes qui

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l’accompagnent. Inconsciente, les femmes peuvent subir des viols par ceux qui savent utiliser

le produit dont les médecins qui peuvent eux-mêmes être accusés au réveil de la patiente à juste

titre ou non. Concernant la responsabilité des patients anesthésiés, la question se pose de savoir

à quel moment perdent-ils connaissance de ce qui les entoure et le sujet n’étant pas conscient

sans « intelligence ni volonté, ni sensibilité », peuvent-ils être considérés comme responsable

de leurs paroles et actes ? Le diagnostic des maladies simulées qui permettent aux plus malins

d’échapper à l’armée ou de se disculper d’une accusation faute d’en être physiquement capable

est-il justifié dans la mesure où dans ce cas, l’anesthésie est utilisée sans avantage évident pour

le sujet et que le risque de mort reste présent ? Toutes ces questions amènent doucement à

prendre des résolutions comme la recommandation de ne jamais pratiquer l’anesthésie sans être

entouré de personnes dignes de foi qui pourraient témoigner ou encore la nécessité de discerner

les différentes phases de l’anesthésie et ses caractéristiques.

2 La place des médecins et de

l’Eglise

L’évolution de la conception de la douleur par le corps médical, objet principal de ce travail

traité précédemment ne peut être totalement compris sans le confronter à celle de l’Eglise. S’il

existe un préjugé commun et tenace selon lequel la médecine et l’Eglise, quasiment de tout

temps ont été en conflit et qu’il est vrai qu’elles le sont sur certains points au cours du XIXème

siècle, elles se retrouvent aussi sur d’autres notions et alternent finalement entre conflit et

collaboration comme le décrit Anne Carol (28).

2.1 La conception de la douleur par l’Eglise

D’un point de vue théologique, la douleur est salvatrice. Le sacrifice de Jésus Christ et

sa résurrection transfigure le rapport à la douleur pour tous les chrétiens. Comme si à son image,

l’intensité de la douleur avant la mort déterminait les conditions de la vie après la mort. La

douleur a non seulement une valeur de châtiment pour le mauvais chrétien, une valeur

rédemptrice (celui qui aura beaucoup pêché souffrira beaucoup) et représente un moyen de

progrès moral et de salut. La douleur qui affecte le juste apparaît comme un déni de la

Providence. Le paradoxe de la position de l’Eglise face à la douleur réside dans la coexistence

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de nombreuses explications données par l’Eglise à la douleur comme dans une volonté de lui

donner un sens et en même temps, l’éloge de la capacité de résignation voire de passivité à

l’égard de ce qui est présenté comme l’essence de la condition humaine. Cette acceptation de

la douleur est reprise d’un point de vue plus général, politique et social, dans la deuxième moitié

du XIXème siècle avec le développement exponentiel de la classe ouvrière dont les conditions

de travail déplorables côtoient la souffrance du dur labeur quotidien, l’état sanitaire inquiétant

et la « déshumanisation » du travail industriel.

2.2 Médecine, Eglise et Agonie

La médicalisation de la mort au XIXème siècle reflète tout à fait l’évolution de

l’alternance entre conflit et collaboration. L’investissement de la mort par les médecins au

XIXème siècle est due à la médicalisation de la société qui démocratise l’accès aux soins

(hospices, dispensaires…), à une stratégie de conquête médicale (nouveaux champs d’expertise

revendiqué par les médecins comme l’accouchement ou la puériculture), et par une demande

du public qui témoigne d’un attachement croissant à la vie. La mort et l’agonie ne sont plus

vues comme une fatalité. Une volonté de négociation entre l’individu et la mort se développe

sur deux plans : retarder l’heure de la mort et adoucir les derniers instants. C’est dans la

conception de ces deux actions, compatibles en théorie mais pas en pratique que se révèlent les

divergences entre l’Eglise et la Médecine.

Du côté des médecins, s’ils s’orientent rapidement vers l’administration des antalgiques

et notamment la morphine, la crainte de la toxicomanie et la peur de l’intoxication donc de la

mort par le produit lui-même les poussent à remplacer l’euthanasie chimique (comprendre au

sens premier du terme « bonne mort ») par l’euthanasie morale. Cette dernière passe par

davantage d’attention, de présence et surtout par le maintien de l’espoir d’une guérison dans

son discours au malade.

« Guérir ceux qui ont des maladies curables, soulager et tromper du même espoir ceux qui

en ont d’incurables, telle est la conduite obligée d’un médecin consciencieux » (19)

Ainsi, le médecin base son accompagnement moral sur le mensonge qu’il justifie par la crainte

d’achever le patient par la fatalité du pronostic. Cette attitude lui permet également d’obtenir la

bonne condition morale du patient et sa collaboration sans sa lutte contre la mort. Car il s’agit

bien pour le médecin de lutter de manière acharnée contre la mort elle-même en priorité.

L’image sacrée du médecin glorieux ne peut s’abaisser à se contenter d’attendre la fin de

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manière passive. C’est d’ailleurs dans cette perspective activiste que naît le concept de

dysthanasie.

Bien que l’Eglise prône le courage et la patience face à la douleur, elle ne s’oppose pas

formellement aux pratiques analgésiques. Au-delà de la valeur rédemptrice de la douleur, la

nécessité de la pleine conscience du malade pendant l’extrême onction n’est pas compatible

avec l’utilisation des produits analgésiques qui plongent les malades dans un état second voire

le coma. Par ailleurs, la collaboration entre le médecin et le prêtre est essentielle pour la bonne

réalisation de l’extrême onction qui nécessite un pronostic posé, un patient conscient de

l’imminence de sa mort et une adaptation de la médication permettant son état de conscience si

toutefois des analgésiques sont utilisés dans son cas. Or, la pratique du mensonge appliquée par

le médecin contrarie cette collaboration. Ainsi, la tradition qui voulait que le médecin passe à

un moment le relai au prêtre est battue en brèche par cette médicalisation de la mort qui fait que

le médecin refuse de s’effacer devant le curé, devant la mort qu’il s’acharne à combattre.

2.3 Laïcisation

Au début du siècle, la médicalisation lente et difficile laisse place à la religion forte et

omniprésente : les hôpitaux tardent à se laïciser et si la présence des médecins au chevet des

malades est intermittente, les sœurs en revanche sont omniprésentes et comblent également les

lacunes de la médicalisation dans les campagnes. Dans ce contexte où les sœurs bénéficient

d’un avantage en nombre et en répartition, des pratiques officieuses détournent les malades du

savoir médical. C’est dans le but d’y mettre fin et de permettre une médecine laïque en pratique

que le Dr Bourneville se bat sous la IIIème république pour obtenir la laïcisation des hôpitaux

et pour créer des écoles d’infirmières laïques.

Les nuances, courants et diversités caractérisant l’évolution de la douleur se retrouvent

dans la modification de la place des différents acteurs et le bouleversement des réglementations

qui l’entourent. De la même manière, ces courants se rejoignent dans les différentes idéologies

et mouvements sociétaux de l’époque.

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Discussion

Ce travail est inspiré du constat du décalage immense entre les théories et les pratiques

du début du XIXème et celles d’aujourd’hui. Compte tenu de cet écart et du contexte historique

post-révolutionnaire, nous avons naturellement imaginé une hypothèse selon laquelle le

XIXème serait le siècle du renouveau des idées et techniques médicales. Ainsi le but de ce

travail est d’étudier les écrits du XIXème ou le concernant afin d’étayer notre idée préliminaire,

d’en affirmer ou infirmer des idées. Pour rappel, pour étudier l’évolution de la douleur nous

nous sommes demandé quelle était la conception de la douleur au XIXème siècle d’un point de

vue théorique dans un premier temps puis quelle a été sa prise en charge, soit son traitement

pratique dans un second temps. Enfin, nous avons soulevé trois points majeurs en lien avec la

conception de la douleur selon nous dans notre troisième partie c’est-à-dire le manque d’unité

des acteurs du monde médical, les débats sur l’anesthésie et les modifications des places

respectives des médecins et de l’Eglise au chevet du malade.

Compte tenu des observations présentées précédemment, le prochain chapitre a pour but de

d’élargir les pistes de réponse à la question en investiguant le contexte social, économique et

philosophique afin d’en cerner toutes les facettes.

1. Un contexte disposé aux

innovations

1.1 Un souffle productif

Tous les champs d’expertise bénéficient d’un élan d’innovation sans précédent. Les

inventions, plus spectaculaires les unes que les autres, s’enchainent et sont facilement adoptées

par la population qui voit son confort s’améliorer : de nouvelles sources d’énergie facilite le

travail industriel et favorise une meilleure productivité, les transports se développent avec la

machine à vapeur et deviennent plus rapides, la photographie immortalise les souvenirs tandis

que le télégraphe ou le téléphone permettent de communiquer à distance plus rapidement. Le

perfectionnement de l’électricité et l’invention de l’ampoule électrique ou encore du vélocipède

sont des exemples de toutes ces nouveautés qui transforment le quotidien des Français et les

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perspectives de recherches des savants. Comme vu précédemment, la médecine ne fait pas

exception et profite de cet élan prolifique. Les sciences et techniques se mettent au service de

la compréhension du corps humain. Ainsi, les progrès de la chimie analytique permettent

l’isolement et la synthèse de la morphine et l’invention des seringues en 1860 son

administration par voie parentérale. Tandis que Claude Bernard s’appuie sur la physique et la

chimie pour étudier les grandes fonctions physiologiques, le thermomètre permet de

différencier la fièvre, les progrès en optique donnent naissance à l’ophtalmoscope et

l’apparition des ampoules électriques permet l’exploration des cavités jusqu’alors

inobservables (cytoscope, rectoscope, laryngoscope…). Entre le début et la fin du XIXème

siècle, la neurophysiologie connait un essor remarquable puisqu’inexistante au début du siècle

elle devient la figure de proue des auteurs dès la deuxième moitié du siècle. Concernant la

douleur, l’étude de ses processus physiologiques constitue en elle-même une incroyable

avancée théorique ayant permis la modernisation de l’exercice médical mais le bouleversement

majeur du siècle est bien l’avènement de l’anesthésie. Révolutionnaire d’un point de vue

pratique, son étude permet aussi d’avancer sur les questions théoriques de la douleur. Le

développement de l’anesthésie est une révolution médicale.

C’est dans ce contexte d’accès d’ambition et d’idées novatrices que les découvertes concernant

la douleur jaillissent, pensées par des esprits pertinents et permises par des innovations

ingénieuses. A cette époque plus que jamais, le savant, comme l’ingénieur est vu comme un

génie, le culte du médecin est inscrit dans les consciences et les scientifiques sont sacralisés.

1.2 Une science au service de l’industrie et de la

productivité

Concernant le fond de la question sur la douleur les théories foisonnent et les débats

vont bon train, plus particulièrement après l’avènement de la physiologie expérimentale. Avant

d’avoir les outils indispensables et nécessaires à l’exploration par laquelle tous les scientifiques

jureront à postériori, rien n’était à démontrer de manière concrète mais tout était question

d’argumentation par la persuasion : les belles tirades suffisaient à convaincre les plus réticents.

C’était l’époque de l’état métaphysique pendant laquelle les choses se justifiaient via des entités

abstraites avec lesquelles les philosophes tissaient des raisonnements au gré de leur propre

valeur ou au nom des grandes morales. A cette époque, il n’y avait pas d’enjeu industriel et

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commercial majeur. L’industrialisation et donc la commercialisation sous-entendent

productivité et rentabilité. Les acteurs de ce milieu réfléchissent en statistiques, en chiffres et

en risques. Le monde médical se met au pas de cette nouvelle réalité. Si tous les scientifiques

ne sont pas des hommes d’affaires, ils sont inévitablement influencés par le système

économique qui les entoure. Evidemment la pure passion scientifique, l’optimisme et

l’ambition stimulent les esprits les plus novateurs mais si la tendance est à la défense d’une

science pure et objective, elle s’inscrit quand même dans un contexte d’industrialisation

massive et de développement de la consommation. Il n’est pas indécent d’imaginer que la

recrudescence des hypothèses et la prolifération des expérimentations soient également

motivées par l’industrie pharmaceutique et la commercialisation de nouveaux traitements

notamment antalgiques. La douleur empêche l’ouvrier d’exécuter sa tâche efficacement. Dans

un monde où le prolétariat se développe de manière exponentielle en parallèle d’une nouvelle

classe bourgeoise, on peut imaginer qu’ils soient nombreux, hommes et femmes, à chercher à

ne plus souffrir que ce soit pour continuer à travailler pour certains ou augmenter leur qualité

de vie pour les autres.

2. La philosophie de la douleur :

les effets du positivisme

2.1 L’homme déchu de son statut sublimé

Si les phases décrites par Dechambre ne se vérifient pas chronologiquement, les états

des recherches d’Auguste Comte semblent davantage pertinents concernant les étapes de

conception de la douleur. Effectivement, la phase clinique n’est pas la phase ultime de la

conception de la douleur dans la mesure où elle précède largement la phase physiologique.

Parallèlement, A. Comte décrit les états de recherches par lesquels passent tout sujet lorsque

l’Homme se l’approprie: du religieux au scientifique en passant par le philosophique.

Incontestablement, le XIXème siècle s’impose comme l’apogée de l’état positif ou scientifique

et cette tendance se devine dans l’évolution des définitions de la douleur. D’abord, l’évolution

du vocabulaire la concernant dénote l’abandon total des champs lexicaux subjectifs liés aux

émotions ou une quelconque valeur méliorative ou péjorative au profit de mots entièrement

dénués de connotations : neutres et précis. Ensuite, la différenciation entre la douleur morale et

la douleur physique symbolise la volonté d’isoler les phénomènes observables et reproductibles

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liés à l’état physique des émotions et autres humeurs laissées à la spécialité de la psychiatrie.

L’évolution de la définition de la douleur au cours du siècle reflète l’influence du positivisme

qui se base sur la méthode expérimentale pour décrire la réalité et du réductionnisme qui tente

de dépouiller la douleur de tous les autres aspects qui la définissent en dehors de ses mécanismes

neurophysiologiques. Dans le domaine médical mais pas seulement, le scientisme, basé sur le

positivisme et le matérialisme est un mouvement qui déteint sur tous les autres champs

d’expertise. En biologie notamment, les nouvelles théories de l’évolution tendent à démontrer

une origine animale de l’homme. L’exploration physiologique de l’homme et la synthèse

chimique de matière organique appuient l’idée selon laquelle le vivant peut être réduit à des

processus physico-chimiques. En science humaine, Marx, Nietzche et Freud, trois figures

emblématiques du siècle s’illustrent dans des thèmes bien différents mais se retrouvent dans

l’idée selon laquelle ce qui était précédemment considérées comme œuvre de l’esprit trouvent

en réalité son ultime fondement dans les instincts et la sensibilité de l’être humain. L’Homme,

au siècle précédent sublimé du fait de sa capacité de raison et de liberté, est finalement ramené

à son statut animal au XIXème siècle. Qu’il obéisse à son instinct de conservation par le travail

selon Marx, qu’il ne soit qu’un maillon de l’évolution répondant à son instinct de survie selon

Nietzche ou que ses actes soient dictés par son inconscient et ses pulsions sexuelles selon

Freud ; pour chacun d’entre eux, la liberté n’est qu’une illusion et l’Homme un élément d’un

système plus large. On serait portés à croire que ce réductionnisme, que cette dévalorisation

systématique de l’être humain, que toute cette entreprise entraîne une morosité et une tristesse

de voir l’homme ainsi dépossédé de ce que des traditions millénaires considéraient comme étant

son honneur et son privilège. Au contraire, il s’agit plutôt d’un sentiment de libération, d’un

affranchissement de certaines contraintes ou de peurs associées à la condition humaine

classique, qu’elles viennent de la morale, de la religion ou des exigences rationnelles. La

période qui va de la guerre 1870 à la guerre 1914 (au naufrage du Titanic pour d’autres) sera

nommée la Belle époque, c’est le temps de la joie de vivre, de la gaieté, de la frivolité. Les lieux

de distraction se multiplient : cabarets, cirques, music-halls. Cette attitude apparemment frivole

et follement optimiste est cultivée par l’élite intellectuelle qui à la fois exprimaient, fondaient et

entretenaient l’optimisme et l’euphorie de l’époque.

2.2 La science porteuse d’espoir

« Citoyens, le 19ième siècle est grand mais le vingtième siècle sera heureux…. On n'aura

plus à craindre comme aujourd’hui, une conquête, une invasion, une usurpation, une rivalité

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de nations à main armée, une interruption de civilisation dépendant d’un mariage de rois,

une naissance dans les tyrannies héréditaires… ; on n’aura plus à craindre la famine,

l’exploitation, la prostitution par détresse, la misère par chômage et l’échafaud, et le glaive

et les batailles et tous les brigandages du hasard dans la forêt des événements. On pourrait

presque dire : il n’y aura plus d’événements. On sera heureux. » (29)

Les innovations scientifiques sont telles qu’elles inspirent beaucoup d’espoir pour le

siècle à venir. Les progrès médicaux prodigieux comme le développement de la vaccination ou

la démocratisation de l’anesthésie et des analgésiques développent une idée d’invincibilité qui

s’installe dans les mentalités. D’un point de vue sanitaire, l’être humain est désormais capable

de prévenir des épidémies avant même d’en être affublé et peut désormais dompter le mal de

tous les siècles : la douleur. La science serait donc capable dans les années à venir d’apporter

de meilleures conditions de vie, d’éliminer la pauvreté, d’assurer le progrès moral de

l’humanité, d’assurer la paix, de rendre les hommes meilleurs…

3. Les prémices d’un siècle de

décadence

3.1 Si la science pouvait rendre l’homme meilleur

Au cours de ce siècle, l’Homme réussit à maitriser son environnement grâce à de

nouvelles machines, à lutter contre des phénomènes jusqu’alors subis grâce à de nouveaux

produits (vaccination, douleur), à modifier les conditions inhérentes à la nature (lumière en

pleine nuit, communication à distance) pour vivre à son propre rythme. Si les scientifiques

réussissent tant d’exploits, pourquoi ne seraient-ils pas en mesure de répondre aux plus grandes

aspirations de la population en rendant l’Homme meilleur? Meilleur travailleur, meilleur père

de famille, meilleur citoyen… Compte tenu des avancées majeures et du réductionnisme

ambiant ravalant l’Homme à son statut d’élément quantifiable, qu’est-ce qui empêcherait les

savants d’établir les lois régissant une vie idéale?

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3.2 Développement de l’hygiénisme

C’est avec une certaine arrogance, la volonté de classifier et le déni de l’existence même

de ce qui ne peut être expliqué que se développe l’hygiénisme. Phénomène complexe, il

recouvre un ensemble de discours et de règlementation destinés à favoriser la santé en instituant

des mesures préventives dans tous les domaines de la vie quotidienne, à l’échelle d’un individu,

d’un groupe, d’une ville ou d’un Etat. Rien, en effet, n’échappe au regard de l’hygiéniste, à son

esprit comptable. L’hygiéniste recouvre un champ d’expériences et de projets se nourrissant à

la fois du scientisme (la science peut tout expliquer matériellement) et du positivisme (seule la

science peut faire progresser l’humanité). Le médecin hygiéniste est devenu le directeur des

consciences, le conseiller des édiles. Ainsi, de la même manière que certains expliquent les

caractères, les déviances ou les vertus à partir de l’observation du crâne et du visage (ancienne

physiognomonie ou phrénologie), la variabilité du ressenti de la douleur est un prétexte à la

classification des êtres humains dans les définitions de la douleur. Ils sont ainsi divisés selon

leur âge, leur sexe, leur classe sociale mais aussi selon leurs « races ». Dans un contexte de

colonisation, il est facile d’imaginer que l’effort de classification des êtres humains dans un but

peut-être bienveillant et sans hiérarchie au départ ait rapidement dévié en catégorisation les uns

par rapport aux autres établissant les « meilleurs » et les « pires » êtres humains selon des

critères divers et variés.

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Conclusion

La douleur connait une évolution majeure au cours du XIXème siècle tant d’un point de

vue théorique que pratique. Les différentes mutations observées concernant la douleur, sa

conception et prise en charge, sont cohérentes avec les bouleversements sociétaux et

l’observation du changement des mentalités. La douleur au XIXème siècle s’inscrit tout à fait

dans son temps, sujette à de nombreuses innovations et découvertes, elle est imprégnée des

courants philosophiques, économiques et religieux qui l’entourent.

La conception de la douleur présente une évolution notable entre le début et la fin du

siècle. Qu’il s’agisse du fond de la question concernant par exemple sa nature, ses causes et

conséquences, ses effets ou bien la manière dont elle est abordée. La douleur est

dépersonnalisée et les observations permettant de la définir deviennent plus objectives. Les

avancées de la physiologie permettent une avancée rapide et fulgurante par rapport au siècle

passé dans la compréhension des phénomènes liés à la douleur. Même si de nombreuses

questions demeurent à l’orée du XXème siècle, toutes ces nouvelles théories constituent la base

d’une réflexion scientifique pertinente et efficace. En essayant de dégager quelques lignes

directrices de ces chantiers, il semble que la théorie de la spécificité occupe une situation

paradoxale dans la mesure où elle est jugée comme insuffisante tout en continuant d’être mise

en avant dans les études. D’un autre côté, la théorie de la sommation n’exclut pas celle de la

spécificité mais se situe à un autre niveau : celui de la transmission et la communication des

informations. Tantôt opposés, tantôt chevauchés ou encore compensés l’un par l’autre, ces deux

axes de réflexions sont prépondérants pour l’explication des mécanismes de la douleur depuis

le XIXème siècle.

S’il existe un bouleversement majeur dans l’Histoire de la douleur, il s’agit bien du

changement du sens qui lui est donné quant à son utilité dans le diagnostic, le pronostic et le

traitement du mal. Longtemps considérée comme indispensable à l’existence de la maladie et

aux thérapeutiques mises en place pour la guérison, elle est finalement réduite à un signe

d’alarme et un symptôme de la dite maladie (excepté dans des cas précis comme les névralgies

essentielles). Cette nouvelle conception de la douleur comme un signe clinique parmi d’autres,

non essentiel à la guérison permet la naissance de la notion de soins « palliatifs » accompagnés

ou non de soins « curatifs ». Le XIXème siècle accueille d’ailleurs le début des soins palliatifs

en France avec la fondation de l’œuvre du Calvaire à Lyon par Jeanne Garnier en 1842.

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L’anesthésie reste la découverte majeure et remarquable qui est elle-même le fruit des

expériences de visionnaires prêts à tous les risques pour trouver une solution antalgique à la

chirurgie. Elle influence irrémédiablement cette conception de l’utilité de la douleur tout en

engendrant de nouvelles questions légales, éthiques et pratiques. De manière générale, à la fin

du XIXème, la douleur est traitée quand elle peut l’être et perd sa valeur thérapeutique et

salvatrice voire rédemptrice.

Comme développé dans les paragraphes précédents, cette évolution de la douleur

s’inscrit dans un contexte social et nombreux sont les domaines touchés par une évolution

similaire en lien direct ou indirect avec elle. La prise en charge et la conception de la douleur

inspirent et sont inspirées des courants de pensées contemporains. Ainsi, l’étude de la douleur

dans tous ces aspects reflètent les mouvements idéologiques du siècle (positivisme,

hygiénisme).

Concernant la situation actuelle des recherches sur la douleur, les chantiers restent

ouverts et la part des incertitudes demeure peut-être bien plus large que celle des questions

résolues. Sans équivoque, l’Histoire de la douleur n’est pas terminée et des conclusions peuvent

être tirées de l’étude du concept douloureux au XIXème applicables de nos jours afin de

continuer à écrire les pages de cette épopée à la recherche des vérités sur la douleur. D’abord,

la nécessité du rapprochement entre les disciplines fondamentales et la valeur de l’approche

clinicienne sont indispensables à une avancée dans la compréhension des phénomènes. Ensuite,

même si les discussions se poursuivent sur les théories d’ensemble et que beaucoup de faits

restent inexpliqués comme l’effet placebo ou encore l’hypnose, les progrès initiés au XIXème

et poursuivis au XXème siècle restent indéniables et spectaculaires en comparaison des siècles

passés. Pourtant encore de nos jours, si des mécanismes pathologiques sont compris, les patients

continuent d’en souffrir. Comme au XIXème siècle, il existe aujourd’hui un décalage entre la

théorie et la pratique qui obéissent au cours de l’Histoire à des rythmes et logiques respectifs et

différents. S’il est évident que le XIXème siècle présentent une révolution considérable des

savoirs et des pratiques, le XXIème siècle rivalise-t-il avec ce siècle révolutionnaire en termes

d’avancée médicale ? Nous ne sommes pas à l’abri d’une brusque accélération dans les années

à venir… Enfin, peut-être existe-t-il une leçon à tirer quant à la manière d’exercer et de

concevoir la médecine. Depuis le scientisme du XIXème siècle, les médecins se réfugient

derrière les protocoles et la pharmacologie tandis que les patients ont une foi inébranlable dans

les pouvoirs de la médecine. Médecins et patients se complaisent dans l’idée que la médecine

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est une science plus qu’un art. La douleur, ressentie encore aujourd’hui de manière universelle,

remet quotidiennement en question ces certitudes. Elle est subjective, elle est personnelle et

individuelle. Elle est comme l’expérience limite dans laquelle chacun se retrouve confronté à

soi-même. Elle oblige à une réappropriation individuelle comme la conquête par chacun de son

statut de sujet vivant. Bien sûr, la médecine est une science dans la mesure où le médecin

apprend le savoir et le savoir-faire. Pourtant, « J’ai mal docteur »… Le savoir-être du médecin

face à la plainte n’est-il pas la première des réponses à donner? La médecine est un art dans

tout ce qu’elle représente d’instinctif, d’inexplicable, d’évident.

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Annexes

ANNEXE 1 : Discours sur la douleur, prononcé à l’ouverture des cours d’Anatomie et de

Chirurgie de l’hôtel Dieu de Lyon, le 18 novembre 1798.

ANNEXE 2 : Extrait de la définition de la douleur concernant els « Phénomènes et Moyens

d’expression de la douleur » selon Panckoucke en 1814.

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ANNEXE 1

Discours sur la douleur, prononcé à l’ouverture des cours d’Anatomie et de Chirurgie de

l’hôtel Dieu de Lyon, le 18 novembre 1798.

« Citoyens,

Je viens vous entretenir un moment d’un de vos ennemis du genre humain ; d’un tyran qui

frappe, avec une égale cruauté, l’enfance et la vieillesse, la foiblesse et la force, qui ne respecte

ni les talens, ni les rangs ; qui n’est jamais attendri par le sexe ou par l’âge ; qui n’a point d’amis

à épargner, point d’esclave à ménager ; qui frappe sa victime au milieu de ses amis, dans le sein

des plaisirs, et sans craindre l’éclat du jour plus que le silence des nuits ; contre qui la

prévoyance est vaine, et la défense d’autant moins sûre, qu’il semble s’armer contre nous de

toutes les forces de la nature.

A ce fidèle tableau, vous m'avez tous compris ; vous avez reconnu l'ennemi de la félicité

humaine, et la douleur est le tyran que je n'osais vous nommer. La douleur !

Loin d'ici, amis folâtres du plaisir, vos oreilles sont blessées par les accents de ma voix sévère.

Eloignez-vous, hommes heureux, dont les yeux n'ont jamais su répandre des larmes, dont le

cœur ne s'est point amolli sous l'impression de la douleur ; éloignez-vous, ou plutôt restez-tous ;

en est-il parmi vous qui n'ait jamais goûté sa funeste amertume ? Ah ! J'en atteste vos souvenirs !

La douleur est le premier sentiment qui nous fait apercevoir la vie ; elle se mêle à tous les

moments de sa trop courte durée, et l'on dirait que la nature avait besoin de l'opposer au plaisir,

comme dans l'air que nous respirons ; elle a combiné, par un art heureux le germe empoisonné

de la mort, avec l'aliment de la vie.

Soyez cependant sans larmes, vous qui daignez m'entendre et dont la sensibilité, peut-être est

d'avance effrayée des tableaux que je vais offrir ; je n'en chargerai point les couleurs ; je ne

viens point briguer le triste honneur de déchirer vos âmes : si en définissant la douleur, je

m'arrête un moment sur les causes qui la produisent, et sur celles qui l'aggravent ; si je cherche

à saisir ces différents caractères ; si j'étudie ses effets sur tous les organes du sentiment, dans

tous les âges de la vie ; si surtout j'en examine les dangers et les degrés cruels, par lesquels elle

amène le déchirement et la mort, je le ferai avec tous les égards, tous les ménagements que l'on

doit à la sensibilité ; j'imiterai, autant qu'il dépendra de moi, les artistes savants, qui, ne touchant

que des poisons, savent en faire sortir pour l'homme, ou le plaisir ou un bienfait.

Un moment je m'arrêterai sur l'espoir consolant d'en trouver le remède ; je le chercherai partout ;

je le demanderai à l'expérience, à l'analogie, et surtout à la nature. J'en ferai plus encore ; j'oserai

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vous dire que la douleur est utile ; j'en accumulerai les preuves ; et si je ne vous entraîne pas

par le sentiment de la vérité, je vous laisserai du moins celui d'une heureuse illusion. »

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ANNEXE 2

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