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Prix : 22 ISBN 978-2-85944-622-2 ISSN à venir Synonyme de perfection, de mesure, de grâce ou de raisonnable dans l’art gouverné par les codes hérités de la tradition gréco-latine, la notion de beauté – dont l’icône emblématique est la Vénus de Milo – commence au XIX e siècle à être sérieusement ébranlée. Des romantiques aux symbolistes, n’est beau que l’étrange, le mystérieux, le surprenant ou le fantastique, issu d’une « rencontre fortuite ». On réhabilite le contrepoids du beau: la laideur. Au début du siècle dernier les mythes de la société industrielle et l’exemple des « arts premiers » impo- sent des critères esthétiques différents. Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, parler de beauté devient presque indécent. C’est uniquement à l’aube de notre siècle que la notion de beauté fait son retour dans le vocabulaire et les préoccupa- tions des historiens d’art. Sans avoir la prétention de définir l’idée de beau- té dans la diversité des théories esthétiques ou philosophiques, la première journée d’étude de l’École doctorale Histoire de l’art de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à travers des exemples particuliers d’images, d’objets ou de pratiques ancrées dans l’histoire, retrace les Mésaventures de Vénus au cours des deux derniers siècles. Le caractère à la fois fédérateur et très large des questions autour du Beau a facilité la ren- contre de jeunes intervenants et de chercheurs confirmés issus de domaines d’étude variés, qui ont pu nourrir, par leur contribution, les cinq chapitres abordés au cours de cette jour- née : Une beauté autre : du mystère à la merveille ; La beauté détournée : humour et mauvais goût ; La beauté subterfuge : une stratégie de la résistance ; La beauté venue d’ailleurs ; Beauté et prouesses techniques. Vers un réenchantement du monde ? Cette diversité des participants (historiens de l’art contemporain, de l’architecture, de la photographie ou de l’art africain) garantit une pluralité des approches et s’inscrit dans l’articulation de l’Équipe d’accueil Histoire culturelle et sociale de l’art (HiCSA). VIENT DE PARAÎTRE Publications de la Sorbonne 212, rue Saint-Jacques 75005 Paris Tél. : 01 43 25 80 15 – Fax : 01 43 54 03 24 LES MÉSAVENTURES DE VÉNUS LA NOTION DE BEAUTÉ DANS L ART DES XIX e ET XX e SIÈCLES HISTO. ART 1 TRAVAUX DE L ÉCOLE DOCTORALE HISTOIRE DE L ART

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Prix : 22 €ISBN 978-2-85944-622-2ISSN à venir

Synonyme de perfection, de mesure, de grâce ou de raisonnable dans l’art gouverné par les codes hérités de la tradition gréco-latine, la notion de beauté – dont l’icône emblématique est la Vénus de Milo – commence au XIXe siècle à être sérieusement ébranlée. Des romantiques aux symbolistes, n’est beau que l’étrange, le mystérieux, le surprenant ou le fantastique, issu d’une « rencontre fortuite ». On réhabilite le contrepoids du beau: la laideur. Au début du siècle dernier les mythes de la société industrielle et l’exemple des « arts premiers » impo-sent des critères esthétiques différents. Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, parler de beauté devient presque indécent. C’est uniquement à l’aube de notre siècle que la notion de beauté fait son retour dans le vocabulaire et les préoccupa-tions des historiens d’art.Sans avoir la prétention de définir l’idée de beau-té dans la diversité des théories esthétiques ou philosophiques, la première journée d’étude de

l’École doctorale Histoire de l’art de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à travers des exemples particuliers d’images, d’objets ou de pratiques ancrées dans l’histoire, retrace les Mésaventures de Vénus au cours des deux derniers siècles.Le caractère à la fois fédérateur et très large des questions autour du Beau a facilité la ren-contre de jeunes intervenants et de chercheurs confirmés issus de domaines d’étude variés, qui ont pu nourrir, par leur contribution, les cinq chapitres abordés au cours de cette jour-née : Une beauté autre : du mystère à la merveille ; La beauté détournée : humour et mauvais goût ; La beauté subterfuge : une stratégie de la résistance ; La beauté venue d’ailleurs ; Beauté et prouesses techniques. Vers un réenchantement du monde ? Cette diversité des participants (historiens de l’art contemporain, de l’architecture, de la photographie ou de l’art africain) garantit une pluralité des approches et s’inscrit dans l’articulation de l’Équipe d’accueil Histoire culturelle et sociale de l’art (HiCSA). v

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les mésaventures de vénus la notion de beauté dans l’art des xixe et xxe siècles

histo.art – 1travaux de l’école doctorale histoire de l’art

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hIsto.art – 1travauX de l’école doctorale hIstoIre de l’art

les mésaventures de vénus la notIon de beauté dans l’art des XIXe et XXe sIècles

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Table des matières

Avant-propos Françoise Dumasy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Introduction Marina Vanci-Perahim, Les mésaventures de Vénus. . . . . . . . . . . . . . . . 7

Éric Darragon, La beauté indirecte et l’art moderne . . . . . . . . . . . . . . 11

Une beauté autre : du mystère à la merveilleNathalie Lorand, La beauté du monde et la conversion du regard dans l’œuvredu peintre lituanien M. K. Čiurlionis (1875-1911) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23Adriana Sotropa, À propos de Dimitrie Paciurea (1873-1932) : réflexionssur le beau dans la culture symboliste roumaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37Alba Romano Pace, « Beau comme » une boîte magique : la beauté convulsiveet les objets de Mimi Parent ou ceux de Joseph Cornell . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49Marc Aufraise, La beauté selon Dalí : extase, comestibilité et perversion. . . . . . . . . . . 61

La beauté détournée : humour et mauvais goûtClaude Massu, L’architecture de Frank Furness : de la laideur romantiqueà la beauté postmoderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77Marie Bonnet, La beauté à l’épreuve de l’humour : l’appropriationdu chef-d’œuvre par sa reproduction (des Incohérents à Présence Panchounette) . . . . . . 83Fabien Petiot, De l’Arcadie à ses dérivés de carte postale : le paysage kitsch . . . . . . . . 101

La beauté subterfuge : une stratégie de la résistanceJohan Popelard, Scipione, le baroque et la crise de la beauté . . . . . . . . . . . . . . . . . 119Jeanne-Marie Portevin, La beauté mélancolique contre l’imagerie naziedu « héros ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133Mildred Durán Gamba, Au-delà de la beauté : la transfiguration de la violencedans l’œuvre de quatre artistes colombiens contemporains : Jaime Ávila,Juan Manuel Echavarría, Oscar Muñoz et Miguel Ángel Rojas . . . . . . . . . . . . . . . 147

La beauté venue d’ailleursJulien Volper, Le corps transformé : une esthétique africaine . . . . . . . . . . . . . . . . 163Dagara Dakin, Le regard de l’autre : rêve de modernité dans la photo ghanéenne. . . . . 175

Beauté et prouesses techniques. Vers un réenchantement du monde ?Michel Poivert, L’image photographique, la beauté contraire . . . . . . . . . . . . . . . . 185Christina Tschech, Une poésie pour tous les sens : l’art de la vidéo et de l’installationchez Pipilotti Rist, Bill Viola, Olafur Eliasson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191Brenda Lynn Edgar, Le retour de la décoration : ornementation algorithmiquedans l’architecture de la deuxième moitié du xxe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207

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AVANT-PROPOS

La même année – 2006 – et à quelques semaines d’intervalle, l’École doctoraleHistoire de l’art et l’École doctorale Archéologie de l’UFR Histoire de l’art et Archéo-logie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ont tenu leur première journéed’études. L’une s’interrogeait sur « Les mésaventures de Vénus » et la notion debeauté dans l’art des xixe et xxe siècles, l’autre réfléchissait sur les liens entre culturematérielle et espace culturel. Trois ans plus tard, à nouveau à quelques semainesd’intervalle, les Actes de ces travaux voient le jour, inaugurant une série de publi-cations qui refléteront l’activité scientifique de nos doctorants. C’est un réel plaisirpour moi de voir se réaliser l’un des projets mis en place dans le cadre du LMD : cesjournées donnent désormais tout leur sens au dispositif d’encadrement de la recher-che auquel répondent les Écoles doctorales.

L’existence de deux Écoles doctorales à l’intérieur d’une même UFR a conduitau choix d’une maquette commune. Conçue par Adrienne Barroche, photographeà l’UFR, et déclinée sous les titres d’Histo.art et d’Archéo.doct, elle donne ainsi unemeilleure visibilité aux travaux des uns et des autres et souligne, au-delà des spé-cificités de la démarche de l’historien de l’art et de l’archéologue, l’intérêt d’inter-rogations et d’analyses croisées. La présence, parmi les composantes de l’Équiped’accueil Histoire culturelle et sociale de l’art (HiCSA), d’une équipe « Monde romainet post-romain », à l’interface entre l’archéologie et l’histoire de l’art, nous a déjàinvités à lancer une première table ronde consacrée à « L’archéologie de la destruc-tion », puis une autre portant sur « Les métamorphoses des lieux et des choses à lafin de l’Antiquité ». Récemment un colloque sur les « Fabriques de l’allégorie del’Antiquité à nos jours » a permis d’approcher les conditions de permanence et demutation de l’allégorie sous l’angle des pratiques et des discours. On pourrait doncenvisager, à l’intérieur même de l’UFR, des journées communes comme c’est le casavec d’autres Écoles doctorales.

Dès maintenant, ces publications confirment la dynamique à l’œuvre dans lesdifférentes équipes et illustrent à quel point la formation de nos doctorants – quisont les chercheurs de demain – est essentielle dans notre démarche pédagogique.

— Françoise DumasyDirectrice de l’UFR 03 – Histoire de l’art et Archéologie

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INTRODUCTION

LES MÉSAVENTURES DE VÉNUS

— Marina Vanci-Perahim

Au début de l’année 1820, on découvre à Milos, île des Cyclades, la statuede marbre d’une femme à demi dévêtue dont la grâce rassurante, l’équilibredes proportions et la perfection d’exécution s’imposent en dépit de sa muti-lation. On identifie sous ses traits la déesse de la beauté : Aphrodite pour lesGrecs, Vénus pour les Romains.

Exposée au Louvre un an plus tard, reproduite et diffusée un peu partoutdans les musées, la Vénus de Milo devient vite, dans une Europe où la scèneartistique est encore réglée par le néoclassicisme et les codes hérités de la tra-dition gréco-latine, l’icône synthétique de la Beauté absolue.

Cependant, et de façon presque simultanée, en Angleterre, en Allemagne,en France, se manifestent dans l’art et la littérature les premiers signes évi-dents d’une insoumission aux règles esthétiques gouvernées par le conceptimmuable d’une Beauté idéale. Le romantisme, par l’apparition de l’indivi-dualisme et la libération des désirs, non seulement élargit la gamme des sujetsdans lesquels émergent le doute, la mélancolie, l’irrationnel, le fantastique,mais surtout établit, selon les termes de Baudelaire, une nouvelle « manièrede sentir1 » qui va entraîner une diversité des formes d’expression. Déter-miner les critères de la Beauté devient une affaire personnelle : « J’ai trouvéla définition du Beau – de mon Beau », écrit l’auteur des Fleurs du mal2. La

1. C. Baudelaire, Le Salon de 1846, 1846, dans Œuvres complètes, Paris, Pléiade, 1954.

2. Ibid., Fusées, 1887, p. 1265.

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ruine du Beau s’accompagne dans le même temps d’une réhabilitation de lalaideur : « De tes bijoux, l’Horreur n’est pas le moins charmant3 ».

En 1853 paraît en Allemagne l’ouvrage de Karl Rosenkrantz, Esthétique dela laideur, dont vont se réclamer plusieurs démarches de l’art moderne.

Les mésaventures de Vénus, déjà bien engagées, vont se prolonger tout aulong du xixe siècle et au-delà, profanant sans merci l’image immuable de labeauté classique. Des romantiques aux symbolistes n’est beau que l’étrange, lemystérieux, le surprenant, l’insolite. La Beauté pourra donc être « rencontrefortuite », naître de l’irruption de l’imprévisible. Pour décrire celle de Mal-doror, héros romantique porteur d’une conscience tragique, Lautréamontprocède par comparaison :

[…] beau comme […] la rencontre fortuite d’une machine à coudreet d’un parapluie sur une table de dissection […]4.

Rimbaud quant à lui la trouve définitivement « amère » :Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. Et je l’ai trouvée amère. Etje l’ai injuriée […]5.

Au début du xxe siècle, on veut croire à une beauté nouvelle, celle de l’artsauvage, non altérée par les valeurs esthétiques occidentales (l’impact dumasque africain n’est pas visible seulement chez Picasso mais aussi dans l’œu-vre des expressionnistes allemands). On croit également à l’esthétique surgiedes nouveaux mythes de la société industrielle, de la machine, des sciencesexactes, du Progrès…

Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’unebeauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de courseavec son coffre orné de gros tuyaux, […] une automobile rugissantequi a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire deSamothrace,

déclare Marinetti en 19096. Par une série d’expériences plastiques lesfuturistes, les constructivistes puis les premiers abstraits vont tenter, par

3. C. Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal XXI, ibid.

4. L. Ducasse sous le pseudonyme du comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, 1869, dansLivre de Poche, Paris, 1992, p. 206.

5. A. Rimbaud, Une saison en enfer, 1873, dans Poésie, Paris, Classiques français, 1993, p. 117.

6. F.T. Marinetti, « Premier manifeste du Futurisme », Le Figaro, 20 février 1909.

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Les mésaventures de Vénus

équivalence, de redéfinir les nouveaux paramètres de la beauté contem-poraine.

Enfin Dada vint. Sa démarche se situe au-delà du beau et du laid. MarcelDuchamp trouve son « modèle d’expression le plus efficace dans la parodie7 »et la provocation qui devient alors aussi une dimension du surréalisme. Sal-vador Dalí détourne la vénérable statue de la Vénus de Milo : pourvue detiroirs, elle se métamorphose en un meuble inutile et absurde8. André Bretonpropose une nouvelle dimension de la beauté qui doit surgir de la quête dumerveilleux. Puisée dans le hasard et l’expérience du vécu, « ni dynamique nistatique9 », « faite de saccades10 », elle jaillit du « cœur humain, beau commeun sismographe11 ». Cette « beauté sera convulsive ou ne sera pas12. »

Après la Seconde Guerre mondiale et durant quelques décennies, la notionde beauté disparaît totalement du discours critique. La mémoire des événe-ments récents avec ses images d’horreurs fait qu’il devient presque indécentde parler de beauté.

À l’aube du xxie siècle, elle revient néanmoins dans le vocabulaire etles préoccupations des historiens d’art. On lui consacre plusieurs exposi-tions dans le monde : à la fin des années 1990, Beauty Now au Kunsthausde Munich et au Hirshhorn Museum de Washington en 1999 ; La beauté infabula à Avignon en 2000. À quoi doit-on ce regain d’intérêt ? Serait-ce unsigne des temps ? La théâtralité des nouvelles formes d’expression artistique(installation, performance, vidéo…) y est-elle pour quelque chose ?

La première journée d’étude de l’École doctorale Histoire de l’art avaitl’ambition, par des approches variées dans le temps et l’espace, de reconsti-tuer l’aventure de cette notion et d’envisager, peut-être, quelques réponsesaux questions complexes qu’elle soulève.

Les communications ici rassemblées n’ont donc nullement la prétentionde définir l’idée de la beauté dans la diversité des théories esthétiques ou

7. R. Lebel, Marcel Duchamp, Paris, Belfond, 1985, p. 166.

8. Vénus de Milo aux tiroirs, 1936.

9. A. Breton, Nadja, Paris, Gallimard, 1964, p. 189.

10. Ibid., p. 189.

11. Ibid., p. 190.

12. Ibid.

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philosophiques. Les différents aspects de ces concepts feront surface à tra-vers des exemples particuliers. C’est la singularité d’une image, d’un objet oud’une pratique, ancrée dans l’histoire, qui nous mènera à une vision synthé-tique de la notion étudiée.

Les auteurs de ces communications, principalement de jeunes chercheurs,sont issus des différents séminaires de notre École doctorale : histoire de l’artcontemporain (séminaires des professeurs Éric Darragon, Philippe Dagen etMarina Vanci-Perahim), histoire de la photographie (séminaire du professeurMichel Poivert), histoire de l’architecture (séminaire du professeur ClaudeMassu) et histoire de l’art africain (séminaire du professeur Jean Polet). Cettediversité des participants, qui garantit une pluralité des approches, s’inscritdans la nouvelle orientation de l’Équipe d’accueil Histoire culturelle et socialede l’art (HiCSA).

Le caractère à la fois fédérateur et très large des questions du Beau a facilitéla rencontre des intervenants issus de domaines de recherche variés, qui ontpu nourrir, par leur contribution, les cinq chapitres abordés au cours de cettejournée d’études : Une beauté autre : du mystère à la merveille ; La beautédétournée : humour et mauvais goût ; La beauté subterfuge : une stratégiede la résistance ; La beauté venue d’ailleurs ; Beauté et prouesses techniques.Vers un réenchantement du monde ?

Le sérieux de ce volume, déjà assuré par les communications inédites desétudiants, a été renforcé par les contributions de professeurs que nous tenonsà remercier ici : Éric Darragon, directeur de l’Équipe d’accueil HiCSA, ClaudeMassu, directeur de l’École doctorale Histoire de l’art, et Michel Poivert.

L’organisation de cette journée d’études n’aurait pu parvenir à son termesans l’actif et efficace concours de Madame Françoise Dumasy, directrice del’UFR 03. Qu’elle en soit aussi vivement remerciée.

— Marina Vanci-PerahimProfesseur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UFR 03

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INTRODUCTION

LA BEAUTÉ INDIRECTE ET L’ART MODERNE

— Éric Darragon

« L’un des symptômes les plus déconcertants de cette époque, c’est lapromiscuité dans l’admiration1. »

Joris-Karl Huysmans évoque en ces termes l’une des notions les plusattachées à l’histoire de l’art au sens moderne, le dilettantisme. Loin d’avoirdépéri depuis les temps anciens où elle était exposée à la critique des défen-seurs du réalisme, cette attitude d’esprit qui consiste à admirer sans préven-tion les œuvres les plus différentes s’est renforcée et étendue depuis le xixe

siècle, où elle trouve sa pleine expression doctrinale, en particulier chez Bau-delaire qui y voyait, concernant l’œuvre de Théophile Gautier, l’« Idée fixe »du beau. Huysmans voulait parler des expositions de son temps, en particu-lier le Salon officiel et celui des indépendants, mais il voyait déjà se dessinerles caractéristiques d’une historicité qui allait s’affirmer plus encore au sièclesuivant. Il s’indigne par exemple de la proximité à l’École des beaux-arts desexpositions Delacroix et Bastien-Lepage qui permettaient de passer, selon lui,de l’Entrée des croisés à Constantinople aux « bouvières d’opérettes costuméespar le Grévin de cabaret, par le Siraudin de banlieue qu’était M. Lepage ». Ilrappelle l’argument qui consiste à dire :

On admire le beau où qu’il se trouve. Parce que Delacroix fut un grandpeintre, est-ce une raison pour que M. Bastien n’en soit pas un autre ?

1. J.-K. Huysmans, L’art moderne/Certains, Paris, Union Générale d’Éditions, 1975, p. 281.

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et vitupère contre la « lâcheté » d’une critique d’art mondaine qui prétendne rien affirmer, n’être liée à rien. En affirmant que l’« on ne peut comprendrel’art et l’aimer vraiment si l’on est un éclectique, un dilettante2 », l’auteur deCertains ne s’adresse pas seulement à ses contemporains, il met aussi en causel’histoire de l’art moderne qu’il a contribué à faire exister et qui aujourd’hui seprésente à nous, qu’on le veuille ou non, non plus rageuse ou passionnée maisapaisée, calme, pour ne pas dire calmante. Comportant, il est vrai, Delacroixet Bastien Lepage comme Delacroix et Meissonier, Delacroix et Delaroche,mais aussi Delacroix et Fantin-Latour, Manet, Cézanne, Ingres, Picasso. L’his-toire de l’art a pris le pas sur l’éclectisme ; elle a plus que jamais pour fonctionde faire apparaître les différences d’intensité que l’éclectisme d’époque ten-dait à diminuer, voire tout simplement nier. Elle se distingue de l’éclectismepar sa capacité plus ou moins affirmée à faire la critique des relations entreles œuvres et de leur développement. Elle s’en rapproche cependant par uneexigence de connaissance qui ne saurait se satisfaire des exclusives et des par-tis pris mais ne peut sans faillir se réfugier dans la neutralité supposée de lascience assimilée à une justice pour tous. Il y aurait donc beaucoup à diresur cette « promiscuité dans l’admiration », dont l’historien d’art tente dedonner raison en formulant une histoire où l’admiration peut trouver sa placesans pour autant constituer le prisme direct de l’interprétation. Que devientla beauté dans cette histoire ? Les tentatives de définition furent nombreuseset, plutôt que de les énumérer, il est peut-être plus utile de voir, sur un épi-sode limité dans le temps, comment le phénomène de la définition a pu sedissoudre et se reformuler.

Pour revenir à la virulence du propos initial, il faut considérer l’enjeu pre-mier de la critique qui regarde d’abord la création :

L’enthousiasme et le mépris sont indispensables pour créer uneœuvre ; le talent est aux sincères et aux rageurs, non aux indifférentset aux lâches3.

On obtient ainsi de la part de Huysmans un éloge de Degas resté célèbreparce qu’il rend impossible toute accommodation éclectique, parce qu’il isoleviolemment l’artiste et se présente, pour tout dire, comme un outrage. « C’est

2. Ibid., p. 285.

3. Ibid., p. 286.

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La beau té ind irecte et l ’art moderne

obscène », disaient en 1886 les visiteurs de la Suite de nus de femmes se bai-gnant, se lavant, se séchant, s’essuyant ou se faisant peigner. On le croit aisémentcar le critique ne fait rien pour amoindrir la portée de cette réaction. Pouraller débusquer, s’il en était besoin, de la beauté sous cette forme, il faut autrechose en effet qu’un « style morne » accompagnant un jugement prudent, ilfaut au contraire un langage qui fasse sentir l’écart le plus sarcastique qui soitavec la formule du beau, ce fameux « fessier », par exemple, « de percale roseet huilé, éclairé en dedans par une veilleuse4 », que Huysmans identifie dansl’une des trois Grâces de Regnault pour lui opposer de la chair déshabillée.On en est donc arrivé à ce point de l’histoire du réalisme où persiste plusque jamais l’idée de profanation créatrice – celui du temple de la beauté, laVénus, la déesse – avec le souvenir précis des modèles classiques, ceux dumusée. Mais cela fait déjà de nombreuses années que le discours sur l’artévite une confrontation directe avec l’idée encombrante de beauté (« C’estavec la beauté qu’on assomme tout ce qui sort de l’ornière », notait Delacroixdans son Journal en 1860). On ne parle tout au plus que de l’opinion que s’enforme le public. Duranty, dans La nouvelle peinture (1876), cite pour l’exem-ple un passage de l’étude sur Édouard Manet de Zola (1867) :

Pour la masse, il y a un beau absolu placé en dehors de l’artiste, ou,pour mieux dire, une perfection idéale vers laquelle chacun tend etque chacun atteint plus ou moins. Dès lors, il y a commune mesure quiest ce beau lui-même ; on applique cette commune mesure sur cha-que œuvre produite, et selon que l’œuvre se rapproche ou s’éloignede la commune mesure, on déclare que cette œuvre a plus ou moinsde mérite5.

Duranty ne fait que reprendre, sans s’y appesantir exagérément, les prin-cipaux arguments du débat sur le réalisme ; il laisse de côté la question récur-rente du beau et du laid pour concentrer son raisonnement sur la polaritéentre l’ancien et le nouveau, sur l’opposition entre l’école et les indépendants.Il ne veut connaître que le mouvement d’une recherche et parle même del’« idée qui expose dans les galeries Durand-Ruel6 ». Son propos n’est pas des’en tenir aux qualités des tableaux exposés, il veut évoquer quelques-uns desaspects de cette idée nouvelle de la peinture et surtout, prenant acte de l’évo-

4. Ibid., p. 296.

5. Duranty, La nouvelle peinture. À propos du groupe d’artistes qui expose dans les galeries Durand-Ruel(1876), L’Échoppe, 1988, p. 46-47.

6. Ibid., p. 22.

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lution, il s’adresse aux artistes dans leur diversité et leur liberté réfractaire à cequ’il nomme « cette bureaucratie de l’esprit, tout en règlements, qui pèse surnous en ce pays ». « Laissez faire, laissez passer7 », son mot d’ordre, calquésur celui du libéralisme, en dit long sur la confiance qu’il place dans une his-toire fluide, ouverte, celle d’une « peinture au long cours ». Émile Zola tenaiten 1866 un discours assez différent car il s’adressait avant tout à la foule, aupublic. En proclamant qu’« une œuvre d’art est un coin de la création vu à tra-vers un tempérament », il vise le beau dans la vie humaine et non en dehorsd’elle, placé dans une abstraction ou dans les idées d’un petit groupe d’in-dividus. Il imagine ainsi pouvoir embrasser du regard, « dans une immensesalle », une sorte de Panthéon réaliste, « l’épopée de la création humaine »,à travers les œuvres réunies des artistes du monde entier. Sa critique du beauabsolu le conduit à envisager une autre forme de la beauté qui résulterait del’acceptation de toutes les œuvres d’art en tant que manifestation du géniehumain, à condition d’y trouver une « traduction forte et originale de la réa-lité ». Il rêve d’un ensemble en expansion à l’infini qui révélerait une créa-tion appartenant à l’humanité tout entière dans sa diversité, une même réalitétraduite de manière toujours différente, « un même poème en mille languesdifférentes ». Au nom de la beauté véritable, il proclame même un état depresque égalité entre toutes les œuvres qui serait l’expression de la vie, « lavie dans ses mille expressions, toujours changeantes, toujours nouvelles8 ».Cette esthétique, qui montre en quelque sorte à quel prix le terme de beautépourrait renaître de la critique du beau idéal et qui explique à terme la décep-tion de l’auteur des Rougon-Macquart devant les résultats du naturalismeartistique, est pourtant bien celle-là même qui a permis l’inattendue défensed’Olympia :

Je me place, déclarait Zola, devant les tableaux d’Édouard Manet commedevant des faits nouveaux que je désire expliquer et commenter.

Quand on considère la description du tableau en fonction de la déclara-tion esthétique préalable, on est frappé en effet par la capacité du critiqueà enregistrer en tant que faits les éléments du tableau les moins réductiblesen principe à des faits puisqu’ils concernent des valeurs de significationou d’interprétation. Le critique voit des « plaques » colorées comme il y a

7. Ibid., p. 44.

8. É. Zola, Œuvres complètes, éd. Henri Mitterand, Cercle du livre précieux, Paris, tome 12, 1969,p. 830.

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dans la nature des « masses claires » ou des « pans de lumière ». Il voit aussides partis pris et le fanatisme de l’art car « l’art ne vit que de fanatisme »et s’en tient exclusivement à ce qu’il découvre, la « saveur particulière del’œuvre ». Le face-à-face avec la toile, définie aussitôt et de la manière la plussûre comme un chef-d’œuvre, loin d’être une relation directe comme onpourrait le croire, implique au contraire un décentrement, une mise hors-jeudes critères du jugement. Pour le signifier, le critique, de manière indirecte,se place du côté du peintre, occupant l’obscurité même du travail de l’artisteet parlant au nom de cette invention du tableau qui n’est pas déterminée parun but ou une signification première. Paradoxe du réalisme et de sa vérité, lafameuse question « Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Vous ne le savez guère,ni moi non plus » a une fonction critique précise qui permet d’exprimer lagenèse du tableau plutôt que la réalité du modèle :

Il vous fallait une femme nue, et vous avez choisi Olympia, la premièrevenue ; il vous fallait des taches claires et lumineuses, et vous avez misun bouquet ; il vous fallait des taches noires, et vous avez mis dans uncoin une négresse et un chat9.

On est décidément plus du côté du Picasso de Clouzot, du Matisse deBrassaï, du Pollock de Namuth que dans le voisinage éclairé de la critique deThéophile Gautier ou de Théophile Silvestre.

Pour forcer le trait, on pourrait même avancer que le texte de Zola appa-raît comme l’un des documents les plus explicites qui soient concernant ceque l’on peut nommer, pour reprendre une expression de Merleau-Ponty,le langage indirect. Dans un texte qui témoigne d’une réflexion en cours, lephilosophe veut situer son propos par rapport à ce qu’il définit comme le« paradoxe de l’expression10 ». Il revient longuement sur le parallèle entrepeinture et langage pour montrer dans un cas comme dans l’autre le pro-cessus de transmutation, de migration du sens. Il insiste sur l’opération quidonne forme à l’expérience, sur la découverte du style au sens premier, et sur« la situation de départ d’un monde non signifiant qui est toujours celle ducréateur, du moins à l’égard de cela justement qu’il va dire ». Le philosopheveut considérer ensemble histoire, langage et perception, non pour expliquer

9. Ibid., p. 839.

10. Merleau-Ponty, La prose du monde, éd. Claude Lefort, Paris, Gallimard, 1969, p. 160.

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le monde et risquer alors d’« aplatir le langage sur la pensée ou la pensée surle langage » mais pour « donner à voir le paradoxe de l’expression ». Le rôleque joue la peinture dans cette analyse est tributaire de la lecture du derniervolume de la Psychologie de l’art d’André Malraux dont certaines proposi-tions donnent matière à sa réflexion, mais il témoigne aussi d’une attractionplus puissante pour le visible et l’invisible, titre du dernier ouvrage publiéaprès la mort de l’auteur en 1961. Ce que révèle une fois de plus cette ana-lyse n’étonnera pas : le terme de beauté en est absent ; ce qui est en cause àtravers l’expression créatrice est ici défini comme « déformation cohérenteimposée au visible11 ». Pour Merleau-Ponty, la beauté est la substance mêmede la perception ; elle est ce monde que les peintres ont habité pour que lephilosophe puisse la signifier. La peinture appartiendrait éminemment à celangage indirect, en particulier l’art moderne, que Merleau-Ponty se garded’opposer de façon simpliste à l’art classique mais qui, pour lui, est avanttout l’art de Renoir, Cézanne, Van Gogh, qui constituent ses principalesréférences. Avant d’installer la beauté dans ses droits, droits que personne nelui conteste plus, il faut la penser à l’état naissant, sans pouvoir quasiment lanommer. Le philosophe sait bien qu’il parle de Renoir et que le travail sur leslavandières entrera dans le monde lumineux de l’art moderne, mais quandZola parle d’Olympia, il est dans une tout autre situation. Il a à faire existerun chef-d’œuvre et à le placer idéalement au Louvre. Or, chose remarqua-ble, la manière dont il parle d’Olympia, très éloignée du verbe d’un Huys-mans, participe de la manière dont Merleau-Ponty conçoit le phénomènede l’expression, le paradoxe d’une beauté qui n’en est pas une. Sa formule,« le sens imprègne le tableau plutôt que le tableau ne l’exprime12 », peutentrer en résonance avec la proclamation du critique qui salue une « œuvrede peintre » sans vouloir ou pouvoir en délivrer la signification en dehors decette souveraine affirmation. Comme Zola avant lui, Merleau-Ponty envi-sage la métamorphose, le moment que le peintre déterminé par l’histoire vitcomme la « demande d’être exprimé ». « Si donc nous nous plaçons dansle peintre, au moment où ce qui lui a été donné à vivre…13 », ainsi raisonnecelui qui a mis en suspens cette sédimentation supposée acquise de la beautéqui prend le nom de tradition.

11. Ibid., p. 85.

12. Ibid., p. 86.

13. Ibid., p. 106.

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Pourquoi insister à ce point sur des discours qui orientent l’analyse vers cequi n’est pas un état ou une chose mais une activité, un geste, un acte de per-ception, un moment ? D’une part, pour suggérer à nouveau, en raison mêmedes différences d’époque, que l’histoire, et en particulier l’histoire de ce quenous percevons dans l’unité même du beau, est changement, reprise, non pasévolution continue mais développement indirect, événement, avènement. Labeauté n’a pas pour fonction première de sortir de l’histoire ou d’être extraitedu foisonnement des formes pour devenir une idole, une icône, parce qu’elleest d’abord ce qui permet l’histoire et lui donne un sens ou des significationspossibles. D’autre part, pour rappeler l’importance de ce développement cri-tique qui fait l’histoire de l’art moderne, puisque les formulations du réalismeet de l’impressionnisme ne tardent pas à revenir pour être soumises à la ques-tion que pose G.-Albert Aurier : « Qu’est-ce donc qu’une œuvre d’art ?14 »La critique se fait théorie, elle invoque Platon et Swedenborg pour découvrirmaintenant Van Gogh et Gauguin. Dans l’exposé du symbolisme en peinture,l’idée impose une logique qui n’est plus celle de la sensation impressionniste,les formes exprimeront le symbole et la synthèse, mais Aurier veut prévenird’un danger, celui d’aboutir à un langage mathématique, à une écriture idéo-graphique. Il exige de l’artiste le « don d’émotivité » et parle du sentiment dubeau comme d’un influx qui mènerait à une forme quasi mystique de l’Amour,une idée plus absolue qu’il tente d’arracher aux railleries des sceptiques. Pourfaire exister les toiles de Gauguin, il lui faut ce détour, ces voies indirectesqui empêchent, par exemple, de considérer le Jardin des oliviers dans sa seulesignification religieuse afin d’y envisager crûment la « vanité du réel et de lavie, et, peut-être, de l’au-delà15 ». S’il doit y avoir beauté, alors il doit y avoirce langage qui la trouve hors des limites de la convention. Avec Zola, la tacheimprègne le sens, avec Aurier une « Voix » rend visible la lutte de Jacob. Cepassage entre réalisme et symbolisme invite à ne pas traiter l’histoire stylisti-que comme un formalisme superficiel mais comme une mutation du sens quiexige et récuse à la fois l’expérience du beau.

On trouverait, dans d’autres circonstances, une logique analogue de dis-tance par rapport à une idée de la beauté qui permet d’en faire l’épreuve parl’analyse et le travail. Delacroix agite précisément cette question quand il est

14. G.-A. Aurier, « Les peintres symbolistes », La revue encyclopédique, avril 1892, dans Le symbolismeen peinture, textes réunis et présentés par Pierre-Louis Mathieu, L’Échoppe, 1991, p. 52.

15. Ibid., p. 30 : « Le symbolisme en peinture. Paul Gauguin », Mercure de France, mars 1891.

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occupé à peindre les Massacres de Scio. On est le 7 mai 1824, il a entenduchanter le rossignol, loin de songer aux images poétiques obligées, il pense àDante, et veut pour sa peinture ce que fait éprouver le « premier des poètes ».C’est alors qu’il peint le mulâtre mourant :

Le mulâtre fera bien. Il faut remplir. Si c’est moins naturel, ce sera plusfécond et plus beau.

Parce que tout chez Dante est « factice et paré et fait avec l’esprit », ony ressent la nature comme neuve. Cette page du Journal permet de suivrela peinture dans un mouvement qui la porte à sa vraie beauté, celle qui luiconvient. Le peintre livre, par la même occasion, une analyse de lui-mêmedont les termes découlent de son expérience :

Il faut, je le vois, que mon esprit brouillon s’agite, défasse, essaye decent manières, avant d’arriver au but dont le besoin me travaille danschaque chose. Il y a un vieux levain, un fond tout noir à contenter. Sije ne suis pas agité comme un serpent dans la main d’une pythonisse,je suis froid ; il faut le reconnaître et s’y soumettre, et c’est un grandbonheur. Tout ce que j’ai fait de bien a été fait ainsi16.

Parce qu’il s’est trouvé lui-même par la peinture, Delacroix revientconstamment à propos de Raphaël, de Rubens, de Rembrandt, de beau-coup d’autres, à la fabrique du beau, à la notion au sens historique et au sensactuel, il y consacre une étude dans la Revue des deux mondes en 1858. Tousses écrits, les dessins, certains tableaux particuliers montreraient l’énergiedéployée pour comprendre le paradoxe d’une notion controversée qui obligeà penser à la fois l’absolu et le relatif. Parce que « les arts ont leur enfance,leur virilité et leur décrépitude17 », l’artiste, en particulier l’artiste de génie,vient trop tard ou trop tôt par rapport à une époque de la perfection qui n’estdéfinie que dans le passé :

Le beau ne se trouve qu’une fois à une certaine époque marquée.

À cette condition, il peut sinon renaître, du moins délivrer par la distancece « charme impérissable de la beauté18 » qui triomphe de l’oubli et du temps.Comme Baudelaire qui en fera un élément à part entière de la modernité, et

16. E. Delacroix, Journal 1822-1863, éd. André Joubin, Paris, 1980, p. 77-78.

17. Ibid., p. 224 (19 février 1850).

18. Ibid., p. 225.

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après d’autres grands esprits du xviiie siècle, Delacroix a voulu revendiquer leclassicisme pour exprimer, dans son siècle, une vérité moderne :

Les vraies beautés dans les arts sont éternelles et elles seraient admisesdans tous les temps ; mais elles ont l’habit de leur siècle : il leur enreste quelque chose, et malheur surtout aux ouvrages qui paraissentdans les époques où le goût général est corrompu19.

Éclectisme mondain, corruption du goût, médiocrité des manières, espritd’école, « système universitaire en art », décadence, décrépitude, tout cevocabulaire, relayé par l’immense masse de la critique négative, représentedans l’histoire de l’art moderne ce qui est censé contrarier l’expression del’art au nom même de l’art. Lenz, le héros de Georg Büchner, exprime entermes abrupts cette défiance du réel devant l’idéal :

J’exige dans toute chose vie, possibilité d’existence, et puis c’est tout ;nous n’avons pas alors à nous demander si c’est beau ou si c’est laid. Lesentiment que ce qui est créé a de la vie est au-dessus des deux, et c’estle seul critère en matière d’art20.

Rien n’est beau, tout peut le devenir mais on ne sait pas comment. C’estle même Lenz qui dit : « Les gens ne savent même pas dessiner une niche dechien », ou encore : « Un visage insignifiant fait une impression plus pro-fonde que la simple sensation du beau. »

— Éric DarragonProfesseur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UFR 03, directeurde l’Équipe d’accueil Histoire culturelle et sociale de l’art (HiCSA).

19. Ibid., p. 746 (12 octobre 1859).

20. G. Büchner, Lenz, traduction de G.-A. Goldschmidt, Vagabonde, 2003, p. 39.