l histoire des mathématiques peut-elle aider à intéresser et à ......l’histoire des...
TRANSCRIPT
-
IUFM de Bourgogne
Concours de recrutement : PROFESSEUR AGREGE
L’histoire des mathématiques peut-elle aider
à intéresser et à motiver les élèves ?
KOPFF Adèle
Discipline : MATHEMATIQUES
Directeur de mémoire : DAUJEARD Christian
Année 2003 - 2004
N° de dossier : 03STA16221
1
-
Sommaire :
Introduction
I. Théorie
1) Ce que l’histoire des mathématiques peut apporter
2) Limites
3) Comment surmonter ces difficultés
II. Expériences
1) Etude d’un texte original de Descartes
2) Réactions des élèves au sujet du devoir sur Descartes
3) Méthode de la fausse position
4) Réactions des élèves pendant le travail sur la méthode de la
fausse position
III. Conclusion
Annexes
2
-
Introduction J’ai en stage en responsabilité cette année une classe de seconde. Il s’agit
d’une classe très hétérogène, une moitié de la classe suivant l’option ISI (Initiation
aux Sciences de l’Ingénieur) et se destinant plutôt à faire une classe de première S,
l’autre moitié suivant l’option SES (Sciences Economiques et Sociales) et se
destinant plutôt à une première ES voire STT.
Depuis plusieurs années, je me suis personnellement beaucoup intéressée à
l’histoire des mathématiques, et à l’éclairage nouveau qu’elle donne aux
mathématiques.
Lors de mon premier chapitre avec mes élèves de seconde cette année, sur la
nature des nombres, j’ai fait une petite introduction historique sur l’histoire des
nombres. Je leur ai expliqué comment l’ensemble des nombres avait été agrandi
successivement pour résoudre de nouvelles opérations.
En particulier j’ai évoqué le fait que les nombres négatifs n’avaient aucun sens
pour les mathématiciens grecs comme Pythagore ou Thalès, pour qui les nombres
étaient des longueurs. Et le scandale de la découverte de nombres comme √2 par
l’école de Pythagore.
J’ai remarqué à cette occasion que la curiosité des élèves a été aiguisée,
qu’ils ont eu des réactions d’étonnement. Ils avaient du mal à croire que les grands
mathématiciens dont ils utilisent souvent les théorèmes aient été "moins avancés"
qu’eux dans certains domaines.
Par la suite, j’ai eu envie de retrouver cette sensation d’avoir piqué leur
curiosité, d’autant plus que cela m’avait permis de capter leur attention et de faire la
suite du cours dans de bonnes conditions.
3
-
Je me suis donc demandé si cette expérience peut se généraliser, et si
l’histoire des mathématiques peut aider à intéresser, à motiver les élèves, et changer
leur regard sur les mathématiques.
Je me suis donc penchée sur l’intérêt théorique de l’introduction d’histoire des
mathématiques dans le cours : en quoi cela pouvait piquer leur curiosité, les aider à
s’approprier les notions nouvelles, leur rendre les mathématiques plus vivantes.
Mais il a fallu ensuite réfléchir à la forme : comment éviter de recourir à des
moments de cours magistral qui risquent d’ennuyer les élèves.
J’ai ensuite mis en place deux expériences : l’une lors d’un devoir à la maison,
dans lequel je leur ai demandé de travailler sur un texte original de Descartes, et
l’autre lors d’une séance de modules, où nous avons réfléchi sur une ancienne
méthode de résolution de problèmes nécessitant une mise en équation, la méthode
de la fausse position.
4
-
I.Théorie
1) Ce que l’histoire des mathématiques peut apporter
D’abord, on peut se demander ce que l’histoire des mathématiques, qui n’est
explicitement au programme d’aucune classe, peut apporter à l’enseignement des
mathématiques.
Tout d'abord, donner une approche historique de l'invention d'un outil
mathématique peut permettre de faire comprendre aux élèves pourquoi la nouveauté
a été introduite, leur montrer que cela répondait à une question, à un problème que
l'on se posait à une époque, et rendre ainsi moins artificielle son introduction dans le
cours.
Cette approche des mathématiques comme répondant à des problèmes bien
précis à une époque bien précise a de plus l’intérêt de correspondre au plus près à
ce qu’est la démarche scientifique, comme l’écrit Gaston Bachelard dans son
ouvrage La formation de l’esprit scientifique :
"C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable
esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à
une question. S’il n’y a pas eu question, il ne peut y avoir de connaissance
scientifique".
Par exemple, pour introduire le logarithme en classe de terminale, on peut le
faire suite au chapitre sur les primitives, parce qu'on se pose la question de la
primitive de la fonction qui à x associe 1x . La définition du nouvel objet entraîne des
propriétés spécifiques qui sont l'objet d'autant d'exercices. Ces propriétés suscitent
elles-mêmes des questions engendrant la création de nouveaux objets, etc. Cette
démarche, si elle peut être satisfaisante pour des mathématiciens, peut paraître
étrangère aux élèves : on répond à des questions qu'ils ne se sont pas posées, on
calcule avec des objets dont ils ne voient pas l'utilité.
5
-
Ce qui manque parfois, c'est un lien avec leur intuition et leur imagination, au
moyen d'un complément de sens. Comme le dit Kant dans la "Critique de la Raison
Pure", "un concept sans intuition est vide". Ce complément de sens peut se trouver
en de multiples endroits : problèmes pratiques, jeux,… ; mais aussi dans l'histoire.
Ainsi, en stimulant l'intuition et l'imagination des élèves, on peut associer
chaque élève individuellement à un enseignement des mathématiques qui réponde
à des questions. Cela aidera chacun à avoir le goût des mathématiques qui lui
paraîtront moins inhumaines, moins froides, moins étrangères à sa sensibilité et à sa
personnalité.
Pour revenir à la question des logarithmes, on pourrait par exemple expliquer
que leur invention est intervenue afin de rendre continue une progression
géométrique que les calculateurs ne pouvaient appréhender de façon discrète, en
illustrant cette nécessité par le problème du tonneau : "un tonneau se vide chaque
jour du dixième de son contenu restant ; au bout de combien de temps le tonneau
sera-t-il à moitié vide ?"
On peut aussi expliquer comment la fonction de Neper correspondait à une
nécessité urgente face aux calculs de plus en plus compliqués suscités par une
science naissante et une astronomie en pleine mutation.
Un autre intérêt de l’introduction d’histoire des mathématiques dans
l’enseignement est la possibilité de rendre les maths plus vivantes, de changer leur
vision des maths.
Selon Michèle Artigue, dans son article "Epistémologie et Didactique",
l’analyse épistémologique peut "mettre à distance et sous contrôle les
"représentations des mathématiques" induites par l’enseignement, en aidant à
redonner une historicité aux concepts mathématiques que l’enseignement usuel tend
à représenter comme des objets universels, à la fois dans le temps et dans l’espace".
6
-
Cette idée peut être transposée dans l’enseignement. Il est vrai que
l’enseignement souvent donne une image figée, achevée, des maths, d’un seul bloc.
Faire apparaître le relief historique permet de rendre tout le côté vivant des
mathématiques, de montrer comment elles se sont construites peu à peu, suite à des
tâtonnements, parfois à des erreurs, de montrer qu’elles sont en évolution, et alors
peut-être paraissent-elles plus "humaines".
Cette idée d’évolution, de tâtonnement n’étant pas familière aux élèves, elle
peut produire un moment d’étonnement, qui capte alors leur attention et les rend plus
réceptifs aux notions abordées.
Voilà les raisons qui amènent à penser que l’histoire des mathématiques peut
aider à intéresser et à motiver les élèves.
7
-
2) Limites
Cependant, si l’intérêt théorique de l’introduction d’histoire dans les cours de
mathématiques paraît réel, on peut se demander si en pratique c’est si efficace.
Si le professeur introduit un moment d’exposé historique dans le cours de
maths sous forme de cours magistral, il s’expose à tous les inconvénients du cours
magistral, qui est centré sur le professeur, tandis que les élèves ont un rôle passif.
Cette façon de procéder comporte le risque de perdre l’attention de certains élèves.
En effet ce moment peut être perçu comme un moment de récréation, où on
ne fait plus vraiment de mathématiques. L’élève sait qu’il ne sera probablement pas
interrogé sur les commentaires historiques du professeur, et il est possible que
certains en profitent pour penser à autre chose.
Les élèves ne sont pas forcément intéressés par l’interdisciplinarité. Beaucoup
ont une vision très scolaire de l’enseignement et ils ne ressentent pas toujours une
véritable curiosité intellectuelle pour ce qu’on leur enseigne. La séparation de
l’enseignement en différentes matières bien séparées les incite à avoir une vision
cloisonnée des savoirs, et l’introduction d’histoire dans le cours de mathématiques
peut leur apparaître comme une perte de temps, comme une digression sans intérêt.
8
-
3) Comment surmonter ces difficultés
Ces limites impliquent la nécessité d’une réflexion sur les moyens permettant
d’introduire une dimension historique dans le cours de mathématiques
Une première piste pour surmonter ces difficultés est l’utilisation d’un matériel
pédagogique qui provoque l’étonnement des élèves par son caractère inhabituel :
utilisation de la vidéo, de diapositives, du rétroprojecteur.
On peut par exemple montrer à l’aide du rétroprojecteur des images de
l’époque concernée, ou des reproductions de textes de l’époque, éventuellement
dans d’autres alphabets (hiéroglyphes, alphabet arabe), afin de faire comprendre aux
élèves le problème posé à l’époque et en même temps de faire vivre les
mathématiciens du passé, de ressusciter leur environnement…
Le côté spectacle donne immédiatement plus de relief aux commentaires ainsi
introduits, il donne du dynamisme à l’exposé et aide à intéresser les élèves.
Une autre idée pour atténuer les aspects négatifs de l’introduction de
l’histoire dans le cours de mathématiques est de proposer des activités qui font
travailler l’élève, où il est actif et découvre lui-même la problématique d’une époque
et les moyens inventés pour répondre aux questions posées.
Une telle démarche centrée sur l’activité des élèves est à l’opposé du
cours magistral où l’élève est un réceptacle passif dans lequel le savoir vient pour
être stocké. Elle permet une meilleure attention et une meilleure compréhension, car
elle laisse toute sa place à la découverte, à l’expérience individuelle, à l’étonnement.
Voici donc deux pistes pour limiter les inconvénients liés à l’introduction
d’histoire des mathématiques.
9
-
II. Expériences
Dans le programme de seconde, je n’ai pas trouvé de chapitre qui se prête facilement à une introduction historique de la problématique. Pour ce qui concerne
l’utilisation de matériel pédagogique particulier, mon lycée n’étant pas très équipé, je
n’ai pas pu explorer ses possibilités.
J’ai donc cherché des sujets de devoirs ou de travaux dirigés qui permettaient
une approche par l’histoire.
1) Etude d’un texte original de Descartes
Ma première expérience d’introduction d’un brin d’histoire des maths a trouvé
place dans un devoir à la maison. J’ai donné à mes élèves un texte extrait du livre
premier de la Géométrie de René Descartes.
J’avais envie de faire lire à mes élèves un texte original, car c’était un moyen
de se placer dans un contexte particulier, de se "dépayser" par rapport à un exercice
classique tiré d’un manuel de mathématiques. J’espérais par ce biais aiguiser leur
curiosité et leur donner envie de se plonger dans la compréhension de ce que ce
mathématicien du passé avait fait.
L’énoncé commençait par une présentation de la vie et de l’œuvre de
Descartes, qui montrait la diversité de ses centres d’intérêts : l’astronomie, la
lumière, la pesanteur, la biologie, la philosophie. Cela avait pour intérêt de
familiariser les élèves avec un grand mathématicien qui n’était pas coupé du reste du
monde, qui avait des préoccupations variées et une vie passionnante. Ce contexte
avait pour but de rendre plus vivants les problèmes proposés.
Puis suivait une citation de Descartes sur le plaisir de la découverte
mathématique : "Mais je ne m’arrête point à expliquer ceci plus en détail, à cause que je
vous ôterois le plaisir de l’apprendre de vous-même, et l’utilité de cultiver votre esprit en vous
y exerçant".
10
-
Ensuite commençait le travail demandé aux élèves : il s’agissait de lire les
passages du texte de Descartes où celui-ci décrit les constructions géométriques du
produit et du quotient de deux longueurs à l’aide d’un segment unité, puis celle de la
racine carrée d’une longueur :
L’énoncé du devoir à la maison leur demandait de rédiger les deux
démonstrations. Il présentait plusieurs intérêts.
En premier lieu, du point de vue mathématique, il permettait d’utiliser les
théorèmes de Thalès et de Pythagore (très peu d’élèves ont choisi l’option qui utilisait
les tangentes pour la deuxième partie !), de leur faire rédiger une démonstration, et
ensuite d’appliquer le résultat démontré dans plusieurs cas particuliers de
construction de racines carrées.
Il permettait aussi de relier deux domaines des maths qui sont parfois
cloisonnés dans l’esprit des élèves : la géométrie et les nombres.
En deuxième lieu, cet énoncé présentait un intérêt historique : il m’a permis de
leur parler, en introduction au devoir, d’un des grands problèmes historiques des
11
-
mathématiques, celui de la détermination des nombres constructibles à la règle et au
compas.
Au moment de la distribution de l’énoncé, je leur ai donc expliqué ce problème
que se posaient les Grecs, en leur disant que Descartes, dans son texte, présentait
certaines constructions de nombres. Certes, il n’en est pas l’auteur, ces constructions
assez élémentaires étaient connues bien avant lui, mais cela n’enlève rien à l’intérêt
de son texte.
J’ai à nouveau parlé de ce problème au moment de la correction du devoir, en
leur disant : "voilà, nous avons vu dans ce devoir des exemples de nombres que l’on
sait construire à la règle et au compas, pour peu que l’on se donne un segment unité,
mais la question que se sont posée les mathématiciens pendant des siècles, c’est de
savoir si on peut ainsi construire tous les nombres".
Je leur ai ensuite raconté que la réponse définitive à cette question n’avait été
trouvée que récemment, à la fin du XIXè siècle. Je leur ai donné l’exemple d’un
nombre qu’on ne pourra jamais construire ainsi, le nombre π.
Il me paraissait intéressant de leur faire comprendre qu’un problème de maths
peut ainsi ne pas être résolu pendant plusieurs siècles, et progresser beaucoup plus
tard suite à des progrès dans les connaissances. Cela montre les maths comme une
discipline vivante, en évolution, où les problèmes traversent les époques historiques,
des Grecs de l’Antiquité aux chercheurs du XIXème siècle en passant par Descartes.
Le choix de donner ce travail en devoir à la maison plutôt que de le faire en
classe permettait à chacun des élèves de prendre son temps pour se familiariser
avec la langue de l’époque de Descartes, pour comprendre ce qu’il avait voulu dire.
Certes, cette différence de langage pouvait représenter une barrière entre les
élèves et Descartes, mais cette petite difficulté était compensée, je pense, par la
facilité relative des démonstrations demandées une fois cet effort de compréhension
fourni.
12
-
2) Réactions des élèves au sujet du devoir sur Descartes Les réactions des élèves à la distribution de l’énoncé ont été nombreuses. Le texte ancien a immédiatement aiguisé leur curiosité, ils ont presque tout commencé à
le regarder dès qu’ils l’avaient en main, chose qui n’arrive pas en général : beaucoup
se contente de ranger l’énoncé dans leur classeur sans regarder de quoi il est
question.
Certes, certains ont eu peur de cette nouveauté : ils ont demandé pourquoi on
leur faisait faire du français en maths ! Mais la forme du texte original a au moins fait
réagir les élèves, et ils ont été plutôt attentifs à mes explications sur le problème de
la construction à la règle et au compas et sur la vie de Descartes.
A la suite à ce devoir à la maison, j’ai distribué aux élèves un questionnaire
afin de connaître leurs impressions sur ce travail.
Les réactions ont évidemment été très diverses.
Quelques réactions négatives viennent d’élèves moyens ou faibles, qui ne
sont pas spécialement curieux des mathématiques et qui ont un esprit très scolaire,
comme ceux-ci :
Visiblement ces élèves ont eu l'impression de perdre leur temps, car ils
attendent que le travail demandé à la maison les aide à mieux comprendre le cours.
13
-
Or ici la différence de forme avec ce qu’ils ont l’habitude de pratiquer leur a
masqué l’intérêt de l’exercice demandé. La forme originale du travail a plutôt été un
obstacle entre eux et le problème mathématique qu’une incitation à "rentrer" dans
l’exercice.
La plupart des élèves (24 élèves sur 34) a trouvé la lecture des ces pages
difficiles, et même 4 ont trouvé ce texte inabordable seul. C’est surtout le français
ancien qui a posé problème. Une élève qui semble avoir eu beaucoup de mal
termine son questionnaire par cette phrase :
19 élèves sur 34 ont trouvé ce travail ennuyeux, mais je n’ai pas fait de
statistiques pour les autres devoirs à la maison afin de savoir si ce résultat est plus
haut ou plus bas qu’avec un devoir plus classique !
En revanche la plupart ont trouvé ce type de travail enrichissant : 24 élèves
sur 34, et un groupe d’élèves a fait des remarques très positives.
Par exemple :
Ou:
14
-
La forme originale de l’énoncé, la présentation du contexte historique a donc
capté l’attention de cet élève, ce qui était un des buts recherchés.
D’ autres ont apprécié de faire un travail qui sort de l’ordinaire:
Pour certains, cet énoncé modifie la vision des mathématiques :
Suite à la lecture de ces questionnaires, j’ai fait la constatation que les élèves
à qui ce travail a bien plu sont plutôt les élèves qui aimaient déjà les mathématiques,
qui étaient déjà à l’aise. Ceux-là ont réagi de manière plutôt positive, avec curiosité ;
ce devoir les a intéressés et leur a apporté un autre éclairage sur les mathématiques.
En revanche, les élèves pour qui les mathématiques sont une corvée n’ont
pas été plus intéressés par ce travail que par les énoncés habituels.
Cependant, je pense que cette expérience a été positive, qu’il est bon que les
élèves aient entendu parler de l’évolution des mathématiques.
15
-
A la réflexion, je pense que ce travail aurait pu être amélioré en
demandant aux élèves de faire une petite recherche eux-même sur la vie de
Descartes, ce qui aurait pu les faire pénétrer tous seuls dans le contexte de l’époque.
Eventuellement, ce type de travail aurait aussi pu se conduire en
collaboration avec le professeur de physique (les élèves rencontrent Descartes dans
le programme de seconde lorsqu’ils travaillent sur la lumière), ou avec le professeur
de français. La dimension interdisciplinaire aurait eu le mérite d’impliquer plus les
élèves dans le travail. Elle aurait sans doute mieux fait ressortir la richesse des
centres d’intérêts d’un homme comme Descartes, et l’aurait peut-être rendu d’autant
plus vivant.
16
-
3) Méthode de la double fausse position Cette activité a été proposée à mes élèves en modules, donc en demi-classe.
Elle présente une méthode de résolution d’un problème appelée "méthode de la
double fausse position", qui permet de résoudre un problème se traduisant par une
équation sans disposer d’aucun symbolisme.
Cette activité s’insérait dans ma progression : le chapitre sur les fonctions
affines venait d’être terminé, et elle permettait de manipuler la proportionnalité des
accroissements de la fonction et de la variable. D’autre part, le module précédent
avait consisté en un travail sur la mise en équation de problèmes, et l’énoncé du
problème de François Pellos permettait de réinvestir cette technique.
Cette activité avait aussi pour objectif de faire découvrir aux élèves que les
mathématiques ont une histoire et que les anciens étaient capables d’élaborer des
techniques de résolution pouvant nous surprendre encore aujourd’hui.
Le travail s’est déroulé dans chacun des deux groupes de la façon suivante :
une fiche de travail a été distribuée aux élèves, puis ils ont répondu aux questions
étape par étape, avec une mise en commun des réponses apportées par les élèves
à la fin de chaque étape.
L’exercice est tiré d’un livre de François (Francès) Pellos de 1492, intitulé
Compendion de l’abaco. Il se présente sous la forme suivante :
"Un marchand a acheté 3 pièces de drap qui lui coûtent 30 florins et il ne sait pas au
juste ce que coûte chacune de ces pièces, mais il sait que la deuxième coûte le double de la
première plus 4 florins, la troisième coûte 3 fois autant que la seconde moins 7 florins. Je
demande combien coûte chaque pièce."
La première question posée aux élèves était de résoudre le problème de
Pellos. La résolution a été faite algébriquement, avec mise en équation du problème
puis résolution de 9x+9=30, ce qui donne une valeur de 73 de florins pour la
17
-
première pièce de drap. Cette première phase a été réalisée assez facilement,
puisque les élèves venaient de travailler sur la mise en équation de problèmes.
Puis la fiche détaillait la méthode utilisée par François Pellos à l’époque :
"Suppose que la première coûte 3, la seconde coûte alors 6 plus 4 ce qui fait 10. La
troisième coûte 3 fois 10 qui font 30 moins 7 reste 23, maintenant pour savoir si tu as résolu,
ajoute les trois résultats. Cela fait 36 et tu ne veux que 30 ainsi dis que, par cette première
supposition, 3, cela dépasse de 6. De même pour une seconde supposition admets que la
première pièce coûte 4, la seconde le double, 8 plus 4 ce qui fait 12. La troisième coûte 3 fois
12, 36 retranche 7, il reste 29. Tu ajoutes les trois résultats. On obtient 45. Tu dis que pour la
seconde supposition, 4, cela dépasse de 15."
J’ai lu à haute voix ce paragraphe, et je les ai aidés à comprendre. Au début,
le vocabulaire et le style ont un peu dérouté les élèves, mais avec mes explications
ils sont arrivés à saisir la méthode.
Enfin, un schéma montrait comment François Pellos déterminait la solution :
Pour 3 plus 6 24
9 21 219
Pour 4 plus 15 45
La première pièce de drap coûte donc 73 de florins.
Suite à ce schéma, les réactions ont été nombreuses : certains pensaient que
c’était le hasard, et que cette méthode ne pouvait pas fonctionner de façon générale.
Pour d’autres, cela paraissait un peu magique, mais peut-être pas plus que l’algèbre
en général ! Un élève m’a demandé : "mais pourquoi fait-il tout cela ? Au lieu de
prendre des valeurs précises pour la première pièce, pourquoi ne l’appelle-t-il pas x
tout simplement ?"
18
-
Cela a été pour moi l’occasion de leur expliquer que l’idée de remplacer
quelque chose qu’on ne connaît pas par une lettre a mis longtemps à être trouvée
par les mathématiciens, qu’il s’agit d’une opération très abstraite et difficile à
comprendre, et que pendant longtemps, ils ont dû trouver d’autres méthodes pour
résoudre certains problèmes.
Suite à ce moment de discussion dans la classe, je leur ai dit que la suite de la
fiche permettait de "décortiquer" la méthode de Pellos et de comprendre comment
elle permet de résoudre le problème.
La question suivante faisait appliquer la méthode de Pellos pour différentes
valeurs simples de la première pièce :
Soit x le prix de la première pièce de drap et y le dépassement des trois pièces. Compléter le
tableau suivant :
x 3 4 5 6 7 8 9 10
y 6 15
Après avoir rempli ce tableau (certains élèves ont fait tous les calculs, d’autres
ont repéré une relation entre les valeurs consécutives de y), les élèves ont vérifié que
la méthode de Pellos fonctionnait avec d’autres valeurs de x. Ensemble, nous avons
constaté que la différence des dépassements et le "produit en croix" sont deux
quantités proportionnelles à la différence des valeurs testées.
Puis cette remarque est utilisée pour compléter le tableau suivant :
x 12 15 17,5 2 103
y 96 105 0
Pour les élèves, des difficultés apparaissent pour les valeurs de x qui ne sont
pas entières, ainsi que pour trouver x connaissant y. Cette étape permet de bien
19
-
souligner la différence entre un problème linéaire où y est proportionnel à x et un
problème affine où l’accroissement de y est proportionnel à l’accroissement de x.
Puis les élèves doivent répondre à la question :
La solution de l’exercice de Pellos apparaît-elle dans ce tableau ?
Globalement, cette question est comprise par les élèves, qui ont bien compris
que la solution du problème correspond à un dépassement de prix nul.
Les dernières questions font tracer l’ensemble des points de coordonnées
(x ; y) et résoudre graphiquement le problème, puis déterminer l’expression de y en
fonction de x. Elles permettent de rappeler que ce type de problème est caractérisé
par une relation du type y=ax+b, par une représentation graphique droite, par le fait
que la différence des ordonnées est proportionnelle à la différence des abscisses et
par le fait que pour des valeurs consécutives entières de x, l’accroissement de y est
constant.
Je ne suis pas allée jusqu’au bout de la justification mathématique de la
méthode, je me suis contentée de leur faire comprendre qu’il s’agissait d’un problème
affine et de leur faire manipuler les accroissements et les droites.
La justification mathématique est la suivante :
L’équation proposée par le problème de départ est en fait de la forme ax+b=c
avec a et b inconnus, et c valant ici 30, et on cherche la valeur de x. Une fausse
position x1 donne un résultat ax1+b=c1 qui diffère de c d’une erreur y1 :
y1=c1−c=a(x1−x). Une deuxième fausse position x2 donne de même un résultat c2
qui diffère de c d’une erreur y2 : y2=c2−c=a(x2−x).
D’où : y1x2−y2x1y1−y2 = x2a(x1−x)−x1a(x2−x)y1−y2
= x(ax1−ax2)y1−y2 = x.
20
-
La valeur exacte de x s’obtient donc bien en calculant le produit du
premier dépassement par la deuxième hypothèse, diminué du produit du
deuxième dépassement pas la première hypothèse, le tout divisé par la
différence des dépassements, soit x = y1x2−y2x1y1−y2 .
Cette méthode permet donc d’obtenir la solution du problème sans
avoir à calculer les coefficients a et b, ce que l’absence de symbolisme à
l’époque rendait empêchait.
21
-
4) Réactions des élèves pendant le travail sur la méthode de
la fausse position Durant cette séance de module, l’attention des élèves a été inégale. Cette
méthode a certes largement piqué la curiosité des élèves car elle est inhabituelle et
surprenante. Mais le travail proposé ensuite est beaucoup plus classique et, si elle
fait comprendre le lien entre les manipulations de Pellos et la solution, elle ne permet
pas de leur expliquer vraiment comment cette méthode a été mise au point.
Certains ont réagi de façon un peu scolaire en demandant s'ils allaient être
ensuite interrogés sur cette méthode, et devant ma réponse négative, n’ont pas pris
la peine de s’interroger plus avant. D’ailleurs, ce sont plutôt les élèves les plus faibles
en mathématiques, qui ont un peu protesté (gentiment), réclamant de faire plutôt des
exercices qui "leur serviront".
Ceux qui ont été le plus curieux de cette méthode étaient plutôt les bons
élèves, en particulier ceux du groupe ISI, qui étaient en fait déjà intéressés par les
mathématiques et ont été intrigués. Quelques-uns ont vraiment découvert une
nouvelle idée : l’idée que les mathématiques ont eu une histoire faite de
tâtonnements, de méthodes parfois ingénieuses même si on ne s’en souvient pas
toujours aujourd’hui.
22
-
III Conclusion
Suite à ces deux expériences, je pense que le but recherché a été en partie
atteint.
Un groupe d’élèves a compris l’idée que les mathématiques n’ont pas toujours
existé telles qu’elles sont aujourd’hui, et je pense que l’étonnement qu’ils ont ressenti
devant la méthode de la fausse position va rester dans certaines de leurs mémoires.
Le but était d’aiguiser leur curiosité, de capter leur attention et il a été atteint
en particulier dans le groupe ISI lors de la séance de module consacrée à la fausse
position. Cette activité les a sensibilisés à un autre aspect des mathématiques que
celui qu’ils connaissaient en général, et leurs réactions ont été positives.
D’autre part ils sont restés concentrés pour la suite du travail, ce que j’attribue
à la curiosité ressentie vis-à-vis de cette méthode étrange.
Le travail sur Descartes a également permis que certains élèves aient un
regard différent sur les mathématiques, même s'il est difficile d’évaluer si cela a
augmenté leur envie de réaliser le travail demandé et leur motivation.
Ceci dit, l’introduction de l’histoire n’est pas non plus une solution miracle pour
intéresser tous les élèves : ceux qui ne ressentent aucun intérêt pour notre matière
n’ont pas été vraiment "accrochés" par cette approche différente.
23
-
Bibliographie
Histoires de problèmes, histoire des mathématiques, Commission Inter-IREM
Feuille de vigne n°spécial "Histoire des mathématiques", 1993
Faire des mathématiques à partir de leur histoire, Tome II, IREM de Rennes, 1995
Repères IREM n°5, octobre 1991, article "l’indispensable histoire des
mathématiques"
24
-
ANNEXE N°1 : Devoir à la maison Partie A : Descartes, la géométrie Descartes : René Descartes est né à La Haye (Touraine) en 1596 et est décédé à Stockholm en
1650. Quelques indices sur son œuvre scientifique : Son travail a eu pour objet de substituer aux incertitudes de la science du Moyen-Age
une science véritable et universelle dont la certitude égale celle des mathématiques. Il déclare dans Le Discours de la Méthode à propos de ses études au collège des Jésuites : "Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons, mais je ne remarquais point encore leur vrai visage, et, pensant qu’elles ne servaient qu’aux arts mécaniques, je m’étonnais de ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n’avait rien bâti dessus de plus solide et de plus relevé". Il cherche aussi à résoudre le conflit opposant science et religion. Ses travaux l’amènent à énoncer les principes de la géométrie analytique. En 1633, il termine son ouvrage "le traité du monde ou de la lumière" où il soutient le mouvement de la terre. La condamnation par l’inquisition catholique du livre de Galilée qui affirme aussi, entre autres, que la terre tourne autour du soleil, l’amène à renoncer à sa publication. Si Descartes participe à de grandes découvertes comme les lois de la réfraction et contribue de manière importante aux progrès des mathématiques, il s’est aussi souvent trompé, ainsi sur la circulation du sang, la pesanteur et aussi en niant l’existence du vide bine qu’il se soit donné pour première règle : "Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment comme telle".
La géométrie : Cet essai de Descartes est constitué de trois livres. Le premier est consacré aux
problèmes ne faisant intervenir que des cercles et des points. Le second, consacré au classement des courbes algébriques, introduit pour la première fois l’usage des coordonnées.
Nous allons travailler sur les premières pages du livre premier de la Géométrie. Travail à réaliser : Dans la suite du texte, Descartes dit ce qu’il attend du lecteur :"Mais je ne m’arrête point à expliquer ceci plus en détail, à cause que je vous ôterois le plaisir de l’apprendre de vous-même, et l’utilité de cultiver votre esprit en vous y exerçant". Lire les lignes 1 à 18. 1. Etudier les affirmations qui figurent de la ligne 19 à la ligne 23. Quelle démonstration en
feriez-vous ? 2. Etude de la ligne 24 à la ligne 29. a) Refaire à l’échelle 2 la construction de la figure 2 du texte. Une méthode de construction d’un segment représentant la racine carrée d’un nombre figuré par un segment est expliquée. b) Quelle est la nature du triangle FIH et pourquoi ? c) Démontrer que GI représente bien la racine carrée de GH. Deux méthodes suggérées (vous pouvez aussi en trouver d’autres) : l’une utilise plusieurs fois le théorème de Pythagore et la remarque FH = FG + GH (on peut poser a = FG, b = GH, c = GI), l’autre utilise les tangentes d’angles de même mesure. 3. Application
a) Le segment représentant 9 ayant 9 unités de longueur, en utilisant la construction décrite par Descartes, représenter par un segment la racine carrée de 9.
b) Même travail pour représenter la racine carrée de 10 et celle de 14 .
25
-
ANNEXE 2 Questionnaire à propos du devoir sur Descartes
1) La présentation de ce texte dans la problématique de l’époque vous semble-t-elle : avoir de l’intérêt ? ne pas avoir sa place pendant un cours de maths ? avoir été trop superficielle ? aurait dû être fait en commun avec le prof d’histoire ou de français ? 2) La vie de l’auteur vous semble-t-elle indispensable pour la compréhension ? 3) La lecture de ces pages vous a-t-elle paru difficile facile inabordable seul 4) Indiquez dans l’ordre ce qui vous paraît le plus difficile : expression du français ancien notions utilisées différentes des nôtres support théorique différent du nôtre méthode différente d’aborder les problèmes 5) Pensez-vous que la lecture du texte authentique soit intéressante ? Ou suffit-il de savoir l’origine du problème et de le résoudre en ayant sous les yeux un énoncé moderne ? Sauriez-vous expliquer ce que le document apporte ? 6) Ce type de travail : vous plait-il ? vous paraît-il ennuyeux ? est-il déplacé dans un cours de maths ? est-il enrichissant ? apporte-t-il une ouverture et un éclairage : agréable ? utile ? vous aide-t-il à mémoriser mieux ? apprendre mieux ? comprendre mieux ? travailler mieux ? 7) Autres commentaires sur ce travail :
26
-
ANNEXE 3
MODULE N° 7 : Méthode de la double fausse position 1) L’exercice suivant est tiré d’un livre de François Pellos de 1492 : "Un marchand a acheté 3 pièces de drap qui lui coûtent 30 florins et il ne sait pas au juste ce que coûte chacune de ces pièces, mais il sait que la deuxième coûte le double de la première plus 4 florins, la troisième coûte 3 fois autant que la seconde moins 7 florins. Je demande combien coûte chaque pièce." Résoudre cet exercice. 2) Voici la méthode proposée par François Pellos : "Suppose que la première coûte 3, la seconde coûte alors 6 plus 4 ce qui fait 10. La troisième coûte 3 fois 10 qui font 30 moins 7 reste 23, maintenant pour savoir si tu as résolu, ajoute les trois résultats. Cela fait 36 et tu ne veux que 30 ainsi dis que, par cette première supposition, 3, cela dépasse de 6. De même pour une seconde supposition admets que la première pièce coûte 4, la seconde le double, 8 plus 4 ce qui fait 12. La troisième coûte 3 fois 12, 36 retranche 7, il reste 29. Tu ajoutes les trois résultats. On obtient 45. Tu dis que pour la seconde supposition, 4, cela dépasse de 15." Pellos schématise alors sa solution ainsi : Pour 3 plus 6 24 9 21 219
Pour 4 plus 15 45 La première pièce de drap coûte donc 73 de florins ou 2 +
13 .
Cette méthode connue sous le nom de la double fausse position est-elle correcte ? 3) Soit x le prix de la première pièce de drap et y le dépassement des trois pièces. Compléter le tableau suivant :
x 3 4 5 6 7 8 9 10 y 6 15
27
-
4) En repérant dans le tableau précédent un lien entre les valeurs successives de y, compléter le tableau suivant :
x 12 15 17,5 2 103
y 96 105 0 La solution de l’exercice de Pellos apparaît-elle dans ce tableau ? 5) Représenter dans un repère orthonormal (O,Åi ,Åj ) l’ensemble des points de coordonnées (x, y), x étant toujours un réel positif représentant le prix de la première pièce de drap et y le dépassement de prix correspondant. Déterminer y en fonction de x. Résoudre graphiquement le problème de Pellos. 6) Soit (d) la droite passant par les points de coordonnées (3 ; 6) et (4 ; 15). Déterminer une équation de (d) sous la forme y=ax+b. 7) Résoudre par composition le système suivant :
3a+b=64a+b=15
Quel est le lien avec le problème de Pellos ?
28
-
RESUME
Dans ce mémoire, je me suis demandé dans quelle mesure l’introduction d’histoire
des mathématiques en cours pouvait aider à motiver et intéresser les élèves : cela peut
donner du sens aux notions introduites, cela peut donner une image plus vivante des
mathématiques. J’ai ensuite mis en place deux expériences : un travail à la maison sur un
texte original de Descartes, et un travail en classe sur la méthode de la double fausse
position.
MOTS-CLES
Histoire des mathématiques, curiosité, étonnement, Descartes, fausse position
Lycée René Cassin, Mâcon
Classe de seconde
29