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Inauguration du Séminaire Conférence d’introduction Nous allons donc introduire ce séminaire international sur le risque d’échelle globale. Je commencerai donc par planter le décor de la géopolitique mondiale. Nous sommes dans un monde qui reste constitué de trois types d’acteurs de puissances : les acteurs étatiques ou Etats, qui sont les principaux acteurs, les acteurs intra-étatiques ensuite, qui constituent un défi pour les premiers, et les acteurs trans-étatiques enfin, qui sont en fait les réseaux, aussi bien licites (comme les Firmes multinationales organisées de manière capitalistique et opérationnelle par-delà les frontières des Etats) qu’illicites (les réseaux islamistes internationaux comme Al-Qaïda dont on parle encore beaucoup). D’où viennent les risques qui pèsent sur la sécurité mondiale ? D’abord à l’échelle régionale ou à l’échelle globale le risque de guerre interétatique, même s’il a fortement chuté, ne doit pas être sous-estimé. Toute l’histoire montre que les reclassements dans l’ordre de la puissance sont généralement mal vécus par les Etats-nation. La question de la domination mondiale entre l’Allemagne et les puissances anglo-saxonnes (Royaume-Uni et Etats-Unis) est la cause profonde de l’éclatement des deux guerres mondiales au XXe siècle. Demain, ce pourrait être la volonté des Etats-Unis de ne pas être surclassés par la Chine qui pourrait causer un basculement du monde dans une guerre d’ampleur planétaire. L’une des idées auxquelles je tiens beaucoup, dans l’analyse de la géopolitique mondiale, est que nous vivons, depuis la fin de la Guerre froide soviéto-américaine, un affrontement radical entre les forces de l’unipolarité coalisées autour de Washington et qui défendent le projet d’Amérique-monde porté par l’idéologie américaine, et les forces de la multipolarité, qui sont de diverses natures, de la révolte islamique jusqu’aux émergents (Chine, Russie, Brésil, Afrique du Sud, Inde…) lesquels refusent l’hégémonisme américain et l’universalisation du modèle occidental, de ses normes philosophiques, culturelles, économiques et commerciales. Je crois qu’il ne faut pas écarter trop vite ce risque global de nature interétatique, et ceci même si notre séminaire ne se concentre pas sur cette thématique. De même la rivalité interétatique au niveau régional doit-elle être surveillée de près ; c’est vrai entre la Chine et le Japon qui accepte mal de voir l’Empire chinois le dépasser, c’est aussi vrai entre Inde/Chine, Inde/Pakistan, ou en Amérique Latine même où les rivalités voisines, dans un contexte de développement important des capacités militaires (la thème de la croissance des potentiels militaires en Amérique doit attirer notre attention) et de réveil des revendications géopolitiques, ne doivent pas être minorées. Le deuxième risque vient du délitement des Etats-nations et de l’essor des séparatismes et des revendications identitaires internes aux Etats. Il s’agit là du facteur intra-étatique. Ce problème est fondamentalement lié au déficit de l’identité nationale pour de nombreux Etats

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Inauguration du Séminaire

Conférence d’introduction

Nous allons donc introduire ce séminaire international sur le risque d’échelle globale. Je commencerai donc par planter le décor de la géopolitique mondiale.

Nous sommes dans un monde qui reste constitué de trois types d’acteurs de puissances : les acteurs étatiques ou Etats, qui sont les principaux acteurs, les acteurs intra-étatiques ensuite, qui constituent un défi pour les premiers, et les acteurs trans-étatiques enfin, qui sont en fait les réseaux, aussi bien licites (comme les Firmes multinationales organisées de manière capitalistique et opérationnelle par-delà les frontières des Etats) qu’illicites (les réseaux islamistes internationaux comme Al-Qaïda dont on parle encore beaucoup).

D’où viennent les risques qui pèsent sur la sécurité mondiale ?

D’abord à l’échelle régionale ou à l’échelle globale le risque de guerre interétatique, même s’il a fortement chuté, ne doit pas être sous-estimé.

Toute l’histoire montre que les reclassements dans l’ordre de la puissance sont généralement mal vécus par les Etats-nation. La question de la domination mondiale entre l’Allemagne et les puissances anglo-saxonnes (Royaume-Uni et Etats-Unis) est la cause profonde de l’éclatement des deux guerres mondiales au XXe siècle. Demain, ce pourrait être la volonté des Etats-Unis de ne pas être surclassés par la Chine qui pourrait causer un basculement du monde dans une guerre d’ampleur planétaire.

L’une des idées auxquelles je tiens beaucoup, dans l’analyse de la géopolitique mondiale, est que nous vivons, depuis la fin de la Guerre froide soviéto-américaine, un affrontement radical entre les forces de l’unipolarité coalisées autour de Washington et qui défendent le projet d’Amérique-monde porté par l’idéologie américaine, et les forces de la multipolarité, qui sont de diverses natures, de la révolte islamique jusqu’aux émergents (Chine, Russie, Brésil, Afrique du Sud, Inde…) lesquels refusent l’hégémonisme américain et l’universalisation du modèle occidental, de ses normes philosophiques, culturelles, économiques et commerciales.

Je crois qu’il ne faut pas écarter trop vite ce risque global de nature interétatique, et ceci même si notre séminaire ne se concentre pas sur cette thématique.

De même la rivalité interétatique au niveau régional doit-elle être surveillée de près ; c’est vrai entre la Chine et le Japon qui accepte mal de voir l’Empire chinois le dépasser, c’est aussi vrai entre Inde/Chine, Inde/Pakistan, ou en Amérique Latine même où les rivalités voisines, dans un contexte de développement important des capacités militaires (la thème de la croissance des potentiels militaires en Amérique doit attirer notre attention) et de réveil des revendications géopolitiques, ne doivent pas être minorées.

Le deuxième risque vient du délitement des Etats-nations et de l’essor des séparatismes et des revendications identitaires internes aux Etats. Il s’agit là du facteur intra-étatique. Ce problème est fondamentalement lié au déficit de l’identité nationale pour de nombreux Etats

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du monde. La République dominicaine a la chance d’être un véritable Etat-nation. Les races y ont fusionné pour créer une identité nationale clairement affirmée. Tel est le cas aussi de nombreux pays d’Amérique Latine. Toutefois, dans de nombreuses aires culturelles, les conflits identitaires, ethniques et ou religieux, font rage à l’intérieur des Etats. La question des migrations repose aussi celle de l’identité nationale pour des Etats, comme la République dominicaine avec l’immigration haïtienne, ou la France avec l’immigration musulmane, qui étaient pourtant arrivé au terme d’un long processus historique à régler le problème de l’identité nationale. J’ai travaillé sur la question de l’immigration haïtienne comme défi important de la géopolitique dominicaine, et FUNGLODE met ce rapport à votre disposition.

Les fractures intra-étatiques sont souvent instrumentalisées par d’autres Etats, comme les Etats-Unis qui usent des séparatismes en Russie (Tchétchénie), en Chine (Tibet, Xinjiang), ou des Etats qui à l’échelle régionale tentent de gêner leur voisin.

Le troisième type de problème est transétatique, c’est-à-dire qu’il transcende les frontières des Etats. Ce problème est directement lié à la globalisation, laquelle n’a pas disqualifié les Etats comme l’affirmaient certains, mais qui a mis ceux-ci d’autant plus en compétition avec des acteurs non étatiques, comme les firmes multinationales, lesquelles, en Afrique par exemple, sont de véritables acteurs de puissance, ou bien comme les mafias transnationales ou les réseaux terroristes.

Ce sont de risques de nature transétatique dont nous allons parler essentiellement durant les deux jours à venir.

Mais avant d’introduire plus spécifiquement les thématiques, je voudrais souligner une idée à laquelle je tiens beaucoup.

Pour beaucoup, le transétatique doit être pensé de manière complètement autonome du fait étatique. Le terrorisme, du type d’Al Qaida par exemple, est en effet pensé de manière autonome. On souligne, à juste titre, la dimension transnationale de l’islamisme, qui refuse l’Etat-nation dans le monde musulman et ne considère qu’une seule nation, la nation islamique ; on souligne, à juste titre encore, l’organisation transétatique de ces réseaux, qui comptent différentes nationalités et semblent globalisés dans leur structure à la fois opérationnelle et financière. Pourtant, on n’insiste pas assez sur le lien étatique profond qui existe avec ce type de réseaux. La plupart des groupes terroristes islamistes sont, à l’origine, une émanation de services secrets étatiques. Il existe suffisamment de bonnes études maintenant pour ne pas feindre d’ignorer que la CIA, les services saoudiens, l’ISI pakistanais, le MI-5/6 britannique, ont joué et continuent de jouer un rôle fondamental dans l’organisation et le déploiement de l’islamisme international. Les services secrets des Etats n’ont pas seulement fourni la logistique et l’argent, ils ont souvent donné une raison d’être à ces réseaux. Ces réseaux sont en effet d’abord des outils de guerre secrète, menée par délégation, par des Etats contre d’autres Etats et ceci à la place de guerres ouvertes. En fait, la diminution du risque de guerre interétatique s’est accompagnée d’un accroissement du risque terroriste. Le terrorisme est donc en réalité devenu la forme moderne de la guerre par délégation menée entre les Etats eux-mêmes. Vous ne pouvez pas attaquer directement la Russie ou la Chine ? Ou vous ne voulez pas d’une Europe unie avec une périphérie méditerranéenne pacifiée ?

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Favorisez alors les forces radicales de l’islam, aidez-les à se structurer et à porter des coups à vos compétiteurs géopolitiques. Et lorsque l’incendie est allumé, proposez vos services en tant que pompiers. La CIA a prouvé qu’elle savait être pyromane et l’armée américaine est mobilisée ensuite pour jouer les pompiers en emmenant avec elle les armées de la coalition transatlantique.

Nous n’allons pas directement traiter du terrorisme, alors pourquoi je dis cela ? Parce que, s’agissant du narco trafic qui sera l’un des thèmes fondamentaux de notre étude, nous sommes face à une problématique similaire. Il serait en effet facile de se contenter de présenter les choses en disant que, d’un côté il y a la problématique de l’Etat, qui serait la victime, de l’autre la problématique du réseau transétatique, le réseau de narco-trafic, qui serait le seul coupable. Le problème auquel nous devons faire face est qu’il existe en fait une interpénétration profonde entre l’Etat et le narco-trafic, au point que l’on a pu parler, s’agissant de certains Etats d’Amérique latine, de narco-Etats. Cela ne veut pas dire que l’Etat, dans sa totalité, est gangréné par le narco-trafic ; mais cela veut dire simplement qu’une partie de l’appareil répressif et judiciaire étatique est intégré au narco-trafic. Un peu comme la collusion entre une partie du système de renseignement américain et les Talibans, collusion qui n’a toujours pas cessé. Certains le savent, je suis un peu en pointe, et de manière dissidente, en France sur la question du terrorisme international et du 11 septembre en particulier. Je crois en effet qu’il faut s’intéresser à la notion d’Etat profond américain, au cœur de l’Etat officiel, mais qui ne se confond pas avec lui, pour appréhender la genèse et de développement d’un réseau comme Al Qaida. De la même façon, on ne peut pas comprendre ce qu’est la mafia italienne, sans comprendre le rôle fondateur qu’elle a eu dans la genèse de la République unifiée italienne, ce qui lègue de facto un lien fort entre mafia et Etat censé la combattre. De même pour l’Afghanistan et le Pakistan qui sont structurellement des narco-Etats, ce qui veut dire que cela va bien au-delà de la corruption de quelques fonctionnaires ou hommes politiques.

Le marché international de la drogue est en pleine expansion : il représenterait le troisième commerce mondial en valeur derrière celui du pétrole et de l’alimentation, juste devant celui des armes (avec lequel il est lié). L’OMC révèle que les narcotrafics représenteraient environ 8% du commerce international pour un chiffre d’affaires global évalué à 400 milliards de dollars par an (certaines estimations vont jusqu’à 1000 milliards de dollars). Même si ces chiffres sont à prendre avec prudence, il est certain que ce commerce jouit d’une forte croissance ce qui s’explique par la nouvelle situation géopolitique mondiale depuis la fin de la Guerre froide et par les facilités apportées par la mondialisation des transports et communications. Nombre de guerres civiles et de groupes insurrectionnels et ou terroristes dans le monde ont été récemment et sont toujours financés par le trafic de drogue et ceci sur tous les continents, de la Colombie à l’ex Yougoslavie, de la Tchétchénie au Soudan et de l’Afghanistan au Myanmar.

Le commerce international de la drogue met en liaison un petit nombre de zones de production, très concentrées géographiquement en Amérique du Sud et en Asie centrale et méridionale, et un grand nombre de zones de consommation, éparpillées dans le monde où se trouvent 250 millions de consommateurs réguliers, surtout dans les pays du Nord.

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Quelques grands producteurs de coca se distinguent en Amérique latine (Pérou, Colombie, Bolivie) tandis que l’essentiel du pavot à opium vient d’Afghanistan et de Birmanie (Myanmar). Ainsi le Pérou est-il devenu, en 2009, le premier producteur mondial de feuilles de coca, matière première de la cocaïne, dépassant donc la Colombie. En 2011, le Pérou est devenu aussi premier producteur mondial de cocaïne devant la Colombie. Quelques ordres de grandeur : en 2009 le Pérou a produit 119 000 tonnes de feuilles de coca et la surface cultivée représente environ 60 000 hectares. Quant à la production de cocaïne elle-même, nous sommes dans un ordre de grandeur d’un peu plus de 400 tonnes pour la Colombie en 2010 (elle était de 600 t en 2007).

Au Mexique (Selon AFP du 11 août 2011) la guerre entre les cartels de la drogue (7 grands cartels qui se disputent le contrôle du trafic et de l’approvisionnement de l’énorme marché américain ; les combats les plus violents se concentrant logiquement le long de la frontière de plus de 3000 km entre le Mexique et les Etats-Unis) a fait plus de 41 000 victimes au Mexique depuis décembre 2006, début de l’opération lancée par le président Felipe Calderon contre les narcotrafiquants, avec l’appui de 50 000 militaires. Nous sommes dans une échelle de violence comparable à l’Afghanistan et à l’Irak et personne n’en parle en Europe ! Dans les milieux bien-pensants parisiens, on préfère s’indigner du sort d’une jeune française condamnée au Mexique, et dont rien ne dit qu’elle n’est pas coupable ; une indignation qui traduit à mon avis encore trop bien l’arrogance du vieux monde occidental, états-unien et européen, lequel n’a toujours pas compris que nous sommes entrés dans un monde multipolaire et que les pays émergents ne sont plus des pays sous-développés. En juin 2010, un rapport officiel américano-mexicain indiquait que le narcotrafic brassait 29 milliards USD au Mexique.

Les routes internationales du narcotrafic, à la fois maritimes, aériennes et terrestres, relient les zones de production aux zones de consommation, via des zones de transit : Mexique pour l’Amérique du Nord, Afrique de l’Ouest, Balkans et Turquie pour l’Europe occidentale par exemple. La valeur du produit augmente exponentiellement à chaque passage de frontière.

Une multitude d’acteurs s’enrichit de ce trafic, avec une répartition des revenus qui est grossièrement la suivante pour les drogues d’origine naturelle : 5% maximum aux cultivateurs, 15% aux producteurs qui transforment la matière première, 25% aux transporteurs et trafiquants internationaux, 55% aux distributeurs dans les pays consommateurs. Le marché est marqué par le principe fondamental de l’escalade des profits : à chaque étape de la filière, de la production à la commercialisation, les marges sont de plus en plus élevées ; ainsi du paysan au consommateur, les prix de la cocaïne à l’héroïne peuvent gagner de 1000 à 2500%. La distribution est organisée selon une structure pyramidale, les plus gros dealers s’occupant de transactions de plusieurs kilos et laissant aux petits dealers, revendeurs de rue souvent usagers eux-mêmes, le commerce de fourmis, c’est-à-dire les transactions avec le consommateur final. L’essentiel des revenus de la drogue profite au crime organisé qui recourt à des procédures complexes de blanchiment d’argent : les circuits de recyclage traditionnel étant rapidement saturés, les groupes criminels ont recours aux circuits de la finance internationale, notamment via les paradis fiscaux. Les taxes de blanchiment comptent pour environ 25% (parfois jusqu’à 50%) du prix final.

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Face à ce commerce international, les Etats-nations sont assez démunis, d’autant que les rouages mêmes des appareils administratifs, policiers et militaires sont parfois minés par les trafics et la corruption. Le succès de quelques plans d’envergure comme le plan Colombie lancé par les Etats-Unis en 1999 ne doivent pas masquer l’ampleur du défi. C’est un fléau à éradiquer à la racine en traitant le problème de la consommation, car les producteurs et trafiquants sont difficiles à circonvenir. Pourtant les narcotrafics déstructurent en profondeur économies et sociétés, et peuvent engendrer des déchaînements de violence d’une rare ampleur (guerre des cartels au Mexique, terrorisme des FARC en Colombie). C’est donc un risque majeur pour notre temps.

Nous verrons que ce problème du narcotrafic ouvre sur de nombreux débats. L’un des débats les plus sensibles est celui de la remise en cause des politiques répressives. Force est de constater que plusieurs pays d’Amérique Latine comme le Mexique, l’Equateur, l’Argentine, le Brésil et la Bolivie ont réformé, ou envisagent de réformer, leur législation dans la perspective d’une décriminalisation de drogue à usage personnel. En 2009, la Bolivie a inscrit l’usage de la feuille de coca dans sa Constitution, l’Argentine a dépénalisé la possession de petites quantités de marijuana à des fins personnelles, le Mexique l’a fait pour diverses drogues à condition de suivre un traitement médical. Quant à l’Equateur, en 2008, il a amnistié 2000 trafiquants non récidivistes. Mais tous les pays ne sont pas dans la même optique. En Colombie, premier producteur mondial de cocaïne, la loi est revenue en arrière en décembre 2009, en re-pénalisant la possession de petites doses de marijuana ou de cocaïne pour usage personnel. Par ailleurs, il faut constater que la politique répressive a aussi porté ses fruits en Colombie puisque le pays est passé derrière le Pérou en termes de production de cocaïne.

Il faut dire que la lutte contre le narcotrafic peut être source de coopération comme de tension entre les Etats concernés.

Source de coopération : le 31 mars 2011, la Bolivie et le Brésil ont-ils signé un vaste accord de coopération contre le trafic de drogue qui prévoit que le géant sud-américain fournira de l’aide et du matériel dont des hélicoptères et des drones au pays andin, source de la majorité de la cocaïne qui circule au Brésil. La Bolivie et le Brésil partagent 3100 km de frontière et au moins 80% de la cocaïne qui circule à Rio de Janeiro et Sao Paulo provient de Bolivie, le 3e

producteur de cocaïne au monde, sachant que pour La Paz, 50% de cette drogue conditionnée en Bolivie vient du Pérou.

Mais également source de tension, comme celles entre l’Equateur et le Mexique en 2011, qui se sont lancés des accusations réciproques de ne pas faire assez contre la drogue.

Le deuxième enjeu dont nous traiterons durant ces deux jours, est le trafic des armes. Il est en partie lié au premier.

Le commerce illicite des armes alimente non seulement la grande et la petite délinquance mais surtout les mouvements terroristes et de rébellion. Ses principaux débouchés se situent dans le Tiers monde : en Asie (Sri Lanka, Inde, Népal, Philippines, Indonésie) ; en Asie du Sud-Ouest et au Moyen-Orient (Afghanistan, Kurdistan, Palestine) ; en Afrique (Somalie,

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Darfour, Côte d’Ivoire, Casamance) ; en Amérique Latine et aux Caraïbes (Haïti, Colombie, Pérou). En Europe les besoins en armes tendent à diminuer grâce à l’apaisement des conflits ethniques et régionaux. Cependant, des foyers de tensions subsistent au pays basque espagnol, dans le Balkans notamment au Kosovo et en Macédoine, enfin dans le Caucase (Ingouchie, Tchétchénie…).

Je disais qu’il y a un lien évident entre les deux types de trafic. Prenons l’exemple du Mexique. Plus de 80% des armes saisies viennent des Etats-Unis et concernent l’environnement du narcotrafic.

Nos intervenants auront donc à expliciter ce phénomène et à le différencier également du commerce légal des armes avec lequel la frontière n’est pas toujours très claire.

Il existe notamment tout un marché de la revente des armes militaires possédées légalement par les armées mais revendues par des militaires corrompus aux trafiquants.

Troisième axe de nos tables rondes : la sûreté aéroportuaire. Là encore un enjeu fondamental pour une mondialisation sécurisée tant les flux aériens sont devenus importants. Une nouvelle récente nous rappelait la fragilité de la sécurité aérienne. L’OTAN nous a appris, début octobre 2011, que 10 000 missiles sol air manquaient après le pillage des stocks libyens. De telles armes peuvent pulvériser au décollage ou à l’atterrissage n’importe quel avion civil, dans n’importe quel aéroport du Maghreb ou d’un pays du Sahel. Quand on sait que les groupes criminels et terroristes pullulent, qu’il existe des liens entre les groupes criminels du Sahel et les narcotrafiquants d’Amérique Latine lesquels ont déjà fait atterrir des Boeing chargés de drogue dans les sables du Sahara, on peut donc s’inquiéter légitimement du risque de dissémination de ces armes.

On s’est beaucoup fait peur, après la fin de la Guerre froide avec le risque de dissémination radiologique, bactériologique et nucléaire, issu de l’URSS en décomposition, mais on devrait se pencher plus simplement sur l’énorme quantité de missiles portatifs qui circule dans le monde.

Enfin, pour sortir des seuls sujets transversaux et techniques, nous avons choisi de traiter d’un sujet localisé géographiquement qui est l’avenir du Moyen-Orient. D’abord parce que le président Leonel Fernandez, a toujours accordé une attention particulière aux conflits du Proche-Orient, sur lesquels il faut le dire l’Amérique Latine est d’ailleurs plutôt en pointe, comme on le voit avec la reconnaissance par de nombreux pays de l’Etat palestinien. Ensuite parce que nous pensons que tant que le conflit israélo-palestinien ne sera pas apaisé, le fanatisme sera à la fois une réalité exacerbée, et une réalité instrumentalisée par une puissance qui ne veut pas du monde multipolaire et qui ne rêve que d’hégémonie unipolaire. Enfin et je pense que c’est un point crucial, parce que le monde arabe et au-delà le Moyen-Orient est une zone dans lequel il y a accélération de l’ingérence occidentale, de l’Afghanistan jusqu’à la Libye en passant par l’Irak, la Syrie et l’Iran. Et cette ingérence est en contradiction manifeste avec la manière dont les pays émergents, partisans d’une multipolarité équilibrée, comme l’Inde, la Russie, la Chine, le Brésil, l’Argentine, l’Afrique du Sud voient les relations internationales. Je crois donc qu’il sera passionnant d’échanger, notamment avec les visions

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des pays d’Amérique du Sud sur ce Moyen-Orient en pleine ébullition et qui est porteur à la fois d’espoirs et de menaces.

Qu’il me soit permis de rappeler dans quel état d’esprit, à la fois Son Excellence le Président Leonel Fernandez, mais aussi les chercheurs de FUNGLODE, souhaitent aborder ces commissions de travail : dans le refus de l’agressivité idéologique et en même temps le refus de la langue de bois. Toutes les analyses doivent pouvoir se déployer dans la liberté d’analyse, l’idée étant de comprendre en profondeur les phénomènes plutôt que d’accuser les uns ou les autres. Il y aura forcément ici plusieurs visions du monde et des risques qui pèsent sur celui-ci, l’essentiel étant comme le disait le philosophe catholique Jean Guitton, de pouvoir s’unir dans une vérité plus haute, qui dépasse nos oppositions.

Aymeric CHAUPRADE