implementing international law in the domestic legal order
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Dean Maxwell and Isle Cohen Doctoral Seminar in International Law
“Implementing International Law in the Domestic Legal Order”
Monday, 28 June, 2010
Faculty of Law of McGill University, Montreal
Title of the presentation: Implementing International Trade Law in the Domestic
Legal Order: The Case of UNIDROIT Principles in 17 West African Countries under
O.H.B.L.A1
Karel Osiris DOGUÉ
. 2
Abstract:
The present communication analyzes the connections between the
international and domestic legal orders from a theoretical and practical angle. Our
focus is broadly the interactions and influences of international trade law on
domestic African commercial laws.
1 Organization for Harmonization of Business Law in Africa. In French, the acronym is OHADA 2 Ph.D. Candidate, Faculty of Law, Université de Montréal. Work in progress: do not quote. Ne pas citer. The text is
in French but the oral communication will be in English.
2
This analysis is specifically framed around the current attempt of applying
UNIDROIT principles of international commercial contracts in the national
substantive laws of 17 Member States of the Organization for Harmonization of
Business Law in Africa (OHBLA).
The study starts with a short introduction to the West and Central African
business law being instituted through the OHBLA process. It then continues with
unveiling the connection between the supranational rules and the substantive law of
each of the 17 Member States of the OHBLA.
The first main objective of this paper is to highlight the practical difficulties
resulting from attempting a direct transplantation of these international contractual
principles in the national, African context. The article will argue that this process
will be of considerable benefits for national legislations both on economic and legal
grounds. However, the author highlights the potential risks of backlash if the
process is not properly implemented and proposes avenues to improve this
relationship between the two legal orders. He discusses his perception in terms of
advantages, disadvantages and difficulties which there are or would be to introduce
the different UNIDROIT principles into those 17 Africa’s countries. He addresses the
issue raised by the different scopes of application between UNIDROIT principles and
national contract laws and how this could be solved. The author takes into
consideration major discrepancies between principles and domestic law in the
African context studied and shows that the principles of UNIDROIT should be
regarded as references and not as law directly applicable in OHBLA’s Member
States. They can be sources of inspiration and actually are means of interpreting
and supplementing domestic law.
The relevant question of the marked openness to international usages of
UNIDROIT principles is also tackled through the lens of possible adequacy of these
3
regular international practices to the contractual usages suitable for the African
context.
Could the Common Court of Justice and Arbitrage (CCJA) of OHBLA base
its decisions on UNIDROIT principles as domestic law and if so in which way? Do
the African national judges need to become norms entrepreneurs in order to adapt
those principles? These are some of the questions answered in the first section of
the present research paper.
In the second section, the analysis goes beyond the international commercial
law to encompass the global reform of the business law operated under the auspices
of OHBLA in Africa. The author argues that slow but deep metamorphoses are
taking place in the OHBLA area under the influence of international law (this is in
part due to the phenomenon of globalization and legal harmonization). Having
revealed these internal transformations, he raises the hypothesis that they are the
first factors that should demonstrate the implementation of global governance at a
regional scale in Africa.
In other words, is it utopian to assume that these influences will lead to a
progressive implementation of global governance in West Africa? Are we assisting
at the implementation of domestic foundation of a new practical global legal order?
Given the disengagement of state representation on the one hand and the increased
involvement of private actors associated to other facts on the other, can one then
conclude to a move towards the constitution of a transnational civil society? Is the
principle of sovereignty still effective in OHBLA Member States?
This article answers these questions by listing certain normative changes of
African national legislations and comparing them with general mechanisms of
global legislation at the international level.
4
Résumé de la communication:
La présente communication analyse sous un angle à la fois théorique et
pratique les rapports entre l’ordre juridique international et les ordres juridiques
internes. Le choix est fait pour le droit du commerce international dans ses
interactions avec les droits positifs internes. Le cadre d’analyse est précisément
celui de la transposition en cours des principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats
du commerce international dans les droits positifs nationaux des 17 États membres
de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires
(OHADA).
L’objectif premier de cette étude est de faire ressortir les difficultés
concrètent qui résultent de la tentative de transplantation directe de ces principes
contractuels internationaux dans un contexte national, africain de surcroît. Précisant
que cette éventualité constitue une opportunité à la fois juridique et économique
pour les législations nationales qui en bénéficieraient, l’auteur insiste cependant sur
les risques d’une telle transplantation si elle était mal opérée et propose à la suite
les voies et moyens pour améliorer ce rapport tumultueux.
Dans une seconde partie, les analyses vont au-delà du droit international des
contrats de commerce pour envisager la réforme globale du droit des affaires
opérée sous l’égide de l’OHADA en Afrique. L’auteur part de l’hypothèse que des
métamorphoses lentes mais profondes s’opèrent dans l’espace de l’OHADA sous
l’effet du phénomène d’internationalisation du droit. Après avoir mis en lumière
ces métamorphoses internes, il pose comme hypothèse qu’elles constituent les
premiers facteurs démonstrateurs de la mise en place d’une gouvernance globale à
l’échelle régionale africaine. Pour la vérifier, l’auteur répertorie certains constats
propres aux espaces nationaux africains et les compare à des mécanismes
générateurs de législation globale à l’échelle internationale.
5
Plan général
Introduction
I- Aperçu du droit OHADA et de sa réception du droit international
A- Présentation de l’OHADA
B- Influence du droit international dans les Actes Uniformes OHADA
C- La méthode de réception du droit international dans l’ordre
juridique OHADA
II- L’application des principes d’UNIDROIT dans l’ordre interne des États
membres de l’OHADA : une complexe opportunité pour l’Afrique
A- L’opportunité de la réception de ces principes de droit international
dans les droits internes des États africains
B- Les difficultés de mise en œuvre des principes d’UNIDROIT dans
les droits internes africains
III- Au-delà des contrats du commerce international : vers une gouvernance
mondiale effective dans l’espace africain ?
A- Les métamorphoses normatives provoquées par l’influence des
ordres internationaux et communautaires : une tentative
d’ordonnancement par le paradigme du réseau
B- Les premiers linéaments d’une gouvernance régionale africaine
6
Introduction
I- Aperçu du droit OHADA et de sa réception du droit international
Après une succincte présentation de l’OHADA en tant qu’organisation et du
droit qu’elle institue pour les 17 États africains concernés, nous montrerons en quoi
le droit international a eu une grande influence dans les Actes Uniformes issus du
Traité OHADA et constituant le corpus juridique de l’Organisation. Nous finirions
cette première partie par une clarification du processus de réception du droit
international dans les ordres internes des États membres de l’OHADA.
A- Présentation de l’OHADA
L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires3 est
une organisation internationale mise en place par un Traité signé le 17 octobre 1993
à Port-Louis en Île Maurice. Elle comptait à l’origine 14 États africains4
3 Voir le site web de l’Organisation pour plus d’informations:
rejoints
plus tard par deux autres que sont la Guinée Bissau et la République de Guinée. La
République démocratique du Congo se joindra officiellement dès qu’elle aura
déposé les instruments de ratification auprès du secrétariat permanent de
l’Organisation sis à Dakar au Sénégal pour être le 17ième état de l’Organisation.
www.ohada.com or Boris Martor et al., Business law
in Africa : OHADA and the harmonization process, 2nd ed., London, GMB Publishing, 2007. 4 The 14 first members’ states are: Benin, Burkina Faso, Cameroon, Central Africa, Chad, Comoros, Congo,
Equatorial Guinea, Gabon, Ivory Coast, Mali, Niger, Senegal and Togo.
7
L’objectif de l’OHADA est d’harmoniser le droit des affaires de ses Membres afin
de créer un droit unique, moderne et adapté aux besoins de leurs économies. Elle
vise à accroître leur attractivité économique pour une augmentation des
investissements étrangers afin de conduire au développement économique.
L’organisation est essentiellement composée d’États de tradition juridique
civiliste mais inspiré pour la majeure partie de règles et conventions de droit
international. L’ambition finale est de réaliser l’unité africaine5 par le droit en
s’étendant aux États anglophones africains de tradition common law6. Pour
atteindre cette visée, quatre principales institutions ont été mises en place. Le
Conseil des Ministres de l’OHADA, assisté par un secrétariat permanent7; une
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA8) et une École Régionale
Supérieure de la Magistrature (ERSUMA9
) sur lesquelles nous pourrons nous
étendre brièvement plus loin. Revenons sur l’Organisation elle-même et son droit
qui comme nous le prouverons sont fortement influencés par le droit international.
5 Ambition visée au préambule du traité OHADA. 6 L’OHADA ne compte pas que des États francophones mais aussi le Cameroun qui est officiellement bilingue
(francais/anglais et bijuridique (droit civil au Sud et common law au Nord), la Guinnée Équatoriale qui est espagnole
et la Guinée Bissau qui est lusophone (Portugais). Ghana and Nigeria are also anglophone countries curently
debatting in joining OHADA Treaty and process or not. See : Martha Tumde Simo, Claire Moore Dickerson, (ed.),
Unified Business Laws for Africa: Common Law Perspectives on OHADA, London : GMB Publishing Ltd., 2009.
Dany, Houngbédji Rauch, Ghana may opt for Harmonized Business Law, in African Business, Feb. 2003, Issue 284,
p. 36; John Ademola Yakubu, Harminising Business Law in Africa: How Nigeria Can Benefit, available on
www.thisdayonline.com/archive/2004/09/29/20040929dev04.html viewed on June 4, 2010. 7 Secrétariat permanent based in Yaoundé, Cameroun. 8 Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, located in Abidjan, Ivory-Coast. 9 École Régionale SUpérieure de la MAgistrature based in Porto-Novo, Benin.
8
B- Influence du droit international dans les Actes Uniformes OHADA
L’une des particularités de l’OHADA est la forte influence du droit
international dans les Actes Uniformes. Nous reprendrons certains Actes
Uniformes pour identifier dans la mesure du possible la place de droit international
au sein de ces derniers suivi d’un rapide survol de futurs Actes Uniformes en cours
d’élaboration.
S’il est vrai qu’à l’instar de nombreux droits ou systèmes s’inscrivant dans la
dynamique de la mondialisation, l’élaboration d’un droit communautaire africain
ne saurait échapper à l’emprunt aux expériences internationales préexistantes, il
faut fortement décrier certains mouvements de reproduction pure et simple de
conventions internationales ou de textes législatifs étrangers notamment français.
Les cas les plus déplorables sont ceux des Actes Uniformes sur les voies
d’exécution et les procédures simplifiées de recouvrement (procédure civile et
commerciale) ainsi que celui sur le transport terrestre de marchandises. Le premier
est un grotesque décalque de la loi française de 1992 sur les voies d’exécution
tandis que le second reproduisait à l’origine la Convention de Genève de 1956 sur
le transport de marchandises par route ; il fut toutefois amélioré dans sa version
finale suite aux virulentes critiques10
10 Un séminaire rassemblant d’éminents spécialistes du droit des transports fut notamment organisé à l’Université de
Bologne à l’initiative de la CNUDCI pour critiquer l’avant-projet et l’article conjoint des deux principaux
protagonistes de ce débat intellectuel est assez révélateur. Voir, Nicole Lacasse et Jacques Putzeys, « L’acte
uniforme de l’OHADA relatif aux contrats de transport de marchandises par route », Actualités juridiques, 2005,
n°46, p. 4; disponible sur
de la doctrine. Heureusement que tous les
Actes Uniformes ne sont pas de pures copies mutatis mutandis de règles étrangères.
Les autres Actes Uniformes s’inspirent du droit international tout en l’adaptant,
voire même en l’améliorant pour certains. C’est le cas de l’Acte Uniforme sur
l’arbitrage qui reprend certaines règles contenues dans la loi modèle de la
www.ohada.com/doctrine D-04-06
9
Commission des Nations Unies pour le Droit du Commerce International
(CNUDCI) de 1985 ainsi que celles de la Convention de New-York du 10
décembre 1958 relative à l’exécution forcée des sentences arbitrales étrangères. Le
règlement d’arbitrage de la Chambre de Commerce International (CCI) a aussi
servi de modèle pour l’élaboration du règlement de la Cour commune de justice et
d’arbitrage (CCJA) de l’OHADA. Le droit de l’arbitrage OHADA est l’un des plus
innovateur existant actuellement car il va bien plus loin que ces règles sur de
nombreux points. Il est complété par un règlement d’arbitrage pour la Cour
commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA qui s’inspire du règlement
d’arbitrage de la Chambre de Commerce International dans sa version de 1988.
L’Acte Uniforme sur le droit commercial général (AUDCG) quant à lui a
repris les grandes lignes de la Convention de Vienne sur la vente internationale de
marchandises du 11 avril 1980 avec des modifications fondées sur certaines réalités
africaines11
Pour ce qui est de l’Acte Uniforme portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises, les opinions sont partagées. Certains auteurs
.
12 ont
reproché à cet Acte Uniforme de contenir des règles incompatibles avec les normes
IFRS (International Financing Reporting Standards). À notre sens, cet Acte
Uniforme n’a pas reproduit un texte international mais a adapté les anciennes règles
existantes (plans comptables français de 1957 et 1982 ; plan OCAM13 et plan
SYSCOA14
11 Codification de la clause de réserve de propriété (transfert de propriété après paiement du prix au moment de la
livraison) qui a pour but de protéger le vendeur contre les acheteurs véreux qui usaient de la saisie revendication des
marchandises même lorsqu’ils n’avaient pas payé le prix de ces dernières au vendeur.
) et leur a substitué un plan comptable OHADA qui prend en compte les
12 Voir les commentaires de cet Acte Uniforme par Martha Tumde Simo dans Unified Business Laws for Africa: Common Law Perspectives on OHADA, London : GMB Publishing Ltd., 2009. 13 Organisation Commune Africaine et Malgache (OCAM), en vigueur dans la CÉMAC (Communauté des États de
l’Afrique Centrale). 14 En vigueur dans l’UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest Africaine).
10
normes édictées par les agences internationales ce qui fait conclure à son essence
internationale.
Sous l’angle des projets d’Actes Uniformes en cours d’élaboration, il faut
préciser que la place du droit international est encore plus importante. On aura
l’occasion de revenir là-dessus pour ce qui est de l’avant-projet d’Acte Uniforme
OHADA sur le droit des contrats qui occupera toute notre deuxième partie.
Clarifions à présent comment ce droit international est reçu et mis en œuvre dans le
corpus juridique de l’OHADA.
C- La méthode de réception du droit international dans l’ordre juridique
OHADA
Nous traiterons dans cette partie de la particularité de la mise en œuvre du
droit international dans les Actes Uniformes de l’OHADA. La première précision
qui s’impose est que l’OHADA n’est pas à proprement parler un droit international.
Même si certains auteurs15
15 Boris Martor and al. , op. cit., p. 1. “OHADA is an international organization...”
l’ont ainsi qualifié, il n’en demeure pas moins qu’à
l’instar du droit mis en place par l’Union européenne, l’OHADA édicte un droit
communautaire provenant d’une organisation internationale. C’est une législation
supranationale ayant force en Afrique de l’Ouest et du Centre, plus précisément
dans les 17 États concernés. Mais comme démontré plus haut, le droit international
inspire et influence majoritairement le droit OHADA qui présente toutes les
principales caractéristiques d’un droit international puisqu’il provient d’un traité
international et produit quasiment les même effets qu’un traité sinon même qu’il est
plus contraignant qu’un traité. Pour les besoins de cet article, nous référerons
11
variablement aux qualificatifs international, communautaire ou supranational pour
désigner le droit de l’OHADA.
Même si mes prédécesseurs ont depuis cette matinée longtemps développé à
propos de l'approche théorique de l'interaction entre le droit international et le droit
interne, je ne saurais continuer sans faire allusion, au moins en passant aux
principales conclusions de ces études. Toutefois, j’essaierai de mettre l'accent sur la
spécificité de cette relation dans le système OHADA par rapport au système
canadien et au système d’intégration communautaire de l'Union Européenne (UE).
Les juristes ont retenu deux modèles principaux quant à l’approche théorique
des rapports entre le droit international et des droits internes qui sont: le monisme
et le dualisme. Pour le modèle moniste », les systèmes juridiques ne sont pas
compartimentés en des régimes autonomes, mais ils sont plutôt des adaptations
localisées des principaux systèmes qui eux ont une portée beaucoup plus large.
Cela signifie pour les monistes pures que les deux ordres juridiques (international
et interne) sont unis et forment une continuité l’un de l’autre. L'applicabilité de l’un
ou l’autre à différentes classes ou catégories de sujets n'est pas un bon critère de
distinction entre les systèmes nationaux et internationaux. Aujourd'hui, le droit
international s'applique à des individus et à des zones réservées traditionnellement à
la réglementation juridique interne. L'approche moniste envisageant le droit
international comme hiérarchiquement et normativement supérieur à l'ordre
juridique interne est fort approprié lorsque l'OHADA est considéré. L’OHADA a
utilisé cette approche théorique pour asseoir cette supériorité de son droit
supranational sur les droits internes et atteindre l'harmonisation progressive de ces
derniers. Étant donné que tous les dix-sept États sont soumis à ces règles
supranationales uniformes dans les domaines objet de l'harmonisation, ils
aboutiront à long terme à un ordre juridique quasi-universel (synonyme d’un droit
12
global développé dans la 3ième partie), non seulement dans les domaines
harmonisés, mais aussi dans beaucoup d'autres connexes.
Le dualisme à l’opposé exclut toute unité ou complémentarité entre les deux
ordres juridiques international et interne. Il pose la séparation essentielle ou la
complète insularité des systèmes juridiques nationaux, à la fois les uns des autres et
aussi de toutes les sources du droit supranationales ou internationales16
. En d'autres
termes, le système dualiste reconnaît une différence fondamentale entre ces deux
systèmes juridiques. Il n’est plus nécessaire de rappeler que l’approche dualiste est
celle qui caractérise le mieux le droit canadien.
En faisant une comparaison avec le Canada on est tenté de dire qu’il est
impossible d’identifier ou même de rapprocher le système juridique canadien de
réception du droit international dans l’ordre interne avec celui de l’OHADA. En
réalité, il s’agit d’une illusion. Il est vrai que l’approche dualiste explique mieux la
position canadienne face à la législation internationale ; le Canada ne compte pas
laisser l’ordre international influencer en grande partie ses règles de droit positif
interne. Et à cet effet il établit une grande différence entre les deux systèmes.
Toutefois il existe une contradiction effarante entre cette position générale et
l’adoption directe de la règle de la réception directe du droit international
coutumier dans l’ordre juridique interne canadien. La jurisprudence R. Hape,17
16 Paraphrase des écrits de John Currie, “International Treaties and Conventions as Agents of Convergence and
Multijuralism in Domestic Legal Systems”, in Multijuralism: Manifestations, Causes and Consequences, Edited by
Albert Breton, Anne des Ormeaux, Katharina Pistor and Pierre Salmon, p. 14.
a
été l’occasion d’affirmer solennellement que les: “rules of customary international
should be directly incorporated into domestic law and invoked before Canadian
courts in the absence of conflicting legislation”. Il s’agit là de la claire rétention de
17 R. C. Hape, 2007 SCC 26, [2007] 2 S.C.R. 292, 280 D.L.R. (4th) 385 [Hape]
13
la théorie de l’adoption qui s’oppose à celle de la transformation; cette dernière
étant celle normalement retenue par le système juridique canadien dans la réception
par l’ordre interne des traités internationaux. C’est l’un des points à propos
desquels un rapprochement peut être fait entre l’OHADA et le Canada quant à la
directe application du droit coutumier international.
La comparaison avec l'Union européenne (UE) conduit à faire les remarques
suivantes. Il est possible d'affirmer que le processus n'est pas seulement particulier
dans l'OHADA mais en plus, il est meilleur que dans l'Union européenne. En
général, dans l'Union européenne, la méthode de l'harmonisation est douce. Les
directives sont élaborées et adoptées au niveau communautaire, avant d'être mis en
œuvre au niveau national par les États membres. La principale différence concerne
le fait que dans l'UE chaque État conserve la façon dont il désire transposer les
directives avec une certaine latitude. Au contraire, dans l'OHADA, quand une loi
uniforme est adoptée par le Conseil des ministres, fondé sur l'article 1018
du Traité
de l'OHADA, elle est directement applicable et exécutoire dans les États membres
OHADA. Il n’est point besoin d’une législation de mise en œuvre ; l'Acte Uniforme
s'applique simultanément dans tous les États membres. Les Actes Uniformes et les
règlements de l'UE sont assez similaires, car ils deviennent directement le droit
interne de chaque pays membre. C'est la consécration de la théorie de l'adoption
comme discuté ci-dessus à propos du Canada aussi. Cette consécration s’est opérée
d’une manière particulière dans l'OHADA.
18 Article 10: “Uniform Acts are directly applicable and overriding in the Contracting States notwithstanding any
conflict they may give rise to in respect of previous or subsequent enactment of municipal laws”, Translation taken
on http://www.jurisint.org/ohada/text/text.01.en.html on June 4, 2010.
14
Cette manière stricte et particulière pour les Etats OHADA d'abdiquer leur
souveraineté dans les domaines19
de l'uniformisation a été qualifiée par de
nombreux auteurs d’unique. C'est la « supranationalité » pour parler de la façon
dont ces règles supranationales, (assimilée ici à celles internationales) sont
directement mises en œuvre dans l'ordre juridique interne des États membres.
Principale cheville ouvrière de la mise en œuvre du droit international dans les
ordres juridiques internes, cette supranationalité a trois façons différentes de se
matérialiser.
1- La supranationalité institutionnelle et législative de l’OHADA
Elle est de nature organique. En fait, l'OHADA a institué une organisation
institutionnelle simple qui définit clairement les compétences de chaque
composante. Procéder à une unification du droit de 16 États pour constituer une
norme uniforme et supranationale qui s’appliquera directement comme droit interne
de chacun d’entre eux nécessite la mise sur pied d’un organe législatif unique. Dans
l’OHADA c’est le Conseil des Ministres, organe exécutif qui est le seul législateur
compétent pour légiférer dans les domaines définis par l'article 220
19 Up to now, OHADA has harmonized 8 law fields such As: General Commercial law; Commercial Companies and
Economic Interest Groups; Accounting Law; Collective Proceedings for the Clearing of Debts (Bankruptcy Law);
Organization of Securities; Contracts for the Carriage of Goods by Road; Simplified Recovery Procedures and
Enforcement Measures; Arbitration Law.
du Traité
20 Article 2 : “ So as to implement the present Treaty, it is to be understood by Business Law regulations concerning
Company Law, definition and classification of legal persons engaged in trade, proceeding in respect credits and
recovery of debts, means of enforcement, bankruptcy, receiverships, arbitration; are also included the following
laws: Employment law, Accounting law, Transportation and Sales laws, and any such other matter that the Council
of Ministers would decide, unanimously, to so include as falling within the definition of Business Law, in conformity
with the objective of the present Treaty and of the provisions of Article 8.”, translation taken on
http://www.jurisint.org/ohada/text/text.01.en.html, on June 4, 2010.
15
OHADA. Les parlements nationaux sont littéralement exclus du processus. Des
avantages en découlent et comme l'a déclaré Salvatore Mancuso “This makes it
possible to avoid the drawbacks of indirect procedures that could lead to the
adoption of conflicting legal texts that would be difficult to implement ...”. C’est la
première particularité, relative à l’élaboration de ce droit de type international. Il
faut rapidement ajouter que cette perte de souveraineté des États et cette réduction
des compétences des parlements nationaux par un organe supranational n’est
possible que parce que les parlements nationaux l’ont voulu en ratifiant le Traité
constitutif de l’OHADA. Il ne s’agit donc pas d’un retrait de compétence législative
interne par l’international mais d’une concession de compétence voulue et encadrée
afin d’atteindre l’intégration juridique et l’unité africaine tant espérée. La quasi-
totalité des constitutions africaines, prévoit cet abandon de souveraineté
parlementaire au profit d’une organisation internationale ou d’une association
d’États. Sur les plans institutionnel et législatif, c’est ainsi que se concrétise les
rapports entre organe législatif supranational et parlements nationaux des États
parties au Traité de l’OHADA.
2- La supranationalité judiciaire de la CCJA de l’OHADA
Que serait une règle uniforme sans une application uniforme: un texte vide.
C’est pour palier cela et permettre une interprétation unifiée que le Traité institua
une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). La spécificité de la réception
de ce droit prétorien d’essence internationale se lit à travers les fonctions
consultative et contentieuse de cette Cour21
21 See article 14 of OHADA Treaty : « The Common Court of Justice and Arbitration will rule on, in the Contracting
States, the interpretation and enforcement of the present Treaty, on such Regulations as laid down for their
. Elle bénéficie d’une suprématie sur les
16
juridictions nationales en ce sens que saisie comme troisième degré de juridiction
(en cassation), elle évoque et statue en droit et au fond et n’opère aucun renvoi à
une juridiction interne de fond. C’est une instance juridictionnelle supranationale.
Aussi, suivant l’article 16 du Traité, la saisine de la CCJA suspend toute procédure
de cassation devant une juridiction nationale et cette procédure ne reprend que si la
CCJA se déclare incompétente. Si malgré cette saisine une décision était rendue,
celle-ci est nulle et non avenue22
La norme prétorienne ainsi élaborée à l’international par la CCJA a autorité de
chose jugée et force exécutoire directes dans les États parties au Traité. Ses
décisions, devenues res judicata, s’imposent directement aux juges nationaux sans
possibilité de remise en cause, les dépouillant ainsi de leur compétence judiciaire
dans toutes les matières objet de l’uniformisation. La réception de cette norme
supranationale dans les corpus juridiques internes des États contractants est donc
assurée entre autres par la CCJA.
.
Ainsi se décrit la seconde caractéristique principale de cette relation entre droit
international OHADA et droits internes des États-parties sur le plan judiciaire.
3- Les effets de la norme OHADA directement applicable dans les 17 droits
internes africains : entre cohabitation pacifique et conflits
L’application de ces actes uniformes dans les droits positifs nationaux soulève
certains conflits inévitables. Mais de façon générale, cette cohabitation entre les
deux ordres juridiques se déroule pacifiquement.
application, and on the Uniform Acts [...]. While sitting as a court of final appeal, the Court can hear and decide
points of fact. »
22 Art. 18 du Traité OHADA
17
La cohabitation pacifique se traduit par la complémentarité implicite entre les
Actes Uniformes et les droits internes. En effet, pour certaines matières, il existe
des vides dans les Actes Uniformes ce qui revient à faire subsister les normes
internes à coté des Actes Uniformes en vigueur dans ces matières en question. La
complémentarité se traduit très bien en matière pénale par exemple. En ce domaine,
l’OHADA a défini les incriminations pénales tout en laissant le soin à chaque État
partie au Traité de définir les sanctions appropriées. Ceci s’explique par la réticence
des États à céder cette partie monumentale de leur souveraineté qui est la capacité
de sanctionner, véritable composante du pouvoir régalien de l’État. Même si des
difficultés23
Théoriquement, les conflits entre normes OHADA et normes internes
peuvent résulter d’une permission ou d’une interdiction faite par la loi uniforme
alors que le contraire est édicté en droit interne ou vice versa
découlent de cette complémentarité voulue entre ordre international
(supranational) et ordre interne en matière pénale, c’est tout de même une preuve
de la vivacité des rapports qu’entretiennent ces deux ordres juridiques dans l’espace
OHADA.
24
23 See Ndiaw Diouf, «
. Les rapports
conflictuels prennent place principalement lorsqu’existent des contrariétés entre le
Traité et les Actes Uniformes ou encore le Traité et les constitutions internes des
États membres. Il est important de garder à l’esprit que les Actes Uniformes
viennent balayer les normes de droit interne dans tous les domaines couverts par
l’OHADA. Du fait de la supranationalité de l’OHADA, les conflits directs sont
réduits entre ces normes internes et celles supranationales : les Actes Uniformes
Actes uniformes et droit pénal des Etats signataires du Traité de l'OHADA : la difficile
émergence d'un droit pénal communautaire dans l'espace OHADA », Revue burkinabé de droit, n° 39-40, n° spécial,
p. 63. Also available at http://www.ohada.com/bibliographie/doctrine, last viewed June 4, 2010. 24 L’idée est empruntée à Djibril Abarchi, « La supranationalité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique
du Droit des Affaires (OHADA) », Revue burkinabé de droit n°37, 1er semestre, 2000, p. 22 et s., disponible à
www.ohada.com/bibliographie/doctrine, consulté le 4 juin 2010.
18
l’emportent sur toute disposition de droit interne antérieure ou postérieure (article
10 du Traité). C’est plutôt relativement au Traité que certaines difficultés de
transposition peuvent se poser. Il n’est cependant pas question de revenir ici sur la
question de la constitutionnalité du Traité OHADA par rapport à certaines
constitutions africaines qui fut très largement documentée25
C’est ainsi que se décline les rapports entre droit international et droit interne
sous un angle général. Nous envisageons dans la partie qui suit un exemple concret
issu d’un actuel projet d’Acte Uniforme OHADA en cours d’élaboration : celui sur
le droit des contrats.
par la doctrine
OHADA.
II- L’application des principes d’UNIDROIT dans l’ordre interne des États
membres de l’OHADA : une complexe opportunité pour l’Afrique
Ayant décidé d’harmoniser sinon d’uniformiser leur droit des contrats, les États
membres de l’OHADA, par le Conseil des ministres, ont choisi de prendre comme
modèle les principes UNIDROIT.
La première interrogation que soulève cette partie est celle de l’opportunité pour les
États membres de cette harmonisation ainsi que du choix de tels principes à
vocation internationale à première vue pour régir des droits nationaux. Ensuite
comment rendre applicables lesdits principes dans le contexte africain sans opérer 25 See Ndoye Doudou, « Le traité relatif à l'harmonisation en Afrique du droit des affaires, la constitution sénégalaise
et les principes du droit processuel », EDJA n°22; Parfait Diedehou, « L'article 10 du Traité de l'OHADA : quelle
portée abrogatoire et supranationale ? », Rev. Dr. unif., 2007-2, vol 12, p.265; Sall Alioune, « Le juge national et la
publication des traités. A propos de l'invocation du Traité de l'OHADA devant les juridictions nationales », EJDA
n°42, juillet-août-septembre 1999, p.71.
19
un simple mimétisme du texte international. En d’autres termes comment respecter
les spécificités africaines qui existent dans chacun des 17 droits nationaux des pays
membres de l’OHADA?
A- L’opportunité de la réception de ces principes de droit international
dans les droits internes des États africains
Les principes UNIDROIT avec comme objectif la régulation du droit
commercial international se distingue d’autres types de législations similaires
comme les principes européens de droit des contrats26
La démonstration de l’opportunité pour l’OHADA de recourir aux principes
UNIDROIT se fera en prenant en compte les changements opérables sur
l’environnement juridique contractuel actuel des États membres de l’OHADA et
l’attractivité économique qu’il induit pour l’espace OHADA dans un contexte de
qui visaient eux une
application directe comme règles de droits internes des États européens. De
manière générale, la transposition directe de règles internationales en droit interne
pose de sérieux problèmes dont nous avons eu différents aperçus au cours de cette
journée. La question se corse un peu plus lorsque ces principes internationaux de
droit sont spécifiquement conçus pour régir les relations des acteurs du commerce
international. Malgré ces éléments, les principes UNIDROIT, au regard de
l’évolution et de la consécration qu’ils ont connu semblent être le meilleur
instrument dont pourrait s’inspirer un Acte Uniforme sur le Droit des Contrats
(AUDC) dans l’OHADA.
26 Voir O. Lando, The Harmonization of European Contract Law Through a Restatement of Principles, Centre for
the Advanced Study of European ans Comparative Law, University of Oxford, 1997 ou du même auteur, European
Contract Law in 31, The American Journal of Comparative Law, 1983, p. 653 et s.
20
mondialisation du droit, synonyme de convergence mais aussi de concurrence des
systèmes juridiques.
1- La modernisation du droit des contrats OHADA et ses corollaires juridiques
Procéder à une uniformisation du droit des contrats en recourant aux principes
UNIDROIT revient à rénover le corpus contractuel des États membres ce qui
rendra aussi l’espace juridique et judiciaire OHADA plus sécuritaire.
Pour constater cette modernisation du droit des contrats de l’espace OHADA, il
y a lieu de faire un état des lieux des législations actuelles des États membres de
l’OHADA auquel on pourra confronter les propositions de l’avant-projet de
réforme du droit des contrats. Depuis plusieurs décennies des auteurs se sont
penchés sur la question de la confrontation des droits étrangers avec ceux internes
traditionnels des États africains. Ils ont noté - entres autres - une certaine résistance
du droit africain traditionnel des contrats à la modernisation27. De façon
prémonitoire, le Doyen Decottignies28 affirmait déjà en 1977 que « [l]a
modernisation du droit africain [des obligations] passe alors par la modification, la
réforme ou mieux la refonte de ce que le passé a légué à l’Afrique pour l’adapter
aux besoins réels du continent ». Envisager le passé de ces États africains en
matière contractuelle nous conduit à relever qu’il y a eu conservation d’un droit
contractuel hérité de la colonisation et découlant en majeure partie du Code civil
Napoléon. La modernisation a, de longues dates, déserté le forum des droits
contractuels internes des États africains. Les exceptions à cela sont le Mali29
27 Voir à ce propos les actes du Colloque de l’Association Sénégalaise d’Études et de Recherches Juridiques tenu à
Dakar du 5 au 9 juillet 1977 et publiés à la Revue sénégalaise de droit, n°21-22, 1977.
, le
28 R. Decottigniès, « La résistance du droit africain à la modernisation en matière d’obligations », in Revue
sénégalaise de droit, n° 21, 1977, p. 61. 29 Loi N°87-31/AN-RM du 29 août 1987 portant régime général des Obligations en République du Mali.
21
Sénégal30 et Madagascar31
L’AUDC mettra ainsi en place un droit moderne auquel on pourra associer de la
jurisprudence récente qui n’obligerait plus comme c’est actuellement le cas à
remonter quarante années de jurisprudence pour retrouver le sens et la portée
exacte de vieux textes issus du code Napoléon et malheureusement toujours
applicables aux situations actuelles.
qui même s’ils ont élaboré de nouveaux codes des
obligations dans la période post-indépendance (après 1960) ont néanmoins
conservé à ce jour des règles pour la plupart obsolètes et inadaptées aux besoins du
commerce international.
Le second volet de la modernisation du droit des contrats africain par la prise en
compte de ces principes internationaux du droit du commerce est celui de
l’avènement d’une sécurité juridique salutaire pour les transactions sur le
Continent. Ceci s’inscrit par ailleurs parmi les objectifs fondamentaux de la
réforme du droit des affaires opérée sous l’égide de l’OHADA. On recherche à
juste titre une sécurité juridique et judiciaire favorable à un accroissement des
investissements dans l’espace concerné. La sécurité juridique est intrinsèquement
reliée à la qualité de la loi et le fait que ce futur Acte Uniforme soit inspiré des
principes UNIDROIT est un gage de réussite. Cette sécurité juridique découle de
l’une des vocations premières des Principes, inscrites dans le préambule et qui est
la recherche de sécurité juridique dans les transactions commerciales.
La sécurité judiciaire quant à elle découle des institutions mises en place par le
Traité OHADA et de la place accordée à la CCJA dans le processus
d’harmonisation du droit. Le justiciable est capable de connaître le contenu de la
30 Lois sénégalaises du 10 juillet 1963 et du 13 juillet 1966 qui élaborent un code des obligations civiles et
commerciales. 31 Ordonnance du 31 juillet 1962 sur la preuve des obligations civiles en droit malgache.
22
norme et ce qu’elle édicte sans que cela n’entraîne pour lui des coûts énormes.
Comme a pu le dire le Conseil d’État français dans la deuxième partie de son
rapport32
Il ne fait aucun doute que l’adoption d’un AUDC inspiré des principes
UNIDROIT contribuerait à accroître la sécurité juridique et judiciaire dans l’espace
OHADA. Basée sur les principes UNIDROIT, l’un des reproches que l’on pourrait
faire à ces règles est l’absence de force contraignante mais cette limite ne saurait
prospérer vu que ces principes sont incorporés à travers un Acte Uniforme qui revêt
toutes les caractéristiques du corpus juridique OHADA décrites plus haut
notamment son caractère directement exécutoire dans les États parties.
sur la sécurité juridique et la complexité du droit, la sécurité juridique
implique, la clarté, l’intelligibilité (lisibilité et cohérence des énoncés législatifs) et
l’absence d’imprévisibilité (règle constante qui ne change pas trop souvent). On
peut dire sans trop se tromper que les principes UNIDROIT feront de l’AUDC un
texte présentant tous ces facteurs indispensables pour une norme moderne et se
voulant vecteur de sécurité juridique.
2- L’attractivité économique des principes et ses incidences
La réception de ces Principes du droit du commerce international dans l’ordre
juridique des États-parties est également une opportunité pour le continent africain
au regard de l’attractivité économique qu’elle suscitera. En effet, les principes ont
l’avantage de ne favoriser ou prioriser aucun système juridique au regard de leur
processus d’élaboration33
32 Paraphrase du Rapport disponible sur
. Également, par la proposition de suppression de notions
http://www.conseil-etat.fr/cde/media/document//rapportpublic2006.pdf,
dernière consultation 18.06.2010 33 Voir, le 1er chapitre de l’ouvrage de David Oser, The UNIDROIT Principles of International Contracts : A
Governing Law? Pour des développements sur la méthode d’élaboration desdits principes.
23
uniquement reliées à chaque système comme la cause (droit civil) et la
consideration (common law), l’AUDC prend une avancée notable qui devrait
rendre l’espace OHADA plus attractif.
Malgré tous ces avantages, il existe des difficultés dont certaines peuvent se révéler
être des inconvénients par la suite.
B- Les difficultés de mise en œuvre des principes d’UNIDROIT dans les
droits internes africains
1- Les problèmes juridiques
Il s’agira ici de traiter de l’absence de règles de compétence juridictionnelle
ainsi que l’inexistence de jurisprudence pertinente en droit des contrats issu des
principes d’UNIDROIT relatif aux contrats du commerce international.
Pour la première (absence de règles de compétence juridictionnelle), il s’agit
d’une difficulté technique qui pourra être supprimée par le comblement d’une telle
lacune. L’intérêt de règles de compétence juridictionnelle est qu’elles évitent
certains conflits de juridictions et obligent à un dialogue entre les différentes
juridictions communautaires de l’espace concerné.
Pour la seconde (absence de jurisprudence), loin de constituer un problème,
elle devrait être perçue comme une chance pour l’OHADA. Malgré tout le
retentissement général qu’ils ont connu, surtout en matière arbitral, les principes
connaissent toujours un intérêt relatif en matière de droit interne des contrats. Ils
n’ont pas à ce jour été l’objet de décisions jurisprudentielles des tribunaux étatiques
de droit commun. Si l’objectif est d’avoir des principes tout faits avec une
jurisprudence et une doctrine bien établies, alors l’absence de jurisprudence
24
pourrait être vue comme une difficulté. Mais tel ne devrait pas être le cas. La
sécurité et la flexibilité (adaptabilité) législative sont autant de caractéristiques
recherchées dans l’AUDC et qui vont de paire avec les compétences quasi-
législatives des juges. Ces facteurs positifs et favorables aux investissements ne
perdureront que si les juges africains agissent en entrepreneurs normatifs. Il est
alors impératif que ces principes de droit du commerce international soient
appliqués et interprétés par les juges nationaux de l’OHADA qui à cette occasion
lui donnent la connotation africaine qui fera de cette norme transposée une
véritable norme africaine. Les principes ne doivent servir que de sources
d’inspiration et d’interprétation de la norme OHADA.
L’AUDC donne ainsi aux juges africains et aux juges supranationaux de
l’OHADA la possibilité de devenir de véritables maîtres à penser de la norme
juridique adéquate pour les transactions commerciales en Afrique. Il leur faudra
donc cultiver une créativité juridique et judiciaire afin de faire des principes un
droit vivant effectivement appliqué en Afrique.
2- Les obstacles politiques
À ce niveau, nous désirons mentionner quelques réalités induites par les
concurrences entre systèmes juridiques. Rappelons que le projet de l’OHADA est
un projet à l’origine commencée sous les auspices et en collaboration avec la
France, pays colonisateur de la plupart des actuels membres francophones de
l’Organisation. Appliquer ces principes internationaux du commerce dans les 17
états membres actuels a été subtilement analysé par certains34
34 Voir la communication des professeurs Issa Sayegh Joseph et Pougoué Paul-Gérard, « L’OHADA : défis,
problèmes et tentatives de solutions », Actes du Colloque sur l'harmonisation du droit OHADA des contrats -
Ouagadougou 2007. Revue de droit Uniforme, UNIDROIT, 2008, p. 455.
comme une perte du
25
fondement civiliste à la base des membres. Des réticences politiques fondées sur la
vocation universelle des principes s’observent donc et mettent en péril un projet qui
techniquement constitue une avancée pour les intérêts du commerce africain.
Faut-il consacrer le rejet de la cause et de la considération telle qu’adoptée par
les principes? Faut-il accepter d’aller dans le sens d’une théorie générale des
obligations ou d’un droit spécial des contrats d’affaires qui s’éloignent du modèle
civiliste français. Autant de questionnements qui ont des réponses techniques
précises mais qui en raison de considération de politique législative et de
susceptibilités politiques, font piétiner le projet d’uniformisation du droit des
contrats OHADA. Il est impératif que les décideurs africains ne sacrifient pas les
générations suivantes sur l’autel d’intérêts actuels et éphémères pour le Continent.
De plus, la France actuellement ne dispose pas de modèle à proposer à ces 17 pays
puisqu’elle est en plein débat interne de reforme de son Code civil et en pleine
tourmente face aux initiatives de code civil européen qui de plus en plus relèguent
les principes du droit contractuel français au second plan au profit de règles plus
efficientes d’inspiration common law. La guerre des systèmes juridiques ne devrait
pas être transposée aux africains et la mise en œuvre des principes UNIDROIT doit
prendre en compte les réelles difficultés de technique juridique et pas celles
politiques.
En considérant ce cas concret d’application du droit du commerce international
dans l’ordre interne des 17 états membres, on se rend compte aisément de l’avancée
qui ainsi s’opèrera si le projet aboutissait. Comme l’affirmait le professeur français
Jacques Mestre35
35 Jacques Mestre, Lettre d’information OHADA du 12 mars 2009 disponible sur
, « l’Afrique peut en effet devenir, en droit des contrats, une
référence universelle », un exemple unique parmi toutes les organisations
www.ohada.com
26
régionales communautaires à réaliser une telle œuvre moderne qui partout ailleurs
rencontre des obstacles encore plus importants.
Tant qu’à considérer un seul cas concret d’avancée juridique en Afrique
(AUDC), nous avons pensé à agrandir l’angle d’observation en envisageant
l’ensemble de l’œuvre d’harmonisation entreprise sous l’égide de l’OHADA en
Afrique. C’est à cela que nous consacrons la troisième et dernière partie de cet
article qui envisage la question de la mise en place d’une gouvernance globale
progressive à l’échelle africaine suite à toutes ces interactions décrites entre les
différents ordres juridique international et internes.
III- Au-delà des contrats du commerce international : vers une gouvernance
mondiale effective dans l’espace ouest-africain ?
A- Les métamorphoses normatives provoquées par l’influence des ordres
internationaux et communautaires : une tentative d’ordonnancement
par le paradigme du réseau
L’influence de l’internationalité en droit interne provient du mouvement
général de la mondialisation. Étudier les métamorphoses d’ordre normatif opérés
par le ‘‘tsunami juridique’’ que constitue la mondialisation s’assimile de nos jours
à parcourir des sentiers battus quand on s’intéresse aux États dits « modernes ». La
communautarisation36, l’internationalisation37
36 En Afrique cette communautarisation du droit a pris corps à travers la mise sur pied d’organisations para-
juridiques régionales comme la CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances en 1992); la CIPRES
(Conférence Interafricaine de la Prévoyance Sociale en 1992); l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété
du droit, le rapprochement des
27
législations sont autant de réalités peu documentées avec comme cadre d’analyse
l’Afrique d l’ouest.
L’objectif de cette troisième partie est ainsi d’analyser les mouvements
évolutifs de la normativité qui s’opèrent dans l’espace africain sous l’effet de
nombreux facteurs dont l’influence et la réception de l’ordre international sur les
droits internes.
S’il est vrai que peu38 d’études se sont consacrées à la caractérisation des
sources de normativités en Afrique noire francophone, la présente étude ne prétend
aucunement remédier à une telle carence. La mission est trop vaste pour qu’un
article comme celui-ci suffise à la remplir. Nous considérerons l’Afrique comme un
espace normatif avec comme mérite, celui de « permettre d’admettre comme
‘‘juridiques’’ des ensembles dont la nature volatile et floue semble échapper au
cadre d’un système ou d’un ordre… »39
Intellectuelle en 1977 et dont le traité fut révisé en 1999 pour tenir compte des règles nouvelles de l’Organisation
Mondiale du Commerce) et la dernière en date qui est l’OHADA.
. En effet, cet espace ne forme pas dans
37 Pour une analyse de l’internationalisation du droit des affaires en Afrique, Voir Jaqueline LOHOUÈS-OBLE,
« L’apparition d’un droit international des affaires en Afrique », dans Rev. Int. droit comparé, 1999, n° 3, pp. 546 et
s. 38 Nous parlons de « peu », considération faite de l’Afrique noire francophone qui constitue notre cadre d’analyse.
Nous n’entendons pas par là occulter les nombreuses études du professeur VANDERLINDEN. Pour un aperçu de ses
nombreux travaux en rapport avec le continent africain, Voir « Bio-bibliographie de Jacques Vanderlinden », dans R.
BEAUTHIER et I. RORIVE (dir.), Le Code Napoléon, un ancêtre vénéré, Mélanges offerts à Jacques Vanderlinden,
Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 553 et s ; ou « Bibliographie de Jacques VANDERLINDEN », dans Lynne
CASTONGUAY et Nicolas KASIRER (dir.), Étudier et enseigner le droit : hier, aujourd’hui et demain, Études
offertes à Jacques Vanderlinden, Bruylant, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 487 et s. 39 M. DELMAS-MARTY, « La grande complexité juridique du Monde », dans Études en l’honneur de Gérard
Timsit, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 93. Voir aussi, G. TIMSIT, « L’ordre juridique comme métaphore », Droits, n°
33, 2001, p. 8.
28
l’ensemble un ordre normatif40 unifié encore moins un système normatif41. La
grande « difficulté pour les juristes [africains] est aujourd’hui de concevoir une
rationalité juridique admettant la coexistence sans hiérarchie entre des normes
émanant de plusieurs institutions nationales, régionales ou mondiales. La solution
réside peut-être dans l’abandon du modèle de la pyramide de Kelsen et l’adoption
du paradigme du réseau »42. C’est en ces termes que s’exprimait un auteur
africain43
Quelles sont les mutations que connaît la normativité et grâce à quels
paradigmes réussit-on à mieux saisir ces mutations du droit en Afrique? Saisir ces
mutations est-il suffisant ou faut-il prédire l’évolution de la normativité ? C’est ce à
quoi nous nous attelons.
pour rendre compte de l’état d’esprit des juristes africains, face à
l’influence de l’internationalité et aux impacts de la mondialisation sur le droit dans
leur continent.
Nous entendons par normativité « l’ensemble des activités ayant pour résultat
de produire des normes, des règles suivies par les acteurs »44
40 L’ordre normatif est selon Gérard TIMSIT « un système hiérarchisé d’engendrement des normes fondé sur
l’existence d’une relation hiérarchique ou relation d’ordre entre normes », id.
d’un espace normatif
donné. Nul n’ignore qu’en Afrique, ces « activités » sont multiples et multiformes,
41 Selon ce même auteur (G. TIMSIT, ibid.), un système normatif comprendrait deux éléments que sont un « ordre
normatif (On) et un espace normatif (En) ». En l’espèce, vu l’absence d’ordre normatif, on ne saurait parler de
système normatif ce qui explique aussi la rétention du concept d’espace normatif. 42 P. D. EHONGO, « L’intégration juridique des économies africaines à l’échelle régionale et mondiale », in M.
DELMAS-MARTY, (dir.), Critique de l’intégration normative. L’apport du droit comparé à l’harmonisation du
droit, PUF, 2004, p. 205. 43 P. D. EHONGO, id. 44 I. De LAMBERTERIE et P. TRUDEL, « Les nouvelles technologies de l’information, normativité, droit et
technologie dans la société de l’information : regards sur programmse-réseau (sic) de recherche juridique », dans Les
nouveaux territoires du droit et leur impact sur l’enseignement et la recherche, Colloque, Poitiers-Montréal, 12-13
décembre 2002, LGDJ, p. 88.
29
rendant plus complexe l’appréhension globale de toutes ces sources de normativité.
L’étude des métamorphoses de ces sources normatives et par conséquent de
l’évolution du droit dans le contexte africain laisse percevoir ce que Gustavo
Zagrebelsky qualifiait de « mutation génétique »45 en faisant allusion aux
transformations profondes de l’État et du droit modernes. On ne peut plus se
contenter de la métaphore du « roman écrit à la chaîne »46 qui plus est, à l’heure des
technologies de l’information et de la communication où, comme l’imageait un
auteur, les modèles d’écriture ne sont plus basés sur une « temporalité linéaire,
orientée et […] stable » mais sur une « temporalité circulaire, réversible [et]
virtuelle »47. Se découvrant des talents de juriste-chimiste, un autre48
Même si nous ne pouvons encore en mesurer toute la profondeur, il est
évident que ces métamorphoses lentes mais néanmoins importantes, s’opèrent sur
le plan de l’ontologie et de l’épistémologie du droit en Afrique également. Il n’y a
surement aucun risque à verser dans du « nouvellisme »
parle de
solubilité du droit dans le champ social.
49 avec cette aspiration à
vouloir saisir ces bouleversements qualifiés de « bougés »50
45 G. ZAGREBELSKY, Le droit en douceur, traduit par M. Leroy, Paris, Économica, 2000, p. 35.
par les auteurs du
paradigme du réseau. Dans cette optique, un certain nombre de constats permettent
46 R., DWORKIN, L’Empire du droit, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, 468 p. 47 F. OST, « Le temps virtuel des lois postmodernes ou comment le droit se traite dans la société de l’information »,
dans Jean CLAM et Gilles MARTIN (dir.), Les transformations de la régulation juridique, Paris, LGDJ, Droit et
Société - Recherche et travaux du RED&S; Maison des Sciences de l’Homme, vol. 5, 1998, p. 442. 48 J.-G. BELLEY, « Une métaphore chimique pour le droit », dans Le droit soluble. Contributions québécoises à
l’étude de l’internormativité, J.-G. BELLEY, (dir.), 1996, p. 12. 49 « Manie de découvrir à tout prix de grandes nouveautés même là où il n’y en a pas » selon M. CESA, « Le vicchie
novità della globalizzazione » dans Riv. It. Sc. Pol., n° 3, 2002, pp. 417-418 cité par S. CASSESSE, « L’ordre
juridique global », dans Études en l’honneur de Gérard Timsit, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 7, note 1. 50 F. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit,
Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2002.
30
d’abonder dans le même sens que Monsieur Éhongo51
lorsqu’il s’interroge quant à
l’abandon du modèle pyramidal comme solution aux questions irrésolues
d’épistémologie en droit africain actuel. Nous nous proposons alors de tenter de
démontrer, en nous basant sur les réflexions de François Ost et Michel van de
Kerchove, en quoi le modèle pyramidal de Kelsen semble dépassé dans le contexte
de l’uniformisation du droit en Afrique et surtout comment le paradigme du réseau
s’affirme comme la nouvelle grille capable d’ordonner ces normes. Nous finirons
en indiquant par cette lecture la voie apparente que suivent ces métamorphoses de
la norme OHADA en Afrique.
1- Le paradigme du réseau et l’uniformisation du droit des affaires en Afrique
Le concept de réseau a la particularité d’être « encombré de sens »52. Loin de
vouloir rendre compte ici de son caractère polysémique qui a poussé un auteur à le
qualifier de « sac à métaphores »53, nous retiendrons simplement les connotations
concordantes qu’il revêt dans le cadre de l’ouvrage nous servant de référence54. En
effet, de manière positive, Ost et Kerchove considèrent le réseau comme une
« structure »55
51 P. D. EHONGO, ibid.
composée d’éléments ou de points souvent qualifiés de nœuds ou de
sommets, reliées entre eux par des liens assurant leur interconnexion ou leur
52 H. BAKIS, Les réseaux et leurs enjeux sociaux, Paris, PUF, 1993, p. 8, cité par F. OST et M. van de KERCHOVE,
op. cit., p. 23. 53 Pierre MUSSO, Télécommunications et philosophies des réseaux. A postérité paradoxale de Saint-Simon, Paris,
PUF, 1997, p. 36, cité par F. OST et M. van de KERCHOVE, op. cit., p. 23. 54 F. OST et M. van de KERCHOVE, op. cit. 55 P. MUSSO, id., p. 42; M. CASTELLS, La société en réseaux, t. 1, L’ère de l’information, Paris, Fayard, 1986, p.
526, cités par F. OST et M. van de KERCHOVE, op. cit., p. 24.
31
interaction. De manière négative, les mêmes auteurs opposent la structure
réseautique, où aucun point n’est privilégié par rapport à un autre, à celle
pyramidale où règne une hiérarchie entre les composantes à différents niveaux.
La thèse fondamentale du paradigme du réseau est la suivante : démontrer
l’inadaptation du modèle antérieur au regard de l’évolution que connait le droit et
sur cette base, elle postule que de cette crise du modèle pyramidal émerge
progressivement le paradigme concurrent du réseau sans que les résidus du premier
disparaissent complètement
François Ost et Michel van de Kerchove font état d’un chaos juridique qui se
note également à l’étude de l’espace juridique africain. Il découle de la complexité
et de l’enchevêtrement des ordres juridiques, conséquence de la multiplicité des
acteurs législatifs. Nous ne reviendrons pas sur les nombreuses organisations
. C’est exactement ce qui se constate dans le contexte
africain qui est le nôtre.
56
Mireille Delmas-Marty
continentales, sous-régionales et autres qui édictent des normes à vocation
internationale applicables aux mêmes États dans le même espace géographique,
créant aux yeux de l’observateur averti une confusion chaotique.
57
56 Citons-en quelques unes : L’union africaine (UA) venue remplacer en 2002 l’Organisation de l’Unité Africaine
(OUA) créée le 25 Mai 1963; la Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) datant du
28 mai 1975 ; la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEMAC), fille héritière depuis mars
1994 de l’ancienne Union Douanière et Économique de l’Afrique Centrale (UDEAC); l’Organisation Africaine de la
Propriété Intellectuelle (OAPI) créée originellement par l’Accord de Bangui du 02 mars 1977; la Conférence
Interministérielle des Marchés d’Assurances (CIMA) dont les prémisses remontent à une convention du 27 juillet
1962, etc.
a su rendre compte de cette réalité contemporaine en
parlant de recomposition d’un paysage. Elle a aussi fait référence à
l’internationalisation du droit en parlant d’« espace désétatisé ». La frontière, la
57 Mireille DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, Éd. Du Seuil, Coll. La Librairie du XXième Siècle, pp. 53, 65,
77 et s.
32
hiérarchie entre traité et normes internes est ainsi noyée en droit OHADA
puisqu’en cas de contradiction entre une disposition de droit interne, même la
constitution d’un État membre58, cette dernière s’efface pour laisser place au Traité
OHADA. Comme le faisait remarquer Anne Marie Slaughter, l’État se désagrège à
travers ses composantes59. Quoique ne partageant pas en totalité la vision de
Madame Slaughter, qui consiste à percevoir l’État comme « une agrégation de
multiples institutions aux rôles et aux capacités distincts »60, nous sommes
entièrement en accord avec la conclusion que tire le professeur Benyekhlef de cette
affirmation à savoir, la désagrégation de la souveraineté61
58 Voir Décision du Conseil constitutionnel du Sénégal, n° 3/C/93 du 16 décembre 1993; Affaire n° 3/C/93 du 16-12-
1993 disponible sur
. L’ordre international en
www.ohada.com/jurisprudence. Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel du Sénégal a été
saisi pour se prononcer sur la constitutionnalité des articles 14, 15 et 16 du Traité OHADA au regard des articles 80
et 82, alinéa 3, de la Constitution. Il affirme que « le dessaisissement de certaines institutions, Cour de cassation,
mais aussi Assemblée nationale, n’est ni total, ni unilatéral; qu’il s’agit donc non pas d’un abandon de souveraineté
mais d’une limitation de compétence… ». On admirera au passage le glissement subtil des concepts d’abandon de
souveraineté à limitation de compétence : cette dernière portant sur des attributs essentiels de la souveraineté que
sont le pouvoir normatif (dessaisissement Assemblée nationale), le pouvoir judiciaire (dessaisissement Cour de
cassation) dans toutes les matières régies par l’Ohada. Une partie de la doctrine sénégalaise continue d’affirmer à
juste titre que lesdits articles sont contraires à la Constitution sénégalaise. Les arguments développés par le juge
constitutionnel sénégalais n’étaient pas non plus énoncés pour faire penser le contraire (réalisation de l’Unité
africaine…). Pour un commentaire de cette décision, V. A. SALL, note sous Conseil constitutionnel, 16 déc. 1993,
dans Penant, mai-août 1998, n° 877, pp. 228 et s. 59 Anne-Marie SLAUGHTER, A New World Order, Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 12 et s., cité par
K. BENYEKHLEF, Une possible histoire de la norme, les Éditions Thémis, 2008, p. 739, note 553. 60 Vision qui rejette celle de l’État unitaire, qu’elle présente comme une fiction utile aux « analystes pour réduire les
complexités du système international à une carte de pouvoirs politique, économique et militaire interagissant entre
eux par le truchement d’organisations internationales », Ibid, p. 32. Traduction personnelle de l’auteur de ces lignes.
Ladite vision ignore le fait que ces « organisations internationales » au plan interne sont coordonnées
nécessairement par des structures centrales qui s’identifient à un seul ensemble : l’État. Et nul n’ignore que le
pouvoir de l’État est et reste indivisible. L’État ne peut être la somme de différentes composantes et encore moins
une de ces composantes prises individuellement. L’État comme son pouvoir est indivisible d’où notre attachement à
sa conception unitaire. 61 K. BENYEKHLEF, Une possible histoire de la norme, Les Éditions Thémis, 2008, p. 739.
33
s’appliquant dans les ordres internes entraîne une déliquescence du principe de
souveraineté. Les développements précédents à propos de la supranationalité dans
l’OHADA montre bien les petits confins réservés actuellement à un principe
(souveraineté étatique) qui faisait autorité par le passé. Au regard de ce qui précède,
comment ne pas reprendre les mots de Jacques Chevallier62 qui note que de
« redoutables secousses de l’ordonnancement juridique … [rendent] plus flous les
contours de l’ordre juridique ». Une auteure africaine parle à juste titre de
« télescopage »63
Des « hiérarchies enchevêtrées », des « objets juridiques non identifiés »
juridique. L’expression est censée rendre compte des multiples
chevauchements conflictuels qu’on observe en termes de concurrences entre les
ordres international et interne.
64, et
des « compétences concurrentes »65
62 J. CHEVALLIER, « Les transformations du droit », Droit et société, vol. 35, 2ième éd., 2004, p. 90.
témoignent du désordre juridique. L’effectivité
de ces conclusions ne fait aucun doute dans le contexte de l’OHADA. Les
63 Jacqueline LOHOUÈS-OBLE, « La codification est-elle un vecteur de développement économique en Afrique »,
dans Journées d’études à l’occasion du bicentenaire du code civil. Le rayonnement du droit codifié, 25 nov. 2004,
Les Éditions des Journaux officiels, p. 115 et s. 64 Ces expressions sont empruntées à F. OST et M. van de KERCHOVE, op. cit., p. 14. Comme exemple on peut
citer les « Commissions nationales OHADA », véritables néo-acteurs législatifs de l’OHADA, créées par la pratique
et en voie d’institutionnalisation au regard de leur utilité. Elles diffèrent encore des « clubs OHADA » qui participent
informellement au processus d’élaboration de la norme OHADA mais prennent une part très importante dans son
application et son rayonnement dans l’espace de l’OHADA et au-delà. Le site www.ohada.com/clubs-ohada
répertorie plus d’une soixantaine de clubs OHADA officiels à travers le monde. Cf. Michel Akoué AKUÉTÉ, « Les
clubs OHADA, quelle utilité? Quelle actualité!, dans Recueil Penant, 2009, n° 865, pp. 521-530. 65 Ainsi a-t-on depuis le 1er janvier 2001, en droit comptable, deux plans qui régissent le même espace. Il s’agit du
SYSCOA édicté par l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) depuis 1998 et du SYSCOHADA
entré en vigueur le 1er janvier 2001.
On peut aussi citer brièvement et de façon plus générale la concurrence normative OHADA/CIMA concernant les
sociétés d’assurances ou celle OHADA/OAPI en matière de propriété intellectuelle faisant partie du droit des
affaires.
34
frontières s’y brouillent, instaurant un chaos, si seul le modèle pyramidal est
considéré.
Un autre phénomène caractéristique des « boucles étranges », relevé par les
professeurs Chassignard-Pinet et Hiez est celui de la contractualisation de la
procédure normative66
Le premier postulat du paradigme du réseau qui nous servira est celui de l’État
qui cesse d’être le foyer unique de la souveraineté, de la normativité. Un regard sur
le processus d’élaboration des normes de l’OHADA s’avère fort éclairant à ce
sujet. En effet, les normes sont élaborées par des experts proposés par le secrétariat
permanent de l’Organisation. Ces Actes Uniformes sont « délibérés et adoptés par
le Conseil des ministres après avis de la Cour Commune de Justice et
. Dans l’OHADA, la production normative actuelle est non
seulement décentralisée mais en plus le processus se contractualise fortement. Les
normes sont édictées suivant une logique horizontale successive alors que seule la
logique décisionnelle verticale avait été jusque là l’apanage des décideurs africains.
La collaboration et la négociation sont des concepts plus usités actuellement et leur
mise en œuvre, preuve d’une contractualisation, est réelle dans la production
normative du Continent. Une autre preuve est le choix par l’OHADA de l’arbitrage
comme mode par excellence de règlement des différends. Tous ces facteurs
confortent l’attrait pour ce nouveau paradigme qu’est le réseau dans l’optique d’un
meilleure ordonnancement de la normativité en Afrique.
66 Sandrine CHASSIGNARD-PINET et David HIEZ (dir.), La contractualisation de la production normative, Acte
du colloque sur La contractualisation de la production normative, tenu les 11, 12 et 13octobre 2007 à la FSJPS de
Lille, Dalloz, 2008, coll. Thèmes et commentaires. Actes, 344 pp.; Voir spéc. J. CHEVALLIER, « Contractualisation
et régulation », dans Sandrine CHASSIGNARD-PINET et David HIEZ (dir.), id., p. 83 et s.
Pour une approche critique de la contractualisation faisant une référence intéressante à la transformation des rapports
sociaux dans des systèmes normatifs d’Afrique noire, V. Sandrine CHASSIGNARD-PINET et David HIEZ (dir.),
Approche critique de la contractualisation, Paris, L.G.D.J., 2007, coll., Droit et société. Recherches et travaux, 224
pp.
35
d’Arbitrage »67. Les États disposent alors d’un délai de quatre-vingt-dix jours pour
faire leurs observations. A l’issue de ce délai et sous réserve de l’avis de la CCJA68,
les États membres n’ont quasiment plus de pouvoir effectif pour contrer l’adoption
des Actes uniformes. Aucune intervention d’un parlement national pour ratification
n’est alors nécessaire pour l’entrée en vigueur des Actes Uniformes 90 jours après
leur adoption par le Conseil des ministres69. Les réserves ne sont même pas
admises70 et l’abstention ne fait en rien obstacle à l’adoption des Actes Uniformes
(Article 8 du traité OHADA). On se rend bien compte ici du rôle réduit des
pouvoirs exécutifs et/ou législatifs nationaux dans l’adoption de normes qui
directement constituent leur droit interne cependant71. A cela s’ajoute l’importance
que revêt dans la procédure les avis des représentations nationales (commissions
nationales OHADA72
Ces nouveaux acteurs du processus législatif, surgissent et prennent une part
importante dans l’élaboration de la règle de droit OHADA au détriment du
législateur étatique. Ils deviennent ainsi des foyers normatifs importants, des nœuds
de normativité souvent au détriment de l’État qui cesse progressivement d’être le
fer de lance de la production normative. On pourrait à juste titre, faire le
) qui sont une pure création de la pratique et dont les
observations sont prises en compte.
67 Article 6 du Traité instituant l’OHADA. 68 Cet avis est requis dans les 30 jours après la transmission par le secrétariat permanent à la Cour du projet
commenté par les États membres (Art. 7 Traité OHADA). 69 L’entrée en vigueur peut avoir lieu selon des modalités particulières de délai que fixe l’Acte uniforme lui-même.
Art. 9 du Traité OHADA 70 Article 54 du Traité OHADA. 71 Une garantie existe cependant qui permet de ne pas imposer à un État une norme qu’il n’aurait pas désiré :
l’exigence de l’unanimité des membres présents lors de l’adoption des textes uniformes (Art. 8 du Traité). 72 Évelyne HOHOUÉTO, « La restructuration des commissions nationales OHADA », Recueil Penant 865, p. 517 et
s.
36
rapprochement avec ce qu’un auteur a qualifié de polycentricité73. Les commissions
nationales par le biais de clubs OHADA ont ainsi fonctionné de façon informelle
mais avec tellement d’efficacité dans le processus d’élaboration des normes au sein
de l’OHADA que l’Organisation par le biais de ses acteurs74
Le deuxième postulat avait trait à la volonté du législateur qui n’est plus un
dogme. Dans le contexte qui est le nôtre, une vue stricte peut permettre d’affirmer
que non seulement cette volonté du législateur étatique n’est plus un dogme soumis
pour son acceptation à des vérifications, mais à la limite elle a disparu au profit de
celle d’une Organisation supranationale, apolitique et technique. Même si la
volonté du législateur n’a pas disparu, elle a été relayée, substituée par d’autres
organes en fonction des domaines concernés. Ce constat nous sort du modèle
pyramidal où l’État est la source fondamentale de la souveraineté. Ce point de vue
positiviste est appuyé par le professeur Benyekhlef, lorsqu’il rapporte Olivier
Beaud et affirme que « la souveraineté signifie d’abord l’existence du monopole
étatique du droit positif »
a proposé
actuellement des règlements censés institutionnaliser et régir le fonctionnement de
ces nouvelles sources de normativité qui se sont créées sans intervention étatique.
75
73 A.-J. ARNAUD, Entre modernité et mondialisation. Cinq leçons d’histoire de la philosophie du droit et de l’État,
Paris, L.G.D.J., Droit et société, 1998, p. 73. L’auteur utilise l’expression pour rendre compte de la superposition des
ordres juridiques non nationaux aux droits étatiques. Cela est bien illustré dans l’Union européenne mais aussi
l’OHADA.
. C’est au phénomène contraire qu’il nous est donné
d’assister actuellement en Afrique. Il s’agit bien, concernant ces relais de
normativité, de ce que F. Ost et M. de Kerchove appellent une « dilution formelle
74 Michel Akoué AKUÉTÉ, « Les clubs OHADA, quelle utilité ? Quelle actualité?, dans Recueil Penant, 2009, n°
865, pp. 521-530. 75 Olivier BEAUD, « La notion d’État », 1990, 35 Archive de philosophie du droit, 119, p. 125, et Olivier BEAUD,
« Souveraineté », dans P. RAYNAUD et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, 3ième éd., Paris,
PUF, 2003, p. 735, cité par K. BENYEKHLEF, op. cit, p. 56, notes 163 et 164.
37
de souveraineté », signe révélateur de la pertinence d’une lecture du droit actuel par
le réseau.
Le troisième postulat était relatif à l’interaction de plus en plus poussée entre
les trois pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif). Cette réalité est prouvée par nos
développements précédents relatifs à la supranationalité institutionnelle, législative
(presque confondue au pouvoir exécutif) et judiciaire de l’OHADA. Des
délégations de compétences qui sont censées être faites par consensus (négociation-
contractualisation) se basent sur une corporatisation (avocats-notaires- huissiers-
commissaires priseurs- banquiers- magistrats…) de plus en plus poussée. Elles sont
adressées parfois à des instances semi-corporatistes associées à des représentants
des puissances publiques : la procédure de désignation des juges de la CCJA76 en
est une belle illustration, à laquelle on peut associer l’exemple des commissions
nationales OHADA. Au final, on assiste à une auto-production partielle du droit par
les acteurs censés l’appliquer. Même si le processus ne se fait pas sans heurts dans
l’OHADA, sa mise en place progressive dénote déjà des mutations en cours sur la
base des interactions entre pouvoirs normatif, judiciaire et exécutif. Le phénomène
est encore plus palpable lorsqu’on considère les attributions de la CCJA, troisième
degré de juridiction77, qui dénude les juridictions nationales de cassation78 (cours
suprêmes) de nombreuses compétences79
76 Article 31 à 34 du Traité Ohada et art. 1er à 6 du Règlement de procédure de la CCJA adopté le 18 avril 1996.
.
77 La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA est le seul organe compétent pour connaître en
fait et en droit des pourvois intentés contre les décisions des cours nationales des États parties au Traité OHADA et
portant sur les matières uniformisées. Cette juridiction communautaire est le seul exemple au monde à notre
connaissance, où une juridiction supranationale communautaire constitue un 3ième degré de juridiction. Pour un
approfondissement de la question V. DIALLO Bakary, « Réflexions sur le pouvoir d'évocation de la CCJA dans le
cadre du Traité de l'OHADA », Penant, n° 858, p. 40. Il est aussi utile de mentionner les cas nationaux rapportés
dans le cadre du numéro spécial de la R.I.D.C, 1978, vol 30, n°1, portant sur La cour judiciaire suprême. Une
38
Pour ce qui est de l’interaction entre les systèmes juridiques80, on assiste de
plus en plus au développement d’une pratique transnationale du droit basée sur
l’éclosion de cabinets juridiques transfrontaliers à l’intérieur desquels on manipule
une diversité de droits internes à coté du droit OHADA. Au plan universitaire, on
peut citer l’éclosion de formations nouvelles telles que celles de Masters spécialisés
en droit communautaire africain81. Cette interaction systémique a pour preuve aussi
les nombreux séminaires et colloques organisés pour étudier les enjeux d’une
diffusion du droit OHADA dans une perspective bijuridique82
enquête comparative. Dans cette étude les cours suprêmes nationales anglophones sont présentées comme troisième
degré de juridiction.
.
78 Voir le Colloque international tenu à Lomé au Togo du 6 au 9 juin 2006 et portant sur : Les rapports entre les
juridictions de cassation nationales et la CCJA de l’Ohada : bilan et perspectives d’avenir, et dont les actes sont
publiés au Recueil Penant, 2007, n° 860. 79 Pour une étude approfondie des compétences de la CCJA, Voir Kouakou Mathurin BROU , « Le contentieux des
actes uniformes : de la compétence de la Cour commune de justice et d'arbitrage »,Revue Le Juris-Ohada, n°
2/2003, avril-juin 2003, p. 2 et s., http://www.ohada.com/doctrine/ohadata/D-03-19 et F. ANOUKAHA, « La
délimitation de la compétence entre la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) et les cours suprêmes
nationales en matière de recouvrement des créances », Revue Juris périodique, n° 59, juillet-septembre 2004, p. 118
et s. disponible sur http://www.ohada.com/doctrine/ohadata/D-06-26 80 Pour un développement général autour de la question, V.J.-J. PARDINI, « Brèves réflexions sur les interactions
entre les ordres juridiques », dans Liber Amicorum Jean Claude Escarras, La communicabilité entre les systèmes
juridiques, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 131 et s. 81 Exemple de l'Institut de Droit Communautaire, en partenariat avec l'Université de Bouaké en Côte d’Ivoire), où se
donne un MASTER 2 EN DROIT COMMUNAUTAIRE AFRICAIN, Option Politique et Administration
Communautaires et un MASTER 2 EN DROIT COMMUNAUTAIRE AFRICAIN, Option Droit des Affaires.
82 Séminaire sur Le bi-juridisme au service de l’intégration et de la sécurité juridique en Afrique sous l’égide de
l’OHADA, Actes du séminaire régional, Yaoundé, 13-17 décembre 2004, Agence internationale de la francophonie,
disponible sur www.OHADA.com/doctrine/bijuridisme.
39
Cette réalité (la coexistence des systèmes juridiques) dont il serait salutaire
de pouvoir réussir l’institutionnalisation83 au sein de l’OHADA, demeure pour
l’instant informelle à travers la coexistence dans un même espace normatif de
multiples sources de normativités, superposées, combinées et mélangées dans notre
vécu juridique, formant une « légalité poreuse ou […] porosité juridique »84
synonyme pour Boaventura De Soussa Santos d’ « interlégalité». Étienne Leroy
qualifiait quant à lui cette même situation de « multijuridisme »85 quoiqu’elle se
rapproche aussi du « pidgin juridique »86 dont a pu parler le même auteur dans une
autre production scientifique. On peut citer plusieurs exemples87
83 Institutionnaliser cette coexistence des systèmes juridiques dans le cadre de l’OHADA reviendrait à revoir les
projets d’actes uniformes en cours d’élaboration pour en adapter les principes fondamentaux au système de common
law qui après celui de droit civil est le plus commun existant en Afrique. Il faudrait aussi revoir certains actes
uniformes en vigueur pour en adapter les règles. L’OHADA pourrait ainsi devenir la première organisation
communautaire supranationale à caractère bijuridique.
dans toute
l’Afrique qui témoignent de ce multijuridisme. L’interaction entre les systèmes
juridiques qui ne font que se « réseauter » (sic) de plus en plus est une réalité en
Afrique; son institutionnalisation progressive par le biais de l’OHADA est l’un des
gages de la sortie de l’ornière de ce continent.
84 B. De Soussa SANTOS, « Droit : une carte à la lecture déformée. Pour une conception post-moderne du droit »,
Droit et société, 1988, n° 10, p. 382. 85 Etienne LEROY, « L’hypothèse du multijuridisme dans un contexte de sortie de modernité », dans A. LAJOIE, R.
A. MACDONALD, R. JANDA et G. ROCHER (Dir.), Théories et émergence du droit : pluralisme,
surdétermination et effectivité, Les éditions Thémis, Montréal, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 30 et s., spéc., p. 35. 86 E. LEROY, « Bricolages anthropologiques pour promouvoir, en Afrique et ailleurs, un dialogue entre univers
juridiques », R.D. McGill, 2005, n° 50, p. 954. L’expression est censée rendre compte de la mixture juridique,
incapable de décrire le droit tel qu’il est en Afrique; mixture constituée par le « droit des manuels » (droit déformée
par des universitaires sur une base occidentale) opposé au « droit-qui-se-fait ». 87 Ces exemples sont tirés pour la plupart de l’article de Ricardo SILVA, «Legal Integration in Africa – How to
Match Different Pieces of the Same Puzzle?», in Africa Law Today, April 2009, Vol. 1, Issue 3, American Bar
association, Section of International Law Africa Committee, p. 10.
40
De cette observation de la réforme globale OHADA sous l’angle de la
normativité, ressort l’intérêt pour le paradigme du réseau. On se demande
cependant comment mieux structurer ces évolutions pour les intérêts du commerce
en Afrique? Pour y arriver il faut déterminer où conduisent les métamorphoses
observées : vers une norme globale ?
B- Les premiers linéaments d’une gouvernance régionale africaine
On a pu relever précédemment une interpénétration des phénomènes nationaux,
communautaires, internationaux et transnationaux dans des espaces de plus en plus
réduits. Nous rechercherons ainsi à travers cette interpénétration des différents
ordres juridiques et surtout cette réception de l’ordre international dans les ordres
internes, les hypothèses de mise en place de la gouvernance globale de même que
nous essayerons de relever certaines difficultés que cette réalité soulève.
La gouvernance est avant tout une recherche de nouvelles techniques de
gouvernement. Découverte en premier dans le monde de l’entreprise (corporate
governance), elle fut ensuite récupérée par la Banque Mondiale88
88 World bank, Sub-Saharan Africa : From Crisis to Sustainable Growth. A Long Term Study, Washington, DC,
1989
, gendarme des
pays en développement qui l’affubla du vocable « bonne » (good governance).
L’échec des programmes d’ajustement structurel (PAS) de la Banque Mondiale
dans les pays en développement accéléra l’éclosion de ce concept qui aujourd’hui
est une notion fourre-tout qui s’utilise aussi en droit international public qu’en
management en passant par l’économie et la science politique.
41
Pour ce qui est de la gouvernance globale, le professeur Benyeklef, qui à cet
effet s’en remettait à André Jean-Arnaud89 affirme qu’elle se signalerait par « cette
influence et cette interaction entre des sphères locale, nationale et régionale dans
la conception des prises de décision ». Au plan juridique on pourrait simplement
paraphraser la définition qu’en donne Pascal Lamy et Zaki Laïdi qui y
voient l’ensemble des mécanismes par lesquels des règles collectives sont
élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre et contrôlées90
L’avènement de l’OHADA en elle-même est une réponse à ces interactions
incessantes entraînant un affaiblissement des États restés isolés. En effet, suite à la
dévaluation du franc CFA, les États africains francophones ayant en partage le
franc CFA se sont très vite sentis vulnérables et ont compris la nécessité qu’il y
avait à se regrouper pour constituer un poids politique et financier en Afrique face
aux états anglophones en général n’ayant pas cette monnaie dévaluée. C’est le
premier signe d’un rapprochement économico-politique qui consacre une perte de
la souveraineté des États membres de la CEDEAO dont la plupart formeront plus
tard l’OHADA. C’est ici la souveraineté dite westphalienne qui est atteinte en ce
sens que le degré de contrôle que l’État continue d’exercer sur son territoire et sa
population devient moindre. Nous n’en voulons pour preuve que la réalité actuelle
suivant laquelle les ressortissants des différents pays membres de l’OHADA voient
leur différends tranchés en troisième et dernier ressort par des juges qui ne sont pas
nationaux mais qui par une fiction et une cession de souveraineté juridictionnelle se
retrouvent compétents pour régir les rapports entre particuliers de tous les États
.
89 André-Jean Arnaud, Entre modernité et mondialisation. Leçons d’histoire de la philosophie du droit et de l’État,
2ème éd., Paris, L.G.D.J., 2004, P. 236-237 cité par Karim Benyekhlef, Une possible histoire de la norme. Les
normativités émergentes de la mondialisation, Montréal, Les éditions Thémis, p. 609. 90 Zaki Laïdi et Pascal Lamy, La gouvernance, ou comment donner sens à la mondialisation », dans Pierre
JACQUET, PISANI-FERRY Jean et TUBIANA Laurence (dir.), Gouvernance mondiale, La documentation
française, Conseil d’Analyse Économique, 2002.
42
membres pour les matières régies par L’OHADA. Cette érosion de la souveraineté
westphalienne est le premier facteur évocateur de la lente marche vers la
gouvernance globale.
De nombreux auteurs au nombre desquels Ulrick Beck et Karim Benyekhlef,
énumèrent aussi le cosmopolitisme91 comme un exemple de gouvernance globale.
Est cosmopolitique celui qui est ouvert à toutes les civilisations, à toutes les
coutumes92
« un corpus de règles (normes) émanant d’une pluralité de sources qui
s’articulent autour des principes de la démocratie et des droits de la personne,
dont les sujets de droit sont les seuls individus, titulaires de ces droits quels que
soient leur nationalité ou leur lieu de résidence, qui s’imposent aux États et aux
instances supranationales , dont l’interprétation est laissée aux tribunaux
nationaux et supranationaux et qui ont préséance sur tous les autres types de
normes nationales et internationales »
. Le droit cosmopolitique a ainsi pu être défini comme :
93
On peut déjà porter à l’attention du lecteur le fait que ce droit qualifié de
cosmopolitique partage avec la norme OHADA des caractéristiques communes
importantes à relever. En effet, ils ont en commun la pluralité des sources comme
nous avons pu le montrer dans notre première partie. Ils partagent aussi
l’indifférence quant à la nationalité des titulaires et surtout l’interprétation réalisée
à la fois par les juridictions nationales (cours suprêmes) et celles supranationales
(CCJA). Ils ont aussi pour couronner le tout, la prééminence de leurs édictions sur
les autres types de normes nationales et internationales dans tous les pays membres
de l’OHADA, ce que nous avons développé à propos de la supranationalité de
l’OHADA. Une deuxième série d’indices concourent aussi à confirmer que le droit
.
91 Ulrick BECK, Qu’est-ce que le cosmopolitisme, Paris, Alto-Aubier, 2006 cité par Karim BENYEKHLEF, id., p.
642. 92 Dictionnaire Le petit Larousse illustré 2008, Paris, Coll. Larousse 2007 93 Karim BENYEKHLEF, Id., p. 644.
43
OHADA remplit les caractéristiques d’un droit cosmopolitique et ainsi renferme en
son sein les éléments fondamentaux d’une gouvernance globale ; il s’agit de la
cosmopolitisation progressive des sociétés africaines qui se traduit par :
- une mobilité accrue des populations aussi bien à l’échelle continentale
africaine qu’à celle internationale ; ce phénomène favorise un échange des
juristes de différents systèmes juridiques et appartenances linguistiques.
- une participation accrue des citoyens aux enjeux sociaux par le biais
d’organisations non gouvernementales. Dans l’OHADA ce constat est patent
avec la réalité des clubs OHADA et autres comités ad hoc créés et
intervenant dans le processus de consultation et d’élaboration de la norme.
On peut en poussant l’observation plus loin et sur la base des liens étroits
établis entre ces différents clubs de par le monde94
Revers de la médaille, mais aussi facteur non moins négligeable laissant
penser à une gouvernance globale en gestation à l’échelle africaine, se trouve
l’augmentation de la criminalité transfrontière usant de divers moyens
technologiques entre autres (cybercriminalité). A ce propos on insistera au passage
sur l’absence de moyens communautaires de lutte contre ce genre de crimes de plus
en plus répandus et qui sont aussi l’un des effets pervers de la globalisation des
économies et des échanges.
penser à la mise en place
d’une véritable citoyenneté juridique active, assimilable à une société civile
transnationale africaine ; il est évidemment admis que la société civile est un
des facteurs primordiaux révélant la mise en place progressive de la
gouvernance globale.
Ces différents facteurs regroupés tendent à démontrer la mise en place de la
gouvernance globale à l’échelle régionale africaine. Il y a lieu alors de déterminer
des pistes de solutions aux problématiques ainsi engendrées ou existantes. Si les 94 Voir www.ohada.com pour la liste des différents clubs OHADA à travers le monde.
44
phénomènes se constatent au niveau communautaire ou transnational, chacun
s’accorde à reconnaître que la gouvernance globale ne peut en aucun cas avoir de
fondement autre que celui que lui offre les forums nationaux. Ces forums étant de
moins en moins dépendants des États. Les intérêts étatiques en Afrique sont
cependant évidents et rentrent dans la droite ligne de certains objectifs de
l’OHADA qui sont la facilitation et l’accroissement des investissements de même
que la réduction des coûts d’information juridique. Il est certes permis de douter de
la possibilité d’une telle gouvernance globale à l’échelle africaine, mais il faut juste
rappeler que c’est un phénomène qui dans d’autres domaines comme celui des
droits humains a déjà pu être observé. En cette matière on a assisté à une atteinte
quasi-complète d’un droit global des droits de l’Homme dans ses finalités mais pas
forcément dans la méthode. En effet, la recherche du respect des droits humains et
de la démocratie est un objectif qui fut très tôt imposé aux pays africains par les
bailleurs de fonds avec à leur tête la Banque mondiale et le Fonds monétaire
international. On a donc assisté à un fonds commun de règles imposé du haut vers
le bas aux pays africains et qui a concouru à créer ce droit quasi-universel des
droits de l’Homme assimilable à un droit global.
En matière de commerce international, ce droit global ne pourra pas
être atteint en attendant une action similaire du haut vers le bas. Aussi une action
concertée des principaux acteurs n’est-elle pas envisageable comme solution car les
conceptions mais surtout les intérêts sont on ne peut plus divergents. La solution
passe donc par une prise de conscience au niveau politique africain. L’élaboration
d’un processus continental de prise de décisions suivant les intérêts africains
(gouvernance régionale) est la meilleure solution envisageable. Sur un plan
strictement juridique, nous pensons que cette marche vers une gouvernance globale
est irrémédiablement enclenchée sous les auspices de l’OHADA. Il urge que ce
modèle sui generis fasse l’objet de travaux plus approfondis allant spécifiquement
45
dans le sens de l’amélioration de la régulation du commerce africain pour un
développement économique du Continent.