histoires de casquettes cahiers maison julien gracq extrait

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LES CAHIERS DE LA MAISON JULIEN GRACQ HISTOIRES DE CASQUETTES Marie-Hélène Lafon

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"Histoires de casquettes" Marie-Hélène Lafon Collection "Cahiers de la Maison Julien Gracq" Octobre 2015 5 euros

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Marie-Hélène Lafon

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Maison Julien Gracq - Éditions 303

Histoires de casquettes

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© Maison Julien Gracq et Éditions 303, 2015.

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AvAnt-propos

Le thème des huitièmes rencontres de la Maison Julien Gracq, Tous les corps de Gracq, s’est révélé fécond : à l’invitation d’Arno Bertina, écrivain et program-mateur de ces rencontres 2015, et de Cathie Barreau, directrice de la Maison Julien Gracq, Marie-Hélène Lafon a écrit Histoires de casquettes. C’est avec fierté et gratitude que nous publions ainsi ce texte au sein des « Cahiers de la Maison Julien Gracq ».

Ces Cahiers ont pour vocation d’accueillir les textes que les auteurs en résidence nous confient. Mais aussi de donner la possibilité aux auteurs contemporains de rendre hommage à Julien Gracq, et ainsi de faire le lien qu’il a suggéré dans son legs, entre son œuvre et les grands lecteurs que sont les écrivains et les artistes d’aujourd’hui.

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Julien Gracq en juillet 1997 sur l’Èvre avec Régis Debray (de dos).

sur la photo régis Debray est donc de dos et Julien Gracq de face, comme il se doit sur une photo publiée dans un dossier consacré à Julien Gracq.

sur la photo Julien Gracq rame. Il a quatre-vingt-sept ans et il rame, bras en tension, le gauche plus bas que le droit, poings serrés sur les embouts de bois roux, genoux pliés, pieds posés à plat, la jambe droite légèrement en avant ; il regarde l’objectif, il est vêtu de lainages gris et bleus. Julien Gracq n’est pas vêtu, le mot ne rend pas justice à son corps, Julien Gracq arbore des lainages légers et le col de sa chemise d’un bleu pâle et très doux repose sur le bleu plus soutenu, presque vif, voire sémillant, de son pull-over à manches longues ; ses chaussettes sont grises et confortables et sa casquette d’été, plate et roide, a l’exacte couleur du

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ciel pommelé qui s’alanguissait sur l’Èvre, ce lointain jour de juillet 1997, tandis que, ramant, Julien Gracq promenait en barque sur les luisantes eaux de l’Èvre régis Debray. De régis Debray, coupé en deux par la photo, nous n’aurons, nous n’avons que le profil gauche, cheveux bruns, branche métallique d’une paire de lunettes, moustache, épaule et dos et rein vêtus d’un polo en coton rouge brique à manches courtes et d’un short en jean ; un short large, en jean ; et nous voyons, nous ne pouvons que voir, éclatant au premier plan de cette photo de Julien Gracq, la chair nue de régis Debray, front pommette joue nez bras cuisse mollet. nous devinons que régis Debray fut probable-ment chaussé de baskets dans cette barque mue sur les luisantes eaux de l’Èvre à la force des bras octogénaires de Julien Gracq un lointain jour de cet été très enfui de la fin de l’autre siècle et même de l’autre millénaire.

J’appelle ça l’effet Julien Gracq, l’effet qu’il fait ; son corps est comme ça, fait ça ; il est de plain-pied avec les choses, la barque, les rames, les arbres sombres des berges, l’eau, le ciel, l’été, la lumière ; il est comme issu

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d’elles, émané d’elles, il coule de source et il renvoie les autres corps au trivial, au débraillé. Il ne déborde pas, il se tient, il est juste, il est évident, à sa place, en toute élégance, et autour de lui le monde pend ; il fend les eaux, il tranche l’air, il occupe l’espace et le terrain, il est sans merci, éperdu de densité, et cepen-dant sans violence ; il est frontal, tout en tension, en contention, en rétention, et d’une fluidité émouvante, bouleversante, presque caressante, comme le velours des premiers soirs de printemps, à l’échancrure des saisons. pour un peu, il danserait ; pour un peu il eût dansé avec régis Debray sur les eaux de l’Èvre en juillet 1997.

Julien Gracq est très dansant, il serait même assez torride et j’en veux pour preuve une autre photo, en noir et blanc celle-là ; c’est un autre été, presque quarante ans plus tôt, en 1958, dans le Lot, à saint-Cirq-Lapopie ; l’été, le Lot, il a quarante-huit ans, il est dru, il est chaussé de cuir noir, luisant, impec-cable ; ses mains sont croisées dans son dos, la caillasse blanche affleure au sol, les pierres crues des murs sont