granulomatose de wegener révélée par une localisation orbito-méningée : à propos d’un cas

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Journal français d’ophtalmologie (2012) 35, 622.e1—622.e4 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE Granulomatose de Wegener révélée par une localisation orbito-méningée : à propos d’un cas Wegener’s granulomatosis diagnosed by orbital-meningeal presentation: A case report H. Louati a,, A. Chebbi b , I. Ben Hassen a , W. Douira a , L. Ben Hassine a , L. Lahmar a , S. Ayed b , I. Bellagha a a Service de radiopédiatrie, hôpital d’enfants de Tunis, place Bab-Saadoun, Jabbari, 1007 Tunis, Tunisie b Service d’ophtalmologie A, institut Hédi Raies de Tunis, boulevard 9-Avril-1938, 1006 Tunis, Tunisie Rec ¸u le 26 novembre 2009 ; accepté le 2 avril 2012 Disponible sur Internet le 10 septembre 2012 MOTS CLÉS Granulomatose de Wegener ; Vascularites ; Orbites ; Méninges ; Sinus Résumé La maladie de Wegener est une vascularite nécrosante granulomateuse présentant un tropisme particulier pour les voies respiratoires supérieures, les poumons et les reins. La localisation ophtalmologique se traduit le plus souvent par une orbitopathie inflammatoire ou une sclérite. Nous rapportons le cas d’une jeune fille de 27 ans avec atteinte orbito-méningée révélatrice d’une maladie de Wegener. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Wegener’s granulomatosis; Vasculitis; Orbit; Meninges; Sinus Summary Wegener’s granulomatosis is a necrotizing granulomatous vasculitis with a strong affinity for the upper respiratory tract, lung and kidney. The ophthalmologic manifestation most often presents as inflammatory orbital pseudotumor or scleritis. We report a case of a 27-year-old woman with an orbital-meningeal presentation leading to a diagnosis of Wegener’s granulomatosis. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Le texte de cet article est également publié en intégralité sur le site de formation médicale continue du Journal franc ¸ais d’ophtalmologie http://www.e-jfo.fr, sous la rubrique « Cas clinique » (consultation gratuite pour les abonnés). Auteur correspondant. Adresse e-mail : halloula [email protected] (H. Louati). 0181-5512/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2012.04.006

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Page 1: Granulomatose de Wegener révélée par une localisation orbito-méningée : à propos d’un cas

Journal français d’ophtalmologie (2012) 35, 622.e1—622.e4

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE

Granulomatose de Wegener révélée par unelocalisation orbito-méningée : à propos d’un cas�

Wegener’s granulomatosis diagnosed by orbital-meningeal presentation:A case report

H. Louati a,∗, A. Chebbib, I. Ben Hassena, W. Douiraa,L. Ben Hassinea, L. Lahmara, S. Ayedb, I. Bellaghaa

a Service de radiopédiatrie, hôpital d’enfants de Tunis, place Bab-Saadoun, Jabbari,1007 Tunis, Tunisieb Service d’ophtalmologie A, institut Hédi Raies de Tunis, boulevard 9-Avril-1938, 1006 Tunis,Tunisie

Recu le 26 novembre 2009 ; accepté le 2 avril 2012Disponible sur Internet le 10 septembre 2012

MOTS CLÉSGranulomatose deWegener ;Vascularites ;Orbites ;Méninges ;Sinus

Résumé La maladie de Wegener est une vascularite nécrosante granulomateuse présentantun tropisme particulier pour les voies respiratoires supérieures, les poumons et les reins. Lalocalisation ophtalmologique se traduit le plus souvent par une orbitopathie inflammatoire ouune sclérite. Nous rapportons le cas d’une jeune fille de 27 ans avec atteinte orbito-méningéerévélatrice d’une maladie de Wegener.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary Wegener’s granulomatosis is a necrotizing granulomatous vasculitis with a strong

Wegener’sgranulomatosis;

affinity for the upper respiratory tract, lung and kidney. The ophthalmologic manifestationmost often presents as inflammatory orbital pseudotumor or scleritis. We report a case of a

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Vasculitis; 27-year-old woman with an

Orbit;Meninges;Sinus

granulomatosis.© 2012 Elsevier Masson SAS. All r

� Le texte de cet article est également publié en intégralité sur le sited’ophtalmologie http://www.e-jfo.fr, sous la rubrique « Cas clinique » (c

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : halloula [email protected] (H. Louati).

0181-5512/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droitshttp://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2012.04.006

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de formation médicale continue du Journal francaisonsultation gratuite pour les abonnés).

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ntroduction

écrite pour la première fois par Klinger en 1931 puis ulté-ieurement par Wegener en 1936, la granulomatose deegener (GW) est une vascularite nécrosante de cause

nconnue, touchant les voies respiratoires, les poumons etes reins. Sa prévalence a été estimée à trois cas pour00 000 personnes [1]. Le tableau clinique de la GW estominé par les atteintes ORL et pulmonaire précoces,évélatrices dans plus de 70 % des cas, et une atteinteénale plus tardive qui détermine le pronostic [2]. Lesanifestations ORL sont pratiquement constantes, touchantréférentiellement les cavités naso-sinusiennes [2—4]. Cer-aines localisations demeurent rares voire exceptionnelles.ous rapportons une observation à propos d’une localisationrbito-méningée d’une maladie de Wegener.

bservation

l s’agit d’une patiente âgée de 27 ans présentant un retardental et ayant consulté dans un hôpital régional pour une

ellulite orbitaire récidivante pour laquelle elle a eu uncanner orbito-cérébral. Ce scanner a montré une exophtal-ie bilatérale plus importante à droite avec une infiltratione la graisse extra-conique médiale droite refoulant leuscle droit médial et associée à un comblement des cel-

ules ethmoïdales antérieures. À gauche, il existait unenfiltration de l’espace extraconal latéral étendue au muscleroit latéral. La patiente a été mise sous antibiothérapie etnti-inflammatoires avec bonne évolution clinique selon lesires de la maman.

Elle se présente aux urgences de l’institut’ophtalmologie six mois plus tard dans un tableau’exorbitisme (Fig. 1A et B) avec à l’examen ophtalmo-ogique une ophtalmoplégie totale bilatérale ; du côtéroit, il y avait un chémosis prédominant en inférieur,’acuité visuelle était limitée à la perception lumineuseositive avec de multiples abcès cornéens périphériques etentraux et un appel vasculaire superficiel en inférieur ;a sensibilité cornéenne était conservée. Le test à lauorescéine était positif avec une kératite ponctuelle

uperficielle. Vu l’état cornéen, il était difficile d’évaluera composante afférente du réflexe photomoteur et mêmee fond d’œil était inaccessible. À gauche, il existait unmportant chémosis avec une perception visuelle qui était

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igure 1. Photographie de la patiente. A. Exophtalmie droite grade Ientral perforé colmaté par l’iris.

H. Louati et al.

égative, un abcès cornéen central perforé colmaté par’iris et conservation de la sensibilité cornéenne. Le restee l’examen ophtalmologique (réflexe photomoteur, tonusculaire, fond d’œil) était inaccessible.

La sensibilité cutanée péri-orbitaire était conservée deseux côtés. La patiente a été hospitalisée en urgence. Desrélèvements cornéens ont été effectués et ont isolé untaphylococcus aureus et la patiente a été alors mise sousntibiothérapie : fosfomycine, ofloxacine et gentamycinevec un traitement local à base de collyre fortifié (vanco-ycine, ceflazidine du côté droit).Le bilan biologique a montré un syndrome inflammatoire

iologique avec une vitesse de sédimentation à 122 la pre-ière heure et une CRP à 214 mg/L. Les examens ORL et

eurologique étaient sans particularités.Une imagerie par résonance magnétique (IRM) a été réa-

isée (Fig. 2), montrant une exophtalmie bilatérale majeurerade III secondaire à un processus expansif se développantu niveau des angles externes et se prolongeant en arrièrees globes oculaires infiltrant la graisse intra- et extra-onique, les glandes lacrymales et englobant les musclesculomoteurs et les nerfs optiques.

Ces lésions étaient en hyposignal T1 et T2 et se rehaus-aient intensément après injection de gadolinium. Parilleurs, ils s’y associaient une microcéphalie, une agé-ésie complète du corps calleux, une hydrocéphalie susentorielle et une importante prise de contraste leptomé-ingée après injection de gadolinium. Devant cet aspect à’imagerie, un lymphome a été fortement suspecté.

Devant le tableau clinico-radiologique, une vasculariteu un lymphome ont été suspectés et une biopsie orbi-aire a été alors programmée. Mais 48 heures après, laatiente a développé une insuffisance rénale aiguë avec à’échographie cardiaque, présence d’un décollement péri-ardique postérieur et d’une insuffisance tricuspidiennevec un taux d’hémoglobine à 6 g/dL ayant nécessité uneransfusion sanguin. La biopsie orbitaire a donc été différéeu l’état général altéré de la patiente.

La patiente a été transférée au service de néphrologie oùne ponction-biopsie rénale a été réalisée (Fig. 3) portante diagnostic d’une néphropathie glomérulaire nécrosantextracapillaire à croissant avec un bilan immunologique

evenu positif à ANCA Anti PR3 (typage des ANCA parlisa/Dot).

Le diagnostic de maladie de Wegener confirmé, laatiente a bénéficié d’un bilan d’extension (radiographie

II avec abcès cornéen. B. Exophtalmie gauche grade II avec abcès

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Granulomatose de Wegener révélée par une localisation orbito-méningée 622.e3

Figure 2. Imagerie par résonance magnétique en coupes axialespondérées T2 (A), T1 (B), T1 gadolinium (C) et sagittales en T1 (D) etT1 gadolinium (E). Exophtalmie bilatérale majeure grade III secon-daire à un processus expansif en hyposignal T1et T2 se rehaussantintensément, développé au niveau des angles externes infiltrant lagraisse intra- et extra-conique, les glandes lacrymales et englobantles muscles oculomoteurs et les nerfs optiques. Ils s’y associent uneagénésie du corps calleux, une hydrocéphalie sus-tentorielle et une

Figure 3. Coupe histologique : néphropathie glomérulaire nécro-sante extracapillaire à croissant.

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ppsaDau cours de cette affection : ulcère palpébral, granu-

importante prise de contraste leptoméningée.

de thorax, échographie abdominale et cardiaque et fibro-scopie œso-gastro-duodénale). Elle a recu trois bolus desolumédrol (1 g en perfusion trois jours de suite) relayépar une corticothérapie per os à raison de 1 mg/kg parjour dégressive par palier de 5 mg tous les quinze jourjusqu’à maintenir la dose de 10 mg/j. Elle a également recusix cures de cyclophosphamide à la dose de 500 mg à unmois d’intervalle puis relayé par de l’imurel à 2 mg/kg parjour.

L’évolution sous cyclophosphamide a été marquée parune stabilisation du processus inflammatoire orbitaire, uneamélioration de la fonction rénale et du syndrome inflam-

matoire biologique mais avec malheureusement une pertefonctionnelle des deux globes.

iscussion

a GW est une maladie systémique grave d’origine indéter-inée caractérisée par son triple tropisme ORL, pulmonaire

t rénal. Le diagnostic de GW repose sur des arguments cli-iques, biologiques et histologiques. La forme typique de laaladie associe classiquement une angéite nécrosante sys-

émique, une inflammation nécrotique des voies aériennesupérieures et inférieures et une glomérulonéphrite extra-apsulaire. L’étiopathogénie de la GW reste discutée, laécouverte des auto-anticorps dirigés contre le cytoplasmees polynucléaires neutrophiles (les ANCA) a fait considérerette maladie comme une véritable maladie auto-immune.a responsabilité d’une atteinte infectieuse comme facteuréclenchant de la maladie ou des rechutes est fortementvoquée [3,5]. Sur le plan histologique, la GW associe troisésions caractéristiques : une nécrose ischémique, une gra-ulomatose à cellules géantes et une vascularite qui touchees petits et moyens vaisseaux. L’âge moyen au moment duiagnostic est situé entre 40 et 50 ans avec des extrêmesllant de neuf à 78 ans.

Les signes inauguraux sont multiples et peuvent être àype de manifestations ORL dans 73 à 83 % des cas, articu-aires dans 20 à 60 % des cas et pulmonaires dans 20 à 45 %es cas. Les manifestations oculaires surviennent dans 7 à1 % des cas et les manifestations cutanées dans 13 à 46 %3].

Au cours de la maladie de Wegener, l’atteinte oculairee voit dans 28 à 52 % des cas. Elle peut atteindre les diffé-entes structures de l’œil et ses annexes. Elle est rarementnaugurale et s’associe presque constamment à des lésionses voies aériennes supérieures [6].

L’orbitopathie inflammatoire est notée chez 29 % desatients, celle-ci peut être primitive ou secondaire à laropagation de l’inflammation à partir des sinus parana-aux. Elle se manifeste par une exophtalmie inflammatoiressociée ou non à une ophtalmoplégie totale ou partielle.’autres manifestations oculaires peuvent être observées

ome conjonctival avec nécrose de la conjonctive, sclérite,pisclérite, ulcère cornéen, uvéite, granulome du corps

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iliaire et vascularite rétinienne ou choroïdienne obli-érante. L’atteinte du nerf optique peut être d’origineasculaire directe ou d’origine compressive par le granu-ome orbitaire. Quel que soit le mécanisme, le pronostic estssez réservé avec un risque de perte visuelle estimée à 8 %.’orbitopathie inflammatoire est le plus souvent unilatérale,ans notre observation, elle était bilatérale. Son extensionerait initialement extracônale avant de devenir intracônaleesponsable d’une compression du paquet vasculo-nerveuxui peut compromettre la vision. Les lésions sont mieuxvaluées par le scanner orbitaire ou l’IRM orbito-cérébraleù elles apparaissent en hyposignal en T1 et T2 contrastantvec la graisse orbitaire physiologiquement en hypersignal.a biopsie de la lésion orbitaire est parfois nécessaireorsque le tableau clinique et la recherche des ANCA neermettent pas de poser le diagnostic d’une maladie deegener.

Plusieurs diagnostics doivent être évoqués devant uneasse orbitaire. Il s’agit des pathologies néoplasiques à typee lymphome orbitaire ou de métastases ; ou des pathologiesnfectieuses ou inflammatoires (sarcoïdose ou pseudotumeurnflammatoire idiopathique). Le traitement de la granulo-atose de Wegener repose sur l’association de corticoïdes et’immunosuppresseurs. Dans notre observation, la patiente

recu cinq cures d’endoxan.

onclusion

oute la particularité de la maladie de Wegener [7—10]éside dans son évolution capricieuse, son polymorphismelinique et les difficultés pour affirmer son diagnostic. Il faut

avoir l’évoquer devant la persistance de certains signes cli-iques et devant certaines localisations rares et surtout neas hésiter à biopsier toute masse suspecte pour avoir laertitude diagnostique.

[

H. Louati et al.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt enelation avec cet article.

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