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ÉPOQUES EST UNE COLLECTION

DIRIGÉE PAR JOËL CORNETTE

Illustration de couverture : Jean Perréal (vers 1455-1527/29) : Portrait de Louis XII (vers 1514 ?)

Château de Windsor, collections de S.M. la Reine d’Angleterre.

© 2006, CHAMP VALLON, 01420 SEYSSEL

WWW. CHAMP-VALLON. COM

ISBN 2-87673-453-2 ISSN 0298-4792

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LOUIS XII LES DÉRÈGLEMENTS DE L’IMAGE ROYALE

(1498-1515)

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DU MÊME AUTEUR

(en collaboration avec Thomas W. Gaehtgens)

L’Image du roi, de François Ier à Louis XIV, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2006.

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Nicole Hochner

LOUIS XII LES DÉRÈGLEMENTS DE L’IMAGE ROYALE

(1498-1515)

Champ Vallon 5

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AVANT-PROPOS

Cet ouvrage n’étudie pas les mécanismes de la propagande royale. Ce type d’étude est pourtant fort attrayant puisqu’il permet de parler en termes de stratégie icono­graphique ou de campagne publicitaire et qu’il offre en sus un narratif logique et très clair. L’objet de ce livre sera, à l’inverse, de souligner le caractère hybride de l’imaginaire politique et d’insister sur le caractère multiple et contradictoire de l’image royale au temps du règne du roi Louis XII (1498-1515). Une telle plu­ralité ne doit pas être aplanie au nom d’un principe global ou d’une interprétation unique aussi séduisante soit-elle. Conserver intacte cette richesse permet de mieux saisir l’hétérogénéité des mythes et des symboles véhiculés par l’imaginaire politique. En effet, lors du règne de Louis XII, diverses idéologies politiques et différentes visions de la gloire coexistent et forment un ensemble composite, sans qu’il semble que le pouvoir n’impose de mesures coercitives ou ne mène de politique régulatrice. Ce phénomène cause ce que j’ai appelé les dérèglements de l’image royale. La lecture que propose notre étude nie par conséquent la réalité d’une propagande royale comman­ditée par un pouvoir conscient et interventionniste. La « fabrication » d’une fiction politique est aux mains d’un groupe très varié d’artistes, d’intellectuels, d’hommes de lettres et d’agents politiques et culturels. S’il reste à prouver qu’ils sont mus par différentes idéologies, en revanche ils caressent tous la même et unique ambition de leur propre légitimation et reconnaissance. Admettre la diversité de l’image royale ne doit pas nous faire renoncer à toute interprétation du discours figuratif de l’État, car l’analyse exégétique peut donner du sens sans forcément imposer un ordre logique dans un foisonnement iconographique et métaphorique. En conséquence, le projet de ce livre sera l’interprétation du caractère hybride de l’image royale au temps du roi Louis XII. Ma lecture de la culture visuelle se veut politique et puise à un vaste ensemble de sources iconographiques et textuelles (documents administratifs, littéra­ture, pamphlets idéologiques et autres). Non que le verbe soit l’unique fondement de croyances et d’idées politiques, mais il m’a semblé impératif de considérer la métaphore et le langage symbolique tout autant que la production picturale et visuelle. La notion d’image est donc comprise ici de façon très large. Seule la juste compréhension du climat politique et idéologique fournit la clé de lecture de ces

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AVANT-PROPOS

images où s’enchevêtrent et se superposent les diverses facettes de la figuration du roi en saint ou dévot très chrétien, en héros militaire et roi de guerre, en noble prince et chevalier vertueux et même en pasteur ou père bienveillant et charitable. Ainsi, dans le cas de Louis XII, les idéaux de la chevalerie se marient aux modèles néo-antiques, l’humilité chrétienne côtoie la gloire et le tout cohabite avec le mythe du père du peuple dans un ensemble qui défie toute simplification.

L’image paternelle éloigne Louis XII de la politique dirigiste et de la monarchie centralisatrice voulue par Louis XI (1461-1483) pour l’associer à un type de régime mixte et modéré. Un changement qui doit être mis en relation avec un débat sur la nature du régime monarchique qui captive le début du XVIe siècle français. En effet, ce qui préoccupe un Claude de Seyssel ou un Pierre Gringore n’est nullement la question du souverain idéal ou celle de la vertu politique, mais plutôt de savoir si l’association de principes consultatifs au régime monarchique a pour conséquence de dénaturer la monarchie française. La constitution coutumière impose-t-elle un sys­tème de contrôle ou le condamne-t-il ? C’est en ces termes que l’on peut reconstruire la controverse qui oppose les défenseurs d’un système de freins (que l’on appellera modérés ou constitutionalistes) aux avocats d’une souveraineté exclusivement royale et non consultative (que l’on appellera par abus absolutistes). La reconstruction des termes de ce débat idéologique et politique ne doit pas estomper le fait que l’image englobe tous les tenants de cette polémique. Aussi s’y mêlent, parfois de façon inextri­cable, ceux qui accordent au roi une autorité suprême et l’assimilent aux héros antiques et aux divinités classiques et ceux qui le dessinent comme un roi dévoué à la cause de son royaume favorisant la consultation et le dialogue avec ses sujets.

Ce livre me permet d’exprimer ma gratitude, tout d’abord, à mes premiers maîtres qui ont transformé mes études en expérience intellectuelle, je pense particu­lièrement aux professeurs Zeev Sternhell, Yaron Ezrahi et Jeffrey Macy du dépar­tement de Science Politique à l’Université Hébraïque de Jérusalem, leurs encourage­ments me sont jusqu’à aujourd’hui très précieux. À l’Université de Cambridge j’ai bénéficié des conseils et de l’amitié du professeur Jay Winter et j’ai eu l’honneur d’être dirigée à la fois par le professeur Peter Burke et feu le professeur Bob Scribner. À Paris j’ai eu la chance de rencontrer Jennifer Britnell, Gordon Kipling, Denis Crouzet, Jean Guillaume et Robert W. Scheller dont j’admirais les travaux depuis fort longtemps. Je remercie le Dr Christophe Henry qui a relu avec assiduité une version antérieure du manuscrit et m’a fait profiter de son érudition et de ses remarques. Mais comme il est coutume de le rappeler je demeure la seule et unique responsable des faiblesses et des erreurs demeurant.

Le financement de ces longues années de recherche n’aurait pu être possible sans le soutien du fond Yad Hanadiv à Jérusalem qui m’a permis de consacrer les années 2000 et 2001 à mes recherches, et sans l’aide de la Faculté des Sciences Sociales de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Il me plaît également d’exprimer ma grati­tude au Centre allemand de l’Histoire de l’Art qui m’a généreusement accueillie place des Victoires au sein de son groupe de boursiers lors de l’année 2001.

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AVANT-PROPOS

Gary, mon premier lecteur, a accompagné l’aventure de ce livre depuis ses ori­gines, en acceptant la présence encombrante de Louis XII et les trop nombreux sacri­fices qu’une telle hospitalité exigeait. Je lui suis infiniment reconnaissante pour sa patience et son aide inlassable et minutieuse. Tout en étant mon plus proche parte­naire intellectuel, Gary est également un père admirable qui a toujours sacrifié, sans compter, de son temps et de son énergie pour nos trois enfants que ce livre a vu naître, Rakefet Shulamit, Pinchas Moshé et Chavatselet Hasharon, merci, merci à tous.

Enfin je dédie ce livre à mes parents et ma famille qui en sus de leur immense affection, m’ont inculqué l’amour du livre. Puisse l’achèvement de cet ouvrage hono­rer la mémoire de ma mère envers laquelle ma dette n’a pas de limites, et combler mon père, impatient de me lire et percer le mystère de mon engouement pour Louis XII.

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INTRODUCTION

Un père du peuple imaginaire

Ce livre porte sur la symbolique royale au tout début de la Renaissance française. Il étudie une période de bouleversement durant laquelle de nou­veaux concepts inspirés du monde antique pénètrent dans l’imaginaire politique hérité du Moyen Âge et bouleversent la vision de la royauté. L’argument principal de l’ouvrage sera de montrer qu’il est faux d’adopter une interprétation évolutionniste du règne du roi Louis XII (1498-1515) qui mènerait d’une représentation pastorale et sacrée du pouvoir à une affirmation de la puissance étatique et à l’exaltation du souverain. La pro­duction artistique et littéraire des premières années du XVIe siècle indique au contraire un dérèglement de l’imaginaire monarchique. La luxuriante « mythographie » mise en place tout au long du Moyen Âge1 n’est à mon sens ni rejetée ni intégrée dans une nouvelle symbolique antiquisante du pouvoir. Le système fort bien élaboré de symboles, emblèmes, mythes et allégories médiévales, dont les principales articulations ont été étudiées par Colette Beaune2, subsiste en effet avec une étonnante pertinence et validité. La superposition de diverses traditions symboliques n’est pas à attribuer au soi-disant choc culturel et artistique de la Renaissance : si l’image du roi associe des discours figuratifs contradictoires et pluriels, c’est que la monarchie de France est enlisée dans un débat majeur relatif à l’identité et à la nature du pouvoir royal qui s’ouvre dès après le décès de Louis XI, et que le règne de Louis XII ne sait (ou ne veut) résoudre. Il est manifeste que les référents culturels, politiques et sociaux basculent mais il n’y a pas de réelle rupture. Les codes anciens perdurent et jouxtent avec les nouveaux de sorte que l’imagerie royale est faite d’un ensemble très vaste et composite dont l’ancrage est simultanément allégorique, emblé­matique, mythique, antiquisant et chrétien. Les figurations traditionnelles côtoient les nouvelles de manière à créer de multiples incohérences et

1. L’expression est de Franck Collard, Pouvoirs et culture politiques dans la France médiévale Ve-XVe siècles, Paris, Hachette, 1999, p. 236.

2. Colette Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard, 1985.

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LOUIS XII

oscillations qui s’apparentent à la mise en place d’un nouveau paradigme mythographique1, ou au dérèglement passager de l’image royale. Il s’agit d’un processus de mutation progressif et lent et non d’une révolution sou­daine ou d’un bouleversement chaotique. Un phénomène que l’on peut également voir comme une mise en examen de l’imaginaire médiéval et qui nous renseigne sur les débats qui agitent l’esprit des artistes et des intellectuels du royaume à la veille du premier absolutisme français.

Je me propose d’essayer de comprendre comment, et subsidiairement pourquoi, l’image royale se trouble à cette période. Les raisons qui m’ont poussée à limiter mon étude au règne du roi Louis XII sont avant tout liées à la richesse du matériel relatif à ce règne qui n’a guère jusqu’à aujourd’hui séduit les historiens et auquel il faut rendre justice. Par ailleurs le règne de Charles VIII tranche avec la particularité des années 1498-1515 qui sont – comme on le verra – des années de flottements artistiques, littéraires et poli­tiques particulièrement exacerbés2. L’époque de Charles VIII ne sera donc qu’occasionnellement abordée pour souligner certaines continuités ou rup­tures. D’autre part, il n’était guère nécessaire d’aller au-delà de 1515, car le règne de François Ier a été remarquablement étudié par Anne-Marie Lecoq3, dont le livre a suffisamment démontré que l’image royale retrouve une cer­taine homogénéité, sinon une nouvelle cohérence, avec l’arrivée au pouvoir du jeune duc d’Angoulême. Des codes et référents modernes sont introduits par François Ier qui réorganise la façon de figurer la monarchie. Avec François Ier s’instaure, il est vrai, une royauté bouleversée par les crises reli­gieuses et politiques, mais qui s’affirme et s’affiche plus vigoureusement que jamais. Enfin, il faut préciser que les sources françaises ont été privilégiées car notre propos concerne la représentation symbolique du pouvoir comme acte octroyant à la monarchie française une matérialité dans le but de contri­buer au culte royal. Pour paraphraser la belle formule de Michael Waltzer4, l’État doit être personnifié pour être saisi, être symboliquement représenté pour être aimé et imaginé pour être conçu. Les sources italiennes, alle­mandes, espagnoles, néerlandaises et anglaises produisent certes leur propre vision du roi Louis XII mais n’ont pas d’interférence majeure avec ce culte royal et la fabrication de l’image du roi qui prend place en France5.

1. Thomas Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, The University of Chicago Press, 1962. 2. Sur Charles VIII, on consultera avec intérêt les études de Robert W. Scheller, « Imperial Themes in Art

and Literature of the Early French Renaissance : the Period of Charles VIII », Simiolus (1982), pp. 5-69 ; Anne Denis, Charles VIII et les Italiens, Genève, Droz, 1979 ; et la biographie de Yvonne Labande-Mailfert, Charles VIII et son milieu (1470-1498), La jeunesse au pouvoir, Paris, Librairie Klincksieck, 1975.

3. A.-M. Lecoq, François Premier imaginaire. Symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, Éditions Macula, 1987.

4. « The state is invisible, it must be personified before it can be seen, symbolized before it can be loved, imagined before it can be conceived », in M. Waltzer, « On the Role of Symbolism in Political Thought », Political Science Quarterly, vol. LXXXII, 2, 1967, p. 194.

5. On peut consulter au sujet des sources italiennes Patrick Gilli, Les Représentations de la France dans la cul­ture savante italienne à la fin du Moyen âge : c. 1360-c. 1490, Rome, École française de Rome, 1997 ; et du même

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UN PÈRE DU PEUPLE IMAGINAIRE

Il faut, avant de passer à l’analyse même, considérer brièvement le concept d’image. Le monde de l’imagerie est plus vaste que celui que pri­sent les musées, les galeries, les académies de beaux arts, et autres collec­tionneurs en tout genre. Hormis les images matérielles on peut, en effet, évoquer des images verbales, optiques, mentales, oniriques, visionnaires et mêmes sonores1. Ces images, pour qui l’intérêt ne cesse de croître à la suite de la révolution des médias et de la cyberculture, ont suscité une réflexion à part entière, et ce depuis Platon, Walter Benjamin et jusqu’à Jean Bau­drillard ou Hans Belting. De la notion d’aura à celle de simulacre, une des questions inlassablement soulevées est celle du pouvoir de l’image2. Les représentations mentales de la royauté nous engagent à explorer le phéno­mène qui trouble Narcisse captivé par son propre reflet, à savoir le ravisse­ment que provoquent les images et surtout leur capacité à engendrer (et multiplier) la présence de soi, ou celle de l’autre, du verbe et même du sacré. L’image exerce donc une mutation fascinante : l’abstrait prend forme, la réalité devient fiction, et d’une illusion à l’autre, on ne sait plus qui trompe qui et qui ressemble à quoi. Pourtant les historiens du poli­tique peu préoccupés par les notions de désir, d’affect ou de réception, ont rarement conçu que l’image puisse être davantage que le réceptacle d’une idéologie préexistante, une « arme » dans l’art de la manipulation et de la persuasion3. Pour réfuter cet argument on considérera l’image non pas comme un masque de la force mais comme un pouvoir autonome et à part entière, et ce d’autant plus que l’interprétation et la portée des images ne sont, en dernier ressort, sous la domination ou le contrôle d’aucune auto­rité. L’entité politique n’ayant pas d’existence sans l’image, le corps du roi n’ayant pas de présence sans sa mise en scène, on dira, en accord avec l’approche de Clifford Geertz, que le pouvoir cultive la pompe et la splen­deur davantage que ceux-ci cultivent le pouvoir4.

l’article « Aspects de la domination française en Lombardie dans l’historiographie locale », Louis XII en Mila­nais. XLIe colloque international d’études humanistes 30 juin-3 juillet 1998. Actes réunis par Philippe Contamine et Jean Guillaume, Paris, Honoré Champion, 2003, pp. 46-51. Robert W. Scheller fait fréquemment appel aux sources allemandes et néerlandaises, voir son récent « Ung Fil très delicat : Louis XII and Italian affairs, 1510­1511 », Simiolus, 31, 2005, pp. 4-45.

1. W. J. Thomas Mitchell, Iconology, Image, Text, Chicago, The University of Chicago Press, 1986, pp. 7­46. Mitchell propose une conception très large de la notion d’image, il distingue cinq variétés principales : l’image graphique (picturale), optique, sensible (perceptible), mentale et verbale.

2. David Freedberg, The Power of Images : Studies in the History and Theory of Response, Chicago, The Univer­sity of Chicago Press, 1989.

3. Le titre du volume édité par Allan Ellenius ne fait que trahir cet a priori, Iconography, Propaganda, and Legitimation, Oxford, Clarendon Press, 1998.

4. Voir David Cannadine, « Introduction », in Rituals of Royalty. Power and Ceremonial in Traditional Socie­ties, éd. David Cannadine et Simon Price, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 19 ; Clifford Geertz, Negara : The Theater-State in Nineteenth-Century Bali, Princeton, Princeton University Press, 1980, p. 13 et la récente étude de Martin Gosman, « Princely Culture : Friendship or Patronage ? », in Princes and Princely Culture 1450-1650, éd. Martin Gosman, Alastair MacDonald et Arjo Vanderjagt, Leiden, Brill, 2003, qui exa­mine les relations des dirigeants et des artistes.

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LOUIS XII

Loin du genre biographique et du récit anecdotique, cette étude est construite autour des aspects symboliques de la monarchie, soit l’analyse de l’ensemble des facettes de l’image du roi telles qu’elles se dessinent au travers d’un très vaste matériel. Ainsi, des images tirées des entrées royales et des médailles du roi seront associées aux poésies et aux sotties écrites lors du règne, et les enluminures, gravures sur bois, peintures et sculptures aux textes panégyriques et philosophiques. L’image du roi s’y reflète sous différents aspects comme le portrait, la métaphore, l’allégorie, l’emblème et la devise. S’il n’existe aucune étude d’ensemble sur l’imaginaire poli­tique au temps de Louis XII le matériel sur lequel se fonde l’analyse de notre recherche a par contre suscité dans leurs disciplines respectives diverses analyses et interprétations, les œuvres des rhétoriqueurs ont par exemple récemment joui de nouvelles éditions critiques, les médailles, gravures et miniatures sont aujourd’hui plus facilement accessibles grâce à un large travail de recensement et de catalogage, et l’étude du cérémonial a permis de mettre en lumière certaines entrées royales et rituels relatifs à notre période.

Mais comment répondre à la question : pourquoi Louis XII ? Il me semble qu’il suffit d’observer quelques-uns des traits caractéristiques de l’époque pour se convaincre de l’importance de ce règne. Les premières années du XVIe siècle marquent la maturité de la monarchie française. Ce jugement est avant tout celui des contemporains de Louis XII. Pour Claude de Seyssel la monarchie de France

« est gouvernée par trop meilleur ordre que nulle des autres [formes de gouverne­ments] dont nous ayons connaissance à présent et dont peut-être il soit mémoire par histoire ancienne : tellement qu’elle est, non pas pour longuement durer et soi conserver et maintenir seulement, mais pour prospérer et venir à plus grande puissance et domination […] Et j’ai compris, en décrivant cette Monarchie, l’État de France tel qu’il est de présent. »1

L’idée n’est pas démentie par Saint-Gelais, pour qui « il y a cinq cens ans qu’il ne courut en France si bon temps qu’il faict à present »2. Pour Machia­vel, qui par deux fois fut diligenté en mission en France pendant le règne de Louis XII, « couronne et rois de France sont aujourd’hui plus gaillards, plus riches et plus puissants qu’ils ne le furent jamais »3. À la stabilité politique

1. Claude de Seyssel écrivait, quelques années plus tôt, que le royaume était, du temps de Louis XII, « plus riche, plus puissant, plus paisible et en toutes choses plus heureux et mieulx traicté que jamais ne feut du temps de nul autre Roy et plus suffisant à entreprendre et executer toutes grandes choses », in Histoire de Louis XII, roi de France, père du peuple, et des choses mémorables advenues de son règne, mise en lumière par Théodore Godefroy, Paris, Abraham Pacard, 1615, pp. 169, 225-226 et in La Monarchie de France et deux autres fragments politiques, textes établis et présentés par Jacques Poujol, Paris, Librairie d’Argences, 1961, pp. 112-113.

2. Jean de Saint-Gelais, Histoire de Louis XII, roy de France, père du peuple, et de plusieurs choses memorables adve­nues en France et en Italie jusques en l’an 1510, Paris, Abraham Pacard, 1622, pp. 112-114, 142, 182.

3. Machiavel, Œuvres complètes, texte présenté et annoté par Edmond Barincou, Paris, Gallimard, 1952, coll. « La Pléiade », p. 135.

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UN PÈRE DU PEUPLE IMAGINAIRE

et à la cohésion sociale il faut donc ajouter la prospérité économique. Mais que l’on choisisse le terme d’« apogée » ou de « rattrapage » que préfèrent Emmanuel Le Roy Ladurie et Jacques Le Goff, l’essor de la France à la fin du XVe siècle est indubitable. C’est aussi bien le temps d’une « seconde phase » de l’histoire de l’État et des pouvoirs que d’un second souffle de l’huma­nisme français. À tout point de vue le royaume de France connaît sous Louis XII « une sorte de nouvel âge d’or » économique, culturel et politique1.

En ce qui concerne la symbolique royale, l’étude des rituels prouve qu’à maints égards le règne de Louis XII est le terme d’un long processus de gestation. Le cri « Le roi est mort ! vive le roi ! » constitue, selon Ralph Giesey, l’une des maximes fondamentales de la monarchie française, or elle apparaît pour la première fois dans sa forme impersonnelle aux funérailles de Louis XII2. Les entrées royales, qui étaient jusqu’au début du XVIe siècle organisées par divers artistes et poètes, sont pour la première fois en France confiées à un seul « dramaturge ». À Paris, le tableau mis en scène à la porte Saint-Denis était en effet généralement commandé par l’Hôtel de Ville ; celui disposé face à l’église de la Trinité était placé sous la responsa­bilité de la confrérie de la Passion, et celui de la fontaine des Innocents du ressort des corporations des fripiers ou des bouchers. La station du Palais-Royal relevait de la Chambre des Comptes, et la station du Châtelet dépendait des clercs de la cour de Justice. Or en 1514 et en 1517 c’est au seul Pierre Gringore que les responsables municipaux confient le devoir d’organiser l’ensemble de l’entrée royale, c’est-à-dire la totalité des sept échafauds parisiens. Il est certain que ce précédent permettra à Gringore et à ses successeurs de concevoir un message beaucoup plus homogène3. Les mutations thématiques qui ont de nombreuses fois été soulignées s’ajou­tent à ce nouveau principe d’organisation qui annonce une nouvelle époque pour la cérémonie de l’entrée royale4.

Le pouvoir dispose en outre de moyens bien plus efficaces et plus modernes pour diffuser l’image du roi. En effet, les historiens de la mon­naie et de la médaille nous apprennent que le portrait royal, jusqu’alors emblématique, évolue dorénavant vers une vision beaucoup plus physio­

1. Jacques Le Goff, « Résitances et progrès de l’État monarchique (XIVe-XVe siècle) », in La Longue Durée de l’État, volume dirigé par Jacques Le Goff, sous la direction d’André Burguière et Jacques Revel, Paris, Le Seuil, 2000, p. 197.

2. Ralph E. Giesey, Le Roi ne meurt jamais. Les obsèques royales dans la France de la Renaissance, traduit de l’anglais par Dominique Ebnöther, Paris, Flammarion, 1987, pp. 196, 219.

3. Gringore écrit explicitement, dans son rapport de l’entrée de 1517, que « De par la ville on m’a charge donnee Que du tout fust a mon vueil ordonnee », Nantes, bibliothèque municipale, ms. 1337, fol. 1v. Pour Pierre Gringore, il faut consulter la seule étude d’ensemble existante : Charles Oulmont, Pierre Gringore. La poé­sie morale, politique et dramatique à la veille de la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 1911. À propos des entrées royales, voir Gordon Kipling, Enter the King. Theatre, Liturgy, and Ritual in the Medieval Civic Triumph, Oxford, Clarendon Press, 1998.

4. Sur les modifications de l’entrée royale, voir Josèphe Chartrou, Les Entrées solennelles et triomphales à la Renaissance (1484-1551), Paris, Presses Universitaires, 1928, et Lawrence M. Bryant, The King and the City in the Parisian Entry Ceremony : Politics, Ritual and Art in the Renaissance, Genève, Droz, 1986.

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LOUIS XII

nomiste. Le monnayage du teston fait découvrir le profil réel du souverain1. À cet art de la médaille, introduit par Louis XII en France, il faut ajouter la frappe de monnaies d’un nouveau style. Peu avant son sacre, Louis XII pose devant un peintre qui fait « au vif la peinture la figure du roy ». Conçue d’après ce portrait, au demeurant perdu, la première médaille de l’entrée royale de Louis XII à Paris offre du roi un profil de trois-quarts très singulier et, comparée à l’effigie funéraire du roi, prouve une volonté de ressemblante2. La monnaie commémorative diffuse donc l’effigie royale dont la facture s’affine grâce aux progrès de la gravure. Dès lors on re-connaît le visage du roi. On considère que la première médaille royale connue est celle offerte par la ville de Lyon en 1493 à Charles VIII et Anne de Bretagne, mais c’est uniquement lors du règne de Louis XII que l’idée de distribuer ces nouvelles monnaies « cultuelles » est conçue3. La passion pour les collections de portraits émerge de cette nouvelle possi­bilité de reconnaissance. Les visages se font familiers, on peut désormais identifier les traits des contemporains. Nous avons, par exemple, une sin­gulière série de seize médaillons dont les moulages en cire coloriée propo­sent entre autres les profils de Louis XII et d’Anne de Bretagne sur fond bleu (Écouen, Musée nationale de la Renaissance, Inv. E. Cl. 2050 et 2054), un programme de sculptures au château de Gaillon de Georges d’Amboise proposant un catalogue des figures contemporaines impor­tantes4, ainsi qu’une collection de dix-sept portraits italiens conservés à Amboise par la reine Anne de Bretagne que Jean Adhémar attribue à l’école de Léonard de Vinci5. Sans conteste, cette mode venue d’Italie connaît un vif succès au courant du XVIe siècle.

Quoique l’imprimerie ait été introduite en France vers 1470, les possi­bilités qu’elle offre n’ont pas véritablement été comprises par le pouvoir avant les règnes de Charles VIII et de Louis XII. On notera, en effet, que c’est seulement Charles VIII qui introduit le premier livre imprimé dans

1. Jean Lafaurie, Les Monnaies des rois de France, Paris, Émile Bourgey, 1951, vol. 1, pp. 127, 133-134. 2. Bernard Prost, « Présents d’orfèvrerie offerts aux rois et reines de France et aux souverains étrangers à l’occa­

sion de leur entrée à Paris 1424-1563 », Bulletin de la société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, 1891, p. 167. 3. Natalis Rondot, Les Médailleurs et les graveurs de monnaies, jetons et médailles en France, Paris, Ernest Leroux,

1904, pp. 81-82. 4. La Médaille en Europe du XVe siècle au XVIIIe siècle dans les collections du musée national de la Renaissance, textes

rédigés par Catherine Adam, Fabienne Audebrand et Thierry Crépin-Leblond sous la direction d’Hervé Oursel, Écouen, Musée national de la Renaissance, 1995, et Roberto Weiss, « The Castle of Gaillon in 1509-1510 », The Journal of the Warburg and Courtauld Institute, 16, 1953, p. 10.

5. Jean Adhémar, « Une Galerie de portraits italiens à Amboise en 1500 », Gazette des Beaux-Arts, 1280, 1975, pp. 99-104, voir également A. J. V. Le Roux de Lincy, Vie de la reine Anne de Bretagne femme des rois de France Charles VIII et Louis XII suivie de lettres inédites et de documents originaux, Paris, L. Curmer, 1861, vol. 3, p. 230 : « Autres (tableaux) de plusieurs personnaiges tirez au vif, prins sur le dit inventoire ». Le sujet est étu­dié par Stephen Perkinson, « From an “ art de memoire ” to the Art of Portraiture : Printed Effigy Books of the Sixteenth Century », The Sixteenth Century Journal, 33/3, 2002, pp. 687-723.

6. Ursula Baurmeister, « D’Amboise à Fontainebleau : les imprimés italiens dans les collections royales aux XVe et XVIe siècles », Passer les monts. Français en Italie – l’Italie en France (1494-1525), Xe colloque de la société fran­çaise d’étude du XVIe siècle, études réunies et publiées par Jean Balsamo, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 360.

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UN PÈRE DU PEUPLE IMAGINAIRE

la bibliothèque royale6, que l’usage des gravures sur bois n’est mis au ser­vice de la propagande royale qu’à la fin des années 1490 et1, surtout, que la « naissance » des bulletins d’information, ou occasionnels, qui révolution­nent les stratégies de diffusion, n’apparaît qu’au cours des guerres d’Italie2. Pleinement conscient de leur importance, Louis XII engage Noël Abra­ham, un imprimeur lyonnais, à publier et à distribuer ces occasionnels bon marché3. On trouve même des textes de propagande destinés aux Italiens comme une Frotola nova contra Venetiani probablement imprimée à Lyon à l’instigation du roi4. Signalons, que le premier privilège d’impression est accordé, selon Elizabeth Armstrong, en 1498, soit au tout début du règne de Louis XII5, et que, selon Cynthia J. Brown, Pierre Gringore est le pre­mier écrivain de langue française à obtenir, le 23 décembre 1505, un privi­lège visant à protéger son œuvre pendant toute une année6. Le premier procès en justice relatif à la propriété intellectuelle est également mené lors du règne de Louis XII7. Il en résulte que même si l’invention de l’imprimerie est bien antérieure à son règne, l’introduction de l’imprimé au service du pouvoir ne se confirme et ne s’organise systématiquement et légalement qu’au cours des premières années du XVIe siècle.

Il faut rappeler que certains ouvrages jouissent alors d’une diffusion exceptionnelle, soit à plusieurs milliers d’exemplaires. Une compilation de trois œuvres de Jean Lemaire de Belges est par exemple tirée en 1512 à près de « six mille volumes » (si toutefois on en croit l’auteur) ; or cette compilation inclut deux textes qui servent directement la cause du roi, La Légende des Vénitiens composée en 1509 contre Venise et Le Traicté de la dif­férence des schismes et des conciles de l’église dirigé contre le pape Jules II8. La popularité de ces livres aisément accessibles peut être illustrée par la men­

1. Le Revers du jeu des suisses, BnF, Ea 17 réserve, vol. 1, fig. 73. Voir The French Renaissance in Prints from the Bibliothèque nationale de France, catalogue d’exposition par David Acton, Suzanne Boorsch, François Boudon et autres, Los Angeles, Grunwald Center for the Graphic Arts, University of California, 1994, pp. 188-189.

2. Jean-Pierre Seguin, « L’Information à la fin du XVe siècle en France : pièces d’actualité imprimées sous le règne de Charles VIII », Arts et tradition populaires, 4, 1956, pp. 309-330, 1, 1957, 46-74 et du même L’Infor­mation en France de Louis XII à Henri II, Genève, Droz, 1961.

3. Richard Cooper, « Noël Abraham publiciste de Louis XII, duc de Milan premier imprimeur du roi ? », Passer les monts Français en Italie – l’Italie en France (1494-1525), Xe colloque de la société française d’étude du XVIe siècle. Études réunies et publiées par Jean Balsamo, Paris, Honoré Champion, 1998, pp. 149-176

4. Françoise Bonali-Fiquet, « La Bataille d’Agnadel dans la poésie populaire italienne du début du XVIe

siècle », Passer les monts Français en Italie, op. cit., pp. 231-232. 5. Elizabeth Armstrong, Before Copyright. The French Books Privilege System 1498-1526, Cambridge, Cam­

bridge University Press, 1990. 6. Pierre Gringore, Œuvres polémiques rédigées sous le règne de Louis XII, édition critique par Cynthia J.

Brown, Genève, Droz, 2003, p. 16. 7. Cynthia J. Brown, Poets, Patrons, and Printers Crisis of Authority in Late Medieval France, Ithaca, Londres,

Cornell University Press, 1995 et du même « The Confrontation Between Printer and Author in Early Six­teenth-Century France : Another Example of Michel Le Noir’s Unethical Printing Practices », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 53/1, 1991, pp. 105-119.

8. Le chiffre de six mille exemplaires apparaît dans une lettre de Lemaire à Louis Barangier du 28 mars 1512, cité par Anne Schoysman, La Légende des Vénitiens, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1999, pp. xxxviii. Au sujet de la mobilisation consciente et voulue de Jean Lemaire de Belges pour la cause française, voir sa dédicace à Guillaume Crétin dans le troisième livre des Illustrations, p. lxxii.

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LOUIS XII

tion dans l’inventaire après décès de Jean Jehannot qui nous apprend qu’en 1522 ce dernier conservait en magasin 750 exemplaires du Jeu du prince des sotz de Pierre Gringore. Cette quantité prouve, semble-t-il, que cette pièce à succès continuait à être appréciée longtemps après la fin du règne de Louis XII et nous oblige à reconsidérer l’idée que ces textes n’étaient que des écrits éphémères et circonstanciels1. Il faut dire que les rhétoriqueurs, qui ont été tirés de l’oubli et du dénigrement, ont été très actifs à la cour de Louis XII et bien plus populaires que la légende l’a laissé croire2. On peut citer parmi les plus prestigieux André de La Vigne, Jean Lemaire de Belges, Jean d’Auton, Guillaume Crétin, Symphorien Champier, Jean Bouchet et Jean Marot. La mobilisation de ces écrivains sous le règne du père du peuple est importante. Mais il ne faut pas oublier de rappeler que de nombreux poètes néo-latins ont également mis leurs plumes au service de la cour, le plus célèbre et le plus prolixe d’entre eux étant sans nul doute Fausto Andrelini, sans rien dire d’Antoine Forestier, de Valerand de La Varanne, de Ludovicus Helianus3, d’un certain Dardanus, de Jean Marso, de Simonella, ni de Quinziano Stoa et de nombreux autres dont les vers emphatiques sont aujourd’hui rarement lus et encore plus rarement édités.

En ce qui concerne le mécénat de Louis XII, il pâlit, certes, à la compa­raison de ceux des princes et nobles de son époque. Il embellit pourtant le château de Blois, dont la splendeur des jardins est admirée par toute l’Europe ; il soutient de grands artistes comme Jean Perréal et cherche à tout prix à faire venir Léonard de Vinci en France. On sait qu’il rapporte d’Italie de nombreux tableaux et manuscrits transformant la bibliothèque de Blois en l’une des plus importantes bibliothèques d’Europe4. Mais le roi ne se soucie aucunement d’exhiber son goût pour les arts, de sorte qu’on a le sentiment que ceux-ci n’occupent qu’une place mineure à la cour. Or, il n’en est rien et l’étude de l’imaginaire politique au temps de Louis XII prouvera suffisamment la richesse et la singularité de ce règne qui n’est en aucun cas la période d’un vide culturel5.

1. Alan Hindley dans la récente édition du Jeu du prince des sotz, Paris, Honoré Champion, 2000, p. 15. 2. Il faut citer bien entendu les travaux de Zumthor, Cornilliat, Jodogne, Joukovsky, Britnell, Brown,

Dull, Armstrong et de nombreux autres, voir Devaux, Jean Molinet, indiciaire bourguignon, Paris, Honoré Cham­pion, 1996, pp. 15-16.

3. Ludovicus Helianus que l’on rencontre aussi comme Louis Hélian ou encore Luigi Eliano ou enfin Ludo­vico Heliano.

4. Sur la bibliothèque, voir Pascale Thibault, La Bibliothèque de Charles d’Orléans et de Louis XII au château de Blois, Blois, Les amis de la bibliothèque de Blois, 1989 ; et Ursula Baurmeister et Marie-Pierre Laffitte, Des Livres et des rois. La bibliothèque royale de Blois, catalogue d’exposition, Paris, Bibliothèque nationale, 1992.

5. Comme le prétend André Chastel dans « French Renaissance Art in European Context », Sixteenth Cen­tury Journal, 12, 1981, pp. 93-94. À la question : « Why apparently nothing of importance took place at the end of the fifteenth century […] No orders were placed by royalty. No cultural impulse came from the prince’s circle […] no specific cultural dimension in the reigns of Charles VIII and Louis XII […] », Chastel répond : « one has the impression of a surprising void during half a century ». Il s’explique en trois points. Première­ment il n’y a pas encore de cour au sens moderne du terme ; puis il met en avant que c’est seulement à l’époque de François Ier que se cristallise le devoir de magnificence qui pousse la noblesse curiale à intensifier ses activités « culturelles » ; enfin, il incite le chercheur à envisager l’activité artistique hors des domaines traditionnels,

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UN PÈRE DU PEUPLE IMAGINAIRE

Cela dit, le caractère unique de la création artistique n’a pas été le seul argument qui m’ait conduite à Louis XII. La richesse des idées politiques fait en effet de ce règne un carrefour idéologique hors pair pour l’histoire des idées politiques en France. On a déjà schématiquement distingué les tenants d’une conception absolue du pouvoir des tenants d’une vision contractuelle de la monarchie, les précurseurs de l’absolutisme d’une part et les défenseurs d’une monarchie mixte et modérée d’autre part1. Pour le camp absolutiste, c’est la concentration des pouvoirs qui assure une poli­tique rationnelle et effective ; pour le camp « constitutionnaliste », les seules garanties valables de sagesse et succès sont, au contraire, les freins qui confinent l’autorité du roi et canalisent sa politique vers le nécessaire bien public. Ce débat, que je brosse ici très grossièrement, me semble important dans la mesure où la représentation du pouvoir n’est pas élabo­rée hors de cette controverse. La formation de l’imaginaire royal n’est, en effet, pas hermétique au climat idéologique. L’image du roi est l’inévitable écho des idéaux qui existent dans la société et qui véhiculent différentes approches de l’éthique et du politique. Elle n’exprime nullement ce que le roi pense de l’ordre du jour politique ni, par exemple, ce qu’il a à dire de la juste distribution des biens, des priorités économiques et des impératifs moraux. En revanche, elle donne, par le biais des images et du verbe, une idée de ce que l’écart entre la réalité du gouvernement et l’exemplarité du pouvoir suscite dans l’imaginaire contemporain. Replacer ce discours plu­rivoque au sein des polémiques contemporaines permet de déchiffrer le langage codé de la symbolique royale et de reconstruire les visions poli­tiques fabriquées par l’image du souverain.

Cette étude écarte le terme de propagande et l’idée d’une directive imposée par le gouvernement qui impliquerait une activité voulue et orchestrée du pouvoir afin de contrôler et exercer une influence sur l’opi­nion. L’image qui se crée du roi n’est pas toujours le fait du gouvernement souverain et n’a sans doute que peu d’influence sur l’opinion des sujets, laquelle, d’ailleurs, n’importe pas forcément à la classe dirigeante comme le laisserait supposer une perception moderne2. Plutôt que « propagande » je préférerai ici le terme d’art incantatoire défini par Gombrich3. Il est

comme la miniature et le vitrail, où l’on trouve quelques chefs-d’œuvre. Mais Chastel ne remet nullement en cause le constat d’une période d’hibernation culturelle et artistique.

1. Collard distingue trois voies : l’éthique, la contractuelle et l’absolutiste, mais reconnaît lui-même que les deux premières se confondent, et c’est ainsi que je comprends cette phrase : « la réflexion politique des années 1461-1515 offre deux options au royaume », op. cit., p. 230. J. R. Major préfère parler de monarchie consultative, voir Representative Institutions in Renaissance France, 1421-1559, Madison, University of Wisconsin Press, 1960.

2. La notion de propagande est centrale dans l’analyse de Michael Sherman, The Selling of Louis XII. Propa­ganda and Popular Culture in Renaissance France, 1499-1514. Thèse de doctorat, University of Chicago, 1974.

3. « The art of imposing a pattern on reality », in « Renaissance and Golden Age », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 24, 1961, p. 307.

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Le présent ouvrage est publié avec le soutien de la Région Rhône-Alpes

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