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  • 157

    Ce que l'on appelle l'identit ou l'tat

    de participation mystique signifie que tout ce qui est

    mai ntenu dans l'inconscient est projet, c'est--dire non

    intgr. En tat de projection, nous sommes soit attirs,

    soit repousss. Un contenu inconscient demande d'entre r en

    contact avec nous ou de passer la conscience. Le So i

    contient tous les opposs et cette notion de plrme

    caractrise ce qui n'est pas encore pntr de la

    conscience humaine. C'est le point de vue de Jung, car

    selon la tradition spirituelle, il n'y a pas d'opposs dans

    l'me ou l'atman ou le Soi; ces opposs n'existent que pour

    le mental qui spare tout. Cependant, tant toujours relis

    entre eux, plus la sparation des contenus conscients et

    inconscients est grande, plus la tension due ce clivage

    bien sr leve. Derrire ces opposs toutefois, le Soi

    pousse la ralisation d'une totalit. prside au

    dynamisme de l'nergie psychique.

    C'est la raison pour laquelle il est dit qu'en unissant

    les opposs, le Soi va se manifester. Dans le symbolisme de

    la messe tir de son ouvrage Les Racines de la

    consciene, 201 il y a ce rite de l'eucharistie illustrant le

    moi est sacrifi et processus d'individuation o le

    transform par le Soi. l'inverse, l'inconscient aussi est

    sacrifi au moi en renonant sa transformation pour

    s'incarner dans une existence finie. La souffrance du

    Christ dcrit alors un processus archtypique plutt qu'un

    vcu littral ou historique.

    201 C.G. Jung, Les racines de la conscience, p.237-260

  • 158

    L'exprience de Dieu en nous-mme signifie pour J ung

    que la foi n'est plus coupe de l'exprience de la v ie

    symbolique. Les ides de cration, de trinit, de chute, de

    sacrifice, de mort ou de rsurrection ne sont ici que l'ex

    pression de l'inconscient.

    Le mythe jungien, car il s'agit bien d'une mytho l ogie

    et non d'une science, dfinit cette volont de l'humain

    tre conscient de la divinit en lui et cet t e volont du

    divin s'incarner, devenir humain ou conscience humaine.

    Si le Christ sauve l'homme, l'alchimiste sauve Dieu.

    Prcisons que le divin ne s'incarne pas seulement dans

    l'homme. Dieu se manifeste partout. Ces nergies contraires

    mais divines, nous dit le thrapeute, sont rintroduire

    dans l'humain. La matire fait partie de notre ralit.

    Mme chose pour le fminin, c'est--dire la rceptivit

    plutt que le pouvoir religieux ~ la rationalit et la

    domination. Jung d'ailleurs se rjouit de l'adoption du

    dogme de l'assomption de Marie, en 1950, par l'glise.

    C'est un pas vers plus d'intgration. En somme, ' Jung met

    l'accent sur l'ombre car plus largement cette notion

    englobe la femme, la matire avec le corps et la sexualit.

    Nous examinerons d'une faon plus globale cette notion

    d'ombre dans le prochain chapitre, mais arrtons-nous un

    instant pour souligner le rapport de la divinit et de la

    matire ou le rle de la nature dans l'uvre du psychiatre

    suisse. Cela parce que 1' unus mundus , 202 l'expression

    202 Le concept de synchronicit que nous dfinirons plus loin se rfre un aspect unitaire de l'tre transcendant la conscience auquel Jung a donn le nom d' unus mundus. C.G. Jung, La voie des profondeurs, p.312

  • 159

    latine dsignant l'unit du monde, caractrise la mys tique

    jungienne et la distingue du mme coup de l'exprience que

    nous rapportent les grands mystiques de l'Orient e t d e

    l'Occident. Nous ne pouvons donc passer sous silence cet te

    perspect ive de l'individuation.

    L'exprience mystique pour plusieurs, ceux que no us

    connaissons tout l e moins, est indfinissable. Elle ne

    peut donc tre dite l'aide de concepts ou de

    qualificatifs humains. C'est la raison pour laquelle le

    bouddhisme parle de l'exprience du vide et chez-nous,

    en Occident, matre Eckhart dcrit l'exprience du divin en

    ces termes tr"e vide de toutes les cratures c'es t

    tre plein de Dieu .203 Ainsi, Dieu est dpouill de toutes

    les qualits de ce mond~.

    Le Dieu de Jung est tout le contraire. Bien sr, il est

    aussi un inconnaissable, mais travers celui-ci vont

    merger et seront prsentes toutes les qualits de ce

    monde. L'exprience jungienne du Soi passe par le rve. On

    interroge les symptmes, on recherche le sens des pulsions

    et tous les opposs de la vie sont pris en considration.

    L'instance psychique du Soi se dfini t comme un archtype

    de l'orientation et du sens. C'est une perspective

    nergtique allant graduellement vers plus " de conscience.

    C'est un Dieu potentiel cherchant raliser sa pleine

    conscience. L'image de Dieu est ressentie, projete et

    commente par le thrapeute qu'est Jung.

    203 Matre Eckhart, Von abgeschiedenheit, Trait sur la solitude, trad. par Luigi Aurigemma, Perspectives jungiennes, p.239.

  • 160

    Une telle perspecti ve suppose que l' homme n'est plus

    soumis au canon de l'glise. La transcendance que prne le

    clerg est pathologique pour Jung en nous dracinant de

    l'me. Le plan divin est maintenant celui de l'inconscient

    compensatoire avec ce qu'il offre de finalit, de sens et

    d'orientation. La collaboration du moi et de l'inconscient

    ou de l'homme Dieu est une pratique de la substance mme

    de l'exprience mystique. Cependant, si la

    la

    voie de

    l'individuation s'carte du cadre de thologie

    occidentale, le processus dpeint par Jung n'est pas pour

    autant quivalent celui de la tradition mystique.

    La voie de l'individuation o le moi est associ au

    Soi, comme le souligne Luigi Aurigemma,204 traducteur de

    l' uvre de Jung en italien, est en partie analogue la

    relation de l'atman et du brahman hindou o l'homme

    individuel s'identifie Dieu.

    L'individuation est une ouverture l'exprience

    mystique que Jung considre avec respect si l'on tient

    compte de son intrt pour l'Orient et matre Eckhart.

    L'exprience de ce dernier cependant dpasse le modle

    psychique de Jung. La voie jungienne est dfinie de la

    faon sui vante : ... l'exprience mystique est l'exprience

    des archtypes . 205 En tant que. scientifique, la

    supraconscience n' .est pas une vidence pour Jung.

    L'approche empiriste qu'il prconise lui permet tout au

    plus d'affirmer ou de constater que l'homme est le rsultat

    d'un processus phylogn~ique. Ainsi, notre mode de

    204 Luigi Aurigemma, Perspectives jungiennes, p.231-259 205 GW 18, T.I, paragr. 218, trad. par John P. Dourley, La maladie du christianisme, p.198

  • 161

    connaissance est rattach ce support somatique et

    psychique, fruit de notre hrita~e.

    Ce complexe psychique qu'est le moi incarne l'aspect

    lumineux ou la conscience du Soi mais, dans sa nature

    originelle,

    d'tre o

    reprsents.

    le Soi habite une zone dite psychode, un degr

    les phnomnes psychiques ne sont pas

    C'e'st un tat o l'inconscience prdomine et

    non la supraconscience. Jung croi t cependant qu' travers

    au Soi, qui est d'orienter et le dynamisme propre

    d'assigner un sens, 'les antagonismes de l'nergie de la

    conscience et des obscurits du psychode arriveront

    progressivement une polarisation.

    L'exprience jungienne du Soi, sur laquelle nous allons

    maintenant nous pencher, se situe donc au niveau d'une

    convergence de la ralit matrielle et psychique. C'est ce

    que symbolise le mandala. L'individu s'identifie 'la

    source de sa personnalit comme au fondement de toute

    existence empirique. Le Soi, la nature et l' humanit ont

    pour source commune ce fondement ternel. L'inconscient est

    personnel mais encore relationnel, si l'on considre cette

    connexion cette source. L'inconscient, est-il dit:

    ... dont l'ampleur est indtermine et auquel on ne peut

    assigner de limites .206 Il y a donc un centre de la psych

    qui est la fois le centre de la vie individuelle et de

    1 ' univers : L' homme inconscient est reli son centre

    qui est en mme temps le centre du tout et ainsi doit tre

    206 C.G. Jung, Les racines de la conscience, p.399

    -------------------------------------------------------------------------------------------- - - --

  • 162

    atteint le but de la rdemption et de l'lvation de

    l' homme . 207

    L'exprience

    d'interprtation

    du Soi, au-del du travail analytique

    et d'ajustement ses difficults

    personnelles, peut cependant, au cours d'un vcu personnel,

    rappeler ces instants de contact avec le divin dont

    tmoignent les mystiques. Jung fait allusion ce Dieu

    noumne

    l'avons

    vu

    maintes reprises

    dans la premire

    dans ses crits,

    partie de notre

    comme

    thse.

    nous

    Nous

    nous sommes penchs sur la question de l'immanence du divin

    en tab l issant des parallles sur la relation de l'me

    Dieu chez matre Eckhart par rapport l'interaction du moi

    et du Soi chez Jung. Dieu ne peut tre le tout autre,

    disions-nous. Il ne peut tre seulement extrapsychique

    puisque l'exprience du Soi a lieu en nous, c'est--dire au

    sein mme du psychisme.

    Dans le cas qui nous occupe toutefois, l'exprience de

    la vie symbolique opre par le biais du monde extrieur et

    offre ainsi un parallle frappant avec la mystique taoste.

    Dans son ouvrage sur la synchronicit, crit en 1952, Jung

    constate que les catgories rationnelles du temps et de

    l'espace cessent d'tre pertinentes pour expliquer ce

    phnomne. Afin de saisir le phnomne de la synchronicit,

    Jung nous renvoie ce dogme taoste : Qui possde la

    vri table intelligence [ ... ] use de son il intrieur, de son

    oreille intrieure pour pntrer les choses, et n' a pas

    207 Ibid, p.354

  • 163

    besoin de les connatre par l'entendement .208 L'ide

    mtaphysique d'unus mundus, symbolise par le mandala sur

    le plan ps'ychologique, est reprsente sur un plan

    parapsychologique avec l'ide de synchronicit.

    Penchons-nous maintenant sur la collaboration du moi et

    du Soi, non pas sur le plan de l'introversion mais, par une

    approche plus extravertie, dans le rapport de l' indi vidu

    avec les vnements extrieurs travers l'ide de

    synchronici t, puisque le Soi se manifeste aussi dans la

    matire. Nous proj etons l'image de Dieu sur l'ide d'un

    monde unifi, un monde o la nature est relie ou anime

    par l' intelligence divine.. Si le Soi tradui t un processus

    d'autorgulation travers la symbolique du rve, il nous

    interpelle aussi par le monde extrieur. Ce type

    d'vnement ou de concidence signifiante est appel par

    Jung phnomne de synchronicit.

    208 C.G. Jung, Synchronicit et paracelsica, p.81-82

  • 164

    d) La participation de l'homme :

    Dieu et la nature : une approche extravertie.

    L'ide d'une unit du monde n'est pas trangre la

    pense occidentale. Ds la naissance des sciences de la

    nature, l'poque de la Grce antique, nous assistons

    une transformation de l'image de Dieu. Les anciens ont

    labor des figures anthropomorphiques ou encore ont

    reprsent des tats d'me sous forme de projections sur

    des dieux, des dmons, des plantes. Pensons ici au dieu

    Aphrodite-Vnus pour la passion amoureuse, au dieu Ars-

    Mars reprsentant la colre ou Saturne que l'on identifie

    la dpression. Ils ont mis ensuite sur l'ide d'un

    principe premier et universel pour expliquer le monde.

    Plusieurs philosophes grecs recherchent un fondement .divin

    et unique l'univers.

    En termes psychologiques, Marie-Louise Von Franz 209

    souligne que ces penseurs projettent, dans un premier

    temps, leurs propres complexes sur une me cosmique.

    Ensuite, un changement significatif s'opre lorsque l'ide

    d'un lment fondamental sur lequel l'univers se constitue

    entre en jeu. Le philosophe Thals .de Milet210 dclarait que

    l'lment eau tai t la substance primordiale la base de

    tout. Hraclite211 parle du logos ou l'ide d'un feu

    cosmique.

    209 Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.85-1 05 210 Les penseurs grecs avant Socrate, Thals de Milet, Cicron (De Deorum natura, n.!, 10,25). 211 Les penseurs grecs avant Socrate, Hraclite d'phse, 1,7,22 (Dox.303).

  • 165

    Avec Leucippe 212 et Dmocrite,213 les atomes sont au

    premier plan et pour Empdocle,214 l " ul time fondement se

    trouve dans la thorie des quatre lments.

    Dans l'Antiquit, la relation de la matire au monde

    spirituel n'offrait pas la dichotomie que pose le r legard

    cartsien. Plus encore, ajoute Mme Von Franz, il n'y ava i t

    pas chez les Grecs une distinction bien nette entre leur

    principe spiri tuel et la matire, de telle sorte qu'ils

    supposaient leur principe matriel ,dot d'esprit.

    Depuis Descartes, la coupure est nette entre l'esprit

    et la matire. N'oublions pas que Bergson eut une influence

    trs grande sur le rveil de la conscience spirituelle.

    Pour sa part, Jung nous parle d'un archtype '

    reprsentant la divinit qu'il dcouvre par l'exercice de

    l'imagination active, c'est--dire travers le dessin

    libre, spontan, sans but aucun. Il appelle mandala cette

    reprsentation psychique. C'est une forme circulaire que

    l'on retrouve un peu partout et qu'il identifie . des

    reprsentations du Soi. Ce symbole est trs important pour

    Jung comme il le dit la fin de sa vie : Je savais que

    j'avais atteint, avec le mandala comme expression , du Soi,

    la dcouverte ultime laquelle il me serait donn de

    parvenir. Un autre en saura peut-tre davantage, mais pas

    212 Les penseurs grecs avant Socrate, Leucippe, Diogne Larce, IX. 213 Les penseurs grecs avant Socrate, Dmocrite, Fragments 167,168 et Atius, 1,3,16 (Dox.285). 214 Les penseurs grecs avant Socrate, Empdocle d'Agrigente, 1,3,20 (Dox.286).

  • 166

    moi .215 Mentionnons au passage que les expriences

    mystiques que Jung nous partage la fin de sa vie ne

    tiennent pas compte du mandala.

    En ,somme, Jung s'intresse, avec une mthode

    rigoureuse, l'tude de ces formes circulaires. Le mandala

    est pour lui un phnomne psychologique, c'est--dire une

    forme universelle que produit l'inconscient collectif

    toutes les poques et dans toutes les civilisat ions. Le

    sens de ce symbole est l'quilibre de l'individu.

    certains moments, l'unit de la conscience est menace par

    la dissociation ou la , dsunion des forces conflictuelles en

    nous-mme,

    mandala :

    provenant, crit Jung en 1951 au sujet du

    du conflit entre le conscient et l'inconscient et de la confusion qui en rsulte. Empiriquement, cette confusion a la forme d'une instabili t et d'une dsorientation. Le symbolisme du cercle et de la quaternit apparat ce point comme un principe compensatoire d'ordre, qui peint l'union des opposs en conflit comme si elle tait dj accompli et facilite ainsi le chemin vers un tat plus sain et plus apais. Actuellement, la psychologie ne peut pas tablir plus que ceci : les symboles de totalit signifient la totalit de l'individu. Par ailleurs, il faut non seulement avouer, mais encore mettre en vidence le fait que ce symbolisme utilise des images et des schmes qui ont toujours, dans toutes les

    215 C.G. Jung, Ma vie, p.229

  • 167

    religions, exprim le Fondement universel, la Dit elle-mme. 216

    Dans les temples bouddhistes, on remarque que le

    bouddha est reprsent par une roue douze rayons. Du ct

    de notre tradition, on retrouve le Christ au centre d'un

    mandala, entour des symboles des quatre vanglistes. Jung

    observe ce symbole peu prs dans toutes les cultures.

    Avec la philosophie grecque de la nature, lorsque la

    pense scientifique prend naissance, une nouvelle image du

    divin apparat avec des reprsentations sphriques. Plutt

    que les divinits personnifies du panthon grec, l'image

    de Dieu, selon Marie-Louise Von Franz,217 sera maintenant

    projete sur l'ide d'un fondement ultime et commun tous

    les tres. Ce fondement est touj ours reprs"ent par une

    forme circulaire ou sphrique. notre connaissance, les

    gyptiens ne font pas mention exagrment de ce symbole.

    Ils vnrent le Dieu soleil, sans plus. L'rudit Jung nous

    rapporte cependant dans son Commentaire sur le Mystre de

    la Fleur d'Or que l'gypte ancienne reprsente le dieu

    solaire Horus au centre d'une figure circulaire entour de

    ses quatre fils. Concernant les Amrindiens, certes, le

    cercle est un symbole " bien prsent. On parle d'une sphre

    intelligible dont le centre est partout et la circonfrence

    nulle part. 218 Cependant, cela fait davantage rfrence

    l'unit insparable entre la chane des tres qu'au divin.

    216 C.G. Jung, Aon, p.304 217 Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.89-93 " 218 Joseph Campbell, Les mythes travers les ges, p.52-53

  • 168

    Les premiers philosophes de la nature ont pour qute

    l'tre cosmique, avec pour but, l'lucidation de sa

    substance fondamentale. Ainsi, Parmnide 219 utilise le

    symbole de la sphre pour reprsenter la totalit de

    l'tre. Dans le panthisme des orphiques, le divin est

    encore une forme sphrique se dfinissant comme embrassant

    toutes choses depuis le dbut~ le milieu et la fin. Mme

    chose avec Empdocle22o pour qui ros gouverne un cosmos

    infini et partout identique lui-mme. L'apeiron (le sans-

    limite) d'Anaximandre 221 est un principe cosmique. Ce n'est

    pas un cercle. Cependant, le centre du monde pour celui-ci

    est sphrique et circonscri t tout le cosmos. Xnophane 2 22 ,

    pour sa part, a traduit Dieu comme tant partout et

    toujours identique, limit mais sphrique.

    Chez Platon et Plotin, le cosmos est peru comme une

    sphre parfai te. Le mouvement de l'me et l' espri t est,

    pour eux, circulaire. L'un est le centre et l'me du monde

    est l'enveloppe sphrique.

    La divinit est la fois ce qui est au centre et ce

    qui embrasse tout. Eckhart, De Cues, Boehme et Bruno ont

    aussi utilis ces images primordiales pour reprsenter le

    cosmos, l'me du monde ou encore la divinit. Toutefois, la

    science a vite laiss tomber ces images, surtout l'poque

    219 Les penseurs grecs avant Socrate, Pannnide d'le, Atius, l, 7,26 (Dox.303). 220 Les penseurs grecs avant Socrate, Empdocle d'Agrigente, Fragments, 17,18,19,20,22. 221 Les penseUrs grecs avant Socrate, Anaximandre, Aristote: Physique, 203 b.6 et Atius, II, 13,7 (Dox.342). 222 Les penseurs grecs avant Socrate, Xnophane de Colophon, Simplicius. (Phys.5). Thophraste (Op. Phys., fr.5 Dox.480).

  • 169

    de Jung : James Jeans disait que le monde ressemble plus

    une pense qu' une matire. Dans son livre Dieu et la

    science, Jean Guitton affirme que ... l ' univers qui nous

    entoure devient de moins en moins matriel: il n'eBt p l us

    comparable une immense- machine, mais plutt une vas t e

    pense.223 Bohm224 pa.rle du monde pli (invisible) et dpli

    (visible). Soulignons que David Bohm est un marginal, non

    reprsentatif de la plupart des savants.

    Enfin, cette fameuse sentence souvent prsente dans la

    mystique chrtienne n'est-elle pas ce qui correspond le

    mieux la faon dont Jung se reprsente le divin : Dieu

    est une sphre spirituelle dont le centre est partout et la

    circonfrence nulle part .225 Toutefois, le thologien John

    P. Dourley, dans un ouvrage fort intressant, La maladie du

    christianisme, souligne que selon l'interprtation

    Jung :

    le mandala ne dcrit pas seulement Dieu comme un cercle dont le centre est partout et la circonfrence nulle part (selon l'allgorie de Bonaventure), mais il dfinit aussi le centre comme un point-milieu entre les opposs. Une telle image met l'accent sur la nature binaire de la rali t. Si la ralit est fai te de contraires, en effet, tout investissement existentiel ou nergtique dans l'un ou l'autre de ces opposs conduit

    223 Jean Guitton, Dieu et la science, p.17 224 John Briggs et David Peat, L'univers miroir, p.97-150 225 C.G. Jung, Mysterium conjunctionis, Tome l, p.81

    de

  • l'unilatralit, psychologiques, la nvrose. 226

    ce qui, quivaut

    en termes toujours

    170

    En somme, ajoute Dourley, le mandala reprsente le

    caractre immanent de la divinit dans la psych

    individuelle mais du mme coup, il fait natre un sentiment

    de transcendance puisque le moi tend vers l ' unit en se

    rapprochant de ce centre di vin. C'est l tout le sens de

    l'individuation ou de la transformation de la conscience en

    la totalit selon Jung :

    L'unit de l'homme ralise par un procd magique signifie [ ... ] la possibilit de produire galement l'union avec le monde, non pas avec la ralit multiple que nous voyons, mais avec un monde potentiel qui correspond au fondement ternel de toute existence empirique, tout comme le Soi est le fondement et la source originelle de la personnalit et comprend cette dernire dans "le pass, le prsent et l'avenir. 227

    Voyonsmai?tenant ce qu'il en est de l'intrt de Jung

    pour l'exploration de cette image de Dieu dans la nature

    travers l'ide de synchronicit. Le mandala, comme nous

    l'avons mentionn prcdemment, renvoie la psychologie,

    au contenu psychique. Le principe de synchronicit, quant

    lui, mise sur l'aspect parapsychologique, comme l'affirme

    Jung, pour caractriser l'aspect dynamique du Soi, se

    manifestant dans les vnements matriels.

    226 John P. Dourley, La maladie du christianisme, p.96 227 C.G. Jung, Mysterium conjunctionis, Tome II, p.338

  • 171

    La synchronicit et la psychologie

    Dans les annes cinquante, les cri ts de Jung sur la

    synchronicit et l'Unus Mundus sont un approfondissement de

    cette projection de l'image que l'homme se fait de Dieu ou

    l'apparence humaine de Dieu. La distance entre l ' univers

    psychique et physique est ici trs rduite. Dans une lettre

    du 2 janvier 1957, Jung crit une correspondante:

    Le corps du monde et sa psych sont un reflet du Dieu que nous nous reprsentons. La scission qu'il Y a dans cette image est un artifice invitable de la conscience, sans lequel rien, tout simplement, ne pourrai t devenir conscient; mais on ne peut pas prtendre qu'il en est effectivement ainsi dans la rali t elle-mme. Nous avons plutt toutes les raisons de supposer qu'il doit n'y avoir qu'un seul univers, dans lequel psych et matire sont une seule et mme chose, dans lequel nous pratiquons une discrimination aux fins de la connaissance. 228

    Le concept de synchronicit229 se dfinit de deux

    faons. D'une part, il s'agit d'une correspondance ou d'une

    concidence significative entre un vnement psychique et

    un vnement physique qui n'ont pas de rapport causal entre

    eux. De tels cas se prsentent, par exemple, lorsque des

    phnomnes intrieurs comme des rves, des visions ou des

    228 C.G. Jung, Le divin dans l'homme, p.119 229 Afm de dfmir le concept de synchronicit, nous utiliserons principalement trois ouvrages : Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, C.G. Jung, Synchronicit et paracelsica, et mon mmoire de matrise, Le principe de synchronicit chez C.G. Jung.

  • 172

    prmonitions offrent une correspondance avec la ral i t

    extrieure.

    D'autre part, il s'agit d'une correspondance entre des

    rves, ou encore entre des ides identiques ou analogues

    qui se manifestent diffrents endroits, simultanment .

    Ici encore, ce phnomne ne peut pas s'expliquer ,par un

    processus causal. L'histoire de la science comporte de

    nombreux exemples de dcouvertes simul tanes _ Je mentionne

    ici le clbre cas concernant Darwin et sa thorie sur

    l'origine des espces

    Alors qu'il y travaillait, il reut un manuscrit d'un jeune biologiste qu'il ne connaissait pas, A.R. Wallace, qui tout en tant plus succinct, tait l'expos d'une thorie analogue celle de Darwin. Or, Wallace se trouvait ce rnoment-l aux Moluques en Malaisie. Il connaissait , Darwin en tant que naturaliste, mais n'avait pas la moindre ide du genre de recherches thoriques dont il s'occupait ce moment. 230

    La connexion de ces vnements semble provenir de leur

    relative simultanit. Il apparat ici que le temps doit

    tre compris comme un continuum concret et non comme une

    simple abstraction. On suppose que certaines quali ts ou

    conditions fondamentales du se manifestent

    simultanment en diffrents

    temps

    lieux. Le concept de

    synchronicit rfre donc une concidence, dans le temps,

    230 C.G. Jung, L'homme et ses symboles, p.306

  • 173

    de deux ou plusieurs vnements, non relis causalement.

    Ces derniers sont lis par le sens, c'est--di~e qu'ils ont

    un mme contenu significatif.

    Notre entendement a du mal concevoir que des

    vnements acausals puissent exister. Notre conviction bien

    enracine en la toute-puissance de la causalit nous porte

    penser que les concidences significatives sont le fruit

    du hasard. Cependant, la multiplication de ces

    correspondances et de leur exactitude peut atteindre un

    point o nous n'avons plus la lgitimit de les considrer

    comme de simples hasards. Selon l'observation de Jung,

    certaines d'entre elles seront envisages comme des

    arrangements acausals.

    Le dynamisme de la psych, comme nous l'avons vu

    prcdemment, vaut galement pour les phnomnes de

    synchronicit. Il a pour fonction de mettre en branle un

    mcanisme de compensation lorsqu'un foss trop marqu

    apparat entre le comportement conscient d'un individu et

    l'activit de l'inconscient. Lorsque des contenus

    inconscients ne parviennent pas s'intgrer la

    consclence, ces derniers peuvent se manifester de faon

    dtourne par le biais de phnomnes parapsychologiques. De

    mme que l'inconscient peut li vrer son message par

    l'intermdiaire du rve, il. peut tout aussi bien manifester

    sa prsence par des vnements synchronistiques. Plus

    l'attitude consciente s'loigne du langage des instincts,

    plus forte sera la manifestation de l'inconscient. Les

    effets psychiques dclenchs seront proportionnels la

  • 174

    tension rsultant de l'attitude consciente. L'inconscient

    se manifestera avec d'autant plus de force qu'il est tenu

    l'cart. Tout en gardant son autonomie, le moi doi t cder

    aux appels de sa nature profonde. Certaines traditions

    spirituelles insistent sur le fait que la vie est un

    apprentissage de la non-rsistance. L' homme se perd dans

    l'illusion goste de croire qu'il est l'unique acteur de

    sa vie, alors que les mouvements profonds de sa nature lui

    chappent. L'ternel conflit entre l'acceptation et le

    refus est d'ailleurs le propre de toute vie mystique.

    d'o mane tout le

    le reconnat dans

    Le Soi est le centre rgulateur

    dynamisme de l'activit psychique. On

    toutes les religions avec la figure

    reprsente le guide intrieur de l'homme.

    du mandala. Il

    Le but de la vie

    consiste, pour le moi, devenir de plus en plus docile aux

    messages du Soi. L'esprit conscient ne peut suivre

    indfiniment ses impulsions propres. Le processus naturel

    de maturation psychique l'incite cooprer davantage avec

    sa nature profonde. Le moi doit renoncer ses fins pour se

    soumettre aux rvlations de l'inconscient. Lorsque la

    conscience est trop influence par des prjugs et des

    fantasmes de toutes sortes, la vie de l' indi vidu devient

    plus ou moins artificielle. L'loignement des instincts

    amne ce que Jung appelle, rappelons-le, le phnomne de

    dissociation nvrotique. Il crit en 1916 que: ...

    l'inconscient ne devient dfavorable et dangereux que parce

    que nous sommes en dsaccord avec lui, donc en opposi tion

    avec des tendances majeures de nous-mmes ... les dynamismes

  • 175

    de l'inconscient sont identiques l'nergie des

    instincts .231

    Afin de trouver l'quilibre ou la stabilit mentale,

    le conscient et l'inconscient doivent vo l uer

    paralllement. En somme, il s'agit de conscientiser les

    informations fournies par les rves et les vnements

    synchronistiques. Ce cheminement intrieur vise la

    ralisation d'une personnalit plus mature et plus riche.

    Bref, en explorant la psychologie des phnomnes

    inconscients, il est vite apparu Jung que les images du

    dedans ont leur cho au dehors. L'tre humain n'est plus

    mur en lui-mme, non plus qu'il n'est victime de

    projections dformantes. Des coincidences signifiahtes se

    multiplient, le songe et l'vnement se refltent

    mutuellement, si bien que s'impose la prsence de deux

    ralits semblables ou plutt, d'une ralit unique dans

    ses aspects psychiques et physiques. 232 Une fois de plus,

    l'ternel problme dialectique de l'esprit et de la matire

    refait surface. Dans les annes 1940, en explorant la

    tradition alchimique occidentale, Jung emprunte aux anciens

    la notion d'Unus Mundus pour dsigner l'unit du monde

    intrieur et extrieur. Il en vient considrer cette

    union comme le but ultime de ce qu'il a dnomm d.ans ses

    crits, le processus d'individuation . Un des principaux

    registres de l'uvre jungienne traite du mystre de la

    conjonction.

    conjunctionis.

    L'ouvrage porte

    231 C.G. Jung, Psychologie de l'inconscient, p.198 232 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.12-20

    le titre de Mysterium

  • 176

    Le phnomne de la synchronicit fait donc partie de

    l'exploration du Soi. Il traduit ce que suggre

    l'inconscient tout comme le rve.

    La synchronicit et l'Orient

    C'est en tudiant la pense orientale, plus prcisment

    en s'initiant au mode de fonctionnement du Yi-King, que

    Jung a pu exprimenter le phnomne de synchronici t. Ce

    procd divinatoire permet un individu d'identifier le

    texte ou l' hexagramme du Yi-King en rapport avec son vcu

    propre. Pendant plus de vingt ans, Jung constate le

    phnomne mais, crit-il en 1949 :

    Jusqu'ici je m'tais exprim une seule fois sur le problme du Yi-King. C' tai t dans mon hommage la mmoire de Richard Wilhelm. Le reste du temps, j'avais observ un silence plein de discrtion. 233

    Trois ans plus tard, il fera ainsi le point sur ce

    phnomne :

    Si dans ce qui suit je demande mon public une dose inaccoutume d'ouverture intellectuelle et de disponibilit, je le prie de ne pas y voir de ma part quelque arrogance. Non seulement j'attends de mon lecteur qu'il me suive dans des rgions obscures et problmatiques de

    233 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.14

  • l'exprience humaine, dont l'accs est barr par des pre]ugs, mais encore j lui impose les difficults qu'il y a pour la pense traiter et clairer, prcisment un obj et aussi abstrait ... mais d'une importance philosophique extrme, en tant que psychiatre et psychothrapeute j'ai souvent t mis en contact avec les phnomnes en question, et j'ai pu notamment mesurer avec certitude tout ce qu'ils signifient dans l'exprience intrieure de l'tre huma in. Ils' agi t en e f f et lep lus souvent de choses dont on ne parle qu' voix basse, afin de ne pas les exposer la raillerie de l'irrflexion. Je n'ai cess de m'tonner du grand nombre de gens qui ont connu des expriences de ce genre, et du soin qu'ils mettaient garder le secret de l'inexplicable. C'est pourquoi les raisons que j'ai de m'intresser ce problme ne sont pas seulement scientifiques, mais galement humaines. 234

    177

    Une fois de plus, on remarque l'intrt du thrapeute

    pour des proccupations bien humaines. Jung est donc trs

    conscient de l'tranget de ses vues par rapport au monde

    scientifique qui l'entoure. Cependant, l'ordre acausal de

    l'univers chinois, soit le taosme, et sa dcouverte de

    l'inconscient collectif offre de multiples convergences. Du

    fait de ces nombreux rapprochements, Jung vnre

    richesse de cette civilisation :

    On ne peut traiter par le mpris de grands esprits comme Confucius et Lao-Tseu... on ne peut encore moins

    234 C.G. Jung, Synchronicit et paracelsica, p.21-22

    la

    - - - - - ---- - ----- --

  • omettre de voir que le Yi-King fut leur principale source d'inspiration. Je sais que je n'aurais pas os dans le pass m'exprimer de faon si nette en une matire si incertaine. Je prends ce risque parce que je suis maintenant dans ma hui time dcennie et que les opinions changeantes des humains ne m'impressionnent . plus: les penses des vieux matres ont pour moi plus de valeur que les pre]ugs philosophiques de l'esprit occidental. 235

    178

    Ce passage est important. Jung a 74 ans au moment o il

    crit ce texte. Il prend position pour la pense de vieux

    matres tels que Lao Tseu, un mystique de la premire

    heure. Il porte aussi un intrt pour un ouvrage non

    scientifique, tel que le Yi-King. Enfin, ses propos

    concernant son dtachement par rapport aux opinions

    d'autrui sont trs vocateurs. Jung est soucieux de s'en

    tenir une dmarche scientifique. Toutefois, ses intrts

    pour la mtaphysique sont manifestes. Bref, en observant .

    les phnomnes inconscients, Jung constate l'insuffisance

    du principe de causalit pour rendre compte de ces

    phnomnes psychologiques parallles. Il recherche un autre

    principe explicatif qu'il dcouvrira finlement dans la

    civilisation chinoise. Ce principe d'ordre de l-'univers

    appel Tao embrasse ce principe de connexion acausale.

    Toute vie mane du Tao. Tout ce qui vient l'existence

    procde de lui. Dans son acception usuelle, 'il signifie

    voie ou chemin . Tout ce que l'on retrouve dans la

    nature obit une dualit. La lumire et l'ombre, le repos

    235 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.l5

  • 179

    et l'activit, la chaleur et le froid, l't et l'hiver, le

    jour et la nuit sont autant de contrastes qui manifestent

    le Tao. C'est pour cette raison d'ailleurs que l es

    principes du yin et du yang ont un rle essentiel dans l a

    philosophie chinoise. Ce couple reprsente les deux aspects

    antagonistes de l'univers. Le mouvement de la nature

    rsulte d'une relation entre deux forces complmentaires.

    Tout ce qui intervient dans l'organisation du monde possde

    des qua l its yin ou yang. En dressant des correspondances,

    les Chinois ont reconnu que le microcosme et le macrocosme

    sont rgis par une seule et mme loi. Le petit univers de

    l' homme est analogue au grand univers qui nous entoure. La

    caractristique . principale du 'Tao est sa nature cyclique.

    Ce cycle de va-et-vient (expansion/contraction) est

    reconnaissable dans les si tuations humaines, de mme que

    dans le monde physique. Dans la nature extrieure comme en

    chacun de nous, il est loisible de constater que chaque

    fois qu'une situation se dveloppe jusqu' son extrme,

    elle se transforme en son contraire.

    La voie de la sagesse chinoise consiste ' alors se

    soumettre au principe du Tao, qui rgit le cours des

    choses. Chaque obj et est singulier et chaque tre possde

    sa nature et ses tendances propres dterminant son destin.

    Ce quelque chose d'irrductible que chacun porte en soi est

    une manifestation du Tao. Celui qui cherche modifier le

    cours des choses ou influencer le destin des tres, fait

    preuve d'inconsquence. Le sage taoste se borne observer

    la nature. Il sait que toute chose a sa raison d'tre et

    qu'il est vain de vouloir y corriger quoi que ce soit.

    Ainsi l'homme de sagesse accepte que tout change sans

    l

  • 180

    cesse. I l n'est pas soumis un code moral. Il s'adapte

    selon les circonstances. Il est inconstant dans ses

    ractions, tout comme l'nergie de la vie est imprvisible

    dans son lan :

    Toute voie indique ou indicable, menant par degr un but, toute doctrine ou systme destins expliquer les rapports de la matire et de l'Esprit, dterminer les catgories de l'entendement, tout ce qui peut tre dmontr par un esprit humain un autre esprit humain, en vue de le rendre susceptible de connatre l'Univers, la Vrit, la Ralit, n'est pas ce qui a t, est, et sera ternellement. Une voie qui peut tre trace n'est pas la voie ternelle : le Tao. 236

    Cette citation parle d'elle-mme. Elle indique

    clairement, dans le ~angage de Jung, que le moi ne peut,

    envers et contre tout, imposer son scnario sans s'attirer

    des ennuis quelconques ou d' invi tables souffrances. Tout

    au plus, l'homme peut permettre cette nergie de se

    frayer un chemin. Il bnficie ainsi de toute la .puissance

    et la fcondit qui accompagnent cet lan de vie. La

    philosophie chinoise nous suggre d'adopter un mode de vie

    conforme la nature du Tao. Au sens moral, le Tao signifie

    comportement juste, semblable aux huit actions ou attitudes

    justes exposes par le Bouddha. Soulignons que les

    finalits du taosme (harmonie) et du bouddhisme

    (extinction de la souffrance)

    diffrente.

    sont dcrites de faon

    236 Lao Tseu, Tao te King, p.117

  • 181

    L'homme doit tre fidle lui-mme, sa nature

    profonde, qui tradui t la manifestation du Tao. Le bonheur

    n'est atteint que par le biais de cette sagesse intrieure.

    La souffrance apparat au moment o l'homme rsiste au

    courant de vie. Le bonheur nous est donn

    l'acceptation, dans l'abandon au Tao:

    On reconna t ces trai ts du Saint-Homme le divin visage de la Charit, secrte animatrice et apothose du Non-lutter. Mais, dira-t-on, c'est un idal surhumain devant lequel la nature se rvolte et nos forces dfaillent. Il est surhumain, en effet, puisqu'il ne peut tre atteint par notre volont propre; par contre il devient accessible ds que, conscients de notre faiblesse, nous confions la vertu du Tao le soin de le raliser. Et cela nous ramne ce par quoi nous devons toujours commencer: ne pas opposer en nous une rsistance absurde au rgne de l'Esprit, mais lui donner, sans crainte, accs dans notre cur par un libre abandon. 237

    dans

    Ce passage reprend notre rflexion prcdente sur la

    notion du laisser advenir o l'on voquai t l'ide que

    les rsistances ou l'ombre d'un individu ne sont pas nies

    dans le taosme. Il ne s'agit pas ici d'une voie passive

    mais plutt d'une sage comprhension des choses. Il n'est

    pas tonnant que Jung ait t impressionn par cette

    philosophie. C'est l qu'on s'aperoit que ce que Jung

    appelle sa psychologie est en fait de la philosophie plutt

    que de la science. Une telle conception se rapproche, sur

    . 237 Ibid, p.IS7

  • 182

    bien des points, de sa psychologie. Le Tao est l'quivalent

    du Soi chez Jung et tout le processus de la vie est le fait

    d'un jeu d'opposs. Le Yin et le Yang sont des notions

    comparables celles d'anima et d'animus. Mme l'hypothse

    de l'inconscient collectif, au regard de l'univers, est

    analogue au microcosme, rgi par la mme loi que l e

    macrocosme. Bref, la sagesse chinoise consiste dans la

    fidlit au Tao comme au Soi chez Jung. Dans son

    Commentaire sur le Mystre de la Fleur d' Or, Jung dmon'tre

    combien il est redevable l a voie chinoise. Il cri t au

    sujet des opposs :

    ... Le Chinois doit manifestement cette dcouverte au fait qu'il n'a jamais t en tat de sparer violemment les opposs de la nature humaine au point de les perdre de vue en les laissant tomber dans l'inconscience. [ ... ] Nanmoins il n'a pu manquer d'prouver la collision des opposs et, par suite, de rechercher la voie o il serait ce que les Hindous appellent nirdvandva, c'est--dire libre d'opposs. 238

    Plus loin, dans ce mme texte de 1929 concernant

    l'Orient, Jung voque, en parlant de sa pratique

    analytique, ce qui a t pour lui riche d'exprience:

    J'avais en effet appris entre que les problmes vitaux les graves et les plus importants

    238 C.G. Jung, Commentaire sur le Mystre de la Fleur d'Or, p.30

    temps plus sont

  • tous, au fond, insolubles, et ils doivent l'tre, car ils expriment , la polarit ncessaire qui est immanente tout systme d' auto-rgulation. Ils ne peuvent jamais tre rsolus mais seulement tre dpasss. Je me suis donc demand si cette possibili t de dpassement, c'est--dire d'volution psychique plus pousse, n'tait pas en dfinitive la donne normale et si le fait de demeurer fix ou dans un conflit n'tait pas ce qu'il y avait de pa thologique. 239

    183

    Cette rflexion du psychiatre retient notre intrt.

    Nous verrons en conclusion, qu'au cours de ces mmes

    annes, Jung est hsitant se prononcer sur un ventuel

    dpassement des opposs. Cependant, il entrevoit ici la

    possibilit d'un dpassement du conflit. Enfin, toujours en

    ce qui a trait l'approche thrapeutique, voici cette

    lettre d'une patiente, relate avec intrt par Jung:

    239 Ibid, p.32

    Du mal il m'est sorti beaucoup de bien. En demeurant calme, en ne rprimant rien, en tant attentive, et, ce qui va avec le reste, en acceptant la ralit les choses comme elles sont et non comme je voudrais qu'elles soient - il m'est venu 'des connaissances singulires, et aussi des . pouvoirs singuliers, tels que je n'aurais jamais pu me l'imaginer auparavant. Je pensais toujours que si l'on acceptait , les choses, les choses nous dominaient d'une manire ou d'une autre; mais en ralit il n'en est rien, c'est seulement en les accueillant qu'on peut fixer sa position par rapport elles. Dsormais, je jouerai donc le

  • jeu de la vie en acceptant ce que la journe et la vie m'apportent tout instant, bien et mal, soleil et ombre qui alternent d'ailleurs constamment, et en mme temps j'accepte aussi mon tre propre avec ce qu'il a de positif et de ngatif, et tout devient plus vivant. Que j'tais donc sotte! et comme je voulais obliger . toute chose aller mon ide! 240

    184

    Ce passage so~ligne une attitude de sages~e qui, b i en

    sr, n'est pas propre seulement au taosme. L'acceptation

    dont il est question ne renvoie pas une quelconque

    rsignation. Nous sommes bien loin, ici, d'une mthode,

    d'une proposition ou d'une preuve scientifique. Nous sommes

    en philosophie, en qute du sens de la vie.

    Enfin, l'univers chinois nous introduit dans un monde

    o l'intrieur et l'extrieur se refltent mutuellement. Le

    vcu ne dpend pas d'une causalit extrieure mais il est

    comment par le monde matriel. Avec le principe de

    causalit, il en va tout autrement. Ce qui se passe

    extrieurement n'est aucunement reli au vcu de

    l'individu. L'attention se porte sur la succession des

    vnements, c'est--dire sur un enchanement linaire. Dans

    l'~ncienne Chine, par contre, l'intrt porte sur la

    concidence d'vnements qui ont un mme contenu

    significatif et qui apparaissent dans une relative

    simultanit. Il s'agit en fait d'une mme ralit se

    manifestant sous un aspect psychique et un aspect matriel,

    comme c'est le cas avec la synchronicit. Voyons maintenant

    240 Ibid, p.66

  • 185

    si, chez nous en Occident, des traces d'une parei ll e

    conception du monde sont prsentes.

    La synchronicit et l'Occident

    Durant la priode qui suivit sa rupture avec Freud et

    ses collgues, surtout partir de 1918, Jung dessine

    beaucoup de mandalas. Du temps o il travaillait sur ce

    symbole, il se mit peindre, -la suite d'un rve, un

    chteau d'or fortifi (symbole du Soi) au centre d'un

    mandala, ce qui est typique d'une sensibilit bien

    chinoise. Sans savoir pourquoi, il constate que la forme et

    le choix des couleurs se rapprochent du style chinois. Une

    trange concidence fit en sorte qu'une lettre de Richard

    Wilhelm lui parvint dans le mme temps avec un trait

    d'alchimie chinoise taoste intitul le Secret de la Fleur

    d'or. Ce dernier priait le clbre mdecin de lui en faire

    un commentaire. Jung fut trs touch par la signification

    de cet vnement. Il dclara ce sujet :

    Je dvorai aussitt le manuscrit, car ce texte m'apportait une confirmation insouponne en ce qui concerne le mandala et la dambulation autour du centre. Ce fut le premier vnement qui vint percer ma solitude. Je sentais l une parent laquelle je pouvais me rattacher. 241

    En souvenir de cette concidence, il crivit sous le

    dessin de son mandala :

    241 C.G. Jung, Ma vie, p.229

  • 1928. Alors que j'tais en train de peindre l'image qui montre le chteau fort en or, Richa~d Wilhelm m'envoyai t de Francfort le texte chinois vieux d'un millnaire qui traite du chteau jaune, le germe du corps immortel. 242

    186

    C'est ainsi, par le biais de son ami Richard Wilhelm,

    que Jung dveloppe son intrt pour le . taosme. La

    conception de la synchronicit est sans doute l'avance la

    plus audacieuse de l'oeuvre jungienne et celle-ci prend

    origine dans la philosophie de l'ancienne Chine. Dans la

    pense chinoise classique, comme nous l'avons vu plus haut,

    le principe du Tao gouverne le monde. L'univers des

    correspondances se fonde sur ce principe. La relation

    essentielle que chacun entretient avec les autres et avec

    tout ce qui l'entoure provient du Tao.

    Dans la culture occidentale, cependant, on retrouve

    galement des ides analogues la conception taoste. Une

    vision synchronistique du monde, rappelons-le, suppose que

    les vnements de l'esprit entretiennent un rapport de

    signification avec les vnements du monde physique. Au fil

    de l'histoire, on retrouve les traces d'une telle

    conception.

    Dans son ouvrage Problme de l'me moderne, un article

    est consacr la pense primitive. Dans l'esprit des

    primitifs, le hasard n'a pas de ralit. D'une certaine

    faon, les accidents, la maladie ou le dcs, ne procdent

    242 Ibid, p.229-230

  • 187

    pas de causes naturelles. Rien n'est fortuit. Tout repose,

    pour ainsi dire, sur une efficience magique. Ainsi, la

    maladie survient parce qu'elle est provoque par

    l'influence d'un autre esprit. Bien entendu, ce stade, la

    synchronici t n' a pas une forme conceptuelle. Ce n'est ni

    plus ni moins que du causalisme magique.

    Depuis la pense primitive donc, il subsiste toujours,

    dans la tradition occidentale, des traces d'une mental i t

    qui vise la saisie d'une totalit. Une vision holistique

    du monde incluant la conscience remonte la nuit des

    temps. Cependant, la philosophie occidentale a t en

    partie domine par le dualisme esprit-matire avec Platon

    et Descrtes par la sui te. Le concept d'uni t et

    d'interrelation de toutes choses est connu de l'Occident,

    mais le mode de pense analytique reste dominant, surtout

    au cours des derniers sicles.

    Jung est donc trs conscient de l'tranget de ses vues

    par rapport au monde scientifique qui l'entoure. Toutefois,

    ses relations avec le physicien Wolfgang Pauli lui ouvrent

    les yeux.

    La venue de la nouvelle physique (physique relativiste

    et physique quantique) par ailleurs, nous rapproche d'une

    vue de la ralit o la notion d'interconnexion est

    centrale. L'observateur et l'observ sont en interaction,

    la matire et l'nergie sont interchangeables, l'espace et

    le temps ne sont plus qu'un continuum. La plupart des

  • I------------------------------~-----------------------------------------------------------------------~

    188

    physiciens, selon Fritzof Capra243 , affirment que nous avons

    transcend la vision cartsienne du monde pour accder

    une nouvelle conception de l'uni vers qui rej oint les deux

    thmes de base de toute la mystique orientale. Il s'agit de

    l'interdpendance des phnomnes et du caractre

    intrinsquement dynamique de l'univers.

    Ce qui intresse Jung, c'est l'ide de certains

    scientifiques

    indpendant

    affirmation

    scientifique.

    dclarant que

    de l'observateur

    trouve aussi son

    Un des grands

    le phnomne n'est pas

    mais . l'implique. Cette

    cho dans ' la pense

    constats de la physique

    moderne, selon l'interprtation de Marie-Louise Von Franz,

    dans son livre Nombre et temps,244 est de reconnatre que le

    monde objectif ne semble pas exister en dehors de la

    conscience qui en dtermine les proprits.

    Au niveau de la microphysique, les conditions

    d'observation ne sont plus neutres comme on le croyait

    auparavant. Celles-ci ont un impact sur l' obj et observ.

    Pour observer un lectron, il faut l'clairer et ainsi lui

    envoyer des photons; or le choc provoqu par ceux-ci va

    modifier les caractristiques de l'lectron. Le principe

    d'incertitude, nonc en 1927 par le physicien Werner

    Heisenberg, souligne l'impossibilit de mesurer la fois

    la position et la vitesse d'une mm~ particule. En tenant

    une mesure de la posi tion d'un lectron, on modifiera sa

    vitesse . Inversement, si on tente de saisir sa vitesse en

    envoyant des photons de faible amplitude, il sera trs

    243 FritjofCapra, Le Tao de la physique, p.17-26 244 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.l 0-15

  • 189

    difficile de parler de sa position. La physique ne peut

    qu'tablir des probabilits.

    Jung dveloppe alors un intrt marqu pour la physique

    de son temps '; le comportement de la matire dans une

    dimension de l'infiniment petit, c'est--dire le monde des

    particules lmentaires. Mais pourquoi un tel intrt?

    Comme les alchimistes, nous croyons, la suite de

    Marie-Louise Von Franz,245 que la qute du divin, la

    recherche du numineux pour certains physiciens, est

    maintenant projete sur le comportement de la matire. la

    diffrence des alchimistes du Moyen-ge, cependant, le

    savant d' aujourd' hui sait que des projections peuvent se

    glisser dans ses observations sur la nature. Les anciens

    alchimistes n'avaient pas conscience que leur dfinition de

    la matire provenait de . l'exercice d'imagination active, de

    ce que leur psych produisai t d'images et de fantasmes.

    D'ailleurs, c'est un des mrites du matrialisme de savoir

    distinguer la matire des manifestations psychiques de

    l'individu.

    Toutefois, bien des physiciens ont affirm que

    l'observation scientifique ne peut tre tout fait neutre.

    Il y a l'instrumentation du savant qui influence les

    particules observes en y proj etant des photons. D'autres

    vont plus loin encore en affirmant que le psychisme mme de

    celui' qui observe influence le phnomne. Afin de

    245 Marie-Louise Von Franz, Psych et matire dans l'alchimie et la science moderne, p.1-19

  • 190

    comprendre ce rapport, Jung se penche sur la valeur

    accorde au principe de causalit.

    L'arrive de la physique contemporaine a remis en

    question les lois considres jusque l comme naturelles.

    L'tude des particules lmentaires, en microphysique, rend

    compte du caractre inadquat de la causalit pour

    expliquer le comportement de la matire. Lorsqu' au niveau

    de l'infiniment petit, on apprhende les processus dans

    leur globalit ( le comportement d'un ensemble de

    particules), ils obissent bien aux lois de la causalit,

    mais, si chacun de .s lments est tudi isolment, leur

    action rpond des manifestations tout fait alatoires.

    L'application de la causalit est donc relativise. Elle ne

    s'applique formellement qu'aux phnomnes macrophysiques

    mais, lorsqu'on aborde le domaine de la microphysique, on

    doit faire appel la loi de la probabilit.

    Prenons, par exemple, le phnomne de la radioactivit

    dcouvert au dbut du sicle. Cette nergie renferme des

    atomes instables dont l'atome de plutonium. On dit de cette

    particule qu'elle se ds~ntgre avec une demi-vie de vingt-

    cinq mille ans. supposer que mille atomes de plutonium

    soient dposs dans un lieu appropri, on sait que cinq

    cents atomes se dsintgreront au cours des vingt-cinq

    mille ans qui suivront et aprs cinquante mille ans, deux

    cent cinquante survivront.

    Enfin, selon les crits de Jung, dans son livre

    Synchronicit et paracelsica, la dsintgration a lieu

  • 191

    lorsque le noyau de l'atome se casse en deux ou mme en

    trois, quelquefois. La cassure survient parce que le n~yau

    est trop charg de protons qui, tous, comptent une charge

    lectrique positive. Ainsi, l'clatement du noyau et de

    l'atome est provoqu par la rpulsion entre ces charges.

    La cause de ce phnomne serait une charge excessive

    entranant comme effet, une cassure. Cependant, la majorit

    des physiciens s'entendent pour dire qu'aucune explication

    envisageable ne permet d'lucider le fait que tel atome se

    dsintgre tel moment. On peut expliquer pourquoi les

    atomes clatent mais sans pour autant savoir pourquoi ils

    le font un instant donn. Le moment de l'clatement est

    indtermin.

    peut rien

    Il n'est

    affirmer

    que probable, jamais certain.

    du comportement indi viduel

    particule, mais seulement de son comportement gnral.

    La plupart des que

    On ne

    d'une

    l'on

    connaisse aujourd'hui

    temps, elles vont

    particules subatomiques

    sont instables . Aprs un certain

    se dsintgrer ou disparatre par

    transmutation en d'autres particules. Nous ne pouvons

    encore l prvoir le moment exact de la dsintgration ni

    de la combinaison nouvelle qu'elles adopteront avec

    d'autres particules. L'indterminisme du monde quantique,

    selon Fritzof Capra, n'est pas un ' attribut superficiel de

    la thorie. Il est inhrent la ralit atomique. C'est le

    caractre fondamental de la nature atomique et subatomique.

    Notr~ concept de loi naturelle se fonde sur le principe

    de causalit. un type de cause prcise, on associe un

  • 192

    type d'effet bien prcis. Cependant, si cette relation n'a

    qu'une valeur statistique (non valable dans tous les cas)

    et donc relative, alors l'explication des processus

    naturels par le principe de causalit est en dernire

    analyse galement relative ~ En effet, dans un certain

    pourcentage de cas, le lien entre certains vnements est

    d'une nature autre que causale, ce qui requiert donc un

    autre principe explicatif.

    Bien entendu, si on observe les rouages de notre monde

    macrophysique, il est de peu d'espoir que l'on y trouve des

    vnements qui ne relveraient pas de la causalit, ne

    serait-ce que parce qu'il nous est impossible de nous

    reprsenter des vnements dpourvus de lien causal. Mais,

    cela ne veut pas dire qu'il ne s'en produit pas. Mme si ce

    raisonnement nous semble un peu forc, Jung affirme que de

    la prmisse de la vrit statistique, on dduit logiquement

    la possibilit de ce type d'vnements.

    Dans les sciences de la nature, les lois visent

    cerner la rgularit des phnomnes et, parce qu'elle est

    exprimentale, la science porte sur la reproduction des

    vnements. Notre mthode d'exprimentation impose la

    nature des conditions restrictives. Ce qui est unique et

    rare ne peut tre pris en considration. On incite la

    nature rpondre aux questions choisies par nous. En

    agissant de la sorte, on n'obtient qu'une comprhension

    limite des phnomnes, d'o se soustraient tous les

    aspects que la statistique ne peut saisir.

  • 193

    partir de ces considrations, Jung cherchera

    apprhender ces vnements uniques et rares que sont les

    phnomnes de synchronicit. En fait, ce que cherche Jung,

    c'est la comprhension de ce rapport au monde, cette

    relation psych-matire. C'est alors qu'il avoue en 1948,

    dans son ouvrage Essais sur la symbolique de l'esprit,

    l'influence de la mthode en psychologie par rapport une

    telle perspective

    Jung

    Dans les sciences de la nature, on ne peut s'interroger sur la substance de ce qui est observ que si l'on trouve par ailleurs un point d'Archimde. Or, pour la psych, on manque d'un tel point de vue, puisque bien sr seule la psych .peut observer la psych. Par consquent, il nous est impossible, du moins avec les . moyens actuels, de connatre la substance psychique. Rien n'exclut au demeurant que la physique atomique du futur ne puisse nous apporter un tel point d'Archimde. Mais, pour l'heure, on aura beau se lancer dans les lucubrations les plus pousses, on ne pourra gure aller au-del de cette proposition C'est ainsi que se comporte la psych. 246

    ne se risque jamais, disions-nous, une

    interprtation soit matrialiste ou spiritualiste de ses

    observations cliniques puisque, dit-il ', nous ne pouvons que

    dcrire les phnomnes d'aprs ce que nous en savons

    consciemment mais jamais nous ne sommes en mesure de les

    dfinir :

    246 C.G. Jung, Essais sur la symbolique de l'esprit, p.87

  • La matire comme l'esprit, apparaissent dans la sphre psychique comme des proprits caractristiques de contenus conscients. Tous deux sont, dans leur nature ultime, transcendantaux, c'est--dire impossibles discerner en tant que la psych e t ses contenus reprsentent notre unique donne immdiate. 247

    194

    Se l on Jung, on ne peut savoir si la rali t e s t

    matrie l le ou spirituelle. La connaissance passe par nos

    reprsentations et celles-ci ne sont que des aspects

    partiels de l'exprience que nous avons du monde et de

    nous-mmes. L'angoisse que nous ressentons la rencontre

    d'un personnage menaant nous apparat tout aussi relle en

    surgissant dans un rve que dans la vie diurne. Psych ou

    matire, ces deux thories sont agissantes. La seule chose

    que nous puissions dire et qualifier de relle, c'est que

    le psychisme est ce lieu o nous apercevons nos

    reprsentations. Lorsque nous parlons du monde spirituel ou

    de la matire, nous identifions des contenus psychiques.

    Il est impossible l'homme de s'lever au-del de ses

    propres reprsentations. Il n'y a pas de point d'Archimde

    extrieur la conscience et la matire. Donc, il n'y a

    de rel pour Jung que l'exprience directe que je fais par

    le biais de cette psych, mme si cette dernire m'est en

    grande partie inconnue.

    247 C.G. Jung, L'homme et ses symboles, p.94

  • 195

    Cela dit, l'hypothse d'un monde unitaire est la qute

    de Jung. Les structures psychologiques sont-elles le reflet

    des processus de la matire ou l'inverse? En tous les cas,

    Jung postule que l'inconscient collectif reprsente un

    microcosme l'intrieur de l' homme. La constellation des

    archtypes constitue la ralit objective de l'me. Voyons

    cela de plus prs.

    L'archtype de l'Unit

    L'uni t du monde que Jung dcri t ici, renvoie un

    ordre des ides mtaphysiques o toute chose concrte fut

    conue dans l' ~sprit de Dieu, de sorte que tout ce qui

    existe correspond un modle archtypique. Dans son tude

    sur l'alchimiste Gerhard Dorn, Marie-Louise Von Franz

    souligne cette unit ou cette conception acausale du

    monde :

    Concrtement, l'unus mundus se manifeste, comme le fait remarquer Jung, dans les phnomnes de synchronici t. Alors que nous vivons habituellement dans un monde ddoubl en vnements extrieurs et intrieurs, cette dualit n'existe plus dans l'vnement synchronistique: les vnements extrieurs se comportent comme s'ils faisaient partie de notre psych, si bien que tout est contenu dans la mme totali t. 248

    248 Marie-Louise Von Franz, Alchimie et Imagination active, p.I5I

  • 196

    La conjonction vritable des mondes extrieur et

    intrieur est ralise par l'union de l' espri t consc i ent

    avec l'inconscient collectif. On retrouve alors un

    largissement ' du conscient. Pour ce faire, cependant, le

    moi doit se retirer en faveur de l'autorit du Soi. Le but

    vers lequel tend l'individuation porte sur l'intgration

    des contenus inconscients qui,

    l'unification de la personnalit.

    du mme coup, v i se

    L'Un devient multiple dans toutes les consciences

    subjectives,

    archtypes.

    telles que le moi,

    Marie-Louise Von Franz,

    par le biais des

    reconnue comme la

    continuatrice des travaux de Jung sur la synchronicit,

    dfinit l'archtype comme un point activ de l'inconscient

    collectif scintilla tout comme le sont les points activs

    d'un champ lectromagntique. Lorsqu'un point quelconque de

    l'inconscient est affect, cela se passe aussi en tous

    points :

    Cette partie de la psych obj ecti ve n'est pas limite la personne et de ce fait elle n'est pas non plus limite au corps. Cette psych se comporte comme si elle tait une, et non pas comme si elle tait dissocie en de multiples mes individuelles. 249

    Jung remet le dualisme de Descartes en question mais

    comment peut-il combler ce foss entre le sujet et l'objet?

    Nous savons qu'il existe une dimension physique obissant

    la loi de la causalit mais, ce que Jung recherche, c'est

    249 Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.126

  • 197

    le point de vue finaliste. L o il y a une dimension

    propre la signification, au monde du sentiment et de la

    valeur, c'est donc au-del du dualisme cartsien. C'est ce

    que vise la qute d'un monde unifi. Le Soi est cette

    instance suprme proposant une finalit :

    Le Soi a le caractre a priori d'tre orient vers un but et la pousse vers la ralisation de cette fin existe mme si la conscience n'y pa-rticipe pas. On ne peut les nier, mais on ne " peut pas davantage se passer de la conscience du moi. Lui aussi fait connatre son exigence sans qu'on puisse l'luder; et il le fait trs souvent en contradiction bruyante ou lgre avec la ncessit du devenir-soi. 250

    Ici encore, nous devons nous interroger savoir si

    Jung demeure sur le terrain de la psychologie ou s'il

    outrepasse ses frontires. Chose certaine, le principe de

    synchronicit n'est pas tranger l'ide d'une me du

    monde. Dans un article, paru dans les revues de

    psychanalyse jungienne, intitul La synchronicit, une

    rverie pistmologique , Marie-Laure Grivet cite juste

    titre cette dclaration de Jung, dans une lettre du 10

    novembre 1934 en parlant de la synchronicit : Il me faut

    d'abord [ ... ] me limiter uniquement

    paralllisme des phnomnes psychiques .251

    250 C.G. Jung, L'me et la vie, pAIl 251 C.G. Jung, Correspondance, Tome l, p.234

    souligner le

  • -- -~~-

    198

    Aprs avoir ainsi mentionn ce correspondant qu'il

    lui fallait se limiter au paralllisme des phnomnes

    psychiques, Jung subit encore le mme conflit dchirant

    entre la mthode qu'il s'impose et la pousse .de son

    intui tian. Touj ours dans sa correspondance o il se livre

    le plus intimement, il crit dans une lettre date de

    1957 :

    Je comprends bien que vous mettiez de prfrence en relief les implications archtypiques de la synchronici t du point de vue psychologique, c'est assurment cet aspect qui a le plus d'importance, mais j'avoue que l'aspect mtaphysique de ces phnomnes m'intresse tout autant, voire plus encore l'occasion. 252

    Nous rejoignons Marie-Laure Grivet 253 lorsque celle-ci

    affirme que la synchronicit est une conception moderne

    d'un type de pense et de mtaphysique ancienne o

    l'interaction de tous les lments du cosmos est le produit

    de la manifestation d'une unit primordiale.

    Effectivement, la concidence signifiante nous renvoie

    au dynamisme de l'inconscient collectif reprsentant l'me

    du monde. Pareille ralit diffre considrablement de

    l'ordre de la conscience rationnelle o la division fai t

    place la synthse. La recherche des causes fai t place

    l'univers des correspondances. L'homme devient le tmoin

    d'un univers charg de sens.

    252 C.G. Jung, Correspondance, Tome IV, p.172 253 Marie-Laure Grivet, La synchronicit, une rverie pistmologique ... , p.44

  • 1 1

    1

    199

    Ainsi, aux poques prcdentes, la rfrence la

    volont des dieux ou la Sagesse divine traduisait ce que

    nous entendons aujourd'hui par l'attention porte aux

    phnomnes de synchronicit. L'ide d'un principe de

    synchronicit, comme nous l'avons mentionn plus t t , es t

    analogue certaines ides mtaphysiques l'gard de l a

    magie primitive o l'on parle de la sympathie de toutes

    choses.

    Ces conceptions ont en commun l'ide d'interdpendance

    de toutes choses et de tous les vnements. A l'origine, un

    principe d'ordre transcendant prtexte que le hasard

    n'existe pas toujours, en tout temps, et qu' certains

    moments donc, le sens prdomine et non la causali t. La

    conception

    toujours

    de

    cette

    la synchronicit,

    mme volont

    croyons-nous, reflte

    d'utiliser un langage

    scientifique pour traduire ses contemporains des

    intuitions qui rejoignent des croyances mtaphysiques

    traditionnelles.

    A l'vidence, l'intrt de Jung ne vise plus la

    relation entre individus mais, plus encore, le sens du

    monde. Cela se constate si l'on suit l'volution du

    psychiatre dans sa faon de dfinir l'inconscient

    collectif. La dclaration suivante qui ne peut que renvoyer

    la mtaphysique est tonnante :

    On ne peut apprhender cette couche de l'uni t autrement que par l'ide d'un continuum omniprsent, une .omniprsence sans extension. Quand l

    ------------------------------------------------------------------------------------ ----- -----

  • au point A se produit quelque chose qui concerne l'inconscient collectif ou l'affecte, cela se passe en tous points. 254

    200

    Donc il Y a une communication entre l'homme et

    l'univers qui s'effectue d'une faon incomprhensible. Jung

    dclare en 1954 : Sans lien causal le non psychique peut

    se comporter comme le psychique et vice versa . 2 55

    Dans ce contexte, Jung dfinit les " archtypes comme

    participant la fois au monde de la psych et de la

    matire. Ceux-ci disposent, dit-il, d'une aptitude la

    transgressivit. C'est pour cette raison qu'on dit des

    archtypes qu'ils ont une ralit psychode. ce niveau,

    le psychique rejoint le biologique. La constatation de

    cette ralit " a conduit Jung opter pour une vision

    unitaire du monde. Les domaines de l'esprit et de la

    matire sont ici complmentaires. Avec ce regard, on ne

    peut se satisfaire ni d'une conception matrialiste, ni

    d'une vue spiritualiste. Jung crira:

    En raison du caractre inalinable des phnomnes psychiques, il ne peut pas y avoir d'accs unique au secret de l'tre, mais il doit en exister au moins deux: savoir l'vnement matriel d'une part et le reflet psychique d'autre part, ce qui ne permettra sans doute jamais de dcider o est le reflet et o est la chose reflte. 256

    254 C.G. Jung, Briefe, l, p.84, cit par Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.126 255 C.G. Jung, Les racines de la conscience, p.540 256 Marie-Louise Von Franz, Nombres et temps, p.31

  • 201

    Jung parle de la synchronicit comme quelque chose

    d'empirique, c'est--dire relevant de l'exprience

    subjective et non comme un phnomne relevant de la

    spculation philosophique. Cependant, le psychiatre, de

    toute vidence, veut faire de la synchronicit un principe

    applicable l'ensemble de la ralit. Ce n'est pas dit

    explicitement mais son principe n'est plus limit des

    expriences humaines seulement. Le phnomne de

    synchronicit interagit aussi avec des animaux et des

    objets matriels. Il va identifier le principe de

    synchronicit un principe de la nature, ne croyant pas

    un lien causal pour expliquer ce phnomne, mais une

    relation qui se situe au niveau d'une communaut de sens.

    Donc, de ces cas ' particuliers, nous nous hissons

    maintenant l'ide d'un ordre gnral o nous rejoignons

    cette zone psychode ou apriori. Ce n'est plus le sujet

    seul qui donne sens un vnement. La relation au monde

    physique, suppose-t-il, est rgie par un principe

    signifiant. Il Y aurait un sens en soi, inscrit dans la

    nature. En somme, ce qui relie ces deux mondes doit

    ncessairement transcender ces deux mondes. Sommes-nous

    toujours sur le terrain de la psychologie? Srement pas;

    chose certaine, en 1952, Jung parle d'un arrangement

    d'vnements qui chappent notre capacit de

    connaissance ... ct de la connexion entre cause et

    effet, il existe dans la nature un autre facteur qui se

    manifeste dans l'ordonnance des vnements et nous apparat

    l 'd 257 sous es especes u sens ,.

    257 C.G. Jung, Synchronicit et Paracelsica, p.78

  • 202

    L' hypothse 'd'un ordre sans cause nous renvoie un

    monde o, l'vidence, l'lment cl de cette dimension

    est le sens et non la causalit, laquelle prsuppose une

    succession dans le temps et dans l'espace, alors que

    l'inconscient est dit indpendant de ces catgories. Jung

    dclare donc : La synchronicit prsuppose un sens

    apriori, par rapport la conscience humaine, et qui semble

    exister en dehors de l'homme .258

    Jung fait alors observer que la dfinition de la

    synchronicit est trop restreinte et doit tre largie :

    , 258 Ibid, p.91

    De fai t j'incline supposer que la synchronicit au sens restreint n'est qu'un cas particulier d'un ordre gnral sans cause, le cas de la similitude entre les processus psychiques et physiques, dans lequel l'observateur a l'avantage de pouvoir identifier le tertium comparationis . Toutefois, percevant le fondement archtypique du phnomne il est aussi tent d'interprter de faon rductrice l'apparition d'une similitude entre des processus psychiques et physiques indpendants par une efficacit causale de l'archtype, et donc d'en laisser chapper le caractre de pure contingence. On chappe ce risque en considrant la synchronicit comme cas particulier d'un ordre gnral. On vite aussi par l de multiplier les principes explicatifs, ce qui n'est pas admissible: l'archtype est la forme, saisissable par l'observation intrieure, de l'ordre apriori dans le domaine psychique. Si

  • ~~~~~~~~--- --- -~----

    un processus extrieur synchronistique vient s'associer au processus psychique, il suit le mme schma de base, il obit au mme ordre. La diffrence entre cette forme d'ordre et l'ordre dont relve les proprits des nombres entiers, les discontinuits de la physique, c'est que ce dernier se manifeste depuis toujours avec rgularit, alors que l'autre prside aux actes de cration dans le temps. C'est l, soit dit en passant, la raison profonde pour laquelle j'ai mis l'accent prcisment sur le facteur temps comme caractristique de ces phnomnes, et qualifi ceux-ci de synchronistiques. 259

    203

    Penchons-nous alors sur la faon d'envisager cet ordre

    du monde.

    Ordre apriori et acausal

    Le Soi, dfini ici par Jung, n'est plus purement

    spirituel. L'inconscient est en rapport avec les structures

    de la matire sensible ou de la materia prima, pour

    reprendre une expression alchimique. Le Soi peut se rvler

    comme une donne apriori. Pensons par exemple au rseau du

    cristal. Il a une structure qui lui est propre. C'est une

    prcondition identique tous les cristaux. Il est le mme

    et ternel, non une substance mais ,une forme.

    259 Ibid, p.l 06

  • 204

    certains niveaux donc, il y a effectivement

    concidence entre la psych et la matire. Le philosophe

    franais Michel Cazenave, dans son livre La science et

    l'me du ' monde, tente d'clairer cette question ou ce type

    de rapport, en nous proposant de nous lever sur un plan

    virtuel. Il y a analogie ou adquation empirique un

    certain degr parce qu'il existe des reprsentations

    psychiques archtypales communes nous tous. Par exemple,

    il y 'a des expressions mythiques dont on ignore quelles

    ralits psychiques elles correspondent, comme c'est le cas

    d'expressions mathmatiques pour des ralits physiques.

    Souvenons-nous de ces cas o des struc'tures mathmatiques

    ont t dcouvertes abstraitement par certains chercheurs.

    Par la suite, on a vant les mrites pragmatiques de ces

    thories. Toutefois, ds le dpart, celles-ci n'ont jamais

    t pressenties dans le but d'une application ventuelle.

    La projection mentale, l'univers symbolique, les

    expressions abstraites et invisibles des 'lois ont comme

    source cette

    bien sr,

    unit transcendante.

    mais les intuitions

    Celle-ci nous

    scientifiques

    ch,appe,

    semblent

    provenir de ce domaine de l'imaginaire : L'arrire-plan

    psychophysique transcendantal correspond un monde

    potentiel en tant que toutes les conditions qui dterminent

    la forme des phnomnes empiriques lui sont inhrentes. 260

    L'Unus Mundus est ce monde potentiel, virtuel; un

    intermdiaire entre l'tre et le sensible. Ainsi

    260 C.G. Jung, Mysterium conjunctionis, Tome l, p.318

  • 205

    l'inconscient collectif ne- devient-il pas l'quivalent de

    la cration :

    Tout ce que la psych nonce ou manifeste est l'expression de la nature des choses, dont l'homme fait galement partie. De mme qu'en physique les processus nuclaires ne peuvent pas tre observs directement, les contenus de l'inconscient collectif ne sont pas, de leur ct, immdiatement connaissables. Dans les deux cas, la nature elle-mme ne peut tre connue que par dduction, comme l'orbite des particules nuclaires par la chambre de Wilson. Les traces archtypiques s'observent pratiquement dans les rves o elles deviennent perceptibles comme formes psychiques ... Mais elles peuvent apparaitre concrtement et physiquement, notamment sous la forme de faits physiques. Mme les obj ets inanims se comportent de cette manire, par exemple les phnomnes mtorologiques. 261

    Nous sommes dans un monde de structures imaginaires,

    tout comme le veut le modle de l'univers de la philosophie

    no-platonicienne le considrant comme la rali t des

    entits idales. Le Soi comporte donc des degrs. Lorsqu'on

    parle de la couche la plus profonde des strates de

    l'inconscient collectif, on s'approche de l'Un:

    l'approche de cette couche de l'unit, le temps et l'espace

    deviennent de plus en plus relatifs .262 Ce passage est

    rapprocher d'une des expriences mystiques de Jung, la

    261 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.31 262 C.G. Jung, Briefe, l, p.486-487, cit par Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.126

  • 206

    fin de sa vie, lorsqu'il crit que le pass, le prsent et

    l'avenir sont une mme chose.

    Ainsi, au cours de la vie et de l'uvre de Jung, la

    notion d'archtype et d'inconscient collectif volue

    considrablement jusqu' rejoindre une dimension proprement

    mtaphysique

    indmontrable.

    ou

    En

    non matrielle, non

    1929, en parlant

    saisissable et

    nouveau de

    l'inconscient collectif, Jung le conoit comme un

    continuum omniprsent, un prsent sans tendue .263

    Nous sommes ici bien loin, avouons-le, d'un inconscient

    dfini comme une simple structure inne. Il existe donc

    dans la nature une transcendance immanente, si l'on

    s'inspire des exemples de' Michel Cazenave, puisque la

    prsence d'une immanence rend compte du fait que nous

    participons ou entrevoyons certaines structures du rel.

    Une transcendance absolue, seule, serai t insuffisante. En

    se reportant au plan virtuel donc, nous pouvons comprendre

    l'affirmation suivante de Jung:

    Les archtypes en tant que structures formelles psycho-physiques pourraient tre en dfinitive un principe formateur de l'univers, c'est--dire un facteur d'ordre universel et transcendant l'tre. 264

    Il Y a bel et bien un discours qui se tisse sur l'unit

    du monde. Le projet de Jung est, somme toute, trs

    263 C.G. Jung, Correspondance, Tome l, Lettre du 4 janvier 1929 , p.95 264 Hubert Reeves, Michel Cazenave, Pierre Soli, Carl Pribram, H.F. Etter, Marie-Louise Von Franz, La synchronicit, l'me et la science, p.56

  • r-

    I

    207

    ambitieux . Arriver reconstruire des processus psychiques

    dans un autre milieu, afin d'obtenir plus d'objectivit sur

    la mesure de nos tats psychiques, est pour le moins trs

    nigmatique. En 1946 d'ailleurs, Jung lui-mme avoue son

    ignorance quant l'aspect d'une telle reconstruction:

    Cette trange conjonction de la physique atomique et de la psychologie prsente pour cette dernire un avantage inapprciable : elle nous fait comprendre ou du moins pressentir, qu'il serait peut-tre possible de dcouvrir un point archimdique pour la psychologie. Le monde microphysique . de l'atome prsente des traits dont la parent avec le psychique a frapp le physicien lui-mme. Il semble en ressortir, au moins sous forme d'indication, une possibilit de reconstruction du processus psychique dans un autre milieu, savoir celui de la microphysique et de la matire. Il est vrai que, pour le moment, nous ne sommes pas le moins du monde capables d'indiquer quel pourrait tre l'aspect d'une telle reconstruction. De toute vidence, la nature seule est capable de l'entreprendre. Autrement di t cela se produit continuellement, sans doute aussi frquemment que la psych peroi t le monde physique. 265

    Ce type de conjonction est souhaitable, peut-tre mme

    envisageable, mais selon nous, elle demeure pour le moins

    une entreprise audacieuse, sinon compltement illusoire.

    Nous n'avons aucune certitude savoir o se trouve ce

    265 C.G. Jung, Psychologie et ducation, p.47-48

    - - --- - --

  • 208

    fameux point d'appui ou archimdique. Wolfgang Pauli,

    cet minent physicien et ami de Jung, invitait ce dernier

    plus de prudence concernant cette conjonction. La

    mtaphysique et la science ne sont pas deux domaines

    offrant les mmes ralits, pensons-nous. Pourquoi ne pas

    considrer ces hasards signifiants simplement comme des

    moments de grce? Pourquoi s'astreindre inscrire ces

    instants de fusion avec la nature dans le cadre d'une

    thorie? Cette qute d'union des opposs concernant l'homme

    et l'univers ou la psych et la matire ne cache-t-elle pas

    un besoin de relier le monde d'ici-bas avec le monde de

    l'au-del, souligne Marie-Laure Grivet. 266

    La vision du Soi dans les crits de Jung est teinte de

    la singularit de son vcu. Souvenons-nous du pre de Jung

    pour qui le destin fut une tragdie. La rigueur

    intellectuelle du pre n'est pas au rendez-vous pour

    rpondre aux questions de son fils. Alors que Jung est

    curieux d'aborder le mystre de la Sainte Trinit, lors

    d'un cours d'instruction religieuse que lui dispense son

    pre pasteur, ce dernier lui dclare : Nous en \.

    arriverions maintenant la Trinit; mais nous allons

    passer l-dessus car, vrai dire, je n'y comprends

    rien .267 Paul Achille Jung tmoigne aussi d'une foi fade.

    L'exprience vcue lui manquait, dira Jung Il me

    semblait presque impensable qu'il puisse ne pas avoir

    l'exprience de Dieu, cette exprience la plus vidente de

    toutes . 268

    266 Marie-Laure Grivet, La synchronicit, une rverie pistmologique , p.SO 267 C.G. Jung, Ma vie, p.73 268 Ibid, p.IIS

  • Ainsi, toute sa vie, Jung valorise

    intellectuelle que son pre n'avait pas, et

    vivante lie l'exprience subjective que

    formule comme tant ses lans de cur.

    209

    une rigueur

    une foi plus

    nous avons

    Remontons plus loin encore. Jung est lui-mme di vis

    entre son numro un et son numro deux. Il remdie cette

    dsunion en sculptant un petit bonhomme de bois vers l'ge

    de dix ans. Le contact avec ce petit bonhomme est vcu

    comme un rituel lui permettant enfin de s'unir lui-mme.

    Le numro un adopte une attitude plus conformiste de la vie

    alors que le numro deux lui permet d'accder cette foi

    vivante qui le relie l'intelligence de l'humanit et aux

    mystres de la vie.

    Si cette tentative ' de synthse entre la mtaphysique et

    la science ne semble pas concluante, que devons-nous

    retenir de cette qute? Quel est le sens de 'cette qute?

    Sans doute, s'agit-il de l'harmonie suggre dans la

    philosophie taoste. Toutefois, comment parvenir cela? Ce

    qui nous questionne ici, c'est l'ide que Jung se fai t de

    la nature. De quelle conception s'agit-il? Penchons-nous

    maintenant sur cette question.

    Jung est-il panthiste?

    Attir autant par les sciences de l'esprit que par les

    sciences naturelles, un conflit s'installe chez Jung au

    moment de faire un choix de carrire. De rflexion en

  • 210

    rflexion, d'une pense l'autre, apparat le rve

    suivant, au cours d'une nuit o l'action se passe en

    fort :

    Elle (la fort) tait traverse de cours d'eau et parseme de broussailles. l'endroit le plus obscur j'aperus entour d'paisses broussailles, un tang de forme ronde. Dans l'eau, moiti enfonc, il y avait le plus trange des tres : un animal rond, scintillant de mille couleurs et compos de nombreuses peti tes cellules ou d'organes en forme de tentacules. Un radiolaire gant d'environ un mtre de diamtre. Que cette crature magnifique soit reste cet endroit, cache, sans tre drange, dans l'eau claire et profonde me parut tre une merveille indestructible. Elle veilla en moi le plus ardent dsir de savoir ... 269

    Cet tre rond, rappelant le mandala, reprsente un

    ordre cach dans l'obscurit de la nature. Le mdecin

    Paracelse, au Moyen-ge, connaissait cet esprit qu'il

    appelait La lumire de la nature .

    Dans la tradition des alchimistes, ce phnomne est

    bien connu. Ceux-ci parlent d'une lumire seconde par

    rapport la rvlation chrtienne. Cependant, elle n'est

    pas incompatible avec les mystres de la foi. D'autres

    penseurs, au dire de Marie-Louise Von Franz,270 tels que

    Guillaume de Conches, Guillaume d'Auvergne, Albert le

    269 C.G. Jung, Ma vie, p.107 270 Marie-Louise Von Franz, Son mythe en notre temps, p.47

  • 211

    Grand, Guillaume de Paris, ont parl d'un savoir

    inconscient, instinctif ou encore d'un sens de la nature.

    Mais la lumire naturelle que dfinit Paracelse, est-il

    prcis, s'offre comme une lumire qui ne se rfugie pas

    dans le corps physique de l'homme mais dans ce qu'il

    appelle le corps intrieur. Cette lumire invisible rejoint

    l'homme, principalement travers ses rves. Paracelse

    crit : Or la lumire de la nature est une autre lumire

    allume partir du Saint-Esprit et qui ne s'teint

    pas 2 7 1 .

    L'ide d'un esprit de la nature apparat dj chez Jung

    l'ge de trois ou quatre ans, lors d'un songe que nous

    avons dcrit plus haut. C'est le thme du dieu phallique.

    Chez les gnostiques et les hindous, celui-ci symbolise

    l'homme Dieu cosmique remplissant la nature. L'esprit,

    imprgnant la nature, est le but d'une qute bien prcise:

    la recherche de Dieu dans la matire.

    Jung s'oriente alors vers les sciences naturelles et

    plus tard en psychiatrie o il pourra mettre contribution

    son exprience des donnes biologiques et spirituelles.

    Pareille jonction des savoirs est bienvenue pou~ Jung, qui

    ne cherche pas autre chose que la comprhension de son

    vcu.

    Ds le 28 novembre 1896, Jung prononce une confrence

    l'universit pour l'association de Zofingue, sur les

    limites des sciences exactes . Il voque alors le fait

    271 C.G. Jung, Les racines de la conscience, p.514

    -- --- - ------- - ----------------------------------------------------

  • 212

    que le matrialisme scientifique mprise les valeurs

    spirituelles. Bien sr, ajoute-t-il, la science n'a pas

    pour fonction d'explorer la vie intrieure de l'homme.

    Cependant, si Jung est en q~te de sens, il considre

    ncessaire la rigueur que lui offre

    scientifique

    [ ... ] les sciences naturelles me donnaient satisfaction par leur ralit concrte avec leurs antcdents historiques, la science des religions par la problmatique spirituelle, dans laquelle la philosophie aussi pntrait. Dans les prernleres, je regrettais l'absence du facteur de signification; dans la seconde celle de l'empirisme. 272

    l'approche

    Ce passage rend compte, avec justesse, de la

    personnalit de Jung. Il apprcie la rigueur mais il

    . demeure proccup par les questions de sens. Jung cherche

    une discipline qui soit objective tout en tant ouverte sur

    le transcendant. Le divin dont ~arle Jung participe aussi

    de la matrialit du corps et de l'obscurit de la matire.

    Ce Dieu n'est pas seulement l'irrationnel, l'infini, le

    surhumain. Le Soi offre ici la singulari t d'tre ce : ...

    centre mystrieux prexistant dans l' homme, en mme temps

    qu'il reprsente un cosmos . 273

    La nature chez Jung est-elle pour autant identifie au

    divin? S'agit-il d'une approche de type panthiste o le

    272 C.G. Jung, Ma vie, p.94 273 C.G. Jung, Mysterium conjunctionis, Tome II, p.335

  • 213

    divin habite la nature ou bien d'une nature se rvlant

    comme l'expression du divin?

    Concevoir la nature comme habite par le divin s'oppose

    bien sr ce que l'on retrouve dans la tradition

    chrtienne o la nature, comme la matire, est sans me,

    inerte et compltement au service de l'homme. En opposition

    cette conception, Jung affirmait que :

    La nature me paraissait en effet ainsi que moi-mme, pose et diffrencie par Dieu comme n'tant pas Dieu, bien que cre par lui comme expression de lui-mme. Il ne m'entrait pas dans la tte que la ressemblance avec Dieu ne dt que concerner l' homme. 274

    Pour lUl donc, l'esprit habite la nature. Le macrocosme

    se manifeste dans le microcosme de la psych humaine. Cet

    inconnu en nous, aussi vaste que le monde, serait ce qu'il

    appelle l'inconscient collectif.