experience mystique
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Ce que l'on appelle l'identit ou l'tat
de participation mystique signifie que tout ce qui est
mai ntenu dans l'inconscient est projet, c'est--dire non
intgr. En tat de projection, nous sommes soit attirs,
soit repousss. Un contenu inconscient demande d'entre r en
contact avec nous ou de passer la conscience. Le So i
contient tous les opposs et cette notion de plrme
caractrise ce qui n'est pas encore pntr de la
conscience humaine. C'est le point de vue de Jung, car
selon la tradition spirituelle, il n'y a pas d'opposs dans
l'me ou l'atman ou le Soi; ces opposs n'existent que pour
le mental qui spare tout. Cependant, tant toujours relis
entre eux, plus la sparation des contenus conscients et
inconscients est grande, plus la tension due ce clivage
bien sr leve. Derrire ces opposs toutefois, le Soi
pousse la ralisation d'une totalit. prside au
dynamisme de l'nergie psychique.
C'est la raison pour laquelle il est dit qu'en unissant
les opposs, le Soi va se manifester. Dans le symbolisme de
la messe tir de son ouvrage Les Racines de la
consciene, 201 il y a ce rite de l'eucharistie illustrant le
moi est sacrifi et processus d'individuation o le
transform par le Soi. l'inverse, l'inconscient aussi est
sacrifi au moi en renonant sa transformation pour
s'incarner dans une existence finie. La souffrance du
Christ dcrit alors un processus archtypique plutt qu'un
vcu littral ou historique.
201 C.G. Jung, Les racines de la conscience, p.237-260
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L'exprience de Dieu en nous-mme signifie pour J ung
que la foi n'est plus coupe de l'exprience de la v ie
symbolique. Les ides de cration, de trinit, de chute, de
sacrifice, de mort ou de rsurrection ne sont ici que l'ex
pression de l'inconscient.
Le mythe jungien, car il s'agit bien d'une mytho l ogie
et non d'une science, dfinit cette volont de l'humain
tre conscient de la divinit en lui et cet t e volont du
divin s'incarner, devenir humain ou conscience humaine.
Si le Christ sauve l'homme, l'alchimiste sauve Dieu.
Prcisons que le divin ne s'incarne pas seulement dans
l'homme. Dieu se manifeste partout. Ces nergies contraires
mais divines, nous dit le thrapeute, sont rintroduire
dans l'humain. La matire fait partie de notre ralit.
Mme chose pour le fminin, c'est--dire la rceptivit
plutt que le pouvoir religieux ~ la rationalit et la
domination. Jung d'ailleurs se rjouit de l'adoption du
dogme de l'assomption de Marie, en 1950, par l'glise.
C'est un pas vers plus d'intgration. En somme, ' Jung met
l'accent sur l'ombre car plus largement cette notion
englobe la femme, la matire avec le corps et la sexualit.
Nous examinerons d'une faon plus globale cette notion
d'ombre dans le prochain chapitre, mais arrtons-nous un
instant pour souligner le rapport de la divinit et de la
matire ou le rle de la nature dans l'uvre du psychiatre
suisse. Cela parce que 1' unus mundus , 202 l'expression
202 Le concept de synchronicit que nous dfinirons plus loin se rfre un aspect unitaire de l'tre transcendant la conscience auquel Jung a donn le nom d' unus mundus. C.G. Jung, La voie des profondeurs, p.312
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latine dsignant l'unit du monde, caractrise la mys tique
jungienne et la distingue du mme coup de l'exprience que
nous rapportent les grands mystiques de l'Orient e t d e
l'Occident. Nous ne pouvons donc passer sous silence cet te
perspect ive de l'individuation.
L'exprience mystique pour plusieurs, ceux que no us
connaissons tout l e moins, est indfinissable. Elle ne
peut donc tre dite l'aide de concepts ou de
qualificatifs humains. C'est la raison pour laquelle le
bouddhisme parle de l'exprience du vide et chez-nous,
en Occident, matre Eckhart dcrit l'exprience du divin en
ces termes tr"e vide de toutes les cratures c'es t
tre plein de Dieu .203 Ainsi, Dieu est dpouill de toutes
les qualits de ce mond~.
Le Dieu de Jung est tout le contraire. Bien sr, il est
aussi un inconnaissable, mais travers celui-ci vont
merger et seront prsentes toutes les qualits de ce
monde. L'exprience jungienne du Soi passe par le rve. On
interroge les symptmes, on recherche le sens des pulsions
et tous les opposs de la vie sont pris en considration.
L'instance psychique du Soi se dfini t comme un archtype
de l'orientation et du sens. C'est une perspective
nergtique allant graduellement vers plus " de conscience.
C'est un Dieu potentiel cherchant raliser sa pleine
conscience. L'image de Dieu est ressentie, projete et
commente par le thrapeute qu'est Jung.
203 Matre Eckhart, Von abgeschiedenheit, Trait sur la solitude, trad. par Luigi Aurigemma, Perspectives jungiennes, p.239.
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Une telle perspecti ve suppose que l' homme n'est plus
soumis au canon de l'glise. La transcendance que prne le
clerg est pathologique pour Jung en nous dracinant de
l'me. Le plan divin est maintenant celui de l'inconscient
compensatoire avec ce qu'il offre de finalit, de sens et
d'orientation. La collaboration du moi et de l'inconscient
ou de l'homme Dieu est une pratique de la substance mme
de l'exprience mystique. Cependant, si la
la
voie de
l'individuation s'carte du cadre de thologie
occidentale, le processus dpeint par Jung n'est pas pour
autant quivalent celui de la tradition mystique.
La voie de l'individuation o le moi est associ au
Soi, comme le souligne Luigi Aurigemma,204 traducteur de
l' uvre de Jung en italien, est en partie analogue la
relation de l'atman et du brahman hindou o l'homme
individuel s'identifie Dieu.
L'individuation est une ouverture l'exprience
mystique que Jung considre avec respect si l'on tient
compte de son intrt pour l'Orient et matre Eckhart.
L'exprience de ce dernier cependant dpasse le modle
psychique de Jung. La voie jungienne est dfinie de la
faon sui vante : ... l'exprience mystique est l'exprience
des archtypes . 205 En tant que. scientifique, la
supraconscience n' .est pas une vidence pour Jung.
L'approche empiriste qu'il prconise lui permet tout au
plus d'affirmer ou de constater que l'homme est le rsultat
d'un processus phylogn~ique. Ainsi, notre mode de
204 Luigi Aurigemma, Perspectives jungiennes, p.231-259 205 GW 18, T.I, paragr. 218, trad. par John P. Dourley, La maladie du christianisme, p.198
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connaissance est rattach ce support somatique et
psychique, fruit de notre hrita~e.
Ce complexe psychique qu'est le moi incarne l'aspect
lumineux ou la conscience du Soi mais, dans sa nature
originelle,
d'tre o
reprsents.
le Soi habite une zone dite psychode, un degr
les phnomnes psychiques ne sont pas
C'e'st un tat o l'inconscience prdomine et
non la supraconscience. Jung croi t cependant qu' travers
au Soi, qui est d'orienter et le dynamisme propre
d'assigner un sens, 'les antagonismes de l'nergie de la
conscience et des obscurits du psychode arriveront
progressivement une polarisation.
L'exprience jungienne du Soi, sur laquelle nous allons
maintenant nous pencher, se situe donc au niveau d'une
convergence de la ralit matrielle et psychique. C'est ce
que symbolise le mandala. L'individu s'identifie 'la
source de sa personnalit comme au fondement de toute
existence empirique. Le Soi, la nature et l' humanit ont
pour source commune ce fondement ternel. L'inconscient est
personnel mais encore relationnel, si l'on considre cette
connexion cette source. L'inconscient, est-il dit:
... dont l'ampleur est indtermine et auquel on ne peut
assigner de limites .206 Il y a donc un centre de la psych
qui est la fois le centre de la vie individuelle et de
1 ' univers : L' homme inconscient est reli son centre
qui est en mme temps le centre du tout et ainsi doit tre
206 C.G. Jung, Les racines de la conscience, p.399
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atteint le but de la rdemption et de l'lvation de
l' homme . 207
L'exprience
d'interprtation
du Soi, au-del du travail analytique
et d'ajustement ses difficults
personnelles, peut cependant, au cours d'un vcu personnel,
rappeler ces instants de contact avec le divin dont
tmoignent les mystiques. Jung fait allusion ce Dieu
noumne
l'avons
vu
maintes reprises
dans la premire
dans ses crits,
partie de notre
comme
thse.
nous
Nous
nous sommes penchs sur la question de l'immanence du divin
en tab l issant des parallles sur la relation de l'me
Dieu chez matre Eckhart par rapport l'interaction du moi
et du Soi chez Jung. Dieu ne peut tre le tout autre,
disions-nous. Il ne peut tre seulement extrapsychique
puisque l'exprience du Soi a lieu en nous, c'est--dire au
sein mme du psychisme.
Dans le cas qui nous occupe toutefois, l'exprience de
la vie symbolique opre par le biais du monde extrieur et
offre ainsi un parallle frappant avec la mystique taoste.
Dans son ouvrage sur la synchronicit, crit en 1952, Jung
constate que les catgories rationnelles du temps et de
l'espace cessent d'tre pertinentes pour expliquer ce
phnomne. Afin de saisir le phnomne de la synchronicit,
Jung nous renvoie ce dogme taoste : Qui possde la
vri table intelligence [ ... ] use de son il intrieur, de son
oreille intrieure pour pntrer les choses, et n' a pas
207 Ibid, p.354
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besoin de les connatre par l'entendement .208 L'ide
mtaphysique d'unus mundus, symbolise par le mandala sur
le plan ps'ychologique, est reprsente sur un plan
parapsychologique avec l'ide de synchronicit.
Penchons-nous maintenant sur la collaboration du moi et
du Soi, non pas sur le plan de l'introversion mais, par une
approche plus extravertie, dans le rapport de l' indi vidu
avec les vnements extrieurs travers l'ide de
synchronici t, puisque le Soi se manifeste aussi dans la
matire. Nous proj etons l'image de Dieu sur l'ide d'un
monde unifi, un monde o la nature est relie ou anime
par l' intelligence divine.. Si le Soi tradui t un processus
d'autorgulation travers la symbolique du rve, il nous
interpelle aussi par le monde extrieur. Ce type
d'vnement ou de concidence signifiante est appel par
Jung phnomne de synchronicit.
208 C.G. Jung, Synchronicit et paracelsica, p.81-82
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d) La participation de l'homme :
Dieu et la nature : une approche extravertie.
L'ide d'une unit du monde n'est pas trangre la
pense occidentale. Ds la naissance des sciences de la
nature, l'poque de la Grce antique, nous assistons
une transformation de l'image de Dieu. Les anciens ont
labor des figures anthropomorphiques ou encore ont
reprsent des tats d'me sous forme de projections sur
des dieux, des dmons, des plantes. Pensons ici au dieu
Aphrodite-Vnus pour la passion amoureuse, au dieu Ars-
Mars reprsentant la colre ou Saturne que l'on identifie
la dpression. Ils ont mis ensuite sur l'ide d'un
principe premier et universel pour expliquer le monde.
Plusieurs philosophes grecs recherchent un fondement .divin
et unique l'univers.
En termes psychologiques, Marie-Louise Von Franz 209
souligne que ces penseurs projettent, dans un premier
temps, leurs propres complexes sur une me cosmique.
Ensuite, un changement significatif s'opre lorsque l'ide
d'un lment fondamental sur lequel l'univers se constitue
entre en jeu. Le philosophe Thals .de Milet210 dclarait que
l'lment eau tai t la substance primordiale la base de
tout. Hraclite211 parle du logos ou l'ide d'un feu
cosmique.
209 Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.85-1 05 210 Les penseurs grecs avant Socrate, Thals de Milet, Cicron (De Deorum natura, n.!, 10,25). 211 Les penseurs grecs avant Socrate, Hraclite d'phse, 1,7,22 (Dox.303).
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Avec Leucippe 212 et Dmocrite,213 les atomes sont au
premier plan et pour Empdocle,214 l " ul time fondement se
trouve dans la thorie des quatre lments.
Dans l'Antiquit, la relation de la matire au monde
spirituel n'offrait pas la dichotomie que pose le r legard
cartsien. Plus encore, ajoute Mme Von Franz, il n'y ava i t
pas chez les Grecs une distinction bien nette entre leur
principe spiri tuel et la matire, de telle sorte qu'ils
supposaient leur principe matriel ,dot d'esprit.
Depuis Descartes, la coupure est nette entre l'esprit
et la matire. N'oublions pas que Bergson eut une influence
trs grande sur le rveil de la conscience spirituelle.
Pour sa part, Jung nous parle d'un archtype '
reprsentant la divinit qu'il dcouvre par l'exercice de
l'imagination active, c'est--dire travers le dessin
libre, spontan, sans but aucun. Il appelle mandala cette
reprsentation psychique. C'est une forme circulaire que
l'on retrouve un peu partout et qu'il identifie . des
reprsentations du Soi. Ce symbole est trs important pour
Jung comme il le dit la fin de sa vie : Je savais que
j'avais atteint, avec le mandala comme expression , du Soi,
la dcouverte ultime laquelle il me serait donn de
parvenir. Un autre en saura peut-tre davantage, mais pas
212 Les penseurs grecs avant Socrate, Leucippe, Diogne Larce, IX. 213 Les penseurs grecs avant Socrate, Dmocrite, Fragments 167,168 et Atius, 1,3,16 (Dox.285). 214 Les penseurs grecs avant Socrate, Empdocle d'Agrigente, 1,3,20 (Dox.286).
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moi .215 Mentionnons au passage que les expriences
mystiques que Jung nous partage la fin de sa vie ne
tiennent pas compte du mandala.
En ,somme, Jung s'intresse, avec une mthode
rigoureuse, l'tude de ces formes circulaires. Le mandala
est pour lui un phnomne psychologique, c'est--dire une
forme universelle que produit l'inconscient collectif
toutes les poques et dans toutes les civilisat ions. Le
sens de ce symbole est l'quilibre de l'individu.
certains moments, l'unit de la conscience est menace par
la dissociation ou la , dsunion des forces conflictuelles en
nous-mme,
mandala :
provenant, crit Jung en 1951 au sujet du
du conflit entre le conscient et l'inconscient et de la confusion qui en rsulte. Empiriquement, cette confusion a la forme d'une instabili t et d'une dsorientation. Le symbolisme du cercle et de la quaternit apparat ce point comme un principe compensatoire d'ordre, qui peint l'union des opposs en conflit comme si elle tait dj accompli et facilite ainsi le chemin vers un tat plus sain et plus apais. Actuellement, la psychologie ne peut pas tablir plus que ceci : les symboles de totalit signifient la totalit de l'individu. Par ailleurs, il faut non seulement avouer, mais encore mettre en vidence le fait que ce symbolisme utilise des images et des schmes qui ont toujours, dans toutes les
215 C.G. Jung, Ma vie, p.229
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religions, exprim le Fondement universel, la Dit elle-mme. 216
Dans les temples bouddhistes, on remarque que le
bouddha est reprsent par une roue douze rayons. Du ct
de notre tradition, on retrouve le Christ au centre d'un
mandala, entour des symboles des quatre vanglistes. Jung
observe ce symbole peu prs dans toutes les cultures.
Avec la philosophie grecque de la nature, lorsque la
pense scientifique prend naissance, une nouvelle image du
divin apparat avec des reprsentations sphriques. Plutt
que les divinits personnifies du panthon grec, l'image
de Dieu, selon Marie-Louise Von Franz,217 sera maintenant
projete sur l'ide d'un fondement ultime et commun tous
les tres. Ce fondement est touj ours reprs"ent par une
forme circulaire ou sphrique. notre connaissance, les
gyptiens ne font pas mention exagrment de ce symbole.
Ils vnrent le Dieu soleil, sans plus. L'rudit Jung nous
rapporte cependant dans son Commentaire sur le Mystre de
la Fleur d'Or que l'gypte ancienne reprsente le dieu
solaire Horus au centre d'une figure circulaire entour de
ses quatre fils. Concernant les Amrindiens, certes, le
cercle est un symbole " bien prsent. On parle d'une sphre
intelligible dont le centre est partout et la circonfrence
nulle part. 218 Cependant, cela fait davantage rfrence
l'unit insparable entre la chane des tres qu'au divin.
216 C.G. Jung, Aon, p.304 217 Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.89-93 " 218 Joseph Campbell, Les mythes travers les ges, p.52-53
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Les premiers philosophes de la nature ont pour qute
l'tre cosmique, avec pour but, l'lucidation de sa
substance fondamentale. Ainsi, Parmnide 219 utilise le
symbole de la sphre pour reprsenter la totalit de
l'tre. Dans le panthisme des orphiques, le divin est
encore une forme sphrique se dfinissant comme embrassant
toutes choses depuis le dbut~ le milieu et la fin. Mme
chose avec Empdocle22o pour qui ros gouverne un cosmos
infini et partout identique lui-mme. L'apeiron (le sans-
limite) d'Anaximandre 221 est un principe cosmique. Ce n'est
pas un cercle. Cependant, le centre du monde pour celui-ci
est sphrique et circonscri t tout le cosmos. Xnophane 2 22 ,
pour sa part, a traduit Dieu comme tant partout et
toujours identique, limit mais sphrique.
Chez Platon et Plotin, le cosmos est peru comme une
sphre parfai te. Le mouvement de l'me et l' espri t est,
pour eux, circulaire. L'un est le centre et l'me du monde
est l'enveloppe sphrique.
La divinit est la fois ce qui est au centre et ce
qui embrasse tout. Eckhart, De Cues, Boehme et Bruno ont
aussi utilis ces images primordiales pour reprsenter le
cosmos, l'me du monde ou encore la divinit. Toutefois, la
science a vite laiss tomber ces images, surtout l'poque
219 Les penseurs grecs avant Socrate, Pannnide d'le, Atius, l, 7,26 (Dox.303). 220 Les penseurs grecs avant Socrate, Empdocle d'Agrigente, Fragments, 17,18,19,20,22. 221 Les penseUrs grecs avant Socrate, Anaximandre, Aristote: Physique, 203 b.6 et Atius, II, 13,7 (Dox.342). 222 Les penseurs grecs avant Socrate, Xnophane de Colophon, Simplicius. (Phys.5). Thophraste (Op. Phys., fr.5 Dox.480).
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de Jung : James Jeans disait que le monde ressemble plus
une pense qu' une matire. Dans son livre Dieu et la
science, Jean Guitton affirme que ... l ' univers qui nous
entoure devient de moins en moins matriel: il n'eBt p l us
comparable une immense- machine, mais plutt une vas t e
pense.223 Bohm224 pa.rle du monde pli (invisible) et dpli
(visible). Soulignons que David Bohm est un marginal, non
reprsentatif de la plupart des savants.
Enfin, cette fameuse sentence souvent prsente dans la
mystique chrtienne n'est-elle pas ce qui correspond le
mieux la faon dont Jung se reprsente le divin : Dieu
est une sphre spirituelle dont le centre est partout et la
circonfrence nulle part .225 Toutefois, le thologien John
P. Dourley, dans un ouvrage fort intressant, La maladie du
christianisme, souligne que selon l'interprtation
Jung :
le mandala ne dcrit pas seulement Dieu comme un cercle dont le centre est partout et la circonfrence nulle part (selon l'allgorie de Bonaventure), mais il dfinit aussi le centre comme un point-milieu entre les opposs. Une telle image met l'accent sur la nature binaire de la rali t. Si la ralit est fai te de contraires, en effet, tout investissement existentiel ou nergtique dans l'un ou l'autre de ces opposs conduit
223 Jean Guitton, Dieu et la science, p.17 224 John Briggs et David Peat, L'univers miroir, p.97-150 225 C.G. Jung, Mysterium conjunctionis, Tome l, p.81
de
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l'unilatralit, psychologiques, la nvrose. 226
ce qui, quivaut
en termes toujours
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En somme, ajoute Dourley, le mandala reprsente le
caractre immanent de la divinit dans la psych
individuelle mais du mme coup, il fait natre un sentiment
de transcendance puisque le moi tend vers l ' unit en se
rapprochant de ce centre di vin. C'est l tout le sens de
l'individuation ou de la transformation de la conscience en
la totalit selon Jung :
L'unit de l'homme ralise par un procd magique signifie [ ... ] la possibilit de produire galement l'union avec le monde, non pas avec la ralit multiple que nous voyons, mais avec un monde potentiel qui correspond au fondement ternel de toute existence empirique, tout comme le Soi est le fondement et la source originelle de la personnalit et comprend cette dernire dans "le pass, le prsent et l'avenir. 227
Voyonsmai?tenant ce qu'il en est de l'intrt de Jung
pour l'exploration de cette image de Dieu dans la nature
travers l'ide de synchronicit. Le mandala, comme nous
l'avons mentionn prcdemment, renvoie la psychologie,
au contenu psychique. Le principe de synchronicit, quant
lui, mise sur l'aspect parapsychologique, comme l'affirme
Jung, pour caractriser l'aspect dynamique du Soi, se
manifestant dans les vnements matriels.
226 John P. Dourley, La maladie du christianisme, p.96 227 C.G. Jung, Mysterium conjunctionis, Tome II, p.338
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La synchronicit et la psychologie
Dans les annes cinquante, les cri ts de Jung sur la
synchronicit et l'Unus Mundus sont un approfondissement de
cette projection de l'image que l'homme se fait de Dieu ou
l'apparence humaine de Dieu. La distance entre l ' univers
psychique et physique est ici trs rduite. Dans une lettre
du 2 janvier 1957, Jung crit une correspondante:
Le corps du monde et sa psych sont un reflet du Dieu que nous nous reprsentons. La scission qu'il Y a dans cette image est un artifice invitable de la conscience, sans lequel rien, tout simplement, ne pourrai t devenir conscient; mais on ne peut pas prtendre qu'il en est effectivement ainsi dans la rali t elle-mme. Nous avons plutt toutes les raisons de supposer qu'il doit n'y avoir qu'un seul univers, dans lequel psych et matire sont une seule et mme chose, dans lequel nous pratiquons une discrimination aux fins de la connaissance. 228
Le concept de synchronicit229 se dfinit de deux
faons. D'une part, il s'agit d'une correspondance ou d'une
concidence significative entre un vnement psychique et
un vnement physique qui n'ont pas de rapport causal entre
eux. De tels cas se prsentent, par exemple, lorsque des
phnomnes intrieurs comme des rves, des visions ou des
228 C.G. Jung, Le divin dans l'homme, p.119 229 Afm de dfmir le concept de synchronicit, nous utiliserons principalement trois ouvrages : Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, C.G. Jung, Synchronicit et paracelsica, et mon mmoire de matrise, Le principe de synchronicit chez C.G. Jung.
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prmonitions offrent une correspondance avec la ral i t
extrieure.
D'autre part, il s'agit d'une correspondance entre des
rves, ou encore entre des ides identiques ou analogues
qui se manifestent diffrents endroits, simultanment .
Ici encore, ce phnomne ne peut pas s'expliquer ,par un
processus causal. L'histoire de la science comporte de
nombreux exemples de dcouvertes simul tanes _ Je mentionne
ici le clbre cas concernant Darwin et sa thorie sur
l'origine des espces
Alors qu'il y travaillait, il reut un manuscrit d'un jeune biologiste qu'il ne connaissait pas, A.R. Wallace, qui tout en tant plus succinct, tait l'expos d'une thorie analogue celle de Darwin. Or, Wallace se trouvait ce rnoment-l aux Moluques en Malaisie. Il connaissait , Darwin en tant que naturaliste, mais n'avait pas la moindre ide du genre de recherches thoriques dont il s'occupait ce moment. 230
La connexion de ces vnements semble provenir de leur
relative simultanit. Il apparat ici que le temps doit
tre compris comme un continuum concret et non comme une
simple abstraction. On suppose que certaines quali ts ou
conditions fondamentales du se manifestent
simultanment en diffrents
temps
lieux. Le concept de
synchronicit rfre donc une concidence, dans le temps,
230 C.G. Jung, L'homme et ses symboles, p.306
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de deux ou plusieurs vnements, non relis causalement.
Ces derniers sont lis par le sens, c'est--di~e qu'ils ont
un mme contenu significatif.
Notre entendement a du mal concevoir que des
vnements acausals puissent exister. Notre conviction bien
enracine en la toute-puissance de la causalit nous porte
penser que les concidences significatives sont le fruit
du hasard. Cependant, la multiplication de ces
correspondances et de leur exactitude peut atteindre un
point o nous n'avons plus la lgitimit de les considrer
comme de simples hasards. Selon l'observation de Jung,
certaines d'entre elles seront envisages comme des
arrangements acausals.
Le dynamisme de la psych, comme nous l'avons vu
prcdemment, vaut galement pour les phnomnes de
synchronicit. Il a pour fonction de mettre en branle un
mcanisme de compensation lorsqu'un foss trop marqu
apparat entre le comportement conscient d'un individu et
l'activit de l'inconscient. Lorsque des contenus
inconscients ne parviennent pas s'intgrer la
consclence, ces derniers peuvent se manifester de faon
dtourne par le biais de phnomnes parapsychologiques. De
mme que l'inconscient peut li vrer son message par
l'intermdiaire du rve, il. peut tout aussi bien manifester
sa prsence par des vnements synchronistiques. Plus
l'attitude consciente s'loigne du langage des instincts,
plus forte sera la manifestation de l'inconscient. Les
effets psychiques dclenchs seront proportionnels la
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tension rsultant de l'attitude consciente. L'inconscient
se manifestera avec d'autant plus de force qu'il est tenu
l'cart. Tout en gardant son autonomie, le moi doi t cder
aux appels de sa nature profonde. Certaines traditions
spirituelles insistent sur le fait que la vie est un
apprentissage de la non-rsistance. L' homme se perd dans
l'illusion goste de croire qu'il est l'unique acteur de
sa vie, alors que les mouvements profonds de sa nature lui
chappent. L'ternel conflit entre l'acceptation et le
refus est d'ailleurs le propre de toute vie mystique.
d'o mane tout le
le reconnat dans
Le Soi est le centre rgulateur
dynamisme de l'activit psychique. On
toutes les religions avec la figure
reprsente le guide intrieur de l'homme.
du mandala. Il
Le but de la vie
consiste, pour le moi, devenir de plus en plus docile aux
messages du Soi. L'esprit conscient ne peut suivre
indfiniment ses impulsions propres. Le processus naturel
de maturation psychique l'incite cooprer davantage avec
sa nature profonde. Le moi doit renoncer ses fins pour se
soumettre aux rvlations de l'inconscient. Lorsque la
conscience est trop influence par des prjugs et des
fantasmes de toutes sortes, la vie de l' indi vidu devient
plus ou moins artificielle. L'loignement des instincts
amne ce que Jung appelle, rappelons-le, le phnomne de
dissociation nvrotique. Il crit en 1916 que: ...
l'inconscient ne devient dfavorable et dangereux que parce
que nous sommes en dsaccord avec lui, donc en opposi tion
avec des tendances majeures de nous-mmes ... les dynamismes
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de l'inconscient sont identiques l'nergie des
instincts .231
Afin de trouver l'quilibre ou la stabilit mentale,
le conscient et l'inconscient doivent vo l uer
paralllement. En somme, il s'agit de conscientiser les
informations fournies par les rves et les vnements
synchronistiques. Ce cheminement intrieur vise la
ralisation d'une personnalit plus mature et plus riche.
Bref, en explorant la psychologie des phnomnes
inconscients, il est vite apparu Jung que les images du
dedans ont leur cho au dehors. L'tre humain n'est plus
mur en lui-mme, non plus qu'il n'est victime de
projections dformantes. Des coincidences signifiahtes se
multiplient, le songe et l'vnement se refltent
mutuellement, si bien que s'impose la prsence de deux
ralits semblables ou plutt, d'une ralit unique dans
ses aspects psychiques et physiques. 232 Une fois de plus,
l'ternel problme dialectique de l'esprit et de la matire
refait surface. Dans les annes 1940, en explorant la
tradition alchimique occidentale, Jung emprunte aux anciens
la notion d'Unus Mundus pour dsigner l'unit du monde
intrieur et extrieur. Il en vient considrer cette
union comme le but ultime de ce qu'il a dnomm d.ans ses
crits, le processus d'individuation . Un des principaux
registres de l'uvre jungienne traite du mystre de la
conjonction.
conjunctionis.
L'ouvrage porte
231 C.G. Jung, Psychologie de l'inconscient, p.198 232 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.12-20
le titre de Mysterium
-
176
Le phnomne de la synchronicit fait donc partie de
l'exploration du Soi. Il traduit ce que suggre
l'inconscient tout comme le rve.
La synchronicit et l'Orient
C'est en tudiant la pense orientale, plus prcisment
en s'initiant au mode de fonctionnement du Yi-King, que
Jung a pu exprimenter le phnomne de synchronici t. Ce
procd divinatoire permet un individu d'identifier le
texte ou l' hexagramme du Yi-King en rapport avec son vcu
propre. Pendant plus de vingt ans, Jung constate le
phnomne mais, crit-il en 1949 :
Jusqu'ici je m'tais exprim une seule fois sur le problme du Yi-King. C' tai t dans mon hommage la mmoire de Richard Wilhelm. Le reste du temps, j'avais observ un silence plein de discrtion. 233
Trois ans plus tard, il fera ainsi le point sur ce
phnomne :
Si dans ce qui suit je demande mon public une dose inaccoutume d'ouverture intellectuelle et de disponibilit, je le prie de ne pas y voir de ma part quelque arrogance. Non seulement j'attends de mon lecteur qu'il me suive dans des rgions obscures et problmatiques de
233 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.14
-
l'exprience humaine, dont l'accs est barr par des pre]ugs, mais encore j lui impose les difficults qu'il y a pour la pense traiter et clairer, prcisment un obj et aussi abstrait ... mais d'une importance philosophique extrme, en tant que psychiatre et psychothrapeute j'ai souvent t mis en contact avec les phnomnes en question, et j'ai pu notamment mesurer avec certitude tout ce qu'ils signifient dans l'exprience intrieure de l'tre huma in. Ils' agi t en e f f et lep lus souvent de choses dont on ne parle qu' voix basse, afin de ne pas les exposer la raillerie de l'irrflexion. Je n'ai cess de m'tonner du grand nombre de gens qui ont connu des expriences de ce genre, et du soin qu'ils mettaient garder le secret de l'inexplicable. C'est pourquoi les raisons que j'ai de m'intresser ce problme ne sont pas seulement scientifiques, mais galement humaines. 234
177
Une fois de plus, on remarque l'intrt du thrapeute
pour des proccupations bien humaines. Jung est donc trs
conscient de l'tranget de ses vues par rapport au monde
scientifique qui l'entoure. Cependant, l'ordre acausal de
l'univers chinois, soit le taosme, et sa dcouverte de
l'inconscient collectif offre de multiples convergences. Du
fait de ces nombreux rapprochements, Jung vnre
richesse de cette civilisation :
On ne peut traiter par le mpris de grands esprits comme Confucius et Lao-Tseu... on ne peut encore moins
234 C.G. Jung, Synchronicit et paracelsica, p.21-22
la
- - - - - ---- - ----- --
-
omettre de voir que le Yi-King fut leur principale source d'inspiration. Je sais que je n'aurais pas os dans le pass m'exprimer de faon si nette en une matire si incertaine. Je prends ce risque parce que je suis maintenant dans ma hui time dcennie et que les opinions changeantes des humains ne m'impressionnent . plus: les penses des vieux matres ont pour moi plus de valeur que les pre]ugs philosophiques de l'esprit occidental. 235
178
Ce passage est important. Jung a 74 ans au moment o il
crit ce texte. Il prend position pour la pense de vieux
matres tels que Lao Tseu, un mystique de la premire
heure. Il porte aussi un intrt pour un ouvrage non
scientifique, tel que le Yi-King. Enfin, ses propos
concernant son dtachement par rapport aux opinions
d'autrui sont trs vocateurs. Jung est soucieux de s'en
tenir une dmarche scientifique. Toutefois, ses intrts
pour la mtaphysique sont manifestes. Bref, en observant .
les phnomnes inconscients, Jung constate l'insuffisance
du principe de causalit pour rendre compte de ces
phnomnes psychologiques parallles. Il recherche un autre
principe explicatif qu'il dcouvrira finlement dans la
civilisation chinoise. Ce principe d'ordre de l-'univers
appel Tao embrasse ce principe de connexion acausale.
Toute vie mane du Tao. Tout ce qui vient l'existence
procde de lui. Dans son acception usuelle, 'il signifie
voie ou chemin . Tout ce que l'on retrouve dans la
nature obit une dualit. La lumire et l'ombre, le repos
235 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.l5
-
179
et l'activit, la chaleur et le froid, l't et l'hiver, le
jour et la nuit sont autant de contrastes qui manifestent
le Tao. C'est pour cette raison d'ailleurs que l es
principes du yin et du yang ont un rle essentiel dans l a
philosophie chinoise. Ce couple reprsente les deux aspects
antagonistes de l'univers. Le mouvement de la nature
rsulte d'une relation entre deux forces complmentaires.
Tout ce qui intervient dans l'organisation du monde possde
des qua l its yin ou yang. En dressant des correspondances,
les Chinois ont reconnu que le microcosme et le macrocosme
sont rgis par une seule et mme loi. Le petit univers de
l' homme est analogue au grand univers qui nous entoure. La
caractristique . principale du 'Tao est sa nature cyclique.
Ce cycle de va-et-vient (expansion/contraction) est
reconnaissable dans les si tuations humaines, de mme que
dans le monde physique. Dans la nature extrieure comme en
chacun de nous, il est loisible de constater que chaque
fois qu'une situation se dveloppe jusqu' son extrme,
elle se transforme en son contraire.
La voie de la sagesse chinoise consiste ' alors se
soumettre au principe du Tao, qui rgit le cours des
choses. Chaque obj et est singulier et chaque tre possde
sa nature et ses tendances propres dterminant son destin.
Ce quelque chose d'irrductible que chacun porte en soi est
une manifestation du Tao. Celui qui cherche modifier le
cours des choses ou influencer le destin des tres, fait
preuve d'inconsquence. Le sage taoste se borne observer
la nature. Il sait que toute chose a sa raison d'tre et
qu'il est vain de vouloir y corriger quoi que ce soit.
Ainsi l'homme de sagesse accepte que tout change sans
l
-
180
cesse. I l n'est pas soumis un code moral. Il s'adapte
selon les circonstances. Il est inconstant dans ses
ractions, tout comme l'nergie de la vie est imprvisible
dans son lan :
Toute voie indique ou indicable, menant par degr un but, toute doctrine ou systme destins expliquer les rapports de la matire et de l'Esprit, dterminer les catgories de l'entendement, tout ce qui peut tre dmontr par un esprit humain un autre esprit humain, en vue de le rendre susceptible de connatre l'Univers, la Vrit, la Ralit, n'est pas ce qui a t, est, et sera ternellement. Une voie qui peut tre trace n'est pas la voie ternelle : le Tao. 236
Cette citation parle d'elle-mme. Elle indique
clairement, dans le ~angage de Jung, que le moi ne peut,
envers et contre tout, imposer son scnario sans s'attirer
des ennuis quelconques ou d' invi tables souffrances. Tout
au plus, l'homme peut permettre cette nergie de se
frayer un chemin. Il bnficie ainsi de toute la .puissance
et la fcondit qui accompagnent cet lan de vie. La
philosophie chinoise nous suggre d'adopter un mode de vie
conforme la nature du Tao. Au sens moral, le Tao signifie
comportement juste, semblable aux huit actions ou attitudes
justes exposes par le Bouddha. Soulignons que les
finalits du taosme (harmonie) et du bouddhisme
(extinction de la souffrance)
diffrente.
sont dcrites de faon
236 Lao Tseu, Tao te King, p.117
-
181
L'homme doit tre fidle lui-mme, sa nature
profonde, qui tradui t la manifestation du Tao. Le bonheur
n'est atteint que par le biais de cette sagesse intrieure.
La souffrance apparat au moment o l'homme rsiste au
courant de vie. Le bonheur nous est donn
l'acceptation, dans l'abandon au Tao:
On reconna t ces trai ts du Saint-Homme le divin visage de la Charit, secrte animatrice et apothose du Non-lutter. Mais, dira-t-on, c'est un idal surhumain devant lequel la nature se rvolte et nos forces dfaillent. Il est surhumain, en effet, puisqu'il ne peut tre atteint par notre volont propre; par contre il devient accessible ds que, conscients de notre faiblesse, nous confions la vertu du Tao le soin de le raliser. Et cela nous ramne ce par quoi nous devons toujours commencer: ne pas opposer en nous une rsistance absurde au rgne de l'Esprit, mais lui donner, sans crainte, accs dans notre cur par un libre abandon. 237
dans
Ce passage reprend notre rflexion prcdente sur la
notion du laisser advenir o l'on voquai t l'ide que
les rsistances ou l'ombre d'un individu ne sont pas nies
dans le taosme. Il ne s'agit pas ici d'une voie passive
mais plutt d'une sage comprhension des choses. Il n'est
pas tonnant que Jung ait t impressionn par cette
philosophie. C'est l qu'on s'aperoit que ce que Jung
appelle sa psychologie est en fait de la philosophie plutt
que de la science. Une telle conception se rapproche, sur
. 237 Ibid, p.IS7
-
182
bien des points, de sa psychologie. Le Tao est l'quivalent
du Soi chez Jung et tout le processus de la vie est le fait
d'un jeu d'opposs. Le Yin et le Yang sont des notions
comparables celles d'anima et d'animus. Mme l'hypothse
de l'inconscient collectif, au regard de l'univers, est
analogue au microcosme, rgi par la mme loi que l e
macrocosme. Bref, la sagesse chinoise consiste dans la
fidlit au Tao comme au Soi chez Jung. Dans son
Commentaire sur le Mystre de la Fleur d' Or, Jung dmon'tre
combien il est redevable l a voie chinoise. Il cri t au
sujet des opposs :
... Le Chinois doit manifestement cette dcouverte au fait qu'il n'a jamais t en tat de sparer violemment les opposs de la nature humaine au point de les perdre de vue en les laissant tomber dans l'inconscience. [ ... ] Nanmoins il n'a pu manquer d'prouver la collision des opposs et, par suite, de rechercher la voie o il serait ce que les Hindous appellent nirdvandva, c'est--dire libre d'opposs. 238
Plus loin, dans ce mme texte de 1929 concernant
l'Orient, Jung voque, en parlant de sa pratique
analytique, ce qui a t pour lui riche d'exprience:
J'avais en effet appris entre que les problmes vitaux les graves et les plus importants
238 C.G. Jung, Commentaire sur le Mystre de la Fleur d'Or, p.30
temps plus sont
-
tous, au fond, insolubles, et ils doivent l'tre, car ils expriment , la polarit ncessaire qui est immanente tout systme d' auto-rgulation. Ils ne peuvent jamais tre rsolus mais seulement tre dpasss. Je me suis donc demand si cette possibili t de dpassement, c'est--dire d'volution psychique plus pousse, n'tait pas en dfinitive la donne normale et si le fait de demeurer fix ou dans un conflit n'tait pas ce qu'il y avait de pa thologique. 239
183
Cette rflexion du psychiatre retient notre intrt.
Nous verrons en conclusion, qu'au cours de ces mmes
annes, Jung est hsitant se prononcer sur un ventuel
dpassement des opposs. Cependant, il entrevoit ici la
possibilit d'un dpassement du conflit. Enfin, toujours en
ce qui a trait l'approche thrapeutique, voici cette
lettre d'une patiente, relate avec intrt par Jung:
239 Ibid, p.32
Du mal il m'est sorti beaucoup de bien. En demeurant calme, en ne rprimant rien, en tant attentive, et, ce qui va avec le reste, en acceptant la ralit les choses comme elles sont et non comme je voudrais qu'elles soient - il m'est venu 'des connaissances singulires, et aussi des . pouvoirs singuliers, tels que je n'aurais jamais pu me l'imaginer auparavant. Je pensais toujours que si l'on acceptait , les choses, les choses nous dominaient d'une manire ou d'une autre; mais en ralit il n'en est rien, c'est seulement en les accueillant qu'on peut fixer sa position par rapport elles. Dsormais, je jouerai donc le
-
jeu de la vie en acceptant ce que la journe et la vie m'apportent tout instant, bien et mal, soleil et ombre qui alternent d'ailleurs constamment, et en mme temps j'accepte aussi mon tre propre avec ce qu'il a de positif et de ngatif, et tout devient plus vivant. Que j'tais donc sotte! et comme je voulais obliger . toute chose aller mon ide! 240
184
Ce passage so~ligne une attitude de sages~e qui, b i en
sr, n'est pas propre seulement au taosme. L'acceptation
dont il est question ne renvoie pas une quelconque
rsignation. Nous sommes bien loin, ici, d'une mthode,
d'une proposition ou d'une preuve scientifique. Nous sommes
en philosophie, en qute du sens de la vie.
Enfin, l'univers chinois nous introduit dans un monde
o l'intrieur et l'extrieur se refltent mutuellement. Le
vcu ne dpend pas d'une causalit extrieure mais il est
comment par le monde matriel. Avec le principe de
causalit, il en va tout autrement. Ce qui se passe
extrieurement n'est aucunement reli au vcu de
l'individu. L'attention se porte sur la succession des
vnements, c'est--dire sur un enchanement linaire. Dans
l'~ncienne Chine, par contre, l'intrt porte sur la
concidence d'vnements qui ont un mme contenu
significatif et qui apparaissent dans une relative
simultanit. Il s'agit en fait d'une mme ralit se
manifestant sous un aspect psychique et un aspect matriel,
comme c'est le cas avec la synchronicit. Voyons maintenant
240 Ibid, p.66
-
185
si, chez nous en Occident, des traces d'une parei ll e
conception du monde sont prsentes.
La synchronicit et l'Occident
Durant la priode qui suivit sa rupture avec Freud et
ses collgues, surtout partir de 1918, Jung dessine
beaucoup de mandalas. Du temps o il travaillait sur ce
symbole, il se mit peindre, -la suite d'un rve, un
chteau d'or fortifi (symbole du Soi) au centre d'un
mandala, ce qui est typique d'une sensibilit bien
chinoise. Sans savoir pourquoi, il constate que la forme et
le choix des couleurs se rapprochent du style chinois. Une
trange concidence fit en sorte qu'une lettre de Richard
Wilhelm lui parvint dans le mme temps avec un trait
d'alchimie chinoise taoste intitul le Secret de la Fleur
d'or. Ce dernier priait le clbre mdecin de lui en faire
un commentaire. Jung fut trs touch par la signification
de cet vnement. Il dclara ce sujet :
Je dvorai aussitt le manuscrit, car ce texte m'apportait une confirmation insouponne en ce qui concerne le mandala et la dambulation autour du centre. Ce fut le premier vnement qui vint percer ma solitude. Je sentais l une parent laquelle je pouvais me rattacher. 241
En souvenir de cette concidence, il crivit sous le
dessin de son mandala :
241 C.G. Jung, Ma vie, p.229
-
1928. Alors que j'tais en train de peindre l'image qui montre le chteau fort en or, Richa~d Wilhelm m'envoyai t de Francfort le texte chinois vieux d'un millnaire qui traite du chteau jaune, le germe du corps immortel. 242
186
C'est ainsi, par le biais de son ami Richard Wilhelm,
que Jung dveloppe son intrt pour le . taosme. La
conception de la synchronicit est sans doute l'avance la
plus audacieuse de l'oeuvre jungienne et celle-ci prend
origine dans la philosophie de l'ancienne Chine. Dans la
pense chinoise classique, comme nous l'avons vu plus haut,
le principe du Tao gouverne le monde. L'univers des
correspondances se fonde sur ce principe. La relation
essentielle que chacun entretient avec les autres et avec
tout ce qui l'entoure provient du Tao.
Dans la culture occidentale, cependant, on retrouve
galement des ides analogues la conception taoste. Une
vision synchronistique du monde, rappelons-le, suppose que
les vnements de l'esprit entretiennent un rapport de
signification avec les vnements du monde physique. Au fil
de l'histoire, on retrouve les traces d'une telle
conception.
Dans son ouvrage Problme de l'me moderne, un article
est consacr la pense primitive. Dans l'esprit des
primitifs, le hasard n'a pas de ralit. D'une certaine
faon, les accidents, la maladie ou le dcs, ne procdent
242 Ibid, p.229-230
-
187
pas de causes naturelles. Rien n'est fortuit. Tout repose,
pour ainsi dire, sur une efficience magique. Ainsi, la
maladie survient parce qu'elle est provoque par
l'influence d'un autre esprit. Bien entendu, ce stade, la
synchronici t n' a pas une forme conceptuelle. Ce n'est ni
plus ni moins que du causalisme magique.
Depuis la pense primitive donc, il subsiste toujours,
dans la tradition occidentale, des traces d'une mental i t
qui vise la saisie d'une totalit. Une vision holistique
du monde incluant la conscience remonte la nuit des
temps. Cependant, la philosophie occidentale a t en
partie domine par le dualisme esprit-matire avec Platon
et Descrtes par la sui te. Le concept d'uni t et
d'interrelation de toutes choses est connu de l'Occident,
mais le mode de pense analytique reste dominant, surtout
au cours des derniers sicles.
Jung est donc trs conscient de l'tranget de ses vues
par rapport au monde scientifique qui l'entoure. Toutefois,
ses relations avec le physicien Wolfgang Pauli lui ouvrent
les yeux.
La venue de la nouvelle physique (physique relativiste
et physique quantique) par ailleurs, nous rapproche d'une
vue de la ralit o la notion d'interconnexion est
centrale. L'observateur et l'observ sont en interaction,
la matire et l'nergie sont interchangeables, l'espace et
le temps ne sont plus qu'un continuum. La plupart des
-
I------------------------------~-----------------------------------------------------------------------~
188
physiciens, selon Fritzof Capra243 , affirment que nous avons
transcend la vision cartsienne du monde pour accder
une nouvelle conception de l'uni vers qui rej oint les deux
thmes de base de toute la mystique orientale. Il s'agit de
l'interdpendance des phnomnes et du caractre
intrinsquement dynamique de l'univers.
Ce qui intresse Jung, c'est l'ide de certains
scientifiques
indpendant
affirmation
scientifique.
dclarant que
de l'observateur
trouve aussi son
Un des grands
le phnomne n'est pas
mais . l'implique. Cette
cho dans ' la pense
constats de la physique
moderne, selon l'interprtation de Marie-Louise Von Franz,
dans son livre Nombre et temps,244 est de reconnatre que le
monde objectif ne semble pas exister en dehors de la
conscience qui en dtermine les proprits.
Au niveau de la microphysique, les conditions
d'observation ne sont plus neutres comme on le croyait
auparavant. Celles-ci ont un impact sur l' obj et observ.
Pour observer un lectron, il faut l'clairer et ainsi lui
envoyer des photons; or le choc provoqu par ceux-ci va
modifier les caractristiques de l'lectron. Le principe
d'incertitude, nonc en 1927 par le physicien Werner
Heisenberg, souligne l'impossibilit de mesurer la fois
la position et la vitesse d'une mm~ particule. En tenant
une mesure de la posi tion d'un lectron, on modifiera sa
vitesse . Inversement, si on tente de saisir sa vitesse en
envoyant des photons de faible amplitude, il sera trs
243 FritjofCapra, Le Tao de la physique, p.17-26 244 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.l 0-15
-
189
difficile de parler de sa position. La physique ne peut
qu'tablir des probabilits.
Jung dveloppe alors un intrt marqu pour la physique
de son temps '; le comportement de la matire dans une
dimension de l'infiniment petit, c'est--dire le monde des
particules lmentaires. Mais pourquoi un tel intrt?
Comme les alchimistes, nous croyons, la suite de
Marie-Louise Von Franz,245 que la qute du divin, la
recherche du numineux pour certains physiciens, est
maintenant projete sur le comportement de la matire. la
diffrence des alchimistes du Moyen-ge, cependant, le
savant d' aujourd' hui sait que des projections peuvent se
glisser dans ses observations sur la nature. Les anciens
alchimistes n'avaient pas conscience que leur dfinition de
la matire provenait de . l'exercice d'imagination active, de
ce que leur psych produisai t d'images et de fantasmes.
D'ailleurs, c'est un des mrites du matrialisme de savoir
distinguer la matire des manifestations psychiques de
l'individu.
Toutefois, bien des physiciens ont affirm que
l'observation scientifique ne peut tre tout fait neutre.
Il y a l'instrumentation du savant qui influence les
particules observes en y proj etant des photons. D'autres
vont plus loin encore en affirmant que le psychisme mme de
celui' qui observe influence le phnomne. Afin de
245 Marie-Louise Von Franz, Psych et matire dans l'alchimie et la science moderne, p.1-19
-
190
comprendre ce rapport, Jung se penche sur la valeur
accorde au principe de causalit.
L'arrive de la physique contemporaine a remis en
question les lois considres jusque l comme naturelles.
L'tude des particules lmentaires, en microphysique, rend
compte du caractre inadquat de la causalit pour
expliquer le comportement de la matire. Lorsqu' au niveau
de l'infiniment petit, on apprhende les processus dans
leur globalit ( le comportement d'un ensemble de
particules), ils obissent bien aux lois de la causalit,
mais, si chacun de .s lments est tudi isolment, leur
action rpond des manifestations tout fait alatoires.
L'application de la causalit est donc relativise. Elle ne
s'applique formellement qu'aux phnomnes macrophysiques
mais, lorsqu'on aborde le domaine de la microphysique, on
doit faire appel la loi de la probabilit.
Prenons, par exemple, le phnomne de la radioactivit
dcouvert au dbut du sicle. Cette nergie renferme des
atomes instables dont l'atome de plutonium. On dit de cette
particule qu'elle se ds~ntgre avec une demi-vie de vingt-
cinq mille ans. supposer que mille atomes de plutonium
soient dposs dans un lieu appropri, on sait que cinq
cents atomes se dsintgreront au cours des vingt-cinq
mille ans qui suivront et aprs cinquante mille ans, deux
cent cinquante survivront.
Enfin, selon les crits de Jung, dans son livre
Synchronicit et paracelsica, la dsintgration a lieu
-
191
lorsque le noyau de l'atome se casse en deux ou mme en
trois, quelquefois. La cassure survient parce que le n~yau
est trop charg de protons qui, tous, comptent une charge
lectrique positive. Ainsi, l'clatement du noyau et de
l'atome est provoqu par la rpulsion entre ces charges.
La cause de ce phnomne serait une charge excessive
entranant comme effet, une cassure. Cependant, la majorit
des physiciens s'entendent pour dire qu'aucune explication
envisageable ne permet d'lucider le fait que tel atome se
dsintgre tel moment. On peut expliquer pourquoi les
atomes clatent mais sans pour autant savoir pourquoi ils
le font un instant donn. Le moment de l'clatement est
indtermin.
peut rien
Il n'est
affirmer
que probable, jamais certain.
du comportement indi viduel
particule, mais seulement de son comportement gnral.
La plupart des que
On ne
d'une
l'on
connaisse aujourd'hui
temps, elles vont
particules subatomiques
sont instables . Aprs un certain
se dsintgrer ou disparatre par
transmutation en d'autres particules. Nous ne pouvons
encore l prvoir le moment exact de la dsintgration ni
de la combinaison nouvelle qu'elles adopteront avec
d'autres particules. L'indterminisme du monde quantique,
selon Fritzof Capra, n'est pas un ' attribut superficiel de
la thorie. Il est inhrent la ralit atomique. C'est le
caractre fondamental de la nature atomique et subatomique.
Notr~ concept de loi naturelle se fonde sur le principe
de causalit. un type de cause prcise, on associe un
-
192
type d'effet bien prcis. Cependant, si cette relation n'a
qu'une valeur statistique (non valable dans tous les cas)
et donc relative, alors l'explication des processus
naturels par le principe de causalit est en dernire
analyse galement relative ~ En effet, dans un certain
pourcentage de cas, le lien entre certains vnements est
d'une nature autre que causale, ce qui requiert donc un
autre principe explicatif.
Bien entendu, si on observe les rouages de notre monde
macrophysique, il est de peu d'espoir que l'on y trouve des
vnements qui ne relveraient pas de la causalit, ne
serait-ce que parce qu'il nous est impossible de nous
reprsenter des vnements dpourvus de lien causal. Mais,
cela ne veut pas dire qu'il ne s'en produit pas. Mme si ce
raisonnement nous semble un peu forc, Jung affirme que de
la prmisse de la vrit statistique, on dduit logiquement
la possibilit de ce type d'vnements.
Dans les sciences de la nature, les lois visent
cerner la rgularit des phnomnes et, parce qu'elle est
exprimentale, la science porte sur la reproduction des
vnements. Notre mthode d'exprimentation impose la
nature des conditions restrictives. Ce qui est unique et
rare ne peut tre pris en considration. On incite la
nature rpondre aux questions choisies par nous. En
agissant de la sorte, on n'obtient qu'une comprhension
limite des phnomnes, d'o se soustraient tous les
aspects que la statistique ne peut saisir.
-
193
partir de ces considrations, Jung cherchera
apprhender ces vnements uniques et rares que sont les
phnomnes de synchronicit. En fait, ce que cherche Jung,
c'est la comprhension de ce rapport au monde, cette
relation psych-matire. C'est alors qu'il avoue en 1948,
dans son ouvrage Essais sur la symbolique de l'esprit,
l'influence de la mthode en psychologie par rapport une
telle perspective
Jung
Dans les sciences de la nature, on ne peut s'interroger sur la substance de ce qui est observ que si l'on trouve par ailleurs un point d'Archimde. Or, pour la psych, on manque d'un tel point de vue, puisque bien sr seule la psych .peut observer la psych. Par consquent, il nous est impossible, du moins avec les . moyens actuels, de connatre la substance psychique. Rien n'exclut au demeurant que la physique atomique du futur ne puisse nous apporter un tel point d'Archimde. Mais, pour l'heure, on aura beau se lancer dans les lucubrations les plus pousses, on ne pourra gure aller au-del de cette proposition C'est ainsi que se comporte la psych. 246
ne se risque jamais, disions-nous, une
interprtation soit matrialiste ou spiritualiste de ses
observations cliniques puisque, dit-il ', nous ne pouvons que
dcrire les phnomnes d'aprs ce que nous en savons
consciemment mais jamais nous ne sommes en mesure de les
dfinir :
246 C.G. Jung, Essais sur la symbolique de l'esprit, p.87
-
La matire comme l'esprit, apparaissent dans la sphre psychique comme des proprits caractristiques de contenus conscients. Tous deux sont, dans leur nature ultime, transcendantaux, c'est--dire impossibles discerner en tant que la psych e t ses contenus reprsentent notre unique donne immdiate. 247
194
Se l on Jung, on ne peut savoir si la rali t e s t
matrie l le ou spirituelle. La connaissance passe par nos
reprsentations et celles-ci ne sont que des aspects
partiels de l'exprience que nous avons du monde et de
nous-mmes. L'angoisse que nous ressentons la rencontre
d'un personnage menaant nous apparat tout aussi relle en
surgissant dans un rve que dans la vie diurne. Psych ou
matire, ces deux thories sont agissantes. La seule chose
que nous puissions dire et qualifier de relle, c'est que
le psychisme est ce lieu o nous apercevons nos
reprsentations. Lorsque nous parlons du monde spirituel ou
de la matire, nous identifions des contenus psychiques.
Il est impossible l'homme de s'lever au-del de ses
propres reprsentations. Il n'y a pas de point d'Archimde
extrieur la conscience et la matire. Donc, il n'y a
de rel pour Jung que l'exprience directe que je fais par
le biais de cette psych, mme si cette dernire m'est en
grande partie inconnue.
247 C.G. Jung, L'homme et ses symboles, p.94
-
195
Cela dit, l'hypothse d'un monde unitaire est la qute
de Jung. Les structures psychologiques sont-elles le reflet
des processus de la matire ou l'inverse? En tous les cas,
Jung postule que l'inconscient collectif reprsente un
microcosme l'intrieur de l' homme. La constellation des
archtypes constitue la ralit objective de l'me. Voyons
cela de plus prs.
L'archtype de l'Unit
L'uni t du monde que Jung dcri t ici, renvoie un
ordre des ides mtaphysiques o toute chose concrte fut
conue dans l' ~sprit de Dieu, de sorte que tout ce qui
existe correspond un modle archtypique. Dans son tude
sur l'alchimiste Gerhard Dorn, Marie-Louise Von Franz
souligne cette unit ou cette conception acausale du
monde :
Concrtement, l'unus mundus se manifeste, comme le fait remarquer Jung, dans les phnomnes de synchronici t. Alors que nous vivons habituellement dans un monde ddoubl en vnements extrieurs et intrieurs, cette dualit n'existe plus dans l'vnement synchronistique: les vnements extrieurs se comportent comme s'ils faisaient partie de notre psych, si bien que tout est contenu dans la mme totali t. 248
248 Marie-Louise Von Franz, Alchimie et Imagination active, p.I5I
-
196
La conjonction vritable des mondes extrieur et
intrieur est ralise par l'union de l' espri t consc i ent
avec l'inconscient collectif. On retrouve alors un
largissement ' du conscient. Pour ce faire, cependant, le
moi doit se retirer en faveur de l'autorit du Soi. Le but
vers lequel tend l'individuation porte sur l'intgration
des contenus inconscients qui,
l'unification de la personnalit.
du mme coup, v i se
L'Un devient multiple dans toutes les consciences
subjectives,
archtypes.
telles que le moi,
Marie-Louise Von Franz,
par le biais des
reconnue comme la
continuatrice des travaux de Jung sur la synchronicit,
dfinit l'archtype comme un point activ de l'inconscient
collectif scintilla tout comme le sont les points activs
d'un champ lectromagntique. Lorsqu'un point quelconque de
l'inconscient est affect, cela se passe aussi en tous
points :
Cette partie de la psych obj ecti ve n'est pas limite la personne et de ce fait elle n'est pas non plus limite au corps. Cette psych se comporte comme si elle tait une, et non pas comme si elle tait dissocie en de multiples mes individuelles. 249
Jung remet le dualisme de Descartes en question mais
comment peut-il combler ce foss entre le sujet et l'objet?
Nous savons qu'il existe une dimension physique obissant
la loi de la causalit mais, ce que Jung recherche, c'est
249 Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.126
-
197
le point de vue finaliste. L o il y a une dimension
propre la signification, au monde du sentiment et de la
valeur, c'est donc au-del du dualisme cartsien. C'est ce
que vise la qute d'un monde unifi. Le Soi est cette
instance suprme proposant une finalit :
Le Soi a le caractre a priori d'tre orient vers un but et la pousse vers la ralisation de cette fin existe mme si la conscience n'y pa-rticipe pas. On ne peut les nier, mais on ne " peut pas davantage se passer de la conscience du moi. Lui aussi fait connatre son exigence sans qu'on puisse l'luder; et il le fait trs souvent en contradiction bruyante ou lgre avec la ncessit du devenir-soi. 250
Ici encore, nous devons nous interroger savoir si
Jung demeure sur le terrain de la psychologie ou s'il
outrepasse ses frontires. Chose certaine, le principe de
synchronicit n'est pas tranger l'ide d'une me du
monde. Dans un article, paru dans les revues de
psychanalyse jungienne, intitul La synchronicit, une
rverie pistmologique , Marie-Laure Grivet cite juste
titre cette dclaration de Jung, dans une lettre du 10
novembre 1934 en parlant de la synchronicit : Il me faut
d'abord [ ... ] me limiter uniquement
paralllisme des phnomnes psychiques .251
250 C.G. Jung, L'me et la vie, pAIl 251 C.G. Jung, Correspondance, Tome l, p.234
souligner le
-
-- -~~-
198
Aprs avoir ainsi mentionn ce correspondant qu'il
lui fallait se limiter au paralllisme des phnomnes
psychiques, Jung subit encore le mme conflit dchirant
entre la mthode qu'il s'impose et la pousse .de son
intui tian. Touj ours dans sa correspondance o il se livre
le plus intimement, il crit dans une lettre date de
1957 :
Je comprends bien que vous mettiez de prfrence en relief les implications archtypiques de la synchronici t du point de vue psychologique, c'est assurment cet aspect qui a le plus d'importance, mais j'avoue que l'aspect mtaphysique de ces phnomnes m'intresse tout autant, voire plus encore l'occasion. 252
Nous rejoignons Marie-Laure Grivet 253 lorsque celle-ci
affirme que la synchronicit est une conception moderne
d'un type de pense et de mtaphysique ancienne o
l'interaction de tous les lments du cosmos est le produit
de la manifestation d'une unit primordiale.
Effectivement, la concidence signifiante nous renvoie
au dynamisme de l'inconscient collectif reprsentant l'me
du monde. Pareille ralit diffre considrablement de
l'ordre de la conscience rationnelle o la division fai t
place la synthse. La recherche des causes fai t place
l'univers des correspondances. L'homme devient le tmoin
d'un univers charg de sens.
252 C.G. Jung, Correspondance, Tome IV, p.172 253 Marie-Laure Grivet, La synchronicit, une rverie pistmologique ... , p.44
-
1 1
1
199
Ainsi, aux poques prcdentes, la rfrence la
volont des dieux ou la Sagesse divine traduisait ce que
nous entendons aujourd'hui par l'attention porte aux
phnomnes de synchronicit. L'ide d'un principe de
synchronicit, comme nous l'avons mentionn plus t t , es t
analogue certaines ides mtaphysiques l'gard de l a
magie primitive o l'on parle de la sympathie de toutes
choses.
Ces conceptions ont en commun l'ide d'interdpendance
de toutes choses et de tous les vnements. A l'origine, un
principe d'ordre transcendant prtexte que le hasard
n'existe pas toujours, en tout temps, et qu' certains
moments donc, le sens prdomine et non la causali t. La
conception
toujours
de
cette
la synchronicit,
mme volont
croyons-nous, reflte
d'utiliser un langage
scientifique pour traduire ses contemporains des
intuitions qui rejoignent des croyances mtaphysiques
traditionnelles.
A l'vidence, l'intrt de Jung ne vise plus la
relation entre individus mais, plus encore, le sens du
monde. Cela se constate si l'on suit l'volution du
psychiatre dans sa faon de dfinir l'inconscient
collectif. La dclaration suivante qui ne peut que renvoyer
la mtaphysique est tonnante :
On ne peut apprhender cette couche de l'uni t autrement que par l'ide d'un continuum omniprsent, une .omniprsence sans extension. Quand l
------------------------------------------------------------------------------------ ----- -----
-
au point A se produit quelque chose qui concerne l'inconscient collectif ou l'affecte, cela se passe en tous points. 254
200
Donc il Y a une communication entre l'homme et
l'univers qui s'effectue d'une faon incomprhensible. Jung
dclare en 1954 : Sans lien causal le non psychique peut
se comporter comme le psychique et vice versa . 2 55
Dans ce contexte, Jung dfinit les " archtypes comme
participant la fois au monde de la psych et de la
matire. Ceux-ci disposent, dit-il, d'une aptitude la
transgressivit. C'est pour cette raison qu'on dit des
archtypes qu'ils ont une ralit psychode. ce niveau,
le psychique rejoint le biologique. La constatation de
cette ralit " a conduit Jung opter pour une vision
unitaire du monde. Les domaines de l'esprit et de la
matire sont ici complmentaires. Avec ce regard, on ne
peut se satisfaire ni d'une conception matrialiste, ni
d'une vue spiritualiste. Jung crira:
En raison du caractre inalinable des phnomnes psychiques, il ne peut pas y avoir d'accs unique au secret de l'tre, mais il doit en exister au moins deux: savoir l'vnement matriel d'une part et le reflet psychique d'autre part, ce qui ne permettra sans doute jamais de dcider o est le reflet et o est la chose reflte. 256
254 C.G. Jung, Briefe, l, p.84, cit par Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.126 255 C.G. Jung, Les racines de la conscience, p.540 256 Marie-Louise Von Franz, Nombres et temps, p.31
-
201
Jung parle de la synchronicit comme quelque chose
d'empirique, c'est--dire relevant de l'exprience
subjective et non comme un phnomne relevant de la
spculation philosophique. Cependant, le psychiatre, de
toute vidence, veut faire de la synchronicit un principe
applicable l'ensemble de la ralit. Ce n'est pas dit
explicitement mais son principe n'est plus limit des
expriences humaines seulement. Le phnomne de
synchronicit interagit aussi avec des animaux et des
objets matriels. Il va identifier le principe de
synchronicit un principe de la nature, ne croyant pas
un lien causal pour expliquer ce phnomne, mais une
relation qui se situe au niveau d'une communaut de sens.
Donc, de ces cas ' particuliers, nous nous hissons
maintenant l'ide d'un ordre gnral o nous rejoignons
cette zone psychode ou apriori. Ce n'est plus le sujet
seul qui donne sens un vnement. La relation au monde
physique, suppose-t-il, est rgie par un principe
signifiant. Il Y aurait un sens en soi, inscrit dans la
nature. En somme, ce qui relie ces deux mondes doit
ncessairement transcender ces deux mondes. Sommes-nous
toujours sur le terrain de la psychologie? Srement pas;
chose certaine, en 1952, Jung parle d'un arrangement
d'vnements qui chappent notre capacit de
connaissance ... ct de la connexion entre cause et
effet, il existe dans la nature un autre facteur qui se
manifeste dans l'ordonnance des vnements et nous apparat
l 'd 257 sous es especes u sens ,.
257 C.G. Jung, Synchronicit et Paracelsica, p.78
-
202
L' hypothse 'd'un ordre sans cause nous renvoie un
monde o, l'vidence, l'lment cl de cette dimension
est le sens et non la causalit, laquelle prsuppose une
succession dans le temps et dans l'espace, alors que
l'inconscient est dit indpendant de ces catgories. Jung
dclare donc : La synchronicit prsuppose un sens
apriori, par rapport la conscience humaine, et qui semble
exister en dehors de l'homme .258
Jung fait alors observer que la dfinition de la
synchronicit est trop restreinte et doit tre largie :
, 258 Ibid, p.91
De fai t j'incline supposer que la synchronicit au sens restreint n'est qu'un cas particulier d'un ordre gnral sans cause, le cas de la similitude entre les processus psychiques et physiques, dans lequel l'observateur a l'avantage de pouvoir identifier le tertium comparationis . Toutefois, percevant le fondement archtypique du phnomne il est aussi tent d'interprter de faon rductrice l'apparition d'une similitude entre des processus psychiques et physiques indpendants par une efficacit causale de l'archtype, et donc d'en laisser chapper le caractre de pure contingence. On chappe ce risque en considrant la synchronicit comme cas particulier d'un ordre gnral. On vite aussi par l de multiplier les principes explicatifs, ce qui n'est pas admissible: l'archtype est la forme, saisissable par l'observation intrieure, de l'ordre apriori dans le domaine psychique. Si
-
~~~~~~~~--- --- -~----
un processus extrieur synchronistique vient s'associer au processus psychique, il suit le mme schma de base, il obit au mme ordre. La diffrence entre cette forme d'ordre et l'ordre dont relve les proprits des nombres entiers, les discontinuits de la physique, c'est que ce dernier se manifeste depuis toujours avec rgularit, alors que l'autre prside aux actes de cration dans le temps. C'est l, soit dit en passant, la raison profonde pour laquelle j'ai mis l'accent prcisment sur le facteur temps comme caractristique de ces phnomnes, et qualifi ceux-ci de synchronistiques. 259
203
Penchons-nous alors sur la faon d'envisager cet ordre
du monde.
Ordre apriori et acausal
Le Soi, dfini ici par Jung, n'est plus purement
spirituel. L'inconscient est en rapport avec les structures
de la matire sensible ou de la materia prima, pour
reprendre une expression alchimique. Le Soi peut se rvler
comme une donne apriori. Pensons par exemple au rseau du
cristal. Il a une structure qui lui est propre. C'est une
prcondition identique tous les cristaux. Il est le mme
et ternel, non une substance mais ,une forme.
259 Ibid, p.l 06
-
204
certains niveaux donc, il y a effectivement
concidence entre la psych et la matire. Le philosophe
franais Michel Cazenave, dans son livre La science et
l'me du ' monde, tente d'clairer cette question ou ce type
de rapport, en nous proposant de nous lever sur un plan
virtuel. Il y a analogie ou adquation empirique un
certain degr parce qu'il existe des reprsentations
psychiques archtypales communes nous tous. Par exemple,
il y 'a des expressions mythiques dont on ignore quelles
ralits psychiques elles correspondent, comme c'est le cas
d'expressions mathmatiques pour des ralits physiques.
Souvenons-nous de ces cas o des struc'tures mathmatiques
ont t dcouvertes abstraitement par certains chercheurs.
Par la suite, on a vant les mrites pragmatiques de ces
thories. Toutefois, ds le dpart, celles-ci n'ont jamais
t pressenties dans le but d'une application ventuelle.
La projection mentale, l'univers symbolique, les
expressions abstraites et invisibles des 'lois ont comme
source cette
bien sr,
unit transcendante.
mais les intuitions
Celle-ci nous
scientifiques
ch,appe,
semblent
provenir de ce domaine de l'imaginaire : L'arrire-plan
psychophysique transcendantal correspond un monde
potentiel en tant que toutes les conditions qui dterminent
la forme des phnomnes empiriques lui sont inhrentes. 260
L'Unus Mundus est ce monde potentiel, virtuel; un
intermdiaire entre l'tre et le sensible. Ainsi
260 C.G. Jung, Mysterium conjunctionis, Tome l, p.318
-
205
l'inconscient collectif ne- devient-il pas l'quivalent de
la cration :
Tout ce que la psych nonce ou manifeste est l'expression de la nature des choses, dont l'homme fait galement partie. De mme qu'en physique les processus nuclaires ne peuvent pas tre observs directement, les contenus de l'inconscient collectif ne sont pas, de leur ct, immdiatement connaissables. Dans les deux cas, la nature elle-mme ne peut tre connue que par dduction, comme l'orbite des particules nuclaires par la chambre de Wilson. Les traces archtypiques s'observent pratiquement dans les rves o elles deviennent perceptibles comme formes psychiques ... Mais elles peuvent apparaitre concrtement et physiquement, notamment sous la forme de faits physiques. Mme les obj ets inanims se comportent de cette manire, par exemple les phnomnes mtorologiques. 261
Nous sommes dans un monde de structures imaginaires,
tout comme le veut le modle de l'univers de la philosophie
no-platonicienne le considrant comme la rali t des
entits idales. Le Soi comporte donc des degrs. Lorsqu'on
parle de la couche la plus profonde des strates de
l'inconscient collectif, on s'approche de l'Un:
l'approche de cette couche de l'unit, le temps et l'espace
deviennent de plus en plus relatifs .262 Ce passage est
rapprocher d'une des expriences mystiques de Jung, la
261 Marie-Louise Von Franz, Nombre et temps, p.31 262 C.G. Jung, Briefe, l, p.486-487, cit par Marie-Louise Von Franz, Reflets de l'me, p.126
-
206
fin de sa vie, lorsqu'il crit que le pass, le prsent et
l'avenir sont une mme chose.
Ainsi, au cours de la vie et de l'uvre de Jung, la
notion d'archtype et d'inconscient collectif volue
considrablement jusqu' rejoindre une dimension proprement
mtaphysique
indmontrable.
ou
En
non matrielle, non
1929, en parlant
saisissable et
nouveau de
l'inconscient collectif, Jung le conoit comme un
continuum omniprsent, un prsent sans tendue .263
Nous sommes ici bien loin, avouons-le, d'un inconscient
dfini comme une simple structure inne. Il existe donc
dans la nature une transcendance immanente, si l'on
s'inspire des exemples de' Michel Cazenave, puisque la
prsence d'une immanence rend compte du fait que nous
participons ou entrevoyons certaines structures du rel.
Une transcendance absolue, seule, serai t insuffisante. En
se reportant au plan virtuel donc, nous pouvons comprendre
l'affirmation suivante de Jung:
Les archtypes en tant que structures formelles psycho-physiques pourraient tre en dfinitive un principe formateur de l'univers, c'est--dire un facteur d'ordre universel et transcendant l'tre. 264
Il Y a bel et bien un discours qui se tisse sur l'unit
du monde. Le projet de Jung est, somme toute, trs
263 C.G. Jung, Correspondance, Tome l, Lettre du 4 janvier 1929 , p.95 264 Hubert Reeves, Michel Cazenave, Pierre Soli, Carl Pribram, H.F. Etter, Marie-Louise Von Franz, La synchronicit, l'me et la science, p.56
-
r-
I
207
ambitieux . Arriver reconstruire des processus psychiques
dans un autre milieu, afin d'obtenir plus d'objectivit sur
la mesure de nos tats psychiques, est pour le moins trs
nigmatique. En 1946 d'ailleurs, Jung lui-mme avoue son
ignorance quant l'aspect d'une telle reconstruction:
Cette trange conjonction de la physique atomique et de la psychologie prsente pour cette dernire un avantage inapprciable : elle nous fait comprendre ou du moins pressentir, qu'il serait peut-tre possible de dcouvrir un point archimdique pour la psychologie. Le monde microphysique . de l'atome prsente des traits dont la parent avec le psychique a frapp le physicien lui-mme. Il semble en ressortir, au moins sous forme d'indication, une possibilit de reconstruction du processus psychique dans un autre milieu, savoir celui de la microphysique et de la matire. Il est vrai que, pour le moment, nous ne sommes pas le moins du monde capables d'indiquer quel pourrait tre l'aspect d'une telle reconstruction. De toute vidence, la nature seule est capable de l'entreprendre. Autrement di t cela se produit continuellement, sans doute aussi frquemment que la psych peroi t le monde physique. 265
Ce type de conjonction est souhaitable, peut-tre mme
envisageable, mais selon nous, elle demeure pour le moins
une entreprise audacieuse, sinon compltement illusoire.
Nous n'avons aucune certitude savoir o se trouve ce
265 C.G. Jung, Psychologie et ducation, p.47-48
- - --- - --
-
208
fameux point d'appui ou archimdique. Wolfgang Pauli,
cet minent physicien et ami de Jung, invitait ce dernier
plus de prudence concernant cette conjonction. La
mtaphysique et la science ne sont pas deux domaines
offrant les mmes ralits, pensons-nous. Pourquoi ne pas
considrer ces hasards signifiants simplement comme des
moments de grce? Pourquoi s'astreindre inscrire ces
instants de fusion avec la nature dans le cadre d'une
thorie? Cette qute d'union des opposs concernant l'homme
et l'univers ou la psych et la matire ne cache-t-elle pas
un besoin de relier le monde d'ici-bas avec le monde de
l'au-del, souligne Marie-Laure Grivet. 266
La vision du Soi dans les crits de Jung est teinte de
la singularit de son vcu. Souvenons-nous du pre de Jung
pour qui le destin fut une tragdie. La rigueur
intellectuelle du pre n'est pas au rendez-vous pour
rpondre aux questions de son fils. Alors que Jung est
curieux d'aborder le mystre de la Sainte Trinit, lors
d'un cours d'instruction religieuse que lui dispense son
pre pasteur, ce dernier lui dclare : Nous en \.
arriverions maintenant la Trinit; mais nous allons
passer l-dessus car, vrai dire, je n'y comprends
rien .267 Paul Achille Jung tmoigne aussi d'une foi fade.
L'exprience vcue lui manquait, dira Jung Il me
semblait presque impensable qu'il puisse ne pas avoir
l'exprience de Dieu, cette exprience la plus vidente de
toutes . 268
266 Marie-Laure Grivet, La synchronicit, une rverie pistmologique , p.SO 267 C.G. Jung, Ma vie, p.73 268 Ibid, p.IIS
-
Ainsi, toute sa vie, Jung valorise
intellectuelle que son pre n'avait pas, et
vivante lie l'exprience subjective que
formule comme tant ses lans de cur.
209
une rigueur
une foi plus
nous avons
Remontons plus loin encore. Jung est lui-mme di vis
entre son numro un et son numro deux. Il remdie cette
dsunion en sculptant un petit bonhomme de bois vers l'ge
de dix ans. Le contact avec ce petit bonhomme est vcu
comme un rituel lui permettant enfin de s'unir lui-mme.
Le numro un adopte une attitude plus conformiste de la vie
alors que le numro deux lui permet d'accder cette foi
vivante qui le relie l'intelligence de l'humanit et aux
mystres de la vie.
Si cette tentative ' de synthse entre la mtaphysique et
la science ne semble pas concluante, que devons-nous
retenir de cette qute? Quel est le sens de 'cette qute?
Sans doute, s'agit-il de l'harmonie suggre dans la
philosophie taoste. Toutefois, comment parvenir cela? Ce
qui nous questionne ici, c'est l'ide que Jung se fai t de
la nature. De quelle conception s'agit-il? Penchons-nous
maintenant sur cette question.
Jung est-il panthiste?
Attir autant par les sciences de l'esprit que par les
sciences naturelles, un conflit s'installe chez Jung au
moment de faire un choix de carrire. De rflexion en
-
210
rflexion, d'une pense l'autre, apparat le rve
suivant, au cours d'une nuit o l'action se passe en
fort :
Elle (la fort) tait traverse de cours d'eau et parseme de broussailles. l'endroit le plus obscur j'aperus entour d'paisses broussailles, un tang de forme ronde. Dans l'eau, moiti enfonc, il y avait le plus trange des tres : un animal rond, scintillant de mille couleurs et compos de nombreuses peti tes cellules ou d'organes en forme de tentacules. Un radiolaire gant d'environ un mtre de diamtre. Que cette crature magnifique soit reste cet endroit, cache, sans tre drange, dans l'eau claire et profonde me parut tre une merveille indestructible. Elle veilla en moi le plus ardent dsir de savoir ... 269
Cet tre rond, rappelant le mandala, reprsente un
ordre cach dans l'obscurit de la nature. Le mdecin
Paracelse, au Moyen-ge, connaissait cet esprit qu'il
appelait La lumire de la nature .
Dans la tradition des alchimistes, ce phnomne est
bien connu. Ceux-ci parlent d'une lumire seconde par
rapport la rvlation chrtienne. Cependant, elle n'est
pas incompatible avec les mystres de la foi. D'autres
penseurs, au dire de Marie-Louise Von Franz,270 tels que
Guillaume de Conches, Guillaume d'Auvergne, Albert le
269 C.G. Jung, Ma vie, p.107 270 Marie-Louise Von Franz, Son mythe en notre temps, p.47
-
211
Grand, Guillaume de Paris, ont parl d'un savoir
inconscient, instinctif ou encore d'un sens de la nature.
Mais la lumire naturelle que dfinit Paracelse, est-il
prcis, s'offre comme une lumire qui ne se rfugie pas
dans le corps physique de l'homme mais dans ce qu'il
appelle le corps intrieur. Cette lumire invisible rejoint
l'homme, principalement travers ses rves. Paracelse
crit : Or la lumire de la nature est une autre lumire
allume partir du Saint-Esprit et qui ne s'teint
pas 2 7 1 .
L'ide d'un esprit de la nature apparat dj chez Jung
l'ge de trois ou quatre ans, lors d'un songe que nous
avons dcrit plus haut. C'est le thme du dieu phallique.
Chez les gnostiques et les hindous, celui-ci symbolise
l'homme Dieu cosmique remplissant la nature. L'esprit,
imprgnant la nature, est le but d'une qute bien prcise:
la recherche de Dieu dans la matire.
Jung s'oriente alors vers les sciences naturelles et
plus tard en psychiatrie o il pourra mettre contribution
son exprience des donnes biologiques et spirituelles.
Pareille jonction des savoirs est bienvenue pou~ Jung, qui
ne cherche pas autre chose que la comprhension de son
vcu.
Ds le 28 novembre 1896, Jung prononce une confrence
l'universit pour l'association de Zofingue, sur les
limites des sciences exactes . Il voque alors le fait
271 C.G. Jung, Les racines de la conscience, p.514
-- --- - ------- - ----------------------------------------------------
-
212
que le matrialisme scientifique mprise les valeurs
spirituelles. Bien sr, ajoute-t-il, la science n'a pas
pour fonction d'explorer la vie intrieure de l'homme.
Cependant, si Jung est en q~te de sens, il considre
ncessaire la rigueur que lui offre
scientifique
[ ... ] les sciences naturelles me donnaient satisfaction par leur ralit concrte avec leurs antcdents historiques, la science des religions par la problmatique spirituelle, dans laquelle la philosophie aussi pntrait. Dans les prernleres, je regrettais l'absence du facteur de signification; dans la seconde celle de l'empirisme. 272
l'approche
Ce passage rend compte, avec justesse, de la
personnalit de Jung. Il apprcie la rigueur mais il
. demeure proccup par les questions de sens. Jung cherche
une discipline qui soit objective tout en tant ouverte sur
le transcendant. Le divin dont ~arle Jung participe aussi
de la matrialit du corps et de l'obscurit de la matire.
Ce Dieu n'est pas seulement l'irrationnel, l'infini, le
surhumain. Le Soi offre ici la singulari t d'tre ce : ...
centre mystrieux prexistant dans l' homme, en mme temps
qu'il reprsente un cosmos . 273
La nature chez Jung est-elle pour autant identifie au
divin? S'agit-il d'une approche de type panthiste o le
272 C.G. Jung, Ma vie, p.94 273 C.G. Jung, Mysterium conjunctionis, Tome II, p.335
-
213
divin habite la nature ou bien d'une nature se rvlant
comme l'expression du divin?
Concevoir la nature comme habite par le divin s'oppose
bien sr ce que l'on retrouve dans la tradition
chrtienne o la nature, comme la matire, est sans me,
inerte et compltement au service de l'homme. En opposition
cette conception, Jung affirmait que :
La nature me paraissait en effet ainsi que moi-mme, pose et diffrencie par Dieu comme n'tant pas Dieu, bien que cre par lui comme expression de lui-mme. Il ne m'entrait pas dans la tte que la ressemblance avec Dieu ne dt que concerner l' homme. 274
Pour lUl donc, l'esprit habite la nature. Le macrocosme
se manifeste dans le microcosme de la psych humaine. Cet
inconnu en nous, aussi vaste que le monde, serait ce qu'il
appelle l'inconscient collectif.