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Nigerian Journal of the Humanities Volume 19 (2013), pp. 28-52 L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel Osarodion I. Eweka and Ngozi O. Iloh Disclaimer: Articles published in the Nigerian Journal of the Humanities represent neither the views of the Faculty of Arts nor those of the University of Benin. The contributor, and not the editors or reviewers, is liable for the views expressed and elements of plagiarism that may be contained in any contribution. This article has been provided through this medium to facilitate scholarship and quicken communication amongst scholars. Any use other than stated above is prohibited. NJH Faculty of Arts University of Benin Benin City Nigeria [email protected] http://www.njh.uniben.edu

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Nigerian Journal of the Humanities

Volume 19 (2013), pp. 28-52

L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel

Osarodion I. Eweka and Ngozi O. Iloh

Disclaimer: Articles published in the Nigerian Journal of the Humanities represent neither the views of the Faculty of Arts nor those of the University of Benin. The contributor, and not the editors or reviewers, is liable for the views expressed and elements of plagiarism that may be contained in any contribution. This article has been provided through this medium to facilitate scholarship and quicken communication amongst scholars. Any use other than stated above is prohibited.

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Nigerian Journal of the Humanities 19 (September 2013): 28-52. © 2013 Faculty of Arts, University of Benin, Benin City, Nigeria

L’ÉCOCRITIQUE DANS LA RUE CASES-NÈGRES

DE JOSEPH ZOBEL

Osarodion I. Eweka* and Ngozi O. Iloh†

Abstract: La Rue Cases-Nègres, written in 1950 but republished in 1974, is considered in this study as an ecologically inclined work. The objective of the study is therefore to evaluate Joseph Zobel’s piece with a ‘green’ approach, within the theoretical framework of ecocriticism. By so doing, we firmly hope to critically rebrand this novel. Through the eyes of ecocritical theory, we seek to establish that the identity of the Caribbean people can be conceived through an ecological consciousness instead of with the aid of historical and anthropocentric instruments which have almost become conventional in the previous critiques of this novel. More so, since nature and ecology are at the helm of all life’s affairs, they will help to exhume and revive the fossils of interests in socio-literary trends in connection with standardized nature practices, as would be illustrated with the Caribbean environment. Our access point to this study is the external approach while our conclusion will serve as a clarion call to the public for an upgrade to ecocentric consciousness.

For a long time, stones, rocks and trees have nourished literature. It is high time literature came to the rescue of nature. This is why the fictional works and essays of Bass are timely. Judging from the opinion of Léopold, literature and nature ought to have regular intercourse based on the ecological principles of exchange and interdependence if indeed the world is a global village.1 (Gavillon 2008:89)

Introduction La Rue Cases-Nègres, écrit en 1950 par Joseph Zobel, est l’un

des chefs-d’œuvre de la littérature antillaise d’expression française.

* Graduate Assistant, Department of Foreign Languages, University of Benin, Benin City. † Senior Lecturer, Department of Foreign Languages, University of Benin, Benin City.

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Joseph Zobel, né le 26 Avril 1915 à Rivière-Salée et meurt le 17 Juin, 2006 est romancier, poète et sculpteur Martiniquais. Il a écrit d’autres romans tels que Diab’-là (1947), La Fête à Paris (1952), Quand la neige aura fondu (1979) parmi bien d’autres. Le thème principal des œuvres antillaises en général est le thème de la revendication de l’identité antillaise. Les œuvres de Zobel suivent cette vague de discernement identitaire du peuple Antillais. La Rue Cases-Nègres en est celle la plus concentrée sur cette tâche revendicatrice, car d’après Mokwenye (2006:140), Zobel « a fait de la condition de la masse populaire l’objet principal de ses romans ». Depuis la parution de ce roman, il y a eu tant d’études critiques concernant le. Dès les années 80, il y a déjà de multiples œuvres critiques sur La Rue Cases-Nègres. Par exemple, Alain Ménil (1984) dans son article « La Rue Cases-Nègres ou les Antilles de l’Intérieur » parle de la focalisation interne de la société antillaise. Il y a aussi la critique réaliste d’Eileen Julien (1987) portant sur le dynamisme du réel dans ce roman de Zobel. Puis, Akpagu (1999) a mené une recherche anthropologique et socioculturelle sur le même roman. Il s’agit de la structure de la famille aux Antilles françaises. Son étude démontre que le manque du système patriarcal dans ce roman de Zobel fait défaut à l’image de la famille dans la société afro-caribéenne. Pour Wylie (2000), La Rue Cases-Nègres de Zobel offre, dans une étude comparée, deux visions esthétiques, l’une étant romanesque et l’autre cinématique. Wylie compare le roman de Zobel au film d’Euzhan Palcy intitulé Sugar Cane Alley, une adaptation de La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel en 1983. Les analyses comparées de Wylie sur le roman de Zobel se focalisent sur le langage, l’histoire réaliste et la dimension coloniale du roman. Cette dernière perspective correspond à la critique de

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Mokwenye (1996) sur l’engagement de Zobel dans La Rue Cases-Nègres. Mokwenye traite le roman comme un roman d’exploitation colonialiste où l’optimisme des Noirs-esclaves se reflète à travers les personnages principaux du roman, M’man Tiné et José. Toutes ces critiques prennent une dimension principalement anthropocentriste puisqu’elles s’axent sur la condition des êtres humains dans la société antillaise. Dans l’étude actuelle, nous considérons que l’aspect écologiste du roman de Zobel n’a pas été judicieusement exploité. Cette trame nous semble nouvelle parce que les études préalables modernes sur ce roman mettent l’accent sur le sort des personnages humains dans le roman. Par exemple, Forman (2011) a entrepris une étude postmoderniste, postcolonialiste et psychocritique de ce même roman. Son étude examine l’introspection du personnage principal sur son statut de l’homme noir. Bien que très récemment Rehill (2013) ait entamé une perspective écocritique de La Rue Cases-Nègres et deux autres romans antillais, c’est pour illustrer l’aspect socio-culturel de la vie aux Antilles françaises. Elle a évidemment fait justice, dans La Rue Cases-Nègres, à la relation indispensable entre l’homme et la nature, mais son parti pris reste au côté thématique de l’anthropocentrisme dominant.

Pour nous, cet article va primer le regard de la société antillaise comme une entité écologiste dont dépend l’identité du peuple Antillais. Nous allons finir par montrer que l’identité du peuple Antillais ne se borne pas directement aux traitements des êtres humains envers leurs semblables, mais elle consiste indirectement en l’optique de la condition des êtres humains à travers l’optique de la situation de leur environnement social. Donc, ce travail commencera par l’élaboration

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du terme « écocritique » en tant que théorie littéraire. Ensuite, il y aura un discours sur le lien entre l’écologie et le roman de Zobel, La Rue Cases-Nègres. Nous allons, par la suite, analyser les descriptions écologiques dans ce roman sur deux aspects fondamentaux de leur représentation : la stylistique et la thématique, avant d’en finir par une conclusion.

L’écocritique L’écocritique, autrement dite l’écolittérature, est selon Dobie

(2012:238), un terme introduit par William Rueckert (1978) dans son essai intitulé Literature and Ecology : An Experiment in Ecocriticism. Le fond dans cette œuvre révèle l’emploi et l’application de l’écologie et des concepts écologiques à l’étude de la littérature. Depuis lors, bon nombre des critiques se font voix sur l’étude écologique dans la littérature. Glotfelty et Fromm (1996:xviii) disent que l’écocritique se définit comme « the study of the relationship between literature and the physical environment…». Pour Glotfelty et Fromm, l’écocritique se charge d’une tâche majeure d’éveiller la conscience écocentriste. Buell (1995:15) affirme que « ecocriticism is the study of where all sciences come together to analyze the environment and brainstorm possible solutions for the correction of the contemporary environmental situation ». Posthumus (2011:85) note que le concept et l’étendue de l’écocritique s’inclinent aux champs d’études anglophones et donc, elle livre sa définition comme une « étude du rapport entre l’écologie et la littérature dans le domaine des lettres anglaises et américaines, mais elle reste curieusement absente du monde des lettres françaises ». C’est dans une tentative de combler le vide de ce concept dans la situation

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francophone que Stéphanie attire notre attention sur le concept du contrat naturel de Michel Serres.

D’après Posthumus (2011:87), le philosophe Serres, « s’efforce de forger une nouvelle philosophie de la nature depuis le début des années quatre-vingt-dix en France ». Serres souligne la diversité dans l’interaction entre les différentes entités sociales. Donc, la culture conditionne l’attitude des gens face à leur perception, compréhension et instruction de leur lien avec la nature. Il postule que l’écocritique a plusieurs formes à savoir géopolitiques, économiques, culturelles. Serres, dans son approche, porte un intérêt sur la stylistique, ce qui le distingue des autres critiques écologiques. Sa théorie sur la philosophie de la nature, appelée le contrat naturel, est composée de quatre impressions à savoir une idée, une pratique, une métaphore et une histoire. L’essentiel dans la théorie écologique de Serres est qu’elle fonctionne dans la critique littéraire autant que dans d’autres domaines scientifiques. Aussi, le contrat naturel de Serres éblouit-il plus comme une théorie socio-historique précise qu’une notion conventionnellement vaste. La Rue Cases-Nègres est le bilan d’une société champêtre d’une part et citadine, d’autre part, de la Martinique. D’abord, Le Petit-Morne est l’endroit où est né l’enfant nommé José Hassam, le personnage principal du roman. José, avec le « je » autobiographique, se représente l’auteur Joseph Zobel dans une évocation de son enfance chez sa grand-mère à la Rue Cases-Nègres. A travers une tranche de vie découpée en plusieurs phases, l’auteur a su emporter ses lecteurs par la voix de son alter-ego fictif, personnage-narrateur jusqu’à son âge adulte marqué par la mort de la plus proche parente de sa vie, M’man Tiné. Tout au long de la trajectoire quelque peu documentaire du récit,

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le lecteur ne perd de vue ni la vie de Hassam José, ni la conscience de l’identité antillaise, ni les épreuves et les enjeux sur la nature que véhicule le roman de Zobel.

La Rue Cases-Nègres et l’écologie D’après Commoner (1971:33), “The first law of ecology is that

everything is connected to everything else”, c’est-à-dire que « la première règle de l’écologie c’est que tout s’entremêle». A l’approche d’un lecteur de cette œuvre de Joseph Zobel, il n’est pas frappé par la charge d’éléments écologiques de l’œuvre. Sa curiosité de la représentation de la nature aurait seulement pu être suscitée par un souci de se documenter sur le paysage ou l’espace réel des Antilles (de la Martinique au précis). On supposerait normalement que les descriptions privilégiées par l’auteur dans la narration ne servent que de décors. La peine prise par Joseph Zobel pour peindre son environnement de façon aussi minutieuse et presque triviale inspire au lecteur une attitude inquisitrice. Cette attitude consiste à interroger la didactique et l’esthétique des données écologiques de l’espace antillais. Ce travail actuel est justement l’issue de cette disposition curieuse vécue par la présente étude sur le possible but de l’auteur au moment où il façonnait toutes ses narrations écologiques.

Dans l’ensemble, la présentation de la nature chez Zobel dans La Rue Cases-Nègres dépasse le cadre d’espace accessoire ou inactif à l’œuvre. Le texte tient fort au mécanisme, à l’opération ou à la composition systématique de son milieu naturel. Voilà qu’avec adresse, l’œuvre de Joseph Zobel franchit la barre d’une stylistique spatiale dans ses descriptions de la Martinique pour s’envoler vers le haut du sublime écologique. Presque toutes ses peintures de la nature

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ne s’annoncent pas seulement comme de tous simples comptes naturels qui font apprécier le paysage ou la société antillaise mais beaucoup plus, comme de vibrants appels à son public à découvrir les croisades de toute la nature conçue sur le sol martiniquais, en particulier. Plus engageant, le texte s’efforce de nous éveiller la conscience collective sur les interminables et inévitables communions entre toutes les composantes de la nature : vivantes ou figées, qui s’introduisent dans toute société mondiale.

Gavillon (2008) rapporte frénétiquement la convivialité requise par la nature de la part des êtres humains pour assurer une paisible coexistence naturelle sur terre. Comme pour réagir aux paroles de Léopold (1949) et Bass (1985) dans sa citation ci-dessous, Gavillon (2008:2) fait signe d’approbation d’une ultime intériorisation de l’écologie dans la littérature. Ceci est particulièrement dans le but de faire montrer d’humains et d’autres fragments formant le tout de l’existence, comme des entités absolument sous les auspices les unes des autres :

Dans l’un des textes les plus illustres de l’écolittérature américaine du 20e siècle, A sand county almanac (1949), Léopold plaidait pour que l’idée de communauté du vivant soit étendue à la terre, aux eaux, aux plantes et aux animaux, et pour que l’homme montre à l’endroit de cette terre une attitude éthique (land ethic). Dans les essais et les nouvelles de Bass, c’est la reconnaissance d’une nature agissante qui assure équilibre et réciprocité : Bass n’est pas loin de réduire la vieille question de l’appartenance de l’homme à la nature.

A partir de ce pacte recommandé par Léopold et Bass dans les mots de Gavillon, La Rue Cases-Nègres semble déjà agir en modèle d’appropriation littéraire car à l’aune de ses projets de sensibilisation

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sur l’environnement de l’humain, l’œuvre touche à l’intensité écologique de la vie quotidienne des Martiniquais alors aux prises avec les valeurs et les identités étrangères qui régnaient pendant la période de la colonisation aux Antilles françaises. Ainsi, la croisade de la nature avec les autres êtres dans La Rue Cases-Nègres, implique-t-elle une écologie disséminée aux quatre éléments : l’espace, les humains, les plantes et les animaux. De tels cercles-matières se font fréquenter dans l’œuvre pour établir cet incontournable rapport entre les êtres et les choses. Par son exhibition textuelle de la nature, le texte nous montre que la nature englobe la vie. Si la Martinique lui sert d’espace particulier ou de plateforme pour sa tâche sensibilisatrice, le facteur socio-culturel doit se soumettre aux enjeux de la création littéraire. Apparemment, La Rue Cases-Nègres s’adresse à tout le monde et non pas strictement au monde antillais, qui, de ce fait, joue un rôle intermédiaire dans la transmission de cette conscience écologique. La Rue Cases-Nègres, (LRCN2), nous plonge, comme nous l’avons signalé, dans l’univers naturel des Antilles françaises à travers des descriptions des matières écologiques. Commençant par le Petit-Morne où commence l’histoire, l’auteur nous dit :

Il y a de grands arbres, des huppes de cocotiers, des allées de palmiers, une rivière musant dans l’herbe d’une savane. Tout cela est beau…on sait les chemins et les endroits où l’on peut pêcher les écrevisses à la main, sous les cailloux chantants des cours d’eau. On sait cueillir des goyaves, et défibrer les noix de coco sèches. Et les cannes bonnes à sucer, ça nous connaît. (LRCN:20)

Même dans la ville de Fort-de-France, José, le narrateur nous fait part de sa première visite :

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La mer, c’était pour moi, une chose visible, belle, mais inaccessible comme le ciel, son frère…ce jour-là où dans la petite embarcation à vapeur qui reliait Fort-de-France à Petit Bourg, je me trouvai en plein océan…C’était un grand bain d’espace. Ce vide entre le ciel et l’eau m’impressionnait. Etrange aussi, la vigueur avec laquelle l’eau bougeait en tous sens, comme un troupeau de bêtes bleues… (LRCN:208)

Ici commencent les descriptions écologistes de la Martinique les plus approfondies, les plus stylistiques et les plus thématiques dans l’œuvre de Zobel.

Descriptions éco-stylistiques. Dès le commencement de La Rue Cases-Nègres, Zobel

démontre son emploi de la nature par un manque de passivité chez celle-ci. Il personnifie bien les éléments naturels qui déclenchent son écriture tout en nous faisant voir qu’ils ne sont pas de banales manières d’introduire la nature-mère, mais plutôt des agents actifs dans le cours de la vie humaine:

D’aussi loin que je voyais venir M’man Tine, ma grand-mère, au fond du large chemin qui convoyait les nègres dans les champs de canne de la plantation et les ramenait, je me précipitais à sa rencontre en imitant le vol du mansfenil, le galop des ânes… (LRCN:9)

Plus bas, le narrateur poursuit sa description stylistiquement écologique avec ces mots : « Je pense que le soleil est une excellente chose parce qu’il conduit nos parents au travail et nous laisse jouer en toute liberté.» (LRCN:14). En plus, l’œuvre est aussi exploitée par les éléments naturels dans ses techniques de la description dont quelques unes sont fondées sur l’usage des figures de style telles

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majoritairement, la métaphore et la comparaison. Par exemple, il y a la comparaison faite de la grand-mère dont le « visage à peine plus clair que la terre de la plantation » (LRCN:11). Puis, plus loin, José dit à propos de certains habitants de la Rue Cases-Nègres : « Mam’zelle Apolline…une vieille…qui nous appelle pour lui retirer des chiques des pieds…car elle en a trop des chiques. Ses pieds sentent comme un crapaud pourri » (LRCN:50). Encore plus, « La paye terminée, le tout comme une eau de vidange, roule vers la rue Cases...Et tout cela…chantait d’une voix brulante et envahissante comme un incendie de forêt » (LRCN:62-63). De plus, les comparaisons paraissent dans le roman, sous le coup d’éléments naturels tels que : « Je demeurais fixe et suspendu à la voix qui, de la fenêtre magique, libérait des noms qui descendaient sur les élèves comme une pluie d’étoiles.» (LRCN:204), «Etrange aussi, la vigueur avec laquelle l’eau bougeait en tous sens, comme un troupeau de bêtes bleues… » (LRCN:205). La métaphore s’éclate encore au moment où les enfants s’indulgent dans les discussions les plus argumentatives en se montrant fiers et courageux les uns envers les autres à propos du sort (coups de corrections) qu’ils allaient subir à l’arrivée de leurs parents, ayant pendant l’absence de ceux-ci, fait de l’espièglerie, Romane s’en exalte : « en se frappant la poitrine, je suis une négresse qui a du cœur. Mon papa use une houssine sur moi : pas un cri. Ma m’man a dit que je tiens de ma grand-mère qui était pierre et fer » (LRCN:37). Aussi, y-a-t-il la puissance de la métaphore naturelle dans le portrait fait de M. Saint-Louis : « dont les épaules montaient et descendaient doucement à chaque pas, tel le dos d’un cheval qui va à loisir » (LRCN:49). Ensuite, ce style éco-métaphorique s’émet par l’évocation de certains « arcs-en-ciel de sourires», (LRCN:63) et là où Mam’zelle Délice est

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mesquinement et malicieusement imputée d’une difformité, par médisance de la part de José : « De grosses verrues tenaient lieu d’orteils et ne faisaient chacune d’un caillou. Mais cet éléphantiasis m’apparaissait comme le monstre le plus horrible» (LRCN:139).

Cette histoire de la métaphore tirée de la nature sied aussi lorsque l’œuvre salue la vivacité de la nature par des éléments astrologiques. L’auteur permet au porte-parole-narrateur, José, de symboliser les êtres humains avec les étoiles : « …je demeurais fixe et suspendu à la voix qui, de la fenêtre magique, libérait des noms qui descendaient sur les élèves comme une pluie d’étoiles. Il y en avait une interminable constellation… » (LRCN:204).

Il est d’ailleurs intéressant que la nature puisse nous servir d’art dans l’écriture de Zobel :

Accroupi sur le seuil de la case, je me pelotonne de plus en plus consumé par l’angoisse. Que le soir est lugubre, avec les sentiers que l’ombre absorbe, la tôle des cases qui bleuit les cocotiers dont les palmes s’alourdissent et bruissent par saccades et ce grand troupeau d’hommes et de femmes vides de toute force, qui sortent des champs de canne comme des spectres issus de l’ombre pour on ne sait quel office macabre !... dont je redoute le retour et j’attends….la voix me surprend dans ma triste rêverie. (LRCN:38)

La peinture du malheur prévenu de José se fait par un langage grandiose en stylistique. Ce passage soigneusement conçu par l’auteur, se justifie par quelques mots sélectionnés à titre d’esthétique. Nous jugeons donc qu’au sens figuratif :

- Le verbe « s’alourdissent » dévoile le poids du mauvais fruit de son méfait auquel il s’attend avec effroi, alors que

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le verbe « bruissent » désigne la secousse qui provienne de ses actes.

- L’adjectif « lugubre » met en évidence le deuil qu’un tel présage offre au garçonnet.

- Le groupe nominal « grand troupeau » signifie le vaste vacarme de reproches et de corrections corporelles qui l’assommeraient aussitôt que rentre sa mère.

- Le nom « spectres » exprime son effroi et le désir de rendre nul et non avenu, invisible ou même non-existants, les êtres humains (ces grands) qui s’opposent aux enfants et les menacent toujours, à l’exemple de sa grand’mère.

Ce qu’il y a d’écologiste dans ces vocabulaires artistiques repérés ci-dessus c’est qu’ils font allusion directement aux éléments naturels mentionnés dans la citation ci-haut. Les verbes, par exemples, expriment par dénotation, l’action des plantes. L’adjectif qualifie scientifiquement la situation géographique du climat. Le nom « troupeau » s’emploi culturellement et naturellement aux animaux et non aux humains. Les « spectres » sont, selon le texte, les produits de l’ombre qui est un phénomène naturel du climat. Dans cette image de spectres, il y a stylistiquement un caractère négatif de la nature qui survient pour prendre au dépourvu le garçon. Cette négativité naît sans conteste d’une versatilité d’humeur marquée chez José. Celui-ci démontre bel et bien que la manière dont nous percevons la nature qui nous entoure dépend largement de notre humeur. Cette humeur est véhiculée par le biais du langage de l’auteur. Nous apercevons là un changement d’optique à l’endroit du garçon sur la nature. A cause de son état d’âme, sa condition mentale, José éprouve soudain, une nouvelle émotion désagréable pour la nature. Or, notre appréciation ou

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irritation pour la nature est déterminée par notre attitude circonstancielle, souvent momentanée.

Inversement, la nature elle-même tend parfois à nous incarner une disposition émotionnelle tout en nous proférant un regard à lui porter. Ceci explique le rapport humain avec son environnement naturel et comment la nature « empiète » sur les relations ou émotions humaines. Il n’est donc pas étonnant que Zobel utilise de façon stylistique, dans cette citation ci-haut, le paysage, le temps, l’apparence naturelle du climat, bref, l’atmosphère pour décrire le sentiment (le chagrin) de son personnage principal. Pour ce faire, il a dû difformer, « médire », les caractéristiques de la nature afin de les relier au sentiment angoissé et attristé du jeune garçon. Par contre, nous comparons cette séance « lugubre » à celle beaucoup plus alimentées de la fantasmagorie : « dehors, les arbres, les champs, toute la savane, sont déjà inondés de soleil » (LRCN:18) ; ou encore:

Le tout s’appelle ici Petit-Morne…il y a de grands arbres, des huppes de cocotiers, des allées de palmiers…Tout cela est beau. En tout cas, nous, les enfants, nous en jouissons royalement. (LRCN:20)

Notons particulièrement ce contraste lorsque le même garçon, de bonne humeur, ne trouve en la nature que de bonne augure, « …or, c’est ce qui compte avant tout pour profiter entièrement de la liberté ensoleillée que nous laisse l’absence de nos parents » (LRCN:21). Tant pis pour lui car cette « liberté ensoleillée » s’est brusquement métamorphosée en « soir lugubre ». En bref, la nature est définie en fonction de la propre analyse des êtres humains. La stylistique de l’œuvre comprend non seulement un langage soigné et élevé, il emprunte à la nature toute proche de l’auteur, mais

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assez profondément, des lexies écologiques. Elle cherche dans ses constructions langagières à immortaliser sinon à éterniser les flots incassables de l’énergie naturelle aux activités voire aux identités des êtres humains, à l’instar, dans le roman, du peuple Antillais. Au fait, rien d’extraordinaire ne serait intervenu dans la pratique stylistique de La Rue Cases-Nègres si l’auteur n’avait pas, au coût d’un conscient du tact et créateur, concrétisé les forces de la nature - une nature qui n’est ni hors de la portée de l’auteur, ni figée dans son propre milieu natal – dans la réalité de la philosophie des Antilles françaises. Cette philosophie fait que la nature jouisse d’un tel déchiffrage ou décodage que prescrit l’auteur dans son œuvre.

L’œuvre nous instruit par la réussite de son style écologique que les êtres humains et des choses s’interpellent dans une atmosphère commune et propice à leurs systèmes attitudinaux. La Rue Cases-Nègres a su entraîner ses lecteurs vers l’allure d’une gestion stylistico-écologique qui masse la qualité de l’œuvre. Elle nous invite surtout, en ce faisant, à reconnaître la spécificité culturelle qui l’influence à être si inséparable de la nature. Toutes ses représentations stylistiques reposent sur le principe de la composition de la nature qui nourrit et berce le peuple antillais depuis son histoire jusqu’à son espoir. L’œuvre n’aurait été exploitée à raison et avec succès, par l’art stylistique naturel qu’à cause de l’appartenance au génie, au patrimoine et à la lancée culturelle antillaise de l’auteur.

Descriptions éco-thématiques Désormais, nous pourrions parler de la sensibilisation dans La

Rue Cases-Nègres, qui naît de son souci de faire valoir au monde, l’indispensabilité de la nature à la culture et par extension, à l’homme.

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Pour comble, les deux principales notions de cette énonciation ci-avant sont mises en copulation par Magnaghi (2003:2), « Le territoire est une œuvre d’art peut-être la plus belle, la plus collective que l’humanité ait réalisée. Il est le fruit d’un acte d’amour : il naît de la fécondation de la nature par la culture ». Revert (1949:24), croit que l’on ne pourra faire de la nature sans se référer à l’histoire du milieu concerné en vue d’y décrypter son évolution, pour une évaluation expressive de l’écologie qui s’y rapporte:

Au cours d’une histoire déjà longue de trois siècles, l’on a défriché, cultivé, construit. Les paysages d’aujourd’hui sont les résultats de cet effort. Il y a eu action incessante de l’homme sur la nature et inversement impossible ni absurde d’aller chercher l’âme d’un pays derrière le décor mouvant qu’il offre à nos regards.

Voilà ce que La Rue Cases-Nègres nous offre : la découverte à travers ses descriptions éco-thématiques actives dans l’intrigue de l’âme de la Martinique longtemps voilée par des récits revendicateurs de l’identité. L’œuvre nous offre aussi la conscience écocentriste selon laquelle la nature est autant une bénédiction qu’une malédiction pour l’homme. Cela dépend néanmoins des rapports qu’entretient celui-ci avec la nature. Ainsi, les traitements par l’homme Antillais du système écologique déterminerait-elle l’identité du peuple Antillais. Cette identité est donc liée aux ententes qui se maintiennent entre la société écologique et l’homme qui y habite.

En effet, ce texte de Zobel nous assure que l’identité de l’Antillais se trouve dans la beauté de la nature avec laquelle il entre souvent dans de multiples transactions. Malgré ceci, l’œuvre semble aussi évoquer, à travers ses représentations puissamment écologiques,

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un sentiment de vengeance, de regret et d’amertume, de la part des Antillais, envers un sol cédé au changement de leur destin et qui avait menacé leur propre existence. La nature avait sans doute contribué au mauvais sort du peuple Antillais au cours des expériences monstrueuses qu’on l’a fait subir. Alors reconnaît-on là, un besoin d’éveiller les souvenirs historiques du peuple Antillais dans une tentative d’en faire une écocritique littéraire. Une attestation de ce fait se fait entendre par Rodney (2008:274):

Une fois dans ce vaste champ d’îles, ces territoires géographiquement hésitants, poussières d’îles, bandes d’îles, nous renvoient à la situation originelle, à l’exil fondateur, à l’histoire, donc à la blessure des premiers temps et de la déportation.

Apparemment, cette blessure évoquée n’a pas été faite par l’unique fonctionnement d’exploitation et de conquête brutale instaurées par les « békés » mais d’autant plus, par l’environnement, par la nature et par le paysage même. M’man Tine en lamente dans La Rue Cases-Nègres, par la voix de José,

Mais ce qui m’amusait le plus, c’était la robe. Tous les matins, m’man Tine cousait là-dedans, en maugréant que les feuilles de canne, il n’y avait rien de tel pour manger les hardes des pauvres nègres. (LRCN: 64)

Pareillement, les enfants courent le risque de se blesser par une aventure nonchalante et menaçante qui nuit même à l’environnement.

Du feu ! Du feu ! me criait Paul en me voyant venir. Nous avons mis du feu dans le jardin de M. Saint-Louis…Déjà, un gros nuage de fumée s’élevait au dessus de la haie de branchages. Quand, à travers la fumée, se dressa la première

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flamme nous fumes pris de vraie démence et…nous nous jetions tous ensemble, corps et âme, dans le braisier. (LRCN: 72)

Ce mauvais traitement de la nature, souvent occasionné par la propre agressivité de l’humain, l’œuvre de Zobel nous l’expose pour nous mettre à l’avis du possible harcèlement et inconvénients qu’on peut en souffrir à moins que les êtres humains se montrent amoureux, amicaux, attentionnés et accueillants aux autres êtres naturels.

En outre, l’environnement d’humains peut faire subsister qu’annihiler selon le texte. La Rue Cases-Nègres essaie de faire savoir que la nature-mère passe facilement pour la nature-mort. Ainsi, nés dans la nature, nourris, élevés, soignés, établis, bâtis par la nature, les êtres humains finissent-ils par être éteints par la nature. La logique qui prolonge la vie des êtres humains s’exprime dans la résonance d’une résistance par le corps aux autres éléments nocifs qui les affrontent. Donc, dans l’œuvre, la nature joue un rôle intermédiaire entre la vie et la mort. Hypothétiquement, c’est la nature qui avait fait déplacer M. Médouze de la Martinique en « Guinée » éternelle. A en croire José:

Mon chagrin se concentrait tellement qu’à la fin les champs de cannes à sucre m’apparaissent comme un danger. Ce danger qui avait tué M. Médouze sans que personne n’eût vu comment et qui pouvait d’un moment à l’autre, surtout un jour d’orage, tuer aussi ma grand-mère sous mes yeux. Lorsque le soleil commençait à descendre et que m’man Tine s’acharnait après ces touffes de « paras », rétives, une immense panique s’éveillait en moi. J’avais fini par comprendre que Médouze était mort de fatigue, que c’étaient les pieds de canne, les touffes de « para » ou d’herbes de Guinée, les averses, les orages, les coups de soleil, qui le soir venu l’avaient foudroyé. Or M’man Tine subissait aussi tout cela : le soleil, les orages,

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les mauvaises herbes, les pieds de canne, les feuilles de canne… (LRCN:56)

Or, la mort de ces deux personnages a été attribuée à la nature, c’est-à-dire à la plantation et à la besogne. Mais il peut se pouvoir que la cause lointaine de la mort de ces humains soit autrement le tabagisme. Que le travail dans la plantation de canne à sucre les mette en péril salubre ou non, la mort de ces gens avait suivi un processus d’accumulation des substances nuisibles qui les ont conduits à la mort. Ceci étant possible parce qu’ils n’étaient pas les personnes les plus âgées de la Rue Cases mais ils étaient, selon le texte, les deux seuls fumeurs de pipe identifiés dans l’histoire. On n’ignore point que, qu’il s’agisse de l’effet de la nature introduit directement par les travaux champêtres ou indirectement par l’intoxication graduelle provoquée par leur régime de pipe, la nature, pourtant, se signale. L’auteur nous décrit longuement le caractère de ces deux fumeurs. D’abord, M’man Tine pour qui les bouffées à la pipe constituent de l’hors-d’œuvre par excellence, réglementé souvent pour le soir et le matin:

Pour fumer, M’man Tine occupait presque toute la place qu’offrait la grosse pierre. Elle se tournait du côté où il y avait de belles couleurs dans le ciel, allongeait et croisait ses jambes terreuses, et semblant s’adonner tout à son plaisir de tirer sur sa pipe. (LRCN:11)

Le matin avant de quitter la case pour la plantation, … elle bourre sa pipe et l’allume sa coiffe sur son mouchoir de son étrange chapeau de paille…Là-dessus, elle tire deux coups sur sa pipe, emplissant la case de fumée… (LRCN:19)

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Mais le soir, pendant que je regardais fumer M’man Tine, je ne souhaitais qu’une chose, je n’attendais qu’une chose : que la voix de M. Médouze m’eût appelé. (LRCN:51)

Pour son grand ami Médouze, la fréquence de son tabagisme n’est pas aussi programmée que celle de sa grand-mère, « …il bourrait sa pipe… et lorsque sa tête se penchait dessus pour allumer sa pipe » (LRCN : 52). Poursuivant, il continue, « Lorsque M. Médouze aura fini sa pipe, il crachera énergiquement, passera le revers de sa main sur ses lèvres, dans la broussaille croissante de sa barbe » (LRCN:54). Hormis ce tabagisme actif, les nuisances hygiéniques que peuvent causer les fumées émises gratuitement dans l’air par les pipes et les dommages qu’elles peuvent faire à ces deux personnages, il y a aussi le tabagisme passif. Le tabagisme passif est une tendance à mettre au risque la santé de ceux qui sont à côté d’un fumeur au moment où il fume, en l’occurrence, José. Donc, la nature nous laisse tant de menaces vu qu’elle se dresse contre toute intention qui lui est malveillante et elle est douée du caractère de l’auto-défense par une spontanéité éternellement fixe. La couleur de cette réaction est souvent traduite par notre humeur, notre croyance ou notre ténacité. Glissant (2008 : 14), à propos de l’écologie sociale, nous renforce la trace indélébile entre la nature dans la littérature et les personnages textuels:

Le déchiffrage (contraire de défrichage) et la fréquentation des pays dans leur fragmentation nous permettent, par la constitution poétique, de vérifier comment les paysages n’ont jamais été des décors consentants, mais les éléments actifs et constitutifs des diverses poétiques mises en œuvres ou en expression par des individus ou par des communautés.

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En l’occurrence, Zobel pour sa part, illustre ce postulat de Glissant en imposant aux représentations écologiques dans La Rue Cases-Nègres, des fonctions non seulement symboliques mais beaucoup plus concrètes et aspirées pour rendre l’intrigue de la narration écologiquement équilibrée, car tout s’y mêle activement : personnages-humains, personnage-objets, personnages-animaux, personnages-temps, personnages-paysages, c’est-à-dire, en somme, personnages-spatio-temporels. Dans La Rue Cases-Nègres, les éléments de la nature s’activent communément pour faire progresser la narration.

Pour encore cerner ce discours thématico-écologique sur La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel, il faut repérer deux autres aspects écologiques de l’œuvre. Il s’agit d’abord, de l’aspect qui concerne la représentation des animaux et celui qui concerne les êtres surnaturels, car eux aussi, ils forment le socle de la nature et de l’identité antillaise. La Rue Cases-Nègres fait éloge également à l’univers des animaux en les situant dans l’entrecroisement humains-animaux. La cohabitation avec les êtres humains des rongeurs tels les rats, les souris, ainsi que des insectes tels des cafards, se trouve dans le roman. Il y a aussi l’exemple des mulets « montés par les muletiers brutaux » (LRCN:38) qui sert à fustiger les mauvais traitements des êtres humains envers les bêtes. Mais, en revanche, la friandise de José et les autres enfants avec les libellules semble suggérer une intimité humain-non-humain. L’auteur avait temporisé ce récit pour y attirer l’attention particulière des lecteurs : « Alors, nous nous adonnons au jeu innocent de chasser les libellules, par exemple ; car les après-midi il y en a des quantités et de toutes les couleurs » (LRCN:32).

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La Rue Cases-Nègres nous ramène au point de savoir chérir les allocations écologiques qu’on trouve dans les réserves naturelles et s’en garder une saveur mondaine. La beauté de la nature par l’existence des insectes volants et rampants se retentit là où « A midi, une vaste étendue de linge survolée de petits papillons jaunes éclatait de blancheur au soleil » (LRCN:66). Néanmoins, l’œuvre semble faire un vif reproche à l’espèce humaine, parce que celle-ci, au lieu de s’intéresser respectueusement au gibier, ou respecter l’ordre écologique non-humain, se contente de s’inculper soit volontiers, soit inconsciemment ou innocemment, de l’extinction de l’espèce animale:

Alors, comme la plupart des enfants du bourg, je passe mon jeudi à me promener sur le bord de la Rivière-Salée. Je m’amuse avec d’autres camarades à capturer, pour jouer avec et les mutiler ensuite, de tout petits crabes dont les trous criblent la berge… (LRCN:142)

Ce qu’il y a d’extraordinaire c’est l’irruption faite de l’univers surnaturel. La Rue Cases-Nègres de Zobel évite de faire abstraction des éléments surnaturels qui caractérisent la nature ; surnaturels parce qu’ils sont manifestes d’un fourrage d’attributs qui prêtent au mystérieux. Dans le roman, c’est le cas de l’histoire des personnes-gagées, qui disparaissent, prennent le vol nocturne, jettent des mauvais sorts. Le roman parle de « mauvais esprits » qui « pourraient lancer après toi des cailloux qui te laissent une douleur pour toute ta vie » (LRCN:58). De même, le narrateur en donne plus de détails:

Des histoires de gens-gagés, par exemple. Des personnes qui, la nuit, se transforment en n’importe quelle bête ; parfois même en plantes et qui, sous cette apparence, font du mal aux autres, aux chrétiens, sur les ordres du diable. (LRCN:144)

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Les frontières écologiques s’écroulent entre l’humain et le non-humain dans les circonstances de transformation bestiale ou végétale par l’homme. Si superstitieuses que ne soient ces histoires, nous en tirons consigne quand même que la nature s’embrouille avec les humains à telle enseigne qu’elle leur lègue ses formes dynamiques et diversifiées pour perpétrer les maux ou la sorcellerie ou bien c’est plutôt les humains qui abusent des silhouettes naturelles pour arriver à leurs fins mystiques ou mythiques. Quelle que soit donc la réalité, la nature semble s’ancrer sur une supériorité quelque peu rassurante en faisant croire qu’elle manipule toute chose à sa guise. Nous considérons dernièrement dans ce travail que l’univers naturel qui se meuble d’humains, d’animaux, de plantes, de temps et des objets côtoie de très forte emprise la crypte de la nature surnaturelle.

Conclusion En gros, la nature est fortement présente dans La Rue Cases-Nègres à la façon d’un engagement éco-thématico-stylistique, car toutes les recettes écologiques mises en œuvre par Zobel semblent se frayer une piste destinée à nous rendre responsables de toutes les activités que nous faisons avec la nature. Toujours distanciée de conférer définitivement à La Rue Cases-Nègres le titre d’« écriture écologique », ni de bâtir de l’auteur l’image d’écrivain écologique, notre étude actuelle parvient à creuser autant que possible le fond et la forme écologiques de cette œuvre de Zobel, pour la garantir une nouvelle attirance analytique. Toutefois, il est probable que, si l’on prend en compte toutes les impressions écologiques, c’est-à-dire toute marque naturelle que distille La Rue Cases-Nègres, et que l’on entreprenne un peu plus profondément une évaluation des pôles

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stylistiques, thématiques, théoriques, qui enfilent son auteur Joseph Zobel, et qui engraissent cette œuvre, l’on réussirait à en faire autant. Nous avons pu trouver cependant que cette étude écocritique de La Rue Cases-Nègres convienne pour la revendication ou la construction de l’identité du peuple des Antilles françaises. Il s’agit d’une nouvelle identité et non celle perdue due à la traite esclavagiste. Pour la situer pleinement, cette identité à l’ère contemporaine de la globalisation mondiale, il faut passer par la conscience écocentriste car c’est en défendant les droits de l’écologie que le peuple Antillais va finir par découvrir la légitime défense de sa propre identité, une identité qui soit éco-humaniste. L’œuvre de Zobel a pu raviver la connaissance des lecteurs en matière de l’activité, de l’empressement et de la virtualité inhérents à la nature. Depuis le début jusqu’à la fin, l’œuvre n’a cessé d’impliquer le paysage de la Martinique et la nature même dans tous ses discours soient thématiques, soient stylistiques.

Notes 1. Notre traduction. Toutes les traductions faites dans cet article sont les

nôtres. 2. Sigle que nous nous contentons dans nos analyses, d’appeler ce roman.

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