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7/24/2019 Entrevista Com Pierre Sansot

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Pierre Sansot juillet 1996

Avec sa longue natte et sa peau mate, Pierre Sansot ressemble à un Indien. Mais unIndien du sud de la France, comme en tmoigne son accent sautillant et ra!ra"c#issant. Il

 parle comme une source s$lance à la con%u&te du pa'sage. (es mots se pressent à sa bouc#e, la dtordent et s$envolent comme autant de papillons colors. Pierre Sansot estun conteur. Il sait le poids des images dans la constitution, jamais d!initive, del$imaginaire. Il conna"t galement les satis!actions de l$criture, et s$adonne de plus en

 plus à ce travail solitaire et e)igeant. *$est ce c#erc#eur peu acadmi%ue, n en 19+,%ue nous avons so1u#ait rencontrer, pas seulement le piton #eureu) ou le pro!esseur volubile, mais celui %ui ose aller à contre courant des modes et %ui, obstinment, avancesur son c#emin, curieu) des surprises %ue ce dernier lui rserve...-#. P.

*omment devienton ant#ropologue du %uotidien/

Pierre Sansot0 Au dpart, c$est la p#ilosop#ie %ui m$a attir et m$a sduit. (a p#ilosop#ieentendue comme le jeu des concepts, comme la tentative de rsoudre les di!!icults denotre e)istence. e dis 2tentative2, car si on ' arrive, on sort de la p#ilosop#ie. (a

 p#ilosop#ie consiste à comprendre le pour%uoi d$un probl3me. Mais j$aimais aussi la viede tous les jours. (a vie0 danser, boire et aimer. *ela ne m$emp&c#ait pas d$&tre plus

 proc#e de Strauss %ue de (viStrauss %ui n$tait pas encore mondialement connu , devouloir saisir le 2sens du sens2 et 2des sens2 plut4t %ue de dcrire le rel, d$en tablir uneta)inomie et d$en rvler les structures essentielles. 5n !ait, plus je lisais ant ant %uiincontestablement est ma r!rence , plus je butais sur la di!!icult à dcouvrir le pointcentral de son 7uvre, ce point obscur %ui ne se livre jamais. Si je pr!3re la p#ilosop#ieà l$ant#ropologie, c$est parce %u$elle e)iste plus !ortement %ue la vie %uotidienne. Par e)emple, il est ais de proposer des mod3les d$interprtation de telle ou telle attitudesociale, en vo%uant la lutte des classes, la reproduction sociale, l$#abitus, ou %ue saisjeencore8 Mais attrapeton ce %ui !uit, nous !uit, dans la ralit/ ivant de si pr3s la vie,

 je ne pouvais me rsoudre à la dmarc#e sociologi%ue, j$optais pour celle du p#ilosop#e%ui va au plus simple... !a:on de parler8 (es sc#mas des sociologues, leursclassi!ications, leurs concepts n$arrivaient jamais à puiser la ric#esse du rel et aussi sacomple)it. *omment rendre compte de cet 2un2 %ui est aussi 2multiple2/ *ommentappr#ender cet 2amour2 %ui si rapidement se trans!orme en 2#aine2/ ;n bal du 1<uillet dans un village, une bombance lors d$une !&te, un matc# de rugb', m$en disent

 plus sur une microsocit %ue telle t#orie des groupes sociau), mais pour lessociologues, tout cela rel3ve du pittores%ue, de l$anecdote. =eorges =urvitc#, par e)emple, usait de cette terminologie savante %ui se prtendait 2scienti!i%ue2, mais ses2groupes sociau)2 taient toujours dsincarns. ;n cort3ge d$un mariage en banlieue n$arien de comparable avec un cort3ge de mani!estants ou un cort3ge d$enterrement auP3re(ac#aise... *omment rendre compte des mille et une mani3res de s$associer et devivre ensemble ou de se #a>r/ (ongtemps j$ai capitul, me disant %ue c$tait impossibleet je me rptais la p#rase de Platon 2entre l$un et le multiple, comment trouver la bonnedistance/2 et je ne la trouvais pas. Alors j$enseignais la p#ilosop#ie, à d!aut de parler de ce %ui me touc#ait dans la vie %uotidienne. ?u reste, la vie %uotidienne on ' arrivetr3s tard, il !aut d$abord tudier et vieillir. *e %ue j$apprciais dans les tudes, c$tait ce

retrait par rapport au %uotidien, cet e)il relati! %uant au) m7urs. A l$universit, on setrouve loin de la vie, et c$est bien. e ne comprends pas ce discours, priodi%uement

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rab@c# par les #ommes politi%ues, %ui sou#aite tlescoper le %uotidien et l$cole. on, je pr!3re cet àc4t, plus propice à la !ormation de la personnalit. Moi, je m$en!ermaisdans le pass0 les langues mortes et les auteurs grecs, l$#istoire. $tais #eureu) de cettetanc#it entre les tudes, sans prises immdiates sur la vie %uotidienne etl$oprationnalit, l$utilit... ous vo'eB, je suis parti de tr3s loin avant d$arriver à l$tude

 p#nomnologi%ue de la vie %uotidienne. Peut&tre !autil cet e)il dans la pense, loindu rel, pour mieu) en saisir les composants/ *omme dans le cas du retour au pa'snatal. Pour l$apprcier, il !aut d$abord l$avoir %uitt. (a vie %uotidienne, je m$en suislongtemps tenu loign avant d$en dcouvrir la ric#esse et les m'st3res. 5t là, %uelle

 jubilation devant son in!ini renouvellement8 Mais aussi un soup:on de crainte, car unetelle diversit, ne peut se laisser codi!ier, rsumer, diss%uer totalement. 5lle estinpuisable, elle se drobe en permanence. *ette drobade de la vie %uotidienne !ait

 partie de l$objet de mes rec#erc#es. Mais je ne l$ai compris %ue bien apr3s trente ans.us%ue là, on est un puceau de l$intellect. ;ne belle vierge en %uel%ue sorte. Il ' a

 beaucoup de vierges à l$universit, %ui ne se dpucelleront jamais, car l$institution les agardes intactes. e le dis avec tendresse, car les universitaires sont un peu les vestales

du savoir, re!usant de se compromettre avec le monde...

Apr3s l$universit vous deveneB pro!esseur de p#ilosop#ie dans un l'ce d$une ville de province, ce %ue vous ne viveB pas comme une punition mais un grand plaisir, plaisir d$autant plus grand %ue vos l3ves sont vos !ans, et vous o!!rent à la !in de l$anne uneombre. *omment aveBvous ragi à un tel cadeau/

P.S. 0 A l$po%ue, sit4t dipl4m on obtenait un poste dans un l'ce. $en garde une)cellent souvenir. $aimais initier à la p#ilosop#ie les !uturs bac#eliers et, contrairementà l$image de dilettante %ue certains m$attribuent, je donnais c#a%ue semaine unedissertation. e rencontre rguli3rement des anciens l3ves, au #asard des salons dulivre, de signatures dans des librairies. Cuelle satis!action de ne pas avoir t oubli,trente, %uarante ans apr3s8 e suis persuad %ue %uand je mourrai, certains d$entre eu)seront tristes. on, non, ils ne vont pas pleurer, mais ils penseront à moi, à moi et à leur 

 jeunesse...Cuant au cadeau, je raconte la sc3ne dans (es Pilleurs d$ombres, mes l3ves avaientcompris mon attirance pour l$ombre, ce morceau de nuit, et ils avaient collect plusieursombres, celle d$un cerisier, celle d$un mur, celle d$une palissade, etc., et ils m$o!!rirent cemagni!i%ue bou%uet d$ombres, et bien sDr, j$en !us mu.

Parall3lement à vos cours, vous rdigeB une t#3se sur la ville, pour%uoi ce t#3me/

P.S. 0 A l$origine, le sujet tait demeur bien imprcis. *$taient les ca!s, les bistrots.Puis, au !ur et à mesure de mes dambulations et de mes observations, il s$est ampli!i.;n bistrot, pour le comprendre, il !aut le situer dans son %uartier, et le %uartier, pour lecaractriser, il convient de le comparer à d$autres, et ainsi de suite. Alors la ville s$estimpose. Mais il ' a une autre raison. e lisais oui, on peut aimer la vie, boire, aimer etdanser, corriger ses copies et lire , et les ouvrages des sociologues m$o!!raient une villemconnaissable. ?u reste, ils vitaient le mot 2ville2 et vo%uaient 2l$urbain2, 2la p@teurbaine2, comme *astells, et moi je me disais, d:u0 2Mais de %uoi parlentils/ de laguerre !roide/ du mar)isme/ de la division internationale du travail/ Mais la ville, cetteville mouvante, dans la%uelle je plongeais avec ravissement, oE taitelle/2 $ai essa'

d$en parler autrement, et là, j$ai eu la c#ance de rencontrer Miel ?u!renne, à %ui j$avaisenvo' %uel%ues pages et %ui m$avait rpondu %ue cela l$intressait. Sans lui, je n$aurais

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 pas rdig de t#3se. ?u reste, mes pro!s de #@gne me l$avaient dconseill. $ai crit plusieurs morceau) dans le dsordre, avant de les rorganiser et d$en !aire une t#3se pr&te à &tre soutenue devant un jur'. Pour moi, la ville est 2naturante2, c$estàdire%u$elle produit autant %u$elle est produite. e crois %u$il !aut dpasser les simplesrapports de causalit, %ue je ne nie pas, entre la ville, les murs et les #abitants. *es

te)tes, petit à petit, se sont combins entre eu) et ont donn ce livre. e n$avais pasd$ide directriceG du reste, je me m!ie des ides directrices. (à encore, je suis antien, il' a un 2idal rgulateur2, vers le%uel on tend mais %u$on ne peut atteindre. Il ne !aut pas

 partir de l$ide, il !aut advenir à l$ide. ($ide est tr3s souvent en!ouie dans le sensible.*$est aussi ce %ue pense ?u!!enne0 dans l$7uvre d$art, la signi!ication est dans le tableau,tout comme la vie %uotidienne est dans le visage. Ma p#nomnologie privilgie lesapparences et les apparitions, elle ne c#erc#e pas derri3re mais multiplie les appara"tre,les mani3res d$appara"tre. 5lle pouse le c#atoiement des apparences. Mais %u$estce %ue

 prendre au srieu) l$appara"tre/ Si j$ai eu %uel%ue mrite, c$est d$avoir port monattention d3s 19H sur le 2 sensible2, et un c#erc#eur comme Jves *#alas s$est engagdans cette voie avec beaucoup de bon#eur et plus de scrupule pistmologi%ue %ue moi.

($essentiel n$est pas la prise en compte du 2vcu2 %ui ris%ue de se verser dans le pat#oset le subjecti!. *$est la restitution du monde tel %u$il nous appara"t dans un av3nementindpassable. *ar, comme Kusserl l$crivait, 2la terre ne tourne pas2, et plus pr3s denous MerleauPont'0 2(e cube vrai est le cube prsent et il ne prsente jamais si) !acesà la !ois... (a perspective ne m$appara"t pas comme une d!inition subjective maiscomme une des proprits des objets, peut&tre leur proprit essentielle. *$est elle

 justement %ui !ait %ue le per:u poss3de en luim&me une ric#esse cac#e et inpuisable,%u$il est une c#ose.2

(e titre de votre t#3se, (a Poti%ue de la ville, estil un clin d$7il à Lac#elard/

P.S. 0 on, pas à Lac#elard, mais plut4t à Sc#elling. *$est la ville 2naturante2, la ville!ait. 5lle !ait mais aussi elle se !ait, et c#a%ue matin elle doit revenir à l$e)istence, àl$&tre. Si une ville me touc#e, au point oE je la ressens comme la c#air de ma c#air, au

 point de la rinventer au plus pro!ond de mon &tre, c$est %u$elle vient à l$&tre dans unee)plosion de couleurs, de sons, d$odeurs, et %ue je dcouvre sa gnrosit cratrice.*elleci m$inonde et e)alte mon sentir. (a nature 2naturante2 rev&t de multiples !ormes.5lle peut &tre le cosmos ou le dsert ou la ville. ($admirable, c$est %u$une ville se re!asseà c#a%ue instant. Mais par!ois elle ne se re!ait pas, elle meurt. *ertains dimanc#es, jem$in%ui3te, je me demande si la ville va rena"tre, va revivre. 5lle doit s$veiller à l$&tre.5n ce sens, je suis plus proc#e des villes nouvelles, des %uartiers neu!s des mgapoles,

des banlieues, %ue des villes #istori%ues, car j$' per:ois avec plus de !orce cetted!lagration vitale. Paris me para"t à bout de sou!!le, elle est peut&tre djà morte et soncadavre est embaum au point %u$on croit %u$elle est encore vivante8 oilà pour 2poti%ue2. Cuant à 2ville2, c$est en opposition avec les sociologues d$alors, %ui ne

 parlaient %ue de l$urbain. *$tait aussi d!endu %ue de parler de 2ronds2 %uand d$autres parlaient de 2cercles2... e pr!rais vo%uer les villes %ue je !r%uentais, malgr ceterrorisme intellectuel, je considrais %ue Lordeau), Marseille, -oulouse et d$autrestaient des villes, et %ue vouloir les ramener à des sc#mas me semblait une dmarc#e

 pauvre. $' opposais leur st'leG c#acune avait une mani3re d$&tre, un emploi du temps,un jeu, etc.

Mais les personnages %ue vous accompagneB dans vos dambulations urbaines, commele 2noctambule2, la 2prostitue2, la 2concierge2, le 2promeneur2, etc. e)istentils encore/

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(a ville de la !in des annes soi)ante n$atelle pas t grandement c#amboule par lamodernit/

P.S. 0 Peut&tre... mais ces personnages ontils e)ist/ e ne crois pas, ce sont des !igureset non pas des ralits. *omme !igures, elles ne sont pas trop dates. (a prostitue, par 

e)emple, !ace à la dtresse des #ommes, va en!lammer la rue Saint?enis et rpondre àce dsir %u$un #omme tra%u rclame et ne peut di!!rer. 5n ce sens, elle illumine laville. Mais vous aveB certainement raison. (a rue Saint?enis n$est plus celle dont je

 parle, et la soi! d$tranget ne se mani!este gu3re, alors la prostitue n$a plus de sens.5lle se limite à ce %u$elle est, elle n$est plus une !igure. LalBac, par e)emple, s$intressaità la ville à travers ses grandes !igures. 5t bien je !ais de m&me, en rendant #ommage au

 bricoleur, à la mnag3re, au cancre, et ainsi j$c#appe à la problmatisation, à la mise enconcept %ui rduisent la ralit à des ta)inomies sociales, à des oppositions structurelles,etc.

 e tombeBvous pas dans une sorte de nostalgie d$une po%ue rvolue, %u$indirectement

vous recreB en l$enjolivant/

P.S. 0 e ne le pense pas, mais je dois regretter ma jeunesse, certainement. n ne va plusau bal ou au dancing, on va en bo"te. *$est di!!rent. $aimais bien aller danser, mais jene veu) pas reproduire le pass, le pastic#er comme les tenants du patrimoine, ou ledgrader. e sou#aite %u$on respecte le pass, c$est pour cela %ue j$en parle avec desmots... (es mots c$est pres%ue du nant, ce sont des rappels... !ugaces. e suis contre les

 placettes mridionales reconstitues. e c#erc#e à comprendre ce %ui merge, et non pasà pleurnic#er sur ce %ui dispara"t. e sou#aite donner de l$paisseur au temps de la ville,la nostalgie appartient à l$&tre de la ville, on ne peut pas la jeter comme cela, comme side rien n$tait... j$ai du mal à imaginer une ville jetable, p#m3re, mais peut&tre %u$ilen e)iste. e crois %u$une ville doit emporter avec elle son passG dans 2emporter2 jemets tous les e)c3s de l$emportement. Par respect pour le pass, je dis0 2e le re!aites

 pas, s$il vous pla"t82 e suis scepti%ue par rapport au patrimoine, car je veu) tout dans le pass et du pass0 le con!essionnal en bois sculpt, mais pas tout seul. e le veu) avecses pr&tres, ses paroissiens, les pc#s, les vierges des coles religieuses, les ptales, lesgrandes cloc#es à la vole8 *$est ce %ue je dis au) lus %ui me consultent sur le

 patrimoine0 2ous vouleB conserver le lavoir/ d$accord, mais pas un lavoir %u$on ne peuttouc#er %u$avec les 'eu)8 on, un lavoir il !aut le battre, c$est !ait pour cela8 Il !aut les

 bruits %ui vont avec, l$eau %ui clabousse, les mg3res %ui se disputent ou complotent82*$est cela le parado)e. ;n lieu tout comme une pense ou une personne se succ3de à

luim&me. Ignorer les moments %u$il a dpasss mais %u$il tra"ne encore apr3s lui et oEde %uel%ues mani3res il loge encore, c$est l$amputer d$une partie de son &tre. ?onc, bienloin de !iger une ralit, je voudrais restituer son devenir, %ui consiste en cesempi3tements tonnants du prsent et du pass, et, en pointill, de ce %u$il s$appr&te à

 produire ou à p@tir. *$est ce %ue MerleauPont' nommait merveilleusement 2la %ueue dela com3te2.

e reviens à Lac#elard. *omme vous ne l$ignoreB pas, on vous prsente comme un deses continuateurs. *ela vous g&netil/

P.S. 0 *ela dpend de %uel Lac#elard il s$agit. *elui %ui dialogue avec ung/ on, je suis

loin de lui. 5n revanc#e, l$auteur de (a Poti%ue de la r&verie me pla"t. e partage aveclui cette cro'ance en la !orce des mots. Il su!!it de dire une c#ose avec des mots pour 

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%u$elle soit vraie. ($objet advient à la suite des mots. (es mots ont une grande capacit àcrer. ?ans notre %u&te de l$imaginaire, les c#oses a!!leurent davantage à l$&trelors%u$elles ont rencontr les mots %ui en proclament l$e)istence. 2otre2 imaginaire

 prend place à midistance du nant et de l$&tre. Il ne poss3de pas un pouvoir d$idalitNde ngation du relO, il n$est pas pour autant englu dans le monde. Il le redouble. *e

Lac#elard là me convient asseB. 2n2 a aussi prtendu %ue j$tais in!luenc par 5ring=o!!man, je dmens catgori%uement. e trouve trop de pat#os dans ses t#3sesG je necrois pas à la stratgie de l$vitement, au) niveau) d$aspiration, au sentimentd$appartenanceG toutes ces catgories limitent notre compr#ension de la vie%uotidienne. *elleci ne se rsume jamais à %uel%ues concepts. ?ire %ue les gens serencontrent dans les bistrots est banal, mais tudier la posture du buveur, observer ce%u$il !ait de son corps participe à l$anal'se de l$e)cution. *omme l$art, la vie%uotidienne est dans la ralisation. e me m!ie de ceu) %ui ne prati%uent %ue lemtalangage. (a ma"trise du mtalangage donne de l$assurance à l$orateur. 5n ce %ui meconcerne, je ne dis pas je l$esp3re n$importe %uoi, mais je c#erc#e tant bien %ue mal à !ormuler ce %ue je ne sais pas encore... Cue nous disait e)actement notre ma"tre0

2-oute perception est d$abord e)ploration.2 Q...R 2(es ides trop possdes ne sont plusdes idesG je ne pense plus rien %uand alors je parle. (a parole parle renvoie sans cesseau pass, la parole parlante, contemporaine d$ellem&me, est tout enti3re en tension versl$avenir. (e propre d$une pareille parole est de se devancer ellem&me.2

Cue penseBvous des travau) pionniers d$Kenri (e!ebvre concernant la vie %uotidienne,au lendemain de la Seconde =uerre mondiale/

P.S. 0 0Il ' a des descriptions originales, des 2c#oses vues2 dans ses te)tes. Mais d3s %u$ilt#orise, il demeure prisonnier du mar)isme, malgr ses e!!orts pour le renouveler.($alination de la !emme au !o'er, par e)emple, me semble plus comple)e %ue ce %ue se

 prtend le dterminisme conomicosocial %ui, au mieu), n$attrape dans ses !ilets %ue2l$cume des jours2... (e!ebvre reste partisan de la dialecti%ue entre les !orces

 productives et le mode de production. e suis plus proc#e d$un MerleauPont', pour %uila parole va audelà de notre pense. (a parole ouvre un c#eminement, %ui n$est pas une

 problmati%ue, mais on ignore oE il va nous conduire. *e n$est pas !acile, et jecomprends certains de mes coll3gues %ui se rassurent avec des t#ories bien !iceles,des concepts bien ordonns les uns par rapport au) autres.

otre marginalit volontaire, eu gard au monde universitaire, atelle jou contre vouslors de votre soutenance/

P.S. 0 (e jur' a bien aim mon travail, surtout =ilbert ?urand et =illes ?eleuBe. *edernier m$a !ait plaisir en apprciant particuli3rement l$criture. ?u reste, ce sont descriti%ues 2littraires2 %ui ont rendu compte du livre, des personnes comme Fran:ois

 ourissier, SuBanne Prou, et aussi ean (acroi) dans (e Monde, %ui a commis un lapsusen crivant la 2politi%ue2 au lieu de la 2poti%ue2 de la ville...

(a rencontre avec le grand public s$est !aite lors de la parution de votre tude sur (es=ens de peu...

P.S. 0 Pas vraiment8 (a Poti%ue de la ville, %ui a plus de vingt ans, continue à se vendre

c#a%ue anne à plusieurs centaines d$e)emplaires. Mais j$esp3re %ue les nombreu)lecteurs des =ens de peu ont bien compris cette e)pression. 5lle me pla"t bien, mais

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comme elle n$est gu3re !r%uente dans les ouvrages savants, j$esp3re %u$on ne la prendra pas pour un s'non'me de 2proltariat2, de 2pauvres2, de 2domins2 ou d$2e)clus28 5lle ale mrite d$identi!ier et de regrouper NconceptuellementO des individus %u$une certainemani3re de vivre rapproc#e, dans un mlange de !iert et de modestie, dans le goDt des

 bon#eurs simples, %u$ils sont à m&me d$inventer et de savourer. *e dplacement d$ordre

linguisti%ue, puis%ue j$use d$un langage ordinaire, apparemment appro)imati!, a pour support et cons%uence une modi!ication du regard, de l$approc#e de la vie sociale. $aidlaiss les voies classi%ues de l$anal'se ant#ropologi%ue pour e)primenter celles de lalittrature. Ainsi j$ai es%uiss %uel%ues portraits0 le bricoleur, la mnag3re, le gurisseur,l$ivrogne, etc. *e sont des portraits sans problmati%ue. e ne vise pas à anal'ser le

 bricolage, l$conomie domesti%ue, la mdecine parall3le, l$alcoolisme, etc., mais àrestituer la temporalit d$un comportement, d$un 2art de vivre2. *es 2#umbles2 au)%uels

 je m$attac#e ne sont pas des 2nouveau) pauvres2. Ils appartiennent à une socit endclin, au sein m&me d$un tout social plus vaste, %ui les mconna"t et les mprise. (e2monde de la bouti%ue2 tend à se trans!ormer !ace à la concurrence des centrescommerciau). ?e m&me le camping se mtamorp#ose avec les centres de loisir, les

a%ualands, les aires de vacances organiss... Mes =ens de peu tmoignent d$une culture populaire %ui rsiste pour combien de temps , et pour cela, j$ai une certaine tendresse.

?ans les jardins publics, on dcouvre galement nos contemporains, mais comme auralenti, comme lors d$une pause dans le tumulte de la civilisation urbaine, estce cela %uivous attire/

P.S. 0 (e jardin public est un lieu de !l@nerie. n ' vient pour rien, mais aussi pour uneautre c#ose. *ette autre c#ose peut &tre la rencontre !ortuite ou provo%ue, ou bien unmoment vol à une %uelcon%ue occupation, %ue saisje encore8 $aime bien regarder comment un banc est partag entre des #abitus, souvent des vieu), à moins %u$il nes$agisse d$une jeune m3re et de son en!ant, et des 2nouveau)2G ou comment desamoureu) s$approprient, à la Lrassens, ce banc public et se le partagent comme on

 partage un pain. *ar on ne vient pas dans un jardin public sans une petite !aim del$autre... *e sont des lieu) publics oE la vie se dcouvre, se dploie sous des joursinconnus, des #asards perturbant des emplois du temps, et des trajets trop rigides. Ilsrespirent tous di!!remment selon les saisons. *ertains sont gais, d$autres plusmlancoli%ues. e ne connais rien de plus triste %u$un paring de grande sur!ace un jour de !ermeture. Il est là, immense, ne sac#ant %ue !aire de ses tendues inutiles, commeune baleine c#oue sur la gr3ve.ui, il ' a des lieu) mal#eureu). 5t de leur mal#eur, et le plus souvent de leur bon#eur 

aussi, j$alimente mon imaginaire. Imaginer, c$est rendre #ommage au monde dont nous percevons les prvenances à notre gard. ous devons donc, dans un premier temps,&tre a!!ects. r pareille a!!ection ncessite des circonstances %ui, par!ois, se drobent.Soit le monde sombre dans l$insigniFiance, se vautre dans le mdiocre, rab@c#e sarengaine trop souvent entendue pour nous mouvoir. Soit l$#omme se conduit enentrepreneur, ne retient de l$e)prience %ue ce %ui !acilite ses projets, se recro%uevillesur son orgueil. Il !aut donc %ue, d$un c4t et de l$autre, c#a%ue parti se dposs3de de sa!utilit, de sa ngligence, et s$e)pose à ses ris%ues et prils. 5n un mot, %ue l$universacc3de au sensible et du coup nous provo%ue et %ue les #ommes redeviennent des &tressentants, consentants, ouverts à la beaut des c#oses %ui se con!ond avec leur &tre. cetinstant, à cette con!luence du sensible et du sentant, il est possible de parler de pa'sage.

Cuand on oublie le bon#eur inespr d$une pareille rencontre, on ne voit dans le pa'sage%ue la misrable lgitimation de certains lieu) par l$idologie dominante de l$po%ue.

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(es banlieues, le priurbain, tous ces espaces con!us et !ouillis, !abri%uent un pa'sageclat, sorte de collage %ui n$est pas sans c#arme. e ne pense pas %ue le centre soit uner!rence oblige pour les citadins du proc#ain si3cle, d$autant %u$il s$agit souvent d$unc7ur illusoire, %ui dclare son amour au monde %ui le !r%uente. (e centre se dplace.

 $oublions pas %ue la !or&t n$a pas de centre mais des clairi3res. 5t %u$une clairi3re n$est

 pas au centre d$une !or&t, mais un espace de non !or&t... Il !audrait dans l$urbain %ui segnralise des sortes de 2clairi3res urbaines2 suscitant une nouvelle complicit entre desrsidents ou des vo'ageurs et les lieu) au) alentours. *es 2clairi3res2 sontindispensables pour les rencontres, et par cons%uent pour l$e)pression et la prati%ue dela dmocratie, mais d$une dmocratie %ui valorise la !raternit. ui, la !raternitdavantage %ue la solidarit. (e monde m$est donn. moi de le saisir. (à. ?ans cesespaces pas toujours lisibles, par!ois de guingois se trouve tout l$amour %ui nous !ait tantd!aut.

Cuestion #abituelle de ces entretiens0 %uelles sont les villes %ue vous apprcieB le plus/

P.S. 0 Aucune en particulier, mais toutes celles %ui me procurent %uel%ues moments degr@ce, %uel%ues instants poti%ues. 5t elles sont nombreuses8