Sexologies 15 (2006) 250–254

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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE

Du couple conjugal au couple parental

The married couple become parents

A. de Butler

Psychothérapeute analytique de couple, membre de la Société française de psychothérapie psychanalytique de Groupe(SFPPG), formatrice de L’Association française des centres de consultation conjugale (Paris), 64, avenue du Capitaine-Cocart, 91120 Palaiseau, France

Disponible sur internet le 05 juin 2006

11do

MOTS CLÉSConjugal ;Parental ;Différence des sexes ;Refoulement ;Conflit ;Maturation

Adresse e-mail : annie-but

58-1360/$ - see front mattei:10.1016/j.sexol.2006.04.0

ler@club

r © 20009

Résumé Devenir parent demande au couple conjugal un réaménagement plus ou moins pro-fond de sa relation duelle. L’homme et la femme entrent dans la parentalité par des voies dif-férentes : découverte comblante le plus souvent chez la femme, et frustrante chez l’homme,qui dans un premier temps doit soutenir la relation symbiotique mère–bébé, dont il peut sesentir exclu. Le souvenir plus ou moins conscient de sa propre enfance aide ou complique lamise en place de son identité de parent, ainsi que la façon dont le couple conjugal arriveraou pas à un réaménagement harmonieux de sa relation affective et sexuelle. Cheminer l’unet l’autre vers une plus grande maturité passe par des moments de tension voire de crisestructurés autour du jeu de la différence des sexes et du passé de chacun. La maturation dela relation conjugale et de la fonction parentale vont de pair, la différence des sexes et desgénérations en étant le levier.© 2006 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDSMarital relations;Parental relations;Gender differences;Repression;Conflict;Maturity

Abstract The arrival of a child requires the couple to reshape their dual relationship to agreater or lesser extent. The way in which a man and a woman become parents is quite differ-ent: the woman usually feels fulfilled by the arrival of a child, whilst the man often feels fru-strated as he initially has to support the symbiotic relationship between the mother and baby,from which he may feel excluded. His own childhood memories – both conscious and subcon-scious – will either assist, or further complicate the development of his identity as a parent,and whether the couple will be able to harmoniously reorganise its emotional and sexual rela-tionship, or not. The road to greater maturity will necessarily take them through times of ten-sion, or even crisis, structured around the interplay between gender differences and each per-son’s past. Maturity in the marital relationship and parental roles go hand in hand, withdifferences according to gender and generation providing leverage.© 2006 Publié par Elsevier Masson SAS.

-internet.fr (A. de Butler).

6 Publié par Elsevier Masson SAS.

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Abridged version

When a couple consult a therapist in an attempt to solvetheir marital problems, they often see the deterioration intheir relationship starting with the arrival of children. Howis it that children, desired by both parties, can one daybecome the source of their problems, to the point wherethey are a threat to their very relationship?

The possibilities open to couples today for postponingthe birth of children mean that when the couple doesdecide to have them, it is essential that everything shouldgo well. Today’s couples, swamped with so-called scientificsolutions, are lacking in stable landmarks enabling them toovercome the slightest difficulty that may arise.

The structure of the couple is based on partly subcons-cious foundations, - since love is blind! - hence the para-doxes to be found in relationships. Although liking thesame things facilitates agreement within the loving couple,losing oneself in the other person is still a source of anxiety.Playing on ones’ differences is part of the game of seduc-tion, but also source of potential conflict.

The arrival of a child revives the paradoxes which areinterwoven into the conjugal bond. The reawakening ofthe child they once were in each of the parents will desta-bilise the dual relationship. Becoming a parent, whilstcontinuing to develop the relationship with each other asan adult couple, is a complicated and difficult processthat each couple has to manage in its own way. The firstdifference that the couple has to cope with when thechild arrives is the difference between male and female:as she becomes a mother, the woman feels fulfilled, whe-reas the man, although he is happy to be a father, oftenfeels emptiness and frustration. The following two exam-ples illustrate this.

1. After together choosing to remain childless for someyears, Carole is delighted to finally have children whilst Phi-lippe falls into such a deep bout of depression that heemerges from it with the conviction that he no longerloves his wife. Marital therapy helps them to restorebalance to their parental relationship on the basis ofmutual respect, but not to their relationship as a couple.Carole was left marked by her parents’ divorce and findsit difficult to accept the termination, whilst Philippe findsbalance in spirituality.

2. The rapid arrival of three children in the passionatecouple of Fabrice and Michele fulfils their desire to becomeparents but profoundly destabilises their marital relations.Despite her love for Fabrice, Michele no longer feels anysexual desire, placing her husband in an unacceptablequandary: remaining sexually abstinent (unacceptable forhim) but continue living with his wife and family. Maritalcounselling reveals the projections of each partner, andenables them to rid themselves of a subconscious fear ofthe other resulting from a traumatic childhood, and res-tructure their relationship on a less passionate level.

These two very different situations show that the shiftfrom a satisfactory dual relationship to a triangular rela-tionship: father, mother and child/children represents animportant restructuring of the psycho-emotional identityrequiring time and a satisfactory climate for dialoguewithin the marital couple.

A lively marital relationship is a natural source ofbalance in the parental relationship and vice-versa, as thearrival of children obliges the parents to become adult.

To conclude, human psycho-sexuality is structuredaround two universal laws: the differences between thesexes and the differences between generations; we all inte-riorise these differences in our own way, according to themeans at our disposal. This work is never complete as itrelies on experience that continues to evolve throughoutlife.

Version Longue

Aimer et être aimé, avoir des enfants, comptent parmi lesmobiles les plus puissants de l’existence humaine (de But-ler, 2002).

Pourtant, lorsqu’un couple s’adresse au thérapeute poursortir d’une crise, il est fréquent de l’entendre faire unparallèle entre la venue des enfants et la dégradation deleur vie conjugale. Que se passe-t-il donc pour que cequ’ensemble ils ont désiré et attendu comme l’expressionla plus naturelle de leur amour, devienne un jour source deproblèmes, au point de mettre en péril l’avenir de leur cou-ple, et de leur famille ?

La possibilité actuelle de différer la venue d’un enfantfait que le jour où l’on décide sa venue, il devient essentielque tout se passe bien, tant pour l’enfant que pour le cou-ple. À cette formulation en « tout ou rien » du désirhumain, il faut ajouter la disparition des modèles sociaux,la perte des repères et des valeurs ordonnatrices de noschoix. Le couple, abreuvé de recettes pseudoscientifiques,reste seul et mal préparé face à l’aléatoire de la conditionhumaine. Lorsque cet aléatoire surgit, grossesse inattendueou difficile par exemple, des expressions différentes au seindu couple sur la gestion de la réalité peuvent mettre à rudeépreuve son équilibre.

Réfléchir sur la formation du couple peut nousaider à mieux comprendre son fonctionnementet ses fragilités

Plus l’élection amoureuse est immédiate et semble s’impo-ser, plus l’inconscient y tient une place importante. Direque l’on « tombe amoureux », que « l’amour est aveugle »,exprime bien son côté irrésistible.

Si le mystère de l’autre attire, il inquiète aussi et lespremiers heurts au début d’une relation amoureuse sontsouvent les messagers de l’inconscient. Le fait que l’autrenous révèle des facettes de nous même dont nous n’avionspas conscience, et qui nous dérangent, peut déclenchermauvaise humeur et agressivité. Que de colères inexplica-bles trouvent sens à partir du moment où l’on accepte deregarder les facettes de notre caractère révélées par l’au-tre ! Acceptons que, même si cela nous dérange, l’êtreaimé, plus souvent qu’on ne le pense, est un révélateurde certaines fragilités liées à notre histoire passée. « Celuiqui ne connaît pas son passé est condamné à le reproduire »disait Goethe.

Autre point important, le couple humain repose sur unparadoxe : ne faire qu’un avec l’être aimé, et pour cela

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effacer les différences qui néanmoins attirent et séduisent,mais rester un individu à part entière. Aimer les mêmeschoses, avoir les mêmes réactions, ressentir les mêmesémotions au même moment, facilitent l’accord amoureux.Mais, se perdre dans l’autre est aussi source d’angoisse, sibien que les élans fusionnels vont alterner avec la nécessitéde se retrouver, quitte à revendiquer les différences qui,malgré le conflit qu’elles induisent, structurent une fron-tière entre l’autre et soi. Le couple oscille donc entre desphases de retrouvailles sur un mode fusionnel et des phasesde prise de distance nécessaires à chacun pour rester unindividu à part entière.

La différence sexuelle est une réalité qui séduit, et quistructure le lien conjugal. Mais, il est une autre réalité,imprévisible, susceptible de remettre en question l’équili-bre, voire l’existence, du couple : l’évolution de chacunavec l’âge. Au fil des jours nous changeons et nous ne som-mes plus à 30 et à 50 ans ce que nous étions à 20. La viequotidienne et ses soucis, parfois les épreuves qu’elleamène, révèlent en permanence la personnalité de chacun,sous des facettes inconnues, obligeant le couple à un réa-ménagement quasi-permanent, mais aussi plus réaliste desa relation. Parmi ces événements, un des plus révélateurest la venue du ou des enfants.

Devenir père et mère en permettant à son couplede poursuivre son évolution est un programmeà la fois riche et difficile

Les enfants réveillent plus ou moins, toujours de façonimprévisible, en chacun de nous l’enfant que l’on a été,avec ses joies, ses frustrations, ses chagrins, ses blocagesdans sa relation à ses parents. Deux histoires vont alorss’entrecroiser en permanence et, si chacun ignore plus oumoins celle de l’autre, voire la sienne car le refoulementexiste, c’est l’étrange, l’inattendu, parfois l’insupportable,qui surgit. Cette réalité permet de mieux comprendre lesconflits des parents par exemple autour de l’éducationd’un enfant.

Une autre réalité s’impose avec la venue de l’enfant, quiva secouer l’équilibre conjugal : l’homme et la femmeentrent dans la parentalité par des voies différentes.Alors que la femme découvre en devenant mère une sensa-tion de plénitude, l’homme tout en étant heureux d’êtrepère, éprouve un manque, et ressent une frustration tota-lement inattendue. En effet, dans le vécu amoureux réci-proque qui à notre époque fonde le couple, l’homme estd’une certaine façon émerveillé d’avoir retrouvé cette pre-mière place dans le cœur et dans les bras d’une femme, cequ’il a éprouvé dans les bras maternels. Cette place ill’avait déjà tour à tour occupée et perdue au cours de sonenfance. Au moment de la grossesse il a déjà pu se sentirfrustré de voir le corps de celle qu’il aime occupé par unpetit être dont il ne sait rien encore, mais très concrète-ment c’est après la naissance qu’il est obligé d’accepterque : dans ces bras là il y a quelqu’un d’autre. En effet,passés les premiers moments de joie partagée, très vite,la future mère noue avec l’enfant une relation privilégiéesi étroite que le futur père peut se sentir exclu. Pour peuque se réactivent alors les frustrations de l’enfance, unecrise dans le couple peut s’installer, dont tout le monde

souffrira. La situation clinique que voici permettra d’illus-trer ce propos.

Philippe et Carole ou : « Quand le maternel occupesoudainement tout l’espace du couple »Ils vivent depuis une huitaine d’années une relation de cou-ple qui, sans avoir jamais ressemblé à une idylle de roman,tient la route. Chacun a accepté les goûts différents del’autre, ce qui ne les empêche pas d’avoir de nombreusesactivités communes, mode de vie qui leur convient. Àl’époque, Carole se souvient que lorsqu’au bureau une col-lègue évoquait un profond désir de maternité, elle s’inter-rogeait dans son for intérieur : peut-on vivre une vie defemme épanouie et ne pas avoir d’enfant ? Sa réponseétait : oui.

C’est Philippe qui un jour exprima l’éventualité d’avoirun enfant, ce à quoi Carole répondit simplement : « Pour-quoi pas ! »

Quelques semaines plus tard Carole était enceinte. Lagrossesse se passa très bien, la naissance aussi. Aujourd’huielle explique que la découverte de la maternité et de la viede mère fut pour elle un tel bonheur que rien d’autren’existait plus. En quatre ans elle eut deux enfants qu’elleallaita jusqu’à deux ans et, précise-t-elle, j’attendais quel’enfant lâche le sein pour passer à une autre alimentation.Elle se rappelle très bien que le soir où la deuxième sedétourna du sein, elle se dit que le temps de la symbioseétait terminé, et se tournant vers son mari elle luidit : « Alors, où en étions nous restés ? »

Émergeant soudainement d’une sorte d’hypnose quiavait duré quatre ans, pendant lesquels rien d’autre queses deux enfants n’avaient occupé sa vie, ses pensée, sessentiments, elle souhaitait maintenant de tout cœur, avecson mari, retrouver une vie de couple harmonieuse et cons-truire ensemble une famille heureuse. Les larmes aux yeuxelle dit que ses parents ont divorcé quand elle avait deuxans, et qu’en grandissant elle pensait « Moi, je veux vivreautre chose! ».

Mais, Philippe depuis quatre ans se taisait, incapable demettre des mots sur le malaise profond qui l’habitait,« chez moi on se côtoyait, on vivait sous le même toitmais on ne se parlait pas ! ». Au lieu de réclamer son dû,il avait déprimé assez sérieusement pour être traité auxantidépresseurs. On avait attribué cette plongée dépressiveà des difficultés d’ordre professionnel, et surtout au décèsde son père.

Aujourd’hui, il entend les demandes de dialogue et lespourquoi pressants et angoissés de Carole concernant leurcouple, mais il se sent incapable d’y répondre autrementque par un « je ne ressent plus rien qui ressemble à del’amour pour toi, je ne t’aime plus! ». Cette déclarationfaite en séance déclencha les sanglots de Carole, maisceux ci restèrent sans effet sur Philippe car, pour lui, lecouple conjugal était mort depuis un bon moment. Enrevanche, il reste désireux de continuer à essayer de for-mer une famille heureuse, il est toujours profondémentcontent par exemple, le soir de retrouver ses filles, unemaison calme et qui tourne bien. Être père le remplit debonheur, mais le couple c’est du passé, il ne veut pas yrevenir.

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Ils continuent de venir en thérapie, voulant à tous prixépargner leurs enfants. Ils restent sous le même toit pourleurs enfants, et vivent une relation de type fraternel, cha-cun restant libre de sortir seul, librement, et l’esprit tran-quille puisque les enfants sont avec l’autre parent. Com-bien de temps ce compromis durera-t-il ? C’est unequestion suffisamment angoissante, pour Carole surtoutqui formule le besoin d’une vraie vie de couple, pourqu’ils maintiennent le cadre de la thérapie pour y réfléchir.

Évoquons maintenant le couple de Fabrice et Michèle,pour qui la thérapie est l’occasion d’aller beaucoup plusloin dans l’analyse de leur lien conjugal.

Fabrice et Michèle ou le grand mystère de la différencedes sexesIls se sont rencontrés, il y a une quinzaine d’années. Trèsépris l’un de l’autre, il formèrent un couple passionnel,fait d’alternance de phases d’amour intense et de momentsde conflits douloureux.

Ils sortent l’un et l’autre d’une enfance traumatique.Elle parle de son père comme d’un colosse mou et sansvolonté. « Il prétendait aimer ma mère mais la trompaittout le temps ». Elle parle de sa mère comme d’une per-sonne peu affective, autoritaire, pouvant être violentequand elle avait bu. Elle revoit des scènes pénibles où samère battait son père en l’injuriant, elle aurait voulut lesséparer, mais se sentait impuissante.

Lui, dresse de son père un étrange portrait. Il était sou-vent parti, car il travaillait à l’étranger. Quand il était là, ilétait le centre du monde, accaparant la conversation,ayant un avis définitif sur tout. Fabrice est le dernierd’une fratrie de quatre, les aînés étant déjà grands à sanaissance. Il vit pour la première fois son père, l’année deses cinq ans. Enfant, il était donc surtout avec sa mère,qu’il décrit comme effacée. À la suite d’une histoire restéefloue, son père fit de la prison, ce qui renforça à la fois lelien familial et les non-dits.

Fabrice et Michèle ont d’un commun accord fait le vœud’avoir des enfants et d’être pour eux de vrais parents.Aujourd’hui, ils ont trois enfants, et pour tout ce qui lesconcerne s’entendent parfaitement. Fabrice se dit heureuxd’être père, et apprécie de rentrer après sa journée de tra-vail dans une maison chaleureuse, grâce en partie à Michèlequi, tout en travaillant, gère pour le mieux le quotidien. Eneffet, qu’il s’agisse de la maison ou des enfants, ils parlentde tout cela sans difficulté. Bien qu’étant souvent d’avisdifférents, ils estiment que c’est une richesse et n’ont pasde difficultés à trouver des compromis harmonieux.

Lorsqu’il s’agit de leur couple, c’est le contraire. Ils ontbeaucoup de mal à s’écouter et à se comprendre. Lesconflits sont fréquents, et tournent toujours autour dumême thème : leur vie affective et sexuelle. Depuis quel-ques années, Michèle dit ne plus avoir de désir sexuel,comme si sa libido était endormie (ce sont ses termes). Dûcôté de Fabrice au contraire, son désir inassouvi le taraudeet l’abstinence obligée à laquelle il est soumis le plongedans un conflit interne sans solution, qu’il tente de formu-ler ainsi : continuer à former avec Michèle un couple paren-tal qui fonctionne bien le rend heureux, mais si le prix àpayer est l’abstinence il pense que c’est au-dessus de sesforces. Michèle comprend, et explique qu’elle aussi se

sent dans une impasse. À la suite des naissances difficilesde ses enfants, elle a entamé une psychothérapie, terminéedepuis un moment déjà. Cette thérapie l’a aidée à remet-tre à leur place les souffrances de son enfance, à compren-dre pourquoi elle avait une image négative d’elle et de soncorps, surtout lorsqu’elle sentait le désir de son mari.Aujourd’hui ils sont d’accord pour engager une thérapiede couple, afin d’essayer ensemble d’analyser les compo-santes de cette résistance à l’autre qui bloque leurs échan-ges, affectifs et sexuels.

Grâce au cadre exigeant de la thérapie, ils avancent.Michèle, découvre la violence qui est en elle. Elle peutdire : « Si je t’embrasse, j’ai l’impression que mon désirest si fort que je pourrais te dévorer… ». Parallèlement,elle se souvient d’une réflexion d’un collègue et ami, souli-gnant chez Fabrice un besoin impérieux de maîtrise. Cer-tes, dans son métier d’ingénieur, c’est une énorme qualité,mais dans le domaine de l’intimité amoureuse c’est autrechose ! Fabrice écoute et essaye de mettre des mots surses émotions voire ses fantasmes, mais pour son esprit car-tésien c’est difficile.

La thérapie a déjà un premier effet : ils peuvent main-tenant se parler d’eux et de leur problème de couple autre-ment qu’en se lançant des paroles blessantes à la figure. Eneffet, le résultat de ces séances de « bras de fer » étaitdésastreux, et contribuait à entamer leur amour-propre età briser un peu plus le miroir de leur amour. Car, ils en sontconvaincus : ils s’aiment, même s’ils ont encore du mal àvivre cet amour.

Commentaires

Essayons de comprendre les processus psychiques à l’œuvredans les remaniements identitaires qui secouent ces cou-ples alors que leur famille se construit.

Freud (1910) souligne par exemple le besoin, présentchez beaucoup d’hommes, de séparer dans la femme : lamère, à qui l’on doit tendresse et respect, et la femmevers laquelle on se tourne pour donner libre cours à l’ex-pression de ses pulsions sexuelles (au bas de l’échelle : laputain). Ce clivage résume-t-il l’époque de Freud ou est-ilvrai encore aujourd’hui ? Le débat est ouvert. Freud, lepremier, affirme que la sexualité humaine est une psycho-sexualité. En 1937, il affine cette notion en découvrant enchaque être humain quel que soit son sexe, des tendancesdu sexe opposé. Il postule alors l’existence d’une bisexua-lité psychique.

En rapport avec nos exemples, on est en droit de voirdans la déroute identitaire de certains hommes face au cou-ple mère–enfant qui soudainement s’impose à eux, l’émer-gence d’une bisexualité latente, angoissante et déniée.

Donald Winnicott (1964) propose une lecture fine desmanifestations autour de la lutte entre les sexes. Selonlui, les liens affectifs, et l’état de totale dépendance unis-sant la mère et son bébé, laissent des traces profondes. Il yvoit la source de la peur que déclenche chez tout homme lafemme, surtout lorsqu’elle devient mère.

Écoutons-le : À la naissance, l’enfant est dans un état dedépendance absolue : « un bébé tout seul, ça n’existepas ! ». Cet état primitif de dépendance nous marquetous : « chaque homme et chaque femme s’est développé

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dans un utérus », et « chacun, pour commencer, a été abso-lument dépendant d’une femme, puis il l’a été relative-ment »… Même quand tout se passe normalement « il sub-siste une peur de la dépendance qui n’est pas reconnueparce que l’enfant ne s’en souvient pas ».

Aujourd’hui, dit-on bon nombre d’hommes ont du mal àtrouver leur place de père et à en assumer les fonctions. Ilest vrai que dans ce dernier quart de siècle, l’image de lafemme après avoir été, à juste titre valorisée dans desdomaines où elle avait rarement accès, s’est trouvée surva-lorisée, par exemple dans le domaine de la famille. Or,c’est justement dans ce domaine que la place de l’hommeet du père est essentielle. Les psychanalystes sont d’ac-cord, pour penser que c’est en partie à la femme devenuemère de le lui signifier. Françoise Dolto à qui l’on posait laquestion, « qu’est-ce qu’une bonne mère ? », répondait« C’est une mère qui n’est pas que cela »!

Il convient ici de souligner que la relation du bébé à sonpère fonctionne comme un régulateur naturel de sa rela-tion à sa mère. C’est en regardant son père qui le regardeque le bébé prend conscience d’être à la fois séparé et dif-férent de sa mère. Cette expérience l’ouvre progressive-ment aux autres et au reste du monde.

On comprend mieux, à la lumière de ces quelques repè-res, que le passage d’une relation duelle satisfaisante à unerelation triangulaire : père, mère, enfants représente unvéritable remaniement identitaire psychoaffectif qui

demande du temps et un climat d’échange naturel et satis-faisant au sein du couple conjugal. Soyons convaincusqu’une relation conjugale vivante est la source d’équilibrenaturel de la relation parentale et vice-versa, dans lamesure où la venue des enfants oblige les parents à un tra-vail de maturation des facettes de leur personnalité restéesinfantiles.

Conclusion

Pour conclure, soulignons que la psychosexualité humainese structure autour de deux lois universelles : la différencedes sexes et la différence des générations ; chacun les inté-riorise à sa façon, selon les moyens dont il dispose. Ce tra-vail n’est jamais terminé car appuyé sur un vécu en perpé-tuel changement.

Références

Butler A. Génial mes parents s’aiment ! Collection métier deparents. Paris: Fleurus, 2002.eud S. Contributions à la psychologie de la vie amoureuse, 1910.In: La Vie sexuelle. Paris: PUF, 1985.nnicott DW. article inédit « this feminism » 1964, cité dansConversations Ordinaires. Paris: Gallimard, 1988.