Traitement électrochimique des eaux résiduaires Christian BALSIGER, César PULGARIN
Institut de Génie Biologique, École Polytechnique Fédérale, 1015 Lausanne
I. Introduction Le traitement des eaux résiduaires industrielles chargées en matières organiques s’étudie de plus en plus au cas par cas. La composition chimique de l’effluent détermine le traitement adéquat. A l’heure actuelle, les différents types d’effluents peuvent se résumer de la manière suivante : 1) Les effluents biodégradables, qui
peuvent être directement acheminés vers une station de traitement biologique ;
2) Les effluents récalcitrants, qui nécessitent sélection et adaptation bactérienne avant de pouvoir être dégradés par traitement biologique ; il est important de séparer ces composés
de ceux qui sont plus facilement biodégradés afin de favoriser l’adaptation bactérienne ;
3) Les effluents toxiques et / ou non biodégradables, qui nécessitent un pré-traitement spécifique, à savoir une oxydation totale ou une combustion.
Dans le cadre de ce travail nous avons chercher à développer de nouvelles méthodes de pré-traitement d’effluents du troisième type. Le but recherché est une minimisation du coût du traitement, qui va de paire avec un traitement spécifique et optimal de l’effluent. La figure 1 donne une vue d’ensemble de notre démarche.
Pré-traitementphysico-chimiques
oxydation:• chimique• électrochimique• photochimique
Caractérisation de l‘effluent• charge• débit
• composition• toxicité
• biodégradabilité
Effluents récalcitrants
Traitements biologiquesspécifiques à la source
Traitements chimiques• oxydation totale• combustion
Traitements biologiquesspécifiques à la source
Effluents biodégradables Effluents toxiques et/ounon biodégradables
Boues
Adaptation,sélectionbactérienne
Eauxépurées
Eaux traitéesRésidus minéralisés
ÉpandageIncinérationDécharge
fig.1: description des différents types d'effluents et de leurs traitements respectifs
2 C. Balsiger, C. Pulgarin
Composés toxiques et / ou non biodégradables Un composé toxique provoquera par ingestion une crise aiguë détectable rapidement. Les composés non biodégradables s’accumulent, dans les tissus adipeux notamment, et peuvent provoquer à long terme de graves séquelles (toxicité chronique). De plus, étant de nature moins toxique, ils sont souvent moins sujets à des préventives. Le phénol Découvert en 1834, le phénol a été l’objet de nombreuses recherches. Ses propriétés antiseptiques ont permis le développement de nombre de désinfectants et autres produits antibactériels. Néanmoins sa toxicité (LD50, oral, rat : 500 mg/kg ; LD50, sol.aqueuse 20ppm, rat : 530 mg/kg)[5] en a limité l’utilisation, et les recherches se sont axées sur des dérivés phénoliques de toxicité moindre et de propriétés antiseptiques accrues. La capacité de production mondiale du phénol en 1989 s’élevait à 5.19*106 t/a[5] (fig.2). Ces produits se retrouvent maintenant dans de nombreuses usines chimiques (fig.3), et par conséquent dans leurs effluents. Ils sont de plus en général peu biodégradables (fig.4), ce qui en fait des agents polluants
de prime importance. C’est pourquoi nous avons axé notre étude sur la destruction chimico-physique de tels composés.
0
0.5
1
1.5
2
106 t/
a
Etats Unis Europe del'ouest
Europe del'est
Asie Autres
fig.2 : capacité de production du phénol (1989)
Mousses isolantes, adhésifs, résinesimprégnantes, vernis, emulsifiants et détergents,
plastifiants, herbicides, insecticides,colorants, parfums, caotchoucs.
fig.3 : le phénol et ses dérivés
100 pp m
50 pp m
L D 50 (oral, rat):51 29 m g/k gL D 50 (derm a l, rat): > 50 0 m g/k gpreservatve for a queous fun ctionalflu id sd isinfectan ts
100 pp m
50 pp m
active agent in d isinfectants
50deo do ra nts, a ntiseptic soa ps, an ti-m icrob ial fin ishing of textilesandpaper , p reserv ative for m eta lw ork in glu bricants
10 pp m
raw m aterial for desin fectantsdeo do ra nts, soaps, skin prepa ra tions forderm ato logical d isord ers , an tisep tics,preservative for a qu eou s fu nctio na l flu id s
10 pp mdes infectan tantim icrob ial fin ish ing of tex tiles a ndpaper
L D 50 (oral, rat):> 5000 m g/kgL D 50 (derm a l, rat): > 25 00 m g/k g
20 pp mL D (oral, rat): 3300 m g/kg
L D 50 (oral, rat): 3830 m g/kg
c)
d)
e)
f)
g)
a)
b)
fig.4 : biodégradabilité des dérivés du phénol
Traitement électrochimique des eaux résiduaires 3
a) b)
B
BB
E E
fig. 5: couplage de traitements biologiques (B) et électrochimiques (E)
Les applications industrielles de ces traitements résident dans les couplages des différentes méthodes de dégradation des polluants. Selon la nature de l’effluent un pré-traitement électrochimique permettrait de transformer les composés non-biodégradables en espèces biodégradables qui pourraient alors suivre un traitement biologique « standard » (fig.5.a). Un autre cas de figure nécessiterait par exemple un pré-traitement biologique supplémentaire permettant de sélectionner la matière à oxyder, et par conséquent de diminuer la charge électrique nécessaire à la transformation (fig.5.b). II. Electrolyse des solutions Les deux demi réactions d'oxydoréduciton de l'eau sont les suivantes: à l'anode (électrode positive): 2 OH- ½ O2 + H2O + 2e- (1) à la cathode (électrode négative): 2 H+ + 2e- H2 (2) La réaction globale, dont le potentiel est de 1.23 V, est la suivante: H2O ½ O2 + H2 (3)
Le potentiel appliqué pour l'électrolyse de l'eau s'élèvera à la valeur de 1.23 V plus la valeur de potentiel liée au système (résistance du système) décrit plus bas. Le mécanisme de l’électrolyse passe par la formation de radicaux OH. Ces radicaux peuvent réagir soit avec des molécules d’eau pour former de l’oxygène, soit avec la matière organique en la dégradant (schéma 1). H2O + M[] M[OH•] + H+ + e-
(5) M[] + O2 + 3H+ + e- (6) H2O M[OH•] R M[] + RO + H+ + e- (7) schéma 1: mécanisme de l'oxydation La mesure du flux d’oxygène permet de calculer le rendement en courant instantané (RCI), défini de la manière suivante :
4 C. Balsiger, C. Pulgarin
RCI = 2O
torg2O2O
D)D(D −
(8)
où est le débit d'oxygène en absence
de composés organiques, et est le débit d'oxygène mesuré en présence d'un polluant.
2ODtorg2O )D(
Les valeurs de l'index d'oxydation électrochimique (IOE) et de la demande électrochimique en oxygène (DEO) permettent une appréhension globale de l'efficacité de l'électrolyse:
IOE = τ
∫τ
0
dt)RCI( (9)
DEO = )l/g(32VF4
IIOE ⋅⋅τ⋅
⋅ . (10)
où τ est le temps nécessaire pour obtenir une valeur nulle de RCI, I l’intensité du courant, F la constante de Faraday et V le volume de la solution. L'index d'oxydation électrochimique représente la facilité avec laquelle la matière organique est oxydée, et la demande électrochimique en oxygène représente la masse d'oxygène utilisée pour l'oxydation de la matière organique.
III. Partie expérimentale Démarche expérimentale Au cours de l’oxydation, des échantillons sont prélevés en vue de différentes analyses (TOC, HPLC, DBO, tests de toxicité,...). Ces analyses nous permettent d’accéder à une meilleure connaissance des mécanismes réactionnels, ainsi que de l'évolution de la toxicité du système, ce qui est de prime importance dans ce contexte. La figure 6 donne un aperçu des diverse analyses envisageables. Influence des différents paramètres Dans ce travail nous avons ébauché l'étude des divers paramètres qui influencent la valeur de l'EOI, à savoir: -nature de la matière organique -nature des électrodes -concentration de l'électrolyte -pH -température -densité de courant
Solution Electrolyse
Prélèvement
Mesure dudébit d ’O2
Echantillon
Contrôlesbiologiques
• Concentration initiale• pH
Nature de l ’électrode Type et concentration
de l ’électrolyte
• Température• Densité de courant
••
• Appareillage
X:• H• Cl• NH2• NO2• COOH• OH• SO3
OH
X
Cl-organiqueCOTDCO
IodométrieGC / GC-MS
UVHPLC
Polarographie
globales
spécifiques
MicrotoxRespirométrie
des boues
Tests anaérobies:méthanisation
Tests aérobies
Essais avecbiomasse fixée
ElectrochemicalOxydation Index
(EOI)ElectrochemicalOxygen Demand
(EOD)
Toxicité
Biodégradabilité
Analyseschimiques
fig. 6: description de la méthode expérimentale
Traitement électrochimique des eaux résiduaires 5
Matériel et méthode L'électrolyse est effectuée dans des cuves de 170 ml thermostatisées à une température de 70°C. Les deux électrodes sont séparées par une membrane perméable au gaz, ce qui évite le mélange d'oxygène et d'hydrogène produits (éq. 1 et 2) et permet de cibler la mesure du flux d'oxygène. Le gaz passe à travers un réfrigérant afin de condenser les vapeurs de la solution; le polluant est ajouté après stabilisation du système sous forme de poudre (fig.7). Mesure du flux d'oxygène La mesure du flux s'effectue de manière volumétrique en chronométrant le temps que met une bulle de savon poussée par le gaz pour monter de 5 ml dans un tube gradué. Des essais ont été effectués pour automatiser la mesure; l'utilisation de débitmètres couplés à un ordinateur a permis d'obtenir certains résultats encourageants, mais pose quelques problèmes au niveau de la sensibilité de ces appareils envers l'humidité du gaz. Le mode opératoire lié à ces mesures en continu est donné en annexe. Les résultats les meilleurs ont été obtenus en faisant passer le gaz à travers une solution de NaOH 1N, ce qui a pour effet d'en éliminer une majeure partie de l'eau ainsi que le CO2 provenant de la dégradation des matières organiques.
fig. 7: montage expérimental
IV. Résultats et discussions Index d'Oxydation Électrochimique Nous avons effectué des mesures en conditions acides pour les composés dérivés du phénol suivants:
X pKaH 9.99
COOH 4.48NH2 - NO2 7.15Cl 9.18
Les anodes utilisées sont en platine, de deux géométries différentes: l'une plate rectangulaire (type 1), qui vient entourer la cathode (en zirconium), et l'autre planaire quadrillée (type 2). L'évolution du RCI ainsi que les valeurs des IOE pour chacun des composés présentés sont les suivants:
p-COOH, milieu acide
0.000
0.005
0.010
0.015
0.020
0.025
0.030
0.035
0.040
0 10 20 30 40
Ah./L.
RC
I
40
anode: platine, type 2IOE: 0.014
fig.8.a.
Mesuredu fluxd'oxygène
prélévement des échantillons,contrôle du pH
cathodeanode
réfrigérant
agitateur
Phénol, milieu acide
0.000
0.020
0.040
0.060
0.080
0.100
0.120
0.140
0.160
0 10 20 30 40 50 60 70
Ah./L.
RC
I
936
anode en platine, type 1IOE: 0.06
anode en platine, type 2IOE: 0.028
Fig.8.b.
6
p-Cl; milieu acide
-0.015
0.005
0.025
0.045
0.065
0.085
0.105
0.125
0 10 20 30 40 50
Ah./L.
RC
I
2313anode: platine, type 1
IOE: 0.035
anode: platine, type 2IOE: 0.035
C. Balsiger, C. Pulgarin
fig.8.c.
fig. 9: IOE pour différents dérivés du phénol
Les valeurs des IOE obtenues, représentées à la figure 9, montrent que l'oxydation des dérivés para-substitués du phénol est d'autant plus facile en milieu acide que le caractère électro-donneur du substituant est élevé. En effet les valeurs les plus faibles sont obtenues pour le p-COOH et le p-NO2, alors qu’on observe des valeurs plus grandes pour le p-NH2 et le p-Cl. Ces valeurs s‘expliquent en considérant la stabilisation apportée par ces substituants au cation intermédiaire formé lors de l‘oxyation; les substituants électro-donneur sont ortho et para activateurs dans les substitutions aromatiques électrophiles. Le groupe hydroxy étant lui aussi ortho et para activateur, les effets de ces substituants s‘additionnent et offrent 4 sites d‘attaque plutôt que 2 dans le cas des substituants para électro-attracteurs du phénol.
fig.10 : effets des substituants du phénol ; A=électro-attracteur ; D=électro-donneur Analyses HPLC L'oxydation de l'acide p-hydroxybenzoïque a été suivie à l'aide d'analyses de TOC et de HPLC. Ces analyses permettent une première approche du mécanisme réactionnel, en ce sens qu'elles mettent en évidence la formation de différents intermédiaires. Dans notre cas, nous avons détecté quatre intermédiaires par analyse HPLC. La figure 11 présente les chromatogrammes, les spectres des différents composés, ainsi que l'évolution de leur concentration.
0.013
0.0250.028
0.034 0.035
00.005
0.010.015
0.020.025
0.030.035
p-COOH p-NO2 phénol p-NH2 p-Cl
p-NH2; milieu acide
-0.01
0.01
0.03
0.05
0.07
0.09
0.11
0.13
0.15
0 10 20 30 40Ah./L.
RC
I
3133
anode: platine quadrilléeIOE: 0.028 (31); 0.034 (33)
fig.8.d.
p-NO2; milieu acide
-0.001
0.004
0.009
0.014
0.019
0.024
0.029
0.034
0.039
0 10 20 30 40 50Ah./L.
RC
I
39
anode: platine, type 2IOE: 0.025
OH
E
OH
E
OH
E
OH
E
OH
OH OH OH
A
OH
A
OH
D
OH
D
fig.8.e.
fig.8 : courbes IOE mesurées ; les valeurs encadrées représentent les numéros de mesure
Traitement électrochimique des eaux résiduaires 7
Les temps de rétention de ces différents composés sont indiqués dans l'encadré de la figure 11.c. Ces résultats montrent la formation de deux dérivés (2,3) oxydés de l'acide p-hydroxybenzoïque (4) de nature aromatique, suivie de la formation rapide d'un troisième composé (1) de nature aliphatique. La nature de ces composés nous donnée d'une part de par leur temps de rétention: les composés de même nature auront des temps de rétention proches (les composés 2,3 et 4 sont donc de même nature), d'autre part de par leur spectres UV: La bande d'absorption principale des composés aliphatiques se situe dans des longueurs d'ondes de plus haute énergie que celle des composés aromatiques, dont le maximum d'absorption se trouve autour de 250 nm. Les composés 2,3 et 4 sont donc de type aromatique: comme le composé 4 est le
produit de départ (l'acide p-hydroxybenzoïque), les composés 2 et 3 sont également de nature aromatique, et sont donc probablement les premiers dérivés à se former lors de l'oxydation. Leur concentration reste faible durant toute la durée de l'oxydation; le mécanisme que l'on peut en déduire est celui de la formation rapide du composé 1 à partit de ces deux dérivés. Il peut également y avoir formation de produits que l'on observe pas lors des analyses. Le schéma que nous pouvons proposer à partir de ces observations est le suivant:
42
31
k1
k2
k3
k4
où k1 et k2 << k3 et k4
p-COOH: TOC et HPLC
0
500'000
1'000'000
1'500'000
2'000'000
2'500'000
3'000'000
2 12 22 32Ah./L.
HPL
C (S
urfa
ce d
es p
ics)
0
200
400
600
800
1000
1200
1 (2.4)2 (7.9)3 (8.5)4 (9.2)COT
composé n°
temps derétention (min.)
225 250 275 300 325 350
100 %
1
2
3
0 min. 10 min. 30 min. 50 min.
70 min. 110 min. 170 min. 210 min.
fig.11.a
fig.11: analyses TOC et HPLC pour l'acide p-hydroxybenzoïque: a) chromatogrammes b) spectres UV des différents
composés c) évolution de la concentration
du TOC et des différents composés
fig.11.b fig.11.c
4
8 C. Balsiger, C. Pulgarin
V.Conclusions et perspectives OH
COOH
CH3
NH2
Cl
NO2
Le traitement électrochimiques des eaux résiduaires, couplé à des traitements biologiques déjà existants, représente une méthode appréciable d'élucidation des problèmes qui se posent lors de la dégradation de substances bio-réfractaires. Nous avons pu dériver une tendance rationnelle à partir des mesures que nous avons effectuées sur différents dérivés du phénol para-substitués. Ces résultats vont dans le sens d'une meilleurs compréhension des relations structure-dégradabilité. Des études ont déjà été menées de manière statistiques sur de telles relations[6]. La figure 12 montre les résultats qui en découlent, où l'on voit l'influence de différents substituants sur la dégradabilité du phénol (le rayon du cercle représente une dégradabilité de 100%).
fig.12: biodégradabilité de phénols substitués selon les différents substituants
Les résultats encourageants que nous avons obtenus ouvrent la voie aux perspectives suivantes: 1) l'amélioration du système d'acquisition en continu permettrait une meilleure approche du système, notamment au niveau de la connaissance des mécanismes réactionnel, de par la mise en évidence de la formation d'intermédiaires. 2) une étude systématique des différents composés permettrait de déterminer l'efficacité du traitement électrochimique, ainsi que les propriétés biologiques des différents intermédiaires. 3) l'étude systématique de l'influence des différents paramètres de condition d'électrolyse mentionnés au paragraphe 3 permettrait de déterminer les conditions optimales du traitement, afin d'en minimiser les coûts.
VI. Références [1] P. Ribordy, C. Pulgarin, J. Kiwi, P.
Péringer, Wat. Sci. Tech. Vol. 35, N°.4, pp-293-302 ,1997
[2] C. Pulgarin, N. Adler, P. Péringer, Ch. Comninellis, Wat. Res. Vol 28, N°4, pp. 887-893, 1994
[3] Ch. Comninellis, C. Pulgarin, Journal of applied electrochemistry, 23, 108-112, 1993
[4] Ch. Comninellis, C. Pulgarin, Journal of applied electrochemistry, 21, 703-708, 1991
[5] Ch. Comninellis, gwa, 11, 1992 [6] Ullman's Encylcopedia of industrial
chemistry, VCH, Ed.5, 1995 [7] P. Pitter, J. Chudoba, Biodegradability
of organic substances in the aquatic environment, Boca Raton, Florida : CRC Press, 1990