denis bertrand, semiotique et explication de textes 1987

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  • 7/27/2019 Denis Bertrand, Semiotique Et Explication de Textes 1987

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    numt ro LE R N ~ I SspcialDANS REeHERCHESLE MON E T PPLIC TIONSFVRIER/MARS 1987

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    Denis BertrandBELe

    Smiotique et explication de textes : lesdiscours d'une passionRemarques pralablesLarticle qui suit se propose de mener de front deux exposs: uneprsentation pdagogique d exercices sur des fragments littraires,

    et une information d ordre thorique sur les orientations rcentes de lasmiotique textuelle. La conduite parallle de ces deux discours s explique: par jeu, tout d abord. On sait que le thorique et le pdagogiques observent souvent du coin de l il sans amnit. Par principe, ensuite.Chacun des domaines ayant sa propre justification et exigeant des savoirfaire spcifiques, il n est pas utile, et il est mme plutt illusoire, de vou-loir les faire communiquer en trace directe : l un n est ni l applicationni la justification de l autre. Par opportunit, enfin. Ce qu on commence appeler le Niveau 3 en franais langue trangre concerne en prioritdes enseignants, des tudiants, des lves-professeurs en formation quiont, par got ou par ncessit professionnelle, le souci d articuler unepratique scolaire efficace des textes et une rflexion thorique et mtho-dologique sur ces mmes textes. On tentera ici d apporter quelques suggestions dans cette perspective.

    L explication de textes dans la tradition de l enseignement littrairefranais (et en franais) est un exercice touffu et mal dlimit. Elle pour-rait s n ~ doute justifier un certain projet de lecture - comme unelecture peut tre oriente par un projet de rsum, de traduction, ou deseul plaisir - mais en ralit elle n y parvient que trs difficilement.Souvent, le texte expliquer subjugue par son prestige, et on nesonge gure l objectiver: l explicat ion, alors, l avalise avec respect. Etlorsqu il chappe l envotement, cet exercice est approximativementfinalis: il suppose la prise en charge simultane de toutes les isotopiesdu texte, il a pour ambition d en faire apprhender d un seul tenant lesdimensions structurelles, thmatiques, stylistiques, de regrouper lesobservations ponctuelles (lexique, figures) et les considrations globales(culturelles, esthtiques, apprciatives, etc.), sans parler des problmesde dlimitation, de reprsentativit, ou de relation entre l auteur et son

    u .. - r -, .- r n

    texte ... Bref, ce bourgeonnement du commentaire parat souvent impos-sible matriser et l exercice, bien que pratiqu pour des raisons institu-tionnelles (examens), est rang parmi les rituels acadmiques figs.Les propositions faites ici ne prtendent pas fournir un ssame-ouvre

    toi pour l explication de textes ni mme valider ou invalider en luimme l exercice. Elles ont un objectif plus prcis, et plus modeste, quiconsiste articuler la lecture, attentive et analytique, avec la rdaction.En effet, la connaissance intrieure des textes et l affinement des pratiques d criture vont de pair. C est pourquoi l option m thodologiqueretenue dans l unit pdagogique propose consiste assurer un va-etvient aussi serr que possible entre l examen de plusieurs fragments,extraits du corpus littraire et runis en raison de leur sujet commun, etl laboration d un texte par les tudiants portant sur le mme thme. Untel mouvement, associant des activits de lecture et de production, estsusceptible de motiver rciproquement les deux pratiques. Le postulatest, au fond, assez proche de celui qui fonde la pdagogie de la crativitreposant sur les contraintes formelles (type Oulipo). A cette diffrenceprs, toutefois, que dans notre cadre les contraintes ne sont pas introdui-tes de l extrieur, elles sont en quelque sorte dictes par l analyse dutexte [1).

    Cette dmarche est informe, pour sa part analytique, par les recherches et les travaux de la smiotique textuelle. Un des apports les plusmanifestes de cette discipline est d avoir su localiser, dans l objet diffusqu est le texte, des espaces d apprhension dfinis et d avoir du mmecoup permis la mise en place de procdures d analyse ho mognes. Letexte, tout d abord, est envisag en tant que signification; il est, littralement, constitu par la lecture et l analyse. Au del de sa matrialitempirique, il est donc dfini comme une unit smantique: de ce pointde vue, un tableau, un ensemble gestuel, etc., sont aussi des textes. Ilest ensuite considr comme un univers autonome, un tout de signification articulant dans ses formes sa clture et sa cohrence. L analysesmiotique enfin, pour saisir et dcrire cet objet - qui ne dsigne plus,rappelons-le, une substance graphique ou picturale, mais l organisationdes effets de sens qu elle produit - opre une stratification par niveaux .

    Non seulement, donc, elle isole le texte comme un objet propre, maisaussi elle isole dans le texte des niveaux de saisie rationnellement disposs selon un parcours gnratif : gnration qui va des formes les plusgnrales et les plus abstraites (celles dont on a tant retranch qu il resteun modle d articulation lmentaire, type carr smiotique ) aux for-mes les plus spcifiques telles qu elles se manifestent la surface linairede la lecture. La construction des modles et les analyses concrtes decorpus textuels sont troitement associes: elles ont permis d tablir un[1J L unit pdagogique propose ici st extraite d un livre paratre, rdig en collaboration avec FranOlse Ploquin: ExpressionRdaction, publi chez Nathan. Il st destin des lves de classe de4- en France . La formulation des consignes voudrait correspondre, comme il st naturel, ce type depublic. Moyennant d ventuels amnagements, elle pourrait aisment { tre adapte un public d tudiants relevant du Niveau J.

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    ----------------- 1 7 - U Uf J - niveau de saisie, le plus richement dvelopp il l'heure lctllelle en s61lllotique, celui dit de la syntaxe narrative .

    Prenant initialement appui, en effet, sur les rcits qui sont les formations textuelles les plus universellement rpandues, la smiotique s'estconstitu progressivement, partir des intuitions de V. Propp, un palierconceptuel apte rendre compte des dispositifs narratifs : il permettaitde constituer une grammaire des rgularits et des rcurrences qui forment l armature sous-jacente des textes observs et observables. Trsvite, cependant, la reconnaissance d une syntaxe autonome dtachedes reprsentations figuratives qu offre la lecture des rcits, a conduit leschercheurs en envisager l application, et du mme coup en vrifier lecaractre opratoire, sur d autres types de discours que ceux que l onqualifie spontanment de narratifs: les discours politiques, scientifiques,etc., pouvaient tre analyss - au mme niveau de saisie - dans lestermes de cette syntaxe. Celle-ci, reposant essentiellement dsormais surles concepts de modalit (vouloir, devoir, savoir, pouvoir faire ou tre etleurs agencements) et d actant (Destinateur, sujet, objet) qui en estl aboutissement serait mieux nomme dsormais par l expression: syntaxe modale que par syntaxe narrative: elle dispose des schmesgnraux de lisibilit, sous-jacents la lecture et trans-textuels.

    La syntaxe modale ainsi dtache de sa matrice narrative se situe unniveau de gnralit trs large. L'analyse en spcifie les formes unautre niveau de saisie du texte, celui de sa manifestation discursive. L interviennent les oprateurs de l nonciation (narrateur, focalisation,point de vue), la spcialisation smantique des valeurs (thmes , universfiguratifs et leur axiologisation), l ordonnancement spatial, temporel etaspectuel, bref, la mise en scne discursive des structures qui lui sontsous-tendues.

    \ ne s'agit pas ici de prsenter l'ensemble du dispositif thorique, ni lesdbats auxquels il donne lieu [21 mais, dans l'aval de ses principes (letexte considr comme sens nonc, l'analyse stratifie en paliers deprofondeur), d indiquer quelques-unes de ses voies de recherche actuelles, exposes de conserve avec les propositions pdagogiques [3J.

    a smiotique des passionsPourquoi avoir choisi l'avarice c'est--dire une passion-type? \ y a

    au moins deux raisons: tout d abord parce que les textes littrairesoffrent un vivier remarquable pour tout ce qui touche la mise en discoursdes sentiments, des tats d'me, des affects, des passions. Ce vastechamp est depuis longtemps soumis au scalpel du psychologue, ou del'historien des mentalits, mais pas celui de l'analyste des discours. Or,il y a l un domaine qui, rapport aux formes langagires qui le manifestent et exploit pdagogiquement dans cette perspective, ne pourraitqu enrichir la matrise de l'expression et faciliter la saisie de variations culturelles significatives. \ reste seulement dcider d une mthodologie delecture des sentiments.

    . . . . . .

    Une seconde raison, d ordre thorique, motive aussi ce choix. Uneimage un peu fige de la smiotique tend faire de celle-ci une thoriedu rcit, c'est- -dire une thorie de l action narre: un sujet est spard un objet qui reprsente pour lui une valeur, eu gard l univers axiologique qui l'encadre et, par le jeu d une transformation simple, le voici enpossession de cet objet. Dans un sens ou dans l autre (acquisition/ privation), selon des configurations varies (don, ~ h a n g e ngoci, vol, lutte,etc.), actualisant des valeurs matrielles ou cognitives (trsor, connaissances, etc.), le noyau narratif de la transformation d tat est labase de tous les rcits du monde.Et en effet, la volont de rompre avec la tradition psychologique dessentiments et des impressions subjectives qui a si fortement imprgn lalecture des textes - l ducation littraire tant fonde sur l identificationdes sensibilits et l appartenance un mme univers de got - a conduit les structuralistes (et parmi eux les smioticiens) accomplir uneffort radical d objectivation . Du mme coup l actant, dbarrass de sonhabillage affectif, fait de craintes, d'esprances, de retenues, d enthousiasmes, a t reconstruit comme un pur et simple agissant et lasmiotique s'est centre sur la description des actions.Pourtant, le dveloppement mme de la syntaxe modale voque cidessus a permis d envisager les choses autrement. Par rapport lasyntaxe narrative et ses transformations lmentaires, l'espace s'estconsidrablement largi entre le sujet et l objet: cet espace, occup parles modalits, ne permet pas seulement de rendre compte du faire dusujet, c est--dire de son statut d agent, mais aussi de son tat, ou deson statut de patient. La dynamique affective, en effet, est paradoxale : le sujet est tout autant affect par l objet que tendu vers lui [41.Mais ce paradoxe, qui n est au fond qu une complexification de la relation sujet-objet, n empche pas que la dynamique en question puissetre saisie, de la mme manire que l action, comme un effet de sens etsoit ds lors descriptible comme telle. Le pathos est interprt en termes modaux centrs sur l objet (cf. le suffixe -able, dans aimable, hassable, abominable, dtestable, qui exprime le pouvoir-tre de l objet) et entermes aspectuels . D une part les modalisations de l objet assurent laconversion, au niveau smio-narratif, de la catgorie profonde qu est leclassme thymique [5], de l'autre, au niveau discursif, tension attente inaccomplissement imperfection etc., expriment desvaleurs aspectuelles. C'est ainsi, par exemple, que 1 motion et le sentiment peuvent tre distingus, la premire par son aspect ponc tuel et inchoatif, le second par son aspect duratif. Les lments d une

    [2J Un aperu en a d'ailleurs t rcemment propos dans Le franais dans le monde, nO 797:J. -M. Floch, Mais qu'est-ce donc que la smiotique?)J, pp. 44-47.[3J Pour le panorama global de la thorie, on se rfrera A. J. Greimas, J. Courts, Smiotique Dictionnaire raisonn de la thorie du langage, Paris Hachette, 7979 et pour la smiotique des passions, H. Parret, Les passions - Essai sur la mise en discours de la subjectivit, Bruxelles, P. Mardaga, 7986,A. J. Greimas, Du Sens Il , Paris, Seuil, 7983 et Smiotique des passions J, Actes smiotiques - Bulletin , E.H.E.S.S. -C.N.R.S. 39, 7986.[41 Cf. Paul Ricur, Le sentiment J, in A l'cole de la phnomnologie, Paris Vrin, 7986 pp. 257-265.[51 Cf . A. J Greimas. La modalisation de l'tre , Du sens II, Paris, Seuil, 7983.

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    grammaire tant runis, on peul clonc chnrdwr ; q d q ( 1 1

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    Dominante narrativeLe discours passionnel, une catalyse gnralise

    Lorsqu on examine le clbre monologue d Harpagon, une observationvient immdiatement l esprit: ce discours prolifre, quels sont les principes de sa prolifration? Quelle est la dynamique particulire qui l organise ? Tout se passe en effet comme si le sujet nonciateur, creusantl'espace qui le spare de son objet, s employait remplir inlassablementce vide et perdait de vue l univers de rfrence objectif qui, initialement,motive son discours: il semble, ds lors, que ce discours s auto-gnre l infini. Pour saisir ce fonctionnement particulier, on peut avancer unehypothse.

    La thorie smiotique appelle catalyse l explicitation des lmentselliptiques qui manquent la structure de surface 161. L opration decatalyse prend appui sur le principe de prsupposition qui permet dereconstruire un lment implicite (prsuppos) partir d un lment contextuel manifest (prsupposant). C est ainsi, par exemple, qu partird une squence narrative de sanction manifeste (punition, rcompense,etc.), le lecteur prsuppose conformment la logique narrative unesquence d action qui l'aura motive, mme si cette action n est pasnonce dans le contexte. Il s agit donc, trs largement, de l interpola 6 A. J Greimas J Courrs Smiotique. Dictionnaire raisonn de la thorie du langage, op. cir.entre Catalyse y

    toute ma maison : servantes, valets, fils, fille, et moi aussi.Que de gens assembls Je ne jette mes regards sur personne qui ne medonne des soupons, et tout me semble mon voleur. Eh de quoi est-cequ'on parle l ? de celui qui m'a drob? Quel bruit fait-on l-ha ut? Est-ee mon voleur qui y est 7 De grce, si l'on sait des nouvelles de monvoleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il poi nt cach l parmi vous?Ils me regardent tous et se mettent rire. Vous verrez qu'i ls ont part,sans doute, au vol que l'on m'a fait. Allons, vite, des commissaires, desarchers, des prvts, des juges, des gnes, des potences et des bourreaux 1 Je veux faire pendre tout le monde; et, si je ne retrouve monargent, je me pendrai moi-mme aprs 1

    Observez le fonctionnement du discours exalt Comment la succession des phrases manifeste-t-elle l exaspration dessentiments (type, forme et longueur des phrases, squencesrythmiques) ? Le discou rs passionnel se nourrit de lui-mme et se dploie dans demultiples directions. Comment Harpagon fait-il prolifrer son discours?- en multipliant ses interlocuteurs. Identifiez dans le texte trois interlocuteurs d Harpagon et citez pour chacun une phrase qui le dsigne:

    ., . . ,

    l ion d une cause partir d une consquence . Opration d o rdre syntagmatique, la catalyse est en quelque sorte hypertrophie dans le discourspassionnel. Celui-ci, exploitant les potentialits syntagmatiques qui surgissent partir de la moindre figure, s emploie actualiser et parcourir- de m an i re haletante - toute la chane interprtative,

    En observant le phnomne de prs, on constate, par exemple,qu Harpagon slectionne une figure (( l argent qui occupe la positiond un actant objet; sur cet actant il prlve une valeur qui le modalise (ledsirable), et transforme cette valeur en un nouve l actant qu i l incarne(( mon cher ami ; celui-ci appelle son tour un nouvel ensemble devalorisations (( support , consolation , joie qui prsupposent par catalyse - une autre figure actantielle (l tre aim) ; et celle-ci vientfusionner, en dernire instance et sous l effet des valeurs qui l investissent, avec la figure actantielle du sujet lui-mme (( je n en puis plus, jeme meurs, je suis mort, je suis enterr ). Incontestablement, dans l affolement syntagmatique des objets et des valeurs, le sujet du discours passionn surenchrit 1 Et ce qu on observe ici propos de la figure initialede l argent peut aussi bien tre analys propos du voleur , et desfigures personnelles qui trament le texte. Le phnomne d autoalimentation caractristique du discours passionn obit donc desrgularits. On peut tenter de dgager les principes de sa formation endistinguant trois moments: (1) dissociation entre l objet initial et la valeurqui le thmatise; (2) virtualisation de l objet et autonomisation de la

    - en personnifiant l argent sous plusieurs identits diffrentes. Relevezune phrase dans laquelle l argent est identifi: un ami: _ un tre chri et finalement Harpagon lui-mme: Que concluez-vous du mouvement progressif des identifications? _ _- en amplifiant dmesurment certains rles. Quels autres termes utilisel avare pour nommer le voleur? _ Relevez les lments qui manifestent l extension de ce rle depuis lapersonne individuelle jusqu la totalit du monde sensible: _ Le passionn est submerg par l objet de sa passion. A quoi voit-onqu Harpagon est ici passif?

    a prolifration du discours passionnel repose sur un principe:aucune forme n'y est stable, Chacune comporte en mme temps sacontradiction, ou en appelle une autre, Sous la dicte de la passion,l expansion du discours est indfinie

    T,.,X t . o

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    valeur; (3) transformation dynamique de la valeur en une nouvelle f'i .lureactantielle appelant son tour des valorisations spcifiques. L itrationdu cycle des virtualisations et des actualisations, articule autour desseuils actantiels successifs, assure l engendrement continu des formesdiscursives. Il s agit l d un parcours de rfrentialisation interne.

    L exacerbation de ce processus de valorisations en cascade entrave ledroulement syntagmatique lui-mme. Empchant la constitution d unprogramme d action, qui exige pour se raliser la stabilit axiologique desobjets, elle ne saurait conduire une conclusion. Le discours passionnparat ainsi prisonnier de l actualisation obstine des virtualits axiologiques, et il ne peut passer la mise en place d une ralisation. D o cecaractre syncop du discours qui recouvre la syncope de la programmation narrative.

    Les figures smantiques ont donc perdu leur stabilit, et , du fait del panchement syntagmatique qui tend la saturation, la structure paradigmatique semble bouleverse . Cette dilatation motionnelle dusens repose pourtant sur une certaine constante: celle que dicte l isotopie passionnelle elle-mme (l'avarice). Elle opre comme un filtre interprtatif exclusif, ordonnant tout le discours et explorant toutes les virtualits partir de son systme propre de valeurs: la passion est le catalyseur (au sens chimique du terme) de toutes les valeurs disponibles dansl'univers smantique de rfrence.

    Le discours passionnel tend vers le dlire d interprtation. En rutilisantles mcanismes relevs ci -dessus, crivez, en quelques lignes, un fragment du discours qu'adresse un avare la forte somme qu il vient, enfin,de rcuprer auprs d un de ses dbiteurs: _ _ _

    n lieu un comportementUn narrateur cette fois observe l'avare dans l exercice intime de sa pas

    sion. Voici un extrait d Eugnie Grandet o Balzac dcrit la chambresecrte du pre Grandet :L'unique croise d'o elle tirait son jour tait dfendue sur la cour pard'normes barreaux en fer grillag. Personne, pas mme Mme Grandet,n'avait la permission d'y venir, le bonhomme voulait y rester seulcomme un alchimiste son fourneau. L, sans doute, L .. ) quelquecachette avait t trs habilement pratique, l s'emmagasinaient lestitres de proprit, l pendaient les balances peser les louis, l se faisaient nuitamment et en secret les quittances, les reus, les calculs, demanire que les gens d'affaire, voyant toujours Grandet prt tout,pouvaient imaginer qu'il avait ses ordres une fe ou un dmon. L(sans) quand Mme et Mlle Grandet taient bien endormies , venait levieux tonnelier choyer, caresser, couver, cuver, cercler son or. Les murs

    taient pais, les contrevents discrets. Lui seul avait la clef de ce labora

    n ,. n -- r;-nno u nDans la perspective de cette analyse, le travail pdagogique du texte

    de Molire pourrait consister intgrer les observations ponctuelles portant aussi bien sur la syntaxe phrastique (formes des phrases, nominalisations, enchanements, syncopes, parataxe), sur le parcours extensifdes marques personnelles, ou sur la prolifration des rles stipuls par lesfigures smantiques et les investissements axiologiques qui s' y greffent.

    es isotopies descriptivesL'avarice se dfinit la fois par le dsir d appropriation et le dsir dertention ( la diffrence de l'avidit, par exemple, qui ne comporte pas

    le deuxime lment : l avidit est appropriation mais non rtention).Comment s exprime le double volet de cette dfinition travers les isotopies descriptives d un texte mettant en scne l avarice dans ses uvres?L extrait d Eugnie Grandet, de Balzac, propos ici permet d en dgagertrois: la dissimulation, l accumulation, l itration.- DissimulationLe concept d isotopie, largement rpandu actuellement en linguistique,dsigne la redondance de catgories smantiques le long d une chanetextuelle, disposant ainsi des nappes continues de signification. La pro motion des catgories sous-jacentes qui permettent de reconnatre uneisotopie peut tre ralise conjointement partir de diffrents lieux du

    toire, o, dit-on, il consultait des plans sur lesquels ses arbres fruitstaient dsigns, et o il chiffrait ses produits, un provin, une bourre prs .

    La Comdie humaine, Gallimard, La Pliade, T. III, p. 1070 .

    Le secret- Le sec ret est troitement li au comportement de l'avare. Parmi lesquatre formulations suivantes, dites celle qui correspond l avarice etcaractrisez les autres l aide d un ou de plusieurs mots.tre riche et paratre riche _

    paratre riche et ne pas tre riche _ _ _tre riche et ne pas paratre riche _ _ _ _ _ _ne pas paratre riche et ne pas l tre --'-

    - L'avare veut acqurir des biens et ne pas s'en sparer, il doit garder leprivilge exclusif de son avoir, la dissimulation fait partie de lui-mme. Lesecret se manifeste dans le texte ci -dessus sous plusieurs formes. Relevez les lments qui concernent: la description du lieu _ _ _

    les mtaphores qui assimilent ce lieu d autres lieux secrets _

    IJIU , r lU i l l , r( .,IIII fI' t l A I IIC . f lC IU . If / J( 'U ... U I

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    discours. La richesse d un texte tient d Jilleurs l l t ;J coll o c OI, ill \ FIIson de paramtres distincts participant, des degrs divers, ;1 l fnrllli'ition d une mme isotop ie. C est ce qu on peut observer ici dans le textede Balzac. Le modle smiotique des modalits vridictoires a la formed un carr articulant les catgories tre-paratre et leurs ngations: lesecret ralise la conjonction de l' ltrel et du Inon-paratre/. La dissimulation peut tre analyse l'aide de spcifications modales supplmentairesconcernant l actant dissimulateur (tre + vouloir ne pas paratre) etl actant observateur (vouloir savoir + ne pas pouvoir savoir).

    Les formes textuelles qui participent la ralisation de cette isotopiecomplexe sont nombreuses. Elles tiennent tout d abord la mise enscne de l observation. L observateur n a pas d accs direct son objetde connaissance: celle-ci est mdiatise par des acteurs intermdiairesinstalls dans le micro-rcit du savoir, la rumeur publique (( sansdoute , dit-on et les gens d affaire ; le savoir qui en rsulte estincertain et supputatif (( pouvaient imaginer . Elles tiennent aussi l utilisation de mtaphores pour dsigner le lieu et l activit qui s yexerce: en elles-mmes les mtaphores sont des figures mdianes quiloignent d autant l identification exacte de l objet et le masquent; enoutre, leur contenu aussi convoque l isotopie de la dissimulation: lelaboratoire d un alchimiste stipule un savoir secret. Elles tiennent encore la description figurative elle-mme, tant d ordre spatial (identificationde la priphrie - murs - et non du centre, dfenses, cachette, barreaux grillags, paisseur des murs), que d ordre temporel (nuit). Elles

    le moment choisi par l'avare pour exercer son activit _

    l'exclusion d autrui- Le na rr at eu r observateur semble ne pas pouvoir transmettre uneconnaissance directe des lieux et de leur occupant. Relevez des lmentsqui attribuent ce savoir la rumeur et dites le rle de celle-ci _

    - Dans quel les phrases le narrateur prend-il en charge directement ladescription de l'avare, comme s'il avait enfin perc l'paisseur des murs?

    * L accumulationEnumrez les gestes et les objets qui forment dans ce texte l'univers

    de l'avare

    - Re levez les diffrents procds de rptition utiliss par Balzac auniveau des phrases, du lexique et des sons _ _ _ _

    l i c l 1 l 1 ~ 1 1 1 ( lil III il lil rnodali t prescriptive qui conditionne l'accs au lieu(interdiction).- Accumulat ion

    De la mme manire, les lments qui promeuvent l isotopie figurativede l accumulation des biens sont d ordre trs divers. Sans entrer icidans le dtail des inventaires et des numrations qui crent un effetd tagement paradigmatique, signalons l importance du codage semisymbolique qui participe l mergence et l installation de cette isotopie. On dsigne, par systme semi-symbolique en smiotique,l homologation que l'analyse peut tablir entre des catgories du plan dusignifiant et des catgories du plan du signifi. Ici, la rcurrence anaphorique (au sens classique du mot anaphore), L ... l ... , de mmeque la rcurrence graphique des cinq c

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    invariablement reproduits . C'est Cf qu ' CXprilrHl l 'i lllp:1I1 111. Il C()IIVl onlcependant de marquer un arrt sur ce faire du sujet pa ss iolllwl : q l l l l ~relation actantielle est prcisment mise en place travers l 'noncactions? On a dj observ plus haut que l'analyse modale des passionsdonnait lieu au paradoxe d'un sujet comptent, quip de modalitsassurant sa tension vers un objet (vouloir, savoir faire, etc.) , mais enmme temps d'un sujet affect par les modalits dont l'objet estinvesti: ce sont ces dernires qui dterminent son tat . Le transfertmodal sur lobjet aboutit, d'une certaine manire, le dynamiser: il estle patient activ , et corollairement cristalliser le sujet dans son tat:il est 1 agent passiv . Ainsi, tout autant qu'il est suppos pouvoir agir,le sujet passionn est agi par l 'objet de sa passion . Cette virtualisation du sujet comptent a t observe plus haut, travers le discourspassionnel d'Harpagon, incapable de passer l' acte ni de sortir de sondiscours ; on peut l'observer nouveau ici, d'une tout autre manire,dans la description balzacienne. Rares sont les verbes dont le preGrandet dans cet extrait est le sujet . " est, soit effac des verbesd 'action par la passivation verbale sans agent (( quelque cachette avaitt C.') pratique , soit vinc par l'emploi des formes rflchies quifont des choses elles-mmes le sujet de l'action dont elles sont l 'objet(( s'emmagasinaient les titres .. , se faisaient C.. ) les quittances .Quant aux transformations axiologiques de la figure de l'or, on retrouvel 'bauche des catalyses d'Harpagon dans l'enchanement syntagmatique

    Commentaire sur la gradation de ces verbes _ _ _ _ _

    Le drameLa passion aussi multiplie les occasions de drames. Comme par une loi

    mathmatique, plus la passion est grande et intense et plus le dtail quila rveille ou l 'irrite peut tre infime. Poursuivons avec Grandet et l'affairedu sucrier.Charles, le cousin d'Eugnie, sjourne chez les Grandet et vientd'apprendre aprs le petit djeuner la nouvelle de la mort de son prepour cause de ruine :

    - Pauvre jeune homme dit Mme GranJet . Fatale exclamationle pre Grandet regarda sa femme, Eugnie et le sucrier; il se souvintdu djeuner extraordinaire apprt pour le parent malheureux et se posaau milieu de la salle.- Ah j'espre, dit-il avec son calme habituel, que vous n'allez pasco ntinuer vos prodigalits, madame Grandet. Je ne vous donne pasMON argent pour embucquer de sucre ce jeune drle.- Ma mre n'y est pour rien, dit Eugnie. C'est moi qui . .- Est-ce parce que tu es majeure, reprit Grandet en interrompant safille, que tu voudrais me contrarier? Songe, Eugnie .. .- Mon pre, le fils de votre frre ne devait pas manquer chez vousde ...

    (J( S cinq verh : (lOG c I1q (; qui conduisent de la valorisation amoureuse (( choyor, caresser la fusion identificatrice (par l'identit professionnelle du vieux tonnelier: cuver, cercler , en passant parl'enfantement (( couver . Dissimulation , accumulation et itration passive du faire forment ainsi les isotopies thmatiques qui sous-tendent l'organisationdescriptive . Manifestes l'aide de dispositifs varis, mais remarquablement prominentes dans cet extrait, ces isotopies articulent dans leurcombinaison la dfinition de l'avarice elle-mme.

    Dans un travail non publi, A. J. Greimas a propos d'inscrire l'avaricedans un carr smiotique et, tout en lui donnant une dfinition modale,de mettre en perspective cette passion dans une chane dfinitionnelle.

    vouloir tre vouloir treconjoint diSoint

    avarice(avidit)

    ne pas vouloir

    S, X2 S2S (gnrosit)ne pas vouloirtre disjoint tre conjoint(rtention) (asctisme)

    - Ta, ta, ta , ta, dit le tonnelier sur quatre tons chromatiques, le fils demon frre par -ci, mon neveu par -l . Charles ne nous est de rien, il n'a nisou ni maille; son pre a fait faillite; et quand ce mirliflor aura pleurson saol, il dcampera d'ici ; je ne veux pas qu ' il rvolutionne ma mai son.a COmdie humaine, Gallimard, La Pliade, T. III , p . 1094

    Embucquer : Mettre de la mangeaille dans la bouche des animaux, afin de les engraisser plus vile ILittr)

    Quelles sont les autres qualifications du neveu? _Imaginez un fragment de dialogue entre un avare et son entourage

    propos d'une bote d'allumettes. Comme dans le texte ci-dessus, termi nez sur une gnralisation abusive, nouvel avatar de l 'amplification passionnelle.

    ous l effet de l passion l objet anodin - surtout anodin - sur lequel secristallise l motion se transforme et s enrichit de mille valeurs.

    8.,., f i l . ' '

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    La dixis Sl-S2) illustre clairement te double mouvement du comport ement avaricieux : l'avidit (que dcrit le /vouloir treconjoint/ desobjelsde valeur) et la rtention ( lne pas vouloir tredisjoint/).

    Il est facile d 'observer que cette structure simple, tablie au niveausmio-narratif, est convertie au niveau discursif sous la forme des troisthmatisations dgages de la lecture du texte balzacien: le /vouloir treconjoint /se ralise dans l 'isotopie de l 'accumulation , le /ne pasvouloirtredi sjoint / seralisedans celledela dissimulation ;quant la passivation du sujet, elle s'inscrit dans la formulation modale de l 'noncd'tat (lvouloir tre /ou/ne pas vouloir tre/) . La description de Balzacne comporte pas la dnomination de l'avarice elle-mme; nanmoins, depar son organisation smantique, elle en forme en creux la dfinition : la dsignation est la couverture lexmatique d'une organisationsyntaxique dont le texte dploie et entrecroise les lments constitutifs.Le champ magntique de l passion

    La crise passionnelles'alimente volontiers de l'objet le plus anodin, leplus insignifiant enapparence: c'est qu 'elleconstitue, enelle-mme, unepuissante machine produire et gnrer de la signification. Dansl'exemple considr ici, la modeste figure d'un morceau desucre suffit enclencher le processus.

    Pour envisagercette exceptionnelle dynamisation de la figure, on peutvoquer la passiondu mot qui habite A. Breton l 'poque de l'cri-

    Dominante argumentativeL explication j u s t ~ f i c t i v e* L argument matriel

    Le grand philosophe arabedu Ville sicle, Djhiz, acrit Le livre desavares. Voici le dbut d'une anecdote opposant AIKindi, propritaire etavare, au narrateur, son locataire:

    AI Kindi s'invitait chez ses locataires qui supportaient ces obligations cause de l'esprit, de l'excessive avarice etde l'agrable conversation dont il faisait preuve.Pendant queje demeuraischez lui, je reus un de mes cousinsetson fils, pourunsjour d'un moisenv iron.Il m'crivit alors: Le loyer de ta maisonest de trente dirhams;commevoustessix, cela fait cinq dirhams par personne. Puisque tuajoutesdeuxpersonnes, il fautcompterdeuxfoiscinq dirhamsen plus.Par consquent, partir d'aujourd'hui, ton loyer est de quarantedirhams. En quoi leur sjour te porte-t-il prjudice? lui demandai-je. Ils nepsentsur la terre, capable de supporter desmontagnes, que le poidsde leur propre corps, et leur subsistance est exclusivement macharge. Ecris-moi doncpour m'expliquertes raisons.

    lure automatique: Je m'tais mis choyer immodrment lesmots;pour l'espace qu'ils admettent autour d'eux, pour leurs tangences avecd'autres mots innombrables que j e ne prononcais pas [71. Les champs magntiques dsignent ces tangences :ils expriment lesrsonancesassociatives qui, de proche en proche, dploient les virtualits que le smantisme lexical contient en puissance et que la lecture,ainsifocaliseautour de l 'atome verbalconu comme un foyer d'images,peut actualiser presque l'infini. Dans lecadre d'une smiotique despassions, le champ magntique qui enveloppe la figure est dcrit conceptuellement partir de la catgorie thymique :celle-ci, articule eneuphorie vs dysphorie , est une catgorie smantique profondequi dnomme, de manire trs gnrale, la raction (positive ou ngative) d'un tre anim aux objets de son environnement [81. Les termesde la catgorie thymique se convertissent, un niveau plussuperficiel duparcours gnratif, envaleurs axiologiques ,et l'espace thymique devientalors l'espace modal qui dfinit 1 tat du sujet, en relation avec sesobjets.On comprend alors comment la figure - le sucrier en l 'occurrence - peut tre investie de valorisations considrables, et former labasedu motif passionnel. C'est sur cette baseque sedveloppe le mouvement infrentiel de la catalyse voqu plus haut.

    D'o l 'importance du dtail figuratif: lepassionn parats'y enfoncer avec dlectation . . . Plus prcisment, il s'enfonce dans l'enveloppethymique et en parcourt l'espace. Comme s'ilguettait dans ledtail figu

    Je ne savais pas quel sujetjem'attaquaiset dans quellevoie jeme lancais !Il m'envoya la lettresuivante: { Les raisonsqui me poussent agirainsisont nombreuses; elles sont constantes et connues: la premireest que la fossed 'aisances est plusvitepleineet que sa vidangecotetrs cher. Ensuite, le nombre de piedsaugmentant, onmarche davantagesur les terrasses d'argile etsur le sol ciment des chambres etonemprunte plus frquemment l'escalier: l'argile s'caille, le ciments'effrite, les marches s'usent, sans compterque les poutres des plafonds flchissent et se rompent cause du pitinement et du poidsexcessifqu'elles ont supporter. Quandon entre, sort, ouvre , ferme,pousseou tire le verrouplus souvent, on brise les porteset on arracheles ferrures. (. .. ) oj hiz, Le livre des avares Paris, Maisonneuve, 1951 , pp. 116.117.

    Quelle justification raisonnable donne le propritaire l'appui de sademande d'augmentation?- A vous de prolonger cette lettre du propritaire en trouvant de nouvelles explications. Essayez de mettre en vidence les plus modestesaspects du monnayable !_ _ _ _ _ _ _ __ _ _ _[71 A. Breton, Manifestesdusurr a lisme, 1924, Pans, Gallimard, coll. (( Ides , p . 30.[81 Cf. en Psychologie, le rerme l cyclo thymie ;pour plus de prCIsion s sur la consrruction smantiquede ce concepr, on peur lire A. J. Greimas Ou sensIl . l De la mo dalisation de /'rre , op. cil., pp . 93.102.

    _ _ ____ __ _ _ _ _ _ : ~ _68 V tJTS ii V 3

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    ratif l'mergence de la valeur, il saisit l'occ as ioll de l 'y II1V ;til I l l d , I V ~ment et de dlivrer du mme coup (ou de se dlivrer de) l' univers ilxiologique qui le dfinit en tant que sujet passionn. La grille, toujours disponible, d'une isotopie motionnelle opre comme un instrument d'interprtation, de gnralisation et de finalisation. Dans une configuration discursive comme celle qui s'organise autour du sucrier, la passion n'a pas tre nonce en tant que telle: elle est aisment reconstructible par lelecteur comme un moule sous-jacent. A la limite, la configuration dveloppe la dfinition syntagmatique de la passion-lexme. C'est ainsi qu'travers le mouvement interprtatif du pre Grandet on reconnat l'avaricedans ses uvres [9]. Le texte de Balzac manifeste de manire elliptique,mais claire, l'investissement axiologique du sucrier: quivalence actorielle entre sa femme, Eugnie et le sucrier , identification entre lesucre et MON argent , dmesure eptre l'univers des valeurs individuelles du pre Grandet et les valeurs collectives de rfrences prises encharge par Eugnie et sa mre (( prodigalit , rvolutionner l. et installation d'une relation polmique.

    minante argumentativeLes discours d'une passion ne sont pas seulement ceux que tient le

    sujet passionn, en proie ses motions, ou ceux qui, d'une manire oud'une autre, le mettent en scne. Ce sont aussi les discours qui appr

    * L argument mor l C'est un grand vice d'tre avare La parole de Rousseau ne reflteque l'opinion de celui qui l'exprime ... Ecoutez ce personnage de Mauriacqui justifie et moralise son avarice de facon rationnelle.

    J'aime l'argent, je l'avoue, il me rassure. Aussi longtemps que jedemeure le matre de la fortune, vous ne pouvez rien contre moi . Il enfaut si peu notre ge me rptes-tu. Quelle erreur Un vieillardn'existe que par ce qu'il possde. Ds qu'il n'a plus rien, on le jette aurebut. Nous n'avons pas le choix entre la maison de retraite, l'asile et lafortune. Les histoires de paysans qui laissent mourir leurs vieux de faimaprs qu'ils les ont dpouills, que de fois en ai-je surpris l'quivalent,avec un peu plus de formes et de manires, dans les familles bourgeoises Eh bien, oui, j'ai peur de m'appauvrir . Il me semble que je n'accumulerai jamais assez d'or. Il vous attire, mais il me protge.F. Mauriac, Le nud de vipres

    Le vieillard avare utilise, pour expliquer sa passion, toutes les ressources de l'argumentation raisonne. Observez la premire phrase du texte.[91 De manire analogue, nous avons pu analyser dans un extrait de La prisonnire (Proust, A la recher ch e du temps perdu, La Pliade, t. , p. 211 comment les explorations interprtatives du narrateur, partir dun tic conversationnel d Albertine, dessinaient en creux la configuration de la { jalousie)J. Cf.{ C est vrai? C est bien vrai ? - Les mots de la conversation J, in Polmique et conversation J, Actessmiotiques - Bulletin, VII 30 1984, pp . 54-58.

    hendent la passion comme un objet de connaissance - et s'emploient la dcrire , la justifier ou la dnoncer en empruntant alors les formesdu discours argument, dont la finalit explicite est, comme on sait, defaire savoir et de faire croire.Les deux extraits soumis ici l'analyse se rattachent cette perspective. On aurait certes pu largir le champ et la slection faite ne prtendtre reprsentative ni d'une typologie des discours ni d'une descriptionde l'avarice elle-mme. Le discours clinique du psychanalyste, le discoursthique du moraliste, et bien d'autres variations, devraient tre tudis sion avait l'ambition - ou la passion - d'puiser un tel sujet. Les brefsfragments retenus, celui du philosophe arabe Djhiz (Ville sicle) et celuide l'crivain franais contemporain Franois Mauriac, ne sont que desaperus. Ils sont cependant assez significatifs pour faire ressortir deuxlieux problmatiques intressants: d'une part le caractre ventuellementpassionnel du discours argument et d'autre part l'articulation des dimensions figuratives et cognitives dans l'argumentation .L argumentation figurative

    Le schma-type du discours passionnel: disjonction entre la figure del 'objet et les valeurs qui lui sont associes (conduisant une hypermodalisation de l'objet), conversion des valeurs modales en figures et parcoursactantiels, production sur celles-ci de nouvelles valorisations, etc., ce

    Quel verbe exprime: une culpabilit? , une justification?_ _ , un sentiment? _ _- Ce vieillard donne son plaidoyer selon les rgles tablies du discourslogiquement argument; retrouvez les passages qui correspondent :a. une erreur dnonce (citation) _b. un exemple concret _ _ _ _ _ __ _c. une vrit universelle _ _d. l'tablissement d'une analogie ________________e. une conclusion logique _

    Remettez ces procds dans l ordre o ils apparaissent dans le texte:- Un vieillard n'existe que par ce qu'il possde . Quelle quivalence,observe dj chez Harpagon et chez Grandet, exprime cette vrit gnraie?- La morale du vieillard est relative celle de ses proches: mon avariceest moins immorale que votre avidit Quelle diffrence y a-t-il entre avarice et avidit ? _ _

    9S

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    schma peut se retrouver l'uvre dans le discours J r ~ l l I m e l l l Ldsyntagmatique en sera peut-tre plus heurte, comme dans le cas du discours syncop de l'motion (domin par l'aspectualisation inchoative) ,mais les manipulations axiologiques et actantielles sont du mme ordre,et visent le mme but: intgrer toutes les figures disponibles de l'universsmantique l'intrieur du schma prdtermin par l 'isotopie thymiqueet tenter ainsi d'puiser ou de saturer la valeur. C'est ce qu'illustre le brefextrait de Djhiz. La lettre complte d'AI Kindi qui s'emploie justifier lebien-fond de sa dcision de propritaire occupe douze pages - douzepages o s'accumulent les motifs d'rosion de la valeur immobilire ,de telle sorte que, dans le mouvement de la gnralisation, l'objet initialqui les a suscits a perdu toute sa pertinence: le surcrot momentand'habitants dans ses locaux n'est qu'une figure-prtexte au dploiement d'un discours spcifique d'valuation.

    Celui-ci procde cependant d'une manire qui mrite d'tre souligned'un mot: l'argumentation d'AI Kindi ne donne pas de raisons ellen'expose que des faits . Elle se droule exclusivement selon la dimensionpragmatique, qu'on distingue de la dimension cognitive: la premireconcerne le dveloppement dans le discours-nonc de comportementsconcrets, reconstruits la lecture comme des vnements matrielset physiques; la seconde recouvre la mise en discours des objets dusavoir et de leur circulation entre les acteurs de la connaissance : elleprsuppose la dimension pragmatique qui en est le rfrent oblig, mais

    Quelle critique est ici adresse l'gard des gnrations montantes?

    Il a tren te ans. Issu d'une famille pauvre, il a russi dans l'existence.Son entourage l'accuse d'avarice. Rdigez l 'argumentation qu'il va leuropposer en utilisant, autant que possible et dans l'ordre, les procdsidentifis ci-dessus :

    Le rquisitoireRousseau a raison. Et mme, de tous les vices, l'avarice est le plus

    grand! Vous allez prsent rdiger un discours argument. Voici quelques arguments utilisables :- l 'argent est un moyen; il n'a pas de valeur en soi, il est estimableseulement pour ce qu'il permet d'acqurir et de consommer;- l 'avarice entrave la communication avec les autres puisque celle-ci estfaite d'changes;

    peul lrc manifest e ; omme une isotopie propre [lOJ. Certains chercheurs (voir les travaux de J. Fontanille notamment) y ajoutent actuellement la dimension thymique, susceptible de se dployer comme unedimension propre (c f. le discours passionn) ou d'affecter, en interagissant avec elles, les dimensions pragmatique et cognitive.

    Quoi qu'il en soit, un discours tenu sur la seule dimension pragmatiqueserait exclusivement figuratif (cf. le statut de l'anecdote), et un discourspurement cognitif dfinirait le texte le plus abstrait .

    Les ralisations discursives sont bien entendu toujours complexes.L'analyse du discours devrait permettre de rendre compte des rglages,des transferts, des bouleversements , des dominances d'une dimension sur l'autre. Il est donc intressant de souligner ici - dans le cas deDjhiz - la dominante figurative de son argumentation : dans sa perspective l 'abondance des faits suff i t ; et ils parlent d'eux-mmes. Dumme coup, la comptence interprtative de l'nonciataire est d'autantplus sollicite que le discours se prsente comme moins argumentatif : lelecteur doit en effet chercher ce qui se cache sous les figures; il lui faut,en l'occurrence, isoler et traquer les plus infimes refuges de la valeur, eten tirer les conclusions.L'argumentation abstraite

    L'extrait du Nud de Vlperes, l'inverse, exploite les procdures del 'argumentation abstraite. L'adhsion de l'nonciataire se ralisera - ou

    - l'avare, flairant chez l 'autre un ennemi menaant, suscite l'hostilit:postulant la haine, il est forcment malheureux;- privant les autres de sa richesse , il s'en prive aussi lui-mme: il vitmisrablement et meurt ainsi;- l 'argent a un rle dynamique: accrotre la richesse (dvelopper unefamille, un pays, etc.) : le squestrer quivaut empcher une graine depousser;- l 'avare est insensible la misre du monde, alors qu'avec ses biens ilpourrait contribuer la soulager.Paul Claudel: C'est de l'argent qU If nous faut, c 'est un matriel hrditaire,c est de l'usage ptri avec de l'ternit, c est de l'intelligence solidifie .. ))

    Exercice e sincrit: vous et l'argentA faire en groupes. Elaborez un questionnaire- test (avec pour chaque

    item des rponses choix multiples, la manire de ceux qu 'on trouvedans les hebdomadaires). Vous l' organiserez autour de rubriquescomme: pargne , dpenses , cadeaux , prts et emprunts etc . N'oubliez pas que vos questions doivent porter sur des dtails aussiconcrets et prcis que possible!

    0) Vo ir J. Fontanille, d. , La dimension o ni tive du disours , Act es smiotiques . Bulletin, III, 15,1980.

    . -, - -.. - l -

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    non - partir du parcours cognitif qui lui cst propos: l'uv