comment intervenir dans le champ de la violence chez les jeunes
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Cette communication traitera des violences extériorisées par des jeunes sous l’angle desprincipales réponses offertes pour les contrecarrer. Une prémisse appuie notre analyse,les jeunes n’ont pas inventé les conduites violentes. Ils savent reproduire les modèlesadultes qui les entourentTRANSCRIPT
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Comment intervenir dans le champ de la violence chez les jeunes ? Conférence donnée le 25 octobre 2010, L’ADSEA 77, Melun, France. Jacques Hébert, professeur École de travail social Université du Québec à Montréal Courriel : [email protected] La question de la violence chez les jeunes soulève plusieurs interrogations. De quelles
violences parlons-nous ? Quelles en sont les causes ? Qui les définit afin d’agir sur quoi ?
Cette communication traitera des violences extériorisées par des jeunes sous l’angle des
principales réponses offertes pour les contrecarrer. Une prémisse appuie notre analyse,
les jeunes n’ont pas inventé les conduites violentes. Ils savent reproduire les modèles
adultes qui les entourent. La violence représente une construction sociale et une notion
relative selon le contexte social. Les normes dominantes d’une société pourront à
certains moments valoriser certaines conduites et les bannir à d’autres occasions. Le
soldat ayant contribué à tuer l’ennemi sera considéré par son gouvernement comme un
héros mais il sera étiqueté comme délinquant s’il participe à une guerre entre bandes de
jeunes. La frontière entre le permis et l’interdit demeure arbitraire selon celui qui identifie
le comportement d’autrui comme violent. L’État s’attribue généralement le monopole de
la violence légitime avec son armée et sa police alors que toute autre forme de violence
sera jugée illégitime. La violence renvoie généralement à des formes d’abus de pouvoir
jugées négatives ce qui devrait inclure les violences structurelles et politiques qui sont
également présentes dans une société (Hébert, 2001, Michaud, 2004)
Les groupes au pouvoir vont donc dénoncer certaines violences pour mieux en occulter
d’autres formes d’expression. Par exemple, en occident, les morts par arme à feu sont
pointées comme un fléau social alors qu’en fait trente fois plus de personnes décèdent
dans des collisions impliquant des automobiles (Chenais, 1981). Bien entendu, ces morts
seront considérées par les ténors de la société de consommation comme des accidents
inhérents à la liberté de conduire une auto, jamais l’industrie automobile n’est interpellée
comme responsable de ce fléau. Les homicides sont généralement jugés comme les
crimes les plus graves dans nos sociétés industrielles. Il y a pourtant d’autres types de
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violence tout aussi pernicieux. À titre indicatif la province de Québec enregistre
annuellement environ 200 meurtres par an pour une population de sept millions
d’habitants alors que dans certaines villes américaines, ayant un bassin comparable de
population , le nombre de meurtres enregistrés annuellement est entre 3 à 10 fois plus
élevé ( Hébert, 1982). Cette différence s’expliquerait principalement par la vente libre des
armes aux Etats-Unis alors qu’elle est interdite au Canada. Dans ce contexte, les
accusations sont dirigées uniquement sur les auteurs de ces crimes mais aucunement sur
les fabricants et les vendeurs d’armes qui sont perçus comme des agents faisant prospérer
l’économie. En Amérique centrale faut-il rappeler que les Maras, bandes de jeunes
criminalisés, ont été armés au départ pour répondre à des conflits armés entre factions
politiques. Leur nombre serait évalué entre 200,000 à 300,000 jeunes qui contrôlent
principalement la vente de drogues et la prostitution ( Faux, 2006).
Par où commencer ?
Il est nécessaire, avant d’agir de manière précipitée, de se rappeler que la violence
interpelle une interaction de causes (Hébert, 1991a). Cette observation nécessite d’avoir
une vision globale d’un phénomène afin de tenter de l’enrayer. Un premier constat se
dégage de la littérature sur le sujet. Les actions se concentrent sur des facteurs individuels
mais rarement sur les facteurs sociaux comme l’amélioration des conditions de vie telles
des logements salubres, des emplois décents et des loisirs accessibles. Comme le rappelle
un éducateur français, Fernand Deligny (1960 :72), qui a travaillé une quarantaine
d’années auprès de jeunes en difficulté :
¨ Il y a trois fils qu’il faudrait tisser ensemble : l’individuel, le familial, le social. Mais le
familial est un peu pourri, le social est plein de nœuds. Alors on tisse l’individuel
seulement. Et on s’étonne de n’avoir fait que de l’ouvrage (…), artificiel et fragile.¨
Redl et Wineman (1952) qui sont considérés comme des pionniers américains pour
intervenir auprès de jeunes agressifs mentionnent dans leur conclusion l’importance pour
ces derniers d’être aimés et acceptés par des adultes, de bénéficier d’activités récréatives
valables, d’établir des liens positifs avec la communauté, de vivre dans une structure
familiale qui ne soit pas désintégrée et obtenir une sécurité économique pour les
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nécessités de l’existence. Il faut convenir que de nombreux jeunes n’ont pas accès à ce
contexte de vie.
Un milieu marqué par la désorganisation sociale est davantage enclin à des explosions de
violence alors qu’un milieu dominé par la pauvreté est surtout propice aux délits de
nature économique (Hébert, Hamel et Savoie, 1997). Des jeunes y expriment leur mal-
être pour donner un sens à leur vie dans un environnement où les repères deviennent de
plus en plus flous. Le film¨ La haine¨ offre une excellente illustration de cette galère. Un
autre exemple percutant, un quartier nord de la ville de Montréal (ville la plus
importante du Québec avec son agglomération, 2 millions d’habitants) regroupe une
population d’origine haïtienne et pauvre. Des guerres de gangs ont lieu sur ce territoire
pour le contrôle de la prostitution et de la drogue. Le taux de chômage est six fois plus
élevé chez les jeunes haïtiens comparativement aux jeunes blancs. De plus, les policiers
ont commencé à ne plus patrouiller les rues de ce quartier le soir (Myles, 2006a). Une
étude sur les jeunes de ce quartier révélait également que lors d’un contrôle d’identité
par les forces policières 80% d’entre eux se faisaient interpeller par le mot «nègre»
(Jacob, Hébert et Blais., 1996). Ce terme est probablement l’une des pires insultes
racistes à adresser à un jeune noir.
Ce dernier exemple veut témoigner que la violence est à mettre en relation avec des
problèmes de pauvreté, de chômage, d’exclusion, de racisme et de désorganisation
sociale. Ce préambule sert à mettre en perspective que vouloir intervenir sur des actes de
violence demande une analyse en profondeur.
Cette présentation effectuera un bilan des principales interventions mises de l’avant pour
intervenir auprès de jeunes stigmatisés comme violents en Amérique du Nord à partir
d’une recension d’écrits et de recherches-actions menées par l’auteur depuis près de
trente ans dans ce domaine.
Des effets pervers de plusieurs mesures retenues seront présentés ainsi que des pistes
prometteuses. Il faut entendre par effets pervers, que malgré les bonnes intentions
derrière les plans d’intervention, il survient parfois des effets contraires à ceux anticipés
(Boudon, 1977)
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Qu’est-ce qui ne semble pas fonctionner ?
La répression policière.
La répression est nécessaire pour neutraliser les conduites dangereuses mais elle
demeure insuffisante pour diminuer les gestes antisociaux. La présence des forces de
l’ordre dans un environnement permet de rappeler les limites d’un système social vis-à-
vis certains comportements jugés inacceptables et de dissuader les passages à l’acte. La
répression prise isolément n’agit que sur les effets de la violence dans un milieu. Elle
ne parvient habituellement qu’à déplacer les problèmes si elle n’est pas associée à des
actions communautaires favorisant l’insertion sociale (Hébert, Hamel et Savoie, 1997).
Les visites d’institutions carcérales.
Ces visites sont généralement destinées à des jeunes délinquants dans le but de les
dissuader de poursuivre une carrière criminelle. Des ex-détenus ou des détenus parvenus
à la fin d’une longue sentence viennent témoigner de la lourdeur de la vie en
prison (initiation brutale, cohabitation infernale, privations diverses, stress, etc…) et de
l’importance de rester dans le droit chemin. Une visite guidée de la prison est également
prévue (cellules, salles d’isolement, salles de sport, etc…).
Les réactions de jeunes après ces visites se résument à dire : « Mais pour qui se
prennent-ils ces bagnards à nous faire la morale, ils ont commencé leur vie criminelle
comme nous.» De la visite de la prison, les jeunes sont surtout fascinés par les salles de
musculation et la grosseur des biceps des détenus à l’entraînement. Une chose est sûre
pour les magistrats qui condamnent à une sentence d’emprisonnement, l’incarcération
retire une personne de la société pour une période déterminée afin de protéger la société
mais elle ne garantit aucunement la réinsertion sociale du prisonnier.
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De plus, en comparant deux groupes semblables, un groupe de jeunes délinquants placés
en détention et un groupe référé à un centre de jour , les taux de récidive demeurent
identiques pour les deux groupes. Toutefois, une différence majeure distingue ces deux
groupes, le groupe incarcéré commet des délits plus sérieux (Empey et Erickson, 1972).
Les centres de réadaptation
Le placement dans un centre de réadaptation cherche principalement à l’aide d’une
dynamique de groupe animée par des éducateurs à stimuler l’adoption de conduites
prosociales. Le fait de baigner intensivement dans une culture positive permettrait
d’influencer le comportement. Les jeunes placés dans ce type de ressource affichent des
taux de récidive variant entre 50% et 85% après la sortie de ces institutions (Trulson,
Marquart, Mullins et Caeti, 2005). Les taux de récidive sont plus élevés quand les
périodes de suivi (follow-up) s’échelonnent sur trois ans et plus après l’internement. Le
regroupement de jeunes en difficulté favorise parallèlement l’apprentissage du crime
(Clark, 1972). L’institution permet de s’affilier à de nouveaux réseaux antisociaux et de
partager des astuces délinquantes. Les périodes de placement se prolongeant plus d’une
année occasionnent l’apparition de problèmes de santé mentale (Leblanc, 1983). Le
manque de ressources communautaires pour favoriser la réinsertion sociale et le transfert
des acquis sont également mis en cause pour expliquer ces piètres résultats.
Les boot camps
Cette mesure vise à créer une répulsion au crime en plaçant des jeunes récidivistes dans
une atmosphère carcérale (vêtements de prisonnier, cellule, cachot, discipline militaire,
soumission inconditionnelle sous peine de sanctions sévères, rythme infernal du matin au
soir, gardiens intransigeants). Les promoteurs de cette approche misent sur le fait qu’un
séjour intensif dans ce milieu malsain dissuadera à poursuivre dans la criminalité. Les
jeunes ressortent de cette expérience en meilleure forme physique, mais plus révoltés et
plus actifs par la suite au plan de la délinquance (Bottcher et Ezell, 2005, Lutze et Bell,
2005).
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Le travail de rue
L’approche consiste principalement à ce qu’un travailleur de rue établisse des liens
positifs avec les gangs de jeunes criminalisés. Le travail vise à créer des passerelles avec
les institutions sociales pour éviter l’antisocialité. Les interventions permettent surtout de
rejoindre les jeunes qui gravitent autour des bandes criminelles afin de leur offrir d’autres
opportunités de socialisation (Myles, 2006b). Quand les travailleurs de rue réussissent à
rejoindre le noyau dur d’une bande, ils permettent surtout aux leaders de voir quels
membres du groupe se lient trop facilement aux intervenants. Cette observation permet
ensuite d’éliminer les éléments jugés trop faibles et ainsi recréer une bande plus
structurée et plus délinquante dans ses agissements (Klein, 1971).
Les approches thérapeutiques
Le casework, le counselling et la psychanalyse rejoignent difficilement les jeunes
violents. Il est nécessaire de jumeler ces approches avec d’autres interventions pour
obtenir des effets bénéfiques. Quand elles sont utilisées isolément, elles n’obtiennent pas
plus de résultats que si aucune action n’avait été déployée. Ces méthodes misent sur les
capacités d’introspection des sujets traités. Ce procédé ne représente pas la principale
force de jeunes aux prises avec la violence. Ces jeunes restent également habiles à
décoder ce que les adultes veulent entendre d’eux. Leurs verbalisations ne correspondent
pas obligatoirement à un changement d’attitudes et de conduites (Hébert, 1991a).
Comme le souligne Deligny (1960 :15) :¨ Et si tu me dis «Oui, mais les petits d’hommes
ont des oreilles ». Je te répondrai « hélas … si ce trou n’existait pas, les adultes ne
pourraient y déverser leurs bêtises.¨
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En résumé, ces divers moyens d’intervention sont pavés de bonnes intentions mais une
fois soumis à une évaluation rigoureuse, ils laissent place à des résultas tout au plus
mitigés, neutres ou carrément négatifs. Devant ce constat d’échec, y a-t-il des pistes
encourageantes à explorer ?
Quelles sont les avenues prometteuses ?
L’apprentissage social
À court terme, les programmes misant sur la modification du comportement permettent
d’enregistrer des résultats positifs en terme de baisse des comportements violents. Ces
mesures mettent l’accent sur l’apprentissage d’habilités cognitives et sociales à l’aide de
renforcements positifs (Howard, Amman et Griffin, 1999). Une interrogation subsiste
toutefois en ce qui concerne le transfert et le maintien des acquis à long terme dans la
communauté. Les partisans de cette approche semblent cependant oublier les
recommandations de pionniers dans ce domaine qui insistent sur l’importance
d’apporter des changements dans le milieu de vie des jeunes afin d’améliorer les
impacts de ce type d’intervention (Bandura et Walters, 1959, Bandura et Ribes-Inesta,
1976).
D’autres variables sont également à considérer afin d’exercer une influence positive.
Les intervenants doivent faire preuve de leadership positif et se montrer comme des
modèles de conduite concernant la prévention et la résolution de conflits (Letendre et
Davis 2004).
Deligny (1960 :31) relève certaines attitudes d’intervenants qui peuvent nuire ou
favoriser les liens sociaux avec des jeunes :
¨ Si tu joues au policier, ils joueront aux bandits. Si tu joues au bon Dieu, ils joueront aux
diables. Si tu joues au geôlier, ils joueront aux prisonniers. Si tu es toi-même, ils seront
bien embêtés.¨
Plusieurs études insistent sur l’importance de développer entre les pairs une culture
propice à la paix et la non-violence afin de permettre un enracinement des valeurs et des
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conduites pacifiques (Mattaini, McGuire, 2006 ;Vorrath et Brendtro,1974). Un
apprentissage nécessite de répondre à trois conditions pour être considéré comme
significatif : vivre du succès, être reconnu et partager un sentiment d’appartenance et de
solidarité avec un groupe (De Visscher, 2001). Plusieurs projets omettent pourtant de
répondre à ces prérequis.
Ces nuances permettent de constater que l’application d’une approche comportementale
pure et dure est loin de se présenter comme une panacée universelle car plusieurs autres
facteurs sociaux nécessitent d’être pris en considération. Les dérives ne sont cependant
pas exclues quand certaines recherches épidémiologiques visent à dépister des jeunes de
milieux socio-économiques défavorisés jugés à risque dès l’âge de deux ans (Girard,
2005).
Les activités récréatives
Les activités socioculturelles et sportives peuvent favoriser la socialisation en créant
des liens avec des pairs positifs et des institutions sociales (Feldman, Caplinger et
Wodarski, 1983). Il est toutefois nécessaire de former des groupes de jeunes en évitant
la stigmatisation et de sélectionner des animateurs expérimentés auprès de jeunes en
difficulté. Des discussions doivent également être organisées régulièrement afin de
s’assurer que les participants font des liens entre les habilités développées dans ces
activités et leurs transferts possibles dans la vie quotidienne ( Danis, Petitpas et
Hale,1990). Ces activités ne doivent pas être structurées uniquement pour occuper les
jeunes mais bien pour favoriser l’implication volontaire dans un projet collectif. Il est
préférable qu’elles s’inscrivent à l’intérieur d’un plan d’ensemble d’une communauté.
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Les arts martiaux.
Ces disciplines obtiennent des effets positifs quand elles sont enseignées sous leurs
formes traditionnelles, c’est-à-dire en insistant sur leur code moral (respect de soi et des
autres, loyauté, humilité et paix). Une sérieuse mise en garde est soulignée dans les
recherches, un enseignement orienté uniquement vers l’apprentissage de techniques
d’autodéfense augmente l’agressivité de sujets présentant des comportements violents.
Le défi consiste à favoriser la socialisation de l’agression en l’orientant dans une voie
positive (Hébert, 1991b, 2004, Myles, 2006c, Twemlow et Sacco, 1998). Les arts
martiaux peuvent exercer un pouvoir attractif auprès des jeunes parce qu’ils misent sur
les prouesses corporelles et un système d’émulation favorisant l’obtention de ceintures
de couleur. La finalité de ces activités vise à apprendre à se connaître afin de mieux vivre
en société.
La littérature insiste sur le rôle majeur de l’instructeur comme modèle de conduite et sa
capacité à aider les jeunes à saisir l’importance des acquis développés dans ces activités
et leurs transferts possibles dans d’autres sphères de la vie sociale. Les retombées
apparaissent plus importantes quand l’enseignant possède une qualification en sciences
humaines ou qu’il travaille en étroite collaboration avec des intervenants sociaux. Ces
médiums se présentent comme une opportunité à s’engager dans une démarche
d’éducation structurée axée sur le développement personnel et social. La maîtrise de tout
art exige patience, concentration et autodiscipline (Fromm, 1968). Ces aptitudes
constituent des atouts précieux pour favoriser l’apprentissage et la socialisation. En fait,
le défi consiste à passer par le corps pour influencer le psychique et la sphère sociale.
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Les actions communautaires.
Les actions communautaires se présentent comme le plus grand défi pour intervenir dans
une communauté. Elles représentent une option incontournable pour combattre
significativement la violence étant donné que plusieurs causes sont en présence et que
des actions à plusieurs niveaux sont nécessaires. Tel est l’avis d’experts qui ont investi
de nombreuses années sur le terrain (Klein, 1995, Spergel, 1995). Que ce soit pour des
problèmes de violence à l’école, Olweus, D. (1993) ou dans les quartiers (Hawkins et
Catalano, 1992), les stratégies d’action impliquent la mobilisation de plusieurs acteurs
(écoles, familles, services policiers, tribunaux, services sociaux, services de loisirs, élus
politiques, représentants de citoyens, organismes communautaires et employeurs). Il
s’agit d’établir un dialogue qui permet une concertation autour d’objectifs communs.
L’idée de concertation ou de partenariat est présentement à la mode au Québec, mais ce
n’est pas parce que des personnes s’assoient autour d’une même table qu’ils travaillent
ensemble. Une vision commune de la définition du problème et de ses causes doit être
dégagée pour établir un plan d’action qui fait du sens pour tous les partenaires. Ces
expériences rencontrent toutefois plusieurs embûches. Wright et Dixon (1977), à partir
d’une vaste enquête sur des programmes communautaires pour prévenir la délinquance
juvénile, arrivent à la conclusion que la principale cause d’échec de ces initiatives se
situe du côté des institutions qui cherchent à préserver le statu quo plutôt qu’à modifier
leurs structures et leurs mentalités. Les représentants en présence polarisent souvent leurs
différends entre des solutions qui privilégient la répression, la prévention, la socialisation
ou l’action communautaire. Ces types d’intervention devraient être complémentaires et
s’inscrire à l’intérieur d’un plan d’action global. L’un des enjeux majeurs du partenariat
consiste à ce que les acteurs en présence acceptent de partager et de remettre en cause
leur pouvoir et qu’ils croient au potentiel d’une telle démarche (Hébert, 1998). Malgré
les divergences, les échanges et la recherche de consensus négociés en valent la peine
afin de dégager une vision d’ensemble de qui, fait quoi, pour qui, comment et pourquoi ?
Une dernière ombre au tableau, beaucoup d’adultes viennent à ces lieux de concertation
pour parler au nom des jeunes alors que ces derniers y sont absents. Les jeunes devraient
être les principaux définisseurs de leurs besoins et des moyens d’y répondre. À ce jour,
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quelques initiatives de médiation entre des jeunes et les institutions sociales s’annoncent
comme une piste prometteuse à explorer (Bondu, 1998).
En guise de conclusion
Vouloir intervenir vis-à-vis la violence des jeunes demande de considérer une interaction
de causes individuelles et sociales et des actions à plusieurs niveaux Cette approche
demande d’agir en concertation et de posséder une vision multifactorielle de problèmes
psychosociaux de plus en plus complexes. Les avenues prometteuses semblent plus
faciles à nommer qu’à actualiser sur le terrain. Une volonté politique, une capacité
d’écoute et une ouverture d’esprit semblent essentielles pour faire des avancées
significatives. Il y a environ un quart de siècle, un éminent chercheur a posé comme
hypothèse que la délinquance est peut-être le prix qu’une société doit payer pour son
individualisme (Hackler, 1978). Une société qui produit des gagnants et des perdants se
place sur une courbe dangereuse, car personne ne veut être laissé pour compte. La
violence des jeunes représente parfois le seul moyen à leur portée pour montrer qu’ils
existent. Les jeunes sont-ils violents ou vivent-ils dans des environnements de plus en
plus violents ? En ce sens la violence institutionnelle reste probablement la plus
dangereuse parce qu’elle s’enlise dans les routines du quotidien : « Il y a violence
institutionnelle partout où les humains ne sont pas reconnus comme humains avec leurs
besoins et leurs capacités propres ; partout où ils sont chosifiés, dominés, manipulés et
sommés de s’adapter immédiatement aux exigences de ladite institution, au risque d’en
être profondément déstabilisés ou exclus (Tartar-Goddet, 2001 : 77). » L’incapacité de se
remettre en question constitue probablement l’une des plus grandes formes de violence de
nos sociétés ( Del Vasto, 1962). La logique institutionnelle demeure parfaite, si un jeune
s’en sort c’est à cause de nous, s’il échoue c’est à cause de lui. L’institution met
généralement plus d’énergie à paraître et à afficher une façade d’ordre et de paix qu’à
exposer ses limites sur la place publique.
En terminant que penser également de la violence sociétale. Il y a quelques années un
documentaire diffusé en Amérique du Nord montrait qu’un pays d’Amérique Latine
avait orchestré une campagne de dénigrement des itinérants pour mieux « épurer » le
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centre–ville de sa capitale. Cette mesure visait surtout à permettre aux honnêtes citoyens
de consommer et d’aller travailler en toute quiétude.
¨ Dans ce pays, disait l’article, les journalistes, les gens de la police et même les
sociologues ont fini par désigner les mendiants comme « jetables ». Et parce qu’un mot
ne vient jamais seul, on parlait, à propos des opérations de police contre ces fantômes et
leurs carrioles, des bienfaits d’un « nettoyage social »¨ (Bobin, 1992 :128)
Espérons que cette pratique disparaîtra avant de devenir une norme. Un débat de société
apparaît comme urgent sur le sens de la vie en société parce que l’exclusion représente
l’une des pires formes de violence. Il faudra voir à la combattre si nous désirons bâtir un
monde plus pacifique.
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