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Benveniste et Saussure : l'instance de discours et la théorie du signe Akatane Suenaga p. 123-128 Résumé | Plan | Texte | Notes | Illustrations | Citation | Auteur Résumés Français English Cet exposé a pour objectif de remettre en question la vue qui, concernant le problème de la linguistique de la parole, oppose Benveniste et Saussure, et selon laquelle le premier a dépassé l'autre en construisant une théorie de l'énonciation. Nous proposerons quelques repères qui permettront de voir une continuité entre les conceptions des deux linguistes. Nous examinerons d'abord la façon dont Benveniste, en centrant l'analyse des pronoms personnels dans sa théorie du discours, a traité les questions du point de vue et de la subjectivité, ce qui ensuite nous amènera à la lecture de quelques passages des sources manuscrites du CLG, où on trouvera chez Saussure une inspiration «benvénistienne» de l'énonciation: dans le vif de la conception de la langue saussurienne résonne bien la voix double des deux sujets je et tu. Haut de page Plan Introduction I. Benveniste ou l'instance de discours II. Saussure ou la théorie du signe Haut de page Texte intégral PDF 266kSignaler ce document Introduction 1 « La forme et le sens dans le langage » (1967), ch. XV dansProblèmes de linguistique générales II (...) 1Est-il nécessaire d'évoquer que Ferdinand de Saussure, en opposant la langue à la parole, a choisi la première Pour objet de sa science et a fondé, dit-on, la linguistique moderne ? Il est aussi notoire que Emile Benveniste a appelé à « aller au-delà du point où Saussure s'est arrêté » (II, 219)1 et a été initiateur d'une théorie de la parole, qu'il a développée dans la perspective de ce qu'il appelle le discours. Concernant le problème du discours on a donc l'habitude d'opposer les deux linguistes. 2Dans le présent exposé j'essaierai, en réexaminant la conception de la langue chez Saussure, de proposer quelques repères qui permettraient de voir une continuité entre elle et le discours tel que le présente Benveniste.

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Benveniste et Saussure : l'instance de discours et la théorie du signeAkatane Suenaga

p. 123-128

Résumé | Plan | Texte | Notes | Illustrations | Citation | Auteur

Résumés

Français English Cet exposé a pour objectif de remettre en question la vue qui, concernant le problème de la linguistique de la parole, oppose Benveniste et Saussure, et selon laquelle le premier a dépassé l'autre en construisant une théorie de l'énonciation. Nous proposerons quelques repères qui permettront de voir une continuité entre les conceptions des deux linguistes. Nous examinerons d'abord la façon dont Benveniste, en centrant l'analyse des pronoms personnels dans sa théorie du discours, a traité les questions du point de vue et de la subjectivité, ce qui ensuite nous amènera à la lecture de quelques passages des sources manuscrites du CLG, où on trouvera chez Saussure une inspiration «benvénistienne» de l'énonciation: dans le vif de la conception de la langue saussurienne résonne bien la voix double des deux sujets je et tu.

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Plan

Introduction

I. Benveniste ou l'instance de discours

II. Saussure ou la théorie du signe

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Texte intégralPDF 266kSignaler ce document

Introduction1 « La forme et le sens dans le langage » (1967), ch. XV dansProblèmes de linguistique générales II (...)

1Est-il nécessaire d'évoquer que Ferdinand de Saussure, en opposant la langue à la parole, a choisi la première Pour objet de sa science et a fondé, dit-on, la linguistique moderne ? Il est aussi notoire que Emile Benveniste a appelé à « aller au-delà du point où Saussure s'est arrêté » (II, 219)1 et a été initiateur d'une théorie de la parole, qu'il a développée dans la perspective de ce qu'il appelle le discours. Concernant le problème du discours on a donc l'habitude d'opposer les deux linguistes.

2Dans le présent exposé j'essaierai, en réexaminant la conception de la langue chez Saussure, de proposer quelques repères qui permettraient de voir une continuité entre elle et le discours tel que le présente Benveniste.

3Dans mon analyse je retiendrai de Benveniste seulement deux problèmes qui sont liés à sa théorie de l'énonciation : 1) celui de la subjectivité, 2) celui du point de vue. Par "point de vue" j'entends celui qui détermine plus ou moins systématiquement le rapport langage/pensée chez le sujet et l'organisation des données de son expérience.

2 Ils'agit de « Nature des pronoms » (1956) et de « De la subjectivité dans le langage » (1958), resp(...)

3 Nous nous fondons sur le Cours de linguistique générale, édition critique par Rudolf Engler, fascic(...)

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4Dans cet esprit je vais examiner les textes où Benveniste traite les pronoms personnels et la subjectivité2, et chez Saussure quelques passages des sources manuscrites du Cours de linguistique générale3.

I. Benveniste ou l'instance de discours

5Je commence par examiner le mot clé de la théorie de Benveniste développée sous le terme d'instance de discours, à savoir je, pronom personnel de la première personne du singulier. Quelles sont donc les propriétés de je par rapport aux autres signes ?

6Selon la définition de je donnée par Benveniste lui-même « je signifie "la personne qui énonce la présente instance de discours contenant je" » (I, 252). Il est aisé de voir là que cette définition de je permet de définir symétriquement tu « comme l'“individu allocuté dans la présente instance de discours contenant l'instance linguistique tu” » (I, 253). Je se trouve en effet au centre du phénomène qu'on appelle la coïncidence de l'acte d'énonciation et de l'action énoncée.

7Il est à noter ici que cette propriété de je se traduit dans la particularité de sa référence : « Il n'y a pas de concept "je" englobant tous les je [...] au sens où il y a un concept "arbre" auquel se ramènent tous les emplois individuels de arbre. Le "je" ne dénomme donc aucune entité lexicale » (I, 261).

8Or, je se distingue non seulement des noms porteurs d'une notion lexicale, mais aussi des formes qu'on présente traditionnellement dans son voisinage, on le sait, à savoir les pronoms personnels de la troisième personne que Benveniste qualifie de non-personne : « la non-personne est le seul mode d'énonciation possible pour les instances de discours qui ne doivent pas renvoyer à elles-mêmes, mais qui prédiquent le procès de n'importe qui ou n'importe quoi hormis l'instance même, ce n'importe qui ou n'importe quoi pouvant toujours être muni d'une référence objective » (I. 255-256).

9Ainsi, sous cet angle benvénistien le monde, pour ainsi dire, se divise en deux en fonction de l'opposition personne/non-personne : d'un côté se trouve la sphère subjective articulée en je et tu, et de l'autre celle de la « troisième personne ». Cela signifie que c'est cet aspect pragmatique du discours qui joue un rôle essentiel dans la constitution de la subjectivité.

10Alors, comment je se comporte-t-il dans le processus de cette constitution ? Benveniste insiste ainsi sur la fonction, pour ainsi dire sui-déclarative de je, essentielle dans le fondement de la subjectivité : « le fondement de la subjectivité est dans l'exercice de la langue. [ ... ] il n'y a pas d'autre témoignage objectif de l'identité du sujet que celui qu'il donne ainsi lui-même sur lui-même » (I, 262). Mais cet auto-témoignage ne tient évidemment pas sans le partenaire qu'est tu, à qui je s'adresse : c'est cette condition de dialogue qui est constitutive de la personne, car « elle implique en réciprocité que je devient tu dans l'allocution de celui qui à son tour se désigne je » (I, 260).

11La subjectivité, ainsi constituée, par la relation de je et tu que Benveniste appelle la polarité des personnes est intersubjectivité. Et là, il n'est pas difficile de voir qu'un tel processus de construction subjective peut bien évoquer le problème du point de vue dans le sens que j'ai précisé plus haut. Rappelons-nous : le domaine de la troisième personne est un monde rempli de référence objective, appréhendé à partir du point de vue je, qui lui applique des prédicats et le saisit dans des concepts. Par contre je ne peut pas disposer d'un « concept "je" englobant tous les je ». En effet, jen'est pas définissable, comme nous l'avons vu, sans recours à je lui-même : comme si je, en tant que point de vue, manquait de distance pour regarder l'objet qu'il est lui-même.

12Ainsi le sujet parlant, en s'énonçant je, s'approprie le point de vue sans lequel il ne parviendrait pas à une prise de position vis-à-vis du monde, ce qui, selon Benveniste, signifie en même temps l'appropriation de la langue. Il s'agit, en l'occurrence, de l'organisation des indicateurs qui permet de déterminer toutes les relations spatio-temporelles : « Ce sont les indicateurs de la deixis, démonstratifs, adverbes, adjectifs, qui organisent les relations spatiales et temporelles autour du "sujet" pris comme repère : "ceci, ici, maintenant", et leurs nombreuses corrélations "cela, hier, l'an dernier, demain" etc » (I, 262). Le système déictique des indicateurs, organisé autour du noyau je, constitue ainsi la grille spatio-temporelle sur le fondement de laquelle l'expérience est donnée au sujet qui, à partir de là, applique des prédicats au monde.

4 Cf. « Le "monologue" est un dialogue intériorisé, formulé en "langage intérieur", entre un moi locu (...)

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13Récapitulons : selon Benveniste, le seul geste de s'énoncer je, acte essentiellement pragmatique, fraye la voie vers : 1) la constitution de la subjectivité dans la relation dialectique avec tu, 2) la concomitance de l'appropriation de la langue même et de l'établissement du point de vue qui détermine la façon subjective d'articuler et de construire les relations avec le monde. Je propose la synthèse suivante de ces deux points : étant donné que la subjectivité se constitue dans l'échangeabilité de je et tu, et que je est, comme on a vu, le point de vue à partir duquel le sujet prédique le monde, le dialogue, entre je comme locuteur et tu comme allocuteur, n'est autre que l'échange de la position subjective vis-à-vis de leur partenaire et du monde. Autant dire que la constitution de la subjectivité implique une intériorisation de la polarité de je et tu dans chacun des sujets parlants : pour ainsi dire, à l'intérieur du locuteur je il y a donc un tu qui l'écoute4 : à preuve, on n'arriverait jamais à parler sans entendre sa propre voix.

II. Saussure ou la théorie du signe

14Alors, qu'en est-il donc du problème de la subjectivité et de celui du point de vue dans la réflexion de Saussure ?

5 Les dates des trois cours de linguistique générale professés à l'Université de Genève sont : I, 190 (...)

15Commençons par le point de vue. A ce propos Saussure est formel : la langue est un point de vue tellement imposée au sujet parlant que celui-ci n'en est même pas conscient. Nous citons dans la première leçon du deuxième cours de linguistique générale, donnée en novembre 19085 : « la langue [...] nous paraît tout près de notre main : peut-être est-elle trop près ([...] verre de la lunette par lequel et au travers duquel nous saisissons les autres objets) » (frag. 1766).

16D'ailleurs, cette idée de langue comme point de vue est corrélative de la fameuse conception de la langue comme système de différences négatives. Mais je ne développerai pas cela, je remarque seulement quelques conséquences de cette conception : 1) ce n'est pas l'objet correspondant qui détermine la valeur d'un signe, mais sa coexistence avec les autres signes, autrement dit le découpage entre eux ; 2) les différences négatives, par définition, ne parvenant pas comme telle à la conscience du sujet, celui-ci n'a qu'à se soumettre à la distribution des valeurs que lui impose sa langue. D'où la langue comme point de vue subi par le sujet.

17Alors se pose la question suivante : comment la segmentation particulière de la langue, autrement dit l'association déterminée d'un signifiant à son signifié est-elle décidée ? Il s'agit du problème de la subjectivité chez Saussure. Qu'est-ce à dire ?

18Reprenons la première leçon du deuxième cours. Saussure propose là, comme raisons de la difficulté de déterminer l'objet de la linguistique, plusieurs dualités de la langue. Je vais examiner les trois premières : « les syllabes qu'on articule ne sont-elles pas dans le son, dans ce que perçoit l'oreille ? Oui, mais les sons ne seraient pas existants sans les organes vocaux. Donc, si on voulait réduire la langue au son, on ne pourra la détacher des articulations buccales : et réciproquement, on ne peut même pas définir les mouvements de l'organisme vocal en faisant abstraction de l'impression acoustique. [...] Ainsi dans le phonème k : deux côtés qui ne font qu'un par leur correspondance » (frag. 134, 136, 135). Voilà la dualité articulatoire/ acoustique du son linguistique.

19Ensuite la deuxième dualité : « le son vocal n'est un mot que dans la mesure exacte, constante, qu'il lui est attaché un sens. Cette correspondance se vérifie à chaque pas de la linguistique à tel point qu'on ne peut dire ce que c'est qu'une forme sans prendre à la fois le son et le sens  » (frag. 139). Voilà la deuxième dualité, celle du signe comme ensemble d'un son et d'un sens.

20Saussure passe à présent à la troisième : « cette unité complexe doit trouver sa sphère au moins dans deux individus : donc troisième unité complexe {-x. Le passage de la bouche d'un monsieur A à l'oreille d'un monsieur B et réciproquement sera toute la vie de la langue. [ ... ] La langue est faite pour communiquer avec ses semblables. Enfin ce n'est que par la vie sociale que la langue reçoit sa consécrations » (frag.142). Voilà la troisième dualité : l'intersubjectivité du langage.

21Nous remarquons d'abord la relation que Saussure définit entre la deuxième et la troisième dualités : il s'agit ici évidemment de l'interdépendance entre la langue et la parole. La langue sert à la parole qui dépend d'elle. Mais il est également vrai que la langue a son tour besoin de la parole pour qu'elle reçoive « sa consécrations ». Le signe comme double unité représentant ici la

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langue, la consécration de celle-ci par la vie sociale, à savoir par le processus de parole, signifie bien celle du signe, i. e. celle de l'association d'un signifiant à son signifié correspondant.

22Nous remarquons aussi que le processus de parole est présenté ici comme « passage de la bouche d'un monsieur A à l'oreille d'un monsieur B et réciproquement... ». Cette description nous renvoie au schéma de communication proposé deux ans et demi plus tard dans le troisième et dernier cours, que Saussure appelle "circuit de la parole" :

(frag. 194-196, 198)

Agrandir Original (png, 66k)

23L'intention qu'a Saussure proposant ce schéma est de dégager du langage comme ensemble hétéroclite la langue comme objet de sa linguistique. Saussure essaie de localiser le siège de la langue parmi différentes strates du circuit qu'il divise de plusieurs façons, soit en physique/ physiologique/ psychique, soit en exécutive/ réceptive etc.

24En appelant la formation du dépôt de la langue dans l'individu "capitalisation" et "cristallisation sociale", Saussure s'interroge comme suit : « Quelle partie du circuit peut donner lieu à cette capitalisation, cristallisation sociale ? Ce n'est pas une partie quelconque : ce n'est pas la partie physique. Ainsi nous sommes frappés d'une langue étrangère que nous ne connaissons pas, mais nous ne sommes pas dans le fait social de la langue » (frag. 223, 226). Le son d'une langue inconnue ne constitue pas "le fait social de la langue" parce que, pour Saussure, celui-ci implique que le son perçu est appréhendé grâce à la coordination qui le rend compréhensible. Saussure prend donc pour lieu de la langue « la partie réceptive et coordinative (qui est sociale) » : « ce qui forme un dépôt chez les différents individus, [... ] Ce sont ces milliers d'images verbales associées chez les individus à autant de concepts placés en regard » (frag. 229, 232). Saussure localise ainsi la langue dans la partie où le lien qui associe le signifiant au signifié se détermine et se réétablit au cours du langage : « Dans le centre associatif, purement psychique, sont mis en contact un concept verbal et une image acoustique » (frag. 198).

25Cette mise en contact des deux faces du signe implique que la configuration des valeurs des signes dans la langue reçoit la consécration sociale en plein acte d'énonciation, i. e. dans l'instance de discours. Le circuit de la parole représente donc le processus où la polarité des personnes je ettus'intériorise dans la langue. Pour Saussure, la langue n'est rien d'autre qu'une intériorisation de la relation sociale de la parole dont l'unité élémentaire est celle des deux sujets parlants je et tu : « On peut dire qu'en prenant un individu nous aurons dans le seul exemplaire l'image de ce qu'est la langue dans la masse sociale. Si nous pouvions examiner le dépôt des images verbales dans un individu, conservées, placées dans un certain ordre et classement, nous verrions là le lien social qui constitue la langue) (frag. 232-234).

26Pour conclure, la conception saussurienne de la langue est ainsi profondément traversée par une inspiration quasi-benvénistienne de l'énonciation, mais avant la lettre, comme si pour Saussure, jusque dans un simple son linguistique, résonnait la voix double des deux sujets je et tu. Rappelons la première dualité que j'ai évoqué : « les sons ne seraient pas existants sans les organes vocaux. [ ... ] réciproquement, on ne peut même pas définir les mouvements de l'organisme vocal en faisant abstraction de l'impression acoustique. Ainsi dans le phonème k : deux côtés qui ne font qu'un par leur correspondance ».

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Notes

1 « La forme et le sens dans le langage » (1967), ch. XV dans Problèmes de linguistique générales II

(tome I, 1966, tome II, 1974, Paris, Gallimard). Les références des citations de Benveniste sont données

avec place dans PLG.

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2 Ils'agit de « Nature des pronoms » (1956) et de « De la subjectivité dans le langage » (1958),

respectivement ch. XX et ch. XXI dans PLG I.

3 Nous nous fondons sur le Cours de linguistique générale, édition critique par Rudolf Engler, fascicule 1-

3. 1967-1968, fascicule 4, 1974, Wiesbaden, Harrassowitz. Les références des citations provenant de cet

ouvrage sont indiquées par le numéro de fragment.

4 Cf. « Le "monologue" est un dialogue intériorisé, formulé en "langage intérieur", entre un moi locuteur

et un moi écouteur. Parfois le moi locuteur est seul à parler ; le moi écouteur reste néanmoins présent ;

sa présence est nécessaire et suffisante pour rendre signifiante l'énonciation du moi locuteur » :

Benveniste, « L'appareil formel de l'énonciation » (1970) (II, ch. V, 85-86).

5 Les dates des trois cours de linguistique générale professés à l'Université de Genève sont  : I, 1907, II,

1908-1909, III, 1910-1911.

En quoi le langage est-il spécifiquement humain ?

Analyse des termes du sujet

Le langage

(1)Un moyen de

communication

Tout code servant à communiquer

(2)Une langue

Un système de signes particulier, doublement

articulé qui sert à communiquer.

(3)Une faculté

La faculté de produire et d’utiliser une langue

 

Spécifiquement humain

Propre à l’espèce humaine

Cela suppose que les autres espèces ne disposent pas d’un langage

Indispensable au  développement des caractéristiques essentielles de

l’humanité

(En particulier la pensée, la conscience réfléchie)

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En quoi le langage est-il spécifiquement humain ? Cette formulation du sujet présuppose que le langage EST spécifiquement humain. Il s’agirait simplement de dégager ce qui fait cette spécificité. Il ne faudra pas cependant tenir ce présupposé pour acquis.

Problématique

Qu'est-ce qui distingue le langage humain des autres modes de communication? En quoi le langage humain est-il spécifique?

La capacité de communiquer grâce à un code n’est pas propre à l’espèce humaine (Langage au sens 1)

Tout être vivant (même la plante!) communique avec son milieu et tout animal social doit pouvoir communiquer avec ses congénères. Donc, SI « Langage » = Tout moyen de communication, ALORS le langage n’est pas spécifiquement humain.

Exemples :

La danse des abeilles, les codes d’expression corporelle chez les mammifères. Les chants des oiseaux. Les ultrasons des mammifères marins.

Références :

Études de Von Frisch sur le langage des abeilles. Comparaison de Benveniste entre le langage humain et le langage des abeilles.

Mais

Tous les moyens de communication sont-ils équivalents ? Le langage humain n'est-il qu'un moyen de communication comme un autrte?

Spécificité du langage humain comme système de signes. (Langage au sens 2)

Si le langage humain est, comme le prétend Benveniste, autre chose qu’un simple code de signaux, en quoi consiste sa spécificité ?

a- La différence entre un signe et un signal

Le langage humain est un système de signes. (Union conventionnelled’un signifiant et d’un signifié.) Cf. La définition su signe linguistiquepar Ferdinand de Saussure.

Un signe renvoie à une signification; un signal provoque uneréaction. La fonction d’un signal est purement conative.

Dans sa fonction conative, le langage humain fonctionne comme un signal, mais il a aussi d’autres fonctions.

Les signaux de la communication animale sont génétiquement déterminés. Ils ont une fonction fixe (en général étroitement reliée à la survie) plutôt qu’une véritable signification. Les signes linguistiques sont au contraire conventionnels et multifonctions.

Référence : Benveniste sur le langage des abeilles

b- La double articulation

Le langage humain est un système de signes.Les éléments significatifs de base (les monèmes ou morphèmes), non décomposables en éléments significatifs plus simples, se combinent pour former des éléments significatifs complexes. C'est le premier niveau d'articulation. Les éléments non significatifs de base (phonèmes) se combinent pour former des éléments significatifs de base. C'est le deuxième niveau d'articulation.

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Premier niveau d’articulation:monème + monème = ensemble significatif

complexe

Ex.: je + pens + e = je penseauto + mobile = automobile

Deuxième niveau d’articulation :phonème + phonème = ensemble

significatif simple (monème)

Ex.: j + e = je

Conséquense :

Pouvoir informatif virtuellement illimité (rien n’est en principe inexprimable puisqu’on peut toujours renouveler le vocabulaire et inventer de nouveaux discours) à partir d’une économie remarquable de moyens (les éléments non significatifs sont en nombre limité).

Possibilité de la fonction métalinguistique. On peut utiliser le langage pour parler du langage (le langage est alors utilisé comme une métalangue)

Référence : Martinet sur la double articulation.

c- Le système d’opposition

= Les éléments de la langue ne valent pas isolément mais en fonction de l’ensemble des éléments disponibles dont ils se distinguent et auxquels ils sont associés.Référence : Saussure, "Dans la lange, il n'y a que des différences".

Conséquence : Pouvoir expressif de la langue à l’oeuvre en particulier dans la fonction poétique qui joue à la fois sur les jeux de sonorités et l’évocation des significations (métaphores, figures de style...)

Le langage humain comme système de signes est donc bien différent des modes de communication animale. Mais on peut aller plus loin et se demander si la possibilité de développer et d’utiliser un tel système de signes n’est pas indispensable au développement de ce qui est spécifiquement humain : la pensée et la conscience de soi.

En quoi le langage comme faculté est-elle le propre de l’homme?

Le langage comme faculté d’utiliser une langue est indispensable au développement de ce qui est spécifiquement humain. (Langage au sens 3) = Problématique du lien entre langage et pensée.

a- Le langage, faculté indispensable pour la pensée et la conscience de soi

Le langage serait une condition suffisante de la pensée. Être capable de parler, c’est faire preuve de conscience de soi, de réflexion, donc de pensée.Référence : Texte de Descartes : Lettre au Marquis de Newcatle

Le langage serait une condition nécessaire, non pas de la pensée en général, mais du moins de la pensée conceptuelle et abstraite.Référence :    Delacroix : « La pensée sans le langage n’est qu’une nébuleuse. »

Le langage serait donc indissociable du développement des facultés proprement humaines.Exemple : Les enfants sauvages, privés de langage, donc privés d’un développement intellectuel normal.

b- Cette faculté est-elle exclusivement humaine?

Apprentissage du langage des sourds-muets par les primates supérieurs. (Ex. l'expérience faite avec Koko, une guenon). Mais les études sur la communication des primates dans leur milieu naturel se révèlent plus intéressantes que ces expériences. Il y a une différence entre être capable d’utiliser (de façon limitée) un langage au sens fort (doublement articulé) et 1) être capable de

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développer un tel langage, 2) l'utiliser spontanément et 3) en avoir besoin pour développer normalement ses facultés.

=> Nous sommes de fait les seuls à avoir une telle faculté, même si cette faculté n’est pas en principe exclusivement humaine.

Conclusion

Il y a bien une spécificité du langage humain, mais cela ne veut pas dire que la faculté de communiquer linguistiquement soit exclusivement humaine. Il demeure cependant que cette faculté est spécifiquement humaine en ce sens que l’humanité dans ce qu’elle a d’essentiel, à savoir la pensée et la conscience de soi, ne peut pas se développer sans le langage, système de signes conventionnel et doublement articulé.