la notion d'exception en droit constitutionnel français
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UNIVERSITE PARIS I PANTHEON-SORBONNE
FACULTE DE DROIT
Anne 2013
Thse de Doctorat
Discipline : droit public
Soutenue publiquement le 27 mai 2013 par :
Thi Hong NGUYEN
LA NOTION DEXCEPTION EN DROIT CONSTITUTIONNEL
FRANAIS
Directeur de thse :
Monsieur le Professeur Bertrand MATHIEU
JURY :
Monsieur Xavier BIOY Professeur lUniversit Toulouse 1 Capitole. Rapporteur Madame Aude ROUYERE Professeur lUniversit Montesquieu Bordeaux IV. Rapporteur Monsieur Michel TROPER Professeur mrite de lUniversit Paris X Nanterre. Monsieur Michel VERPEAUX Professeur lUniversit Paris I Panthon-Sorbonne Monsieur Bertrand MATHIEU Professeur lUniversit Paris I Panthon-Sorbonne. Directeur de thse
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Avertissement La Facult nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans cette thse : ces opinions doivent tre considres comme propres son auteur.
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Remerciements
Mes remerciements vont en premier lieu Monsieur le Professeur Bertrand MATHIEU pour
ses prcieux conseils et son soutien constant tout au long de ces annes de recherches.
Je tiens galement remercier Madame le Professeur Aude Rouyre ainsi que Messieurs les
Professeurs Xavier Bioy, Michel Troper et Michel Verpeaux pour avoir accept de siger
dans mon jury et de lire ce travail.
Que tous mes amis et ma famille ayant contribu, de prs comme de loin, llaboration de ce
travail trouvent en ces lignes lexpression de ma profonde reconnaissance.
Quant Mickal, sa place est bien au-del de ces lignes.
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Liste des abrviations
A.I.J.C. Annuaire international de justice constitutionnelle
A.J.D.A. Actualit juridique. Droit administratif
A.P.D. Archives de la philosophie du droit
art. cit Article dj cit
Ass. Assemble du contentieux du Conseil dEtat
Ass. pln. Assemble plnire
Bull. civ. Bulletin des arrts de la chambre civile de la Cour de cassation
C.C.C. Cahiers du Conseil Constitutionnel
C.E. Conseil dEtat
C.E.D.H. Cour europenne des droits de lhomme
Chron. chronique
coll. collection
concl. conclusions
cons. considrant
Cour de cass. civ. Cour de cassation, chambre civile
Cour de cass. Crim. Cour de cassation
C.R.D.F. Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux
Dalloz Recueil Dalloz
dc. prc. Dcision prcite
dir. Sous la direction de
Droits Revue franaise de thorie juridique, de thorie et de culture
juridiques
et al. et alii
d. dition
gal. galement
Fasc. Fascicule du juris-classeur
G.A.J.A. Les grands arrts de la jurisprudence administrative
G.D.C.C. Les grandes dcisions du Conseil constitutionnel
Ibid. Ibidem
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J.C.P. La semaine juridique. Edition gnrale
J.O. Journal officiel de la Rpublique franaise
L.G.D.J. Librairie gnrale de droit et de jurisprudence
L.P.A. Les Petites Affiches
obs. observation
op. cit. opus citatum
P.U.A.M. Presses Universitaires dAix-Marseille
P.U.F. Presses Universitaires de France
R.D.P. Revue du droit public et de la science politique en France et
ltranger
Rec. Recueil Lebon
Rec. CC Recueil du Conseil constitutionnel
Rec. C.E.D.H. Recueil des arrts et dcisions de la Cour europenne des droits de
lhomme
Req. n Requte numro
R.F.D.A. Revue franaise de droit administratif
R.F.D.C. Revue franaise de droit constitutionnel
R.F.S.P. Revue franaise de science politique
R.G.D.I.P. Revue gnrale de droit international public
R.R.J. Revue de la recherche juridique Droit prospectif
R.T.D. civ. Revue trimestrielle de droit civil
R.T.D.H. Revue trimestrielle des droits de lhomme
spc. spcialement
s. suivantes
t. tome
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SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : LA DEFINITION DE LA NOTION DEXCEPTION
Titre 1. Lidentification de lexception partir de la rgle de droit
Chapitre 1. La consubstantialit entre la rgle et lexception
Chapitre 2. Lambivalence des dfinitions de lexception proposes par la doctrine
Titre 2. Proposition de dfinition de la notion dexception en droit constitutionnel franais
Chapitre 1. La signification de la notion dexception : la rgle de limitation
Chapitre 2. Linterprtation stricte de la norme dexception et sa distinction des notions voisines
DEUXIEME PARTIE : UTILISATION DE LA NOTION DEXCEPTION EN DROIT CONSTITUTIONNEL FRANAIS
Titre 1. Lutilisation de la notion dexception dans la rsolution des conflits de normes en droit constitutionnel franais
Chapitre 1. Lapport de la notion dexception la rsolution des normes antinomiques
Chapitre 2. Lutilisation implicite de la notion dexception travers linterdiction de labus de droit et les notions de devoir et de responsabilit
Titre 2. Le principe constitutionnel de ncessit et de proportionnalit, rgime juridique de lexception
Chapitre 1. La subordination de lexception au principe de ncessit et de proportionnalit : limite de la norme de limitation
Chapitre 2. La notion dexception comme la ralisation de lquilibre dans la conciliation des droits en conflit
CONCLUSION GENERALE
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INTRODUCTION GENERALE
Il est de ces thmes qui dcouragent lanalyse : la fois trop connus et toujours
insaisissables, ils rsistent la conceptualisation et la classification. L exception est
assurment de ceux-l1. Si elle est souvent utilise dans le langage courant comme synonyme
de quelque chose qui est rare et hors du commun ou qui nest pas courant ni ordinaire,
lexception suscite intuitivement dans le langage juridique la rprobation et la mfiance.
Associe au droit , elle sapparente premire vue un droit anormal et exorbitant . En
voquant demble lide de drogation tantt au droit commun, tantt un principe ou une
rgle de justice, lexception est donc un droit drogatoire et ingalitaire . A ce titre, elle
doit tre encadre par la rgle dinterprtation stricte. Ce constat sexplique sans doute dune
part par son contexte historique dapparition (1) et dautre part par la focalisation de la
doctrine juridique sur les notions de circonstances exceptionnelles et dtat dexception (2).
Ces deux facteurs ont, selon la majorit des auteurs doctrinaux, priv lexception de son
caractre scientifique et du bnfice dtre une notion juridique au contenu bien dfini.
Toutefois, ce constat doctrinal de lindtermination de lexception ou plus prcisment de
limpossibilit de la dfinir conceptuellement nest pas un obstacle dirimant notre tude ; il
lui donne au contraire tout son intrt (3). Notre thse tente donc de remdier, du moins en
partie, limprcision entourant lexception en droit constitutionnel en proposant une
dfinition juridique de cette notion.
1. Lhistoire de lexception
Ltude de lexception en tant que notion juridique ncessite notre sens un bref
expos de son contexte historique dapparition. Lexception a fait ses premires apparitions en
droit priv (A). Elle est ensuite apprhende par le droit public moderne et plus prcisment
par le droit constitutionnel (B).
1 Nous reprenons ici la formule de Franois Ost et Michel van de Kerchove propos des difficults de dfinir linterprtation. Ces difficults de dfinition concernent galement la question de la distinction entre le droit commun et le droit exceptionnel et plus prcisment celle de la dfinition des exceptions en droit. Franois Ost et Franois Ost et Michel van de Kerchove, Interprtation , A.P.D., 1990, n 35, p. 165-190.
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A. Le contexte dapparition de lexception en droit priv
Ayant ses origines dans le droit romain, lexception dsigne initialement la limitation
prtorienne du formalisme strict impos par le jus civile (1). Soumise ensuite ladage
exceptio est strictissimae interpretationis , lexception est progressivement assimile au jus
singulare cest--dire au droit au contenu exorbitant et anormal (2). Cette assimilation
explique sans doute le caractre ambivalent de lexception lorsquelle sert qualifier les
textes juridiques.
1. Lexception comme le moyen de dfense dans une procdure civile
En droit romain, lexception a t un moyen de dfense accorde par le prteur au
dfendeur pour quil puisse prsenter ses objections face aux prtentions du demandeur dans
un procs civil. Sous la plume de Raymond Carr de Malberg, lexception a t analyse et
explique comme lune des techniques procdurales cres par les prteurs lpoque
romaine afin dattnuer la rigueur du droit romain due son formalisme excessif2. En ce sens,
les exceptions de procdure en droit romain dsignent la limitation de lapplication stricte et
rigoureuse du formalisme rgissant le droulement du procs prvu par ce droit.
En effet, en droit romain primitif, les actions de la loi ne tolrent ni initiative, ni
crativit et enserrent les parties et le juge dans un cadre formaliste trs strict3. Aucune
objection du dfendeur nest prise en compte alors que celui-ci peut tre de bonne foi et se
trouver en face dun demandeur qui a utilis le dol ou la fraude dans laccomplissement des
actes juridiques. Ds lors, lintroduction de lexception dans la procdure formulaire est
luvre du prteur afin de tenir compte de la bonne foi et des objections du dfendeur. En
effet si les objections du dfendeur formules dans les exceptions sont bien fondes, elles
paralysent laction du demandeur et produisent une influence sur le fond du diffrend cest--
dire sur la condamnation4. Ainsi, lexception de dfense a pour but de limiter le formalisme
2 Raymond Carr de Malberg, Histoire de lexception en droit romain et dans lancienne procdure franaise, Paris, A. Rousseau, 1887, p. 11. 3 Raymond Carr de Malberg, Histoire de lexception en droit romain et dans lancienne procdure franaise, op. cit., p. 14. 4 Sous la direction de Charles Victor Daremberg et Edmont Saglio, Dictionnaire des antiquits grecques et romaines, rd. Paris Hachette, 1877, t. 2 partie 1. D-E. Voir exception . En rsum, dans la procdure formulaire du droit romain, la formule est un acte crit par lequel le magistrat donnait laction (actio, formula, judicium), cest--dire le droit daller plaider devant un juge. Lcrit ou la formule contenait toujours une partie appele intentio, dans laquelle la prtention du demandeur tait formule. Lintentio tait ordinairement prcde dune demonstratio, cest--dire lexpos trs succinct des faits qui avaient donn lieu au litige et presque toujours suivi dune condamnatio, cest--dire le pouvoir donn au juge de condamner ou dabsoudre le
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excessif du droit romain pour prendre en compte la bonne foi des parties au procs. Elle
manifeste par consquent lide de lapplication limite dun droit trop rigoureux en vue
dassurer une certaine quit.
Ne lpoque du droit romain, lexception de dfense explicite un antagonisme dans
le droit romain. Elle voque en ralit lopposition entre le jus civile et le jus honorarium et
veille lide dun moyen prtorien par opposition aux moyens civils5 comme la rsum
Raymond Carr de Malberg, si le moyen procdural de dfense invent par le prteur porte
le nom exception, cest parce qu lpoque, la lgislation romaine tait divise en jus civile et
jus honorarium, le premier tant suprieur la seconde. Le prteur ne se bornait qu
appliquer de faon systmatique le jus civile. Le caractre exceptionnel des moyens de
dfense du prteur vient dabord de son origine purement prtorienne mais surtout de la
paralysie quil provoque lgard du jus civile . Ainsi lexception de dfense en droit romain
se caractrise par la limitation quapporte le prteur au jus civile (loi). Elle est exceptionnelle
parce quelle limite dune part le formalisme du jus civile auquel les romains sont trs attachs
et dautre part le principe hirarchique selon lequel les arrts du juge (jus honorarium) sont
subordonns la loi (jus civile) et ne peuvent le contredire. Si elle a t motive tant par les
considrations dquit que par lquilibre des moyens de dfense accords aux parties dans
un procs6, cette exception de dfense nen demeure pas moins le signe de lmancipation du
juge de la loi.
Toutefois cette exception, parce quelle se fonde sur lquit et quelle limite le jus
civile (loi), doit connatre des limites afin de ne pas mconnatre la volont du lgislateur. Le
respect des termes de la loi invite le juge limiter linterprtation de la loi selon le seul critre
dquit. En effet, linterprtation selon lquit rendrait la loi inutile. De mme, le
formalisme prvu par le jus civile est certes rigide ou excessif mais il permet de garantir la
scurit du droit, or limiter ce formalisme revient sacrifier cette scurit. Si lexception de
dfendeur. Les actions en partage ainsi que laction finium regundorum contenaient encore une adjudicatio cest--dire le pouvoir pour le juge dattribuer aux plaideurs les choses qui faisaient lobjet de linstance. Le pouvoir du juge est limit par la formule dlivre par le magistrat. Par consquent, si le dfendeur voulait repousser la demande autrement que par une contradiction directe de lintentio, il devait demander au magistrat dautoriser le juge tenir compte des faits quil voulait invoquer, en insrant une exceptio dans la formule, cest--dire une restriction la condamnation. Le juge ne devait alors condamner le dfendeur quaprs avoir constat que lintentio tait bien fonde et que lexceptio tait mal fonde. Le demandeur qui voulait contredire lexceptio, mais seulement de manire indirecte, devait insrer dans la mme formule une replicatio. 5 Raymond Carr de Malberg, Histoire de lexception en droit romain et dans lancienne procdure franaise, Paris, A. Rousseau, 1887, p. 12. 6 Joseph Destouet, Caractres gnraux des exceptions sous le systme formulaire : droit romain ; Du bail colonat partiaire : droit franais, Paris, C. Lebas, 1885,247 p.
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dfense est justifie par lquit, il nen demeure pas moins quelle risque, par son application
extensive, de mconnatre lesprit de la loi et la scurit du droit. Elle nest ds lors accepte
dans le droit romain qu condition dtre soumise ladage dinterprtation stricte. Du fait de
sa subordination cet adage, lexception est progressivement assimile au jus singulare
romain cest--dire un droit au contenu drogatoire au droit commun. Le jus singulare est
qualifi par les romains de droit ingalitaire et odieux.
2. De linterprtation stricte de lexception son assimilation au jus singulare
Dans sa thse portant sur linterprtation stricte des lois7, le professeur Lebeau a
retrac lvolution des significations que va connatre lexception. Selon le professeur, de
manire gnrale, linterprtation stricte concerne en droit romain le jus singulare qui est
un droit particulier et anormal introduit sous lautorit du lgislateur contre les rgles
ordinaires pour des raisons dutilit publique8. Si le jus singulare et lexception de dfense
cre par le prteur en droit romain sont tous les deux soumis linterprtation stricte, il nen
demeure pas moins que le jus singulare se diffrencie de lexception parce quil est un droit
adopt par le lgislateur et quil droge en partie au droit commun. Linterprtation stricte du
jus singulare signifie que le juge ne doit pas tendre par raisonnement analogique le droit
particulier et anormal des cas que ce droit na pas vis. Elle sexplique par les
renseignements tirs du De Legibus selon lesquels les usages reus contre les dcisions des
lois ne doivent jamais tirer consquence. On ne peut point appliquer les rgles du droit ce
qui est introduit contre les dcisions des lois 9. Dans le droit de Justinien donc, les rgles sont
claires : on ne doit pas tendre le jus singulare . Il en va de mme des lois pnales
qualifies de lois dfavorables, propos desquelles il faut retenir linterprtation empreinte du
plus de bnignit 10.
Linterprtation stricte est ensuite utilise par les glossateurs et les post-glossateurs
pour encadrer les textes qualifis de contraires lquit ou trop rigoureux qui correspondent
dune part aux lois pnales et dautre part aux textes exorbitants du jus commune11. Les textes
7 Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, t. 48, Paris, Defrnois, coll. Doctorat & Notariat, 2012, p. 20. 8 Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, op. cit., p. 20. 9 Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, op. cit., p. 20., notes infrapaginales, nos 21, 22 et 23. 10 Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, op. cit., p. 20. 11 Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, op. cit., p. 21.
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exorbitants renferment en ralit le jus singulare romain et ce titre, sont souvent considrs
comme textes anormaux , aberrant[s], hors de lordinaire... par rapport un type ou une
rgle 12. Ils constituent un droit drogatoire au contenu du droit commun. Au vu de cette
clarification du jus singulare cest--dire des textes exorbitants et odieux, lexception ne
devrait tre confondue ni avec le jus singulare, ni avec le texte exorbitant parce quelle nest
quune limitation de procdure dorigine prtorienne et justifie par lquit. Toutefois tant
soumise la rgle dinterprtation stricte, lexception nchappe pas cette confusion et se
voit attribue une nouvelle signification : anormal et exorbitant. Ainsi, de sa nature initiale
dune limitation faite par le prteur au formalisme excessif du jus civile, lexception se mue
en texte exorbitant cest--dire en jus singulare.
Lidentification de lexception au jus singulare devient dfinitive dans le droit priv
contemporain qui applique la rgle dinterprtation stricte tout texte exceptionnel. Ainsi que
la soulign le professeur Lebeau aprs lentre en vigueur du Code civil, en 1804, la
majorit de la doctrine va assimiler le texte exceptionnel au jus singulare romain 13. Cette
assimilation a de lourdes consquences sur lexception ; celle-ci est dsormais considre
tantt comme le texte exorbitant et drogatoire au droit commun, tantt comme les lois
tablies contre la raison du droit ou encore comme des lois dfavorables et odieuses. 14
Afin de nuancer cette assimilation, Savigny tente de distinguer lexception du jus
singulare. Selon lauteur, lpoque romaine, le jus singulare qui est le droit de privilge ou
droit exorbitant est considr comme un droit anormal parce quil soppose au jus commune
qui dsigne le droit galitaire15. Le droit dexception nest pas en revanche synonyme de jus
singulare : le droit normal (jus commune) qui est le droit pur (strictum jus, aequitas) dduit
logiquement des principes (ratio juris) alors que le droit dexception constitue les limites, les
bornes ou les tempraments au droit commun. Ce sont des mesures issues des considrations
pratiques (utilitas boni mores) que lvolution de la socit dut faire admettre 16. Quil soit
une limite au formalisme strict ou quil droge en partie au droit commun, le droit dexception
ne peut donc selon Savigny tre entirement assimil au jus singulare (droit anormal).
12 Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, op. cit., p. 22. 13 Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, op. cit., p. 26. 14 Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, op. cit., p. 24-25. 15 Friedrich Carl von Savigny, Trait de droit romain, prface de Herv Synvet, traduit par Ch. Gunoux, Paris, L.G.D.J., Paris, Panthon-Assas, coll. Les Introuvables Droit priv, 2002, rd. de ld. de 1840, Paris, Firmin Didot, p. 281- 287. 16 Friedrich Carl von Savigny, Trait de droit romain, op. cit., p. 281- 287.
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Se situant dans le mme esprit, Laurent note que dduire de ladage dinterprtation
stricte lassimilation de lexception au jus singulare romaine semble abusif17. En effet, il
relve les incertitudes relatives lextension de ladage dinterprtation stricte lexception :
mais que faut-il entendre par exception ? Est-ce toute disposition de la loi qui droge un
principe gnral ? Cest bien en ce sens que lon entend notre brocard. Il y a cependant
quelques doutes. Le principe vient du droit romain ; or les jurisconsultes, quand ils disent
quil ne faut pas tendre les dispositions exceptionnelles, comprennent par l le droit
exorbitant, cest--dire les lois tablies contre la raison du droit . Il en rsulte que, selon
Laurent, ladage dinterprtation stricte ncessite au pralable de distinguer les exceptions
tablies contres la raison du droit, et donc exorbitantes, de celles qui ne le sont pas. Or
Laurent na propos aucun critre de distinction oprationnel.
Cest sous la plume de Delisle que la distinction entre lexception et le jus singulare
semble apparatre. Selon Delisle, les lois gnrales rgissant le genre peuvent leur tour faire
exception dautres lois plus gnrales ; ds lors le caractre exceptionnel de certaines lois est
contingent, purement formel, insuffisant justifier leur interprtation stricte18. Les lois
exceptionnelles ne relvent pas toutes du droit anormal puisque certaines dentre elles
dsignent un droit rgissant un sous-genre. Ainsi que note lauteur ni la raison, ni lautorit
des lois romaines nont tabli de diffrence entre lois qui rgissent le genre et qui, sous ce
rapport, sont des lois gnrales, et celles qui rgissent le sous-genre et, sous ce rapport, sont
des lois exceptionnelles 19.
Se dessine dans luvre de Delisle leffort de distinguer lexception, cest--dire le
droit exceptionnel, du droit commun, et de la dfinir. Lexception associe au droit (droit
exceptionnel) semble, dun point de vue formel, relever des lois rgissant le sous-genre par
opposition au droit commun qui rgit le genre. Cette ide a t reprise et dveloppe dans la
thse de Vander Eycken20 : sinterrogeant sur ce quest une exception, lauteur rpond que
cest une limitation spciale 21. Il dtaille ensuite les caractristiques de lexception :
17 Franois Laurent, Principes de droit civil, Bruxelles, Bruylant-Christophe, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1869, p. 351 cit par Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, op. cit. 18 Georges Delisle, Trait de linterprtation juridique, en dautres termes, des questions auxquelles donne naissance lapplication des lois, examen critique de la jurisprudence moderne, t. 2, Paris, Louis Delamotte, 1849, p. 380 et s. 19 Georges Delisle, Trait de linterprtation juridique, en dautres termes, des questions auxquelles donne naissance lapplication des lois, examen critique de la jurisprudence moderne, op. cit., p. 380 et s. 20 Paul Vander Eycken, Mthode positive de linterprtation juridique, Bruxelles, Falk, 1906, p. 130 puis p. 278-289. 21 Paul Vander Eycken, Mthode positive de linterprtation juridique, op. cit., p. 278.
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quand la loi a une trop grande extension, une autre sert la restreindre et constitue une
exception. Cette exception est plus spciale que la rgle quelle restreint, ajoutant des
caractres particuliers lhypothse de la rgle gnrale, ayant moins dextension que celle-
ci 22. Toutefois, lauteur na pas expliqu pourquoi lexception dfinie comme la simple
limitation de la gnralit du droit commun doit tre soumise au mme titre que le droit
anormal, exorbitant, ladage dinterprtation stricte. De mme, aucune distinction entre le
droit exceptionnel, cest--dire le droit ayant une porte limite, et le droit au contenu anormal
et exorbitant (jus singulare) nest propose.
De ce retour la source de lexception, un constat simpose. En droit priv,
lexception est la fois protiforme et polysmique. Elle renferme de surcrot une
ambivalence. En effet, dun point de vue matriel, elle semble relever dun droit anormal,
exorbitant et dfavorable (jus singulare). Le texte exceptionnel est donc contraire aux
principes gnraux dune bonne lgislation et doit ce titre se soumettre la rgle
dinterprtation stricte23. Dun point de vue formel, lexception peut tre dfinie comme un
droit rgissant un sous-genre cest--dire un droit ayant une porte (champ dapplication)
moins grande que celle du droit commun. Elle rpond alors la raison de la loi au mme titre
que le droit commun24. Le texte exceptionnel nest donc ni anormal, ni dfavorable. Il est
conforme aux principes gnraux dune bonne lgislation25. Mais deux questions se posent
alors : pourquoi le texte exceptionnel doit-il tre soumis ladage dinterprtation stricte ?
Quel critre permet de diffrencier le droit exceptionnel rgissant le sous-genre du droit
exceptionnel ayant un contenu exorbitant et odieux ? Les auteurs nont pas rellement apport
de rponse ces deux questions.
Si lexception demeure une notion ambivalente et polysmique en droit priv, il faut
prsent sinterroger si elle est mieux apprhende par le droit constitutionnel. Il sagit en effet
de savoir si le droit constitutionnel recourt lusage de lexception et comment il dfinit cette
notion. Afin de rpondre ces questions, un bref retour sur les premires apparitions de
lexception dans les textes constitutionnels franais savre ncessaire.
22 Paul Vander Eycken, Mthode positive de linterprtation juridique, op. cit., p. 279-283. 23 Georges Delisle, Trait de linterprtation juridique, en dautres termes, des questions auxquelles donne naissance lapplication des lois, examen critique de la jurisprudence moderne, op. cit., p. 383. 24 Grard Cornu, Droit civil approfondi : l'apport des rformes rcentes du code civil la thorie du droit civil, Paris, les Cours de droit, 1970-1971, p. 211. 25 Georges Delisle, Trait de linterprtation juridique, en dautres termes, des questions auxquelles donne naissance lapplication des lois, examen critique de la jurisprudence moderne, op. cit., p. 383.
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B. Labsence de dfinition de lexception dans les textes constitutionnels franais
Mettant fin lAncien Rgime, les constituants rvolutionnaires de 1789 ont substitu
aux lois fondamentales du royaume la Constitution. Malgr sa polysmie, la Constitution peut
globalement tre dfinie comme un ensemble de rgles suprmes ayant pour but dorganiser
dune part le fonctionnement de lEtat et de ses institutions et dautre part les rapports entre
les gouvernants et les gouverns (Etat et citoyens). Plus prcisment, la Constitution
dtermine les rgles de fonctionnement de lEtat et nonce les droits et liberts au profit des
citoyens. Au vu de cette dfinition sommaire de la Constitution, deux questions se posent :
lexception ou la rgle exceptionnelle a-t-elle sa place dans la Constitution ? Quelle ralit
recouvre cette notion ?
La rponse ces questions ncessite lidentification des rfrences constitutionnelles
explicites lexception. A cet gard, les textes constitutionnels historiques sont riches
denseignements26. Il parat notre sens important de connatre le contexte dapparition de
lexception en droit constitutionnel et le sens primitif ou historique confr par les
constituants cette notion. Dans un souci de clart, les noncs se rfrant lexception
seront ici mis en caractre gras. Ainsi lalina 4 du prambule de la premire Constitution
adopte par les constituants en 1791 voque lexception en ces termes : Il n'y a plus, pour
aucune partie de la Nation, ni pour aucun individu, aucun privilge, ni exception au droit
commun de tous les Franais . Lexception semble dans ce contexte dsigner un droit de
privilge et donc drogatoire au droit commun.
La section II de cette mme constitution de 1791 prvoyait dix articles dterminant la
tenue des sances et la forme de dlibration des actes lgislatifs et excutifs. Elle introduit
lexception lensemble de ces dispositions en adoptant larticle 11 au terme duquel : sont
excepts des dispositions ci-dessus, les dcrets reconnus et dclars urgents par une
dlibration pralable du Corps lgislatif ; mais ils peuvent tre modifis ou rvoqus dans le
cours de la mme session [...] . Lexception voque ici lexclusion ou la soustraction dune
catgorie dactes en raison de lurgence des dispositions constitutionnelles prvues.
A propos de ladoption de la loi et de la rvision constitutionnelle, larticle 109 de la
Constitution de 1795 (Fructidor an III) dispose que except dans le cas de l'article 102,
aucune proposition de loi ne peut prendre naissance dans le Conseil des Anciens .
26 Lensemble des textes constitutionnels historiques sont tirs de http://www.conseil-constitutionnel.fr.
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15
Larticle 343 de cette mme Constitution de 1795 nonce que tous les articles de la
Constitution, sans exception, continuent d'tre en vigueur tant que les changements proposs
par l'Assemble de rvision n'ont pas t accepts par le peuple . La locution sans
exception semble impliquer lide selon laquelle aucune limitation de la rgle gnrale nest
admise.
Larticle 93 de la Constitution de 1799 (Frimaire an VIII) est ainsi rdig : la Nation
franaise dclare qu'en aucun cas elle ne souffrira le retour des Franais qui, ayant
abandonn leur patrie depuis le 14 juillet 1789, ne sont pas compris dans les exceptions
portes aux lois rendues contre les migrs ; elle interdit toute exception nouvelle sur ce
point [...]. Deux rfrences explicites au terme exception semblent rappeler lide de
limitation porte la gnralit de la loi.
Larticle 8 de la Charte constitutionnelle du 14 aot 1830 nonce que : toutes les
proprits sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la loi
ne mettant aucune diffrence entre elles . La locution sans aucune exception peut tre
interprte comme linterdiction dtablir des traitements diffrents. Larticle 17 de cette
Charte prvoit que la proposition de la loi est porte, au gr du roi, la Chambre des pairs
ou celle des dputs, except la loi de l'impt, qui doit tre adresse d'abord la Chambre
des dputs .
On trouve trois rfrences explicites lexception dans la Constitution de 1848.
Larticle 9 de cette constitution dispose que l'enseignement est libre. - La libert
d'enseignement s'exerce selon les conditions de capacit et de moralit dtermines par les
lois, et sous la surveillance de l'Etat. - Cette surveillance s'tend tous les tablissements
d'ducation et d'enseignement, sans aucune exception .
Larticle 28 apporte lexception aux articles 26 et 27 de la Constitution de 1848 en
disposant que toute fonction publique rtribue est incompatible avec le mandat de
reprsentant du peuple. - Aucun membre de l'Assemble nationale ne peut, pendant la dure
de la lgislature, tre nomm ou promu des fonctions publiques salaries dont les titulaires
sont choisis volont par le pouvoir excutif. - Les exceptions aux dispositions des deux
paragraphes prcdents seront dtermines par la loi lectorale organique .
Enfin, larticle 102 prvoit que tout Franais, sauf les exceptions fixes par la loi,
doit le service militaire et celui de la garde nationale. - La facult pour chaque citoyen de se
librer du service militaire personnel sera rgle par la loi du recrutement . Ces trois
renvois lexception semblent voquer lide selon laquelle loi peut tre absolue (sans aucune
exception) mais quelle peut galement tre relative lorsquelle renferme lexception.
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Larticle 20 de la Constitution de 1852 dispose que les proprits du domaine priv
sont, sauf l'exception porte en l'article prcdent27, soumises toutes les rgles du Code
Napolon ; elles sont imposes et cadastres .
On trouve galement trois rfrences lexception dans la Constitution de 1946. Aux
termes de larticle 28, Les traits diplomatiques rgulirement ratifis et publis ayant une
autorit suprieure celle des lois internes, leurs dispositions ne peuvent tre abroges,
modifies ou suspendues qu' la suite d'une dnonciation rgulire, notifie par voie
diplomatique. Lorsqu'il s'agit d'un des traits viss l'article 27, la dnonciation doit tre
autorise par l'Assemble nationale, exception faite pour les traits de commerce .
Larticle 52 prvoit qu en cas de dissolution, le Cabinet, l'exception du prsident
du Conseil et du ministre de l'intrieur, reste en fonction pour expdier les affaires
courantes .
Larticle 97 de cette mme constitution se rfre lexception en ces termes : en cas
de circonstances exceptionnelles, les dputs en fonction lAssemble nationale
constituante pourront, jusqu la date prvue larticle prcdent, tre runis par le bureau
de lAssemble soit de sa propre initiative, soit la demande du gouvernement .
Si ces textes constitutionnels ne sont plus en vigueur, ils fournissent toutefois des
renseignements utiles sur lexception. Celle-ci nest pas une notion propre au droit priv mais
relve galement du droit public et plus prcisment du droit constitutionnel. Cependant la
rfrence explicite lexception dans ces textes constitutionnels ne semble pas rduire la
polysmie de cette notion. Celle-ci, transpose en droit constitutionnel, voque toujours tantt
la limitation de la gnralit de la loi (est exceptionnel le droit qui rgit le sous-genre), tantt
la diffrence de traitement (droit drogatoire et ingalitaire). En ce sens, lexception signifie
lexclusion, la soustraction dune catgorie dactes, dindividus, des rgles de droit commun
pour la soumettre un droit anormal (jus singulare romain). Lorsquelle est utilise comme
un adjectif qualificatif (exceptionnel), lexception suscite intuitivement lide danomalie ou
dextraordinaire.
Cette polysmie de lexception trouve une certaine continuit dans la Constitution en
vigueur. En effet, lalina 4 de larticle 7 de la Constitution adopte par le rfrendum le 4
octobre 1958 dispose qu en cas de vacance de la Prsidence de la Rpublique pour quelque
27 Larticle 19 de la Constitution de 1852 prvoit que lempereur peut disposer de son domaine priv sans tre assujetti aux rgles du Code Napolonien sur la quotit disponible. Sil nen a pas dispos, les proprits du domaine priv font retour au domaine de lEtat et font partie de la dotation de la couronne .
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cause que ce soit, [...], les fonctions du prsident de la Rpublique, lexception de celles
prvues aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exerces par le Prsident du
Snat et, si celui-ci est son tour empch dexercer ces fonctions, par le Gouvernement .
Lalina 4 de larticle 21 prvoit que le Premier ministre peut titre exceptionnel
suppler le Prsident de la Rpublique pour la prsidence dun Conseil des ministres en vertu
dune dlgation expresse et pour un ordre du jour dtermin .
Larticle 16 de cette mme Constitution attribue les pouvoirs exceptionnels au
Prsident de la Rpublique en cas de circonstances exceptionnelles. Lalina 1 de larticle 16
nonce que lorsque les institutions de la Rpublique, lindpendance de la Nation,
lintgrit de son territoire ou lexcution de ses engagements internationaux sont menacs
dune manire grave et immdiate et que le fonctionnement rgulier des pouvoirs publics
constitutionnels est interrompu, le Prsident de la Rpublique prend les mesures exiges par
ces circonstances [...] .
Lalina 6 de cet article 16 dispose qu aprs trente jours dexercice des pouvoirs
exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut tre saisi par le Prsident de lAssemble
nationale [...] .
Il rsulte de ce bref expos des rfrences constitutionnelles expresses lexception
deux constats. Premirement, lexception nest pas la spcificit du droit priv, elle appartient
galement au droit public et notamment au droit constitutionnel. Deuximement, si les
constituants emploient et insrent lexception dans les textes constitutionnels, ils nont en
revanche donn aucune dfinition prcise de ce terme. Polysmique et protiforme,
lexception est de surcrot souvent tudie au prisme de la thorie des circonstances
exceptionnelles et de ltat dexception. Ce qui rend difficile, selon une majeure partie de la
doctrine, llaboration dune notion juridique dexception aux contours bien dfinis en droit
public et plus particulirement en droit constitutionnel.
2. La focalisation de la majeure partie de la doctrine sur les circonstances
exceptionnelles
A cause de sa polysmie, lexception, lorsquelle sopre en droit public ou en droit
constitutionnel, ne semble pas possder une consistance prcise. Plus exactement, ni
lessence, ni le contenu matriel de lexception ne peuvent, selon certains auteurs de la
doctrine juridique, tre dfinis. Le professeur Lebeau note pour sa part quen droit priv
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plusieurs auteurs considraient au dbut du XXe sicle que lexception tait trangre la
science juridique. En dautres termes, cette notion navait pas de valeur scientifique28. Ce
constat de son inconstance juridique ou plus exactement, de limpossibilit de dfinir
conceptuellement lexception ou de lui confrer une signification prcise (B) sexplique en
partie par son rattachement la thorie des circonstances. En effet, les auteurs napprhendent
lexception qu travers les notions de circonstances exceptionnelles et dtat dexception (A).
A. La focalisation de la doctrine sur les circonstances exceptionnelles
Si elle dsignait primitivement la limitation cre par le prteur afin dattnuer la
rigueur du droit romain due son formalisme excessif, lexception ne cesse de se renouveler
et de connatre de nouvelles significations. La consultation de quelques dictionnaires
proposant des dfinitions de lexception est particulirement significative de ce constat (1).
Cette volution smantique a sans doute favoris les divers usages et significations que les
discours de la doctrine juridique rattachent lexception. Celle-ci est en effet souvent tudie
comme une particularit accompagnant un fait, un vnement, ainsi que lillustrent les tudes
portant sur les circonstances exceptionnelle et sur ltat dexception (2).
1. La pluralit des significations de lexception dans le langage courant
Le mot exception trouve son origine dans la langue latine exceptio driv de
excipere qui signifie primitivement mettre de ct ou retirer de [] pour le
retenir 29. Le sens du verbe sest ensuite tendu pour dsigner laction dexcepter
explique parfois comme synonyme de laction de droger 30. Lexception semploie
gnralement avec le sens de ne pas comprendre dans (un ensemble), ne pas inclure dans (une
situation).
Le verbe excepter est considr comme lquivalent des verbes carter,
exclure et dsigne toujours ltat dextriorit ou lexclusion de quelque chose par rapport
28 Martin Lebeau, De linterprtation stricte des lois, essai de mthodologie, op. cit., p. 67. 29 Andr-Jean Arnaud, Dictionnaire encyclopdique de thorie et de sociologie du droit , Paris, L.G.D.J., coll. Quadrige, 1993, 2e d. ; Paul Foulqui, Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, P.U.F., 1969, 2e d. ; Alain Rey et Josette Rey-Debove, Le nouveau Petit Robert, Paris, Le Robert, 2010. 30 Alain Rey et Josette Rey-Debove, Petit Robert, op. cit.
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une rfrence tablie31. Employe dans le langage juridique, lexception semble selon la
doctrine juridique dominante dsigner la mise lcart ou la restriction de la rgle de droit
gnrale dans certains cas32. Elle est synonyme de drogation et de restriction33. Cest ainsi
que la signification du terme exception donne lieu ensuite des adages juridiques comme
lexception confirme la rgle ou il ny a pas de rgle sans exception et des
utilisations trs varies telles except , lexception de , dexception , titre
exceptionnel . Toutefois, le sens primitif de lexception en droit romain persiste. Le
dictionnaire Petit Robert rappelle en effet que lexception est un moyen invoqu pour faire
carter une demande judiciaire, pour critiquer la procdure, sans discuter le principe du droit,
le fond du dbat 34.
Utilise comme un adjectif qualificatif, lexception ne semble plus signifier lide de
limitation, de soustraction, dexclusion ou le moyen de dfense dans une procdure judiciaire.
Elle vhicule le sens danomalie , dextraordinairet ou encore dtranget pour
expliquer tout ce qui est en dehors du gnral , ou ce qui est rare , particulier ,
spcial , peu frquent . Lorsquelle sert qualifier juridiquement des faits, lexception
parat signifier toute chose inconnue ou imprvisible qui nentre pas dans les catgories et les
classifications prtablies, ni dans les dfinitions conceptuelles labores par la thorie du
droit.
Le langage courant utilise plus souvent le substantif (exception) et ladjectif
(exceptionnel) du verbe excepter que le verbe lui-mme. Celui-ci est par ailleurs assimil
certaines prpositions35 et adverbes tels que : sauf si, toutefois, cependant, hormis, sous
rserve, part, lexclusion, pourvu que... . Ces prpositions se traduisent tantt comme des
synonymes, tantt comme les manifestations implicites de lexception. A titre dexemple,
lalina 5 de larticle 7 de la Constitution dispose qu en cas de vacance ou lorsque
lempchement est dclar dfinitif par le Conseil constitutionnel, le scrutin pour llection
dun nouveau prsident a lieu, sauf cas de force majeure constat par le Conseil
constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus [...] . Les alinas 1 et 2 de
31 Alain Rey et Josette Rey-Debove, Petit Robert, Paris, Le Robert, 2010, op. cit, Except est une prsupposition quivalant hormis de, hors ; Alfred Ernout et Antoine Meillet, Dictionnaire tymologique de la langue latine. Histoire des mots, Paris, Klincksieck, 2001, retirage de la 4e d., revu par Jacques Andr. 32 Grard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, P.U.F., coll. Quadrige, 2011, 9e d,, voir Exception . 33 Alain Rey et Josette Rey-Debove, Petit Robert, op. cit., voir Exception . 34 Alain Rey et Josette Rey-Debove, Petit Robert, op. cit., voir Exception . 35 Ces prpositions sont assez nombreuses comme : sauf si, toutefois, en cas de force majeure, faute de, pourvu que, cependant, nanmoins, hormis, sous rserve de, part, en dehors de Alain Rey et Josette Rey-Debove, Petit Robert, op. cit, ; Emile Genouvrier, Claude Dsirat et Tristan Hord, Dictionnaire des synonymes, Paris, Larousse, 2007, voir Exception ; Henri Roland et Laurent Boyer, Adages du droit franais, Paris, Litec, 1999, 4e d., voir Exceptio est strictissimae interpretationis .
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larticle 42 de cette mme Constitution prvoient que La discussion des projets et des
propositions de loi porte, en sance, sur le texte adopt par la commission saisie en
application de l'article 43 ou, dfaut, sur le texte dont l'assemble a t saisie. Toutefois, la
discussion en sance des projets de rvision constitutionnelle, des projets de loi de finances et
des projets de loi de financement de la scurit sociale porte, en premire lecture devant la
premire assemble saisie, sur le texte prsent par le Gouvernement et, pour les autres
lectures, sur le texte transmis par l'autre assemble.
De cet expos rsulte le constat de la pluralit des significations de lexception. La
pluralit smantique de ce terme est ensuite reprise et dveloppe dans les discours de la
doctrine. A lanalyse, ces discours semblent porter principalement leur attention sur la thorie
administrative des circonstances exceptionnelles et sur la notion dtat dexception.
2. Les circonstances exceptionnelles et ltat dexception, objet de la majorit dtudes
et discours doctrinaux
Aborder lexception en droit constitutionnel semble voquer demble la
problmatique lie la jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles, ltat
dexception et aux pouvoirs exceptionnels du Prsident de la Rpublique prvus par larticle
16 de la Constitution en vigueur ou encore aux lois dapplication exceptionnelle. En effet,
cette liaison de lexception lensemble des phnomnes de circonstances, de pouvoirs de
crise, se trouve dveloppe dans plusieurs discours doctrinaux dont lanalyse ne sera dans le
cadre de lintroduction de notre tude quindicative. Il sagit en effet de sinterroger sur le
point de savoir comment les auteurs de la doctrine juridique tudient et expliquent la prsence
de lexception en droit public positif et notamment en droit constitutionnel. La rponse cette
question ncessite un bref expos de lapport des deux thses souvent cites comme les
rfrences incontournables en la matire.
Dans sa thse portant sur les circonstances exceptionnelles dans la jurisprudence
administrative et la lgalit 36, Lucien Nizard propose de dfinir la notion de circonstances
exceptionnelles . Lexception est ici tudie en tant quadjectif qualificatif. Cette notion de
circonstances exceptionnelles apparat selon lauteur comme la condition de non-application
36 Lucien Nizard, La jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles et la lgalit, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothque de droit public, 1962.
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du rgime juridique normal et par consquent comme la condition dapplication dun rgime
juridique dexception 37.
Lexception est dans sa thse troitement lie des circonstances exceptionnelles de
sorte que limpression est donne quelles sont identiques et quelles recouvrent la mme
ralit. De mme, il est difficile de savoir avec prcision si lauteur dfinit les circonstances
exceptionnelles ou lexception. Ainsi que lillustrent quelques passages de sa thse, on est
tent de dire quau regard dune disposition juridique les circonstances exceptionnelles sont
celles qui nentrent pas dans le champ dapplication de la disposition en cause. Mais
lvidence cette dfinition est inexacte car si elle dtermine les limites dune rgle de droit
elle ne permet pas den dfinir les exceptions 38 ; ou encore lexception ne sidentifie pas
aux cas sortant des limites de la rgle de droit. Lexception est un cas qui tout en entrant dans
le champ dapplication de la rgle de droit (tel quil est dfini par lauteur de celle-ci) est
priv pour des raisons particulire du bnfice du rgime juridique organis par elle 39.
Par ailleurs, il est possible selon Lucien Nizard de distinguer deux catgories
dexception. Ainsi, lexception est parfois dfinie priori par lauteur de la rgle de droit ;
celui-ci dtermine avec prcision les cas dans lesquels exceptionnellement le principe ne
devra pas recevoir application [...] 40. En revanche, lauteur de la disposition juridique ne
dfinit pas lexception. Il se contente de rserver la force majeure, lurgence, les circonstances
exceptionnelles, les justes motifs comme chappant la rgle. Lexception est, dans ce cas,
seulement dfinie par son effet drogatoire 41. Lauteur prcise ensuite lobjet de son tude
qui consiste dfinir la notion dexceptions dfinies a posteriori, cest--dire les exceptions
non prvues par lauteur de la rgle mais rsultant des circonstances ci-dessus numres et
dtermines au cas par cas par le juge. Ainsi que lexplique lauteur, cest videmment
cette catgorie dexception quappartient notre notion. Lauteur de la disposition juridique
sest abstenu de dfinir ces exceptions ; il laisse ce soin celui qui sera charg de veiller son
application, cest--dire au juge 42.
37 Lucien Nizard, La jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles et la lgalit, op.cit., p. 6. 38 Lucien Nizard, La jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles et la lgalit, op.cit., p. 6. 39 Lucien Nizard, La jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles et la lgalit, op.cit., p. 6. 40 Lucien Nizard, La jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles et la lgalit, op.cit., p. 6. Lauteur cite comme exemple des exceptions dfinies a priori par lauteur de la rgle, la rforme du contentieux administratif. Selon cette rforme, les tribunaux administratifs sont juges de droit commun ; cependant larticle 2 du dcret du 30 septembre 1953 et larticle 2 du rglement dadministration publique du 28 novembre 1953, disposent que le Conseil dEtat reste juge en dernier ressort dans un certain nombre de cas quils numrent. 41 Lucien Nizard, La jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles et la lgalit, op.cit., p. 6. 42 Lucien Nizard, La jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles et la lgalit, op.cit., p. 6.
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Si la thse de Lucien Nizard prsente un intrt certain, elle laisse toutefois le lecteur
perplexe. Il est en effet lgitime de se demander si la notion des circonstances exceptionnelles
propose par lauteur a puis le phnomne des exceptions en droit administratif et en droit
constitutionnel. De mme, a-t-elle permis dexpliquer de manire cohrente les significations
de lexception lorsque celle-ci est nonce et utilise dans les textes juridiques en dehors de
toute circonstance exceptionnelle ? Enfin, a-t-elle permis de circonscrire avec prcision le
contenu de lexception ? Les rponses ces questions demeurent ambigus. Si lauteur se
rfre tantt au terme exception , tantt lexpression circonstances exceptionnelles ,
force est de constater quil ne se borne, en ralit, qu tudier la jurisprudence administrative
des circonstances exceptionnelles. Ainsi, si lexception a t aborde dans sa thse, elle na
t tudie qu travers la thorie des circonstances exceptionnelles en droit administratif. Par
ailleurs, ni la notion, ni le contenu de lexception ne sont dfinis. Cette absence de dfinition
met notre sens en exergue lintrt et la ncessit de tenter didentifier et de circonscrire le
contenu de lexception.
La thse du professeur Saint-Bonnet portant sur ltat dexception43 semble premire
vue sinscrire dans loptique de dfinition de lexception. Selon le professeur, lexception
est de tout les temps. Elle est aussi de tous les domaines juridiques. En droit public,
lexception revt une allure particulire : il sagit non seulement dcarter la rgle applicable
en raison des circonstances ou dune finalit suprieure, mais encore de se soustraire aux
rapports normaux entre gouvernants et gouverns 44.
Toutefois, la thse du professeur Saint-Bonnet se limite linstar de la thse de Lucien
Nizard, analyser lexception travers la thorie des circonstances. Ltat dexception parat
sous la plume du professeur, comme la formulation plus gnrale et plus abstraite de la notion
des circonstances exceptionnelles. Lorsquil est utilis en droit constitutionnel, ltat
dexception semble correspondre ltat de ncessit. Il est plus prcisment la reprsentation
des circonstances exceptionnelles et de ltat de ncessit au niveau du droit constitutionnel.
Ainsi que la not lauteur, ltat de ncessit est considr comme lquivalent de la notion
de circonstances exceptionnelles, mais lchelon suprieur de la hirarchie des normes. De
mme que la seconde permet de couvrir une violation de la loi, le premier tend avaliser un
manquement aux normes constitutionnelles. En droit constitutionnel, aucune formule nest
43 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, Paris, P.U.F., coll. Lviathan, 2001, d. de la thse de l'auteur Ltat dexception. Histoire et thorie. Les justifications de ladaptation du droit public au temps de crise soutenue en 1996. 44 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit., p. 1.
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arrte pour rendre compte de ltat dexception 45. Celui-ci est le plus souvent repris dans la
formule de ltat de ncessit46.
Ainsi, ltat dexception semble alors ntre quune nouvelle qualification de ltat de
ncessit. Cette ide peut tre illustre grce deux passages tirs de sa thse. Selon le
professeur, la dfinition de ltat dexception implique lexclusion des textes constitutionnels
dont le dispositif prvoit explicitement une clause de suspension dans certaines circonstances,
puisque ces textes rpondent au critre de prvisibilit et constituent des amnagements de
lapplication du droit. Dans sa thse, dfinir ltat dexception revient en ralit dterminer
ltat de ncessit car ltat de ncessit est toujours dfini de manire trs vague et il ne
peut en tre autrement car limprvisible, par dfinition ne peut tre codifi [...]. Les garanties
les plus srieuses ne doivent pas tre recherches dans une dfinition prcise des
circonstances exceptionnelles. Comme en droit administratif, les lments constitutifs de
ltat de ncessit ne sont pas dissociables : il suppose la conjonction dune infraction aux
rgles constitutionnelles, dune circonstance de crise, et de la poursuite dune finalit juge
suprieure 47. Ltat dexception apparat, quelques lignes plus loin, comme quelque chose
qui se situe au cur du rapport entre pression des faits et stabilit de lordre juridique : cette
position prcaire oblige dterminer pour chaque priode ce point de dsquilibre entre
droit public et fait politique 48. Preuve de la fragilit du droit en prsence des circonstances
exceptionnelles, ltat dexception est ds lors souvent invoqu pour justifier les violations de
la rgle de droit49.
Par ailleurs, les deux thses ci-dessus exposes concluent de faon unanime
limpossibilit de circonscrire la consistance de ltat dexception et des circonstances
exceptionnelles. En dautres termes, il est difficile voire impossible selon ces deux auteurs de
savoir lavance ce quest une circonstance exceptionnelle ou un tat dexception. De mme,
lauteur de la rgle de droit ne peut jamais dfinir prcisment la circonstance exceptionnelle
ou ltat dexception. Cette conclusion est galement partage par dautres auteurs qui se sont
penchs sur ltude de ces notions.
45 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit., p. 15. 46 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit., note infrapaginale n 2, p. 15. 47 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit., p. 16. 48 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit., p. 28. 49 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit., p. 380 et 381.
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B. Linconsistance ou la difficult de dfinir conceptuellement ltat dexception
et les circonstances exceptionnelles
Lindtermination conceptuelle a t prsente comme la caractristique fondamentale
de la notion de circonstances exceptionnelles et donc de lexception dans la thse de Lucien
Nizard50. Lauteur affirme demble que nous nous attacherons plus loin montrer que le
caractre fondamental commun lensemble de ces formules [circonstances et situations
exceptionnelles], cest leur indtermination : en permettant des exceptions indfinies la rgle
de droit, elles mettent en cause le principe mme de lapplication de celle-ci 51. Cependant il
est extrmement difficile de savoir si ce sont les circonstances exceptionnelles qui sont
indtermines ou si cest lexception car lauteur semble utiliser de manire interchangeable
le terme exception et la locution circonstances exceptionnelles ainsi que lillustre ce
passage lexception est indtermine ; les conditions de dfinition proposes par les auteurs
classiques sont imprcises. Le juge na ni numr, ni dfini les circonstances de nature la
permettre ; et il ne pouvait le faire car sa conception de lexception est fonctionnelle 52. La
dfinition fonctionnelle signifie donc linconsistance conceptuelle de lexception, celle-ci ne
pouvant tre saisie que grce la liste de ses fonctions rpertories.
Dans le mme esprit, le professeur Saint-Bonnet considre que ltat dexception ne
peut, linstar de la notion de circonstances exceptionnelles, tre dfini selon un critre
matriel53. Il est en effet selon lauteur impossible de cerner de manire prcise le contenu
dun tat qualifi dexception ou de dfinir lavance ce quest un tat dexception : elle [la
dfinition de ltat dexception] ne peut tre spare de son contexte, des rapports de pouvoirs
dans lesquels elle sinscrit et nest jamais autre chose, pour le juriste, que ce que lon qualifie
ainsi 54. Li ltat de ncessit et la justification des violations du droit, ltat dexception
ne peut, daprs le professeur, tre dfini qu partir des trois lments constitutifs : la
drogation (ou infraction), la rfrence une situation anormale et la conception dune
finalit suprieure. Ainsi, ltat dexception est entendu comme un moment pendant lequel les
rgles de droit prvues pour des priodes calmes sont transgresses, suspendues ou cartes 50 Lucien Nizard, Les circonstances exceptionnelles dans la jurisprudence administrative et la lgalit, op. cit., p. 6 et s. 51 Lucien Nizard, Les circonstances exceptionnelles dans la jurisprudence administrative et la lgalit, op. cit., p. 7. 52 Lucien Nizard, Les circonstances exceptionnelles dans la jurisprudence administrative et la lgalit, op. cit., p. 56. 53 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op., cit., p. 6. 54 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op., cit., p. 4.
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pour faire face un pril55. Le dclenchement de ltat dexception entrane deux
consquences : la concentration du pouvoir au profit de lexcutif et la rduction ou la
suspension des droits jugs fondamentaux pendant les priodes de calme56.
Linconsistance ou limpossibilit de cerner avec prcision le contenu juridique de
ltat dexception est galement soutenue par le philosophe Giorgio Agamben dans son livre
intitul Etat dexception57. Selon lauteur une thorie cohrente de ltat dexception fait
dfaut en droit public. [] La dfinition mme du terme [exception] est rendue difficile parce
quelle se situe entre la politique et le droit 58. Ainsi, ltat dexception semble rvler la
faiblesse et la limite du droit face des situations telles que la guerre civile, linsurrection et
la rsistance. Lauteur souligne en effet que ltat dexception nest pas un droit spcial
(comme le droit de la guerre) mais en tant que suspension de lordre juridique lui-mme, il en
dfinit le seuil ou le concept limite 59.
Au vu des thses et tudes ci-dessus exposes, deux observations peuvent tre mises.
Premirement, si lexception est invoque dans ces thses et tudes, elle nest tudie quen
tant quadjectif qualificatif (exceptionnel), cest--dire quelle sert qualifier une
circonstance, un tat, un fait qui justifie que lexception soit faite la rgle de droit. Si le sens
primitif limitation, soustraction, exclusion ou drogation de lexception demeure prsent,
il est toutefois occult par le second sens anormal, extraordinaire, rare ou particulier . En
effet, lexpression circonstance exceptionnelle, cas exceptionnel voque demble limage
dune circonstance anormale, rare, particulire et non lide de limitation cest--dire une
rgle de droit (droit exceptionnel) limitant ltendue dune autre rgle de droit (droit
commun).
Deuximement, les thses et tudes portant sur les notions dtat dexception et de
circonstances exceptionnelles nont notre sens tudi lexception quen tant que moyen de
justification de la transgression ou de la mise lcart du droit pour atteindre une finalit ou
un objectif politique. Cest en ce sens que ltat dexception et les circonstances
exceptionnelles ne peuvent tre dfinies que comme des notions fonctionnelles, cest--dire
quelles ont pour fonction de droger la lgalit (thse de Lucien Nizard) ou de justifier la
transgression de la rgle constitutionnelle (thse du professeur Saint-Bonnet). En revanche,
55 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception et la qualification juridique , C.R.D.F., 2008, n 6, p. 29-37. 56 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception et la qualification juridique , art. cit., p. 29. 57 Giorgio Agamben, Homo Sacer. II, 1, Etat d'exception, traduit par Jol Gayraud, Paris, Seuil, coll. Lordre philosophique, 2003, p. 9. 58 Giorgio Agamben, Homo Sacer. II, 1, Etat d'exception, op. cit., p. 9. 59 Giorgio Agamben, Homo Sacer. II, 1, Etat d'exception, op. cit., p. 15.
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les auteurs ne semblent pas sinterroger sur le point de savoir ce quest une exception
lorsquelle est nonce dans un texte juridique (texte exceptionnel) ou ce quest un droit (civil
ou public) dexception. Sil a t abord dans ces thses et tudes, le droit dexception est
prsent par ces auteurs comme un droit drogatoire et dfavorable lindividu60 (jus
singulare). Par ailleurs, en prsentant le droit dexception comme la consquence ncessaire
et invitable de ltat dexception ou des circonstances exceptionnelles, leurs thses induisent
le lecteur penser de prime abord que lexception ou le droit dexception ne peut exister
indpendamment de ces circonstances. Il en va de mme pour laffirmation selon laquelle en
prsence de ltat dexception ou des circonstances exceptionnelles, les droits fondamentaux
de lindividu sont rduits ou suspendus. Or lordre juridique comporte un grand nombre de
normes et textes se rfrant lexception explicite et implicite dont lapplication est
quotidienne et indpendante de ltat dexception ou des circonstances exceptionnelles. Ces
textes et normes dexception ne rduisent ni ne suspendent les droits fondamentaux. Afin
dillustrer notre propos, il faut ici citer quelques exemples.
Larticle 21-17 du Code civil prvoit que sous rserve des exceptions prvues aux
articles 21-18, 21-19, 21-20, la naturalisation ne peut tre accorde qu ltranger justifiant
dune rsidence habituelle en France pendant les cinq annes qui prcdent le dpt de la
demande .
Larticle 2294 du Code civil dispose que les engagements des cautions passent
leurs hritiers, lexception de la contrainte judiciaire, si lengagement tait tel que la
caution y ft oblige .
Larticle L.O 142 du Code lectoral est ainsi rdig : lexercice des fonctions non
lectives est incompatible avec le mandat de dput. Sont excepts des dispositions du prsent
article : 1 les professeurs, qui la date de leur lection, taient titulaire des chaises donnes
sur prsentation des corps [...]. 2 dans les dpartements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la
Moselle, les ministres des cultes et les dlgus du gouvernement [...] .
Larticle 10 de la Dclaration des droits de 1789 prvoit que nul ne doit tre inquit
pour ses opinions, mme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas lordre
public tablit par la loi .
60 Outre Franois Saint-Bonnet, Lucien Nizard et Giorgio Agamben, il faut souligner larticle de Jacques Ellul, Sur lartificialit du droit et le droit dexception , A.P.D., n 8, 1963, p. 21-33 et A.P.D., n 10, 1965, p. 191-207, voir part. p. 203-204. Selon Jacques Ellul, la notion de droit dexception repose la fois sur une fausse conception du droit, et sur le fait que le droit nest plus quun instrument aux mains de lEtat. Car le souci est quen dfinitive en prsence de telle ncessit, militaire, conomique, etc., lEtat estime ne pas avoir un instrument juridique suffisant pour rpondre. Le droit dexception est lapparence de la Raison dEtat .
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Lalina 5 de larticle 72 de la Constitution de 1958 dispose que aucune collectivit
territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l'exercice d'une
comptence ncessite le concours de plusieurs collectivits territoriales, la loi peut autoriser
l'une d'entre elles ou un de leurs groupements organiser les modalits de leur action
commune .
Des exemples des normes et rgles juridiques comportant des exceptions explicites et
implicites qui ne rduisent ni ne suspendent les droits fondamentaux et dont lapplication est
totalement spare des circonstances et tat exceptionnels en droit franais peuvent tre cits
loisir mais nous nous limitons ces illustrations. Lide est de simplement montrer que les
thses portant sur les notions de circonstances exceptionnelles et dtat dexception nont pas
puis la notion juridique dexception, ni la question de sa dfinition. Ce qui montre lintrt
de notre thse consistant proposer la dfinition de la notion dexception.
3. Lintrt de ltude : proposer la dfinition dune notion dexception en droit
constitutionnel
Si lexception est indissolublement lie la rgle de droit, ainsi que lillustrent les
adages lexception confirme la rgle ou pas de rgle sans exception , la dtermination
de son sens dans le langage du droit laisse en revanche perplexe. Si elle apparat dans certains
travaux doctrinaux, lexception na t que partiellement tudie. En effet, les auteurs ne lont
analyse quau prisme des notions de circonstances exceptionnelles et de ltat dexception.
Complmentaire avec ces travaux, notre hypothse de travail sen distingue
principalement par son objet et par sa mthodologie. Nous souhaitons en effet proposer des
critres autonomes de dfinition de la notion dexception en droit constitutionnel. Une telle
entreprise nous parat ncessaire dans la mesure o le droit constitutionnel reconnat son
existence et son utilit. Ds lors, il est ncessaire de dceler par lobservation objective des
principes et normes constitutionnels positifs se rfrant de manire explicite ou implicite
lexception, lessence de cette notion. Cest la raison pour laquelle notre thse nest pas
exclusivement centre sur la circonstance exceptionnelle ou sur ltat dexception. Il ne sagit
en effet pas dtudier exclusivement ce qui amne les constituants et le lgislateur adopter la
norme dexception. Une telle approche se situant en amont du processus normatif aurait t
redondante compte tenu de lapport des travaux prcits. Notre thse se place ds lors en aval
de ce processus en ce quelle cherche dterminer le contenu dune exception lorsque celle-ci
a t adopte ou nonce de faon implicite ou explicite par les autorits normatives en tant
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que norme ou rgle de droit. Ainsi, si elle se rfre parfois des discours justifiant ladoption
de lexception par les autorits normatives, ces discours ne sont pas lobjet principal de notre
thse. Ils seront donc tudis comme lune des tapes du raisonnement.
Lintrt de notre thse consiste donc proposer la dfinition de la notion juridique
dexception en droit constitutionnel ainsi qu en dlimiter le contenu (A). A cette fin, il
convient de prciser le champ dtude (B) et le choix de la mthodologie (C).
A. La ncessit dune dfinition de lexception
Lexception est souvent voque et utilise mais rarement dfinie. Au regard de
multiples rfrences lexception en droit positif, ce constat est la fois paradoxal et
intriguant. Afin de rendre compte ds prsent tant de la diversit que de la dilution du sens
de cette notion, une numration non exhaustive des textes juridiques et des discours
doctrinaux employant lexception parat utile.
Le droit du contentieux administratif utilise souvent les deux expressions exception
dillgalit et exception de recours parallle . La premire dsigne un moyen tir de
lillgalit dune dcision (devenue dfinitive) autre que celle attaque. Elle permet plus
prcisment au requrant lors dun recours contentieux de demander au juge dcarter pour
motif dillgalit lapplication dun acte autre que celui qui est lobjet du recours61. La
seconde est un motif dirrecevabilit qui exclut lexercice du recours pour excs de pouvoir
dans les cas o la voie du plein contentieux est seule ouverte62.
On trouve lexpression exception dinconstitutionnalit en droit constitutionnel.
Ayant dsormais son fondement dans larticle 61-1 de la Constitution, cette exception dsigne
la possibilit accorde tout individu de contester la constitutionnalit dune loi promulgue
et en vigueur lors dun procs. Larticle 61-1 prvoit en effet que lorsque, l'occasion d'une
instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition lgislative porte
atteinte aux droits et liberts que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut tre
61 Ren Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, coll. Domat droit public, 2008, 13e d., p. 681. Selon lauteur, lexception dillgalit dsigne lune des possibilits de se prvaloir, lappui du recours exerc en temps utile contre une autre dcision, de lillgalit dune dcision dfinitive si cette illgalit a en quelque sorte contamin la dcision attaque, afin de pouvoir obtenir lannulation de celle-ci, mme si elle est exempte de tout vice propre. Elle sera annule en raison de lillgalit dont on aura excip de la dcision dfinitive ; en dautres termes, en consquence de lexception tire de lillgalit de cette dcision. Voir galement CE, Sect. 9 novembre 1979, Association pour la dfense de lenvironnement en Vende, rec., p. 406, A.J.D.A, 1980, p. 362, concl. Daniel Lebetoulle. 62 Ren Chapus, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 702-703. Voir galement CE. Sect., 6 janvier 1995, Socit Manufacture franaise des chaussures ERAM, rec., p. 5, L.P.A. du 5 juin 1995, p. 11, concl. Jean-Claude Bonichot.
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saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'tat ou de la Cour de cassation qui se
prononce dans un dlai dtermin .
Il faut aussi ajouter cette liste lexception qualifie de procdure, larticle 73 du code
de procdure civile nonce que constitue une exception de procdure tout moyen qui tend
soit faire dclarer la procdure irrgulire ou teinte, soit en suspendre le cours . Selon
lalina 1 de larticle 74 du mme code, les exceptions doivent, peine d'irrecevabilit, tre
souleves simultanment et avant toute dfense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi
alors mme que les rgles invoques au soutien de l'exception seraient d'ordre public .
Ainsi, on trouve lexception de litispendance et de connexit63, lexception dincomptence64
ou encore lexception dilatoire65 et lexception de nullit rgie par larticle 112 du code de
procdure civile.
Ainsi, ces exceptions sont dfinies comme les moyens de dfense dans une procdure
juridictionnelle ou comme une technique pour contester la constitutionnalit de la loi.
Toutefois il est lgitime de sinterroger : cette dfinition correspond-elle toute exception ?
En dautres termes, toute exception dsigne-t-elle un moyen de dfense ? A titre dexemple, la
loi du 6 aot 2002 portant Amnistie dispose que Sont amnisties de droit, en raison soit de
leur nature ou des circonstances de leur commission, soit du quantum ou de la nature de la
peine prononce, les infractions mentionnes par le prsent chapitre lorsqu'elles ont t
commises avant le 17 mai 2002, l'exception de celles qui sont exclues du bnfice de
l'amnistie en application des dispositions de l'article 14 66. Lexception ici utilise dsigne-t-
elle le moyen de dfense ? La mme question peut galement se poser lgard de lalina 4
de larticle 7 de la Constitution selon lequel En cas de vacance de la Prsidence de la
Rpublique [...] les fonctions du Prsident de la Rpublique, l'exception de celles prvues
aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exerces par le prsident du Snat et, si
celui-ci est son tour empch d'exercer ces fonctions, par le Gouvernement .
La recherche de sens du terme exception en droit devient une ncessit lorsquon
constate la prsence dun nombre indtermin dexpressions se rfrant ce terme : tribunal
63 Larticle 102 du code de procdure civile prvoit que lorsque les juridictions saisies ne sont pas de mme degr, lexception de litispendance ou de connexit ne peut tre souleve que devant la juridiction du degr infrieure . 64 Larticle 75 du code de procdure civile dispose que sil est prtendu que la juridiction saisie est incomptente, la partie qui soulve cette exception doit, peine dirrecevabilit, la motiver et la faire connatre dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que laffaire soit juge . 65 Larticle 108 du code de procdure civile prvoit lexception dilatoire en ces termes : le juge doit suspendre linstance lorsque la partie qui le demande jouit soit dun dlai pour faire linventaire et dlibrer soit dun bnfice de discussion ou de division, soit de quelque autre dlai dattente en vertu de la loi . 66 Loi n2002-1062 du 6 aot 2002 portant amnistie, J.O. du 9 aot 2002, p. 13647.
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ou juridiction dexception, droit ou justice dexception, texte exceptionnel ou encore les
lgislations de crise et dapplication exceptionnelle67. Quelle signification vhiculent ces
rfrences lexception ?
Lorsque la question de son sens nest pas passe sous silence, lexception est alors
souvent considre comme indfinissable. Selon une ide rpandue, lexception est de tout
le temps. Elle est aussi de tous les domaines juridiques68. Toutefois il nexiste pas de
critre objectif de lexception ou ltat dexception nest pas dfini avec prcision69, en
droit administratif comme en droit constitutionnel, les dfinitions dexception manquent
dunit et de fermet 70. On constate par ailleurs que lexception est dfinie par son effet
drogatoire 71 et quelle est contraire au principe de lgalit. A cet gard, la remarque du
Doyen Lon Duguit est significative. Selon le Doyen si lon fait une seule exception au
principe de lgalit matrielle, on ne sait pas o cela peut conduire et, si certaines
circonstances se prsentent, on peut arriver facilement au despotisme72. Cette remarque
sappuie sans doute sur ladage exceptio est strictissimae interpretationis selon lequel en
drogeant au droit commun lexception est le droit anormal et doit ce titre tre interprte
restrictivement. Destine des usages divers et varis, lexception se caractrise par son
indtermination73. Ainsi, sans possder une consistance prcise, lexception ne peut qutre
lobjet dune dfinition fonctionnelle74.
Si la dfinition fonctionnelle de lexception peut tre admise, elle nempche toutefois
pas la recherche de sa consistance. La multiplicit des manifestations rattaches lexception
nest en effet pas un obstacle dirimant llaboration de sa notion. Elle lui confre au
contraire tout son intrt.
67 Bernard Stirn, Simon Formery, Code de ladministration, Paris, Litec, 2006, 2e d., le chapitre IV du Code de ladministration regroupe les lgislations de crise et circonstances exceptionnelles ; voir aussi Code de la Dfense, J.O., 2006, le livre 1er du Code de la Dfense (partie lgislative) comporte un ensemble de textes au rgime dapplication exceptionnelle. 68 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit. p. 1. 69 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit. p. 2. 70 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit, p. 1 et 4. 71 Lucien Nizard, Les circonstances exceptionnelles dans la jurisprudence administrative et la lgalit, op.cit., p. 6. 72 Lon Duguit, Trait de droit constitutionnel, t. 4, Paris, de Boccard, 1924, p. 162. Le doyen craint quun usage non contrl de lexception puisse conduire la raison dEtat. 73 Lucien Nizard, Les circonstances exceptionnelles dans la jurisprudence administrative et la lgalit, op.cit., p. 7. 74 Franois Saint-Bonnet, Ltat dexception, op. cit., Aprs avoir expliqu que comme la dfinition matrielle, la dfinition formelle est voue lchec , lauteur conclut que seule une dfinition fonctionnelle est concevable , p. 25. Cette ide a t auparavant soutenue par Lucien Nizard, Les circonstances exceptionnelles dans la jurisprudence administrative et la lgalit, op.cit., p. 7.
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La ncessit des dfinitions juridiques a t mise en valeur depuis longtemps75. La
construction juridique simplifie, donc schmatise pour permettre de juger mieux, de voir plus
juste76. La doctrine se doit donc danalyser et de synthtiser le rel, puis de le rendre
intelligible en dgageant les notions qui le mettent en forme cohrente 77. En effet, les
notions fondamentales et les rgles gnrales sont les cadres ou les symboles qui rendent
intelligible une ml confuse 78. En dautres termes, les notions et concepts utiliss dans le
langage du droit doivent avoir des sens prcis afin que le droit soit communicable et puisse
dployer ses effets normatifs79.
La recherche de la consistance de la notion dexception savre donc ncessaire. Au-
del de la diversit de ses manifestations, lexception utilise en droit constitutionnel en
particulier et en droit positif en gnral pourrait rvler une essence homogne. Cest cette
essence quil faut dceler et mettre en valeur.
B. Le droit constitutionnel comme objet dtude
Nous souhaitons en effet montrer lexistence de la notion juridique dexception en en
proposant notamment une dfinition. Celle-ci ne peut tre entirement assimile aux notions
de circonstances exceptionnelles et dtat dexception dautant plus que celles-ci reprsentent,
selon la majeure partie de la doctrine, la menace et le danger pour lordre constitutionnel et les
droits fondamentaux de lindividu. A lanalyse, lexception savre tre consubstantielle
lquilibre de lordre juridique.
Le choix du droit constitutionnel comme instrument dtude doit prsent tre
expliqu. A cette fin il convient de prciser ce quil faut entendre par droit constitutionnel
75 Roger Bonnard, La conception juridique de lEtat , R.D.P., 1922/39, p. 5-57. Lauteur met en valeur le double apport logique et systmatique des concepts et des notions comme lments fondamentaux de la dduction logique. A cet gard, il faut citer galement le dbat opposant Jean Rivero Bernard Chnot sur lutilit et la ncessit des notions et concepts. Voir Bernard Chenot, LExistentialisme et le Droit , Revue franaise de science politique, 1953/1, p. 57-68 ; Jean Rivero, Apologie pour les faiseurs de systme , Paris, Dalloz, 1951, chron. XXIII, p. 99 et s. ; voir gal. Marcel Waline, Empirisme et conceptualisme dans la mthode juridique : faut-il tuer les catgories juridiques ? , in Mlanges Dabin (Jean), t. 1, Bruxelles, Bruylant, 1963, p. 359-371. 76 Thodore Fortsakis, Conceptualisme et empirisme en droit administratif franais, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothque de droit public, 1987, p. 232-236. 77 Etienne Picard, La notion de police administrative, t. 1, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothque de droit public, 1984, p. 49. 78 Bernard Chenot, LExistentialisme et le Droit , Revue franaise de science politique, 1953/1, p. 57-68. Lauteur admet la ncessit et limportance des concepts et des systmatisations en droit administratif puisque ceux-ci assurent la scurit et la stabilit juridique. Il critique nanmoins la sublimation, labstraction excessive de certaines constructions juridiques qui peuvent devenir dtaches du domaine juridique. 79 Etienne Picard, Introduction , in Jean du Bois de Gaudusson (dir.), Le devenir du droit compar en France. Actes de la journe dtude du 23 juin 2004 lInstitut de France, Aix-en-Provence, P.U.A.M, 2005, p. 48-50.
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cest--dire sa dfinition (1). Nous expliquerons ensuite les raisons qui nous amnent
proposer la dfinition de la notion dexception dans cette branche du droit (2).
1. La dfinition du droit constitutionnel
Les propositions de dfinitions du droit constitutionnel sont nombreuses et varies. Il
sera vain de les numrer de manire exhaustive. Le propos doit ds lors se circonscrire
lessentiel. Lide est de prsenter lexistence et les caractristiques foncires dune branche
juridique dans laquelle la question de dfinition de lexception peut se poser.
Lexpression droit constitutionnel a t, selon le manuel droit constitutionnel
de Louis Favoreu, utilise pour qualifier la discipline intellectuelle, la science ayant pour objet
ltude des rgles constitutionnelles. Elle dsigne dabord le droit rgissant les institutions
politique de lEtat ainsi que la soulign Raymond Carr de Malberg, toute tude du droit
public en gnral et du droit constitutionnel en particulier engage et prsuppose la notion de
lEtat. [...] Quant au droit constitutionnel, cest ainsi que son nom lindique la partie du
droit public qui comprend les rgles ou institutions dont lensemble forme, dans chaque
milieu tatique, la Constitution de lEtat 80. En ce sens le droit constitutionnel tudie les
rgimes politiques des Etats, les institutions et la pratique parlementaire et gouvernementale.
Dans cette optique, le droit constitutionnel entretient des liens troits avec la science
politique81.
Toutefois, les institutions politiques ne sont pas objet exclusif du droit constitutionnel,
celui-ci a pour second objet : le systme des normes. Cest ainsi que le droit constitutionnel
est qualifi de source de tous les autres droits. Lide est la suivante : la Constitution (objet
dtude du droit constitutionnel) est la norme suprme dun ordre juridique. Elle est ds lors
considre comme le fondement juridique des autres sources du droit dans la mesure o les
rgles constitutionnelles ont une valeur suprieure toutes les autres rgles lgislatives. Ds
lors sous peine dinvalidation et dannulation, les lois destines tre promulgues doivent
respecter le contenu de la Constitution. Cest donc la dfinition formelle du droit
80 Raymond Carr de Malberg, Contribution la thorie gnrale de l'tat, spcialement d'aprs les donnes fournies par le droit constitutionnel franais, prface de ric Maulin, Paris, Dalloz, coll. Bibliothque Dalloz, 2004, Fac-simil de l'd. de 1920, Paris, Sirey, p. 1. 81 Olivier Beaud, Constitution et droit constitutionnel , in Denis Alland et Stphane Rials, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, P.U.F., coll. Quadrige, 2003.
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constitutionnel. Celui-ci est donc un ensemble de normes et principes noncs par la
Constitution82.
Enfin le droit constitutionnel a pour troisime objet la protection des droits et liberts
fondamentaux83. Dans cette conception matrielle et axiologique, le droit constitutionnel vise
limiter la puissance de lEtat afin de prserver la libert individuelle. A cette fin, il prvoit
des rgles organisant le rapport entre les gouvernants (Etat, ses organes) et les gouverns
(individus). Il est ds lors dfini comme un ensemble des rgles constitutionnelles de fond
destines garantir les droits et liberts fondamentaux de lindividu face lEtat84. Cette
dfinition matrielle et axiologique du droit constitutionnel demeure troitement lie au
dveloppement de la justice constitutionnelle et la notion matrielle dEtat de droit.
De ces dfinitions, il faut retenir que le droit constitutionnel correspond lensemble
des rgles et principes constitutionnels en vigueur (Constitution comme systme de normes)
qui ont pour but tantt dorganiser lEtat et ses institutions (droit constitutionnel normatif,
institutionnel), tantt de dterminer le rapport entre lEtat ou ses organes et les individus,
cest--dire quil dtermine les droits de lindividu que lEtat doit respecter et garantir (droit
constitutionnel normatif, matriel et fondamental85). Cest donc partir des rgles et principes
constitutionnels que le contenu de la notion dexception peut tre observ et identifi.
82 Francis Hamon et Michel Troper, Droit constitutionnel, Paris, L.G.D.J., coll. Manuel, 2012, 33e d., p. 32. Selon la dfinition formelle, le droit constitutionnel est un ensemble de normes qui prsentent trois caractristiques : premirement leur valeur est suprieure celle de toutes les autres normes ; deuximement elles dterminent la manire dont ces normes doivent tre produites ; enfin, elles constituent le fondement ultime de leur validit, sans que les normes quil contient soient elles-mmes fondes sur dautres normes juridiques . 83 Louis Favoreu, Patrick Gaa, Richard Ghevontian, Jean-Louis Mestre, Otto Pfersmann, Andr Roux et Guy Scoffoni, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, coll. Prcis Droit public, science politique, 2012, 14e d., p. 23. 84 Louis Favoreu et al., Droit constitutionnel, op. cit., p. 23. Les auteurs soulignent que la conception matrielle du droit constitutionnel sexplique par quatre facteurs : 1. la dsacralisation de la loi : les terribles expriences nazie et fasciste ont provoqu une dsacralisation de la loi : le lgislateur nest pas infaillible ; le parlement peut se tromper ; la loi peut porter atteinte aux liberts et droits fondamentaux des individus ; il est donc ncessaire de se protger aussi contre elle et plus seulement contre les actes du pouvoir excutif ; 2. lexpansion des constitutions et du constitutionnalisme due au phnomne de la dcolonisation qui a fait passer le nombre des Etats dans le monde dun quarantaine aprs la guerre plus de deux cents aujourdhui et provoqu la multiplication des textes constitutionnels et par l mme leur modernisation ; 3. la diffusion internationale de lidologie des droits de lhomme travers la Dclaration universelle des droits de lhomme en 1948 et la Convention europenne des droits de lhomme de 1950 qui met au premier plan lindividu face lEtat et change profondment les perspectives dorganisation du pouvoir ; 4. lapparition de la Justice constitutionnelle comme lment fondamental des systmes constitutionnels europens est de plus en plus considre comme une donne dcisive car sans elle, et
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