ambitions et désillusions politiques du surréalisme

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  AMBITIONS ET DÉSILLUSIONS POLITIQUES DU SURRÉALISME EN FRANCE (1919-1969) Carole Reynaud Paligot Surrealism is not a literary movement in the classical sense and the sur- realists did not take up politics by chance. The surrealist process is politi- cal per se. By choosing, as a watchword, to „transform the world“ (Marx) and to „change life“ (Rimbaud), the surrealists meant to inter- twine artistic revolution and political revolution. Their aesthetic positions comprise an ethical dimension that governs their political commitment.  During about sixty years, t he surrealists looked for a world more consis- tent with their aspirations, neither without ambitions nor illusions. This search did not go without disillusions. Le surréalisme n’est pas un mouvement littéraire au sens classique du terme et les surréalistes ne sont pas entrés en politique par hasard ou par accident. La démarche surréaliste est en soi politique: en se don- nant comme mot d’ordre de „transformer le monde“ (Marx) et de „changer la vie“ (Rimbaud), les surréalistes entendent lier étroitement révolution artistique et révolution poétique. Le lien entre révolution esthétique et révolution politique prend, chez eux, une dimension très particulière: leurs positions esthétiques intègrent une dimension éthi- que qui conditionne leur engagement politique. Pendant une soixan- taine d’années, les surréalistes sont allés à la recherche d’un monde plus conforme à leurs aspirations, non sans ambitions et illusions, une recherche qui ne fut pas à l’abri de désillusions. La révolte surréaliste est, dans un premier temps, littéraire. L’un des premiers objectifs des surréalistes vise la libération du langage: il s’agit d’une remise en cause de sa fonction de communication, de sa fonction d’échanges. Le langage traditionnel, qui s’appuie sur la logi-

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Paligot, Surrealismo en Francia durante el periodo 1919-1969

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  • AMBITIONS ET DSILLUSIONS POLITIQUES DU SURRALISME EN FRANCE (1919-1969)

    Carole Reynaud Paligot

    Surrealism is not a literary movement in the classical sense and the sur-realists did not take up politics by chance. The surrealist process is politi-cal per se. By choosing, as a watchword, to transform the world (Marx) and to change life (Rimbaud), the surrealists meant to inter-twine artistic revolution and political revolution. Their aesthetic positions comprise an ethical dimension that governs their political commitment. During about sixty years, the surrealists looked for a world more consis-tent with their aspirations, neither without ambitions nor illusions. This search did not go without disillusions.

    Le surralisme nest pas un mouvement littraire au sens classique du terme et les surralistes ne sont pas entrs en politique par hasard ou par accident. La dmarche surraliste est en soi politique: en se don-nant comme mot dordre de transformer le monde (Marx) et de changer la vie (Rimbaud), les surralistes entendent lier troitement rvolution artistique et rvolution potique. Le lien entre rvolution esthtique et rvolution politique prend, chez eux, une dimension trs particulire: leurs positions esthtiques intgrent une dimension thi-que qui conditionne leur engagement politique. Pendant une soixan-taine dannes, les surralistes sont alls la recherche dun monde plus conforme leurs aspirations, non sans ambitions et illusions, une recherche qui ne fut pas labri de dsillusions.

    La rvolte surraliste est, dans un premier temps, littraire. Lun des premiers objectifs des surralistes vise la libration du langage: il sagit dune remise en cause de sa fonction de communication, de sa fonction dchanges. Le langage traditionnel, qui sappuie sur la logi-que et sur le rationalisme, leur parat entraver tout dveloppement intellectuel. Ils sassignent comme tche de redcouvrir une sensibilit perdue, de retrouver les facults humaines annihiles, rprimes par des sicles de civilisation et daccder un univers rgi par le mer-veilleux, limagination, le rve et lamour. Mais si les formes du lan-gage traditionnel apparaissent comme des obstacles llargissement

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    des facults humaines, les prceptes moraux et sociaux sont galement perus comme des entraves au dveloppement de lhomme. La so-cit, les usages, la morale, les lois, la religion sont aussi responsables de lannihilation des facults cratrices. Ds lors, la rupture est tablie non seulement avec linstitution littraire mais avec la socit: la r-volte littraire se mue en rvolte politique. En dautres termes, la di-mension esthtique du surralisme se double dune composante thi-que qui les amne progressivement sur la voie dun engagement poli-tique. Prner la libert, le dsir, les passions, cest sopposer radicale-ment aux valeurs bourgeoises, aux valeurs judo-chrtiennes centres sur le travail, lordre, la discipline, lasctisme. La rupture est radicale avec la pense et les valeurs dominantes des socits occidentales du dbut du vingtime sicle.

    Un autre lment de cette rupture avec les valeurs bourgeoises concerne la conception mme de la fonction artistique. En effet, les surralistes remettent galement en cause la vision traditionnelle de la cration artistique. La volont de dsacralisation de lart, dj prsente chez les dadastes, saccompagne dune volont de dmocratisation de la fonction potique et artistique. En sappuyant sur Lautramont, La posie doit tre faite par tous. Non par un., les surralistes affir-ment que lart nest pas rserv lartiste investi dun gnie particu-lier, dun don inaccessible au commun des mortels. Chaque homme, chaque femme possde des virtualits cratrices jusqualors inhibes par la socit. Lcriture automatique, le collage doivent permettre chacun dexprimer ses facults de cration. Selon Andr Breton,

    le propre du surralisme est davoir proclam lgalit totale de tous les tres hu-mains normaux devant le message sublimal davoir constamment soutenu que ce message constitue un patrimoine commun dont il ne tient qu chacun de revendi-quer sa part et qui doit tout prix cesser prochainement dtre tenu pour lapanage de quelques-uns. Tous les hommes, dis-je, toutes les femmes mritent de se convaincre de labsolue possibilit pour eux-mmes de recourir volont ce langage []. Il est indispensable pour cela quils reviennent sur la conception troite, errone de telles vocations particulires, quelles soient artistiques ou m-dianimiques. (Breton 1933: 62)

    Pour Max Ernst: Cen est fini, cela va sans dire, de la vieille conception de talent, fini aussi la di-vinisation du hros. Comme tout homme normal (et pas uniquement lartiste) porte, on le sait, une rserve inpuisable dimages enfouies dans son subconscient, cest affaire de courage ou du procd de libration employ (tel que lcriture automatique) de mettre au jour, par des explorations dans linconscient, des trou-vailles non falsifies, des images quun contrle na pas dcolores. (Ernst 1970: 229)

    Cest l, mon sens, que se situe toute loriginalit de la dmarche surraliste.

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    Leur vision du monde, qui soppose la morale bourgeoise, conduit les surralistes la recherche dune socit plus conforme leurs aspirations et les entrane du ct des mouvements rvolution-naires. Ainsi, lesthtique surraliste, en intgrant une dimension thi-que, apparat comme dterminante dans la politisation des membres du mouvement.

    Durant les premires annes, la rvolte surraliste se rattache la tradition anarchisante des milieux littraires de la fin du XIXe sicle, elle sinscrit dans le sillon de lhritage symboliste. Comme leurs a-ns, les surralistes sont sensibles aux actes de rvolte individuelle. Encore adolescents, en 1913, ils senthousiasment propos des ex-ploits de la Bande Bonnot. Mme motion face au hros de la ter-reur noire, lanarchiste mile Henry, guillotin en 1894 pour avoir commis plusieurs attentats la bombe ou encore face la jeune anar-chiste Germaine Berton qui tue dun coup de revolver le camelot du roi, Maurice Plateau, secrtaire de rdaction LAction franaise. Andr Breton lit la presse anarchiste, Le Libertaire, LAnarchie, LAction dart. Benjamin Pret, Robert Desnos, Louis Aragon ont eu des contacts directs avec des anarchistes sans pour autant devenir des militants (cf. Reynaud Paligot 1995).

    Cependant, ds 1925, ltoile libertaire faiblit et cest vers le parti communiste que les surralistes se tournent. La sensibilit libertaire sefface, elle est mise en sommeil durant une bonne dcennie. Plu-sieurs raisons peuvent tre avances. La premire raison tient au d-clin du mouvement anarchiste au lendemain de la Premire Guerre mondiale. Trs actif au tournant du sicle, il ressort discrdit par le ralliement lUnion sacre de nombre de ses responsables. Face la grande lueur qui sallume lEst, il ne parat plus porteur de lespoir rvolutionnaire. La deuxime raison tient une trs forte idalisation du parti communiste de la part des surralistes. Tout comme les pre-miers communistes franais, dont certains viennent des milieux liber-taires, ils sont ports par un romantisme rvolutionnaire qui les en-trane croire que les prmisses dune socit sans classes et sans frontires, o rgnera la libert, commencent natre du ct de lOrient. Le parti communiste leur apparat porteur des valeurs toutes libertaires: lantimilitarisme, linternationalisme, lanticolonialisme. Cest au moment de la guerre du Maroc, en 1925, lorsque le parti lance une campagne aux accents antimilitaristes et anticolonialistes,1 que les surralistes dcident de se joindre lui. cela sajoute une vritable fascination pour la rvolution russe. Les acteurs de la Rvo-lution bolchevique, Lnine, Trotsky, sont de vritables figures mythi-

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    ques, qui par leur dtermination, leur dvouement la noble cause de lmancipation des hommes, dclenchent chez les surralistes une admiration que le temps naffaiblira pas.

    Le dclin du mouvement anarchiste et lidalisation du parti com-muniste permettent dexpliquer le ralliement des surralistes au parti communiste mais ne permettent gure de comprendre les dix annes de 1925 1935 de compagnonnage. Dix annes de rapports trs conflictuels. Pour comprendre ces relations houleuses, pour tenter dexpliquer la persvrance des surralistes dans ce rapprochement avec un parti qui sloigne de plus en plus de leur idal et qui ne leur manifeste que mpris et ddain, il apparat ncessaire de prendre en compte la stratgie littraire quils se sont fixs. Lorsquils se rappro-chent du parti communiste, lobjectif des surralistes est le suivant: ils entendent prendre une part active llaboration de la ligne culturelle du parti; sestimant les reprsentants de lart rvolutionnaire (pour ne pas dire les uniques reprsentants de lart rvolutionnaire), ils cher-chent en obtenir la reconnaissance par linstance officielle de lgiti-mation: le parti communiste. Alors que ce dernier na pas encore d-fini sa politique culturelle, alors que la discussion sengage en Union sovitique, les surralistes entendent participer la dfinition de cette ligne culturelle. Ils conoivent leur rle aux cts du parti comme celui dintellectuels rvolutionnaires capables de dfinir et dorienter la politique culturelle du mouvement rvolutionnaire.

    Or, cet objectif suppose llimination des concurrents: les surra-listes sengagent alors dans une lutte froce contre les reprsentations des autres orientations culturelles, et notamment contre Henri Bar-busse, lauteur du Feu, un des premiers crivains avoir rejoint le parti, en 1923, la fois partisan dune littrature proltarienne et dune ouverture en faveur des compagnons de route. Pendant prs de dix ans, les surralistes ont lutt contre lorientation communiste en faveur de la littrature proltarienne et tent de faire accepter leurs positions avant-gardistes, avec un optimisme qui se ressourait rgulirement auprs de la politique culturelle chaotique que tentait de dfinir Mos-cou. Interprtant souvent abusivement les moindres signes en leur faveur, ils lancrent avec ferveur leurs offensives en matire cultu-relle.

    Pour mener bien leur stratgie culturelle, les surralistes ont d faire des concessions politiques. Ils ont ainsi dcid de saligner sur la ligne politique du parti, de fermer les yeux, pendant un temps, sur le stalinisme afin de tenter de gagner leur combat culturel. Alors que leurs positions thiques les rapprochaient de lopposition, des transfu-

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    ges de lextrme gauche libertaire ou des trotskistes, ils dcidrent de se rallier au communisme officiel. Jusquen 1935, nul moi public de leur part face au caractre totalitaire que prend le rgime communiste en URSS, aucune inquitude, aucune protestation face la rpression qui sabat sur les opposants au rgime et notamment sur Trotsky quils tenaient pourtant en haute estime. Ce nest quen 1935 lorsque leur chec inflchir la ligne culturelle dans un sens qui leur soit favorable est patent que les surralistes se dcident dnoncer le stalinisme. Car ces dix annes de combat culturel se sont solds par un cuisant chec: jamais le surralisme ne sera reconnu comme art rvolutionnaire par les communistes. Tout dabord parce que leur gauchisme ne pouvait que dplaire la direction politique du tournant des annes vingt et trente. Et aussi parce que leur orientation avant-gardiste ntait pas du got de ces mmes dirigeants qui lui prfrrent dans un premier temps la littrature proltarienne puis le ralisme socialiste impos par Moscou.

    Lpisode communiste a t la premire dsillusion. Car sils ont tu leurs critiques jusquen 1935, les surralistes ont vite dcouvert que les valeurs honnies rapparaissaient au sein du mouvement commu-niste, que la libert quils revendiquaient ntait gure compatible avec le systme totalitaire qui se mettait en place lEst. Ds lors, afin de maintenir lidal unissant rvolution potique et rvolution artisti-que, il a fallut chercher ailleurs, et notamment au sein de la gauche rvolutionnaire non stalinienne. En 1936, ils participent activement au mouvement de protestation contre les procs de Moscou. Durant la guerre dEspagne, les surralistes soutiennent les rvolutionnaires espagnols et Benjamin Pret rejoint le POUM puis les colonnes de lanarchiste Durruti. En 1938, Breton se rend au Mexique o il ren-contre Trotsky. Depuis les annes vingt, Breton prouve une profonde admiration pour le hros de la rvolution dOctobre. la fin des an-nes trente, les deux hommes se retrouvent dans une mme opposition au stalinisme et sa variante littraire, le ralisme socialiste. De l, nat le manifeste Pour un art indpendant et la Fdration interna-tionale de lart rvolutionnaire indpendant (FIARI). Mais la guerre et les dissensions internes courtent les activits de la FIARI. Si dans les annes 1950-1960, les surralistes garderont une sympathie pour le mouvement trotskyste et sils se retrouveront leurs cts dans bien des combats, il ny aura pas dengagement au sein des organisations. Mme Benjamin Pret qui avait rejoint le mouvement trotskyste durant son exil au Brsil pendant la Seconde Guerre mondiale, prend ses distances: il est en dsaccord avec le soutien inconditionnel

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    lURSS que dfend la IVe Internationale et son interprtation du mar-xisme demeure toute libertaire.

    Lexil aux tats-Unis durant la Seconde Guerre mondiale est peu propice une activit politique. Si le surralisme pictural connat un grand succs, le message politique surraliste ne rencontre aucun cho. Benjamin Pret, en exil au Mexique, est actif dans les cercles trotskystes tandis que les surralistes rests en France fondent le groupe La Main plume et participent la Rsistance.

    Au retour dexil, la Libration, samorce un retour la sensibilit libertaire des dbuts du mouvement. Des contacts se nouent entre les surralistes et le mouvement anarchiste, ils aboutissent la collabora-tion des surralistes au Libertaire, lorgane de la Fdration anar-chiste. partir de 1951, une srie darticles surralistes est publie au sein du journal: les billets surralistes crits directement lattention du journal mais aussi des dclarations collectives, des dis-cours dAndr Breton, des lettres de protestation. Lobjectif des sur-ralistes, similaire celui mis en uvre avec le parti communiste quelques dcennies plus tt, est de dmontrer que la posie et lart surralistes sont vritablement rvolutionnaires. De plus, les surra-listes sestiment le complment indispensable dun mouvement politi-que quils jugent trop cloisonn une problmatique dordre cono-mique et sociale. Si les deux mouvements sassignent un mme but, une socit communiste libertaire, ils agissent pourtant sur deux plans diffrents, lun sur celui de laction directe en prparant la rvolution, lautre sur celui de lesprit et de la sensibilit en vue dun bouleverse-ment des structures mentales. Le ton des billets surralistes se veut trs pdagogique: il sagit dexpliquer des militants politiques le bien fond de la dmarche surraliste. Tout ceci nira pas sans froisser quelques susceptibilits parmi les militants anarchistes. Et la polmi-que propos de la parution de lHomme rvolt dAlbert Camus qui, en sattaquant aux figures mythiques du Panthon surraliste (Sade, Lautramont, Saint-Just, Stirner, etc.) dclenche les foudres des sur-ralistes, met fin leur collaboration. Les liens ne seront pas totale-ment rompus. Mais si lidal libertaire rpond mieux leurs attentes, lactivisme politique des anarchistes des annes cinquante nest plus gure mobilisateur.

    Le mouvement surraliste na jamais abandonn sa volont de transformer le monde mais la composante rvolutionnaire du surra-lisme a, au fil des ans, bien du mal trouver sa place au sein dun mouvement rvolutionnaire. Le soutien lphmre RDR, le Ras-semblement dmocratique rvolutionnaire, est une illustration de la

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    recherche dun mouvement rvolutionnaire non stalinien mais cest aussi une illustration des dsillusions quentranent ces tentatives qui restent vaines. En 1947, le RDR a pour objectif de runir les forces de la gauche non communiste. Des dissidents du parti socialiste (la SFIO), des syndicalistes, des trotskystes se runissent tandis que de nombreux intellectuels apportent leur soutien: Sartre, Simone de Beauvoir, Merleau-Ponty, Emmanuel Mounier, Albert Camus, Andr Breton. Mais le rassemblement est phmre: deux ans aprs sa cra-tion, le RDR se dchire, une forte majorit dsire se rapprocher des communistes, tandis que dautres penchent vers des positions pro-amricaines. Cette exprience montre combien il tait alors difficile dchapper la division binaire du monde.

    Les engagements rvolutionnaires des surralistes cdent alors la place des mobilisations, ponctuelles mais dtermines, en faveur de la dfense des droits de lhomme: dnonciation, ds 1934, des prils fasciste et nazi. Les surralistes sont lorigine du tract Appel la lutte: dcid barrer la route au fascisme, le texte prne une indis-pensable unit de toutes les organisations ouvrires. Ds sa cration, ils se joignent au comit de vigilance des intellectuels antifascistes et signent lappel Aux travailleurs. Ils sont, bien sr, du combat contre la rpression des dissidents des pays communistes. Mais ils ont ga-lement particip des combats moins connus: celui du Mouvement des citoyens du monde, celui en faveur de lobtention dun statut dobjecteur de conscience. En 1948, Breton soutien le mouvement Front humain bientt connu sous le nom de Citoyens du monde. En avril, il prononce un discours de soutien et vend quelques-uns de ses manuscrits au profit du mouvement. Prnant un monde sans fronti-res, dniant toute lgitimit lONU pour uvrer la fraternit et la solidarit entre les peuples, souhaitant redonner sa place la socit civile, les initiateurs du mouvement invitent les citoyens du monde entier se faire enregistrer comme Citoyens du monde. Il est un autre combat ou les surralistes, et nouveau Breton en tte, sinvestissent avec conviction, cest le combat pour lobtention dun statut dobjecteur de conscience. En 1958, Louis Lecoin fait appel Breton pour figurer parmi les douze personnalits du comit de patro-nage. Nombre dobjecteurs sont emprisonns et le contexte de la guerre dAlgrie nest gure favorable au vote dun statut. Louis Le-coin mne alors une longue grve de la faim qui fait flchir le gouver-nement: en juillet 1962, le Conseil des ministres adopte un projet de statut de lobjection de conscience. Les surralistes ont galement t

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    trs actifs dans le mouvement en faveur de lindpendance de lAlgrie.2

    De 1919 1969, la volont de transformer le monde et de changer la vie est reste intacte, sans pour autant quun mouvement rvolution-naire ne parvienne lincarner vritablement. De lambition initiale, le refus de lordre bourgeois est rest partie intgrante des valeurs sur-ralistes, mais lambition de dmocratiser la fonction artistique a quelque peu flchi. Lcriture automatique, le collage, considrs comme les moyens de favoriser un art fait par tous, non par un, ont t quelque peu dlaisss au fil des annes. Et lart surraliste a abouti, comme les autres, la conscration de quelques grands artistes et potes. Cette conscration, obtenue des instances artistiques officiel-les, est alle de pair avec une occultation dlibre du potentiel rvo-lutionnaire du message surraliste. Dernier exemple, celui de lexposition La Rvolution surraliste prsente au Centre Georges Pompidou en 2002: malgr son titre, lexposition de Beaubourg a oc-cult la dimension rvolutionnaire du surralisme. Tout en restant trs attachs leur utopie originelle, les surralistes semblent pourtant stre fort bien accommods de cette conscration. En 1948, Andr Breton revient sur ce dsir qualifi de juvnile qui continue pourtant de lanimer mais qui lui avait, autrefois, dit-il, attir les foudres dAndr Gide devant la perspective de mettre le gnie la porte de tout le monde (Breton 1948, 262-263):

    Lcriture automatique, avec tout ce quelle entrane dans son orbite, vous ne pouvez savoir comme elle me reste chre. Je crois pourtant que rien na t moins compris. Cela viendra [] En faveur de lautomatisme tel que je lenvisageais au dpart, je ferai valoir encore quen tant que mthode dexpression mise la porte de tous, et dont rien ntait gard secret, il demeure ce qui a t invent de mieux pour confondre la vanit littraire et artistique, dont il ne se passe pas de jour que nous ne lui voyons prendre un tout plus rvoltant.3

    1 Voir la contribution de Hans T. Siepe, 169-180.

    2 Voir la contribution dHenri Bhar, 197-214. 3 A. Breton interview par A. Patri, paru mars 1948, repris dans Breton 1973.

    Bibliographie Breton, Andr. 1933. Le message automatique in Minotaure, 4: 62 (voir aussi

    Breton, Andr, 1992. uvres compltes, tome 2. Paris: Gallimard: 387). Breton, Andr. 1948. Combat, 16 dcembre. Breton, Andr. 1973. Entretiens. Paris: Gallimard. Ernst, Max. 1970. Quest-ce que le surralisme? in critures (1934). Paris, Galli-

    mard. Reynaud Paligot, Carole. 11995, 22001. Parcours politique des surralistes 1919-

    1969. Paris: CNRS.