albert mathiez la révolution française la chute de la royauté la gironde et la montagne la terre
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@Albert MATHIEZ
LA RVOLUTION FRANAISE
La chute de la royautLa Gironde et la Montagne
La Terreur
Un document produit en version numrique par Pierre Palpant, bnvole, Courriel : [email protected]
Dans le cadre de la collection : Les classiques des sciences sociales fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay,
professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi.Site web : http://classiques.uqac.ca/
Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile Boulet de lUniversit du Qubec Chicoutimi.
Site web : http://bibliotheque.uqac.ca/
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La Rvolution franaise
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Un document produit en version numrique par Pierre Palpant, collaborateur bnvole, Courriel : [email protected]
partir de :
LA RVOLUTION FRANAISE
par Albert MATHIEZ (1874 - 1932)
Editions La Manufacture, Lyon, 1989, 584 pages.1e dition : Librairie Armand Colin, Paris, 1922.
Polices de caractres utilise : Verdana, 12 et 10 points.Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5 x 11
[note : un clic sur @ en tte de volume et des chapitres et en fin douvrage, permet de rejoindre la table des matires]
dition complte le 1er dcembre 2006 Chicoutimi, Qubec.
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T A B L E D E S M A T I R E S
Avertissement
LA CHUTE DE LA ROYAUTE
La crise de lAncien RgimeLa rvolte nobiliaireLes tats gnrauxLa rvolte parisienneLa rvolte des provincesLa Fayette maire du palaisLa reconstruction de la France La question financireLa question religieuseLa fuite du roiLa guerreLe renversement du trne
LA GIRONDE ET LA MONTAGNE
1. La fin de la Lgislative (10 aot-20 septembre 1792).
La Commune et lAssembleSeptembreLes lections la ConventionValmy
2. Le gouvernement de la Gironde
La trve de trois joursLassaut contre les triumvirs La formation du tiers partiLe procs du roiFinances et vie chreLa conqute des frontires naturellesLa premire coalitionLa trahison de DumouriezLa VendeLa chute de la Gironde
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LA TERREUR
La rvolte fdralisteLes dbuts du grand Comit de salut public (juillet 1793)La crise du mois daotLa pousse hbertiste et linauguration de la TerreurHondschoote et WattigniesLtablissement du gouvernement rvolutionnaireLa justice rvolutionnaireLe complot de ltrangerLes IndulgentsDes citra aux ultraLa chute des factionsLa rorganisation du gouvernement rvolutionnaireFleurusThermidor
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AVERTISSEMENT
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Si on a supprim volontairement de ce livre, qui sadresse au
public cultiv dans son ensemble, tout appareil drudition, cela
ne veut pas dire quon nait pas cherch le mettre au courant
des dernires dcouvertes scientifiques. Les spcialistes verront
bien, du moins nous lesprons, quil est tabli sur une
documentation tendue, parfois mme indite, interprte par
une critique indpendante.
Mais lrudition est une chose, lhistoire en est une autre.
Lrudition recherche et rassemble les tmoignages du pass,
elle les tudie un un, elle les confronte pour en faire jaillir la
vrit. Lhistoire reconstitue et expose. Lune est analyse. Lautre
est synthse.
Nous avons tent ici de faire uvre dhistorien, cest--dire
que nous avons voulu tracer un tableau, aussi exact, aussi clair
et aussi vivant que possible, de ce que fut la Rvolution franaise
sous ses diffrents aspects. Nous nous sommes attachs avant
tout mettre en lumire lenchanement des faits en les
expliquant par les manires de penser de lpoque et par le jeu
des intrts et des forces en prsence, sans ngliger les facteurs
individuels toutes les fois que nous avons pu en saisir laction.
Le cadre qui nous tait impos ne nous permettait pas de tout
dire. Nous avons t oblig de faire un choix parmi les
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vnements. Mais nous esprons navoir rien laiss tomber
dessentiel.
Le 5 octobre 1921.
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ILA CHUTE
DE LA ROYAUT
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1LA CRISE DE LANCIEN RGIME
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p.13 Les rvolutions, les vritables, celles qui ne se bornent pas
changer les formes politiques et le personnel gouvernemental,
mais qui transforment les institutions et dplacent la proprit,
cheminent longtemps invisibles avant dclater au grand jour
sous leffet de quelques circonstances fortuites. La Rvolution
franaise, qui surprit, par sa soudainet irrsistible, ceux qui en
furent les auteurs et les bnficiaires comme ceux qui en furent
les victimes, sest prpare lentement pendant un sicle et plus.
Elle sortit du divorce, chaque jour plus profond, entre les ralits
et les lois, entre les institutions et les murs, entre la lettre et
lesprit.
Les producteurs, sur qui reposait la vie de la socit,
accroissaient chaque jour leur puissance, mais le travail restait
une tare aux termes du code. On tait noble dans la mesure o
on tait inutile. La naissance et loisivet confraient des
privilges qui devenaient de plus en plus insupportables ceux
qui craient et dtenaient les richesses.
En thorie le monarque, reprsentant de Dieu sur la terre,
tait absolu. Sa volont tait la loi. Lex Rex. En fait il ne pouvait
plus se faire obir mme de ses fonctionnaires immdiats. Il
agissait si mollement quil semblait douter lui-mme de ses
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droits. Au-dessus de lui planait un pouvoir nouveau et anonyme,
lopinion, qui minait lordre tabli dans le respect des hommes.
p.14 Le vieux systme fodal reposait essentiellement sur la
proprit foncire. Le seigneur confondait en sa personne les
droits du propritaire et les fonctions de ladministrateur, du juge
et du chef militaire. Or, depuis longtemps dj, le seigneur a
perdu sur ses terres toutes les fonctions publiques qui sont
passes aux agents du roi. Le servage a presque partout
disparu. Il ny a plus de mainmortables que dans quelques
domaines ecclsiastiques, dans le Jura, le Nivernais, la
Bourgogne. La glbe, presque entirement mancipe nest plus
rattache au seigneur que par le lien assez lche des rentes
fodales, dont le maintien ne se justifie plus par les services
rendus.
Les rentes fodales, sorte de fermages perptuels perus
tantt en nature (champart), tantt en argent (cens), ne
rapportent gure aux seigneurs quune centaine de millions par
an, somme assez faible eu gard la diminution constante du
pouvoir de largent. Elles ont t fixes une fois pour toutes, il y
a des sicles, au moment de la suppression du servage, un
taux invariable, tandis que le prix des choses a mont sans
cesse. Les seigneurs, qui sont dpourvus demplois, tirent
maintenant le plus clair de leurs ressources des proprits quils
se sont rserves en propre et quils exploitent directement ou
par leurs intendants.
Le droit danesse dfend le patrimoine des hritiers du nom ;
mais les cadets, qui ne russissent pas entrer dans lArme ou
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dans lglise, sont rduits des parts infimes qui ne suffisent
bientt plus les faire vivre. A la premire gnration ils se
partagent le tiers des biens paternels, la deuxime, le tiers de
ce tiers et ainsi de suite. Rduits la gne, ils vendent pour
subsister leurs droits de justice, leurs cens, leurs champarts,
leurs terres, mais ils ne songent pas travailler, car ils ne
veulent pas droger. Une vritable plbe nobiliaire sest forme,
trs nombreuse en certaines provinces, comme la Bretagne, le
Poitou, le Boulonnais, etc. Elle vgte assombrie dans ses
modestes manoirs. Elle dteste la haute noblesse en possession
des emplois de Cour. Elle mprise et envie le bourgeois de la
ville, qui senrichit par le commerce et lindustrie. Elle dfend
avec pret contre les empitements des agents du roi ses p.15
dernires immunits fiscales. Elle se fait dautant plus arrogante
quelle est plus pauvre et plus impuissante.
Exclu de tout pouvoir politique et administratif depuis que
labsolutisme monarchique a pris dfinitivement racine avec
Richelieu et Louis XIV, le hobereau est souvent ha de ses
paysans parce quil est oblig pour vivre de se montrer exigeant
sur le paiement de ses rentes. La basse justice, dernier dbris
quil a conserv de son antique puissance, devient entre les
mains de ses juges mal pays un odieux instrument fiscal. Il sen
sert notamment pour semparer des communaux dont il
revendique le tiers au nom du droit de triage. La chvre du
pauvre, prive des communaux, ne trouve plus sa pitance et les
plaintes des petites gens saigrissent. La petite noblesse, malgr
le partage des communaux, se juge sacrifie. A la premire
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occasion elle manifestera son mcontentement. Elle sera un
lment de troubles.
En apparence la haute noblesse, surtout les 4 000 familles
prsentes , qui paradent la Cour, chassent avec le roi et
montent dans ses carrosses, nont pas se plaindre du sort.
Elles se partagent les 33 millions que rapportent par an les
charges de la maison du roi et des princes, les 28 millions des
pensions qui salignent en colonnes serres sur le livre rouge, les
46 millions de la solde des 12 000 officiers de larme qui
absorberont eux seuls plus de la moiti du budget militaire,
tous les millions enfin de nombreuses sincures telles que les
charges de gouverneurs des provinces. Elles soutirent ainsi prs
du quart du budget. A ces nobles prsents reviennent encore
les grosses abbayes que le roi distribue leurs fils cadets
souvent tonsurs douze ans. Pas un seul des 143 vques qui
ne soit noble en 1789. Ces vques gentilshommes vivent la
Cour loin de leurs diocses, quils ne connaissent gure que par
les revenus quils leur rapportent. Les biens du clerg produisent
120 millions par an environ et les dmes, perues sur la rcolte
des paysans, en produisent peu prs autant, soit 240 millions
qui sajoutent aux autres dotations de la haute noblesse. Le
menu fretin des curs, qui assure le service divin, ne recueille
que les cailles. La portion congrue vient seulement dtre
porte 700 livres p.16 pour les curs et 350 livres pour les
vicaires. Mais de quoi se plaignent ces roturiers ?
La haute noblesse cote donc trs cher. Comme elle possde
en propre de grands domaines, dont la valeur dpassera 4
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milliards quand ils seront vendus sous la Terreur, elle dispose de
ressources abondantes qui lui permettent, semble-t-il, de
soutenir son tat avec magnificence. Un courtisan est pauvre
quand il na que 100 000 livres de rentes. Les Polignac touchent
sur le Trsor en pensions et gratifications 500 000 livres dabord,
puis 700 000 livres par an. Mais lhomme de Cour passe son
temps reprsenter . La vie de Versailles est un gouffre o
les plus grosses fortunes sanantissent. On joue un jeu denfer,
lexemple de Marie-Antoinette. Les vtements somptueux,
brochs dor et dargent, les carrosses, les livres, les chasses,
les rceptions, les spectacles, les plaisirs exigent des sommes
normes. La haute noblesse sendette et se ruine avec
dsinvolture. Elle sen remet des intendants qui la volent, du
soin dadministrer ses revenus, dont elle ignore parfois ltat
exact. Biron, duc de Lauzun, don Juan notoire, a mang 100 000
cus vingt et un ans et sest endett en outre de 2 millions. Le
comte de Clermont, abb de Saint-Germain-des-Prs, prince du
sang, avec 360 000 livres de revenu a lart de se ruiner deux
reprises. Le duc dOrlans, qui est le plus grand propritaire de
France, sendette de 74 millions. Le prince de Rohan-Gumene
fait une faillite dune trentaine de millions dont Louis XVI
contribue payer la plus grande part. Les comtes de Provence et
dArtois, frres du roi, doivent, vingt-cinq ans, une dizaine de
millions. Les autres gens de Cour suivent le courant et les
hypothques sabattent sur leurs terres. Les moins scrupuleux se
livrent lagiotage pour se remettre flot. Le comte de Guines,
ambassadeur Londres, est ml une affaire descroquerie qui
a son pilogue devant les tribunaux. Le cardinal de Rohan,
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vque de Strasbourg, spcule sur la vente de lenclos du
Temple Paris, bien dglise quil aline comme place btir. Il y
en a, comme le marquis de Sillery, mari de Mme de Genlis, qui
font de leurs salons des salles de tripot. Tous frquentent les
gens de thtre et se dclassent. Des vques comme p.17 Dillon,
de Narbonne, et Jarente, dOrlans, vivent publiquement avec
des concubines qui prsident leurs rceptions.
Chose curieuse, ces nobles de Cour, qui doivent tout au roi,
sont loin dtre dociles. Beaucoup sennuient de leur oisivet
dore. Les meilleurs et les plus ambitieux rvent dune vie plus
active. Ils voudraient, comme les lords dAngleterre, jouer un
rle dans ltat, tre autre chose que des figurants. Ils pousent
les ides nouvelles en les ajustant leurs dsirs. Plusieurs et
non des moindres, les La Fayette, les Custine, les deux Viomnil,
les quatre Lameth, les trois Dillon, qui ont mis leur pe au
service de la libert amricaine, font, leur retour en France,
figure dopposants. Les autres sont partags en factions qui
intriguent et conspirent autour des princes du sang contre les
favoris de la reine. A lheure du pril, la haute noblesse ne sera
pas unanime, tant sen faut ! dfendre le trne.
Lordre de la noblesse comprend en ralit des castes
distinctes et rivales dont les plus puissantes ne sont pas celles
qui peuvent invoquer les parchemins les plus anciens. A ct de
la noblesse de race ou dpe sest constitue, au cours des deux
derniers sicles, une noblesse de robe ou doffices qui
monopolise les emplois administratifs et judiciaires. Les
membres des parlements, qui rendent la justice dappel, sont
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la tte de cette nouvelle caste aussi orgueilleuse et plus riche
peut-tre que lancienne. Matres de leurs charges quils ont
achetes trs cher et quils se transmettent de pre en fils, les
magistrats sont en fait inamovibles. Lexercice de la justice met
dans leur dpendance le monde innombrable des plaideurs. Ils
senrichissent par les pices et achtent de grandes proprits.
Les juges du parlement de Bordeaux possdent les meilleurs
crus du Bordelais. Ceux de Paris, dont les revenus galent
parfois ceux des grands seigneurs, souffrent de ne pouvoir tre
prsents la Cour, faute de quartiers suffisants. Ils
senferment dans une morgue hautaine de parvenus et
prtendent diriger ltat. Comme tout acte royal, dit,
ordonnance ou mme trait diplomatique, ne peut entrer en
vigueur quautant que son texte aura t couch sur leurs
registres, les magistrats prennent prtexte de ce droit
denregistrement pour jeter un coup dil sur ladministration
royale et pour mettre des remontrances. Dans le pays muet, ils
ont seuls le droit p.18 de critique et ils en usent pour se
populariser en protestant contre les nouveaux impts, en
dnonant le luxe de la Cour, les gaspillages, les abus de toute
sorte. Ils senhardissent parfois lancer des mandats de
comparution contre les plus hauts fonctionnaires quils
soumettent des enqutes infamantes, comme ils firent pour le
duc dAiguillon, commandant de Bretagne, comme ils feront pour
le ministre Calonne, au lendemain de sa disgrce. Sous prtexte
que, dans le lointain des ges, la Cour de justice, le Parlement
proprement dit, ntait quune section de lassemble gnrale
des vassaux de la couronne que les rois taient alors tenus de
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consulter avant tout nouvel impt, sous prtexte aussi qu
certaines audiences solennelles, ou lits de justice, les princes du
sang, les ducs et pairs viennent prendre sance ct deux, ils
affirment quen labsence des tats gnraux, ils reprsentent les
vassaux et ils voquent le droit fodal, lancienne constitution de
la monarchie, pour mettre en chec le gouvernement et le roi.
Leur rsistance va jusqu la grve, jusquaux dmissions en
masse. Les diffrents parlements du royaume se coalisent. Ils
prtendent quils ne forment quun seul corps divis en classes,
et les autres cours souveraines, Cour des comptes, Cour des
aides, appuient leurs menes factieuses. Louis XV, qui tait un
roi, malgr son indolence, finit par se lasser de leur perptuelle
opposition. Sur le conseil du chancelier Maupeou, il supprima le
Parlement de Paris la fin de son rgne et le remplaa par des
conseils suprieurs confins dans les seules attributions
judiciaires. Mais le faible Louis XVI, cdant aux exigences de ce
quil croyait tre lopinion publique, rtablit le Parlement son
avnement et prpara ainsi la perte de sa couronne. Si les lgers
pamphlets des philosophes ont contribu discrditer lAncien
Rgime, coup sr les massives remontrances des gens de
justice ont fait plus encore pour rpandre dans le peuple
lirrespect et la haine de lordre tabli.
Le roi, qui voit se dresser contre lui les officiers qui
rendent en son nom la justice, peut-il du moins compter sur
lobissance et sur le dvouement des autres officiers qui
forment ses conseils ou qui administrent pour lui les provinces ?
Le temps nest plus o les agents du roi taient les ennemis-ns
des anciens pouvoirs fodaux p.19 quils avaient dpossds. Les
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offices anoblissaient. Les roturiers de la veille sont devenus des
privilgis. Ds le temps de Louis XIV on donnait aux ministres
du Monseigneur. Leurs fils taient faits comtes ou marquis. Sous
Louis XV et Louis XVI, les ministres furent choisis de plus en plus
dans la noblesse et pas seulement dans la noblesse de robe,
mais dans la vieille noblesse dpe. Parmi les trente-six
personnages qui occuprent les portefeuilles de 1774 1789, il
ny en eut quun seul qui ne ft pas noble, le citoyen de Genve,
Necker, qui voulut dailleurs que sa fille ft baronne.
Contrairement ce quon dit trop souvent, les intendants eux-
mmes, sur qui reposait ladministration des provinces, ntaient
plus choisis parmi les hommes de naissance commune. Tous
ceux qui furent en fonction sous Louis XVI appartenaient des
familles nobles ou anoblies et parfois depuis plusieurs
gnrations. Un de Trmond, intendant de Montauban, un
Fournier de la Chapelle, intendant dAuch, pouvaient remonter au
XIIIe sicle. Il y avait des dynasties dintendants comme il y
avait des dynasties de parlementaires. Il est vrai que les
intendants, ne tenant pas leur place par office, taient
rvocables comme les matres des requtes au conseil du roi
parmi lesquels ils se recrutaient, mais leurs richesses, les offices
judiciaires quils cumulaient avec leurs fonctions administratives,
leur assuraient une relle indpendance. Beaucoup cherchaient
se populariser dans leur gnralit . Ils ntaient plus les
instruments dociles quavaient t leurs prdcesseurs du grand
sicle. Le roi tait de plus en plus mal obi. Les parlements
nauraient pas os soutenir des luttes aussi prolonges contre les
ministres si ceux-ci avaient pu compter sur le concours absolu de
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tous les administrateurs leurs subordonns. Mais les diffrentes
noblesses sentaient de plus en plus leur solidarit. Elles savaient
loccasion oublier leurs rivalits pour faire front tout ensemble
contre les peuples et contre le roi, quand celui-ci tait par hasard
touch par quelque vellit de rforme.
Les pays dtats, cest--dire les provinces, tardivement
rattaches au royaume, qui avaient conserv un simulacre de
reprsentation fodale, manifestent sous Louis XVI des
tendances particularistes. La rsistance des tats de Provence,
en 1782, forait le roi retirer p.20 un droit doctroi sur les huiles.
Les tats du Barn et de Foix, en 1786, refusaient de voter un
nouvel impt. Les tats de Bretagne, coaliss avec le parlement
de Rennes, parvenaient mettre en chec lintendant, ds le
temps de Louis XV, propos de la corve. Ils semparaient
mme de la direction des travaux publics. Ainsi, la centralisation
administrative reculait.
Partout la confusion et le chaos. Au centre, deux organes
distincts : le Conseil, divis en nombreuses sections, et les six
ministres, indpendants les uns des autres, simples commis qui
ne dlibrent pas en commun et qui nont pas tous entre au
Conseil. Les divers services publics chevauchent dun
dpartement lautre, selon les convenances personnelles. Le
contrleur gnral des finances avoue quil lui est impossible de
dresser un budget rgulier, cause de lenchevtrement des
exercices, de la multiplicit des diverses caisses, de labsence
dune comptabilit rgulire. Chacun tire de son ct. Sartine,
ministre de la Marine, dpense des millions linsu du contrleur
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gnral. Aucun ensemble dans les mesures prises. Tel ministre
protge les philosophes, tel autre les perscute. Tous se
jalousent et intriguent. Leur grande proccupation est moins
dadministrer que de retenir la faveur du matre ou de ses
entours. Lintrt public nest plus dfendu. Labsolutisme de
droit divin sert couvrir toutes les dilapidations, tous les
arbitraires, tous les abus. Aussi les ministres et les intendants
sont-ils communment dtests, et la centralisation imparfaite
quils personnifient, loin de fortifier la monarchie, tourne contre
elle lopinion publique.
Les circonscriptions administratives refltent la formation
historique du royaume. Elles ne sont plus en rapport avec les
ncessits de la vie moderne. Les frontires, mme du ct de
ltranger, sont indcises. On ne sait pas au juste o finit
lautorit du roi et o elle commence. Des villes et villages sont
mi-partie France et Empire. La commune de Rarcourt, prs
Vitry-le-Franois, en pleine Champagne, paie trois fois 2 sous 6
deniers par tte de chef de famille ses trois suzerains : le roi
de France, lempereur dAllemagne et le prince de Cond. La
Provence, le Dauphin, le Barn, la Bretagne, lAlsace, la
Franche-Comt, etc., invoquent les vieilles capitulations qui
les ont runies la France et considrent volontiers p.21 que le roi
nest chez elles que seigneur, comte ou duc. Le maire de la
commune de Morlaas en Barn formule, au dbut du cahier de
dolances de 1789, la question suivante : Jusqu quel point
nous convient-il de cesser dtre Barnais pour devenir plus ou
moins Franais ? La Navarre continue dtre un royaume
distinct qui refuse dtre reprsent aux tats gnraux. Selon le
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mot de Mirabeau, la France nest toujours quun agrgat
inconstitu de peuples dsunis .
Les vieilles divisions judiciaires, bailliages dans le Nord et
snchausses dans le Midi, sont restes superposes aux
anciens fiefs fodaux dans une bigarrure tonnante. Les bureaux
de Versailles ne savent pas au juste le nombre des siges de
justice et, plus forte raison, ltendue de leur ressort. Ils
commettront, en 1789, dtranges erreurs dans lexpdition des
lettres de convocation aux tats gnraux. Les circonscriptions
militaires ou gouvernements qui datent du XVIe sicle nont pour
ainsi dire pas vari ; les circonscriptions financires administres
par les intendants, ou gnralits, qui datent du sicle suivant,
nont pas t davantage ajustes aux besoins nouveaux. Les
circonscriptions ecclsiastiques ou provinces sont restes
presque immuables depuis lEmpire romain. Elles chevauchent
de part et dautre de la frontire politique. Des curs franais
relvent de prlats allemands et rciproquement.
Quand lordre social sera branl, la vieille machine
administrative, composite, rouille et grinante, sera incapable
de fournir un effort srieux de rsistance.
En face des privilgis et des officiers en possession de
ltat se lvent peu peu les forces nouvelles nes du ngoce et
de lindustrie. Dun ct la proprit fodale et foncire, de
lautre la richesse mobilire et bourgeoise.
Malgr les entraves du rgime corporatif, moins oppressif
cependant quon ne la cru, malgr les douanes intrieures et les
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pages, malgr la diversit des mesures de poids, de longueur et
de capacit, le commerce et lindustrie ont grandi pendant tout
le sicle. Pour la valeur des changes la France vient
immdiatement aprs lAngleterre. Elle a le monopole des
denres coloniales. Sa possession de Saint-Domingue fournit
elle seule la moiti du sucre consomm dans le monde.
Lindustrie de la soie, qui fait vivre Lyon p.22 65 000 ouvriers,
na pas de rivale. Nos eaux-de-vie, nos vins, nos toffes, nos
modes, nos meubles se vendent dans toute lEurope. La
mtallurgie elle-mme, dont le dveloppement a t tardif,
progresse. Le Creusot, quon appelle encore Montcenis, est dj
une usine modle pourvue du dernier perfectionnement, et
Dietrich, le roi du fer de lpoque, emploie dans ses hauts
fourneaux et ses forges de Basse-Alsace, outills langlaise,
des centaines douvriers. Un armateur de Bordeaux, Bonaff,
possde, en 1791, une flotte de trente navires et une fortune de
16 millions. Ce millionnaire nest pas une exception, tant sen
faut. Il y a Lyon, Marseille, Nantes, au Havre, Rouen, de
trs grosses fortunes.
Lessor conomique est si intense que les banques se
multiplient sous Louis XVI. La Caisse descompte de Paris met
dj des billets analogues ceux de notre Banque de France. Les
capitaux commencent se grouper en socits par actions :
Compagnie des Indes, Compagnies dassurances sur lincendie,
sur la vie, Compagnie des eaux de Paris. Lusine mtallurgique
de Montcenis est monte par actions. Les titres cots en Bourse
ct des rentes sur lHtel de Ville (cest--dire sur ltat)
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donnent lieu des spculations trs actives. On pratique dj le
march terme.
Le service de la dette publique absorbe, en 1789, 300 millions
par an, cest--dire plus de la moiti de toutes les recettes de
ltat. La Compagnie des fermiers gnraux, qui peroit pour le
compte du roi le produit des impts indirects, aides, gabelle,
tabac, timbre, etc., compte sa tte des financiers de premier
ordre qui rivalisent de magnificence avec les nobles les plus
hupps. Il circule travers la bourgeoisie un norme courant
daffaires. Les charges dagents de change doublaient de prix en
une anne. Necker a crit que la France possdait prs de la
moiti du numraire existant en Europe. Les ngociants achtent
les terres des nobles endetts. Ils se font btir dlgants htels
que dcorent les meilleurs artistes. Les fermiers gnraux ont
leurs folies dans les faubourgs de Paris, comme les grands
seigneurs. Les villes se transforment et sembellissent.
Un signe infaillible que le pays senrichit, cest que la
population augmente rapidement et que le prix des denres, des
terres et des maisons subit une hausse constante. La France
renferme dj p.23 vingt-cinq millions dhabitants, deux fois
autant que lAngleterre ou que la Prusse. Le bien-tre descend
peu peu de la haute bourgeoisie dans la moyenne et dans la
petite. On shabille mieux, on se nourrit mieux quautrefois.
Surtout on sinstruit. Les filles de la roture, quon appelle
maintenant demoiselles pourvu quelles portent des paniers,
achtent des pianos. La plus-value des impts de consommation
atteste les progrs de laisance.
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Ce nest pas dans un pays puis, mais au contraire dans un
pays florissant, en plein essor, quclatera la Rvolution. La
misre, qui dtermine parfois des meutes, ne peut pas
provoquer les grands bouleversements sociaux. Ceux-ci naissent
toujours du dsquilibre des classes.
La bourgeoisie possdait certainement la majeure partie de la
fortune franaise. Elle progressait sans cesse, tandis que les
ordres privilgis se ruinaient. Sa croissance mme lui faisait
sentir plus vivement les infriorits lgales auxquelles elle restait
condamne. Barnave devint rvolutionnaire le jour o un noble
expulsa sa mre de la loge quelle occupait au thtre de
Grenoble. Mme Roland se plaint quayant t retenue avec sa
mre dner au chteau de Fontenay, on les servit loffice.
Blessures de lamour-propre, combien avez-vous fait dennemis
lAncien Rgime ?
La bourgeoisie, qui tient largent, sest empare aussi du
pouvoir moral. Les hommes de lettres, sortis de ses rangs, se
sont affranchis peu peu de la domesticit nobiliaire. Ils crivent
maintenant pour le grand public qui les lit, ils flattent ses gots,
ils dfendent ses revendications. Leur plume ironique persifle
sans cesse toutes les ides sur lesquelles repose ldifice ancien
et tout dabord lide religieuse. La tche leur est singulirement
facilite par les querelles thologiques qui dconsidrent les
hommes de la tradition. Entre le jansnisme et
lultramontanisme, la philosophie fait sa troue. La suppression
des jsuites, en 1763, jette bas le dernier rempart un peu
srieux qui sopposait lesprit nouveau. La vie religieuse na
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plus dattraits. Les couvents se dpeuplent, les donations pieuses
tombent des chiffres infimes. Ds lors les novateurs ont cause
gagne. Le haut clerg se dfend peine. Les prlats de Cour se
croiraient dshonors sils passaient pour dvots. Ils mettent
leur p.24 coquetterie rpandre les lumires. Ils ne veulent plus
tre dans leurs diocses que des auxiliaires de ladministration.
Leur zle nest plus au service du bonheur cleste, mais du
bonheur terrestre. Un idal utilitaire simpose uniformment
tous ceux qui parlent ou qui crivent. La foi traditionnelle est
relgue lusage du peuple comme un complment oblig de
lignorance et de la roture. Les curs eux-mmes lisent
lEncyclopdie et simprgnent de Mably, de Raynal et de Jean-
Jacques.
Aucun de ces grands seigneurs, qui applaudissent les
hardiesses et les impertinences des philosophes, ne prend garde
que lide religieuse est la clef de vote du rgime. Comment la
libre critique, une fois dchane, se contenterait-elle de bafouer
la superstition ? Elle sattaque aux institutions les plus
vnrables. Elle propage partout le doute et lironie. Les
privilgis pourtant ne semblent pas comprendre. Le comte de
Vaudreuil, tendre ami de la Polignac, fait jouer dans son chteau
de Gennevilliers Le Mariage de Figaro, cest--dire la satire la
plus cinglante et la plus audacieuse de la caste nobiliaire. Marie-
Antoinette sentremet pour que la pice, jusque-l interdite,
puisse tre joue au Thtre-Franais. La rvolution tait faite
dans les esprits longtemps avant de se traduire dans les faits, et
parmi ses auteurs responsables il faut compter bon droit ceux-
l mmes qui seront ses premires victimes.
La Rvolution franaise
24
-
La rvolution ne pouvait venir que den haut. Le peuple des
travailleurs, dont ltroit horizon ne dpassait pas la profession,
tait incapable den prendre linitiative et, plus forte raison,
den saisir la direction. La grande industrie commenait peine.
Les ouvriers ne formaient nulle part des groupements cohrents.
Ceux quenrlaient et subordonnaient les corporations taient
diviss en compagnonnages rivaux plus proccups se
quereller pour des raisons mesquines qu faire front contre le
patronat. Ils avaient dailleurs lespoir et la possibilit de devenir
patrons leur tour, puisque la petite artisanerie tait toujours la
forme normale de la production industrielle. Quant aux autres,
ceux qui commenaient tre employs dans les
manufactures , beaucoup taient des paysans qui ne
considraient leur salaire industriel que comme un appoint
leurs ressources agricoles. La plupart se montrrent dociles et p.
25 respectueux lgard des employeurs qui leur procuraient du
travail, tel point quils les considraient, en 1789, comme leurs
reprsentants naturels. Les ouvriers se plaignent sans doute de
la modicit des salaires qui nont pas grandi aussi vite que le prix
des denres, au dire de linspecteur aux manufactures Roland.
Ils sagitent parfois, mais ils nont pas encore le sentiment quils
forment une classe distincte du tiers tat.
Les paysans sont les btes de somme de cette socit.
Dmes, cens, champarts, corves, impts royaux, milice, toutes
les charges sabattent sur eux. Les pigeons et le gibier du
seigneur ravagent impunment leurs rcoltes. Ils habitent dans
des maisons de terre battue, souvent couvertes de chaume,
La Rvolution franaise
25
-
parfois sans chemine. Ils ne connaissent la viande que les jours
de fte et le sucre quen cas de maladie. Compars nos
paysans daujourdhui ils sont trs misrables et cependant ils
sont moins malheureux que ne lont t leurs pres ou que ne le
sont leurs frres, les paysans dItalie, dEspagne, dAllemagne,
dIrlande ou de Pologne. A force de travail et dconomie certains
ont pu acheter un morceau de champ ou de pr. La hausse des
denres agricoles a favoris leur commencement de libration.
Les plus plaindre sont ceux qui nont pas russi acqurir un
peu de terre. Ceux-l sirritent contre le partage des communaux
par les seigneurs, contre la suppression de la vaine pture et du
glanage qui leur enlve le peu de ressources quils tiraient du
communisme primitif. Nombreux aussi sont les journaliers qui
subissent de frquents chmages et qui sont obligs de se
dplacer de ferme en ferme la recherche de lembauche. Entre
eux et le peuple des vagabonds et des mendiants la limite est
difficile tracer. Cest l que se recrute larme des
contrebandiers et des faux-sauniers en lutte perptuelle contre
les gabelous.
Ouvriers et paysans, capables dun bref sursaut de rvolte
quand le joug devient trop pesant, ne discernent pas les moyens
de changer lordre social. Ils commencent seulement
apprendre lire. Mais ct deux, il y a, pour les clairer, le
cur et le praticien, le cur auquel ils confient leurs chagrins, le
praticien qui dfend en justice leurs intrts. Or le cur, qui a lu
les crits du sicle, qui connat lexistence scandaleuse que
mnent ses chefs dans leurs somptueux p.26 palais et qui vit
pniblement de sa congrue, au lieu de prcher ses ouailles la
La Rvolution franaise
26
-
rsignation comme autrefois, fait passer dans leurs mes un peu
de lindignation et de lamertume dont la sienne est pleine. Le
praticien, de son ct, qui est oblig, par ncessit
professionnelle, de dpouiller les vieux grimoires fodaux, ne
peut manquer destimer leur valeur les titres archaques sur
lesquels sont fondes la richesse et loppression. Babeuf apprend
mpriser la proprit en pratiquant son mtier de feudiste. Il
plaint les paysans qui lavidit du seigneur, qui lemploie
restaurer son chartrier, va extorquer de nouvelles rentes
oublies.
Ainsi se fait un sourd travail de critique qui de loin devance et
prpare lexplosion. Que vienne loccasion et toutes les colres
accumules et rentres armeront les bras des misrables excits
et guids par la foule des mcontents.
@
La Rvolution franaise
27
-
2LA RVOLTE NOBILIAIRE
@
p.27 Pour matriser la crise qui sannonait, il aurait fallu la
tte de la monarchie un roi. On neut que Louis XVI. Ce gros
homme, aux manires communes, ne se plaisait qu table, la
chasse ou dans latelier du serrurier Gamain. Le travail
intellectuel le fatiguait. Il dormait au Conseil. Il fut bientt un
objet de moquerie pour les courtisans lgers et frivoles. On
frondait sa personne jusque dans lil-de-buf. Il souffrait que
le duc de Coigny lui fit une scne propos dune diminution
dappointements. Son mariage tait une riche matire cruelles
railleries. La fille de Marie-Thrse quil avait pouse tait jolie,
coquette et imprudente. Elle se jetait au plaisir avec une fougue
insouciante. On la voyait au bal de lOpra o elle savourait les
familiarits les plus oses, quand son froid mari restait
Versailles. Elle recevait les hommages des courtisans les plus
mal fams : dun Lauzun, dun Esterhazy. On lui donnait comme
amant avec vraisemblance le beau Fersen, colonel du Royal
sudois. On savait que Louis XVI navait pu consommer son
mariage que sept ans aprs sa clbration au prix dune
opration chirurgicale. Les mdisances jaillissaient en chansons
outrageantes, surtout aprs la naissance tardive dun dauphin.
Des cercles aristocratiques, les pigrammes circulaient jusque
dans la bourgeoisie et dans le peuple et la reine tait perdue de
rputation bien avant la Rvolution. Une aventurire, la
La Rvolution franaise
28
-
comtesse de Lamothe, issue dun btard de p.28 Charles IX, put
faire croire au cardinal de Rohan quelle aurait le moyen de lui
concilier les bonnes grces de Marie-Antoinette sil voulait
seulement laider acheter un magnifique collier que la lsinerie
de son poux lui refusait. Le cardinal eut des entrevues au clair
de lune derrire les bosquets de Versailles avec une femme quil
prit pour la reine. Quand lintrigue se dcouvrit, sur la plainte du
joaillier Boehmer, dont le collier navait pas t pay, Louis XVI
commit limprudence de recourir au Parlement pour venger son
honneur outrag. Si la comtesse de Lamothe fut condamne, le
cardinal fut acquitt aux applaudissements universels. Le verdict
signifiait que le fait de considrer la reine de France comme
facile sduire ntait pas un dlit. Sur le conseil de la police,
Marie-Antoinette sabstint ds lors de se rendre Paris pour
viter les manifestations. Vers le mme temps, en 1786, la
Monnaie de Strasbourg frappait un certain nombre de louis dor
o leffigie du roi tait surmonte dune corne outrageante.
Cette situation donnait aux princes du sang des esprances
daccder au trne. Le comte dArtois, le comte de Provence,
frres du roi, le duc dOrlans, son cousin, intriguaient
sourdement pour profiter du mcontentement quavaient fait
natre parmi le gros des courtisans les prfrences exclusives de
la reine pour certaines familles combles de ses dons. Thodore
de Lameth rapporte quun jour Mme de Balbi, matresse du
comte de Provence, lui tint cette conversation : Vous savez
comme on parle du roi quand on a besoin de monnaie dans un
cabaret ? on jette un cu sur la table en disant : changez-moi
cet ivrogne. Ce dbut ntait que pour sonder Lameth sur
La Rvolution franaise
29
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lopportunit dun changement de monarque. Lameth ne doute
pas que certains princes caressaient le projet de faire prononcer
par le Parlement lincapacit de Louis XVI.
Cependant celui-ci nentendait rien, ne voyait rien. Il laissait
tomber son sceptre en quenouille, allant des rformateurs aux
partisans des abus, au hasard des suggestions de son entourage
et surtout des dsirs de la reine qui prit sur son esprit un empire
croissant. Il fournit ainsi par sa politique vacillante de srieux
aliments au mcontentement gnral. Le mot de Vaublanc est ici
vrai la p.29 lettre : En France, cest toujours le chef de ltat et
ses ministres qui renversent le gouvernement.
La plus vive critique des abus, dont mourait le rgime, a t
faite dans le prambule des dits des ministres Turgot,
Malesherbes, Calonne, Brienne, Necker. Ces dits ont t lus par
les curs au prne. Ils ont retenti jusque chez les plus humbles.
La ncessit des rformes a t place sous lgide du roi. Mais
comme les rformes promises svanouissaient aussitt ou
ntaient ralises que partiellement, lamertume des abus
sajoutait la dsillusion du remde. La corve semblait plus
lourde aux paysans depuis que Turgot en avait vainement dict
la suppression. On avait vu cette occasion les paysans du
Maine invoquer la parole du ministre pour refuser au marquis de
Vibraye le paiement de leurs rentes, lassiger dans son chteau
et le forcer senfuir. La suppression de la mainmorte dans les
domaines de la couronne, ralise par Necker, rendait plus
cuisant aux intresss son maintien dans les terres des nobles et
des ecclsiastiques. Labolition par Malesherbes de la question
La Rvolution franaise
30
-
prparatoire, cest--dire de la torture, dans les enqutes
criminelles, faisait paratre plus inique le maintien de la question
pralable. Linstitution par Necker dassembles provinciales
dans les deux gnralits du Berri et de la Haute-Guyenne, en
1778, semblait la condamnation du despotisme des intendants,
mais ne faisait quexasprer le dsir dinstitutions
reprsentatives dont les deux assembles nouvelles, nommes
et non lues, ntaient vrai dire quune caricature. Elle
dcourageait les intendants dont elle affaiblissait lautorit, sans
profit pour le pouvoir royal. Ainsi de toutes les autres vellits
rformatrices. Elles ne firent que justifier et fortifier le
mcontentement.
Il tait difficile quil en ft autrement quand aux dits libraux
succdaient aussitt des mesures de raction inspires par le pur
esprit fodal, qui, elles, taient appliques. Le fameux rglement
de 1781, qui exigea des futurs officiers la preuve de quatre
quartiers de noblesse pour tre admis dans les coles militaires,
fut certainement pour quelque chose dans la future dfection de
larme. Plus la noblesse tait menace dans son privilge, plus
elle singniait le consolider. Elle nexcluait pas seulement les
roturiers des grades p.30 militaires, mais aussi des offices
judiciaires et des hautes charges ecclsiastiques. Elle aggravait
son monopole tout en applaudissant Figaro.
Un autre roi que Louis XVI aurait-il pu porter remde cette
situation extravagante ? Peut-tre, mais cela nest pas sr.
Depuis quils avaient enlev la fodalit ses pouvoirs
politiques, les Bourbons staient plu la consoler en la
La Rvolution franaise
31
-
comblant de leurs bienfaits. Louis XIV, Louis XV avaient cru la
noblesse ncessaire leur gloire. Ils solidarisaient leur trne
avec ses privilges. Louis XVI ne fit que suivre une tradition
tablie. Il naurait pu faire de rformes srieuses quen
engageant une lutte mort contre les privilgis. Il seffraya aux
premires escarmouches.
Puis le problme financier dominait tout le reste. Pour faire
des rformes, il fallait de largent. Au milieu de la prosprit
gnrale le Trsor tait de plus en plus vide. On ne pouvait le
remplir quaux dpens des privilgis et avec lautorisation des
parlements peu disposs sacrifier les intrts privs de leurs
membres sur lautel du bien public. Plus on tergiversait, plus le
gouffre du dficit sapprofondissait et plus les rsistances
saccentuaient.
Dj Louis XV, dans les dernires annes de son rgne, avait
failli faire banqueroute. La rude poigne de labb Terray vita la
catastrophe et prolongea de vingt ans la dure du rgime. Terray
tomb, la valse des millions recommena. Les ministres des
finances se succdrent toute vitesse et dans le nombre il ny a
pas, sans en excepter Necker qui ne fut quun comptable, un
seul financier. On fit quelques conomies de bouts de chandelle
sur la maison du roi. On irrita les courtisans sans rel profit pour
le Trsor. Les largesses se multiplient : 100 000 livres la fille
du duc de Guines pour se marier, 400 000 livres la comtesse
de Polignac pour payer ses dettes, 800 000 livres pour constituer
une dot sa fille, 23 millions pour les dettes du comte dArtois,
10 millions pour acheter au roi le chteau de Rambouillet, 6
La Rvolution franaise
32
-
millions pour acheter la reine le chteau de Saint-Cloud, etc.
Petites dpenses ct de celles quentrana la participation de
la France la guerre de lIndpendance amricaine ! On a valu
celles-ci deux milliards. Pour y faire face, Necker emprunta
toutes les portes et de toutes les faons. Il lui arriva p.31 de
placer son papier 10 et 12 pour 100. Il trompa la nation par
son fameux Compte rendu o il faisait apparatre un excdent
imaginaire. Il ne voulait quinspirer confiance aux prteurs et il
donna des armes aux membres des parlements qui prtendaient
quune rforme profonde de limpt tait inutile.
La guerre termine, le smillant Calonne trouva moyen
dajouter en trois ans 653 nouveaux millions aux emprunts
prcdents. Ctait maxime reue que le roi trs chrtien ne
calculait pas ses dpenses sur ses recettes, mais ses recettes sur
ses dpenses. En 1789, la dette se monta 4 milliards et demi.
Elle avait tripl pendant les quinze annes du rgne de Louis
XVI. A la mort de Louis XV le service de la dette exigeait 93
millions, en 1790 il en exige environ 300 sur un budget de
recettes qui dpassait peine 500 millions. Mais tout a une fin.
Calonne fut oblig davouer au roi quil tait aux abois. Son
dernier emprunt avait t difficilement couvert. Il avait mis en
vente de nouveaux offices, procd une refonte des monnaies,
augment les cautionnements, alin des domaines, entour
Paris dun mur doctroi, il avait tir des fermiers gnraux 255
millions danticipations, cest--dire davances valoir sur les
exercices financiers venir, il sapprtait emprunter, sous
prtexte de cautionnement, 70 millions encore la Caisse
descompte, mais tous ces expdients nempchaient pas que le
La Rvolution franaise
33
-
dficit atteignait 101 millions. Par surcrot, on tait la veille
dune guerre avec la Prusse propos de la Hollande. Le ministre
de la guerre rclamait des crdits pour dfendre les patriotes de
ce petit pays auxquels le roi avait promis main-forte contre les
Prussiens.
Calonne tait accul. Il ne croyait plus possible daugmenter
encore les impts existants qui, en moins de dix ans, staient
accrus de 140 millions. Il tait en lutte ouverte avec le Parlement
de Paris qui avait fait des remontrances sur la rfection des
monnaies, avec le parlement de Bordeaux propos de la
proprit des atterrissements de la Gironde, avec le parlement
de Rennes propos du tabac rp, avec les parlements de
Besanon et de Grenoble propos du remplacement provisoire
de la corve par une prestation pcuniaire. Il tait certain que
les parlements lui refuseraient lenregistrement de tout emprunt
et de tout impt nouveau.
p.32 Calonne prit son courage deux mains. Il alla trouver
Louis XVI, le 20 aot 1786, et il lui dit : Ce qui est ncessaire
pour le salut de ltat serait impossible par des oprations
partielles, il est indispensable de reprendre en sous-uvre
ldifice entier pour en prvenir la ruine... Il est impossible
dimposer plus, ruineux demprunter toujours ; non suffisant de
se borner aux rformes conomiques. Le seul parti quil reste
prendre, le seul moyen de parvenir enfin mettre vritablement
de lordre dans les finances doit consister vivifier ltat tout
entier par la refonte de tout ce quil y a de vicieux dans sa
constitution.
La Rvolution franaise
34
-
Les impts existants taient vexatoires et peu productifs
parce que trs mal rpartis. Les nobles, en principe, taient
astreints aux vingtimes et la capitation dont taient exempts
les ecclsiastiques. Les paysans taient seuls payer la taille,
qui variait selon les pays dtats et les pays dlections 1, tantt
relle, analogue notre impt foncier, tantt personnelle,
analogue la cote mobilire. Il y avait des villes franches, des
villes abonnes, des pays rdims, etc., une complication infinie.
Le prix du sel variait selon les personnes et les lieux. Les
ecclsiastiques, les privilgis, les fonctionnaires, en vertu du
droit de franc sal, le payaient au prix cotant. Mais plus on tait
loign des marais salants ou des mines de sel, plus la gabelle
se faisait lourde et inquisitoriale.
Calonne proposait dadoucir la gabelle et la taille, de
supprimer les douanes intrieures et de demander un nouvel
impt, la subvention territoriale, qui remplacerait les vingtimes,
les ressources ncessaires pour boucler le budget. Mais, alors
que les vingtimes taient perus en argent, la subvention
territoriale serait perue en nature sur le produit de toutes les
terres, sans distinction de proprits ecclsiastiques, nobles ou
roturires. Ctait lgalit devant limpt. La Caisse descompte
serait transforme en banque dtat. Des assembles
provinciales seraient cres, dans les provinces qui nen avaient
pas encore, pour que la rpartition des charges publiques
cesst dtre ingale et arbitraire .
La Rvolution franaise
35
1 Cest--dire perceptions. Llu percevait les impts sous la surveillance de lintendant.
-
Puisquil ne fallait pas compter sur les parlements pour faire
enregistrer une rforme aussi vaste, on sadresserait une
assemble p.33 de notables qui lapprouverait. Il ny avait pas
dexemple que les notables choisis par le roi aient rsist ses
volonts. Mais tout tait chang dans les esprits depuis un
sicle.
Les notables, 7 princes du sang, 36 ducs et pairs ou
marchaux, 33 prsidents ou procureurs gnraux de
parlements, 11 prlats, 12 conseillers dEtat, 12 dputs des
pays dtats, 25 maires ou chevins des principales villes, etc.,
en tout 144 personnages, distingus par leurs services ou par
leurs fonctions, se runirent le 22 fvrier 1787. Calonne fit
devant eux en excellents termes le procs de tout le systme
financier : On ne peut faire un pas dans ce vaste royaume,
sans y trouver des lois diffrentes, des usages contraires, des
privilges, des exemptions, des affranchissements dimpts, des
droits et des prtentions de toute espce ; et cette dissonance
gnrale complique ladministration, interrompt son cours,
embarrasse ses ressorts et multiplie partout les frais et le
dsordre. Il faisait une charge fond contre la gabelle, impt
si disproportionn dans sa rpartition quil fait payer dans une
province vingt fois plus quon ne paie dans une autre, si
rigoureux dans sa perception que son nom seul inspire leffroi,...
un impt enfin dont les frais sont au cinquime de son produit et
qui, par lattrait violent quil prsente la contrebande, fait
condamner tous les ans la chane ou la prison plus de cinq
cents chefs de famille et occasionne plus de 4 000 saisies par
La Rvolution franaise
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-
anne . A la critique des abus succdait enfin lexpos des
rformes.
Les notables taient des privilgis. Les pamphlets inspirs
par les membres du Parlement les criblaient de railleries et
dpigrammes, annonaient leur capitulation. Ils se raidirent
pour prouver leur indpendance. Ils vitrent de proclamer quils
ne voulaient pas payer limpt, mais ils sindignrent de
ltendue du dficit qui les stupfiait. Ils rappelrent que Necker,
dans son clbre Compte rendu paru quatre ans auparavant,
avait accus un excdent des recettes sur les dpenses. Ils
exigrent communication des pices comptables du budget. Ils
rclamrent que ltat du trsor royal ft constat tous les mois,
quun compte gnral des recettes et dpenses ft imprim tous
les ans et soumis la vrification de la Cour des comptes. Ils
protestrent contre labus des pensions. Calonne pour p.34 se
dfendre dut dvoiler les erreurs du Compte rendu de Necker.
Necker rpliqua et fut exil de Paris. Toute laristocratie nobiliaire
et parlementaire prit feu. Calonne fut tran dans la boue dans
des pamphlets virulents. Mirabeau fit sa partie dans le concert
par sa Dnonciation contre lagiotage, o il accusait Calonne de
jouer la Bourse avec les fonds de ltat. Calonne tait
vulnrable. Il avait des dettes et des matresses, un entourage
suspect. Le scandale du coup de bourse tent par labb
dEspagnac sur les actions de la Compagnie des Indes venait
dclater. Calonne y tait compromis. Les privilgis avaient la
partie belle pour se dbarrasser du ministre rformateur. En vain
celui-ci prit-il loffensive. Il fit rdiger par lavocat Gerbier un
Avertissement qui tait une vive attaque contre lgosme des
La Rvolution franaise
37
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nobles et un appel lopinion publique. LAvertissement distribu
profusion dans tout le royaume accrt la rage des ennemis de
Calonne. Lopinion ne ragit pas comme celui-ci lesprait. Les
rentiers se tinrent sur la dfiance. La bourgeoisie ne sembla pas
prendre au srieux les projets de rforme labors pour lui
plaire. Le peuple resta indiffrent des querelles qui le
dpassaient. Il lui fallait le temps de mditer les vrits qui lui
taient rvles et qui le frappaient dtonnement. Lagitation fut
violente Paris mais resta dabord circonscrite aux classes
suprieures. Les vques qui sigeaient parmi les notables
exigrent le renvoi de Calonne. Louis XVI se soumit et, malgr
sa rpugnance, finit par appeler sa succession larchevque de
Toulouse, Lomnie de Brienne, dsign par la reine. Les
privilgis respiraient, mais ils avaient eu peur. Ils sacharnrent
contre Calonne. Le Parlement de Paris, sur la proposition
dAdrien Duport, ordonna une enqute sur ses dilapidations. Il
neut que la ressource de senfuir en Angleterre.
Brienne, profitant dun moment de dtente, obtint des
notables et du Parlement un emprunt de 67 millions en rentes
viagres qui permit provisoirement dviter la banqueroute.
Simple trve ! Brienne, par la force des choses, fut oblig de
reprendre les projets de lhomme quil avait supplant. Avec plus
desprit de suite que celui-ci, il essaya de rompre la coalition des
privilgis avec la bourgeoisie. Il tablit des assembles
provinciales o le tiers eut une reprsentation gale celle des
deux ordres privilgis runis. Il rendit p.35 aux protestants un
tat civil, la grande fureur du clerg. Il transforma la corve en
une contribution en argent. Enfin il prtendit assujettir limpt
La Rvolution franaise
38
-
foncier le clerg et la noblesse. Aussitt les notables se
regimbrent. Un seul bureau sur sept adopta le nouveau projet
dimpt territorial. Les autres se dclarrent sans pouvoirs pour
laccorder. Ctait faire appel aux tats gnraux. La Fayette alla
plus loin. Il rclama une assemble nationale linstar du
Congrs qui gouvernait lAmrique et une grande charte qui
assurerait la priodicit de cette assemble. Si Brienne avait eu
autant de courage que dintelligence, il et fait droit au vu des
notables. La convocation des tats gnraux accorde
volontairement cette date de mai 1787, alors que le prestige
royal ntait pas encore compromis, aurait sans nul doute
consolid le pouvoir de Louis XVI. Les privilgis eussent t pris
leur pige. La bourgeoisie aurait compris que les promesses de
rformes taient sincres. Mais Louis XVI et la Cour redoutaient
les tats gnraux. Ils se souvenaient dtienne Marcel et de la
Ligue. Brienne prfra renvoyer les notables, laissant chapper
ainsi la dernire chance dviter la Rvolution.
Ds lors la rbellion nobiliaire, dont laristocratie judiciaire
prend la direction, ne connat plus de frein. Les parlements de
Bordeaux, de Grenoble, de Besanon, etc., protestent contre les
dits qui rendent ltat civil aux hrtiques et qui instituent les
assembles provinciales dont ils redoutent la concurrence.
Adroitement ils font valoir que ces assembles nommes par le
pouvoir ne sont que des commissions ministrielles sans
indpendance et ils se mettent rclamer la restauration des
anciens tats fodaux quon ne runissait plus.
La Rvolution franaise
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-
Le Parlement de Paris, suivi de la Cour des aides et de la Cour
des comptes, se popularise en refusant Brienne
lenregistrement dun dit qui assujettissait au timbre les
ptitions, quittances, lettres de faire-part, journaux, affiches,
etc. Il rclame en mme temps, le 16 juillet, la convocation des
tats gnraux, seuls en mesure, disait-il, de consentir de
nouveaux impts. Il repousse encore ldit sur la subvention
territoriale, dnonce les prodigalits de la Cour et exige des
conomies. Le roi ayant pass outre cette opposition, le 6
aot, par un lit de justice, le Parlement annule le lendemain
comme p.36 illgal lenregistrement de la veille. Un exil Troyes
punit cette rbellion, mais lagitation gagne toutes les cours de
province. Elle se rpand dans la bourgeoisie. Les magistrats
paraissaient dfendre les droits de la nation. On les traitait de
Pres de la Patrie. On les portait en triomphe. Les basochiens
mls aux artisans commenaient troubler lordre dans la rue.
De toutes parts les ptitions affluaient Versailles en faveur du
rappel du Parlement de Paris.
Les magistrats savouraient leur popularit, mais au fond ils
ntaient pas sans inquitude. En rclamant les tats gnraux
ils avaient voulu, par un coup de partie, viter la noblesse de
robe, dpe et de soutane, les frais de la rforme financire. Ils
ne tenaient pas autrement aux tats gnraux qui pouvaient leur
chapper. Si les tats devenaient priodiques, comme le
demandait La Fayette, leur rle politique disparatrait. On
ngocia sous main. Brienne renoncerait au timbre et la
subvention territoriale. On lui accorderait en compensation la
prolongation des deux vingtimes qui seraient perus sans
La Rvolution franaise
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-
aucune distinction ni exception quelle quelle pt tre .
Moyennant quoi, le Parlement ayant enregistr, le 19 septembre,
revint Paris au milieu des feux dartifice.
Malheureusement les deux vingtimes, dont la perception
demandait du temps, ne suffisaient pas couvrir les besoins
urgents du Trsor. Bien que Brienne et abandonn les patriotes
hollandais, au mpris de la parole royale, la banqueroute
menaait. Il fallut retourner devant le Parlement pour lui
demander dautoriser un emprunt de 420 millions, sous
promesse de la convocation des tats gnraux dans cinq ans,
cest--dire pour 1792. La guerre recommena plus violente que
jamais. Au roi qui ordonnait, le 19 novembre, lenregistrement
de lemprunt, le duc dOrlans osa dire que ctait illgal. Le
lendemain, le duc tait exil Villers-Cotterts et deux
conseillers de ses amis, Sabatier et Frteau enferms au chteau
de Doullens. Le Parlement rclamait la libert des proscrits et sur
la proposition dAdrien Duport, le 4 janvier 1788, votait un
rquisitoire contre les lettres de cachet quil renouvelait peu
aprs malgr les dfenses royales. Il poussait bientt laudace,
en avril, jusqu inquiter les prteurs du dernier emprunt et
jusqu encourager les contribuables refuser le paiement des
nouveaux p.37 vingtimes. Cette fois, Louis XVI se fcha. Il fit
arrter en plein palais de justice, o ils staient rfugis, les
deux conseillers Goislard et Duval dEpresmesnil et il approuva
les dits que le garde des sceaux Lamoignon lui prsenta pour
briser la rsistance des magistrats comme pour rformer la
justice. Une cour plnire compose de hauts fonctionnaires tait
substitue aux parlements pour lenregistrement de tous les
La Rvolution franaise
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-
actes royaux. Les parlements perdaient une bonne partie des
causes civiles et criminelles qui leur taient auparavant dfres.
Celles-ci seraient juges dsormais par des grands bailliages au
nombre de quarante-sept qui rapprocheraient la justice des
plaideurs. De nombreux tribunaux spciaux tels que les greniers
sel, les lections, les bureaux de finances taient supprims.
La justice criminelle tait rforme dans un sens plus humain, la
question pralable et linterrogatoire sur la sellette abolis. Ctait
une rforme plus profonde encore que celle que le chancelier
Maupeou avait essaye en 1770. Peut-tre aurait-elle russi si
elle avait t faite seulement neuf mois plus tt, avant lexil du
Parlement Troyes. Linstallation des grands bailliages ne
rencontra pas une rsistance unanime. Il semble que la parole
de Louis XVI dnonant au pays laristocratie des magistrats, qui
voulaient usurper son autorit, ait trouv de lcho. Mais depuis
le lit de justice du 19 novembre, depuis que le duc dOrlans
avait t frapp, la lutte ntait plus seulement entre le ministre
et les parlements. Autour de ce conflit initial, tous les autres
mcontentements staient dj manifests et coaliss.
Le parti des Amricains, des Anglomanes ou des patriotes, qui
comptait des recrues non seulement dans la haute noblesse,
dans la haute bourgeoisie, mais parmi certains conseillers des
enqutes comme Duport et Frteau, tait entr en scne. Ses
chefs se runissaient chez Duport ou chez La Fayette. On voyait
ces runions labb Sieys, le prsident Lepelletier de Saint-
Fargeau, lavocat gnral Hrault de Schelles, le conseiller au
Parlement Huguet de Semonville, labb Louis, le duc dAiguillon,
les frres Lameth, le marquis de Condorcet, le comte de
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Mirabeau, les banquiers Clavire et Panchaud, etc. Pour ceux-ci
les tats gnraux ntaient quune tape. On transformerait la
France en monarchie constitutionnelle et p.38 reprsentative. On
anantirait le despotisme ministriel. Les ides amricaines
gagnaient les clubs, les socits littraires, dj nombreuses, les
cafs, qui devinrent, dit le conseiller Sallier, des coles
publiques de dmocratie et dinsurrection . La bourgeoisie
sbranlait, mais la suite de la noblesse. A Rennes, la Socit
patriotique bretonne mettait sa tte de grandes dames qui
shonoraient du titre de citoyennes. Elle donnait des confrences
dans une salle orne dinscriptions civiques quelle appelait
pompeusement, lantique, le Temple de la Patrie.
Mais laristocratie judiciaire gardait encore la direction. A tous
ses correspondants dans les provinces, elle passait le mme mot
dordre : empcher linstallation des nouveaux tribunaux dappel
ou grands bailliages, faire la grve du prtoire, dchaner au
besoin le dsordre, rclamer les tats gnraux et les anciens
tats provinciaux. Le programme fut suivi de point en point. Les
parlements de province organisrent la rsistance avec leur
nombreuse clientle dhommes de loi. A coups de remontrances
et darrts fulminants, ils sattachrent provoquer des troubles.
Les manifestations se succdrent. Les nobles dpe se
solidarisrent en masse avec les parlements. Les nobles dglise
les imitrent. Lassemble du clerg diminua de plus des trois
quarts le subside qui lui tait rclam. Elle protesta contre la
Cour plnire, tribunal dont la nation craindrait toujours la
complaisance (15 juin). Des meutes clatrent Dijon,
Toulouse. Dans les provinces frontires tardivement runies la
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couronne, lagitation prit tournure dinsurrection. En Barn, le
parlement de Pau, dont le palais avait t ferm manu militari,
cria la violation des vieilles capitulations du pays. Les
campagnards, excits par les nobles des tats, assigrent
lintendant dans son htel et rinstallrent de force les
magistrats sur leurs siges (19 juin).
En Bretagne, lagitation se dveloppa librement par la
faiblesse ou la complicit du commandant militaire Thiard et
surtout de lintendant Bertrand de Moleville. Les nobles bretons
provoquaient en duel les officiers de larme rests fidles au roi.
Pendant les mois de mai et de juin les collisions furent
frquentes entre les troupes et les manifestants.
p.39 Dans le Dauphin, la province la plus industrielle de
France au dire de Roland, le tiers tat joua le rle prpondrant,
mais daccord avec les privilgis. Aprs que le parlement
expuls de son palais eut dclar que si les dits taient
maintenus, le Dauphin se regarderait comme entirement
dgag de sa fidlit envers son souverain , la ville de Grenoble
se souleva, le 7 juin, refoula les troupes coups de tuiles
lances du haut des toits, et fit rentrer le parlement dans son
palais au son des cloches. Aprs cette journe des tuiles, les
tats de la province se runissaient spontanment, sans
autorisation royale, le 21 juillet, au chteau de Vizille, proprit
de grands industriels, les Prier. Lassemble, que le
commandant militaire nosait dissoudre, dcidait, sur les conseils
des avocats Mounier et Barnave, que dsormais le tiers tat
aurait une reprsentation double et quon voterait aux tats non
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plus par ordre, mais par tte. Elle invitait enfin les autres
provinces sunir et jurait de ne plus payer dimpt tant que les
tats gnraux nauraient pas t convoqus. Les rsolutions de
Vizille clbres lenvi devinrent immdiatement le vu de
tous les patriotes.
Brienne naurait pu triompher de la rbellion qui stendait
que sil avait russi rompre lentente du tiers tat avec les
privilgis. Il sy essaya de son mieux en opposant les plumes de
Linguet, de Rivarol, de labb Morellet celles de Brissot et de
Mirabeau. Il annona, le 5 juillet, la convocation prochaine des
tats gnraux et, le 8 aot, il en fixa la date au 1er mai 1789.
Trop tard ! Les assembles provinciales elles-mmes, qui taient
son uvre et quil avait composes son gr, se montrrent peu
dociles. Plusieurs refusaient les augmentations dimpts quil leur
avait demandes. Celle dAuvergne, inspire par La Fayette,
formulait une protestation tellement vive quelle sattira une
verte semonce du roi. La Fayette se vit retirer sa lettre de
service dans larme.
Pour mater linsurrection du Barn, de la Bretagne et du
Dauphin, il aurait fallu tre sr des troupes. Celles-ci,
commandes par des nobles hostiles au ministre et ses
rformes, ne se battaient plus que mollement ou mme levaient
la crosse en lair comme Rennes. Des officiers offraient leur
dmission.
p.40 Mais surtout Brienne tait rduit limpuissance faute
dargent. Les remontrances des parlements et les troubles
avaient arrt les perceptions. Aprs avoir puis tous les
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expdients, mis la main sur les fonds des Invalides et les
souscriptions pour les hpitaux et les victimes de la grle,
dcrt le cours forc des billets de la Caisse descompte,
Brienne dut suspendre les paiements du Trsor. Il tait perdu.
Les rentiers, qui jusque-l staient tenus sur la rserve, car ils
se savaient has des gens de justice, joignirent ds lors leurs cris
ceux des nobles et des patriotes. Louis XVI sacrifia Brienne
comme il avait sacrifi Calonne et il shumilia reprendre Necker
quil avait jadis renvoy (25 aot 1788). La royaut ntait dj
plus capable de choisir librement ses ministres.
Le banquier genevois, se sentant lhomme ncessaire, posa
ses conditions : la rforme judiciaire de Lamoignon, qui avait
provoqu la rvolte, serait anantie, les parlements seraient
rappels, les tats gnraux convoqus la date fixe par
Brienne. Le roi dut tout accepter. La rbellion nobiliaire avait mis
la couronne en chec, mais elle avait fray la voie la
Rvolution.
Brienne, puis Lamoignon furent brls en effigie sur la place
Dauphine Paris au milieu dune joie dlirante. Les
manifestations qui durrent plusieurs jours dgnrrent en
meute. Il y eut des morts et des blesss. Le Parlement rtabli,
au lieu de prter main-forte lautorit, blma la rpression et
cita devant lui le commandant du guet qui perdit son emploi. Les
gens de justice encourageaient donc le dsordre et dsarmaient
les agents du roi. Ils ne se doutaient pas quils seraient bientt
les victimes de la force populaire dmusele.
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@La Rvolution franaise
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3LES TATS GNRAUX
@
p.41 Unis tant bien que mal, mais sans dsaccord apparent,
pour sopposer aux entreprises du despotisme ministriel, les
nobles et les patriotes se divisrent ds que Brienne fut bas.
Les premiers, quon appellera bientt les aristocrates, ne
conoivent la rforme du royaume que sous la forme dun retour
aux pratiques de la fodalit. Ils entendent garantir aux deux
premiers ordres leurs privilges honorifiques et utiles et leur
restituer en outre le pouvoir politique que Richelieu, Mazarin et
Louis XIV leur ont enlev au sicle prcdent. Tout au plus
consentiraient-ils, dassez mauvaise grce, payer dsormais
leur part des contributions publiques. Ils en sont toujours la
Fronde et au cardinal de Retz. Les nationaux ou patriotes, au
contraire, veulent la suppression radicale de toutes les
survivances dun pass maudit. Ils nont pas combattu le
despotisme pour le remplacer par loligarchie nobiliaire. Ils ont
les yeux fixs sur lAngleterre et sur lAmrique. Lgalit civile,
judiciaire et fiscale, les liberts essentielles, le gouvernement
reprsentatif faisaient le fond invariable de leurs revendications
dont le ton se haussait jusqu la menace.
Necker, ancien commis du banquier Thelusson, quun heureux
coup de bourse sur les consolids anglais a enrichi la veille du
trait de 1763, ntait quun parvenu vaniteux et mdiocre, trs
dispos flatter tous les partis et en particulier les vques, que
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sa qualit p.42 dhrtique le portait mnager. Satisfait davoir
procur quelques fonds au trsor par des emprunts aux notaires
de Paris et la Caisse descompte, il laissa passer le moment
dimposer sa mdiation. La lutte lui faisait peur. Il avait promis
les tats gnraux, mais il navait pas os rglementer sur-le-
champ le mode de leur convocation. Les privilgis bien entendu
tenaient aux formes anciennes. Comme en 1614, date de la
dernire tenue, chaque bailliage, cest--dire chaque
circonscription lectorale, nenverrait quun dput de chaque
ordre, quelle que ft sa population et son importance. La
noblesse et le clerg dlibreraient part. Aucune rsolution ne
serait valable que de laccord unanime des trois ordres. Les
patriotes dnonaient avec indignation ce systme archaque qui
aboutirait dans la pratique lajournement indfini des rformes,
la faillite des tats gnraux, la perptuit des abus. Mais les
magistrats sy cramponnaient. En 1614, les villes avaient t
reprsentes par les dlgus de leurs municipalits
oligarchiques, les pays dtats par les dputs lus aux tats
mmes, sans intervention de la population. Les paysans
navaient pas t consults. Si la vieille forme tait maintenue, le
tiers lui-mme ne serait reprsent que par une majorit de
robins et danoblis. Necker perplexe se consultait.
Mettant profit ses hsitations, le Parlement de Paris allait de
lavant. Le 25 septembre il prenait un arrt aux termes duquel
les tats gnraux devaient tre rgulirement convoqus et
composs suivant la forme observe en 1614 . Les patriotes
dnoncrent cet arrt comme une trahison et ils se mirent
attaquer laristocratie judiciaire. Cest le despotisme noble,
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disait Volney dans La Sentinelle du peuple, qui, dans la personne
de ses hauts magistrats, rgle son gr le sort des citoyens, en
modifiant et interprtant le contenu des lois, qui se cre de son
chef des droits, srige en auteur des lois quand il nen est que le
ministre. Ds lors les plumes du tiers se mirent dnoncer la
vnalit et lhrdit des charges de justice, labus des pices,
dnier un corps de fonctionnaires le droit de censurer les lois
ou de les modifier. Elles lui dclarrent rudement quaprs la
runion des tats gnraux, il naurait plus qu se soumettre,
car la nation se ferait mieux obir que le roi. Marie-Joseph
Chnier proclama que linquisition judiciaire tait plus p.43
redoutable que celle des vques. Le Parlement de Paris intimid
revint en arrire, le 5 dcembre, par un nouvel arrt o il se
djugeait. Il acceptait maintenant le doublement du tiers, qui
tait dj la rgle dans les assembles provinciales cres par
Necker et par Brienne. Capitulation inutile et dailleurs
incomplte. Larrt tait muet sur le vote par tte. La popularit
du Parlement avait fait place lexcration.
Necker avait cru se tirer dembarras en soumettant la
question des formes de la convocation lassemble des
notables quil rappela. Les notables, comme il aurait pu le
prvoir, se prononcrent pour les formes anciennes, et, le jour
de leur sparation, le 12 dcembre, cinq princes du sang, le
comte dArtois, les princes de Cond et de Conti, les ducs de
Bourbon et dEnghien dnoncrent au roi, dans un manifeste
public, la rvolution imminente, sil faiblissait sur le maintien des
rgles traditionnelles : Les droits du trne, disaient-ils, ont t
mis en question, les droits des deux ordres de ltat divisent les
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opinions, bientt les droits de la proprit seront attaqus,
lingalit des fortunes sera prsente comme un objet de
rformes, etc. Les princes dpassaient le but, car, cette date,
le tiers redoublait de dmonstrations loyalistes afin de mettre le
roi de son ct et il ny avait pas encore dautre proprit
menace que celle des droits fodaux.
La tactique dilatoire de Necker navait abouti qu augmenter
les difficults et dresser autour des princes la faction fodale.
Mais inversement la rsistance des privilgis avait imprim au
mouvement patriotique un tel lan que le ministre fut assez fort
pour obtenir du roi de conclure finalement contre les notables et
contre les princes. Mais ici encore il ne prit quune demi-mesure.
Il accorda au tiers un nombre de dputs gal celui des deux
ordres privilgis runis, il proportionna le nombre des dputs
limportance des bailliages, il permit aux curs de siger
personnellement dans les assembles lectorales du clerg,
mesure qui devait avoir les consquences les plus fcheuses
pour la noblesse ecclsiastique, mais ces concessions faites
lopinion, il nosa pas trancher la question capitale du vote par
ordre ou par tte aux tats gnraux. Il la laissa en suspens
livre aux passions dmontes.
p.44 Laristocratie fit une rsistance dsespre surtout dans
les provinces qui avaient conserv leurs antiques tats ou qui les
avaient recouvrs. En Provence, en Barn, en Bourgogne, en
Artois, en Franche-Comt, les ordres privilgis soutenus par les
parlements locaux profitrent de la session des tats pour se
livrer des manifestations violentes contre les innovations de
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Necker et contre les exigences subversives du tiers. La noblesse
bretonne prit une attitude si menaante que Necker dut
suspendre les tats de la province. Les nobles excitrent leurs
valets et les gens leur dvotion contre les tudiants de
luniversit qui tenaient pour le tiers. On en vint aux mains. Il y
eut des victimes. De toutes les villes de Bretagne, dAngers, de
Saint-Malo, de Nantes, les jeunes bourgeois accoururent pour
dfendre les tudiants rennais, que commandait Moreau, le futur
gnral. Les gentilshommes attaqus et poursuivis dans les rues,
assigs dans la salle des tats, durent quitter la ville la rage au
cur pour rentrer dans leurs manoirs (janvier 1789). Ils jurrent
de dpit de ne pas se faire reprsenter aux tats gnraux.
A Besanon, le parlement ayant pris parti pour les privilgis
qui avaient vot une protestation virulente contre le rglement
de Necker, la foule sameuta et pilla les maisons de plusieurs
conseillers sans que la troupe intervint pour les dfendre. Son
commandant, un noble libral, le marquis de Langeron, dclara
que larme tait faite pour marcher contre les ennemis de ltat
et non contre les citoyens (mars 1789).
Un bon observateur, Mallet du Pan, avait raison dcrire ds le
mois de janvier 1789 : Le dbat public a chang de face. Il ne
sagit plus que trs secondairement du roi, du despotisme et de
la Constitution ; cest une guerre entre le tiers tat et les deux
autres ordres.
Les privilgis devaient tre vaincus, non seulement parce
quils ne pouvaient plus compter sur le concours absolu des
agents du roi dont ils avaient lass la patience par leur rvolte
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antrieure, non seulement parce quils ntaient en face de la
nation leve tout entire quune infime minorit de parasites,
mais encore et surtout parce quils taient diviss. En Franche-
Comt, vingt-deux gentilshommes avaient protest contre les
rsolutions de leur ordre et dclar quils acceptaient le
doublement du tiers, lgalit devant p.45 limpt et devant la loi,
etc. La ville de Besanon les inscrivit sur son registre de
bourgeoisie. En Artois, o ntaient reprsents aux tats que les
seigneurs sept quartiers et possdant un fief clocher, les
nobles non entrants , soutenus par lavocat Robespierre,
protestrent contre lexclusion dont ils taient lobjet. Les
hobereaux du Languedoc firent entendre les plaintes analogues
contre les hauts barons de la province. La noblesse de cloche,
compose de roturiers qui avaient achet des charges
municipales anoblissantes, se rangea presque partout du ct du
tiers, sans que le tiers dailleurs lui en st grand gr.
Lagitation descendait en profondeur. La convocation des tats
gnraux, annonce et commente par les curs au prne, avait
fait luire une immense esprance. Tous ceux qui avaient se
plaindre, et ils taient lgion, prtaient loreille aux polmiques
et se prparaient pour le grand jour. Bourgeois et paysans
avaient commenc depuis deux ans faire leur apprentissage
des affaires publiques dans les assembles provinciales, dans les
assembles de dpartement et dans les nouvelles municipalits
rurales cres par Brienne. Ces assembles avaient rparti
limpt, administr lassistance et les travaux publics, surveill
lemploi des deniers locaux. Les municipalits rurales lues par
les plus imposs avaient pris got leur tche. Jusque-l le
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syndic avait t nomm par lintendant. lu maintenant par les
cultivateurs, il nest plus un simple agent passif. Autour du
conseil dont il prend les avis se forme lopinion du village. On
discute les intrts communs. On prpare ses revendications. En
Alsace, ds que les municipalits nouvelles sont formes, leur
premier soin est dintenter des procs leurs seigneurs et ceux-
ci se plaignent amrement des abus sans nombre qua
provoqus leur tablissement.
La campagne lectorale concidait avec une grave crise
conomique. Le trait de commerce sign avec lAngleterre en
1786, en abaissant les droits de douane, avait livr passage aux
marchandises anglaises. Les fabricants dtoffes durent
restreindre leur production. Le chmage atteignit Abbeville
12 000 ouvriers, Lyon, 20 000, ailleurs en proportion. Il fallut,
au dbut de lhiver qui fut trs rigoureux, organiser des ateliers
de charit dans les grandes villes, dautant plus que le prix du
pain augmentait sans cesse. La p.46 moisson de 1788 avait t
trs infrieure la normale. La disette de fourrage avait t si
grande que les cultivateurs avaient t forcs de sacrifier une
partie de leur btail et de laisser des terres incultes ou de les
ensemencer sans fumier. Les marchs taient dgarnis. Le pain
ntait pas seulement trs cher. On risquait den manquer.
Necker eut beau interdire lexportation des grains et procder
des achats ltranger, la crise ne sattnua pas. Elle saggrava
plutt. Les misrables jetaient des regards de convoitise sur les
greniers bien remplis o les seigneurs laques et ecclsiastiques
enfermaient le produit des dmes, des terrages et des
champarts. Ils entendaient dnoncer par des voix innombrables
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laristocratie des privilgis. Ds que commencrent les
oprations lectorales, au mois de mars, les motions
populaires clatrent. La foule samasse autour des greniers et
des granges dmeresses et en exige louverture. Elle arrte la
circulation des grains, elle les pille, elle les taxe dautorit. En
Provence, ouvriers et paysans soulevs ne demandent pas
seulement la taxation des grains, la diminution du prix des
vivres, ils exigent la suppression de limpt sur la farine (le
piquet) et bientt ils tentent par endroits darracher aux
seigneurs et aux prtres la suppression des dmes et des droits
seigneuriaux. Il y eut des sditions et des pillages par bandes
Aix, Marseille, Toulon, Brignoles, Manosque, Aubagne, etc. (fin
mars). Des troubles analogues, quoique moins graves, se
produisent en Bretagne, en Languedoc, en Alsace, en Franche-
Comt, en Guyenne, en Bourgogne, dans lIle-de-France. A Paris,
le 27 avril, la grande fabrique de papiers peints Rveillon est
pille au cours dune sanglante meute. Le mouvement nest pas
seulement dirig contre les accapareurs de denres alimentaires,
contre le vieux systme dimpts, contre les octrois, contre la
fodalit, mais contre tous ceux qui exploitent le populaire et qui
vivent de sa substance. Il est en rapport troit avec lagitation
politique. A Nantes, la foule assige lhtel de ville au cri de :
Vive la Libert ! A Agde, elle rclame le droit de nommer les
consuls. Dans bien des cas, lagitation concide avec louverture
des oprations lectorales et cela sexplique. Ces pauvres gens,
que lautorit ignorait depuis des sicles, qui ntaient convoqus
devant elle que pour acquitter limpt et la corve, voil p.47 que
tout coup elle leur demande leur avis sur les affaires de ltat,
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quelle leur dit quils peuvent adresser librement leurs plaintes
au roi ! Sa Majest, dit le rglement royal lu au prne, dsire
que des extrmits de son royaume et des habitations les moins
connues, chacun ft assur de faire parvenir jusqu elle ses
vux et ses rclamations. La phrase a t retenue, elle a t
prise au mot. Les misrables ont cru que dcidment toute
lautorit publique ntait plus tourne contre eux, comme
autrefois, mais quils avaient maintenant un appui tout en haut
de lordre social et que les injustices allaient enfin disparatre.
Cest ce qui les rend si hardis. De toute leur volont tendue, de
toutes leurs souffrances raidies, ils slancent vers les objets de
leurs dsirs et de leurs plaintes. En faisant cesser linjustice, ils
ralisent la pense royale, ou du moins ils le croient. Plus tard,
quand ils sapercevront de leur erreur, ils se dtacheront du roi.
Mais il leur faudra du temps pour se dsabuser.
Cest au milieu de cette vaste fermentation queut lieu la
consultation nationale. Depuis six mois, malgr la censure,
malgr la rigueur des rglements sur limprimerie, la libert de la
presse existait en fait. Hommes de loi, curs, publicistes de
toutes sortes, hier inconnus et tremblants, critiquaient
hardiment tout le systme social dans des milliers de brochures
lues avec avidit depuis les boudoirs jusquaux chaumires.
Volney lanait Rennes sa Sentinelle du peuple ; Thouret,
Rouen, son Avis aux bons Normands ; Mirabeau, Aix, son
Appel la nation provenale ; Robespierre, Arras, son Appel
la nation artsienne ; labb Sieys, son Essai sur les privilges,
puis son retentissant Quest-ce que le tiers tat ? ; Camille
Desmoulins, sa Philosophie au peuple franais ; Target, sa Lettre
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aux tats gnraux, etc. Pas un abus qui ne ft signal, pas une
rforme qui ne ft tudie, exige. La politique, dit Mme de
Stal, tait un champ nouveau pour limagination des Franais ;
chacun se flattait dy jouer un rle, chacun voyait un but pour soi
dans les chances multiplies qui sannonaient de toutes parts.
Les gens du tiers se concertaient, provoquaient des runions
officieuses de corporations et de communauts, entretenaient
des correspondances de ville ville, de province province. Ils
rdigeaient des