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Actualités de droit économique : aspects de droit de la concurrence et de la consommation et de droit de l’agroalimentaire Faculté de droit et des sciences politiques de Nantes, le 17 septembre 2010 Numéro SPE ´ CIAL ACTES DE COLLOQUE 400 e année - 6 OCTOBRE 2011 - N o 199 - 10 euros ÉDITION QUOTIDIENNE DES JOURNAUX JUDICIAIRES ASSOCIÉS 2, rue Montesquieu - 75041 Paris Cedex 01 Tél. : 01 42 61 56 14 - Fax : 01 47 03 92 02 12, rue de la Chaussée d’Antin - 75009 Paris Tél. : 01 49 49 06 49 - Fax : 01 49 49 06 50 33, rue des Jeûneurs - 75002 Paris Tél. : 01 42 34 52 34 - Fax : 01 46 34 19 70 JOURNAL AGRÉÉ POUR PUBLIER LES ANNONCES LÉGALES DANS LES DÉPARTEMENTS DE PARIS, HAUTS-DE-SEINE, SEINE-SAINT-DENIS, VAL-DE-MARNE www.petites-affiches.com

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Actualités de droit économique :aspects de droit de la concurrenceet de la consommationet de droit de l’agroalimentaire

Faculté de droit et des sciences politiques de Nantes,le 17 septembre 2010

NuméroSPECIAL

ACT

ESD

ECO

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400e année - 6 OCTOBRE 2011 - No 199 - 10 euros

ÉDITIONQUOTIDIENNEDES JOURNAUXJUDICIAIRESASSOCIÉS

2, rue Montesquieu - 75041 Paris Cedex 01

Tél. : 01 42 61 56 14 - Fax : 01 47 03 92 02

12, rue de la Chaussée d’Antin - 75009 Paris

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Actualités de droit économique :aspects de droit de la concurrenceet de la consommation et de droitde l’agroalimentaireTravaux du Programme européen de recherche Lascaux

Faculté de droit et des sciences politiques de Nantes,le 17 septembre 2010

Valérie PIRONON .......................................................................................................... 3Actualités de droit de la concurrence et des pratiques anticoncurrentielles :les groupes de sociétés en droit des pratiques anticoncurrentielles

Didier LE GOFF ........................................................................................................... 8Le contentieux de l’article L. 442-6 du Code de commerce :premier bilan

Marie-Véronique JEANNIN ...................................................................................... 15Le déséquilibre significatif ou une atteinte significativeà la liberté contractuelle ?

Claire SAAS ............................................................................................................... 18La protection des consommateurs d’aliments :le regard d’un pénaliste

Marine FRIANT-PERROT et Amandine GARDE .................................................... 27La publicité alimentaire et la lutte contre l’obésité infantileen droit français et en droit anglais

Le programme Lascaux (2009-2014) est dirigé par François Collart Dutilleul,professeur à l’université de Nantes et membre de l’Institut universitaire de France.

Les travaux menant aux présents résultats ont bénéficié d’un soutien financier duConseil européen de la recherche au titre du 7e programme-cadre de la Com-munauté européenne (7e PC/2007-2013) en vertu de la convention de subven-tion CER no 230400.

Ces travaux ne reflètent que les opinions de leurs auteurs et l’Union n’est pasresponsable de l’usage qui pourrait être fait des données figurant dans les pu-blications.

Directeur de la publication :Bruno VergéRédactrice en chef :Emmanuelle FilibertiResponsables de rédaction :Valérie Boccara et Céline SlobodanskyComité de rédaction :Pierre Bézard, président honorairede la chambre commerciale de la Courde cassationJean-Pierre Camby, conseiller desservices de l’Assemblée nationaleJean-Marie Coulon, premier présidenthonoraire de la Cour d’appel de ParisAlain Couret, professeur à l’UniversitéParis I (Panthéon-Sorbonne)Michel Grimaldi, professeur àl’Université Paris II (Panthéon-Assas)Jean-François Guillemin, secrétairegénéral, groupe BouyguesPaul Le Cannu, professeur àl’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)Jacques Massip, conseiller doyenhonoraire à la Cour de cassationDenis Mazeaud, professeur àl’Université Paris II (Panthéon-Assas)Nicolas Molfessis, professeur àl’Université Paris II (Panthéon-Assas)Jacqueline Morand-Deviller,professeur à l’Université Paris I(Panthéon-Sorbonne)Bernard Reynis, président honorairedu Conseil supérieur du notariatde ParisAlain Sauret, avocat conseil en droit social,associé Capstan LMS

Rédaction : 33, rue du Mail,75081 Paris Cedex 02Tél. : 01 42 61 87 87Fax : 01 42 86 09 37E-mail : [email protected]

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SOMMAIRE

2 - Petites affiches - 6 OCTOBRE 2011 - NO 199

ACTUALITÉSDEDROITDELACONCURRENCEETDESPRATIQUESANTICONCURRENTIELLES : LESGROUPESDESOCIÉTÉSENDROITDESPRATIQUESANTICONCURRENTIELLES (*)

1 Le groupe de sociétés est omniprésent en droit de la concur-rence sans en être pour autant le sujet qui est l’entreprise. Schémati-quement, on peut le définir comme un ensemble de sociétés juridi-quement autonomes (chacune disposant d’une personnalité juridi-que propre) mais liées entre elles par des rapports de dominationéconomique qui découlent de la détention d’un pouvoir de contrôle,largement conçu, et se traduisent par l’exercice, à des degrés divers,de ce pouvoir (1).

Dans le cas des groupes institutionnels de sociétés (auxquels on selimitera) (2), elle se déduit de la participation détenue par la sociétémère dans le capital de sa filiale : participation « totalitaire » (filialesà 100 % ou presque), participation majoritaire (50 % + 1), ou mêmeparticipation minoritaire, qui suffit à conférer le contrôle lorsque lecapital de la société est dilué ou encore lorsque le titulaire retire sonpouvoir d’un pacte d’actionnaires. En somme, peu importent lesmoyens du contrôle ; ce qui compte c’est le résultat, c’est-à-dire la« possibilité d’exercer une influence déterminante » (3) sur l’activitéd’une autre entreprise.

2 Parce qu’ils ont envahi le marché, les groupes de sociétés sonttoujours au cœur de l’actualité du droit des pratiques anticoncur-rentielles. En dehors des difficultés liées spécifiquement au transfertd’entreprise (4), la question est celle de savoir dans quelle mesurel’unité du groupe de sociétés est prise en compte. Les enjeux sontconsidérables : licéité ou illicéité des ententes ou des abus commisau sein du groupe mais aussi imputabilité à la société mère desagissements anticoncurrentiels d’une filiale, de nouveaux arrêts dela Cour de justice étant encore attendus à ce sujet (5).

Et ce n’est pas tout. La question de savoir si l’unité du groupe doitêtre prise en compte se pose également lorsqu’il s’agit d’évaluer lepouvoir de marché d’un fournisseur ou d’un distributeur qui estmembre d’un groupe de sociétés ou encore lorsqu’il convient de

déterminer si une société membre d’un groupe occupe une posi-tion dominante, individuelle ou collective, sur le marché.

3 Pour résoudre ces difficultés, le droit des pratiques anticoncurren-tielles n’adopte pas une vision monolithique du groupe. En fonctionde la réalité des rapports de domination qui s’exercent en son sein,le groupe est assimilé tantôt à une entreprise unique, tantôt à unensemble d’entreprises liées. La question de savoir si le groupe s’ana-lyse comme une entreprise unique se pose lorsqu’il s’agit d’appré-cier la licéité de ses pratiques de marché. La réponse dépend alorsde l’autonomie ou du défaut d’autonomie effective des filiales (I).Quant à l’assimilation du groupe à un ensemble d’entreprises liées,elle est rendue nécessaire chaque fois qu’il importe d’analyser lastructure du marché. Peu importe alors que les filiales soient effec-tivement autonomes ou non (II).

I. Le groupe de sociétés : une entreprise unique4 Le groupe de sociétés est assimilé à une entreprise unique lorsqueles filiales ne disposent d’aucune autonomie réelle dans la détermi-nation de leur ligne d’action sur le marché (6). Ce défaut d’autonomieéconomique doit être apprécié in concreto, au cas par cas (7). Ilprésente un enjeu non seulement dans l’appréciation des rapportsintra-groupe (A) mais aussi dans celle des rapports avec les tiers (B).

A. Validité des accords intra-groupe5 Les échanges intra-groupe s’étant démultipliés (8), on peut sedemander tout d’abord si une entente ou une pratique abusive in-tervenue entre deux sociétés du même groupe doit tomber sous lecoup de la prohibition des pratiques anticoncurrentielles. La ré-ponse est désormais constante, en droit européen comme en droitinterne : si les filiales du groupe ne disposent d’aucune autonomiedans la détermination de leur ligne d’action sur le marché, de sortequ’elles forment avec la société mère une seule et même entreprise,leur comportement est licite (9). Il en va ainsi dans les rapports

(*) Parmi l’actualité du droit des pratiques anticoncurrentielles, la question de l’appréhension du groupe de sociétés a été choisie en raison de son caractère à la fois transversalet controversé. Les références ont été réactualisées au 16 juin 2011. Si aucune spécificité du secteur agro-alimentaire n’en ressort, c’est précisément que ces règles et principesont une vocation générale à s’appliquer.

(1) Un chercheur en sociologie industrielle en a dénombré six sur une échelle allant de l’autonomie des sociétés à leur intégration totale au groupe : A. Catel-Duet, « Être ou nepas être : le groupe comme firme unifiée ou comme ensemble de sociétés ? Une approche sociologique », in Les organisations face au droit : Dr. et société, no 67, 2007 (vol. 3).Sur les groupes de sociétés, v. notamment C. Hannoun, Le droit et les groupes de sociétés, LGDJ, 1991 et L. Nurit-Pontier, Les groupes de sociétés, Ellipses, 1998.

(2) Sur les rapports de domination qui s’exercent au sein des groupes contractuels, v. notamment C. Del Cont, Propriété économique, dépendance et responsabilité, L’Harmattan,1998, p. 68 et s.

(3) Règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, 20 janv. 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises : JOUE L. 24, 29 janv. 2004, art. 3, § 2 et § 3.

(4) Sur les développements récents en la matière, v. notre synthèse, « Actualité du droit des ententes », in Droit de la concurrence : bilan de l’année 2009 : LPA 21 oct. 2010, p. 7,spéc. no 15. Adde, TUE, 13 sept. 2010, no T-26/06, Trioplast Wittenheim SA – TUE, 13 sept. 2010, no T-40/06, Trioplast Industrier AB, relativement au montant de l’amende imputésolidairement à chaque société mère, dont la quote-part respective doit être précisée.

(5) Conclusions de l’avocat général Mengozzi du 17 février 2011 dans les affaires nos C-520/09 (Arkema SA) et C-521/09 (Elf Aquitaine SA).

(6) Sur les notions d’entreprise et de groupe de sociétés en droit de la concurrence, v. L. Idot, « La notion d’entreprise » : Rev. sociétés 2001-2, p. 191 ; du même auteur, « Lanotion d’entreprise révélateur de l’ordre concurrentiel », in L’ordre concurrentiel, Mélanges en l’honneur de A. Pirovano, Éd. Frison-Roche, 2003, p. 523. Adde L. Arcelin,L’entreprise et le droit de la concurrence français et communautaire, Litec, 2003. V. également, parmi les études anciennes, O. Mach, L’entreprise et les groupes de sociétés endroit européen de la concurrence, Georg, Genève, 1974.

(7) V. par exemple, Cass. com., 26 juin 2007, no 05-21378, à propos d’un accord anticoncurrentiel abrité dans un contrat de cession de contrôle conclu entre la société mère d’unepart, et le cessionnaire et la filiale dépendante dont le contrôle est acquis, d’autre part. La Cour de cassation a en effet admis la qualification d’entente dès lors que la filiale étaitautonome de sa « future ex » société mère lors de la signature du contrat.

(8) Ils représenteraient plus de la moitié du commerce mondial.

(9) TPICE, 12 janv. 1995, no T-102/92, Viho et sur pourvoi, CJCE, 24 oct. 1996, no C-73/95. Il en va de même en droit français, v. Cons. conc., Rapport annuel (2001), « L’imputabilitédes pratiques anti-concurrentielles » (www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php ?id_rub=31&id_article=58#p2t3). Adde, Cass. com., 26 juin 2007, préc.

DOSSIER

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verticaux entre la société mère et ses filiales mais également dansles rapports horizontaux entre les filiales du groupe (10).

6 En droit interne, l’affirmation doit cependant être légèrementnuancée. D’un côté, il existe au moins un cas dans lequel l’auto-nomie des filiales est indifférente dans la mise en œuvre du principede prohibition des ententes. C’est celui dans lequel deux sociétésd’un groupe se concertent pour présenter des offres distinctes(prétendument concurrentes) en réponse à un même appel d’of-fres (11). Dans ce cas, les entreprises jouent sur l’apparence d’auto-nomie pour doubler leurs chances de faire remporter le marché augroupe. La concertation est alors répréhensible en droit français parson seul objet anticoncurrentiel (12). De l’autre, une pratique abu-sive intra-groupe ne devrait pas, lorsqu’elle tombe sous l’empire dudroit interne, échapper au « petit » droit de la concurrence, par exem-ple à la prohibition per se des prix imposés ou de la revente à perte.Dans ce cas en effet, la prohibition ne doit rien à l’impact anticoncur-rentiel de la pratique litigieuse. Elle tend en revanche à moraliserl’exercice de la compétition économique, y compris (et même prin-cipalement !) dans les rapports entre dominants et dominés. Il n’y adonc aucune raison d’en exclure l’application dans les rapports intra-groupe. La Direction générale de la concurrence, de la consomma-tion et de la répression des fraudes s’est d’ailleurs prononcée en cesens à propos du plafonnement des délais de paiement des pro-duits périssables (13).

7 Sous ces réserves, l’unité d’entreprise entre sociétés du mêmegroupe permet d’exonérer les pratiques intra-groupe. Qu’en est-ildans les rapports entre les filiales et les tiers ?

B. Imputabilité du comportement anticoncurrentielde la filiale8 Dans les rapports avec les tiers, il est constant que la sociétémère est solidairement responsable du comportement anticoncurren-tiel de sa filiale lorsque les deux sociétés forment une seule et même

unité économique au sein de laquelle la filiale ne dispose d’aucuneautonomie véritable dans la détermination de sa ligne d’action surle marché. La même règle s’applique lorsque la filiale fait l’objetd’un contrôle conjoint (14). En principe, la preuve de ce défautd’autonomie doit être rapportée par celui qui l’invoque. La juris-prudence européenne — sur laquelle l’autorité française semblerésolue à s’aligner (15) — n’en a pas moins dégagé l’existence d’uneprésomption de dépendance, dont le domaine et la portée sontremarquables à plus d’un titre.

9 Il ressort en effet de la jurisprudence la plus récente que la filialeà 100 % est, de ce seul fait, présumée former avec sa société mèreune seule et même entreprise. C’est ce que l’on a pu appeler laprésomption capitalistique. En vertu de cette présomption, la dé-tention de la totalité du capital d’une filiale suffit à présumer sadépendance effective envers sa société mère. Pour exister, cette pré-somption, liée au capital détenu, n’a pas besoin d’être confortée pard’autres éléments de preuve ; d’où l’appellation de présomptioncapitalistique. Après avoir été ébranlée (16), cette présomption a étéconfortée par toute une série d’arrêts rendus principalement par letribunal en 2009 (17).

Elle n’en est pas moins combattue par les entreprises qui élèventaujourd’hui le débat sur le terrain des droits fondamentaux en sou-tenant qu’elle heurte tout à la fois le principe de personnalité despeines et la présomption d’innocence garantis par l’article 6 de laConvention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. À cejour, cette argumentation n’a pas encore fructifié (18). Elle a néan-moins reçu certains appuis en doctrine (19).

À l’occasion des pourvois formés dans les affaires Poutrelles enacier et Extra d’alliage, l’avocat général Bot s’est également révélé« convaincu que la responsabilité de la société mère ne peut pas êtreétablie sur la seule base d’une présomption tirée de la détention du

(10) Pour l’application de ce principe aux relations entre filiales d’un même groupe, v. Cons. conc., 15 sept. 2006, no 06-D-26, Yamaha Motor France et MBK : BOCCRF no 1,26 janv. 2007. Lorsque les filiales sont autonomes, leur entente est en revanche illicite. V. Cons. conc., 15 juill. 2003, no 03-A-12, pt 52. Comp., dans les rapports entre une filiale etses sociétés mères, CA Paris, 20 janv. 2011, no 2010/08165, réformant la décision no 10-D-13 de l’Autorité de la concurrence du 15 avril 2010 dans le secteur de la manutentionpour le transport de conteneurs dans le port du Havre.

(11) Parmi les décisions récentes, v. notamment Aut. conc., 6 janv. 2010, no 10-D-04, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des tables d’opération, pts 124 et s.retraçant la pratique décisionnelle et la jurisprudence antérieures. Adde, CA Paris, 11 mai 2010, no 2009/14280, confirmant la décision no 09-D-19 du 10 juin 2009 relative à despratiques concernant le déménagement de personnels militaires relevant du CTAC de l’armée de terre de Nancy.

(12) Comp., retenant un abus de position dominante, Cass. com., 27 mars 2001, no 98-22241. V. également, favorable à la qualification d’abus, les observations de M. Behar-Touchais aux Ateliers de la concurrence du 30 mars 2010, « Imputabilité, sanctions, groupe », Débats p. 12.

(13) Note d’information no 2009-28, 21 mars 2009, sur l’application des dispositions du titre IV, livre IV, citant l’arrêt Cass. crim., 24 mars 1999, no 97-84841, concernant les délaisapplicables aux produits périssables.

(14) TUE, 27 oct. 2010, no T-24/05, affaire du tabac brut espagnol, pts 139 et s.

(15) V. Aut. conc., 26 janv. 2011, no 11-D-02, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration de monuments historiques, pts 590 et s., spéc. pt 597(obiter).

(16) À la suite de l’arrêt Stora (CJCE, 16 nov. 2000, no C-286/98, pts 28 et 29) duquel on a parfois déduit que la détention du capital à 100 % de la filiale ne suffisait pas pourprésumer la dépendance économique de la filiale, des indices supplémentaires devant être réunis à cette fin.

(17) CJCE, 10 sept. 2009, no C-97/08 P, Akzo Nobel, pts 60 à 62 – TPICE, 30 sept. 2009 (4 arrêts), no T-175/05, Akzo Nobel, pts 91-92, no T-168/05, Arkema, pt 68, no T-174/05, ElfAquitaine, pts 153 à 156 et no T-161/05, Hoescht, pt 59 – TPICE, 31 mars 2009, no T-405-06, ArcelorMital, pt 90 – TPICE, 30 avr. 2009, no T-12/03, Itochu, pts 49 à 51.

(18) V. dernièrement les conclusions de l’avocat général P. Mengozzi dans l’affaire no C-521/09, Elf Aquitaine SA, en réponse aux première et deuxième branches du 5e moyenprésenté par la requérante.

(19) B. Bouloc, « Le principe de responsabilité personnelle est-il en péril en droit de la concurrence ? », Ateliers de la concurrence, 30 mars 2010, préc., p. 15, qui suggère deraisonner plutôt en termes de garantie ou de complicité.

DOSSIER

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capital » (20). Mais dans son arrêt du 29 mars 2011, la Cour n’a pasété sensible à cette argumentation (21)...

10 Quant au domaine de cette présomption, il était initialementlimité aux filiales contrôlées à 100 % par leur société mère.Progressivement, il s’est trouvé étendu aux filiales détenues quasi-ment à 100 % par leur société mère, sans que l’on sache exactementà partir de quel seuil la présomption peut jouer. Plus récemment,son domaine a également été étendu à l’hypothèse d’une chaînecapitalistique, c’est-à-dire lorsque le participant à l’entente est unesous-filiale et, plus précisément, une filiale à 100 % d’une autrefiliale à 100 % de la société mère. Admise par le tribunal dans l’af-faire General Quimica, cette analyse a été confirmée le 20 janvier2011 par la Cour de justice (22). Si ces solutions ne font guère dedoute aujourd’hui, plus incertaine est la question de savoir si unefiliale commune peut être présumée dépendante de ses sociétésmères qui détiennent ensemble 100 % de son capital. Dans son arrêtdu 27 octobre 2010, le tribunal a opportunément répondu par lanégative (23). Si le contrôle conjoint qui s’exerce sur la filiale com-mune suppose en effet la possibilité pour ses titulaires de bloquerles décisions stratégiques (budget, projet et nomination des diri-geants), le comportement de l’entreprise commune sur le marchépeut être déterminé librement par elle ou dicté par un seul despartenaires. Son défaut d’autonomie économique ne peut donc êtreprésumé. C’est pourtant à une conclusion inverse que semble par-venir la cour de Paris dans une hypothèse, il est vrai, où la dépen-dance de la filiale commune était invoquée par les entreprises elles-mêmes pour disqualifier une entente nouée entre la filiale com-mune et ses sociétés mères (24)... Or plus le domaine de la pré-somption est large, plus la question de savoir si — et dans l’affir-mative à quelles conditions — elle peut être renversée est cruciale.

11 S’agissant précisément du renversement de la présomption, onpeut relever d’emblée que la présomption capitalistique estdestructible, du moins en théorie. La société mère garde en effet lafaculté de prouver que, malgré les apparences formelles en quelque

sorte, la dépendance effective de la filiale se trouve niée en fait.Évidemment, il ne sera pas aisé pour elle de renverser cette pré-somption. Peu importe en effet que la société mère démontre qu’ellen’était impliquée d’aucune façon dans l’entente puisque ce n’est passa responsabilité personnelle qui est ici en cause mais sa respon-sabilité solidaire avec la filiale avec laquelle elle forme une seule etmême entreprise (25). Bien mieux, il ne suffit pas que la sociétémère parvienne à rapporter la preuve que sa filiale gérait sa poli-tique commerciale (stratégie de distribution et prix) de façon auto-nome dès lors que d’autres éléments traduisent sa dépendance (26).C’est le principal apport de l’arrêt Akzo rendu par la Cour le 10 sep-tembre 2009 dans l’affaire du cartel du chlorure de choline. Cons-tatant plus généralement qu’aucun argument « ne trouve grâce auxyeux des juridictions » (27), d’aucuns en ont déduit que la présomp-tion était devenue de fait irréfragable (28).

12 Autant dire qu’en l’état de la jurisprudence actuelle de l’Unioneuropéenne, la filiale détenue à 100 % ou presque forme presquetoujours avec sa société mère une seule et même entreprise, ce quipermet de lui imputer le comportement infractionnel de celle-cisans avoir à rapporter la preuve de son implication personnelle.Quant aux « autres » filiales (majoritaires, minoritaires, commu-nes) (29), dont la dépendance effective doit en principe être prou-vée pour conclure à l’unité d’entreprise, elles n’en forment pas moinstoujours avec leur société mère un ensemble d’entreprises liées, cequi présente d’autres utilités.

II. Le groupe de sociétés : un ensemble d’entreprisesliées

13 La prise en compte des liens entre sociétés membres d’un mêmegroupe est rendue nécessaire chaque fois qu’il s’agit d’analyser lastructure du marché. Certes, l’analyse de la structure du marché esttraditionnellement moins présente dans la répression ex post despratiques anticoncurrentielles que dans le contrôle ex ante des

(20) Conclusions de l’avocat général Y. Bot du 26 octobre 2010 dans les affaires jointes nos C-201/09 et C-216/09 (Arcelor-Mittal Luxembourg SA) et no C-352/09 (ThyssenKruppNirosta GmbH), pts 204 et 205. L’avocat général ajoute : « Si la détention de 100 % du capital suffit, en effet, à établir l’existence du lien de groupe, nous ne pensons pas qu’ellepuisse à elle seule présumer l’exercice effectif d’un pouvoir de direction constituant une connivence à la commission de l’infraction. Il est, à notre avis, nécessaire que laCommission produise d’autres éléments de preuve susceptibles de démontrer l’absence d’autonomie de la filiale, et ce afin de préserver les droits fondamentaux reconnus auxentreprises ».

(21) CJUE, 29 mars 2011, nos C-201/09 et C-216-09, Arcelor-Mittel Luxembourg SA.

(22) TPI, 18 déc. 2008, no T-85/06, General Quimica SA et sur pourvoi, CJUE, 20 janv. 2011, no C-90/09.

(23) Préc., pts 139 et s.

(24) CA Paris, 20 janv. 2011, préc.

(25) TPICE, 18 déc. 2008, préc., pts 61 et s. Lorsque la société mère est attraite à la procédure à la fois en tant que société mère d’un participant à l’entente et en raison de sonimplication personnelle, la communication des griefs doit faire apparaître ce double fondement. V. en ce sens l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Bolloré, CJCE, 3 sept. 2009,nos C-322/07, C-327-07 et C-338-07. La décision initiale n’en a pas moins été réadoptée, v. communiqué du 23 juin 2010 (IP/10/788).

(26) CJCE, 10 sept. 2009, Akzo Nobel, préc., pt 74. Dans le même sens, v. TPICE, 30 sept. 2009, Akzo Nobel, préc., pts 94 et s

(27) L. Donnedieu de Vabre-Tranié, Conclusion, Ateliers de la concurrence, 30 mars 2010, préc., p. 22.

(28) L. Arcelin, « La responsabilité de la société mère du fait des agissements de sa filiale : une présomption devenue irréfragable », Ateliers de la concurrence, 30 mars 2010,préc., p. 4. V. toutefois TUE, 16 juin 2011, nos T-196/06, Edison Spa et T-185/06, Air Liquide, retenant que la Commission doit motiver le refus de prendre en considération leséléments de preuve apportés par la société mère. Adde TUE, 16 juin 2011, nos T-208/08, Gosselin Group NV et T-209/08, Portielje, pts 51 à 58, relevant à titre surabondant que lasociété mère est parvenue à renverser la présomption capitalistique en l’espèce.

(29) Sur la reconnaissance d’une unité économique au sein d’un groupe familial où la « possibilité de formation de majorités variables » n’est pas exclue, v. CJUE 1er juill. 2010,no C-407/08P, Knauf Gips KG, pt 73.

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concentrations d’entreprises (30). Moins présente mais pas absente.L’analyse de la structure du marché — et partant la prise en comptedes liens entre entreprises — est en effet déterminante pour évaluerleur pouvoir de marché. La question n’étant pas controversée, on secontentera d’en signaler les deux manifestations essentielles, à savoirla prise en compte des entreprises liées dans les règlements d’exemp-tion (A) mais aussi pour la mise en œuvre de l’interdiction des abusde position dominante (B).

A. Entreprises liées et règlements d’exemption14 S’agissant des règlements d’exemption, chacun sait ici que la« nouvelle approche » mise en œuvre par la Commission euro-péenne à la veille des années 2000 l’a conduite à retirer le bénéficedes règlements d’exemption aux entreprises dont le pouvoir de mar-ché dépasse certains seuils. En clair, la présomption de contributionde l’accord (horizontal ou vertical) au bien-être économique globaldoit tomber lorsque les parties dépassent un certain seuil de partsde marché. Cela ne signifie pas qu’un tel accord soit exclu du bé-néfice de l’exemption. Cela signifie que la réunion des conditionsénoncées par l’article 101, § 3 du traité sur le fonctionnement del’Union européenne (TFUE) doit alors être prouvée par l’entreprise.

15 Pour la mise en œuvre de cette nouvelle approche, la Commis-sion a décidé que devraient être prises en compte les parts de marchédes sociétés juridiquement parties à l’accord mais aussi celles desentreprises qui leur sont liées. On peut prendre l’exemple du nou-veau règlement sur les restrictions verticales qui subordonne le bé-néfice de l’exemption par catégorie aux accords conclus entre unfournisseur et un distributeur disposant, chacun sur leur marché deréférence, demoins de 30%departs demarché (31).Onpeut d’ailleursnoter que sous l’empire du précédent règlement, seules les parts demarché du fournisseur étaient prises en compte et c’est donc pourtenir compte de la puissance d’achat de la grande distribution que le

règlement no 330/2010 tient compte également des parts de marchédu distributeur. Pour procéder à ce calcul, l’article 1er, § 2 préciseque : « Aux fins du présent règlement, les termes « entreprise », « four-nisseur » et « acheteur » comprennent leurs entreprises liées respecti-ves ». Or la définition très accueillante que cette même dispositionretient des entreprises liées (32) permet d’y intégrer sans difficultéaucune la société mère de la partie contractante ainsi que ses filiales,sous filiales ainsi que les entreprises communes auxquelles elle par-ticipe. Autant dire que les sociétés du même groupe s’analyseronttoujours comme des entreprises liées (33).

B. Entreprises liées et position dominante collective

16 S’agissant pour finir de la mise en œuvre de l’interdiction desabus de position dominante, deux mots suffiront ici. Lorsque lessociétés du groupe sont suffisamment indépendantes pour ne pasformer une seule et même entreprise, leur position sur le marchés’apprécie en principe séparément. Mais, s’il est établi que ce lien degroupe a permis aux entreprises d’adopter une stratégie coordon-née, leurs parts de marché pourront être additionnées pour en dé-duire, avec d’autres facteurs, l’occupation par le groupe d’une po-sition dominante collective (34). On peut donc en déduire là encoreque la position des sociétés d’un groupe intervenant dans le mêmesecteur (géographique et matériel) sera le plus souvent appréciéecollectivement.

17 Autant dire que la réalité du groupe est pleinement saisie par ledroit de la concurrence. Au vrai, ce constat a été effectué de longuedate (35). Le groupe occupe pourtant plus que jamais les prétoires.Puissant en fait, il ne se rend pas si facilement au droit.

Valérie PIRONONProfesseur

Université Paris-Sud XI

(30) Sur la prise en compte des entreprises liées pour évaluer la dimension de la concentration, v. notamment, art. 5, § 4 du règlement no 139/2004, préc. et communicationjuridictionnelle consolidée de la Commission : JOUE no C. 43, 21 févr. 2009, pts 129 et s. Comp. C. com., art. L. 430-2 et lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relativesau contrôle des concentrations, pts 81 et s. (www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/ld_concentrations_dec09.pdf).

(31) Règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, 20 avr. 2010, concernant l’application de l’article 101, § 3 du TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiquesconcertées : JO no L. 102, 23 avr. 2010, art. 3, cons. 8 et 9.

(32) « a) les entreprises dans lesquelles une partie à l’accord dispose, directement ou indirectement : i) de plus de la moitié des droits de vote, ou ii) du pouvoir de désigner plusde la moitié des membres du conseil de surveillance, du conseil d’administration ou des organes représentant légalement l’entreprise, ou iii) du droit de gérer les affaires del’entreprise » b) les entreprises qui, dans une entreprise partie à l’accord, disposent, directement ou indirectement, des droits ou des pouvoirs énumérés au point a) ; c) lesentreprises dans lesquelles une entreprise visée au point b) dispose, directement ou indirectement, des droits ou des pouvoirs énumérés au point a) ; d) les entreprises danslesquelles une entreprise partie à l’accord et une ou plusieurs des entreprises visées aux points a), b) ou c), ou dans lesquelles deux ou plus de deux de ces dernières entreprisesdisposent ensemble des droits ou des pouvoirs énumérés au point a) ; e) les entreprises dans lesquelles les droits ou les pouvoirs énumérés au point a) sont détenusconjointement par : i) des parties à l’accord ou leurs entreprises liées respectives visées aux points a) à d), ou ii) une ou plusieurs des parties à l’accord ou une ou plusieurs desentreprises qui leur sont liées visées aux points a) à d) et un ou plusieurs tiers ».

(33) Il en va de même sous l’empire des deux règlements (UE) nos 1218/2010 et 1217/2010 de la Commission, 14 déc. 2010, concernant respectivement l’application del’article 101, § 3 du TFUE à des catégories d’accords de spécialisation (art. 1, § 2 et 3) et l’application de l’article 101, § 3 du TFUE à des catégories d’accords de recherche etdéveloppement (art. 1, § 2 et 4) : JOUE no L. 335, 18 déc. 2010.

(34) TPICE, 7 oct. 1999, no T-228/97, Irish Sugar – CJCE, 16 mars 2000, nos C-395/96 et C-396/96, Compagnie maritime belge. Comp. Cons. conc., 19 déc. 2001, no 01-D-81 :BOCCRF no 4, 28 févr. 2002.

(35) V. A. Lyon-Caen, « Entreprises multinationales et droit européen de la concurrence », in L’entreprise multinationale face au droit, B. Goldman et P. Francescakis (dir.), Litec,1977, p. 325.

DOSSIER

6 - Petites affiches - 6 OCTOBRE 2011 - NO 199 En ligne sur Lextenso.fr

LECONTENTIEUXDEL’ARTICLEL. 442-6DUCODEDECOMMERCE : PREMIERBILAN

Il m’a été demandé de présenter le contentieux de l’article L. 442-6du Code de commerce.

De quoi s’agit-il ?

Les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce sanc-tionnent des pratiques perçues comme abusives dans les relationsentre fournisseurs et distributeurs.

Ce texte a beaucoup évolué au fil des réformes et des textes suc-cessifs. Au départ, il s’agissait de l’article 36 de l’ordonnance du1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.Puis de nombreux textes ont eu par la suite vocation à réguler lesecteur dans son ensemble ou certains de ses aspects seulement.

On peut citer en 1996 la loi Galand, en 2001 la loi NRE, puis lapremière circulaire Dutreil, la loi PME de 2005, puis la deuxièmecirculaire Dutreil, puis la loi LME en 2008, et enfin la loi de mo-dernisation de l’agriculture le 27 juillet 2010, c’est-à-dire pas moinsde sept interventions en à peu près un quart de siècle.

Le texte d’origine de l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre1986 stigmatisait trois types de comportements :

— les pratiques discriminatoires, et principalement l’absence decontrepartie réelle ;

— le refus de vente entre professionnels ;

— les ventes liées ou subordonnées entre professionnels.

Force est de constater que toutes ces pratiques stigmatisées à l’épo-que ont disparu des textes contemporains.

Toutefois, il convient d’observer que depuis 1986, il y a toujours euun texte « fourre-tout » pour appréhender certaines pratiquesintrinsèquement perçues comme restrictives de concurrence, maisce ne sont pas toujours les mêmes.

Ainsi, la loi LME du 4 août 2008, a-t-elle supprimé l’interdiction desdiscriminations per se et l’abus de dépendance économique pourintroduire la notion de déséquilibre significatif ?

Nous y reviendrons.

Quel est aujourd’hui le contenu de l’article L. 442-6 du Code decommerce (I) ?

Quel est aujourd’hui l’état du contentieux suscité par cet articleL. 442-6 (II) ?

I. Le contenu de l’article L. 442-6 du Code de commerce

Cet article est divisé en quatre parties.

A La première partie (art. L. 442-6 I) liste dix pratiques abusives,aujourd’hui portées à treize depuis la loi LMA du 27 juillet 2010,engageant la responsabilité civile de leur auteur.

1 L’obtention ou la tentative d’obtention de la part de son parte-naire commercial d’un avantage injustifié ou manifestement dispro-portionné au regard de la valeur du service rendu.

Cette disposition pose très clairement la question de savoir ce qu’estun avantage injustifié ou disproportionné.

Jusqu’à présent, la jurisprudence a contrôlé régulièrement l’exis-tence de contreparties, mais pas la valorisation de celles-ci.

2 La soumission ou la tentative de soumission de son partenairecommercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dansles droits et obligations des parties.

Nous reviendrons sur cette notion nouvelle créée en 2008.

3 L’obtention ou la tentative d’obtention d’un avantage de la partd’un opérateur économique avant toute passation de commandeset sans l’assortir d’un engagement écrit sur un volume d’achat pro-portionné et, le cas échéant, d’un service demandé.

Il s’agit d’une pratique malheureusement bien connue en distribu-tion sous le nom de « corbeille de la mariée ».

4 L’obtention ou la tentative d’obtention de conditions manifeste-ment abusives sur les prix, les délais de paiement, les conditions devente ou services de coopération commerciale sous la menace d’unerupture de relations commerciales.

Ici, par opposition au cas précédent, la relation est née et en cours.

C’est précisément dans le cours de celle-ci qu’interviendra la prati-que stigmatisée qui consiste, somme toute, pour un opérateur àobtenir de son partenaire commercial des conditions dérogatoires,bien entendu non négociées initialement.

5 La rupture, même partielle, d’une relation commerciale établiesans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commer-ciale à laquelle il est mis fin.

6 La violation directe ou indirecte de l’interdiction de revente horsréseau reposant sur un accord de distribution sélective ou exclusivelicite au regard du droit de la concurrence.

Il s’agit ici de favoriser l’étanchéité des réseaux de distributionsélective.

En effet, commechacun sait, le réseaudedistribution sélective n’existeque par dérogation au droit des ententes.

Par voie de conséquence, il n’est donc licite que s’il est étanche, etc’est à la société tête de réseau de rapporter, le cas échéant et en tantque de besoin, la preuve de l’étanchéité du réseau.

Les dispositions susvisées appréhendent donc au plan civil la vio-lation des règles gouvernant un réseau de distribution sélective pource qui concerne le mode d’écoulement normal des produits.

7 Le non-respect du plafonnement des délais de paiement prévuspar l’article L. 441-6 du Code de commerce.

Rappelons que, depuis la loi LME, ces délais sont fixés à 45 jours finde mois ou 60 jours date de facture.

DOSSIER

8 - Petites affiches - 6 OCTOBRE 2011 - NO 199 En ligne sur Lextenso.fr

8 Le refus ou le retour de marchandises ou encore la déductiond’office du montant de la facture établie par le fournisseur de pé-nalités ou rabais correspondant au non-respect d’une date de livrai-son ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n’estpas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n’aitété en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant.

Ici encore, une pratique très classique fréquemment rencontrée.

9 La non-communication des conditions générales de vente (CGV)à tout acheteur de produit ou demandeur de prestations de servicesqui en fait la demande.

10 Le refus de mentionner sur l’étiquette d’un produit vendu sousmarque de distributeur, le nom et l’adresse du fabricant de ce pro-duit.

Il s’agit là d’une faculté prévue par la loi NRE de 2001, très peuutilisée en pratique.

11 Le fait d’annoncer un prix hors des lieux de vente pour un fruitou un légume frais sans respecter les règles définies aux II et III del’article L. 441-2 du Code de commerce.

Fondamentalement, ces règles interdisent l’annonce d’un prix horsdes lieux de vente pour un fruit ou un légume frais, sauf en casd’accord interprofessionnel.

Il s’agit en effet d’empêcher les distributeurs de lier les producteursde ces produits issus de cycles courts, par un prix de vente annoncéen début de campagne qui ne permettra pas les variations de prixpar les producteurs, qui seront donc contraints de vendre à perte.

12 Le fait de ne pas joindre aux fruits et aux légumes frais destinésà la vente ou à la revente à un professionnel établi en France lors deleur transport sur le territoire national le document prévu par l’ar-ticle L. 441-3-1 lui-même ajouté par la loi LMA, c’est-à-dire soit unbon de commande établi par l’acheteur, soit un contrat passé avecle commissionnaire ou le mandataire.

13 Le fait de bénéficier de remise, rabais et ristourne à l’occasionde l’achat de fruits et légumes frais en méconnaissance de l’articleL. 441-2-2 créée lui aussi par la loi LMA qui prohibe la pratique derabais remise et ristourne pour l’achat de fruits et légumes frais.

Le débat sur le point de savoir ce qu’il faut entendre par fruits oulégumes frais ne manquera pas de rebondir.

B La deuxième partie liste cinq pratiques entraînant la nullité desclauses ou contrat octroyant la possibilité :

a De bénéficier rétroactivement de remise, ristourne ou accord decoopération commerciale.

L’on rappellera en effet que depuis 2005, les relations entre four-nisseurs et distributeurs doivent être annualisées sur la base d’uncontrat écrit qui doit envisager l’ensemble de la relation.

Il peut s’agir soit d’un contrat d’ensemble, soit d’un contrat cadreassorti de contrats d’application, le principe étant que tout doit êtreconvenu, au départ, en ce qui concerne les budgets.

b D’obtenir le paiement d’un droit d’accès au référencement etavant même toute passation de commande.

Se pose vraiment la question de savoir si cette disposition ne fait pasdouble emploi avec le troisième paragraphe du I, même si la ré-daction est un peu différente.

Ne dit-on pas que qui peut le plus, peut le moins ?

c D’interdire au cocontractant la cession à des tiers de créancesqu’il détient sur lui.

d De bénéficier automatiquement des conditions les plus favora-bles consenties par un partenaire économique à un concurrent deson cocontractant.

Il s’agissait ici de la clause dite de « la nation la plus favorisée », trèscouramment appliquée en matière internationale, et qui avait gagnéla sphère des relations entre fournisseurs et distributeurs.

Le législateur la stigmatise comme une pratique anticoncurrentielle.

Il sera évidemment intéressant de suivre la jurisprudence sur cepoint.

e D’obtenir de l’un de ses revendeurs exploitant une surface devente au détail inférieure à 300 m2 non lié au fournisseur par uncontrat de licence, un droit de préférence sur la cession ou le trans-fert de son activité, ou une obligation de non-concurrence postcon-tractuelle, ou de subordonner l’approvisionnement de ce revendeurà une clause d’exclusivité ou de quasi-exclusivité d’achat de cesproduits et services d’une durée supérieure à deux ans.

Il s’agit ici d’éviter les pressions sur les détaillants indépendants depetite taille en assortissant leur approvisionnement de conditionsqui sont extérieures à la stricte relation achat-vente.

L’on ne manquera pas d’observer que, pour une fois, ce serait lefournisseur qui serait dans le rôle du « méchant ».

C La troisième partie (art. L. 442-6 III) est relative à l’exercice del’action.

Se pose la question de savoir, d’une part, qui peut agir, et, d’autrepart, pour quoi faire, et enfin quels sont les tribunaux compétents.

1. Qui peut agir ?Toute personne ayant un intérêt, c’est-à-dire les parties elles-mêmesau contrat, mais aussi le ministre chargé de l’Économie, le ministèrepublic et le président de l’Autorité de la concurrence.

Bien entendu, le droit d’agir attribué aux parties à un contrat nepose aucun problème particulier.

Il n’en va pas de même pour ce qui concerne les actions du ministrechargé de l’Économie ou du ministère public ou de l’Autorité de laconcurrence.

En particulier, dans un passé récent, nous avons vu le ministre chargéde l’Économie intervenir directement dans la sphère privée descontrats.

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Pour le praticien, il s’agit d’une incursion très choquante des pou-voirs publics puisqu’elle réduit à néant les principes généraux dudroit des contrats que sont l’autonomie de la volonté et l’effet relatifdes conventions.

D’autant que la loi accorde au ministre de l’Économie et au minis-tère public des pouvoirs très étendus.

2. Agir pour quoi faire ?Le ministre chargé de l’Économie et le ministère public (et non leprésident de l’Autorité de la concurrence) peuvent demander la ces-sation des pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contratsillicites, et demander la répétition de l’indu ainsi que le prononcéd’une amende civile d’un montant de 2 millions d’euros maximum,mais pouvant aller jusqu’à trois fois les sommes indûment versées.

La réparation des préjudices subis peut également être demandée.

Nous voyons donc bien que le ministère public ou le ministre de l’Éco-nomie se voient ainsi octroyer la possibilité de porter directement at-teinte au principe de l’effet relatif des conventions, puisque aussi bien lademande d’annulation de clauses d’un contrat ou enfin de répétition del’indu sont en principe des sanctions contractuelles qui n’appartiennentqu’à l’une des parties à un contrat et non pas à un tiers, comme peutl’être le ministre de l’Économie ou le ministère public.

Il s’agit néanmoins d’une tendance récente à favoriser ce type d’actiondes pouvoirs publics, que la Cour de cassation appréhende commeune action autonome de protection du fonctionnement du marché etde la concurrence, ce qui n’implique donc pas la présence à la causedes fournisseurs (1).

Il n’en demeure pas moins que, pour les praticiens, la solution laisseperplexe...

3. Quels sont les tribunaux et cours compétents ?Depuis le décret no 2009/1384 du 11 novembre 2009, huit tribu-naux de grande instance et de commerce et une cour d’appel peu-vent connaître du contentieux des pratiques restrictives de l’articleL. 442-6 du Code de commerce.

Il s’agit des tribunaux de commerce ou de grande instance de Mar-seille, Bordeaux, Lille, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes.

La seule cour d’appel compétente pour ce contentieux est celle deParis.

Le contentieux se spécialise donc.

D La quatrième partie (art. L. 442-6 IV) attribue compétence aujuge des référés pour ordonner, au besoin sous astreinte, la cessa-tion des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire.

Ce texte apparaît comme redondant avec les prérogatives dont dis-pose le juge des référés sur le fondement des articles 808 et 809 ou872 et 873 du Code de procédure civile.

En effet, par hypothèse, il s’agira, dans un tel cas, d’un trouble ma-nifestement illicite.

II. La pratique contentieuse proprement dite

Le contentieux de l’article L. 442-6 a longtemps porté sur l’interdic-tion de discriminer et sur le refus de vente entre professionnels.

Or ces deux interdictions ont été supprimées par la loi LME.

Aujourd’hui, le contentieux porte quasi-exclusivement sur la rup-ture abusive de relations commerciales établies.

On relève également une offensive des pouvoirs publics sur le ter-rain du déséquilibre significatif nouvellement créé par la loi LME.

A. Le contentieux de la rupture brutale des relationscommerciales établies (art. L. 442-6, I, 5°)Nous rappellerons, tout d’abord, que ce contentieux a commencéantérieurement à la loi LME, de sorte que nous disposons aujourd’huid’une jurisprudence abondante et complète.

En effet, plusieurs points ont soulevé des interrogations.

1. Qu’est-ce qu’une relation commerciale ?La jurisprudence a précisé que les parties doivent se livrer à des opé-rations commerciales pour que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°leur soient applicables ou leur profitent.

Ainsi, il a été jugé que le statut du notariat interdisant aux notairesde se livrer à des opérations commerciales, les dispositions de l’ar-ticle L. 442-6, I, 5° ne leur sont pas applicables (2).

La même solution a été retenue pour des médecins (3).

Pour autant, si la jurisprudence semble opérer un tri en ce quiconcerne la qualité des parties au contrat, elle n’exclut en revancheaucun type de prestations.

Ainsi, la Cour de cassation a admis l’applicabilité des dispositions del’article L. 442-6, I, 5° à un contrat portant sur une prestation intel-lectuelle (4).

Le contrat peut par ailleurs être à durée déterminée ou indétermi-née (5).

2. Qu’est-ce qu’une relation commerciale établie ?Une succession de contrats ponctuels peut être suffisante pour ca-ractériser une relation commerciale établie.

(1) Cass. com., 8 juill. 2008 : Bull. civ. 2008, IV, no 143.

(2) Cass. com., 20 janv. 2009, no 07-17556.

(3) Cass. com., 23 oct. 2007, no 06-16774.

(4) Cass. com., 16 déc. 2008, no 07-18050.

(5) Cass. com., 15 sept. 2009, no 08-19200.

DOSSIER

10 - Petites affiches - 6 OCTOBRE 2011 - NO 199 En ligne sur Lextenso.fr

Pour un exemple, voir dernièrement cour d’appel de Basse-Terre,18 novembre 2009 (6).

Dans ce cas, des factures produites sur une période de 27 moisdémontrent la continuité de la relation commerciale.

Mais, par opposition, la Cour de cassation avait jugé le 18 décembre2007 (7) que quelques mois sont une durée insuffisante.

Pour apprécier l’existence d’une relation commerciale établie, le jugedoit prendre en compte l’intégralité de la relation, y compris post-contractuelle.

La rupture de la relation commerciale n’engage la responsabilité deson auteur que si la relation commerciale est établie (8).

3. Quelle est la nature de la rupture ?La rupture peut être totale ou partielle.

Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle notamment retenu la rupturepartielle de relations commerciales du fait de la hausse brutale detarifs sans préavis (9).

Il est à noter que cet arrêt affirme le caractère délictuel plutôt quecontractuel de l’action en réparation, ce qui n’est pas sans consé-quence.

Nous y reviendrons.

4. Qu’est-ce qu’une rupture brutale ?Intrinsèquement, l’absence de dénonciation de la relation commer-ciale par écrit caractériserait la brutalité mais il ne faut pas que l’ab-sence de livraison ait pour cause une dégradation de la relation.

Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle approuvé la société Sony d’avoirrefusé de livrer la société Concurrence compte tenu de la dégrada-tion des relations.

La rupture était donc, dans ce cas, exclusive de faute (10).

Dans le même temps, la Cour de cassation avait retenu une rupturebrutale en cas d’absence de préavis, même en présence d’une fautecontractuelle (11).

Cet arrêt suscite une interrogation du praticien.

En effet, en principe, le manquement contractuel autorise la rési-liation sans préavis si tant est, bien évidemment qu’un tel cas ait étéprévu par les parties.

Le contrat en cause aurait-il été mal rédigé ?

De son côté, la cour d’appel de Basse-Terre (12) a retenu la rupturebrutale d’un partenaire commercial qui constitue une nouvelle so-ciété ayant le même objet que celle de son cocontractant.

Quant à la cour d’appel de Lyon (13), elle a jugé qu’une société nepeut utilement invoquer le changement du lieu dans lequel s’exer-çait le commerce de son distributeur pour refuser de le livrer.

Un tel refus s’analyse en une rupture abusive du contrat avant sonterme et sans respect du préavis convenu.

Il se dégage de l’ensemble de ces solutions, d’une part, que l’ap-préciation des circonstances de la rupture est une question de faitdont la connaissance appartient donc au juge du fond.

Mais connaissance ne se confond pas avec analyse.

Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle jugé (14) que la rupture n’est pasbrutale lorsqu’une solution de remplacement souveraine des consé-quences juridiques d’une situation de fait déterminée a été propo-sée, peu important que cette solution nécessite la définition d’unenouvelle relation contractuelle entre les parties.

Cet arrêt introduirait-il une certaine formed’obligationde reclassementdu partenaire évincé comme cause exonératoire de responsabilité ?

La question mérite d’être suivie.

5. Qu’est-ce qu’un préavis suffisant ?Le préavis doit tenir compte de la durée de la relation à laquelle ilest mis fin.

Ici encore, la jurisprudence est souveraine.

Ainsi a-t-il été jugé qu’un préavis d’un mois est insuffisant pour desrelations de plusieurs années (15).

Plus surprenant encore, la Cour de cassation a jugé que l’existenced’un accord professionnel ne dispensait pas la juridiction d’exami-ner si le préavis, qui respectait le délai minimal fixé à cet accord,tenait compte de la durée de la relation commerciale et des autrescirconstances de l’espèce (16).

C’est donc au juge qu’il convient de déterminer si le préavis a étésuffisant ou non.

(6) Juris-Data no 2008-379902.

(7) Cass. com., 18 déc. 2007, no 06-10390.

(8) Cass. com., 24 nov. 2009, no 07-19248.

(9) Cass. com., 6 févr. 2007, no 04-13178.

(10) Cass. com., 16 déc. 2009, no 08-13423.

(11) Cass. com., 13 oct. 2009, no 08-20411.

(12) CA Basse-Terre, 10 nov. 2008 : Juris-Data no 2008-37990.

(13) CA Lyon, 3 juill. 2008.

(14) Cass. com., 9 mars 2010, no 08-21055.

(15) Cass. com., 27 oct. 2009, no 08-19396.

(16) Cass. com., 2 déc. 2008, no 08-10731.

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La souveraineté dont il dispose lui permet même de s’affranchir ducontenu et des stipulations d’un accord professionnel qui, au de-meurant, avait été respecté, ce qui confirme un peu plus encore lecaractère délictuel et non-contractuel de l’action.

En pratique, la jurisprudence va jusqu’à deux ans de préavis, mêmepour des relations de très longue durée. Pour l’instant, elle n’estjamais allée au-delà.

6. Quelle est l’indemnisation du préjudice subi ?

Il s’agit de réparer le préjudice entraîné par le caractère brutal de larupture et non le préjudice découlant de la rupture elle-même.

En effet, depuis fort longtemps, la jurisprudence appréhende la perted’un client, ou plus généralement d’un partenaire économique,comme un événement inhérent à la vie des affaires.

Pour autant, dans le cas où la rupture est jugée brutale, le préjudiceréparable s’entend du préjudice réel, c’est-à-dire la perte de béné-fice que la société pouvait escompter tirer de la relation commer-ciale, et non pas la perte du chiffre d’affaires (17).

La cour d’appel d’Amiens (18) a évalué le préjudice au regard de lamarge bénéficiaire brute que la victime aurait été en droit d’escomp-ter en raison de la rupture des relations commerciales.

Cette référence a la marge brute est d’ailleurs très souvent retenue.

La cour d’appel de Paris (19) a calculé le préjudice à partir de deuxcritères : la marge brute réalisée sur le chiffre d’affaires liée au contratrompu et la durée du préavis qui aurait dû être accordé lorsque larupture a été jugée trop brutale.

Cette solution correspond à l’état de la jurisprudence d’aujourd’hui.

7. Quelle est le régime de l’action ?

Comme nous l’avons indiqué précédemment, il a été jugé qu’il s’agitd’une action en responsabilité civile de nature délictuelle plutôt quecontractuelle.

Cette affirmation n’a, en elle-même, rien d’évident, d’autant qu’enl’espèce, l’action sera forcément introduite par l’une des parties aucontrat rompu.

Néanmoins, trois arrêts affirment ce principe pour l’instant unique-ment pour ce qui concerne la rupture de relations commercialesétablies.

Le dernier de ces arrêts, en date du 11 mai 2010, permet d’entrevoirles conséquences d’une telle qualification :

— la clause attributive de juridiction éventuellement insérée dans lecontrat est neutralisée et ne s’applique pas ;

— le délai de prescription de l’action est de cinq ans, ce qui, au casd’espèce, s’opposait à la prescription abrégée fondée sur le contratde transport ;

— enfin, comme nous l’avons vu (20), le juge a même la faculté des’affranchir de la teneur d’un accord professionnel pourtant res-pecté pour apprécier librement si la durée du préavis est suffisanteou non.

En définitive, il s’agit donc d’un contentieux qui est amené à connaî-tre encore des développements multiples.

B. Offensive des pouvoirs publics en matièrede déséquilibre significatif (art. L. 442-6, I, 2°)

À l’automne 2009, le ministre chargé de l’Économie annoncel’assignation de neuf distributeurs sur le fondement du déséquilibresignificatif.

À ce jour, un seul jugement est rendu, celui du tribunal de Lille du6 janvier 2010.

1. Dans quel contexte ?

Au mois de juin 2009, la Direction générale de concurrence, de laconsommation et de la répression des fraudes est attirée par lespratiques d’un distributeur, notamment en matière de délais et demodalités de paiement.

Une enquête est réalisée auprès de plusieurs entreprises et le mi-nistre est invité à engager une action contre neuf distributeurs.

Les juges lillois constatent que le distributeur impose à ses fournis-seurs un paiement d’acomptes mensuels en fin de mois.

Or relevant de la dérogation accordée au secteur du bricolage enmatière de délai de paiement, ce distributeur bénéficie donc d’undélai de paiement de ses propres obligations à 75 jours, soit undifférentiel de deux à trois mois défavorable au fournisseur.

En outre, les juges lillois estiment que les indemnités exorbitantes etusuraires dues par les fournisseurs en cas de retard de paiementaccroissent le déséquilibre.

Enfin, ils stigmatisent l’obligation de paiement par virement impo-sée, semble-t-il, aux fournisseurs, et constatent que l’impossibilitéde modifier le montant des acomptes en cours de contrat, au cas oùle volume d’affaires avec le fournisseur viendrait à changer, confortele déséquilibre déjà constaté.

C’est la première et seule affaire jugée au fond à ce jour.

Néanmoins, certains enseignements peuvent être tirés.

(17) Cass. com., 3 déc. 2002, no 99-19822.

(18) CA Amiens, 30 nov. 2001.

(19) CA Paris, 31 mai 2007, no 04-12825.

(20) Cass. com., 2 déc. 2008, Ibis.

DOSSIER

12 - Petites affiches - 6 OCTOBRE 2011 - NO 199 En ligne sur Lextenso.fr

2. Quelles sont les conséquences ?Contrairement à la rupture brutale, il n’est pas affirmé pour l’instantque l’action en réparation d’un déséquilibre significatif seraitdélictuelle.

En revanche, la jurisprudence avait déjà posé, et le juge de Lille l’aconfirmé, que l’action du ministre sur le fondement des dispositionsde l’article L. 442-6 est une action autonome qui peut lui permettred’agir, même en répétition de l’indu, sans l’avis des victimes (21).

Selon cet arrêt, il s’agit d’une action autonome de protection dufonctionnement du marché et de la concurrence.

Les contours et l’articulation de ce texte relatif au déséquilibre si-gnificatif sont volontairement flous pour permettre d’appréhenderdes situations diverses.

D’un côté, la loi LME affirme la liberté de la négociation. D’un autrecôté, la discrimination n’est plus considérée comme une pratiquerestrictive per se, mais l’engagement de contentieux aux contoursdiffus pour déséquilibre significatif pourrait être une bien plus grandecontrainte pour les opérateurs.

Ceux-ci l’ont d’ailleurs parfaitement senti et n’ont pas hésité à sou-lever, dans le cadre d’une autre assignation, formulée devant le tri-bunal de commerce de Bobigny (qui aujourd’hui ne fait pas partiedes tribunaux désignés), une question prioritaire de constitutionnalitéconcernant cette notion de déséquilibre significatif.

Il est prétendu que ce dispositif porterait atteinte au principe delégalité des délits et des peines ayant valeur constitutionnelle.

La question méritera d’être suivie car la notion de déséquilibre si-gnificatif constitue aujourd’hui la pierre angulaire du nouveau dis-positif mis en œuvre par la loi LME (22).

En définitive, une conclusion s’impose à deux égards.

D’une part, alors que le texte de l’article L. 442-6 du Code de com-merce est extrêmement dense, seules deux dispositions suscitent àl’heure actuelle un contentieux significatif, ce qui n’est pas sans po-ser le problème du fait politique de la création du droit par le lé-gislateur et de sa capacité à répondre aux besoins de la vie desaffaires.

Parmi ces dispositions, la notion de déséquilibre significatif paraîttraduire une nouvelle approche des pouvoirs publics.

Ce texte leur confère la capacité réelle d’intervenir dans la sphèreprivée des contrats, dans un but de police économique affirmée parla jurisprudence, et les pouvoirs publics semblent manifestementdésireux d’user de cette faculté.

Après de nombreuses réformes ou tentatives de régulation n’ayantpas atteint leurs objectifs (qui n’ont d’ailleurs pas toujours été lesmêmes !), il semble bien que le premier pas d’une régulation qui sefera par les prétoires, soit accompli.

Didier LE GOFFAvocat au barreau de Paris

LPLG AvocatsChargé d’enseignement auprès de l’université de Nantes

(IQUABIAN)

(21) Cass. com., 8 juill. 2008, Ibis.

(22) Nous savons aujourd’hui que ce dispositif a été jugé conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel le 13 janvier 2011. Sans entrer dans les détails, nous relevonsque le Conseil constitutionnel a raisonné par analogie avec certaines dispositions existant en droit de la consommation.

En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 6 OCTOBRE 2011 - No 199 - 13

LEDÉSÉQUILIBRESIGNIFICATIFOUUNEATTEINTESIGNIFICATIVEÀLALIBERTÉCONTRACTUELLE ?

I. La notion de « déséquilibre significatif »

Le « déséquilibre significatif » est inscrit dans l’article L. 442-6-I, 2° duCode du commerce au terme duquel : « engage la responsabilité deson auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toutproducteur, commerçant, industriel ou « personne immatriculée aurépertoire des métiers » (...) de soumettre ou de tenter de soumettreun partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibresignificatif dans les droits et obligations des parties ».

Cet article est issu de la loi de modernisation de l’économie (LME)du 4 août 2008 qui avait pour objet de renforcer la concurrencedans le but de faire baisser le prix d’achat en faveur du consom-mateur.

L’innovation de la loi LME est présentée comme s’inspirant de laréglementation des clauses abusives en droit de la consommationsans que l’on puisse néanmoins parler d’identité totale.

Certes, peuvent constituer un déséquilibre significatif la généralitéd’une clause ou la clause offrant un avantage injustifié ou bien sansréciprocité au professionnel mais la différence essentielle provientdu fait qu’en droit de la consommation les clauses abusives ne por-tent pas sur le prix alors que s’agissant de pratiques restrictives lecontrat est souvent affecté par l’inadéquation du prix.

Au surplus, les conséquences ne sont pas strictement comparablespuisque en droit de la consommation, la clause abusive est consi-dérée comme non écrite alors qu’en droit de la concurrence l’actiontend en principal à voir engagée la responsabilité.

Ce qui conduit au constat suivant : l’article L. 442-6- I, 2° du Code decommerce a trait au contrôle de la formation et de l’exécution ducontrat.

L’appréciation du « déséquilibre significatif » va en conséquence pas-ser par un contrôle non seulement de l’équilibre financier du contratentre les parties mais également, de manière plus générale, de celuide toute la relation contractuelle ce qui aura une influence directesur l’ensemble du marché.

Il appartiendra alors au juge de vérifier l’économie du contrat (justeprix, conditions tarifaires, objet et cause du contrat...) pouvant allerjusqu’à la remise en cause de l’autonomie de la volonté génératriced’une véritable révolution au regard de l’article 1134 du Code civil.

II. L’analyse du déséquilibre significatifpar la jurisprudence

C’est d’abord une première affaire dans laquelle le ministre de l’Éco-nomie, de l’Industrie et de l’Emploi avait assigné la SAS CastoramaFrance et dans laquelle le tribunal de commerce de Lille le 6 janvier2010 s’est attachée à analyser chacune des obligations présuméedéséquilibrée (1).

Les juges consulaires ont retenu notamment que ces pratiques :

— en imposant des acomptes mensuels sur ristournes payables enfin de mois — c’est-à-dire des acomptes sur une dette non encoreexigible— le fournisseur faisait des avances de trésorerie àCastoramaentraînant ainsi une dégradation de son fond de roulement générantdes coûts financiers supplémentaires ;

— en imposant le paiement par virement s’agissant d’un choix nonnégocié ;

— en instaurant une différence de traitement dans les délais derèglement des créances ;

— en ne prévoyant pas de clause de modification des montants desacomptes en cas de variation d’activité en cours d’année ;

entraînaient un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur.

Les juges ont également considéré que le taux de pénalité de retardde paiement des acomptes à raison de 1 % par jour plafonné à 10 %était exorbitant.

Les juges ont dégagé le déséquilibre significatif au travers d’uneanalyse globale et en particulier du mode de négociation intervenuentre les parties en faisant des comparaisons entre les contrats suc-cessifs sur deux années pour ordonner la cessation des pratiques etcondamner le distributeur à 2 000 000 Q d’amende.

Il est intéressant de rapprocher cette décision de l’arrêt de la courd’appel de Nîmes du 25 février 2010 sur l’abus de la relation dedépendance ou de la puissance d’achat ou de vente intervenue surle fondement de l’ancien article L. 442-6-I, 2° du Code de commercesurtout en ce qu’il se prononce sur la nature de l’amende dont lecaractère pénal est exclu par la cour d’appel de Nîmes.

Les juges appliquent également une analyse comparative en s’atta-chant à rechercher si l’accès internet par le fournisseur au site dudistributeur permettant de suivre les informations comptables cons-titue un service effectivement rendu ayant donné lieu à une rému-nération manifestement disproportionnée au regard de sa valeur.

La cour a retenu le caractère prohibitif du tarif appliqué en mettanten perspective la rémunération avec, d’un côté, le coût de revient etde l’autre, la tarification appliquée par ce distributeur selon sescocontractants et pour un même fournisseur selon les années.

Mais cet arrêt est particulièrement intéressant sur l’inapplication af-firmée par les juges des principes du droit pénal à l’amende civile.La juridiction nîmoise considère qu’en raison de sa naturepartiellement indemnitaire et préventive ainsi que de son champd’application limité aux seuls acteurs économiques, l’amende civilene constitue pas une punition ou une peine au sens de l’article 8 dela Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (2).

(1) T. com. Lille, 6 janv. 2010 : D. 2010, p. 1000.

(2) M. Chagny, Concurrences no 4-2010.

DOSSIER

En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 6 OCTOBRE 2011 - No 199 - 15

Cette position n’a pas été celle suivie par le tribunal de commercede Bobigny le 13 juillet 2010 pour qui les dispositions législatives dudroit de la concurrence, comme l’article L. 446-6-I, 2° sont soumisesau principe de la légalité des délits et des peines à l’instar de cellesqui relèvent du droit pénal.

C’est dans ce contexte que les juges ont déclaré la question priori-taire de constitutionnalité (QPC) recevable : la question de désé-quilibre significatif satisfait-elle au principe de légalité des délits etdes peines (3) ?

À la date de publication des interventions des journées LouisLorvellec, le Conseil constitutionnel, par décision du 13 janvier 2011,a confirmé que l’article L. 442-6-I, 2o du Code de commerce, dansla mesure où il est passible d’une amende civile, présente effecti-vement le caractère d’un texte répressif et qu’il incombe donc aulégislateur de le définir avec suffisamment de clarté tout en consi-dérant que cette disposition est déjà précisée par la jurisprudence,notamment communautaire, et donc suffisamment compréhensi-ble, d’autant plus que la Commission d’examen des pratiques com-merciales (CEPC) peut donner son avis sur le texte. « Cette décision

minore les différences entre droit de la concurrence et droit de laconsommation » (4).

La décision de Bobigny est d’ores et déjà intéressante en ce qu’elletrace les lignes directrices d’appréciation de la notion de déséqui-libre significatif l’ayant amené à poser la QPC, notion « nécessaire-ment subjective, pour une bonne part, et dans un contexte différentde celui des clauses abusives... L’examen se fera en fonction del’intention des parties, des conditions particulières dans lesquellesles clauses ont été incluses dans les accords entre Darty et ses four-nisseurs ainsi que les circonstances ayant entouré les négociationset de celles prévalant au moment de leur mise en œuvre ».

C’est toute la question de l’intervention de la puissance publiquedans le principe de la liberté contractuelle et c’est en cela que l’onpeut parler de véritable révolution.

Marie-Véronique JEANNINAvocat à la cour

SCP Fourgoux et associésParis-Bruxelles

(3) Lettre de la Distribution, sept. 2010 : « Darty dégaine la QPC ».

(4) J.-L. Fourgoux, « Déséquilibre significatif : une validiation par le Conseil constitutionnel qui marie droit de la concurrence et droit de la consommation en matière de clausesabusives » : Contrats, conc. consom. mars 2011, no 5, p. 13.

DOSSIER

16 - Petites affiches - 6 OCTOBRE 2011 - NO 199 En ligne sur Lextenso.fr

LAPROTECTIONDESCONSOMMATEURSD’ALIMENTS :LEREGARDD’UNPÉNALISTE

Il me tient à cœur de remercier Marine Friant-Perrot et CatherineDel Cont pour m’avoir associée à cette journée d’études. Mes re-merciements s’adressent, de façon renouvelée, à François Collart-Dutilleul pour sa confiance et son intégration des enseignants-chercheurs de tout horizon au programme Lascaux. Last but notleast, toute ma reconnaissance va à Fanny Garcia qui m’a la pre-mière incitée et encouragée à envisager le consommateur d’ali-ments de manière élargie à travers le prisme du droit pénal et dudroit européen des droits de l’homme (1).

Si l’on en juge par l’actualité jurisprudentielle en droit pénal et endroit européen des droits de l’homme (2), on peut identifier quatrecatégories de consommateurs. La première figure de consomma-teur qui émerge est celle du consommateur lambda que l’on sou-haite mettre à l’abri, avec en filigrane la protection d’un ordre publicéconomique ou de la santé publique (3). Il s’agit en principe d’unconsommateur de denrées alimentaires traditionnelles, dont le choixa, dans une certaine mesure, été faussé ou contraint.

La deuxièmefigure du consommateur qui apparaît est celle du consom-mateur averti ou exigeant. Ce dernier peut vouloir compléter son ali-mentation en ayant recours à des produits qualifiés de complémentsalimentaires. Il peut aussi choisir une alimentation excluant les chaî-nes de restauration rapide et les organismes génétiquement modifiés(OGM), voire préférer des produits issus d’une agriculture biologiqueou d’un commerce dit équitable. Il s’agit d’un consommateur qui nonseulement entend exercer sa liberté de choix mais également mettreen garde le consommateur lambda contre des dangers réels ou sup-posés de certains modes alimentaires.

La troisième figure du consommateur est une figure plus marginale,celle d’un consommateur captif. On connaît toute une série d’hy-pothèses dans lesquelles un consommateur est contraint et restreintdans le choix de son alimentation. La première constellation estreprésentée par le prisonnier consommateur dont l’accès à certainsaliments est impossible, voire limité par la cantine et l’état de for-tune. La seconde constellation est celle de l’alimentation de force,concernant les hypothèses de grèves de la faim ou de torture. Nouspourrions ajouter à ce public captif, les personnes âgées, les enfantset les handicapés ; le lien avec le droit pénal ne serait alors peut-êtreplus — trop ? — ténu.

La quatrième et dernière figure du consommateur est plus rare pourl’instant sous nos latitudes. Il s’agit de celle du consommateur com-plètement privé d’aliments, du consommateur qui ne peut absolu-ment pas consommer. Cette privation résulte d’une absence d’accèsà l’alimentation en raison du marché (4) ou de pratiques, au sein dusystème pénal ou de la famille, plus que discutables. Ces deux der-nières catégories de consommateurs sont des consommateurs en-través dans leur liberté de s’alimenter ou de ne pas le faire (II). Lesdeux premières catégories de consommateurs sont protégées dansle choix de leur alimentation (I).

I. La protection des choix du consommateur d’aliments

Nous envisageons ici le consommateur d’aliments qui jouit ou en-tend jouir d’une grande liberté dans le choix de son alimentation ausens large du terme. En faisant abstraction des contraintes liées auxsystèmes de distribution, aux règles du marché et au pouvoir d’achat,le consommateur moyen semble jouir d’une protection assez éten-due (A), tandis que celle accordée au consommateur averti apparaîtplus limitée (B).

A. La protection relativement étendue du consommateurmoyenLe consommateur lambda est la cible privilégiée de ce que l’onappelle habituellement le droit pénal de la consommation (5). Sonten effet prévues toute une série d’infractions destinées à le protéger,au premier rang desquelles figurent les pratiques commerciales trom-peuses, l’abus de l’état d’ignorance ou l’abus de faiblesse, la falsifi-cation de denrées alimentaires (6)...

L’infraction la plus fréquemment utilisée en pratique est celle de latromperie qui est incriminée à l’article L. 213-1 du Code de la consom-mation. Cette disposition est restée en l’état (7), en dépit despréconisations de simplification du rapport Coulon. En effet, il avaitété estimé que l’énumération des éléments sur lesquels peut porterla tromperie alourdissait inutilement la définition de l’infraction, enen rendant difficiles la lecture et la compréhension (8).

Assez récemment, la chambre criminelle a eu l’occasion de rappelerque l’infraction de tromperie a un champ d’application personnel

(1) Le style oral de cette intervention réalisée le 17 septembre 2010 a été largement conservé.

(2) Les aspects procéduraux, situés en dehors du spectre de cette contribution, ne seront que rapidement évoqués ; v. not. Cass. crim. 23 mars 2010, no 09-84291.

(3) CA Douai, 6e ch. corr., 3 nov. 2009, no 08/03739 : un pharmacien avait l’indélicatesse, entre autres, de reconstituer des boîtes de médicaments proposés à la vente, enmélangeant des lots de médicaments qui lui avaient été retournés dans le cadre de Cyclamed.

(4) Nous pensons à la spéculation sur les denrées alimentaires de base et aux situations d’émeutes de la faim dans les pays dans lesquels l’accès à une alimentation de base estimpossible pour des raisons financières.

(5) V. Valette-Ercole, « Droit pénal de la consommation », in Opinio Doctorum, V. Malabat, B. De Lamy et M. Giacopelli (dir.), Dalloz, 2009, p. 143 ; A. Lepage, « Un an de droitpénal de la consommation » : Dr. pén. mai 2010, p. 23.

(6) Cass. crim., 27 janv. 2010, no 09-81693 – CA Amiens, ch. corr., 7 oct. 2009, no 09/00433.

(7) C. consom., art. L. 213-1 : « Sera puni d’un emprisonnement de deux ans au plus et d’une amende de 37 500 6 au plus ou de l’une de ces deux peines seulement quiconque,qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers :1) soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;2) soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ;3) soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre ».

(8) On pourrait opposer à cet argument le principe de légalité des délits et des peines qui oblige le législateur à prévoir de façon claire, précise et détaillée.

DOSSIER

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étendu, qui vise tant les professionnels que les profanes (9). Celaétant, dans un arrêt du 29 juin 2010, la chambre criminelle se mon-tre plus exigeante à l’égard des professionnels dupés que des sim-ples profanes. Dans cette affaire, un certain nombre d’entreprisesavaient acheté des semences de tomates Freya avant que celles-cine soient inscrites au catalogue officiel, et sachant qu’elles ne l’étaientpas encore. Le vendeur a été en vain poursuivi pour tromperie. Lachambre criminelle a estimé que l’arrêt de relaxe était pleinementmotivé. Cette décision montre également que la notion de mar-chandises est très large, puisqu’elle recouvre également les semen-ces (10). L’infraction de tromperie suppose en outre, pour être cons-tituée, qu’un contrat soit formé ou en cours de formation, sans queles juridictions se montrent excessivement regardantes à cet égard.

L’actualité jurisprudentielle en droit pénal de la consommation esttrès nourrie en matière de tromperie. Sans retenir l’ensemble desdécisions accessibles, ce qui pourrait être fastidieux, il faut insistersur le fait que la jurisprudence, de la chambre criminelle et desjuridictions de fond, est caractérisée par sa constance, notammentdans l’appréciation de l’élément matériel — l’erreur sur la qualitésubstantielle (11) (1.) — que de l’élément moral — un défaut devigilance (2.).

1. L’erreur sur la qualité substantielleS’agissant de l’élément matériel, la chambre criminelle adopte uneligne claire susceptible d’être résumée de la façon suivante. Il fautque la dupe ait été amenée à contracter suite à une erreur, provo-quée par un mensonge (12) ou une dissimulation (13), sur une« qualité substantielle » (14) de la marchandise qui est déterminante.Sans cette erreur, la dupe n’aurait pas contracté.

L’élément matériel de la tromperie repose donc sur un mensonge,qu’il soit exprès ou silencieux. Lorsqu’il est expressément formulé,à l’oral ou à l’écrit, le mensonge est le premier pas de la tromperie.Il peut être exprimé par différents moyens : l’étiquetage, l’emballage(15), le prospectus, la facture. S’agissant de la réticence, l’articleL. 213-1 du Code de la consommation est formulé de façon telle-ment large que les silences portant sur une qualité substantielle de

l’objet du contrat sont également constitutifs d’un mensonge. Parexemple, le commissionnaire de fruits et légumes qui propose desproduits sans indiquer sur l’emballage le fait qu’ils avaient subi untraitement chimique à l’orthophénylphénol commet une tromperie(16). Le mensonge doit intervenir lors de la formation du contrat oulors de son exécution.

L’élément sur lequel porte le mensonge, et par conséquent l’erreur,peut être l’origine, la quantité (17), l’espèce, la nature (18), la com-position du produit (19) (...) en bref, une qualité substantielle. Unequalité est dite substantielle lorsque sa considération a déterminé leconsentement de la victime de la tromperie.

Si cette dernière avait été mieux informée, elle aurait refusé de contrac-ter ou aurait rejeté l’exécution de la convention qui n’apparaissait passatisfactoire. En réalité, la caractérisation de la qualité substantielle dela marchandise ne va pas toujours forcément de soi ; elle a un aspectplus psychologique qui porte sur l’interprétation de la volonté desparties et un aspect plus matériel qui concerne le lien entre la qualitédéterminante et la consistance de l’objet du contrat.

Logiquement, si l’erreur a porté sur une qualité qui n’était pas dé-terminante pour le consentement du cocontractant, on ne devraitpas retenir la tromperie. Cela étant, la jurisprudence est particuliè-rement rigoureuse : même si la qualité sur laquelle le mensonge oula dissimulation a porté n’est pas en soi déterminante pour l’acqué-reur, la chambre criminelle considère que le défaut d’une qualitéprévue par une réglementation française ou communautaire suffit àcaractériser l’élément matériel de la tromperie (20).

Il importe peu que le contractant profane ait lui-même perçu ladéfaillance de cette qualité substantielle ; cette dernière est appré-ciée in abstracto. À cet élément matériel s’ajoute un élément moralqui peut être qualifié de défaut de vigilance.

2. Le défaut de vigilanceS’agissant de l’élément moral de l’infraction, l’ensemble des auteurss’accorde à dire qu’il s’agit d’une infraction intentionnelle, à la lec-ture de l’article L. 213-1 du Code de la consommation en lien avec

(9) Cass. crim., 4 nov. 2008, no 07-88007 : Juris-Data no 2008-045970 ; Dr. pén. 2009, comm. 14, obs. J.-H. Robert ; Contrats, conc. consom. 2009, comm. 90, obs. G. Raymond.V. déjà Cass. crim., 8 janv. 2008, no 07-82133 : Juris-Data no 2008-042613.

(10) Cass. crim., 29 juin 2010, no 09-85086.

(11) Ce terme est utilisé par le texte de loi pour désigner l’un des éléments spécifiques sur lesquels peut porter la tromperie ; il peut également désigner l’ensemble deséléments sur lesquels la tromperie peut porter et être ainsi utilisé comme un terme générique.

(12) La vente de viande de mouton sous la dénomination d’agneau constitue une tromperie sur les qualités substantielles : Cass. crim., 15 déc. 2009, no 09-83796.

(13) La présence d’eau dans le lait sans information de l’acquéreur constitue une tromperie sur la composition du lait, mais aussi de tromperie sur une qualité substantielle :CA Bourges, 2e ch. corr, 16 avr. 2009, no 2009/193.

(14) V. la proposition de J.-H. Robert, dans le rapport Coulon, d’une rédaction resserrée de l’incrimination de la tromperie.

(15) Cass. crim., 14 nov. 2001 : Juris-Data no 2000-007546.

(16) Cass. crim., 5 sept. 2000 : Juris-Data no 2000-006053.

(17) CA Agen, ch. corr., 15 avr. 2009, no 08/00306-A : les conserves de confit de canard proposées à la vente présentaient un déficit de poids de quarante grammes ; la qualité duconfit laissait en outre à désirer, car quantité de sicots avait été retrouvée dans les conserves. V. également, Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-82140.

(18) La vente de margarine sous la dénomination de beurre peut être citée en exemple ; Cass. crim., 8 juin 1965 : Bull. crim. 1965, no 288.

(19) Cass. crim., 23 mars 2010, no 09-84291.

(20) Cass. crim., 20 oct. 2009, no 09-83678.

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l’article 121-3 du Code pénal qui constitue la clause générale en lamatière. Cela signifie en théorie que l’auteur des faits doit avoirconnaissance du « mensonge » et avoir conscience qu’il force ainsi leconsentement de son cocontractant. Le caractère intentionnel de cedélit est constamment rappelé par la chambre criminelle (21).

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les juridictions pénales secontentent de bien peu pour retenir l’intention. À la lecture de lajurisprudence, certains auteurs estiment qu’il existe en réalité uneprésomption de mauvaise foi qui pèserait sur l’auteur des faits, àcharge pour ce dernier de prouver sa bonne foi. Sans aller aussiloin, il faut admettre que les exigences des juges pénaux sont assezbasses pour caractériser l’intention.

En effet, le fait de ne pas avoir veillé à vérifier que le produit étaitconforme à l’ensemble de la réglementation en vigueur, en qualifiantcette attitude de grave négligence, suffit à caractériser l’élément moralde l’infraction. De la grave négligence professionnelle (22), du défautde vigilance (23) à l’intention de tromper autrui, il n’y a qu’un pas,allègrement franchi par la jurisprudence. Ainsi, le producteur prend lerisque de tromper son cocontractant, en ne prenant pas « toute me-sure nécessaire pour éviter que les vins sortant de sa propriété soientcommercialisés sous une appellation trompeuse » (24).

La réitération de certains comportements frauduleux peut aussi per-mettre de caractériser un dol. Ainsi, « la répétition de ces pratiques nesaurait être assimilée à une simple erreur ou négligence mais ressortd’une volonté délibérée d’utiliser frauduleusement le signe de qualité« label rouge » pour des œufs ne pouvant s’en prévaloir » (25).

Certaines décisions de relaxe peuvent néanmoins être relevées autitre du défaut d’élément moral de l’infraction, lorsque le prévenu afait preuve de diligences en matière de préservation de la qualitédes produits. Dans un arrêt infirmatif du 30 avril 2007, la cour d’ap-pel de Grenoble a ainsi estimé que le prévenu justifiait « avoir prisdes mesures de prévention en vue d’empêcher la présence de ron-geurs et d’insectes dans les produits fabriqués par la société P. etavoir mis en place des contrôles pour vérifier que ces produits sontconformes aux prescriptions en vigueur relatives notamment à lasécurité et à la santé des personnes et à la protection des consom-mateurs ; (...) le sérieux et la suffisance de ces mesures et contrôlessont attestés par les résultats de l’inspection à laquelle ont procédéles agents de la Direction régionale de la concurrence, de la consom-

mation et de la répression des fraudes (...) ». À défaut d’élémentmoral, l’infraction de tromperie n’était pas constituée (26).

Le consommateur moyen peut se transformer en consommateurexigeant et voir sa protection plus limitée.

B. La protection limitée du consommateur exigeantLa deuxième figure du consommateur qui apparaît est celle du con-sommateur averti, exigeant ou éclairé. Il peut souhaiter avoir accèsà une alimentation que l’on peut qualifier, selon des critères com-munément répandus, de saine. Sans jugement de valeur et en repre-nant simplement les exemples tirés de l’actualité jurisprudentielle,ce consommateur souhaite éviter les chaînes de restauration rapide,exclure les organismes génétiquement modifiés (27), améliorer sonalimentation en ayant recours à des compléments alimentaires (28)et préfère des produits issus d’une agriculture biologique ou d’uncommerce dit équitable. Il bénéficie, comme tout consommateur,d’une protection classique (1.). Il peut également bénéficier d’uneprotection plus limitée, en demi-teinte, lorsqu’il passe de consom-mateur exigeant à consommateur militant (2.).

1. Une protection classiqueCe consommateur averti est évidemment protégé à travers l’infrac-tion de tromperie, puisque les réglementations applicables vont per-mettre de définir si l’une des qualités substantielles du produit achetéfait objectivement défaut. On peut penser à l’ensemble des réglemen-tations concernant la composition de certains aliments, l’usage decertains pesticides, les règles de l’agriculture biologique...

Il existe un certain nombre de décisions récentes en matière de trom-perie qui montrent que le consommateur averti peut bénéficier decette protection pénale. Ainsi, dans une décision du 18 mars 2008 (29),la cour d’appel de Bordeaux avait eu à connaître de l’affaire suivante.Des petits pots pour bébés sont commercialisés avec une étiquetteindiquant qu’ils sont composés à 100 % d’ingrédients biologiques alorsqu’ils contiennent des substances qui sont prohibées dans de tels ali-ments. Il s’agissait de poires en provenance d’Espagne et cultivéesdans des vergers dans lesquels avait été utilisé un engrais désormaisprohibé, le chloquermat, mais doté d’une forte rémanence. Les poiresétaient transformées en France, certifiées par une société, la société E.,qui n’avait pas décelé la présence de ce reliquat de produit phyto-

(21) V. également, Cass. crim., 1er déc. 2009, no 09-82140 : le poids des conserves de poisson était à l’ouverture inférieur de plus de neuf grammes à celui indiqué sur l’étiquette,ce que la prévenue ne « pouvait ignorer compte tenu de sa spécificité professionnelle ».

(22) CA Bourges, 2e ch. corr, 16 avr. 2009, no 2009/193 ; on y évoque la « grave négligence professionnelle ».

(23) CA Agen, ch. corr., 15 avr. 2009, no 08/00306-A : « le fait de n’avoir pris aucune garantie concernant la conformité de ces produits doit être considéré comme une négligencecoupable assimilable à de la mauvaise foi ».

(24) CA Montpellier, 3e ch. corr., 7 janv. 2010, no 09/00835.

(25) CA Montpellier, 3e ch. corr., 20 oct. 2009, no 09/00010.

(26) CA Grenoble, ch. corr., 30 avr. 2007 : Juris-Data no 2007-337059 ; Contrats, conc. consom. 2007, comm. 311, obs. G. Raymond.

(27) V. les articles L. 533-4, L. 533-5 et surtout L. 536-4 du Code de l’environnement pour le délit de mise sur le marché sans autorisation d’un produit contenant des organismesgénétiquement modifiés, Cass. crim., 30 juin 2009, no 08-81859.

(28) A. Cerati-Gauthier et S. Brunengo-Basso, « Complément alimentaire et sécurité des consommateurs » : JCP E 2007, 1821.

(29) CA Bordeaux, 18 mars 2008 : Juris-Data no 2008-369842.

DOSSIER

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sanitaire dans les fruits. La société V., prise en son président-directeurgénéral, était le premier importateur sur le marché et a été reconnueresponsable de tromperie.

S’agissant des compléments alimentaires (30), une dissension estnée entre les juridictions pénales françaises, d’une part, et la Cour dejustice des Communautés européennes, d’autre part. Du côté fran-çais, des condamnations ont été prononcées sur le fondement del’article L. 213-1 du Code de la consommation (31). Il s’agissait desubstituts de repas hypocaloriques qui contenaient des vitamines enquantité trop importante, des algues, des minéraux, des substanceschimiques non autorisées en France. Cette compositionpouvait s’avé-rer dangereuse pour la santé du consommateur, avec un risqued’occlusion intestinale ou d’allergie. De son côté, la Cour de justicedes Communautés européennes a eu l’occasion de rappeler la Franceà l’ordre à plusieurs reprises, la législation française prévoyant desrestrictions à l’importation non justifiées (32). Finalement, la cham-bre criminelle s’est inclinée en estimant, au regard des articles 28 et30 de l’ancien traité CE, que « les restrictions à l’importation ainsi queles mesures d’effet équivalent sont interdites entre les États mem-bres ; que si certaines interdictions sont cependant admises, notam-ment pour des raisons tenant à la protection de la santé publique,c’est à la condition de ne constituer ni un moyen de discriminationarbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre Étatsmembres ». Il appartient donc aux juridictions de fond de recher-cher « si l’utilisation de ces substances présentait un risque pour lasanté publique » (33).

Un dernier point peut être intéressant, bien qu’il concerne des as-pects procéduraux qui sont censés être tenus à l’écart de l’actualitéjurisprudentielle envisagée pour cette journée d’études. Les asso-ciations agréées de consommateurs ont, aux termes de l’articleL. 421-1 du Code de la consommation, la possibilité d’exercer lesdroits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant unpréjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs.Tel est le cas de la commercialisation de gélules (34) aux vertusamincissantes, qui contenaient des plantes néphrotoxiques dont l’ab-sorption avait entraîné des tumeurs cancéreuses puis le décès desconsommateurs. Les intéressés furent condamnés pour homicideinvolontaire. La constitution de partie civile avait été déclarée irre-cevable par la cour d’appel d’Aix-en-Provence. La chambre crimi-nelle, s’inscrivant dans le droit-fil de sa jurisprudence, estime que laconstitution de partie civile de l’association UFC-Que choisir était

recevable pour les délits d’homicide volontaire, la vente de ces gélulesreprésentant un danger pour la santé des consommateurs et doncun préjudice pour ces derniers.

2. Une protection en demi-teinte

Les faits et gestes du consommateur averti n’engagent que lui tantqu’il demeure en-deçà des limites de l’interdit pénal. Ce consom-mateur exigeant peut également être mis en cause pénalement àraison de ses actes et de ses opinions, lorsqu’il opte pour la voie dela protestation ou de la désobéissance civile (35).

Un certain nombre de consommateurs, qualifiés de militants ou d’ac-tivistes, ont pu avoir tendance à dépasser ces limites et à entraîner uneréaction pénale. Nous pensons évidemment aux faucheurs ou auxarracheurs d’organismes génétiquement modifiés. Des condamna-tions ont été prononcées, notamment dans le Sud de la France. Nousverrons ce qu’il en sera en Alsace. Ce qui est surtout intéressant, pourun pénaliste, ce n’est pas tant l’infraction de destructions de biens enréunion, parfois en état de récidive, que le fait que l’état de nécessitéait été soulevé, de manière peu fructueuse, comme moyen de dé-fense. Rappelons que la loi no 2008-595 du 25 juin 2008 a créé uneinfraction spéciale de destruction d’une parcelle de culture autorisée.Cette infraction, qui figure à l’article L. 671-14 du Code rural, présentela particularité de ne pas être accompagnée de la circonstanceaggravante de réunion, ce qui est surprenant au regard des militantsqui agissent précisément collectivement (36).

Deux décisions de la chambre criminelle sont parlantes, en ce qu’ellesécartent l’état de nécessité (37). Cette cause d’irresponsabilité sup-pose, aux termes de l’article 122-7 du Code pénal, que deux condi-tions soient réunies. Un danger, pour soi-même ou autrui, actuel ouimminent provoque une riposte nécessaire et proportionnée. Les ju-ges ont tendance à estimer qu’un danger actuel ou imminent ne sau-rait être constitué par la crainte que soulèvent des plantations de maïsou de riz génétiquement modifié. Par ailleurs, la riposte consistantdans la destruction d’un bien ne semble pas être de nature à préserverl’intérêt sauvegardé — droit à un environnement sain — et encoremoins proportionnée. Pourtant, dans la deuxième affaire, il s’agissaitde la culture d’OGM en plein champ et non plus sous serre avec unrisque pour le biotope de dissémination des pollens. Bien que la ques-tion des OGM soit scientifiquement très discutée, les experts s’accor-dent sur leur méconnaissance des conséquences de ce type

(30) V. not. P. Pigassou et C. Ambroise-Castérot, Fraudes, Rép. pénal, no 161. Pour la transposition en droit interne, v. not. A. Cerati-Gauthier et S. Brunengo-Basso,« Complément alimentaire et sécurité des consommateurs », préc. ; L. Marville et I. Haye, « L’évolution récente du statut juridique des compléments alimentaires en droitfrançais » : D. 2006, 1124.

(31) Cass. crim., 1er avr. 2003 : Bull. crim. 2003, no 82 – Cass. crim., 7 oct. 2003 : Rev. sc. crim. 2004, 102 obs. C. Ambroise-Castérot.

(32) L. Marville et I. Haye, « L’évolution récente du statut juridique des compléments alimentaires en droit français » : D. 2006, 1124.

(33) Cass. crim., 27 mars 2007 : Bull. crim. 2007, no 93 ; Rev. sc. crim. 2008, 84, obs. C. Ambroise-Castérot.

(34) Cass. crim., 1er avr. 2008, no 06-88948 : D. 2008, AJ 21.

(35) L. Bodiguel et M. Cardwell, The regulation of genetically modified organisms : comparative approaches, Oxford University Press, 2010, part. le chapitre 1er et laconclusion.

(36) V. sur l’ inscription au FNAEG, deux arrêts : Cass. crim., 22 juin 2010, nos 10-80957 et 10-80958.

(37) Cass. crim., 19 nov. 2002, no 02-80788 – Cass. crim., 7 févr. 2007, no 06-80108. V. également CA Orléans, 26 févr. 2008, no 07/00472.

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d’expérimentations en plein champ sur l’environnement et, par consé-quent, sur le droit à un environnement sain (38) ; un périmètre, àgéométrie variable, autour de cultures d’OGM s’avère, semble-t-il, né-cessaire pour limiter les risques de dissémination. L’existence d’undanger réel pouvait certainement être retenue en l’espèce, en l’ab-sence d’un périmètre de sécurité.

S’agissant de la seconde condition requise pour l’état de nécessité,on peut certainement considérer que la riposte est proportionnée,en estimant que l’intérêt sauvegardé étant supérieur ou équivalantà l’intérêt sacrifié. Le caractère nécessaire de la riposte est toutefoiscontestable, la destruction n’apparaissant pas comme l’unique, oudu moins, le meilleur moyen de repousser le danger, à l’exclusionde tout autre moyen moins périlleux pour les tiers.

Ainsi, d’autres voies, notamment juridiques, s’ouvraient aux fau-cheurs volontaires. En effet, l’une des stratégies utilisées pour luttercontre les OGM consiste dans le dépôt de requêtes tendant à an-nuler ou à suspendre provisoirement les autorisations d’essai deculture en plein champ.

Certains succès ont d’ailleurs été remportés devant les juridictionsadministratives. Plus spectaculaires que des actions en justice, lesactes des faucheurs volontaires ont aussi vocation à mettre le débatsur la place publique. Mais, il s’agit là d’un mobile, indifférent endroit pénal (39).

Les propos du consommateur averti peuvent également l’entraînerloin. Ainsi, des consommateurs avaient mis en garde leurs congé-nères contre une chaîne de restauration rapide, non seulement pourses pratiques mais également à raison de la nourriture proposée.

Condamnés par les juridictions pénales britanniques pour diffama-tion, ils ont porté leur requête devant la Cour européenne des droitsde l’homme, en invoquant notamment la liberté d’expression. Dansune décision déjà ancienne (40), la Cour juge qu’il y a eu violationde l’article 10 de la Convention, eu égard au manque d’équité de laprocédure en raison de l’absence d’accès à l’aide judiciaire et aumontant disproportionné des dommages-intérêts.

En effet, la plaignante était une société multinationale qui n’a pasfait montre d’une perte financière suite à la distribution des tractslitigieux et les requérants avaient des facultés contributives limitées.

Si la protection des choix du consommateur d’aliments peut appa-raître assez étendue (41), les libertés du consommateur d’alimentspeuvent subir des restrictions.

II. Les entraves aux libertés du consommateurd’aliments

Le consommateur d’aliments peut se trouver entravé dans sa libertéde s’alimenter ou de ne pas s’alimenter. On pense à la troisièmefigure du consommateur captif (A) et à la quatrième figure duconsommateur démuni (B). Apparaît ici la protection de deux droitsfondamentaux : la protection de l’intégrité physique fondée sur l’ar-ticle 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et laprotection du droit à la vie relevant de l’article 2 de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme. Se pose ainsi en filigrane laquestion de l’émergence d’un droit à l’alimentation.

A. La timide protection du consommateur captif

La troisième figure du consommateur est une figure plus marginale,celle d’un consommateur contraint. On connaît toute une série d’hy-pothèses dans lesquelles un consommateur est contraint et restreintdans le choix de son alimentation. La première hypothèse est re-présentée par le détenu, qui est consommateur, mais pour lequell’accès à certains aliments est impossible ou limité par le système decantinage. Il est contraint dans la quantité, dans la qualité et dans lechoix même du produit dans un système carcéral ou d’enfermement(1.). La seconde hypothèse est celle de l’alimentation de force, lors-que les autorités décident de s’opposer à des refus volontaires des’alimenter dans des situations de grève de la faim (2.).

1. Le consommateur détenu ou retenu

L’alimentation dans des lieux privatifs de liberté est désormais aucœur des préoccupations d’un certain nombre d’instances. Témoi-gnent de ce vif intérêt les rapports du contrôleur général des lieuxde privation de liberté, dans lesquels la cantine et le système derestauration tiennent toujours une bonne place, un récent rapportde la Cour des comptes (42), la mise en place en septembre 2010d’un groupe de travail consacré précisément à l’alimentation en mi-lieu carcéral au sein du Conseil national de l’alimentation (43) ouencore le thème retenu par le Genepi pour ses Assises de 2008. Auplan interne, les articles D. 342 et D. 354 du Code de procédurepénale, ainsi que la recommandation relative à la nutrition du 4 mai2007 provenant du GEMRCN (44) évoquent l’accès régulier à unealimentation variée, de qualité et en quantité suffisante. Au planinternational, peuvent être citées sans souci d’exhaustivité la Conven-tion européenne des droits de l’homme, les règles pénitentiaireseuropéennes et les règles minima pour le traitement des détenusdes Nations unies.

(38) CEDH, 30 mars 2010, no 19234/04, Bacila c/ Roumanie.

(39) C. Saas, note sous Cass. crim., 7 févr. 2007, L’état de nécessité ne vaut pas pour les faucheurs volontaires : AJP, no 3/2007, p. 133 ; nous nous permettons de reprendre ici lamême analyse.

(40) CEDH, 15 mai 2005, Steel et Morris c/ Royaume-Uni, no 68416/01.

(41) Un spécialiste de droit de la consommation ne partagerait pas nécessairement cet avis.

(42) Cour des comptes, Le service public pénitentiaire, juill. 2010.

(43) www.cna-alimentation.fr/index.php ?option=com_content&tast=blogcategory&id=30&Itemid=43.

(44) Groupe d’études des marchés de la restauration collective et de nutrition.

DOSSIER

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La limitation des aliments mis à disposition des détenus ou des re-tenus peut avoir une incidence sur l’appréciation des conditionsd’incarcération d’un individu comme en témoigne un certain nom-bre de requêtes déposées devant la Cour européenne des droits del’homme, dans le droit-fil de l’arrêt Kudla. Dans ce célèbre ar-rêt (45), la Cour a estimé que « l’article 3 de la Convention impose àl’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditionsqui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que lesmodalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé àune détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveauinévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard auxexigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être duprisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’ad-ministration des soins médicaux requis ».

Plusieurs affaires peuvent être citées qui concernent notamment laRoumanie, la Grèce et la Géorgie. Il n’y a pas, loin s’en faut, decondamnations fondées uniquement sur une alimentation limitéedans un système d’enfermement, mais une certaine évolution estpeut-être en train de se faire jour. Dans la plupart de ses décisions,la CEDH retenait jusqu’à présent une violation de l’article 3, au titrede la soumission à un traitement inhumain ou dégradant sans tou-tefois évoquer un seul instant la question de l’alimentation, en res-tant à une appréciation des soins diligentés. La plupart du temps,c’est d’ailleurs ce qu’elle continue à faire : la question de l’alimen-tation n’est même pas abordée. Toutefois, la Cour semble évoluer,imperceptiblement, dans des décisions récentes.

Une affaire concernant la Géorgie, qui a donné lieu à une décision dela CEDH en date du 24 février 2009 (46) vise indirectement la questionde la qualité de l’alimentation en détention. Le détenu souffrait d’unepathologie sévère — hépatite C — qui n’avait pu être soignée à temps,par manque de diligences des autorités pénitentiaires, et de façoninsatisfaisante, l’intéressé ayant été réincarcéré sans accès à un suivimédical. Le requérant se plaignait en outre de ne pas avoir pu béné-ficier d’une alimentation adaptée à sa maladie. Le gouvernementgéorgien lui répondait sur ce point que la prison dans laquelle setrouvait le détenu disposait d’un magasin dans lequel l’intéressé auraitpu trouver les aliments convenant à sa pathologie.

La Cour retient que le détenu ne bénéficiait pas d’un traitementmédical adéquat de sa maladie, en relevant que n’était apportée parle Gouvernement « aucune preuve documentaire pour démontrerque le requérant était convenablement nourri et que son étatd’anorexie et de fatigue générale était médicalement pris en charge ».

Ensuite, dans une décision assez récente Marian Stoicescu (47), laCEDH évoque très clairement, au soutien de la violation de l’arti-cle 3 de la Convention EDH au regard des conditions de détention,la mise à disposition d’une eau impropre à la consommation. Cen’est certainement pas déterminant, moins que la taille des cellules,que la surpopulation carcérale et le partage des lits par plusieursdétenus, mais le grief portant sur l’impureté de l’eau est, pour unefois, retenu dans l’examen de l’affaire au fond par la Cour de Stras-bourg.

De même, dans une affaire (48) du 22 juillet 2010 concernant la déten-tion d’un demandeur d’asile palestinien en Grèce dans le centre derétention des étrangers de Samos, la question de la nourriture a étéexplicitement évoquée (49). Certes, ce centre avait fait l’objet de plu-sieurs rapports éloquents de la part du Haut commissariat des Nationsunies pour les réfugiés, de la Commission LIBE du Parlement euro-péen, du Comité européen pour la prévention de la torture, d’ONGtelles que la Proasyl allemande... La Cour conclut à une violation del’article 3, en retenant notamment l’absence d’infrastructures pour lesrepas.

La nourriture inadaptée ou trop chère ou impropre à la consom-mation est un point, parmi d’autres, comme la taille des cellules, laprésence de sanitaires, le partage de lits, l’accès à une promenadequi est examiné par la Cour pour retenir ou non une violation del’article 3. Ce n’est pas, en soi, déterminant ; néanmoins il s’agit d’uncritère d’évaluation, comme le confirmeunarrêt Colesnicov du21 dé-cembre 2010 (50).

2. Le consommateur forcéS’agissant de l’alimentation de force, l’actualité a donné des illustra-tions récentes à travers les pratiques à Guantanamo (51) ou dans uncertain nombre de prisons. Si les décisions ne sont pas excessive-ment nombreuses en la matière, elles apparaissent néanmoins trèsintéressantes, car est alors envisagée une qualification de torture.

Lorsqu’une personne détenue poursuit une grève de la faim, il y aun conflit entre le droit à l’intégrité physique de l’individu et l’obli-gation positive que l’article 2 de la Convention fait peser sur leshautes parties contractantes (52). La Cour tient compte des recom-mandations du Comité des ministres, des rapports du Comité depréventionde la torture et de l’Associationmédicalemondiale concer-nant l’alimentation de force des détenus.

Il faut, selon la Cour, distinguer selon le but poursuivi par l’alimenta-tion forcée. S’il s’agit de sauver la vie d’un détenu, y compris contre sa

(45) CEDH, 26 oct. 2000, no 30210/96, Kudla c/ Pologne, § 94.

(46) CEDH, 24 févr. 2009, no 9870/07, Poghossian c/ Géorgie.

(47) CEDH, 16 juill. 2009, no 2934/02, Marian Stoicescu c/ Roumanie, § 24.

(48) CEDH, 22 juill. 2010, no 12186/08, A. A. c/ Grèce, not. § 58.

(49) V. également, CEDH, 12 janv. 2010, no 40933/02, Al-Agha c/ Roumanie.

(50) CEDH, 21 déc. 2010, no 36479/03, Colesnicov c/ Roumanie, § 74, part. § 83.

(51) Bien que cinq experts de la Commission des droits de l’homme de l’ONU aient estimé que l’alimentation de force est équivalente à un acte de torture, les juges fédérauxaméricains estiment qu’ils ne sont pas compétents pour statuer sur ces questions.

(52) CEDH, 9 mai 1984, no 10565/83, Comm. X c/ Allemagne : European Human Rights Reports 7, p. 152.

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volonté de ne pas s’alimenter en toute connaissance de cause, celapeut être recevable. Il faut donc prouver la nécessité médicale deprocéder à une alimentation forcée. Ensuite, si les conditions danslesquelles l’alimentation a été contrainte sont correctes, en respectantles « garanties de procédure » et l’individu par le mode d’alimentationforcée, l’article 3 ne saurait être violé. Si, en revanche, l’alimentationforcée a pour but de « l’humilier et de le punir, l’objectif étant de luifaire arrêter la grève de la faim et, en cas de refus, de lui infliger devives souffrances physiques », cela devient plus contestable.

On pense aux hypothèses de grève de la faim en détention, ou enmilieu fermé, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêtNevmerjitski (53). Il s’agissait d’un détenu, qui avait débuté unegrève de la faim et avait été alimenté de force une dizaine de joursseulement après le début de son refus de s’alimenter, suite à ladécouverte d’acétone dans ses urines.

En l’espèce, la Cour estime qu’il n’est pas démontré qu’il y ait euune « nécessité médicale » établie par les autorités internes d’alimen-ter le requérant de force. Une analyse des urines ne suffit pas àétablir cette nécessité. Elle retient donc qu’il y a une décision arbi-traire, non justifiée par un but thérapeutique de procéder à l’ali-mentation forcée du détenu. S’agissant des garanties procédurales,la Cour considère qu’elles n’ont pas été respectées, « compte tenudu refus de se nourrir que le requérant avait opposé en toute cons-cience, lorsque le traitement forcé lui a été administré contre songré ». Les moyens employés pour alimenter de force le requérantont été considérés comme des moyens de contrainte s’apparentantà des actes de torture : des menottes, un écarteur buccal, un tube encaoutchouc inséré dans l’œsophage.

La Cour retient rien de moins qu’une violation de l’article 3 et quiplus est au titre de la torture, et non au titre du traitement dégradant.Il s’agit toutefois d’une hypothèse isolée, le consommateur démunibénéficiant d’une protection plus ambiguë.

B. La protection ambiguë du consommateur démuniLa quatrième et dernière figure du consommateur est celle duconsommateur privé d’aliments, du consommateur qui ne peut ab-solument pas consommer, parce qu’il est privé d’un accès aux ali-ments pour des raisons économiques, le marché étant inaccessible,

ou par des pratiques policières, carcérales ou parentales douteuses.Il existe toute une série d’infractions qui ont été créées, notammentcelles visant les carences du système parental au sens large (1.). Ily a également des garde-fous constitués par l’article 3 de la Conven-tion EDH s’agissant des privations d’aliments en guise de repré-sailles ou de moyens de contrainte policière (2.).

1. La répression de la privation simple d’alimentation

La première protection est celle érigée par l’article 227-15 du Codepénal qui dispose que « le fait par un ascendant ou toute personneexerçant à son égard l’autorité parentale ou ayant autorité sur unmineur de quinze ans, de priver celui-ci d’aliments ou de soins aupoint de compromettre sa santé est puni de sept ans d’emprison-nement et de 100 000 Q d’amende ». Lorsque la privation d’alimentsa entraîné la mort de la victime, la peine encourue est portée àtrente ans de réclusion criminelle par l’article 227-16 du Code pénal(54).

Peu de condamnations sur ce fondement peuvent être recensées.Elles visent des hypothèses dans lesquelles l’un des parents n’as-sume aucun soin ou ne met aucune alimentation à disposition desenfants. Ces abstentions sont telles qu’elles sont de nature à mettreen péril la santé de la victime (55), et sont souvent en lien avec dessituations de maltraitance avérée (56). L’article 227-15 du Code pé-nal peut également être évoqué, à titre subsidiaire, lorsque sontécartés les torture et actes debarbarie (57). Elles visent essentiellementdes hypothèses dans lesquelles les parents sont absents, démis-sionnaires ou auteurs de mauvais traitements.

2. La condamnation de la privation d’aliments

Lorsque des privations délibérées d’aliments sont utilisées commedes moyens de contrainte policière ou des sanctions disciplinaires,la conformité à l’article 3 de la Convention européenne des droitsde l’homme se pose clairement. Doit être de plus convoqué le droità l’alimentation prévu par l’article 25 de la Déclaration universelledes droits de l’homme (58), l’article 11 du PIDESC (59) ou encore

(53) CEDH, 5 avr. 2005, no 54825/00, Nevmerjistki c/ Ukraine.

(54) Cass. crim., 13 sept. 2000, no 00-84197.

(55) Cass. crim., 12 oct. 2005, no 05-81191 : Bull. crim. 2005, no 259 – Cass. crim., 12 oct. 2005, no 05-81192.

(56) CA Reims, 14 mai 2008, no 06/00877.

(57) Cass. crim., 27 mars 2008, no 07-84840.

(58) « 1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement,les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans lesautres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».

(59) « 2. Les États parties au présent pacte, reconnaissant le droit fondamental qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de lacoopération internationale, les mesures nécessaires, y compris des programmes concrets :a) Pour améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées alimentaires par la pleine utilisation des connaissances techniques et scientifiques,par la diffusion de principes d’éducation nutritionnelle et par le développement ou la réforme des régimes agraires, de manière à assurer au mieux la mise en valeur etl’utilisation des ressources naturelles ;b) Pour assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales par rapport aux besoins, compte tenu des problèmes qui se posent tant aux pays importateursqu’aux pays exportateurs de denrées alimentaires ».

DOSSIER

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l’article 26 de la Convention de Genève de 1949 relative au traite-ment des prisonniers de guerre, dont le souci de précision est exem-plaire (60). Force est pourtant de constater que rien de tel n’existeen l’état dans le système européen des droits de l’homme. Il existenéanmoins l’article 2 sur le droit à la vie auquel on pourrait grefferou dont pourrait être induit un droit à l’alimentation pour un indi-vidu.

Il est possible de mobiliser quelques rares décisions de la Coureuropéenne de Strasbourg, mais qui sont essentiellement fondéessur l’article 3 pour apprécier certains moyens de coercition. Ainsi, ladécision Irlande c/ Royaume-Uni (61) est célèbre, en ce qu’elleapprécie cinq techniques policières à l’aune de l’article 3, pour re-tenir des traitements inhumains et dégradants. Outre l’impositiond’un capuchon aux détenus, la station debout, la privation de som-meil et la soumission à un bruit continu et monotone, la Cour deStrasbourg retient également la privation de nourriture.

Une autre décision, rendue en date du 15 juin 2006 (62), a été suiviequelques années plus tard d’une condamnation de la Lettonie àraison de la violation de l’article 3 de la Convention EDH. Était encause le transfert d’un prisonnier qui avait été privé de sommeil etde nourriture pendant 27 heures d’affilée (63) avant d’assister à uneaudience. Cela est qualifié de traitement dégradant. La décision Soares’inscrit dans la droite ligne de cette jurisprudence, en ce qu’elleretient que la privation d’eau, de nourriture et de repos pendant laphase d’enquête est un traitement dégradant (64).

S’agissant de la sanction en milieu carcéral, dans une décisionMikadze (65), une violation de l’article 3 a été retenue dans uneaffaire dans laquelle un détenu avait été privé de nourriture pouravoir été considéré comme un « contrevenant tenace au règlementinterne » de son établissement pénitentiaire. En dehors des condi-tions de logement inacceptables, la Cour estime que le placement àl’isolement avait « des conséquences considérables sur la nutritiondes condamnés ». La motivation de la Cour est exemplaire : « Nonseulement [les détenus placés à l’isolement] étaient légalement pri-vés du droit d’acheter des produits alimentaires et de recevoir descolis de nourriture, mais, à l’époque des faits, ils étaient égalementsoumis d’office à un régime d’alimentation inférieur. Vu que l’ali-

mentation dans des conditions de détention ordinaires était loind’être satisfaisante et ne pouvait présenter qu’une qualité corres-pondant à 60 centimes d’euros par jour et par détenu (...), il apparaîtévident que, pendant les six mois correspondants, le requérant dutsouffrir un manque de nourriture sévère et délibérément infligé »(66). Elle poursuit en estimant qu’il n’est pas « acceptable de sou-mettre un détenu à une punition sous forme de privation de nour-riture, fût-ce un contrevenant tenace au règlement interne » (67). Auregard de l’ensemble de la situation du requérant, elle retient uneviolation de l’article 3 au titre du traitement inhumain.

Au regard de l’importance quantitative des décisions de la Cour deStrasbourg, ces rares décisions de condamnations prononcées re-tenant une violation de l’article 3 de la Convention EDH en raisonde la privation de nourriture peuvent sembler quelque peudécevantes.

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Toutes ces décisions portant sur les entraves à la liberté de s’ali-menter ou de ne pas s’alimenter montrent que la reconnaissanced’un droit à l’alimentation est encore assez lointaine, en tout cas demanière autonome et indépendamment de toute autre considéra-tion liée au sommeil, aux conditions sanitaires, à l’état de santé. Eneffet, les juges de Strasbourg n’ont pas, jusqu’à présent, affirmé l’exis-tence pour les États parties d’une obligation positive d’assurer la viedans les hypothèses de privation d’alimentation, qui n’est pas sou-haitée par ce dernier. La mise en balance entre l’article 3 et l’article 2a été clairement proposée, dès 1984, dans les hypothèses de grèvesde la faim. Mais lorsque la privation d’alimentation est imposée,cette obligation n’est pas encore rappelée en tant que telle. Leconsommateur d’aliments est donc protégé de façon différente, no-tamment en fonction de son statut.

Claire SAASMaître de conférences à l’université de NantesHDR, Laboratoire Droit et changement social

UMR 3128

(60) « La ration quotidienne de base sera suffisante en quantité, qualité et variété pour maintenir les prisonniers en bonne santé, et empêcher une perte de poids ou des troublesde carence. On tiendra compte également du régime auquel sont habitués les prisonniers. La puissance détentrice fournira aux prisonniers de guerre qui travaillent lessuppléments de nourriture nécessaires pour l’accomplissement du travail auquel ils sont employés. De l’eau potable en suffisance sera fournie aux prisonniers de guerre.L’usage du tabac sera autorisé. Les prisonniers de guerre seront associés dans toute la mesure du possible à la préparation de leur ordinaire ; à cet effet, ils pourront êtreemployés aux cuisines. Ils recevront en outre les moyens d’accommoder eux-mêmes les suppléments de nourriture dont ils disposeront. Des locaux convenables seront prévuscomme réfectoires et mess. Toutes mesures disciplinaires collectives portant sur la nourriture sont interdites ».

(61) CEDH, 18 janv. 1978, no 5310/71, Irlande c/ Royaume-Uni.

(62) CEDH, 15 juin 2006, no 64846/01, Moisejevs c/ Lettonie, § 80.

(63) CEDH, 1er déc. 2009, no 547/02, Jeronovics c/ Lettonie, § 38.

(64) CEDH, 22 févr. 2011, no 24329/02, Soare et a. c/ Roumanie.

(65) CEDH, 7 juin 2007, no 52697/99, Mikadze c/ Russie.

(66) Ibid. § 125.

(67) Ibid. § 126.

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LAPUBLICITÉALIMENTAIREETLALUTTECONTREL’OBÉSITÉINFANTILEENDROIT FRANÇAIS ETENDROITANGLAIS

Le 21 mai 2010, le président de la République, Nicolas Sarkozy, aannoncé la mise en place d’un plan triennal de renforcement de lalutte contre l’obésité en France, prévoyant « une meilleure préven-tion de la maladie, un développement de l’activité physique à l’écoleet une meilleure alimentation dans les cantines » (1). Soulignant quel’obésité est un enjeu de santé publique et un enjeu social, le pré-sident a rappelé que la situation épidémiologique est préoccupante :« Un enfant sur six est en surpoids ou est obèse (2). L’obésité est unfacteur majeur d’inégalités sociales et peut avoir des conséquencesimportantes sur la santé ». Dans ce contexte, le président a souhaitéque notre pays s’engage résolument dans la prévention de l’obésité.

Tirer la sonnette d’alarme n’est pas nouveau dans ce domaine etd’aucuns s’étonneront que ce constat pour le moins inquiétant nesoit pas suivi de l’annonce d’une réforme ambitieuse concernantl’encadrement des pratiques marketing des professionnels del’agroalimentaire. Même s’il est certain que l’obésité ne résulte pasuniquement des comportements alimentaires malsains et que la di-minution de l’activité physique est aussi pointée du doigt, il est éta-bli que la promotion de modèles alimentaires malsains par la pu-blicité joue un rôle indéniable dans l’épidémie d’obésité (3).

Certes, il demeure fréquent de considérer que les choix alimentairessont avant tout l’expression de la liberté individuelle et l’on consi-dère aisément que les désordres alimentaires des enfants relèventde la responsabilité des parents (4). Pour éclipser la responsabilitécollective de notre politique alimentaire, il est notable que le pré-sident entend mettre l’accent sur la lutte contre les discriminationssubies par les personnes obèses. Des esprits fâcheux pourront consi-dérer que l’ineffectivité du droit à l’alimentation, qui constitue undroit fondamental comprenant le droit à une alimentation adé-quate (5), ont conduit les pouvoirs publics à se replier sur un droità être obèse qui ne saurait que marquer une forme de défaite.

Pour lutter contre l’obésité, les pouvoirs publics misent avant tout surune démarche préventive fondée sur des mécanismes d’autorégulation.Ainsi, le président a annoncé que « Dans le cadre du plan obésité,l’État entend mobiliser tous les partenaires de la prévention : les ac-teurs du système de santé bien sûr mais également les partenairesinstitutionnels, les associations, les médias, les entreprises. Une charteconférant un caractère solennel à leurs engagements respectifs seraélaborée et signée dans les prochains mois ». Cette privatisation de laproduction normative n’est pas nouvelle. La France s’est résolumentengagée dans cette voie depuis l’année dernière concernant la publi-cité alimentaire.

Ainsi, le 18 février 2009, Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de laSanté et des Sports, et Christine Albanel, ministre de la Culture et dela Communication, ont accueilli, en présence de Michel Boyon, pré-sident du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), les signataires dela charte visant à promouvoir une alimentation et une activité phy-sique favorables à la santé dans les programmes et les publicitésdiffusés à la télévision (la charte). Outre le CSA, les signataires de lacharte incluent de nombreux acteurs de l’industrie audiovisuelle (6)et l’Association des industries alimentaires (Ania) (7). Dans ce texte,les professionnels se sont notamment engagés à réévaluer les règlesdéontologiques relatives au contenu des messages publicitaires des-tinés aux enfants.

Lorsque l’on dresse un état des lieux du droit relatif à la publicitéalimentaire, on constate la très forte implication des acteurs privésdans l’élaboration des règles françaises et le manque d’ambition denotre dispositif législatif. À cet égard, ce choix national s’écarte enpartie des recommandations internationales émanant de l’Organi-sation mondiale de la santé (OMS), et s’inscrit dans un courant li-béral à l’inverse de la Grande-Bretagne qui a opté pour un cadre

(1) Communiqué de la présidence de la République, 21 mai 2010 (www.elysee.fr).

(2) Selon un rapport d’information sur la prévention de l’obésité de 2008, « Un adulte sur deux est en surcharge pondérale et un sur six est obèse (prévalence de l’obésité de 16,9%) » et « un enfant sur cinq est en surcharge pondérale et 3,5 % sont obèses (prévalence de la surcharge pondérale et de l’obésité infantile passée de 3 % en 1960 à 16 % en2000) » ; Rapport d’information no 1131 sur la prévention de l’obésité déposé le 30 septembre 2008, p. 18 et s.

(3) L’Organisation mondiale de la santé souligne le caractère multifactoriel de l’obésité : génétique, comportement, environnement (OMS, Stratégie mondiale pour l’alimentation,l’exercice physique et la santé, 2004, http://whqlibdoc.who.int/publications/2004/9242592226_fre.pdf). En outre, le rôle causal de la publicité (influence sur les choix alimentairesdes enfants) est reconnu par les psychologues (American Psychological Association (2004). Report of the APA task force on advertising and children. Washington, DC : Author.Retrieved from www.apa.org/pi/families/resources/advertising-children.pdf, American Psychological Association (2009). Resolution on promotion of healthy active lifestylesand prevention of obesity and unhealthy weight control behaviors in children and youth. Washington, www.apa.org/about/governance/council/policy/chapter-12b.aspx#active-lifestyle), par les agences sanitaires (v. notamment les travaux de la Food Standards Agency et d’Ofcom en Angleterre, dont il est question ci-dessous, et les déclarations del’Afssa, le 7 juillet 2004 indiquant que « l’interdiction de la publicité alimentaire télévisée à destination des enfants est une mesure cohérente et proportionnée » et qu’« il estimpératif que les enfants soient protégés de façon efficace et durable et il est illusoire de croire que leur sens critique les protège » : www.liberation.fr/societe/0101495057-l-afssa-pour-l-interdiction-des-publicites-alimentaires : ANSES, Glucides : effets sur la santé et recommandations, qui préconise « une modification de la publicité sur lesproduits alimentaires » : www.anses.fr/, par les associations de consommateurs (enquête de l’UFC-Que Choisir, 2006) et par les professionnels eux-mêmes (ils ont notammentdéclaré dans la charte dont il est fait état ci-dessous : « Conscients du rôle qu’ils peuvent jouer pour contribuer à prévenir les comportements nutritionnels déséquilibrés, lesprofessionnels s’engagent dans une démarche active motivée par un esprit de responsabilité »).

(4) V. en ce sens parlant de « l’État nounou protégeant les citoyens irresponsables », J.-P. Feldman, « Lutte contre l’obésité infantile ou infantilisation des Français » : D. 2008,p. 1492.

(5) Le droit à une alimentation adéquate est reconnu dans des instruments spécifiques tels que la Convention sur les droits de l’enfant (art. 24(2) (c) et 27 (3)), la Convention surl’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (art. 12 (2)), ou la Convention relative aux droits des personnes handicapées (art. 25 (f) et 28 (1)). Il estégalement décrit, sur un plan plus général, dans l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en vertu de la résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948de l’assemblée générale des Nations unies et dans l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté le 16 décembre 1966.V. également la résolution 7/14 du Conseil des droits de l’homme des Nations unies relative au droit à l’alimentation du 27 mars 2008.

(6) La liste des signataires est disponible à l’adresse suivante : www.culture.gouv.fr/culture/actualites/.../dpsante09.pdf (consulté le 3 févr. 2011).

(7) V. le site de l’Ania : www.ania.net/fr/dossiers-ania/qualite-nutrition/nutrition.htm (consulté le 3 févr. 2011).

DOSSIER

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juridique plus contraignant (I). Ces données comparatives nous amè-nent à appeler de nos vœux un meilleur encadrement par la loi despublicités alimentaires pour lutter contre l’obésité infantile et à por-ter un regard critique sur l’utilisation exclusive des mécanismesd’autorégulation (II).

I. Le cadre juridique de la publicité alimentaire :des approches différenciées

Dans un contexte européen peu contraignant (A), les États membrescomme la France (B) et la Grande-Bretagne (C) disposent d’une cer-taine marge de manœuvre pour encadrer la publicité alimentaire (8).

A. Le contexte européenAvant de décrire le contenu des dispositions nationales relatives à lapublicité aux enfants pour les produits alimentaires peu sains, il estnécessaire de replacer ces dispositions dans le cadre réglementaireeuropéen qu’elles se doivent de respecter en vertu du principe deprimauté du droit européen sur le droit national.

Dans la mesure où les États membres de l’Union européenne sonttous plus ou moins affectés par des taux croissants d’obésité (9), iln’est pas surprenant que la question de la réglementation de lapublicité alimentaire se soit posée au niveau européen. Ceci estd’autant plus logique que les aliments constituent des biens et lesprogrammes télévisés des services et qu’ils sont, par conséquent,soumis au principe de libre circulation au sein du marché inté-rieur (10). À l’image des débats qui se sont tenus au niveau national,cette question s’est avérée extrêmement controversée, comme entémoignent les réponses très polarisées que la Commission a reçuesà ce sujet lors de la consultation publique qu’elle avait lancée endécembre 2005 afin d’informer la stratégie de lutte contre l’obésitéqu’elle a ensuite adoptée en 2007 (11).

Lorsque la directive no 89/552 dite Télévision Sans Frontières (di-rective TSF) a été adoptée en 1989, l’obésité ne figurait pas parmi les

sujets préoccupant les États de l’Union européenne. Il n’est doncpas surprenant de constater l’absence, dans cette directive, de dis-position spécifique sur la publicité alimentaire (12). Cependant, lorsdes débats qui ont donné lieu à l’adoption de la directive no 2007/65dite Services Média Audiovisuels (directive SMA) qui modifie ladirective TSF (13), la question de la réglementation de la publicitéaux enfants pour des produits alimentaires peu sains a tenu uneplace importante dans les débats législatifs.

Les choix qui ont été faits sont symptomatiques des difficultés queles instances responsables rencontrent lorsque des lobbies indus-triels puissants s’opposent à l’adoption de mesures contraignantesvisant à protéger la santé publique.

Les groupes de consommateurs et de santé publique avaient de-mandé, augranddamdes représentants de l’industrie agroalimentaire,que soit interdite la publicité pour les produits alimentaires peusains ou, à tout le moins, qu’elle soit très strictement encadrée. Si laCommission avait d’abord ignoré leurs demandes, en s’abstenant defaire la moindre référence à l’obésité et au besoin d’adopter unemesure spécifique relative à la publicité alimentaire dans sa pre-mière proposition de directive publiée en décembre 2005 (14), lerapport Hieronymi s’y était montré plus sensible en proposant d’in-terdire, dans les programmes destinés aux enfants, toute forme decommunication commerciale audiovisuelle ou de télé-achat relativeà des denrées alimentaires ou à des boissons peu saines (15).

Le rapport mettait en avant la progression alarmante de l’obésité enEurope afin de justifier cette proposition d’amendement : « La haussede l’obésité des enfants est particulièrement inquiétante. Des étudesscientifiques montrent que la promotion de produits alimentairesmauvais pour la santé dans des services de médias audiovisuelsdestinés aux enfants est déterminante dans les choix alimentaires deces derniers.

Il convient donc de ne pas autoriser les publicités pour ces produitsau moins avant, pendant et après les programmes pour enfants ». Si

(8) L’étude se limite à la publicité télévisée et ne s’attache pas à décrire les règles relatives à d’autres médias, même s’il est nécessaire d’adopter une vision plus large duproblème en raison des stratégies de marketing intégrées des industriels de l’agroalimentaire. De même, l’étude ne porte pas sur d’autres formes de marketing comme leplacement de produits, bien que là encore ces techniques soient en voie d’expansion. Pour une discussion plus complète du rôle de la publicité alimentaire dans l’épidémied’obésité et son traitement juridique en Europe, v. A. Garde, « EU Law and Obesity Prevention » : Kluwer Law International, 2010.

(9) Dans le monde, un milliard d’adultes sont en surpoids et plus de 300 millions sont obèses ; en outre, 42 millions d’enfants de moins de 5 ans sont en surpoids (www.who.int/features/factfiles/obesity/facts/fr/index1.htm ; consulté le 3 févr. 2011). Selon un rapport réalisé par la Commission européenne et l’OCDE publié le 7 décembre 2010, Health at aGlance - Europe 2010 (http://ec.europa.eu/health/reports/docs/health_glance_en.pdf), « Plus de la moitié de la population totale de l’Union européenne est désormais ensituation de surpoids et 15,5 % est obèse » et « un jeune Européen sur sept âgé de 11 à 15 ans est en surpoids ou obèse », et même un sur cinq dans les pays du Sud de l’Unioneuropéenne : Malte (29,5 %), Grèce (18,8 %), Portugal (18,8 %), Italie (18,3 %) et Espagne (16,7 %).

(10) TFUE, art. 26 (TCE, ancien art. 14).

(11) Livre blanc de la Commission établissant une stratégie européenne pour les problèmes de santé liés à la nutrition, la surcharge pondérale et l’obésité, 30 mai 2007,COM(2007) 279 final.

(12) Il convient toutefois de noter que l’article 11(5) de la directive TSF limitait le nombre d’interruptions publicitaires permises dans les programmes pour enfants, alors quel’article 16 interdisait l’incitation directe à l’achat des enfants. Ces dispositions se retrouvent dans la directive SMA aux articles 9(1) (g) (ancien art. 16) et 20(2) (ancien art. 11 (5)).Comme elles ne sont pas spécifiques à la publicité pour les produits alimentaires, elles ne sont que brièvement mentionnées.

(13) JO L. 332/27, 2007. La directive SMA a été consolidée en mars 2010 par la directive no 2010/13 : JO L. 95/1, 2010. Cet article se réfère à cette dernière version. Pour de plusamples informations sur le processus législatif : ec.europa.eu/avpolicy/reg/history/index_en.htm.

(14) COM(2005) 646 final.

(15) Rapport sur la proposition de directive modifiant la directive TSF de la commission de la Culture et de l’Éducation du Parlement européen, 22 nov. 2006, final A6-0399/2006,amendement 119.

DOSSIER

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cette proposition n’a pas été retenue, elle a au moins eu le mérited’inciter la Commission à publier une deuxième proposition de di-rective contenant une disposition spécifique concernant la publicitépour les produits alimentaires (16). Le texte qui a finalement étéadopté par le Parlement européen et le Conseil est un compromisbancal : « Les États membres et la Commission encouragent les four-nisseurs de services de médias à élaborer des codes déontolo-giques relatifs à la communication commerciale audiovisuelle inap-propriée, accompagnant les programmes pour enfants ou inclusedans ces programmes, et concernant des denrées alimentaires oudes boissons contenant des nutriments ou des substances ayant uneffet nutritionnel ou physiologique, notamment ceux tels que lesmatières grasses, les acides gras trans, le sel/sodium et les sucres,dont la présence en quantités excessives dans le régime alimentaireglobal n’est pas recommandée » (17).

Cette disposition opte clairement pour une approche fondée surl’autorégulation plutôt que sur l’adoption de dispositions législativescontraignantes. Elle s’inscrit donc dans la même logique que le Livreblanc établissant une stratégie européenne pour les problèmes desanté liés à la nutrition, la surcharge pondérale et l’obésité que laCommission avait publié en mai 2007, sept mois avant l’adoption dela directive SMA : « À ce stade, la Commission préfère conserver ladémarche volontaire au niveau européen, qui permet d’intervenirrapidement et efficacement dans la lutte contre la surchargepondéraleet l’obésité.

La Commission procèdera, en 2010, à une évaluation de cette dé-marche ainsi que des diverses mesures prises par l’industrie et dé-terminera s’il convient également d’adopter d’autres stratégies » (18).Pourtant, l’autorégulation comporte des limites importantes, et il estpermis de douter qu’elle puisse permettre « d’intervenir rapidementet efficacement dans la lutte contre la surcharge pondérale et l’obé-sité » sans contrainte législative. Outre ces limites, dont nous parle-rons ci-dessous, il convient de souligner les autres insuffisances dela disposition de la directive SMA relative à la publicité aux enfantspour les produits alimentaires peu sains.

En premier lieu, la directive se contente d’exiger des États membreset de la Commission qu’ils « encouragent » les fournisseurs de ser-vices de médias à élaborer des codes déontologiques. Aucune obli-gation n’est faite à cet égard.

D’autre part, le texte laisse un grand nombre de questions essentiellessans réponse. S’il laisse entendre que la publicité aux enfants pour des

produits alimentaires peu sains n’est pas souhaitable, il fournit troppeu de précisions sur les enfants (19), les programmes (20) et lesproduits alimentaires concernés, laissant ainsi une grande marge demanœuvre aux fournisseurs de services médias (21).

Enfin, le texte mentionne la nécessité de limiter les publicités« inappropriées » pour les produits alimentaires peu sains. L’utilisa-tion de l’adjectif « inappropriées » est inquiétante, dans la mesure oùelle suggère que certains aliments peu sains pourraient ne pas êtrevisés par cette restriction.

Le texte sous-entendrait-il qu’il convient d’établir des distinctions enfonction des techniques de marketing mises en œuvre, certainesétant plus à même d’inciter les enfants à la consommation (par exem-ple la présence de personnages de dessins animés, de célébrités...)que d’autres ? Le texte est donc équivoque, dans la mesure où ilsuggère que certaines publicités aux enfants pour des produits ali-mentaires peu sains seraient appropriées.

Une telle approche serait non seulement contraire aux recomman-dations de l’OMS mais également d’un grand cynisme, et nous pré-férons penser que l’utilisation de l’adjectif « inapproprié » résulte d’unesimple erreur de rédaction.

Les moyens mis en œuvre par la directive SMA ne sont pas à lahauteur des objectifs que l’Union européenne cherche à atteindreen matière de lutte contre l’obésité.

Certes, il est vrai que la disposition d’harmonisation minimale quecontient la directive permet aux États membres d’adopter des dis-positions plus protectrices des consommateurs et notamment desplus vulnérables (22). Il convient donc de s’interroger sur la mise envigueur de la directive SMA en droit national et de déterminer lamesure dans laquelle la France s’est prévalue de cette possibilité.

B. Le contexte français

La France s’est résolument orientée vers une solution négociée enmatière de publicité télévisée lors de l’adoption de la loi de trans-position de la directive SMA en mars 2009. Cette position libéralefavorable à la corégulation du secteur audiovisuel concernant lapublicité alimentaire est constante depuis 2004 malgré de fortes op-positions des associations de consommateurs et les mises en gardedes spécialistes de nutrition.

(16) COM(2007) 170 final.

(17) Dir. no 2010/13, art. 9(2).

(18) COM(2007) 279 final, p. 6.

(19) Quel est l’âge retenu : 18, 16, 14 ou 12 ans ?

(20) D’après Ofcom, 67,2 % des programmes vus par les enfants britanniques n’entrent pas dans la définition des programmes pour enfants, d’où l’importance d’adopter unevision plus large de cette notion. Le pourcentage est plus élevé pour les enfants ayant entre 10 et 15 ans (79,8 %, contre 54,4 % pour les enfants ayant entre 4 et 9 ans) : Ofcom,HFSS advertising restrictions : final review : juill. 2010 (http://stakeholders.ofcom.org.uk/binaries/research/tv-research/hfss-review-final.pdf).

(21) Il convient de noter que la directive SMA n’impose aucune obligation directe à l’industrie agroalimentaire.

(22) L’article 4(1) dispose que « les États membres ont la faculté, en ce qui concerne les fournisseurs de services de médias qui relèvent de leur compétence, de prévoir desrègles plus détaillées ou plus strictes dans les domaines couverts par la présente directive, sous réserve que ces règles soient conformes au droit de l’Union ».

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Depuis l’adoption du premier programme national nutrition santé(PNNS1) en 2001 (23), les pouvoirs publics ont semblé s’engagerdans une politique nutritionnelle volontariste. Les objectifs princi-paux du PNNS ont été repris par la loi no 2004-806 du 9 août 2004relative à la politique de santé publique (24). Toutefois, lors de l’adop-tion de ce texte, de vifs débats ont opposé les tenants de la luttecontre l’obésité et les représentants des médias et de l’industrieagroalimentaire. Le projet de loi prévoyait en effet que « la publicitétélévisuelle pour des aliments dont la composition nutritionnelle estsusceptible de nuire à la santé des enfants ou des adolescents en casde consommation excessive [devait] financer la réalisation et la dif-fusion d’un message d’information nutritionnelle » (25). Sous la pres-sion des professionnels de l’agroalimentaire, le texte définitif s’estrévélé en net retrait par rapport au projet initial.

À cette occasion, les professionnels se sont principalement insurgéscontre l’idée qu’il existerait de bons et de mauvais aliments. En effet,un aliment même gras ou sucré n’est pas nocif en soi (26), c’estl’accumulation d’aliments peu sains qui est vecteur d’obésité et doncpréjudiciable à la santé. Cet argument est régulièrement invoquédepuis pour éviter la stigmatisation de certains aliments et leur évic-tion des écrans publicitaires (27).

Résultant d’un compromis, l’article L. 2133-1 du Code de la santépublique dispose désormais que « Les messages publicitaires en fa-veur de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants desynthèse ou de produits alimentaires manufacturés doivent contenirune information à caractère sanitaire. Dans le cas des messagespublicitaires télévisés ou radiodiffusés, cette obligation ne s’appli-que qu’aux messages émis et diffusés à partir du territoire françaiset reçus sur ce territoire ».

Il est prévu par ailleurs que les annonceurs peuvent se dispenser decette obligation en versant à l’Institut national de prévention et d’édu-cation pour la santé une contribution égale à 1,5 % du montantannuel des sommes consacrées à la publicité et à la promotion desproduits concernés (28). Cette demi-mesure dont l’efficacité estcontestée (29) montre que la question de l’encadrement de la pu-blicité pour les aliments particulièrement gras, sucrés ou salés cons-titue une pierre d’achoppement.

L’UFC a fait valoir par la suite que le cadre réglementaire en vigueuren France était inadapté et ne reflétait en rien l’urgence de la situa-tion. Il n’instaure en effet aucune limitation à la diffusion des mes-sages promotionnels comme en témoigne la comparaison des spotspublicitaires diffusés en 2007 avec ceux diffusés en 2006 qui a mon-tré qu’aucun changement notable n’avait été observé dans la pro-portion de produits déséquilibrés mis en avant dans les publicitéspour enfants. Celles-ci représentaient 87 % des spots diffusés en2007, contre 89 % en 2006, et les deux premières catégories deproduits alimentaires les plus représentées restaient les produits lai-tiers avec les desserts sucrés et les fromages et les céréales du petitdéjeuner sucrées ou fourrées au chocolat.

L’UFC a également critiqué l’inefficacité du dispositif mis en vigueur :la forme choisie pour les messages sanitaires ne permettrait pas auxenfants de le repérer, ni de le lire facilement. Ainsi, près d’un enfantsur deux, en âge de lire, ne le verrait pas et un tiers éprouverait desdifficultés à le lire compte tenu de la vitesse de défilement ou de lapetite taille des caractères.

Enfin, l’UFC s’est insurgé contre les difficultés que les consomma-teurs, et notamment les plus jeunes d’entre eux, ont à comprendreet à appliquer les messages sanitaires en question.

Compte tenu de leur formulation très générale, ceux-ci n’offrent aucunmoyen pratique d’identifier l’intérêt ou l’absence d’intérêt nutritionneldes produits alimentaires ; 91 % des consommateurs interrogés se-raient incapables de juger correctement de la valeur nutritionnelle descéréales présentées dans le spot publicitaire testé (30).

Le ministère de la Santé a démenti ces résultats à l’occasion d’uneétude diligentée en 2007 et publiée en février 2008 qui a cependantlaissé apparaître que même si les messages étaient favorablementperçus et qu’ils étaient mémorisés et compris par les enfants, seu-lement 34 % d’entre eux estimaient que leurs parents sont incités,grâce aux messages, à ne pas acheter les produits demandés vus àla télévision.

En outre, l’étude souligne l’impact plus marqué des messagesnutritionnels sur les enfants ayant déjà de bonnes habitudes alimen-taires (31).

(23) Prolongé depuis par un deuxième plan adopté en 2006 (PNNS2).

(24) L. no 2004-806, 9 août 2004, relative à la politique de santé publique : JO 11 août 2004, p. 14277.

(25) Projet de loi, art. 14 A.

(26) V. définition de la denrée alimentaire dangereuse de l’article 14 du règlement no 178/2002 : « Une denrée alimentaire est dite dangereuse si elle est considérée comme a)préjudiciable à la santé, b) impropre à la consommation humaine ».

(27) Cet argument est aussi invoqué à l’encontre de la mise en place de profils nutritionnels prévus par le règlement no 1924/2006 relatif aux allégations nutritionnelles et desanté (v. débats dans le cadre de la discussion sur la proposition de règlement relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires COM 2008 (40) final) etréponse à la question écrite formulée par Bill Newton Dunn (Alde) le 2 juillet 2010 (E-4971/2010) qui indique qu’en l’état actuel du dossier, aucun calendrier n’est fixé.

(28) Option qui a été unanimement écartée par l’industrie agroalimentaire.

(29) V. UFC-Que Choisir, « Étude sur l’influence de la publicité télévisée sur les préférences et les comportements alimentaires des enfants, septembre 2006 et septembre 2007 »(www.quechoisir.org/alimentation/nutrition/etude-obesite-infantile-et-publicites-televisees-bilan-2006-2007 ; consulté le 3 févr. 2011).

(30) UFC-Que Choisir, op. cit.

(31) Post test auprès des enfants de 8 ans et plus des messages sanitaires apposés sur les publicités alimentaires (févr. 2008) : www.sante-sports.gouv.fr/etudes-et-recherches,6108.html.

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Malgré ces critiques, les parties en présence campent sur leurs po-sitions et l’action des pouvoirs publics s’inscrit dans la continuité ducompromis de la loi du 9 août 2004 : plutôt que de limiter ou d’in-terdire la publicité, on opte pour des actions d’information et decommunication dans le domaine alimentaire pour faire contrepoidsaux messages promotionnels. Cette logique de compensation a étélargement mise en œuvre dans le cadre de la charte, adoptée le18 février 2009.

Cette charte consacre de manière certaine une victoire de l’écono-mie sur la santé : au nom de la préservation du modèle économiquede l’audiovisuel français, on refuse de légiférer dans ce domaine enpréférant encourager les pratiques responsables des acteurs del’audiovisuel et de l’industrie agroalimentaire. Il n’est pas anodin àcet égard qu’après que la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot,ait annoncé le 4 février 2008 qu’en cas d’échec de l’autorégulationle Gouvernement interviendrait par voie législative, le pilotage dudossier de la publicité audiovisuelle ait été par la suite transféré auministère de la Culture au printemps 2008 dans le cadre de la ré-flexion globale sur la place de la publicité au sein des chaînes pu-bliques de télévision. La ministre de la Culture a eu ainsi l’occasionde se faire l’avocate de certains médias en indiquant qu’elle n’étaitpas favorable à la suppression de la publicité alimentaire en souli-gnant « qu’on est sûr des dégâts que cela produirait pour l’économiedes chaînes de télévision, sans être sûr des bénéfices pour la santédes enfants » (32).

On peut aisément penser que cette décision prise au sommet de l’Étata aussi été influencée par le rapport du CSA qui a clairement expriméson hostilité à la mesure préconisée par la ministre de la Santé. Danssa décision du 29 avril 2008, le CSA a ainsi fait valoir « que la suppres-sion de la publicité pour certains aliments aurait des conséquences,d’une part, sur l’équilibre économique des chaînes et leur capacité àsoutenir le secteur de la création audiovisuelle et cinématographique,d’autre part, sur l’offre de programmes jeunesse et les perspectives dedéveloppement des chaînes jeunesse » (33).

C’est dans ce contexte que la charte a finalement été adoptée. Ensignant ce document, les professionnels de l’audiovisuel et l’Ania« s’engagent dans une démarche volontaire de soutien à la politiquenationale de santé publique, dont le PNNS, coordonné par le mi-nistère de la Santé et des Sports, a fixé les orientations ». La chartepoursuit : « conscients du rôle qu’ils peuvent jouer pour contribuerà prévenir des comportements nutritionnels déséquilibrés, les pro-fessionnels s’engagent dans une démarche active et motivée par unesprit de responsabilité » et manifestent leur volonté de « mieux pro-

mouvoir des comportements nutritionnels équilibrés ». À cet effet,les annonceurs s’engagent notamment à renforcer la démarche « qua-lité » de la publicité concernant le contenu des publicités alimen-taires :

« Les annonceurs s’engagent, dans le cadre de l’Autorité de régulationprofessionnelle de la publicité (ARPP) qui réunit l’interprofessionpublicitaire, à une réévaluation des règles déontologiques sur lecontenu des messages publicitaires en direction des enfants (adop-tées fin 2003 et validées par le PNNS en 2004) à la lumière de leurnouvel engagement en matière de publicité. Cette réévaluation doiten particulier prendre en compte les thèmes suivants :

— actualisation de la mise en valeur de bons comportements ali-mentaires et d’hygiène de vie ;

— attitude et vocabulaire : les limites de l’humour vis-à-vis d’unpublic enfantin ;

— référence aux équivalences et comparaisons nutritionnelles avecles fruits et légumes, etc. ;

— mise en scène des messages (présentations non maximalistes etperformances liées au produit, rigueur dans la mise en scène deséléments composant le produit...) ;

— relations avec les éducateurs et des parents (respect de l’auto-rité...) ;

— lignes directrices à l’attention des opérateurs économiques rela-tives à la communication sur les repères nutritionnels du PNNS.

À l’issue du travail de concertation et de rédaction nécessaire à lafinalisation de ces règles, l’ARPP présentera le nouveau texte auministère de la Santé et des Sports, ainsi qu’au ministère de la Cul-ture et de la Communication. Cette proposition de réévaluation de-vra être présentée dans un délai de six mois maximum au ministèrede la Santé et des Sports, en concertation avec le ministère de laCulture et de la Communication » (34).

Lors de l’adoption de la loi du 5 mars 2009 transposant notammentla directive SMA (35), on a considéré que les intérêts des consom-mateurs seraient suffisamment préservés par la mise en place de cesystème de corégulation comme le prône la directive sans qu’il y aitlieu d’adopter des mesures plus restrictives. Pourtant, les associa-tions de consommateurs et les organisations de santé publique, sou-tenus par plusieurs élus — députés ou sénateurs — n’ont eu decesse par la suite de réclamer une intervention législative afin de

(32) www.quechoisir.org/alimentation/nutrition/communique-publicites-televisees-pour-les-produits-alimentaires-le-collectif-obesite-protegeons-nos-enfants- !-salue-l-appel-des-150-scientifiques.

(33) www.csa.fr/actualite/dossiers/dossiers_detail.php ?id=1263741&chap=3177.

(34) V. texte de la charte : www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/charte_alimentation_tele_signee.pdf (consulté le 3 févr. 2011). D’autres dispositifs résultants d’engagements volontairescomplètent ce dispositif (v. notamment la EU Pledge qui a réuni en 2007 onze sociétés européennes agroalimentaires qui se sont engagées à limiter la publicité pour les enfantsde moins de douze ans sur les écrans (audience supérieure à 50 %) aux produits reconnus comme conformes aux recommandations diététiques selon les critères élaborés par laEU Pledge sur le fondement des normes admises au plan national et international. Le nombre des signataires s’élèvent désormais à seize puisque la European Snack Assocationet cinq de ses membres ont rejoint les onze signataires initiaux : www.eu-pledge.eu/.

(35) L. no 2009-258, 5 mars 2009, relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision : JO 7 mars 2009.

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limiter l’exposition des enfants à la publicité alimentaire (36). Ainsi,plusieurs propositions de loi ont cherché à introduire une interdic-tion de la publicité télévisée pour les produits aux profils nutritionnelsdéséquilibrés (37). Une de ces propositions de loi souligne avecpertinence qu’il convient de mettre « en cohérence l’environnementtélévisuel des enfants avec les actions de prévention entreprises àleur égard, partant du principe qu’il est illusoire d’attendre un bien-fait de l’éducation nutritionnelle si celle-ci est contredite par desmessages publicitaires bien plus puissants » (38).

Le choix français s’inscrit pourtant résolument dans un cadre vo-lontaire en postulant que le recours à la contrainte législative auraitdes conséquences délétères sur la création audiovisuelle. À ce titrele rapport du CSA publié en juin 2010 indique sans ambiguïté qu’il« est de l’intérêt de toutes les parties signataires de la charte que lemodèle économique de l’audiovisuel français par ailleurs fragile nesoit pas remis en cause par la suppression de la publicité alimen-taire (...) » (39). Force est de noter que cet argument largement évo-qué n’est jamais étayé par la mise en balance des coûts liés à la pertede recette publicitaires et des coûts liés à l’obésité infantile. Le mo-dèle britannique montre que d’autres approches plus efficaces sontparfaitement envisageables.

C. Le contexte britannique

Certains États membres se sont prévalus du caractère d’harmonisationminimale de la directive SMA afin d’adopter des normes plusrestrictives applicables aux fournisseurs de services audiovisuels éta-

blis sur leur territoire. Ils se sont attachés à le faire soit en limitant lapublicité télévisée aux enfants de manière générale, comme la Suèdedepuis 1991, soit en limitant plus spécifiquement la publicité auxenfants pour les produits alimentaires peu sains, comme le Royaume-Uni depuis 2007.

Le Royaume-Uni est particulièrement touché par l’obésité (40) et lesinstances britanniques compétentes ont été amenées à s’interrogersur ses différentes causes, y compris la publicité. C’est la Food Stan-dards Agency qui, la première, a confié à un groupe d’experts lesoin d’évaluer l’impact de la publicité sur les choix alimentaires desenfants (41). Ofcom a fait de même l’année suivante (42).

Tous les rapports d’experts ont conclu que la publicité téléviséeinfluence les choix alimentaires des enfants et joue donc un rôledans l’épidémie d’obésité. Les divergences existent sur l’étendue dece rôle, mais ce rôle n’est pas en lui-même contesté (43).

Dans son Livre blanc de novembre 2004, le ministère de la Santébritannique a conclu qu’il y avait « de fortes raisons d’agir afin delimiter davantage la publicité et la promotion aux enfants des pro-duits alimentaires et des boissons avec une teneur élevée en ma-tières grasses, sel et sucre » (44).

Il a confié à Ofcom le soin de mettre en place des mesures quipermettraient de réduire la quantité et de changer la nature desmessages publicitaires s’adressant aux enfants. Suite à une périodede consultation et de réflexion de deux ans, Ofcom a rendu publi-que sa décision d’interdire la publicité pour des produits alimen-taires peu sains pendant les programmes pour enfants (during

(36) V. récemment, le communiqué de presse du 30 juin 2010 de sept associations de consommateurs, le communiqué de presse du 6 juillet 2010 de la Société française de santépublique réitérant sa demande de régulation de la publicité aux heures de grande écoute des enfants (www.sfsp.fr/activites/file/CPChartealimentaire.pdf), le communiqué depresse du 9 mars 2010 de 22 sociétés médicales d’experts et de spécialistes dont la société française de santé publique (SFSP) : « Le débat sur la régulation de la publicité auxheures de grande écoute par les enfants doit être réouvert » (http://sfsp.fr/activites/file/CPpubliciteTVobesite.pdf ; consulté le 9 févr. 2011).

(37) Proposition de loi pour agir contre l’épidémie d’obésité : Prop. AN no 2191, 23 mars 2005 ; proposition de loi tendant à renforcer la lutte et la prévention contre l’obésitéinfantile : Prop. AN, 5 déc. 2007 ; proposition de loi relative à la protection des enfants et des adolescents face aux effets de la publicité télévisuelle, Sénat no 145, 1er déc. 2010.

(38) Proposition relative à la prévention de l’obésité infantile : Prop. AN no 532, 20 déc. 2007.

(39) CSA, « Charte visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision - Rapportd’application : 18 février 2009 - 18 févr. 2010 » : Doc. fr. 2010, www.csa.fr/upload/publication/rapport_csa_charte_alim.pdf.

(40) Un rapport très complet sur l’obésité a été rendu public en octobre 2007 : Foresight Project Report, « Tackling Obesities : Future Choices » : (London, Government Officefor Science, October 2007) (www.bis.gov.uk/foresight/our-work/projects/published-projects/tackling-obesities). Ce rapport confirme les tendances inquiétantes de l’obésitéinfantile au Royaume-Uni, constamment en hausse. Les chiffres les plus récents du National Health Service estiment qu’en Angleterre en 2009, 22 % des hommes et 24 % desfemmes de plus de seize ans étaient obèses, et que 30 % des enfants de deux à quinze ans étaient soit obèses soit en surpoids : NHS, Statistics on Obesity, Physical Activity andDiet : England, 2011 (www.ic.nhs.uk/statistics-and-data-collections/health-and-lifestyles/obesity/statistics-on-obesity-physical-activity-and-diet-england-2011).

(41) G. Hastings et al., « Review of the research on the effects of food promotion to children » : Glasgow, University of Strathclyde, Centre for Social Marketing, 2003(www.food.gov.uk/news/newsarchive/2003/sep/promote). Cette étude a été régulièrement mise à jour depuis, notamment pour l’OMS : G. Hastings et al., « The extent, natureand effects of food promotion to children : a review of the evidence » : Geneva, World Health Organisation, 2006 (http://whqlibdoc.who.int/publications/2007/9789241595247_eng.pdf) ; G. Cairns, K. Angus et G. Hastings, « The extent, nature and effects of food promotion to children : a review of the evidence to December 2008 » : Geneva, WorldHealth Organisation, 2009 (www.who.int/dietphysicalactivity/Evidence_Update_2009.pdf). L’Afssa s’est expressément référée aux travaux de son homologue britannique dans sesdéclarations du 7 juillet 2004 indiquant que « l’interdiction de la publicité alimentaire télévisée à destination des enfants est une mesure cohérente et proportionnée » et qu’« ilest impératif que les enfants soient protégés de façon efficace et durable et il est illusoire de croire que leur sens critique les protège » (www.liberation.fr/societe/0101495057-l-afssa-pour-l-interdiction-des-publicites-alimentaires).

(42) Sonia Livingstone a rendu plusieurs rapports à Ofcom sur les effets de la publicité alimentaire :– February 2004 : www.ofcom.org.uk/research/tv/reports/food_ads/appendix1.pdf ;- May 2004 (avec E. Helsper) : www.ofcom.org.uk/research/tv/reports/food_ads/appendix2.pdf ;- January 2006 : www.ofcom.org.uk/consult/condocs/foodads_new/foodads3.pdf.V. également S. Livingstone, « Does TV Advertising Make Children Fat : What the Evidence Tells Us ? » : Public Policy Research 13 (2006) 54.

(43) On retrouve des conclusions similaires émanant des instituts de recherche américains : v. notamment J. M. McGinnis, J. A. Gootman et V. I. Kraak (eds), « Food marketingto children and youth : threat or opportunity ? » : Washington DC, Institute of Medicine, National Academies Press, 2006 (www.nap.edu/catalog.php ?record_id=11514#toc).

(44) There is « a strong case for action to restrict further the advertising and promotion to children of those foods and drinks that are high in fat, salt and sugar ». Toutesles traductions sont les nôtres.

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children’s airtime) (45) et les programmes vus par un nombredisproportionné d’enfants (around programmes with a dispro-portionately high child audience). En dehors de ces programmes,l’industrie agroalimentaire conserve sa liberté de promouvoir n’im-porte lequel de ses produits, quelle qu’en soit la composition, surles écrans de télévision (46). En outre, la réglementation britanniquea mis en place des restrictions relatives aux techniques de publicitépermises afin de promouvoir les produits alimentaires peu sains,permettant de réduire non seulement l’exposition des enfants à lapublicité pour ces produits, mais également la force de persuasiondes techniques publicitaires mises en œuvre. Ainsi, il n’est plus pos-sible d’utiliser les célébrités, les personnages soumis à des accordsde licences, les offres promotionnelles (y compris la distribution dejouets) et les allégations nutritionnelles et de santé dans les publi-cités visant directement les enfants en âge préscolaire ou à l’écoleprimaire (c’est-à-dire les enfants ayant entre zéro à neuf ans).

Certains éléments du dispositif réglementaire britannique méritentd’être soulignés. D’une part, les enfants qu’il cherche à protégersont les enfants de zéro à quinze ans. Ces mesures ont donc unelarge portée et se distinguent des règles d’autorégulation mises enplace par certains industriels de l’agroalimentaire et visant au mieuxles enfants de moins de douze ans (47). D’autre part, les program-mes qui sont visés par l’interdiction de promouvoir des produitsalimentaires peu sains sont, eux aussi, définis de manière plus stricteque nombre de mesures d’autorégulation : en effet, un programmeest considéré comme ayant un attrait particulier pour les enfants demoins de seize ans si son public est constitué d’une surreprésentationd’enfants de zéro à seize ans de 20 % par rapport à la représentationde cette tranche d’âge dans la population totale (l’index retenu estdonc de 120) (48). D’autre part, le classement des aliments en ali-ments peu sains — et donc soumis aux restrictions publicitaires —a été établi selon le modèle de profils nutritionnels développé parla Food Standards Agency et qui constitue un modèle objectif,transparent et applicable à tous les aliments (49). Ces questions sontparticulièrement importantes, dans la mesure où elles déterminentl’étendue des restrictions à la liberté d’expression des industriels del’agroalimentaire et montrent ainsi à quel point les autorités respon-

sables doivent s’interroger sur la proportionnalité des mesures qu’el-les entendent imposer : la liberté d’expression n’est certes pas ab-solue, mais elle ne peut être limitée que pour des raisons impérieu-ses d’intérêt général (50) : d’où l’importance de mettre en balanceles différents intérêts en présence et de résoudre tout conflit par desmoyens objectifs et transparents (c’est-à-dire non partisans) (51).

Comme elle s’était engagée à le faire, Ofcom a publié, le 26 juilletdernier, un rapport évaluant l’efficacité des règles relatives à la pu-blicité télévisée pour les produits alimentaires peu sains un an aprèsleur entrée en vigueur complète (52). Ce rapport montre que cesrègles remplissent au moins en partie leur objectif, dans la mesureoù les enfants sont nettement moins exposés à la publicité téléviséequ’ils ne l’étaient avant l’entrée en vigueur des règles.

Toutefois, il établit également que les enfants voient encore de nom-breuses publicités télévisées pour des produits alimentaires peu sains.Une des difficultés majeures découle du fait que, d’après Ofcom,67,2 % des programmes vus par les enfants britanniques n’entrentpas dans la définition des programmes pour enfants.

Ce pourcentage est plus élevé pour les enfants ayant entre dix etquinze ans (79,8 % contre 54,4 % pour les enfants ayant entre quatreet neuf ans) (53).

Il est donc fondamental d’adopter une vision plus large de cettenotion, et la question se pose de savoir s’il ne serait pas préférabled’interdire toute publicité pour les produits alimentaires peu sainsavant 21 heures, sachant que les enfants regardent un grand nom-bre de programmes qui ne tombent pas sous le coup de l’interdic-tion en raison du fait que ces programmes ne sont ni classés commedes « programmes pour enfants », ni vus par « un nombre dispro-portionné d’enfants » entre 18 et 21 heures.

Ils sont vus par beaucoup d’enfants, mais leur nombre n’est pas« disproportionné » au sens des règles en vigueur. Ofcom a toutefoisdéclaré qu’à ce stade, elle n’envisageait pas de modifier le dispositifréglementaire qui venait d’être mis en place. Les autorités françaiseset européennes devraient s’inspirer de ces mesures qui se fondentsur les études sérieuses et indépendantes et qui sont les plus à même

(45) Les programmes pour enfants incluent naturellement tous les programmes diffusés sur les chaînes de télévision pour enfants.

(46) Pour le texte intégral des règles en vigueur, v. Ofcom, « Television advertising of food and drink products to children - Final statement » : February 2007(www.ofcom.org.uk/consult/condocs/foodads_new/statement/statement.pdf).

(47) La EU Pledge vise à protéger les enfants de moins de douze ans.

(48) La EU Pledge a retenu une proportion de 50 %. Toutefois, suite aux critiques qui ont été faites de ce pourcentage particulièrement élevé, ses signataires se sont engagés à leréduire à 35 %. En outre, certains d’entre eux vont au-delà de ce minimum ; Mars, par exemple, retient le pourcentage de 25 %.

(49) Pour plus d’informations sur le modèle nutritionnel de la FSA, v. www.food.gov.uk/healthiereating/advertisingtochildren/nutlab/nutprofmod.

(50) V. à ce sujet, A. Garde, « Freedom of Commercial Expression and Public Health Protection in Europe », in C. Barnard & O. Odudu (eds), Cambridge Yearbook of EuropeanLegal Studies 12 (2009-2010) 225.

(51) La consultation extensive et l’analyse d’impact sur lesquelles Ofcom s’est fondée afin de décider des règles qui devaient être adoptées font l’objet de commentaires plusdétaillés dans la deuxième partie de cette contribution.

(52) Ofcom, HFSS advertising restrictions : final review, juill. 2010 (http://stakeholders.ofcom.org.uk/binaries/research/tv-research/hfss-review-final.pdf). Afin de favoriser leurbonne mise en œuvre, l’entrée en vigueur des restrictions s’est échelonnée entre le 1er janvier 2007 et le 1er janvier 2009. Ce rapport fait suite à une évaluation intérimaire dontles résultats avaient été publiés en décembre 2008 : Ofcom, « Changes in the nature and balance of food advertising to children » : 17 December 2008 (www.ofcom.org.uk/research/tv/reports/hfssdec08/hfssdec08.pdf).

(53) Ofcom, « HFSS advertising restrictions : final review » : juill. 2010 (http://stakeholders.ofcom.org.uk/binaries/research/tv-research/hfss-review-final.pdf).

En ligne sur Lextenso.fr Petites affiches - 6 OCTOBRE 2011 - No 199 - 33

de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant (54) et de contribuer ainside manière efficace aux stratégies de prévention de l’obésité queces instances ont mis en place.

Toutefois, ces dispositions nationales ont nécessairement une por-tée limitée en raison du principe de l’État d’établissement sur lequella directive SMA repose et selon lequel un État membre ne peut pasempêcher la transmission sur son territoire de programmes en pro-venance d’un autre État membre (55).

En France, les textes relatifs à la réglementation de la publicité pour lesproduits alimentaires peu sains qui s’adressent aux enfants se fondentdonc sur l’adoption de codes de conduite conçus par les industriels del’agroalimentaire, que leur origine soit nationale ou européenne.

Il convient donc d’évaluer la contribution que les mesures d’auto-régulation seront susceptibles d’apporter aux stratégies de préven-tion de l’obésité que les instances nationales et européennes cher-chent à mettre en place afin d’arrêter la croissance inquiétante del’obésité infantile.

II. Analyse critique de l’approche autorégulatriceau regard de l’objectif de lutte contre l’obésité infantile

Les résultats du dispositif fondé sur des chartes apparaissent mitigés etmettent en exergue les limites d’un système fondé sur les seuls mé-canismes d’autorégulation (A). Quelque puissent être les bienfaits d’uneattitude prudentielle des acteurs de l’agroalimentaire, l’autorégulationest largement insuffisante pour faire face à la pandémie d’obésité quiimposerait l’adoption d’une réforme législative de la publicité (B).

A. Faiblesses du dispositif d’autorégulation fondésur des chartes

Après deux ans d’application de la charte de février 2009, le bilanque l’on peut tirer de ce dispositif est plutôt mitigé. Focalisée sur lerenforcement de l’éducation nutritionnelle des jeunes téléspecta-teurs, la charte n’a pas entraîné une réduction du volume des pu-blicités pour les produits alimentaires peu sains. Le contenu desengagements pris est ainsi largement remis en cause par les asso-ciations de consommateurs. Mais peut-être faudrait-il s’interrogerplus fondamentalement sur la légitimité et l’effectivité du recours àl’autorégulation. Cette forme de normativité n’est-elle pas intrinsè-quement inadaptée dans ce domaine ?

1. Faiblesses de la charte

Dans un communiqué du 30 juin 2010, l’UFC-Que Choisir a consi-déré que la charte française constituait un triple échec.

« 1. Le harcèlement publicitaire continue : la charte n’a pas permisde limiter le matraquage publicitaire pour les produits gras, sucrésou salés. Ainsi, parmi les dix premiers annonceurs de produits degrande consommation, figurent Ferrero (4e) et Coca-Cola (10e), deuxacteurs majeurs de la confiserie et des sodas dont certaines versionssont particulièrement sucrées. Leurs budgets publicitaires ont pro-gressé entre 2008 et 2009, et représentent additionnés, pas moins de281 millions d’euros, soit 35 fois celui de l’Inpes !

2. Des communications nutritionnelles sans légitimité scientifique :L’essentiel de la charte porte sur la diffusion de programmes édu-catifs, dont le contenu éditorial reste sous la seule responsabilité del’industrie alimentaire et des médias. Les professionnels ont en effettoujours refusé de soumettre leurs productions à la validation duProgramme national nutrition santé (PNNS), seule instance officiellepouvant en vérifier la validité scientifique.

3. Des programmes éducatifs invisibles : le volume de diffusion desprogrammes développés par les professionnels est ridiculement faibleau regard du déferlement publicitaire quotidien. Les centaines d’heu-res de diffusion annoncées ne représentent en réalité pour chaquechaîne que 1 % à 3 % de la durée totale autorisée pour les publicités !S’agissant des campagnes officielles d’éducation sur la nutrition, laréduction tarifaire de 60 % accordée pour leur diffusion, bien quelouable sur le principe, ne suffit pas à leur assurer une visibilité mi-nimale. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé(Inpes) ne peut pas combattre à armes égales avec le matraquagepublicitaire de l’industrie agroalimentaire qui dispose d’un budget decommunication 200 fois supérieur à celui de l’Inpes » (56).

Ce constat est extrêmement sévère et se situe aux antipodes durapport établi par le CSA après une année d’application de lacharte (57). La raison de ces différences d’analyse réside dans l’ab-sence de convergence d’objectifs. Pour l’industrie agroalimentaire etles annonceurs, il ne s’agit pas de renoncer à la manne que cons-tituent la promotion et la commercialisation de produits qui sontlargement appréciés par les jeunes consommateurs malgré leur pro-fil nutritionnel défavorable. Ils exercent une liberté fondamentale, laliberté d’entreprendre, et ils ne peuvent légitimement pas renoncerà faire des profits. En outre, faire de la publicité et vendre de tels

(54) Ce concept est au cœur de la convention des Nations unies sur les droits de l’enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait desinstitutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être uneconsidération primordiale » (art. 3(1)).

(55) L’article 3(1) de la directive SMA dispose que « Les États membres assurent la liberté de réception et n’entravent pas la retransmission sur leur territoire de services demédias audiovisuels en provenance d’autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive ». V. également les affaires jointesnos C-34 et 35/97, De Agostini [1997] ECR I-3843 pour une illustration du fonctionnement de cette règle et de son articulation avec la clause d’harmonisation minimale énoncée àl’article 4 de la directive.

(56) Communiqué de l’UFC-Que choisir du 30 juin 2010 (www.quechoisir.org/alimentation/nutrition/communique-publicites-televisees-alimentaires-et-prevention-de-l-obesite-infantile-apres-l-echec-de-la-charte-des-professionnels-7-associations-exigent-des-mesures-legislatives).

(57) CSA, « Charte visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision - Rapportd’application : 18 févr. 2009 - 18 févr. 2010 » : Doc. fr. 2010 (www.csa.fr/upload/publication/rapport_csa_charte_alim.pdf).

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produits est parfaitement conforme à la loi. Tout au plus acceptent-ils, en tenant compte des externalités négatives générées par leuractivité, des mécanismes compensatoires qui consistent à financerdes programmes portant sur la bonne alimentation et l’activité phy-sique. Au regard des objectifs de la charte et de son contenu,l’effectivité du dispositif mis en place en 2009 est donc jugée satis-faisante car les acteurs professionnels ont respecté les engagementspris. Les associations de consommateurs, elles, n’adoptent pas lemême point de vue.

Elles jugent l’efficacité de la charte à l’aune de l’objectif de lutte contrel’obésité par la limitation du volume de publicité diffusée pour desaliments trop gras, trop sucrés ou trop salés.

Dans cette perspective, le bilan de la charte est considéré commenégatif car le volume des publicités incriminées a plutôt augmenté,le contenu des programmes éducatifs est défini par les industriesagroalimentaires et ces programmes ont un poids infime au regarddes publicités pour les aliments peu sains. En réalité, les critiquesvisent plus la charte elle-même et son contenu que son application.

Face aux attentes en matière de lutte contre l’obésité, force est ce-pendant de constater que le dispositif français manque très clairementd’ambition, même au regard des autres mécanismes d’autorégulationmis en place à l’échelle européenne, lorsque les signataires vont au-delà du principe « pollueur-payeur » en s’inscrivant dans un processusde réduction du volume publicitaire.

Pour autant, peut-on attendre des mécanismes d’autorégulation qu’ilssoient de nature à se substituer à une action législative en encadrantefficacement la publicité pour répondre aux objectifs de santé pu-blique ? On peut en douter car ce mode de régulation apparaît perse insuffisant pour limiter l’impact négatif de la publicité sur le com-portement alimentaire des enfants.

2. Limites de l’autorégulation (58)Juger de l’efficacité de l’autorégulation est malaisé lorsque l’on seplace dans le paradigme du marché. L’autorégulation privilégie uneapproche statistique et auto-référentielle qui biaise en partie l’ana-lyse. Ce mode alternatif de régulation permet en effet de promou-voir des pratiques responsables qui améliorent le fonctionnementdu marché et les relations avec les consommateurs, mais il ne peutpas pour autant faire prévaloir les enjeux de santé publique sur lalogique du profit.

Selon Thomas Berns, l’autorégulation est une forme de normativitéqui participe du concept de responsabilité sociale des entreprises etse fonde sur des mécanismes de réputation (59). Dans le contexteactuel de grande porosité entre l’économique et le politique,l’autorégulation permet aux entreprises d’établir elles-mêmes un mé-canisme de compensation permettant de « réinternaliser » lesexternalités négatives.

Ainsi, dans le dispositif de la charte, l’industrie agroalimentaire fi-nance des campagnes de promotion de bons comportements ali-mentaires pour compenser et ainsi absorber partiellement les consé-quences néfastes de son activité économique sur les consomma-teurs. Cette compensation est préférée depuis 2004 à un mécanismede taxation (60) et, a fortiori, à un encadrement de la publicité quilimiterait les plus-values. Cet auto-contrôle prend la forme d’enga-gements volontaires que les entreprises déclarent respecter.

La normativité de ce dispositif d’autorégulation tient à la mise en jeude la réputation des signataires car les écarts des entreprises serontrendus visibles à tous (61). Ces bienfaits sont connus, ils tiennent àla flexibilité du système et à son faible coût. L’automodération descomportements par des règles consenties est aussi jugée plus effi-cace que le recours à la contrainte.

Enmatière depublicité, lesmanifestationspositives de l’autorégulationsont indéniables. Cela est particulièrement remarquable dans dessituations où des comportements déviants de certains profession-nels sont de nature à porter atteinte à l’intérêt des consommateursmais aussi à l’intérêt collectif de la profession. Ainsi, dans une lo-gique « gagnant-gagnant », selon la formule de Corinna Hawkes (62),l’autorégulation est efficace pour éliminer les publicités trompeusesqui heurtent les règles du marché.

À titre d’exemple, au sein des règles déontologiques élaborées dansle cadre de la charte, sont notamment prohibées les publicités quilaisseraient croire que la prise d’un aliment peut produire un effetde nature à modifier la vie quotidienne des enfants en les faisantaccéder à d’hypothétiques performances exceptionnelles (63).

De telles publicités pourraient être considérées comme une prati-que commerciale trompeuse en vertu de l’article L. 121-1 du Codede la consommation sachant qu’en vertu de l’article L. 120-1, le ca-ractère trompeur du message promotionnel visant les enfants est

(58) V. à ce sujet, M. Friant-Perrot, « Les démarches volontaires et le rôle des entreprises du secteur agroalimentaire dans la protection des consommateurs », Journées de droitéconomique, 6-7 juin 2008, in I. Doussan, M. A. Ngo et F. Siiriainen (dir.), Droit économique dans les secteurs agricole et agroalimentaire, et débats autour de thèmes d’actualitédu droit économique : Les dossiers de la Revue internationale de droit économique no 2, 2009, p. 17-23.

(59) T. Berns, « Si les entreprises ont une âme », in T. Berns, P. F. Docquir, B. Frydman, L. Hennebel, G. Lewkowicz, Responsabilités des entreprises et corégulation, Bruylant,2007, p. 51 et s.

(60) V. supra.

(61) T. Berns, op cit.

(62) C. Hawkes, « Self-Regulation of Food Advertising : What It Can, Could and Cannot Do to Discourage Unhealthy Eating Habits Among Children » : British NutritionFoundation, Nutrition Bulletin (2005), 374.

(63) CSA, « Charte visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision - Rapportd’application : 18 févr. 2009 - 18 févr. 2010 » : Doc. fr. 2010, p 10.

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apprécié en tenant compte de leur « capacité moyenne de discer-nement » (64). Il en est de même pour les références aux équiva-lences et comparaisons nutritionnelles avec les fruits et légumes quisont susceptibles de tromper le consommateur mais qui peuventaussi être considérées comme des actes de concurrence déloyalepar les concurrents. Dans ce contexte, l’intérêt des consommateurset celui des concurrents se rejoignent pour éradiquer les compor-tements déloyaux. Toutefois, l’appel aux mécanismes automodéra-teurs du marché est plus difficile lorsqu’il s’agit de limiter l’effet cu-mulé des publicités et non d’écarter individuellement les publicitéstrompeuses.

L’autorégulation repose sur une normativité « éthico-juridique », se-lon les termes de Thomas Berns, qui découle de la force de l’évi-dence qu’offre la description du réel. Pour décrire le réel et rendrecompte des pratiques publicitaires des professionnels, on se réfèreà « la gouvernance par les nombres » selon la formulation d’AlainSupiot (65). Ainsi, on quantifie le nombre de campagnes mettant envaleur de bons comportements alimentaires et d’hygiène de vie dansle cadre de la charte, on mesure le pourcentage des comportementsconformes aux engagements de la EU Pledge et la baisse de l’ex-position des enfants à la publicité incriminée (66). Mais cette ap-proche statistique conduit « à considérer le chiffre non comme uncadre mais comme un but de l’action » (67).

On ne se réfère qu’aux indicateurs de performances pour juger del’efficacité du dispositif, en perdant de vue l’objectif premier desmesures adoptées. Le nombre de publicités pendant certaines tran-ches horaires a baissé, les campagnes nutritionnelles ont augmenté,certes, mais l’exposition globale des enfants à la publicité pour lesproduits alimentaires gras, sucrés ou salés a-t-elle diminué ? Le tauxd’obésité a-t-il baissé ? Cette approche comptable n’est pas une imageneutre d’une réalité qui préexisterait mais construit une réalité nou-velle dont « la normativité est occultée » (68).

Par le choix des écrans enfants visés, le choix de l’âge des enfantsconcernés, le contenu des messages diffusés, les signataires des char-tes et autres engagements unilatéraux définissent la réalité qu’ilsdonnent à voir aux consommateurs sans que les fondements et lescritères qui ont présidé à leur élaboration soient connus de tous. Parleur nature auto-référentielle, les mécanismes d’autorégulation souf-frent en effet d’un déficit démocratique. Ce sont des règles définies

par les professionnels, appliquées par les professionnels et sanc-tionnées par les professionnels. En cela, elles correspondent à untype de normativité qui se distingue du droit qui au-delà de sa fonc-tion normative est « aussi porteur et producteur de valeurs » (69).

Les insuffisances de l’autorégulation au regard de la loi apparaissentainsi à trois niveaux. En premier lieu, au plan institutionnel, l’éla-boration d’une norme pondérant les intérêts économiques en te-nant compte des objectifs de santé publique nécessite une bonnegouvernance et un équilibre entre les intérêts représentés. Or cetéquilibre entre les représentants des médias et des IAA et les garantsde la protection de la santé et des consommateurs est rompu. LeCSA et le ministère de la Culture ont clairement pris position contrela suppression de la publicité.

Or le CSA est le garant de la bonne application de la charte. L’Inpesest largement marginalisé car le contenu des messages éducatifs del’IAA n’est pas soumis à leur validation.

En second lieu, au regard du processus d’application et de sanctionde la norme, la confiance accordée aux acteurs professionnels n’estpas de nature à garantir l’efficacité du dispositif. L’autorégulation nedispose pas de la force contraignante de la loi. Cette absence decontrainte extérieure est manifeste dans la rédaction même de lacharte qui précise qu’elle ne restera en vigueur qu’à la conditionque le cadre législatif demeure inchangé pour les cinq ans à venir.

En troisième lieu, c’est au plan substantiel que le dispositif de lacharte est le plus insuffisant. S’il demeure que l’autorégulation per-met aux acteurs intéressés « d’adopter entre eux et pour eux-mêmesdes lignes directrices communes » (70), ce mécanisme alternatif n’estpas jugé par l’Union européenne comme « applicable si les droitsfondamentaux ou des choix politiques importants sont en jeu » (71).

La protection de l’intérêt supérieur de l’enfant comme la protectionde la santé publique pourraient être considérées respectivementcomme des droits fondamentaux ou au moins des choix politiquesimportants de nature à écarter l’autorégulation (72). Pourtant, mal-gré l’importance de la matière concernée, la France a choisi la voiedu dispositif fondé sur des engagements volontaires. Il en résulte unécart important entre le contenu de la charte et les résultats escomp-tés en matière de lutte contre l’obésité. Promouvoir des comporte-ments alimentaires sains en maintenant des messages promo-

(64) C. consom., art. L. 120-1 : « Le caractère déloyal d’une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateursvulnérables en raison d’une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s’apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie oudu groupe ».

(65) A. Supiot, L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Seuil, 2010, p. 77.

(66) EU Pledge, Monitoring report 2010 (www.eu-pledge.eu/press.php ?id=).

(67) A. Supiot, op. cit., p. 84.

(68) A. Supiot, op. cit., p. 82.

(69) G. Farjat, Pour un droit économique, PUF, 2004, p. 34.

(70) Définition de l’autorégulation de l’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » (2003/C 321/01), § 22.

(71) Accord interinstitutionnel, op. cit., § 17.

(72) A. Garde, EU Law and Obesity Prevention, Kluwer Law International, 2010, p. 197.

DOSSIER

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tionnels contraires repose sur l’idée que les mécanismes d’informa-tion nutritionnelle sont efficaces. Ces mécanismes reposent cepen-dant sur l’illusion que la lutte contre l’obésité peut relever du seulcalcul d’utilité individuelle. Or cette approche n’est pas applicableaux enfants qui sont particulièrement vulnérables face à la publicité,et surtout elle suppose un accès aux mêmes prix à une offre ali-mentaire équilibrée, ce qui n’est pas le cas actuellement (en est pourpreuve le prix élevé des fruits et légumes). De plus, l’absence desuppression des publicités incriminées dans la charte et les choixciblés d’éviction des écrans enfants dans la EU Pledge, ne sont pasde nature à répondre aux attentes en matière de protection de lasanté des enfants. Les orientations plus contraignantes du droit an-glais montrent en effet que l’autorégulation n’a pas pris en comptela gravité de la situation sanitaire et que l’adoption de mesures ayantforce obligatoire s’impose au niveau national.

B. De la nécessité d’un encadrement législatifde la publicité alimentaire

Pour protéger la santé des jeunes consommateurs et réduire les tauxd’obésité, on pourrait s’attendre à une refonte musclée de l’enca-drement de la publicité alimentaire. Pourtant, après un long pro-cessus de discussion entre les professionnels de l’agroalimentaire,les associations de consommateurs et les autorités publiques, aucuntexte n’a été adopté pour résoudre l’épineuse question de la publi-cité pour les produits particulièrement gras, sucrés ou salés.

La réforme préconisée par le ministère de la Santé et par les repré-sentants des professionnels de santé et des consommateurs se heurtesystématiquement à un argument financier relatif aux pertes de re-cettes pour les chaînes de télévision qu’entraînerait la suppressiond’une partie de la publicité. Face à la menace législative, on rétor-que aisément que la suppression de la publicité aurait des consé-quences désastreuses en termes d’investissement dans la produc-tion audiovisuelle. Pour souligner l’effet de cette suppression sur lesrecettes publicitaires, certains chiffres ont été présentés par la Di-rection du développement des médias lors du séminaire organisépar la Commission européenne le 7 décembre 2009 consacré auxpublicités alimentaires (73). Selon cette étude, les programmes les

plus regardés par les enfants de 4 à 14 ans sont diffusés le soir entre19 heures et 21 heures (en semaine et le dimanche). Dans cetteperspective, si on envisageait une suppression de la publicité pourles produits alimentaires au profil nutritionnel jugé défavorable parles experts du ministère de la Santé aux tranches horaires où lesenfants sont les plus exposés (soit 7 h/8 h 30-12 h/14 h-17 h/19 h),cela entraînerait une diminution des investissements publicitaires de300 millions d’euros brut. Les écrans jeunesse seraient particulière-ment visés car pour la totalité des treize chaînes jeunesse françaises,il y aurait une quasi-disparition des recettes liées aux publicités ali-mentaires (74).

Ces chiffres méritent cependant d’être relativisés et mis en balanceavec ceux du coût de l’obésité. Ils peuvent être discutés car il convientd’envisager les possibilités de substitution (publicités pour les pro-duits de la catégorie « culture et loisirs » et la promotion de produitsalimentaires diététiquement recommandés). Le coût de l’obésité à lasociété est certes difficile à chiffrer avec précision, en raison notam-ment du caractère multifactoriel de l’obésité ; il n’en est pas moinsextrêmement élevé.

En vue de l’adoption du Livre blanc établissant une stratégie euro-péenne pour les problèmes de santé liés à la nutrition, la surchargepondérale et l’obésité de mai 2007 (75), la Commission européennea publié une analyse d’impact dans laquelle elle faisait état des coûtsdirects (76) et indirects (77) de l’obésité (78).

Une étude publiée en 2005 chiffrait notamment ces coûts à 0,3 % duPNB des quinze pays membres de l’Union européenne avant mai2004. L’extrapolation de ces chiffres aux 25 pays alors membres en2005 accroissait ces coûts à 40,5 milliards d’euros par an — chiffrequi atteignait 81 milliards si on prenait en compte non seulement lescoûts de l’obésité mais aussi ceux du surpoids (79).

Au Royaume-Uni, alors qu’elle réfléchissait aux possibilités envisa-geables afin de limiter efficacement la publicité aux enfants, Ofcoma non seulement commissionné des rapports d’experts (80) maiselle a aussi largement consulté les différents groupes concernés surl’adoption éventuelle de restrictions ayant force obligatoire (81). Tou-tes ces contributions sont publiquement accessibles (82) et ont per-mis à Ofcom d’être vraiment en mesure de comprendre les enjeux.

(73) Atelier sur les codes de conduite relatifs aux communications commerciales audiovisuelles concernant les aliments riches en matières grasses, sucres et sel destinés auxenfants, 7 déc. 2009 (http://ec.europa.eu/avpolicy/reg/tvwf/advertising/codes/workshop/index_fr.htm).

(74) http://ec.europa.eu/avpolicy/docs/reg/avmsd/codes_workshop/esquerre.pdf.

(75) COM(2007) 279 final.

(76) Coûts des traitements requis afin d’accueillir les personnes obèses et de les soigner.

(77) Coûts qui incluent les coûts d’une baisse de productivité résultant des chances accrues que les personnes obèses ont d’être en congé maladie et les morts prématuréesauxquelles elles sont exposées. Il convient de noter que ce mode de calcul ne comprend pas les coûts supplémentaires résultant de la nécessité d’adapter nombred’infrastructures pour leur permettre d’accueillir les personnes obèses : chaises médicales renforcées, appareils IRM et sièges dans les transports en communs élargis...

(78) SEC(2007) 706/2.

(79) J. Fry et W. Finlay, « The prevalence and costs of obesity in the EU », in Proceedings of the Nutrition Society, 2005, 64 (3) 359.

(80) Cf. ci-dessus.

(81) Une première consultation a eu lieu en mars 2006 ; elle a suscité 1 097 réponses. Suite à la publication d’une analyse d’impact fondée sur des chiffres alors très récents(2005), Ofcom a ouvert une deuxième période de consultation (mai-juin 2006) afin de permettre aux parties intéressées de lui faire part de leurs réactions : pour davantaged’information, v. http://stakeholders.ofcom.org.uk/consultations/foodads_new/summary.

(82) V. le site d’Ofcom, à la rubrique « Consultations » : http://stakeholders.ofcom.org.uk/consultations/?a=0.

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Pour clore ce processus, Ofcom a publié une déclaration expliquantcomment elle avait tenu compte des différents intérêts en présenceet les avaient mis en balance, et pourquoi elle estimait que les res-trictions publicitaires que nous avons décrites ci-dessus étaient par-faitement conformes au principe de proportionnalité (83). Ofcom acertes reconnu le rôle de la publicité dans le financement de nom-bres de programmes de télévision et a évalué la perte de revenusannuels de l’ensemble des chaînes concernées par l’interdictionqu’elle proposait alors d’adopter à £ 22,6 millions. Toutefois, elle aaussi rappelé le rôle que la publicité joue dans l’épidémie d’obésité(elle-même très coûteuse à la société britannique) (84), en faisantnotamment remarquer qu’en dépit de variations dans les estima-tions selon les études, ce rôle pouvait compter pour 2 % dans leschoix alimentaires et que, même si ce pourcentage pouvait paraîtrerelativement faible en termes statistiques, une réduction de la pu-blicité était susceptible, à terme, de réduire de manière significativele nombre d’enfants entrant dans la catégorie des obèses. Ofcom aexplicitement mentionné l’obligation qui lui incombait en tantqu’autorité publique d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant, confor-mément aux exigences de l’article 3(1) de la convention des NationsUnies sur les droits de l’enfant. Force est de constater que cetteanalyse est nettement plus élaborée que celle mise en œuvre à cejour par le CSA, qui semble se contenter de se faire le porte-paroledes acteurs de l’industrie audiovisuelle et de l’industrie agro-alimentaire. Elle nécessite toutefois une réelle volonté de rechercherun équilibre entre des intérêts opposés et de mettre en œuvre unprocessus extensif et transparent de consultation publique (85).

Conclusion

Le 21 mai dernier, le jour où le président de la République annon-çait la mise en place d’un plan triennal de renforcement de la luttecontre l’obésité en France, la soixante-troisième assemblée mon-diale de la santé adoptait à l’unanimité de ses 193 membres une

résolution relative à la commercialisation des aliments et des bois-sons non alcoolisées destinés aux enfants (86). Cette résolution estaccompagnée d’un ensemble de recommandations appelant les Étatsmembres à réduire les effets sur les enfants de la commercialisationd’aliments à haute teneur en graisses saturées, en acides gras trans,en sucres libres ou en sel (87), et qui soulignent que, dans la mesureoù la commercialisation est fonction à la fois de l’exposition auxmessages et de leur force, l’objectif global des politiques devrait êtrede réduire à la fois l’exposition des enfants et la force des messagescommerciaux en faveur des aliments visés (88).

Les recommandations soulignent également que, pour atteindre lesbuts et objectifs qu’elles fixent, les États membres devraient adopterdes approches aussi globales que possible, consistant à limiter touteforme de commercialisation auprès des enfants des aliments en ques-tion (89). Les recommandations distinguent trois étapes principalesdu processus politique : le processus d’élaboration (90), le proces-sus de mise en œuvre (91) et le processus de surveillance et d’éva-luation (92). Elles appellent aussi les États à soutenir la recherchesur l’étendue, la nature et les effets de la commercialisation d’ali-ments destinés aux enfants (93).

Deux points méritent d’être soulignés. D’une part, les recomman-dations énoncent que les gouvernements devraient adopter des dé-finitions claires pour les principaux éléments de la politique, com-prenant notamment le groupe d’âge auquel les restrictions vont s’ap-pliquer, les moyens de communication utilisés, les cadres et tech-niques de commercialisation ciblant plus particulièrement les en-fants, ainsi que les aliments qui seront couverts par les restrictionsde la commercialisation.

Comme nous l’avons souligné tout au long de cette contribution, ilconvient d’adopter des définitions suffisamment larges, conformesnon seulement à la lettre mais aussi à l’esprit des recommanda-tions (94). D’autre part, les recommandations insistent sur le fait que,si la coopération des États avec la société civile et avec les acteurs

(83) http://stakeholders.ofcom.org.uk/consultations/foodads_new/summary.

(84) Le rapport Foresight estimait qu’en 2007, les maladies causées par un indice de masse corporelle élevé coûtaient chaque année £ 7,4 milliards au système de santébritannique, dont £ 4,2 milliards seraient attribuables exclusivement à l’obésité et au surpoids. Cf. Foresight Project Report, « Tackling Obesities : Future Choices » : London,Government Office for Science, October 2007, p. 40 (www.bis.gov.uk/foresight/our-work/projects/published-projects/tackling-obesities).

(85) L’augmentation de l’abonnement aux chaînes payantes (en justifiant ce surcoût par les bienfaits d’une limitation de la publicité pour la santé des enfants) pourrait aussicompenser les pertes publicitaires envisagées. On pourrait également considérer le modèle anglais ou une redevance annuelle de £ 140 par foyer équipé d’une télévision permetde financer les programmes de la BBC en y interdisant toute publicité, offrant des avantages d’indépendance lui permettant de contribuer pleinement, et souvent même d’initier,nombre de débats d’intérêt public et d’offrir des programmes éducatifs d’une qualité exemplaire.

(86) Résolution WHA63.14. Le texte de cette résolution, les recommandations qui l’accompagnent et d’autres documents relatifs à l’action de l’OMS en matière de publicitéalimentaire aux enfants sont disponibles à l’adresse suivante : www.who.int/dietphysicalactivity/publications/recsmarketing/en/index.html.

(87) Recomm. 1.

(88) Recomm. 2.

(89) Recomm. 3. Toutefois, si cette approche n’est pas encore envisageable, les États peuvent commencer par procéder par étapes.

(90) Recomm. 3 à 6.

(91) Recomm. 7 à 9.

(92) Recomm. 10 et 11.

(93) Recomm. 12.

(94) La notion même de « commercialisation » est définie comme « toute forme de communication commerciale ou de message commercial conçu dans le but ou ayant poureffet d’accroître la reconnaissance, l’attrait et/ou la consommation de produits ou de services particuliers. La commercialisation comprend toutes les méthodes de publicité oude promotion en faveur d’un produit ou d’un service » (§ 12, note 1).

DOSSIER

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publics et privés à la mise en œuvre de l’ensemble des recomman-dations sur la commercialisation de tels produits aux enfants afin deréduire les effets de cette commercialisation, il revient aux États d’évi-ter tout conflit d’intérêts. Ainsi, elles insistent sur le rôle central queles gouvernements se doivent d’assumer dans l’élaboration de lapolitique et dans le pilotage de sa mise en œuvre, sa surveillance etson évaluation : « Lorsqu’ils fixent le cadre de la politique nationale,les gouvernements peuvent choisir d’attribuer des rôles bien définisà d’autres acteurs tout en protégeant l’intérêt public et en évitant lesconflits d’intérêts » (95).

Il ne s’agit donc en aucun cas de déléguer à des acteurs privés ladéfinition des composantes essentielles de la politique à adopter.Ce n’est que dans un cadre réglementaire que les acteurs privéspourront se voir attribuer des rôles spécifiques dans le processus demise en œuvre et/ou de surveillance et d’évaluation, leur permet-tant de contribuer aux objectifs fixés par les gouvernements confor-

mément à leurs engagements internationaux. L’approche d’auto-régulation n’est pas satisfaisante. Les recommandations le recon-naissent implicitement.

Nous souhaitons donc que, si le changement a peu de chance devenir des instances de l’Union européenne, il vienne de l’OMS —une organisation ayant la crédibilité requise pour inciter les États àrevoir leurs politiques afin d’assurer une meilleure protection del’intérêt supérieur de l’enfant et, par là-même, de l’intérêt public.

Les pouvoirs publics français ont une longue route à parcourir enmatière de réglementation de la publicité alimentaire aux enfants. Sou-haitons, toutefois, qu’ils sachent s’inspirer de l’exemple britannique.

Marine FRIANT-PERROTMaître de conférences à l’université de Nantes

Amandine GARDESenior Lecturer à l’université de Durham

(95) Recomm. 6.

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