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Enseigner et apprendre.
Contraintes et perspectives communes
Patrick Rayou
Les Amphis de l'ASH
25 mars 2015
Handicap, difficulté, échec... Une approche relationnelle
1. Apprendre à l'école
2. De possibles malentendus
3. Enseigner aujourd'hui
4. Mettre les élèves au travail
Conclusion
1. Apprendre à l'école
Forme scolaire, transpositions et contrats didactiques
Des registres pour apprendre
2. De possibles malentendus
La prise en compte de l'expérience des élèves
L'autorité et l'arbitraire
Jeunes et élèves
3. Enseigner aujourd'hui
L'identité professionnelle
La resocialisation professionnelle, le métier d'élève, les stratégies de survie.
4. Mettre les élèves au travail
Comportements et apprentissages. Entrées en classe et passages à risques.
Conclusion
La forme scolaire
« Mode de socialisation caractérisé par une relation inédite -pédagogique- entre
un maître, ses élèves et des savoirs au sein d'un espace et un temps spécifiques,
codifiés par un système de règles impersonnelles ».
Vincent, G., Lahire, B. et Thin, D.,
« Sur l'histoire et la théorie de la forme scolaire» in L'éducation prisonnière de la
forme scolaire ? Lyon, PUL 1994, 11-48.
1. Apprendre à l'école Forme scolaire, transpositions et contrats didactiques
Il faut dire oui monsieur. Il faut entrer en silence dans la classe, sortir ses affaires,
répondre présent à l'appel de son nom, de manière audible, attendre que M. Marin
donne le signal pour se lever quand retentit la sonnerie, ne pas balancer les pieds
sous sa chaise, ne pas regarder son portable pendant les cours, ni jeter un œil à la
pendule de la salle, ne pas faire des tortillons avec ses cheveux, ne pas faire de
messes basses avec son voisin ou sa voisine, ne pas avoir les fesses à l'air, ni le
nombril, il faut lever le doigt pour prendre la parole, avoir les épaules couvertes
même s'il fait 40°, ne pas mâchonner son stylo et encore moins du chewing-gum.
Et j'en passe.
Delphine de Vigan, No et moi. J.-C. Lattès, 2007.
Les transpositions didactiques
Phénomène qui caractérise la transformation adaptative des
savoirs pour qu'ils puissent « vivre » ailleurs que dans les
pratiques initiales de production des savoirs. M.-L. Schubauer-Leoni, Article « Didactique » in Dictionnaire de l'éducation,
A. van Zanten (dir.). Paris, PUF, 2008. 129-133.
Ce phénomène concerne également les pratiques sociales
de référence. J.-L. Martinand, (1989) « Pratiques de référence, transposition didactique et savoirs
professionnels en sciences techniques ». Les sciences de l’éducation, pour l’ère
nouvelle, n° 2. pp. 23-29.
Les contrats didactiques Ensemble des régulations et de leurs effets, reconstruits à partir des interactions entre enseignants et élèves, issus de la situation et liés aux objets de savoirs disciplinaires mis en jeu dans cette situation. Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, Y.Reuter (éd.), Bruxelles, De Boeck, 2010. p. 59
1. Apprendre à l'école
Une pluralité d'interprétations possibles
Calculer le coût de la peinture pour repeindre une pièce dont on a les
mesures, les dimensions des fenêtres. On connaît par ailleurs le
pouvoir couvrant de la peinture, les prix selon les quantités achetées.
La plupart des élèves (équivalent de CM1 et CM2) tente de calculer
l'aire, puis la quantité de peinture nécessaire, puis le prix.
Une partie non négligeable déclare que le mieux serait d'acheter un
pot de peinture de 5l pour commencer puis, éventuellement, de
retourner au magasin pour compléter. Bernard Rey, La notion de compétence en éducation et formation, 2014,
Bruxelles, De Boeck. 51-52.
1.Apprendre à l'école
Des registres pour apprendre
Scolaire. Ce registre est lui-même l’intersection de trois autres registres qui l’excèdent.
Le premier est cognitif. Il relève de fonctions intellectuelles qui peuvent être extérieures ou non au champ scolaire et didactisées ou non.
L'élève idéal est méthodique
Le deuxième, culturel, est fait de savoirs scolaires et non scolaires jugés légitimes.
Le troisième, l'identité symbolique, est lié à ce que l'accès à un savoir requiert et construit un certain type d'identité personnelle et relie à une communauté pour laquelle il vaut.
2. De possibles malentendus
Les malentendus sociocognitifs Bautier E. & Rochex J.-Y. (2007). « Apprendre : des malentendus qui font la différence ».
In J. Deauvieau. & J.-P. Terrail éds. Les sociologues, l'école et la transmission des savoirs.
Paris : La Dispute. 227-241.
Des chevauchements de logiques
2. De possibles malentendus Bernard Lahire, La raison scolaire, PUR, 2008 118, sq.
La prise en compte de l'expérience des élèves « Raconte un moment agréable ou désagréable de tes vacances. »
« Je suis partis a cublisses [petit village situé dans la Loire] j'étais
avec mes sœur Ma mère mon père. Une fois, ma mère ma acheté
un ballon de plage alors je lui et dis mercie. ma petite soeur a apris
a marché a la bas j'étais contente. et je la faisais marcher un jour
j'ai était a la plage me baigné. Un jour ma mère m'avais engeler
parce que j'avais était a la plage. une fois j'ai fais le tour du lac en
vélo avec ma copine. puis j'ai ramassé des fleurs a ma mère elle
me disa merci pour faire le tour du lac il faut 1 h edemie. Alors je
suis arrivé pour mangé. j'avais emener mes patin a roulette ma
mère m'avais acheté des bonbon je est dis mercie- puis le soir je
me coucher a 10 h on n'avait la télé » (CM1, Père : ouvrier, Mère : sans profession)
« Je suis allé au lac de M'sila, je me suis benier. Je suis allé au
jardin d'enfants et chez ma grand mère je suis allé au couche
de la ville de s'étif. J'ai fait de la moto avec mon cousin. Avec
ma cousine chefillé on n'est allé ramassé de fleurs. Un jour j'ai
vu une petite chatte qui avait son bébé. Je suis allé acheter du
pain pour ma mère. Je suis entrer dans une école selle de ma
cousine, les vitre son cassé la cour est petite, il n'y a pas d'arbre,
il travaille sur les balcon. tout les apprémidi on fait la siestte.
ma petite soeur Ramel allé toujour chez mes cousin » (CM1, Père : ouvrier, Mère : sans profession)
2. De possibles malentendus Stéphane Bonnery, « Décrochage cognitif et décrochage scolaire »
in La déscolarisation, (Glasman D. et Oeuvrard F. dir.), Paris, La Dispute 2004.
L'autorité et l'arbitraire En CM2 Bassekou était vu par son enseignante comme ayant des difficultés
multiples, notamment de compréhension, mais comme étant de bonne volonté
quand il était valorisé et encouragé. En primaire il n'avais pas l'impression de
connaître des difficultés, il n'a redoublé « que » le CP. Ce n'est qu'en 6e qu'elles
lui sont dévoilées. Les exemples suivants, faisant référence à des situations
d'enseignement développées dans le chapitre précédent, correspondent à cette
première année de collège. Au cours de celle-ci, Bassekou voit les problèmes
s'accumuler. Le dévoilement du décrochage cognitif comme les difficultés
d'inscription dans la classe en tant qu'élève conduisent à ce qu'il soit «déscolarisé
dans l'école», qu'il cesse de se mobiliser sur le travail scolaire : devant chaque tâche
il regarde s'il va pouvoir répondre ou si, encore une fois, il s'agit d'un exercice
impossible à réaliser. Dans ce dernier cas, de plus en plus fréquent, il arrête de
travailler. Devant cette situation de crispation dans la plupart des disciplines, le
conseil de classe de fin de 6e ne voit pas en quoi un redoublement sera profitable à
Bassekou : il passe en 5e où les mêmes difficultés se représentent et où le processus
de décrochage de l'ensemble de la scolarité va croissant.
« Au début elle nous dit de compléter un tableau et avant de le
compléter, elle nous dit les prénoms des animaux et tout ça, pour voir
s'ils ont des os, ils sont invertébrés...invertébrés et tout ça. Ben après
y'a des...y'a, y'a plein de... on est en train de parler et tout ça , ben
après...après elle arrête les diapositives, après on lui demande ça
veut dire quoi une seiche j'sais pas quoi là [...]. Après elle nous
explique pas, bon après moi j'ai rien mis, j'ai rien mis, sur le truc,
le tableau de la seiche parce que j'savais pas c'que c'était [...]. Non,
qu'est-ce que c'est comme..., elle nous l'a pas montré, parce qu'on
sait pas, pour voir s'il...s'il a des os ou il en a pas [...]. Ou il a des
arrêtes, peut-être si c'est un poisson [...]. Y avait des abeilles, tout ça...
Y'avait la grenouille, mais ça je comprenais pas. Je crois c'est heu...
inverté...invertébrée ? Mais ça j'ai pas compris.
-Pourquoi ?
-Parce que, j'sais pas si c'est invertébrés ou vertébrés... On l'avait pas vu. [...]
Quand on a envie de parler on doit lever la main et quand y'a le dernier
contrôle, on lui pose des questions pour lui dire des mots qu'on prend pas,
elle dit non, tout ça. C'est un contrôle. »
«Le prince...bon le prince, on l'avait vu en classe, même si c'est pas la même
histoire on l'a vu, le prince c'est dans le tableau des «héros» il faut l'écrire,
Monsieur D. il l'a dit. [Malheureusement pour Bassekou, dans le conte qui
donne lieu au contrôle, le prince n'est pas le héros de l'histoire, contrairement
à l'un des exemples vu en classe] Mais après, les autres on les avait pas vus,
moi « la quête » j'sais pas c'est quoi, « la quête », ça c'est pas le même.
Quand on l'a vu, c'est facile, mais quand on l'a pas vu, on peut pas savoir la
réponse qu'elle est bonne.
-Et à ton avis, les élèves qui ont su le faire, comment ils ont fait ?
-Ben ils connaissaient, peut-être ils la connaissaient l'histoire, peut-être ils
savaient c'est quoi les réponses [...]
Dans le conte que vous aviez vu en classe avant le contrôle, comment tu
avais su que le héros c'était le prince ?
-C'est Monsieur D., C'est lui il a dit le prince c'est le héros.
-Mais pourquoi il a dit ça ?
-J'sais pas, c'est lui le prof. C'est lui il dit les bonnes réponses. »
2. De possibles malentendus
Jeunes et élèves
Jihane (TL, A.Blanqui), “C’est le prof qui nous dit de pas mettre des trucs
personnels. Donc moi j’essaie de les mettre en prenant
d’autres exemples : un juge, un avocat ou un truc…
Un médecin. Mais pour mettre…“ moi, personnellement ”,
on n’a pas le droit. »
3. Enseigner aujourd'hui
L'identité professionnelle
Une tension entre :
L'identité biographique
ou l'identité pour Soi, ou l'identité générique
L'identité relationnelle
ou identité pour Autrui ou identité prédicative
C. Dubar, 1998, La socialisation, Construction des identités sociales
et professionnelles,Paris : Armand Colin.
3. Enseigner aujourd'hui
La resocialisation professionnelle Je me souviens de mes débuts d'enseignant. CRDP Créteil, 2003
«Entre mes rentrées d’élève et mes rentrées de professeur, c’est la
même continuité qui l’emporte, aucune “première classe” ne se
détache”. Mes débuts ne firent pas événement dans ma vie comme
ils l'auraient dû. (…) Enseigner, c'était plus une logique qu'un choix.
Élève heureuse, je vivais dans un tissu solide d'équivalences : le
savoir était le pouvoir, garantie de l'égalité (tout le monde y avait
accès) et d'une démocratie éclairée par l'étude. Les plus travailleurs,
les plus acharnés iraient le plus loin : ils écriraient comme Jules
Verne, Camus, Sartre ou bien comme Voltaire ou Zola, car écrire
faisait se rencontrer justice et raison, style et savoir, République et
Révolution » Jeanine Rovet, stage d'agrégation en 1967
3. Enseigner aujourd'hui
« J’ai appris que j’étais ici vers les 15, 20 juin.
Dans l’heure qui a suivi, j’ai appelé, parce que j’étais un
peu paniquée d’être là. Donc, j’ai appelé et je pense que
j’ai eu la dame qui est dans la loge, qui m’a complètement
paniquée en me disant : “Ma pauvre ! Qu’est-ce que vous
venez faire là ? C’est une catastrophe, y a le feu dans la
cité !” Ça brûlait en face justement à ce moment-là, donc
le premier contact a été terrible » .
Anaïs, 25 ans, certifiée de Mathématiques, PEP4 à Grieg
3. Enseigner aujourd'hui
Du métier d'élève aux stratégies de survie.
Si on envisage un moment la situation de l’enseignant dans la situation la
plus obsidionale, très engagé, mais devant affronter un certain nombre de
classes difficiles, on peut concevoir son problème comme une crise où
peuvent être remis en question tous les fondements de son engagement.
Les investissements et les sacrifices qu’il a faits, les paris incidents qu’il a
pris, tout cela est en danger. Il fait face à une faillite professionnelle. C’est,
en peu de mots, un problème de survie. Ce qui est en jeu ce ne sont pas
seulement sa santé physique, mentale et nerveuse et son bien-être, mais
c’est aussi la poursuite de sa vie professionnelle, ses perspectives d’avenir,
son identité professionnelle, sa façon de vivre, son statut, son estime de soi,
tout cela qui est le produit d’un processus cumulatif d’investissement.
P.Woods (1977). « Les stratégies de survie des enseignants ». In J.-C. Forquin (1997).
Les sociologues de l’éducation américains et britanniques. De Boeck : Bruxelles-Paris
4.Mettre les élèves au travail
Bien se comporter pour apprendre ou apprendre pour bien se comporter ?
Entrées en classe et passages à risques
«Des épisodes (comme l’entrée en cours, le signalement des absents, la canalisation de
l’activité liée au travail de groupe, le passage de la langue maternelle à une langue
étrangère, l’interrogation d’un élève et celle de l’ensemble de la classe) mais qui ont tous
en commun d’être des passages au cours desquels la maîtrise de la classe est en jeu.
Le contrôle s’y relâche parce qu’on ne peut être partout à la fois. L’adhésion des élèves,
souvent difficilement conquise est à recréer pour passer à autre chose. Ce qui ne peut être
traité que dans le cadre de chaque classe pose cependant des problèmes génériques
auxquels donne accès l’effort conjoint de recherche. Il s’agit en fait, pour chaque
enseignant d’instaurer la « forme scolaire » (Vincent, 1994) dans un univers où les élèves
ont du mal à comprendre et à admettre les contraintes propres à la scolarisation. Vivant
simultanément dans plusieurs mondes, celui du collège certes, mais aussi celui des
copains et de la cité, ils admettent mal de se donner à des temps et à des espaces qui ne
font pas partie de leur univers. Les résistances qu’ils opposent alors en n’ôtant pas leurs
manteaux, en ne « s’y mettant » jamais au moment où on le souhaiterait fabriquent ces
passages à risque que les enseignants éprouvent souvent comme s’ils étaient seuls à les
connaître et à ne pas savoir les traverser avec succès ». Rayou, P. & Ria, L. (2008). « Sociologie et ergonomie cognitive au miroir des situations éducatives : le cas de
l’entrée dans le métier des enseignants du 2nd degré ». Recherches et éducations, n°1. 105-119.
4.Mettre les élèves au travail
http://neo.ens-lyon.fr/neopass/index.php
Conclusion
Des passages à risques pour tous
Le paradoxe d'élèves qui veulent apprendre et d'enseignants qui veulent enseigner
Un ancrage dans les processus d'apprentissage
Au-delà des postures et des statuts
Vers des collectifs professionnels
« Faire parler le métier »
Bibliographie
Bautier, E. & Rayou, P. (2013), Les inégalités d'apprentissage. Programmes,
pratiques et malentendus scolaires, Paris, PUF.
Dubar, C. (1998), La socialisation, Construction des identités sociales et
professionnelles, Paris, Armand Colin.
Gelin, D., Rayou, P. & Ria, L. (2007), Devenir enseignant. Parcours et formation.
Paris, Armand Colin .
Lahire, B. (2008), La raison scolaire, Rennes, PUR.
Reuter, Y. (2010), Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, (éd.),
Bruxelles, De Boeck.
Rey, B. (2014), La notion de compétence en éducation et formation. E,jeux et
problèmes. Bruxelles, De Boeck.
Vincent, G., Lahire, B. & Thin, D., (1994). « Sur l'histoire et la théorie de la forme
scolaire» in L'éducation prisonnière de la forme scolaire ? Lyon, PUL.
Woods, P. (1977). « Les stratégies de survie des enseignants » . In J.-C. Forquin
(1997). Les sociologues de l’éducation américains et britanniques. De Boeck,
Bruxelles-Paris.