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bibliolycée Pauca meæ (Livre IV des Contemplations) Victor Hugo Livret pédagogique correspondant au livre de l’élève n° 73 établi par Véronique BRÉMOND BORTOLI, agrégée de Lettres classiques, professeur au CNED

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bibliolycée

Pauca meæ (Livre IV des Contemplations)

Victor Hugo

L i v r e t p é d a g o g i q u e

correspondant au livre de l’élève n° 73

établi par Véronique BRÉMOND BORTOLI,

agrégée de Lettres classiques, professeur au CNED

Sommaire – 2

S O M M A I R E

B I L A N D E L E C T U R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3  

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5  

Poème IV (p. 24) ...................................................................................................................................................................................... 5  Poème V (p. 28) ....................................................................................................................................................................................... 6  Poème XIII (pp. 47-48) ............................................................................................................................................................................. 9  

Poème XIV (p. 53) .................................................................................................................................................................................. 11  Poème XV (pp. 56 à 62) .......................................................................................................................................................................... 14  

S U J E T S D ’ É C R I T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 7  

Sujet 1 (pp. 106 à 110) ........................................................................................................................................................................... 17  Sujet 2 (pp. 110 à 115) ........................................................................................................................................................................... 21  

C O R P U S S U P P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 6  

C O R R I G É D U C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 0  

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E E T P I S T E S P É D A G O G I Q U E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 5  

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2016. 58, rue Jean Bleuzen, CS 70007, 92178 Vanves Cedex. www.biblio-hachette.com

Pauca meæ – 3

B I L A N D E L E C T U R E

1. Que signifie le titre du Livre IV « Pauca meæ » ?

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2. Quel événement constitue le centre de ce livre ?

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3. Qui est Charles Vacquerie ?

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4. À partir du poème III, quel est le premier poème où Victor Hugo s’adresse directement à sa fille ?

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5. Où est enterrée Léopoldine ?

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6. De quelle évolution psychologique et morale le poète rend-il compte dans « Pauca meæ » ?

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7. Citez les deux poèmes qui ont un titre latin.

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8. Qu’évoquent les poèmes centraux (V, VI, VII et IX) ?

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9. À quoi correspondent les dates à la fin des poèmes ?

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10. Comment apparaît Léopoldine dans le dernier poème ?

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Bilan de lecture – 4

◆ Corrigé du questionnaire de lecture 1. Littéralement, l’expression pauca meæ signifie « peu de choses pour la mienne », que l’on peut

comprendre comme « quelques mots pour ma fille » ; mais ces deux termes peuvent aussi être traduits par « peu de choses de la mienne », c’est-à-dire « le peu de choses qui restent de ma fille ».

2. C’est la disparition de Léopoldine, morte noyée le 4 septembre 1843, qui constitue le centre du livre.

3. Charles Vacquerie est le mari de Léopoldine.

4. C’est dans « Demain, dès l’aube… » que Hugo s’adresse directement à sa fille pour la première fois.

5. Léopoldine est enterrée à Villequier, près de l’endroit où elle s’est noyée, où les Vacquerie possédaient une maison.

6. Dans « Pauca meæ », le poète passe de la révolte face à la mort à un apaisement et une certaine acceptation.

7. Les deux poèmes qui ont un titre latin sont « Veni, vidi, vixi » (XIII) et « Mors » (XVI).

8. Les poèmes centraux (V, VI, VII et IX) évoquent les moments heureux de l’enfance de Léopoldine.

9. Les dates à la fin des poèmes sont souvent fictives et ne correspondent pas à celles indiquées sur le manuscrit. Elles créent une autre chronologie, d’ordre psychologique, spirituel et poétique.

10. Dans le dernier poème, Léopoldine apparaît transfigurée en esprit, en ange ou en étoile.

Pauca meæ – 5

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

P o è m e I V ( p . 2 4 )

LE SOUVENIR BRÛLANT DE LA SOUFFRANCE VÉCUE u Il s’agit de la date anniversaire de la mort de Léopoldine : c’est donc le moment où le poète se remémore et revit le décès de sa fille. On peut remarquer également que c’est le premier anniversaire où il n’est pas en France : le souvenir doit être, pour lui, encore plus poignant. v Les temps dominants sont le passé simple et l’imparfait, qui ancrent le poème dans le passé. Le premier exprime l’irruption brutale du malheur (« fus », « pleurai »), le second la répétition obsessionnelle des attitudes, gestes ou états d’âme (« je voulais me briser le front », « je me révoltais », « je fixais », « il me semblait »), comme des pulsions qui s’emparent du poète et ne le lâchent pas. Les temps sont ceux du récit au passé, qui devraient mettre à distance ce « premier moment » où Hugo a appris la mort de sa fille. Mais le poème se présente comme un discours, par la présence forte du « je », l’adresse directe au lecteur (« Vous tous »), et les interjections (« Oh ! », « Hélas ! »). On sent donc, ici, une tentative désespérée pour se détacher de ce passé qui revient pourtant de façon obsessionnelle et semble envahir le présent, en particulier dans les 4 derniers vers séparés par un blanc, où le discours rapporté (au discours direct) se confond avec le présent du locuteur. w On relève, dans ce poème, un grand nombre de points d’exclamation qui expriment la violence des sentiments. Les interjections prennent le pas sur le discours construit car on se situe dans l’indicible. Les questions rhétoriques soulignent le désarroi et l’angoisse du poète qui ne pourra pas obtenir de réponse. Dans les 4 vers de la fin, les phrases entrecoupées montrent le bouleversement du poète, envahi par l’émotion qui semble l’empêcher de construire des phrases cohérentes. Cette ponctuation affective montre à quel point le souvenir est encore vivant chez lui.

L’EXPRESSION LYRIQUE DE LA SOUFFRANCE x Champ lexical de la souffrance : « Hélas » (en tête de vers), « pleurai », « souffert […] souffrance » (répétition redondante + place à la rime), « terrible » / « horrible » (à la rime), « malheurs », « désespoir », « affreux ». On peut remarquer que ce vocabulaire est très fort et souvent mis en valeur. y Léopoldine n’est jamais nommée : elle est désignée par la périphrase « votre chère espérance » ou par le pronom « elle ». On peut penser que le poète ne peut pas prononcer son nom ou que son cœur est tellement plein de sa présence qu’il n’a pas besoin de la nommer. U La mort est désignée d’abord par ces deux expressions : « cette chose horrible », « ces malheurs sans nom » ; dans les deux cas, on note un vocabulaire fort (« horrible », « malheurs ») et surtout l’idée que la mort ne peut être nommée, qu’on ne peut pas en parler – d’où l’emploi du mot « chose » et de l’expression « sans nom ». L’expression « un affreux rêve » renforce l’impression que cette mort n’est, pour le père, qu’un cauchemar auquel il ne peut pas croire. Dans ces trois expressions, la mort est présentée comme intolérable pour le poète et pour tout homme. Elles favorisent l’empathie et la compassion chez le lecteur, par l’emploi d’un vocabulaire simple et très fort qui lui permet de rejoindre l’expérience de l’auteur. À noter que le terme « morte » n’apparaît qu’en fin de première partie, nié par le terme « impossible » et comme effacé par la rime « porte » qui présente la défunte comme vivante et toujours présente. V Dans ces vers, Hugo s’adresse directement (pronom « vous » + question) aux lecteurs qui ont pu vivre la même expérience que lui. Ce passage renforce le pathétique car le lecteur se sent interpellé directement et touché par l’évocation directe du lien affectif (« pères, mères »). La double répétition (« souffert »/« souffrance », « éprouvai »/« avez-vous éprouvé ») et le parallélisme des pronoms (« je »/« vous ») insistent sur la communion dans l’expérience. Cette idée rejoint la dimension universelle du lyrisme revendiquée par Hugo dans la préface : « Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! »

Réponses aux questions – 6

LE POÈTE ENTRE RÉVOLTE ET FOLIE W Champ lexical de la révolte : « révoltai », « Non ! » (à la rime), « elle ne pouvait pas », « c’était impossible ». Le poète exprime son refus de croire au décès de sa fille par les formules négatives (v. 9, 13), la question rhétorique (v. 10-11) et l’emploi du mot « rêve ». X Le poème n’obéit pas à une structure claire en strophes : les 4 derniers vers sont isolés par un blanc et créent un effet de rupture, voire d’incohérence. On relève trois irruptions brutales du discours direct dans le récit : – v. 3 à 5, sans verbe introducteur et s’adressant au lecteur ; – v. 9 à 11, sans interlocuteur précis ; – v. 17 à 20, où l’interlocuteur, à la 2e personne du pluriel, n’est pas précisé : s’agit-il de ses proches ? En outre, cet emploi du discours direct où le poète semble s’adresser à lui-même (v. 9 à 11) peut donner l’impression d’une sorte de dédoublement. Les phrases sont souvent juxtaposées (l’exemple le plus frappant se situe dans les derniers vers) ou procèdent par accumulation de « et » (v. 7 à 9) ou de « que » (v. 12 à 16). Idées et sentiments semblent se succéder sans progression logique : les 4 derniers vers en particulier reprennent les vers précédents (verbes de perception, « porte »/« clé », « chambre »/« maison »…). Cette structure exprime le bouleversement et l’incohérence qui s’emparent du poète, l’accumulation de sentiments qui se succèdent rapidement. L’absence de progression logique ou rationnelle souligne la répétition obsessionnelle de ses souvenirs. at L’hallucination qui s’empare du poète se manifeste dans toute la fin du texte (ce qui suggère qu’elle perdure ?). Dans les vers 12 à 16, elle est introduite par le verbe modalisateur « il me semblait que » et, dans les vers 17 à 20, elle s’exprime par le discours direct. Elle est aussi suggérée par le vocabulaire de la perception : « je l’entendais », « la voir », « le bruit », « j’écoute ». La précision des lieux fait croire encore plus à la présence de Léopoldine : « la chambre à côté », « cette porte », « la clé », « dans la maison ». Les déictiques (« cette », « à côté ») rendent sa présence vraiment perceptible, de même que le présent qui domine dans les derniers vers : « elle vient », « elle est ». Dans le discours direct, le poète s’adresse à ses proches, mais aussi au lecteur, qui se trouve donc pris, lui aussi, dans cette hallucination, d’autant plus qu’il est sollicité fortement par les impératifs qui dramatisent encore la scène. ak Suggestion pour l’organisation de son commentaire :

I. Un texte émouvant par l’expression lyrique de la souffrance : a) Vocabulaire et ponctuation très forts (réponses aux questions 3, 4, 6). b) Adresse directe au lecteur (réponse à la question 7). c) Révolte et refus de croire à la mort de sa fille (réponse à la question 8).

II. Un texte émouvant par la permanence du souvenir : a) Poème anniversaire (réponse à la question 1). b) Un souvenir toujours présent (réponses aux questions 2, 5). c) Un souvenir obsessionnel qui aboutit à l’hallucination (réponses aux questions 9, 10).

P o è m e V ( p . 2 8 )

LE SOUVENIR DE LÉOPOLDINE u L’imparfait, qui domine dans ce texte, exprime la répétition dans le passé : il s’agit, pour le poète, d’évoquer un rite intime et quotidien, le « pli » entre le père et sa fille. Il sert aussi à établir le portrait de Léopoldine (« elle aimait », « c’était », « reflétait »…). v Le poème évoque des lieux assez précis : d’abord la « chambre » et le « lit » de Victor Hugo, avec différents objets (« plume », « livres », « papiers », « manuscrits », « page blanche ») ; c’est le lieu intime de la création poétique, où Hugo se montre à la fois père et écrivain. Ce sont le lieu et le moment les plus longuement décrits (13 vers, c’est-à-dire la moitié du poème).

Pauca meæ – 7

Un autre lieu est évoqué aux vers 18 à 21 : « au coin du feu », avec les enfants, leur mère et des amis. Il s’agit, cette fois, du foyer familial, autre lieu intime mais plus ouvert. Ces deux lieux sont en opposition avec le « bal », lieu de foule et de sociabilité fréquenté par Hugo. Mais il se trouve, en quelque sorte, nié puisqu’il n’est pas partagé entre la fille et son père. Ces lieux clos suggèrent une atmosphère intime, protectrice, liée au bonheur familial, à l’amour conjugal, paternel et amical, à la création littéraire. Les termes « groupés », « tout près » évoquent l’unité et la chaleur de la famille. Ils paraissent donc loin de tout malheur ; la mort semble ne pas pouvoir y pénétrer. Hugo évoque des moments lumineux : le matin ou les « soirs » qui sont paradoxalement qualifiés de « radieux ». Les temps évoqués sont, en revanche, assez peu précis : « en son âge enfantin » ; « que de soirs d’hiver ». Ils sont tous liés à la petite enfance (les enfants sont encore sur les genoux). w Mots et expressions se rapportant à Léopoldine : – vivacité et gaieté de l’enfant : légèreté et liberté de « l’oiseau », « riait », « dérangeait », « arabesque folle » ; – familiarité tendre et affectueuse du discours direct : « Bonjour, mon petit père » ; – pureté et innocence : image lumineuse du « rayon », symbolisme du « matin » ; Léopoldine semble empreinte d’une sorte de transparence spirituelle, comme l’expriment certaines expressions (« elle aimait Dieu », « c’était un esprit », « la clarté de son âme ») ; – être d’amour : amour de la nature (les fleurs, les astres, les prés verts) ; amour des hommes et, en particulier, de sa famille et de son père. On retrouve d’ailleurs, ici, les mêmes idéaux que ceux qui animent ce dernier, comme si la fille reflétait la personnalité paternelle ; – intelligence et inspiration : elle est déjà capable de « raisonner » et s’intéresse à ce que fait son père et aux discussions (« me consultait »). C’est donc un portrait complet de sa personnalité (pas de description physique), fait par petites touches, en majorité par les verbes. Léopoldine apparaît comme un être d’exception, à la fois enfant et femme, terrestre et déjà céleste. x Il s’agit d’une seule phrase, faite essentiellement de verbes d’action juxtaposés (légèreté de la virgule) qui suggèrent la vivacité et la légèreté de Léopoldine. Le rythme des alexandrins est complètement bousculé : plus de césure à l’hémistiche (v. 5-6), rejet (v. 6) ; ces procédés peuvent évoquer la liberté joyeuse, l’imprévisibilité de l’enfant.

LES LIENS ENTRE LE PÈRE ET SA FILLE y Dans ces vers, on trouve un important champ lexical de l’écriture et de la création poétique : « plume », « livres », « papiers », « œuvre », « écrivant », « manuscrits », « tracée », « page », « vers ». Léopoldine intervient dans le travail d’écriture de son père (là encore, au plus intime de la création : « ma plume », « mes papiers », « mes plus doux vers »), à la manière d’une inspiratrice, d’une muse. Par sa présence et ses dessins, elle l’aide à écrire (« la tête un peu moins lasse ») ; elle l’inspire, par sa nature même, en lui communiquant liberté (« arabesque folle ») et douceur. Ce rôle de muse s’exprime symboliquement par l’expression « prenait ma plume », puis par la phrase qui clôt le rite matinal : « venaient mes plus doux vers ». Le mécanisme incontrôlable de l’inspiration est évoqué par l’image de « l’oiseau qui passe » et que l’on ne peut saisir, ou encore par l’expression « je ne sais comment » : on assiste à une osmose mystérieuse entre le père et la fille, une communication au-delà des mots ; peut-être est-ce une allusion à une autre communication qui s’établira post mortem, avec les tables tournantes ? U On observe un jeu de miroir entre les pronoms personnels (et déterminants possessifs) de la 1re et de la 3e personne qui se répondent : « je n’étais »/« je la sentais » ; « j’étais »/« en ses yeux » ; « j’avais […] vu »/« en ses yeux ». Des parallélismes s’établissent également dans les états d’âme des deux personnages : « jamais gai »/« triste » ; « morne »/« ombre ». Il s’agit donc, encore une fois, d’une osmose mystérieuse entre le père et la fille, qui sont le reflet l’un de l’autre. Le poème rend compte d’une harmonie affective entre les deux, plus forte que toutes les sollicitations extérieures (« le bal le plus joyeux »). L’intimité profonde de ce « couple » formé par le père et la fille s’oppose à la société mondaine.

Réponses aux questions – 8

V 2 autres vers évoquent, de façon forte, l’union entre les deux personnages : – v. 3 : « Je l’attendais ainsi qu’un rayon qu’on espère. » Le jeu des pronoms exprime la réciprocité du « rite » ; à l’habitude de la petite fille répond l’attente du père – ce qu’exprime le poète avec les deux verbes forts placés à chaque extrémité du vers (« attendais »/« espère »). L’image du rayon suggère une lumière qui fait vivre autant sur les plans physique que spirituel. De même, le verbe espérer relève du domaine psychologique et religieux : l’arrivée de Léopoldine nourrit toute la vie intérieure de Victor Hugo ; – v. 17 : « Elle me consultait sur tout à tous moments. » On retrouve encore le même jeu sur les pronoms « Elle »/« me ». La répétition de « tout » exprime la complicité profonde entre le père et sa fille. W Dans le dessin, le portrait évoque Léopoldine à l’âge de sa disparition : ce n’est donc plus une petite fille, mais une jeune femme, beaucoup plus intériorisée et secrète, avec la tête penchée et les yeux baissés, voire clos. En revanche, on y retrouve le rôle d’inspiratrice de Léopoldine, mais présenté aussi de façon plus grave : son image flotte dans une sorte de halo lumineux, au-dessus du nom du poète, comme si elle guidait la création poétique de son père, telle l’étoile figurée au-dessus de son front. Cette façon presque surnaturelle de la représenter peut rejoindre le vers du poème « c’était un esprit avant d’être une femme ».

LE LYRISME DU DEUIL X C’est au vers 23 que l’irruption brutale du présent et du passé composé vient mettre un terme au souvenir « charmant » qui se prolongeait dans la durée (avec phrase nominale et participe présent). La simplicité presque familière de la tournure « Et dire que » exprime, de façon poignante, l’incompréhension et le regret de ce passé révolu. En outre, la brutalité de l’expression « elle est morte » présente l’événement sans aucune atténuation. Ce vers est composé de phrases très courtes et très ponctuées, avec un rythme saccadé, qui crée une rupture avec les phrases beaucoup plus longues qui installaient des « scènes » liées au souvenir. L’émotion est accentuée par la ponctuation affective (points d’exclamation, « hélas ») et l’appel à Dieu. at Les caractéristiques élégiaques du poème : – lyrisme de l’intimité : évocation de lieux intimes (chambre, lit, coin du feu) et abondance de déterminants possessifs renforçant cette intimité ; familiarité de l’affection (« petit père »). Hugo se met en scène, ici, en tant que père (pas en posture de poète mage) ; s’il évoque son rôle de poète, c’est encore dans l’intimité de son lien avec sa fille ; – douceur et harmonie des souvenirs évoqués, d’abord dans le vocabulaire : « doux », « clarté », « radieux et charmants », « content ». L’harmonie s’exprime aussi à travers la simplicité des alexandrins à rimes plates et le rythme régulier dominant, sauf dans les vers 4 à 8 qui expriment la gaieté et la vie ; – présence de la mort : temps du passé dominant (nostalgie de l’imparfait) et irruption du passé composé (v. 23) indiquant une rupture irrémédiable. L’émotion et la plainte sont marquées par les interjections (« Oh ! », « hélas ! ») et la modalité exclamative (plus forte à la fin du texte) quand le regret devient plus poignant. Face à la souffrance du deuil, le cri vers Dieu semble le seul recours. La sobriété dans l’expression rend l’émotion d’autant plus sensible : vocabulaire et syntaxe simples, pas de grands effets de style, pas de solennité. ak Certaines expressions peuvent être comprises comme un pressentiment de la disparition de Léopoldine : – « soudain s’en allait comme un oiseau qui passe » (v. 7) peut rappeler sa vie brève et fugace comme celle d’un oiseau et la soudaineté de sa mort à 19 ans ; – « c’était un esprit avant d’être une femme » (v. 15) paraît évoquer la destinée de la jeune fille, devenue « esprit » avant même d’avoir pu vivre sa vie de femme ; – le point d’exclamation du vers 22 (« J’appelais cette vie être content de peu ! ») donne une ironie tragique à ce vers : ce que le poète croyait être « peu » de choses, ce simple bonheur familial considéré comme normal, tout cela va disparaître, et ce « peu » devenir pour Hugo un abîme de malheur ; – enfin, les 3 derniers vers donnent une tonalité grave qui obscurcit brutalement les souvenirs évoqués précédemment dans le poème. L’« ombre en ses yeux » peut évidemment faire penser à l’ombre de la mort. Le motif de la disparition et du deuil semble donc se faire de plus en plus pesant dans le texte, et ce n’est sans doute pas un hasard si l’on passe du matin aux « soirs d’hiver », même s’ils sont encore « radieux ».

Pauca meæ – 9

Cependant, on peut se demander également si le rôle d’inspiratrice que jouait Léopoldine enfant ne se prolonge pas dans le présent de l’écriture : c’est toujours d’elle que viennent les « plus doux vers » du poète, comme en témoigne ce poème élégiaque… al Suggestion pour l’organisation de son commentaire :

I. Évocation de souvenirs lumineux a) Des lieux et des moments choisis (réponse à la question 2). b) Un portrait vivant de Léopoldine enfant (réponses aux questions 3 et 4). c) Des liens particuliers entre le père et sa fille (réponses aux questions 6 et 7).

II. Léopoldine comme inspiratrice du poète a) L’enfant présentée comme la muse du poète (réponse à la question 5). b) Léopoldine continue à inspirer son père par l’expression élégiaque (réponses aux questions 9 et 10).

P o è m e X I I I ( p p . 4 7 - 4 8 )

UN POÈME EN FORME DE BILAN u Expressions faisant référence au titre du poème : – « j’ai […] vécu » revient 3 fois dans le poème (v. 1, 12 et 15) et martèle le début ; – « j’ai vu » intervient au vers 18, dans la partie « Bilan » (2e partie) ; – l’actif « j’ai vaincu » se transforme en passif « est vaincu » (v. 9) ; – les groupes verbaux « je marche » (v. 2) et « je m’en aille » (v. 32), situés aux deux extrémités du texte, peuvent faire penser à « je suis venu » : mais, ici, il s’agit d’une marche vers la mort. Toutes les reprises opérées par Hugo sont donc en opposition avec la phrase de César, phrase de triomphe, affirmation d’un homme victorieux et maître de l’avenir. Les passés composés (parfaits latins) de César scandaient une action accomplie et efficace, dont les conséquences allaient marquer le futur. Chez Hugo, c’est le constat d’un temps révolu, d’un achèvement qui ne peut déboucher que sur la mort, d’une défaite sans espoir. v Cette phrase est très structurée : elle est constituée d’une principale très courte (« J’ai bien assez vécu ») qui revient en chiasme aux vers 1 et 12, encadrant cette partie comme un glas qui ne laisse aucun espoir. Entre ces deux vers, on trouve une accumulation de subordonnées causales, avec anaphore de « puisque » (8 fois, dont 7 en début de vers). Ainsi s’exprime l’accablement du poète, écrasé sous toutes les raisons de son mal-être. Cette structure syntaxique qui donne à la phrase un rythme pesant traduit encore l’absence d’échappatoire et d’espoir. w Les trois parties du poème : – 1re partie : 3 premières strophes, encadrées par le chiasme « J’ai bien assez vécu ». Ces strophes insistent sur l’idée de « fin (de la vie, de l’espoir et de la joie) ». – 2e partie : strophes 4 à 6, unies par l’emploi constant du passé composé. Le poète y porte un regard rétrospectif sur son existence. – 3e partie : strophes 7 et 8, marquées par le tournant « Maintenant » et le changement de temps au présent. Cette partie apparaît comme la conséquence de tout ce qui précède et exprime la volonté de mourir. On peut remarquer que chaque partie s’achève sur une vision de mort : appel à Léopoldine au fond de son tombeau (v. 11) ; vision infernale du « bagne terrestre » (v. 21) ; appel à Dieu pour « disparaître » (v. 31-32). Ce poème révèle une structure générale en chiasme : « J’ai bien assez vécu » (premiers mots du vers 1) / « je disparaisse » (derniers mots du dernier vers). Cette volonté de mort énoncée clairement semble tout assombrir, même le passé, encadré par les deux passages au présent ; le désespoir en cours contamine tout le poème.

Réponses aux questions – 10

IMAGES DU POÈTE x Victor Hugo se montre sensible aux enfants, à la nature (« fleurs », « parfums », « roses »), à Dieu, à l’« amour ». On retrouve, ici, les thèmes principaux de sa vision du monde : unité de l’homme, de Dieu et de la nature ; harmonie universelle dans le « splendide amour ». Le poète fait le portrait d’un homme aimant la vie, ouvert au spirituel et à l’espoir (l’enfance comme une ouverture à la vie, le printemps comme le renouvellement de la nature), d’un homme optimiste et confiant dans l’avenir (cf. le champ lexical de la joie : « ris », « réjoui », « fête », « joie »), attentif à la fraternité humaine. y Relevé des verbes d’action : « Je n’ai pas refusé », « souriant », « j’ai fait », « j’ai servi, j’ai veillé », « ayant beaucoup travaillé », « j’ai porté ». Les tâches accomplies : – Tâches de solidarité humaine : « Je n’ai pas refusé » (cf. « homo sum » de la préface). Hugo refuse le statut du penseur isolé dans sa tour d’ivoire, mais se veut pleinement engagé dans l’existence humaine et terrestre : la répétition « chaînon »/« chaîne » exprime cette fraternité avec les autres. En conséquence, il a eu sa part de souffrances : « Ayant beaucoup souffert », « J’ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle ». On retrouve, ici, l’idée de « solidarité dans la souffrance » qui s’exprime dans la préface et dans beaucoup de poèmes des Contemplations. On peut même penser à une vision christique du poète souffrant pour les autres à travers les expressions « saignant, et tombant sur les mains » et « j’ai porté [ma croix ?] » (comme le Christ sur le chemin du Golgotha). – « J’ai servi » : peut-être une allusion à son rôle politique qui se concrétise à partir de février 1848. – « J’ai veillé » : l’écrivain, pour Hugo, est un « veilleur », prêt à dénoncer les dysfonctionnements de la société, comme en témoignent ses œuvres engagées contre la misère, l’injustice sociale… On peut comprendre aussi ce verbe veiller comme la mission du prophète qui doit discerner et annoncer l’avenir. – On peut relever également les termes « souriant, toujours plus adouci » : le poète peut « adoucir » le sort des autres, en dévoilant la beauté du monde et par la compassion et en mettant des mots sur leur souffrance. U Sur la photo et dans le tableau, le personnage est debout au centre, en position surplombante, face à l’infini (la mer / la montagne). Il est dans la situation du « contemplateur », seul, au-dessus des autres hommes. On peut rapprocher cette mise en scène de l’expression du vers 16 (« Debout, mais incliné du côté du mystère ») : le poète est à la fois tendu vers Dieu et attaché au monde terrestre et à la nature, donc à ses frères humains. Ces deux documents visuels peuvent évoquer la mission hugolienne du poète comme « veilleur » visionnaire, qui cherche à percer le mystère de l’infini. V On trouve essentiellement les images du travail de la terre, comme le « sillon » aux nombreuses connotations : – la ligne ou le vers que l’on écrit ; – le chemin parcouru pendant la vie ; – la recherche effectuée comme un sillon que l’on creuse. La « gerbe » évoque la semence jetée par le poète dans son œuvre, qui va produire des fruits chez le lecteur. Toutes ces images décrivent un travail poétique qui n’est pas stérile ni centré sur le poète, mais qui s’offre aux autres. L’image « incliné du côté du mystère » rend compte de la mission du poète prophète, qui déchiffre le monde et tente de l’expliquer aux lecteurs (cf. question 6). W Le poète se plaint de l’incompréhension et de la haine : « on riait de ma peine » (v. 18), « un objet de haine » (v. 19), « raillé par les forçats humains » (v. 23). Ces attitudes s’opposent à la sienne, « souriant, […] adouci » (v. 15). Hugo déplore l’égoïsme, l’absence de solidarité et de compassion par l’image du bagne « où ne s’ouvre aucune aile » (cf. v. 2 : « sans trouver de bras qui me secourent »). Ces idées se retrouvent dans la figure du poète romantique persécuté et incompris.

LA TENTATION DU DÉSESPOIR X Oppositions dans les 3 premières strophes (v. 1 à 12) : – joie/tristesse : « enfants », « fleurs », « fête », « espoir », « parfums », « roses » ≠ « douleurs », « tristesse » + les nombreuses formules négatives « je ris à peine », « je ne suis plus réjoui », « sans joie » ; cf. l’opposition aux rimes « douleurs »/« fleurs », « roses »/« reposes » ;

Pauca meæ – 11

– lumière/ombre : « splendide », « jour » ≠ « ombre » ; – commencement/fin (naissance/mort) : « enfants », « printemps » ≠ « l’heure où l’homme fuit le jour », « l’ombre où tu reposes », « mon cœur est mort » ; – amour / abandon et solitude : « enfants qui m’entourent », « ce splendide amour » ≠ « sans trouver de bras qui me secourent », « l’homme fuit ». Ces réseaux d’oppositions soulignent l’état de désespoir total du poète, où plus rien ne peut lui apporter ni joie ni réconfort. Le deuil et la mort ont contaminé son regard et son cœur au point qu’il ne voit plus la beauté du monde. at Attitudes opposées du poète : – état d’apathie exprimé par les termes « stupeur » et « ennui », qui s’opposent à tous les verbes d’action qui précèdent ; sorte d’endormissement s’opposant à « j’ai veillé » ; – « paresse » ≠ « ayant […] beaucoup travaillé » ; – attitude négative, de repli sur soi : il ne regarde plus, « ne [s]e tourne plus », ne répond plus (remarquer la négation systématique) ≠ solidarité humaine affirmée dans les strophes précédentes (« j’ai servi ») ; – « ennui » ≠ « souriant ». Les ressorts de la vie et de la communication semblent brisés en lui. ak La métaphore « ce bagne terrestre » (v. 21) est filée par les termes « forçats », « chaînon », « chaîne ». Elle apporte une vision très pessimiste de l’existence humaine comme une prison, sans aucune ouverture sur « le mystère ». L’homme ne peut que tomber, écrasé sur la Terre. Il semble n’y avoir, dans ce bagne, aucun espoir de salut ou de rédemption : l’homme est condamné à la souffrance, sans pouvoir trouver ni amour ni solidarité. La vie terrestre apparaît finalement comme un enfer. al Les deux destinataires du poème : – au vers 11, le poète s’adresse à Léopoldine : « Ô ma fille ! j’aspire à l’ombre où tu reposes » ; – aux vers 31-32, il s’adresse à Dieu : « Ô Seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit / Afin que je m’en aille et que je disparaisse ! » Ces deux destinataires sont dans le monde de l’au-delà, liés à l’obscurité (« ombre »/« portes de la nuit ») et à la mort (« tu reposes »/« je disparaisse »). Ce choix implique, de la part du poète, le rejet du monde terrestre, hostile, où il n’a plus d’interlocuteur et où il se sent seul. Son désir de mort est exprimé d’ailleurs clairement à chacun des deux interlocuteurs : « j’aspire »/« je disparaisse ». am Suggestion pour l’organisation de son commentaire :

I. Une vie passée ouverte sur le monde a) Un homme sensible à la nature (réponse à la question 4). b) Un homme qui a pris sa place dans le monde (réponse à la question 5). c) Un poète conscient de sa mission (réponses aux questions 6 et 7).

II. Un présent marqué par la mort et le désespoir a) Le désespoir contamine présent et passé (réponses aux questions 1 à 3). b) L’attitude présente du poète s’oppose à celle qu’il avait autrefois (réponses aux questions 9 et 10). c) La tentation de la mort (réponses aux questions 1 et 12).

P o è m e X I V ( p . 5 3 )

UN POÈME D’AMOUR ? u Le « je » est très présent tout au long du texte, quasiment toujours en position de sujet de verbes d’action. La première occurrence « Je partirai » est mise en valeur par le rejet et l’effet d’attente créé par la succession de compléments circonstanciels du vers 1. Le « tu » est présent aussi au début, dans un dialogue avec le « je » (« Vois-tu »). Puis il disparaît jusqu’à la révélation finale « ta tombe ». Il n’est jamais explicité ; il n’y a aucune marque de genre. Les liens s’expriment par l’entrelacement des marques de personne : « Vois-tu », « je sais que tu », « Je ne puis […] loin de toi ». Une familiarité pleine de tendresse (« Vois-tu ») rend le dialogue encore plus présent et vivant.

Réponses aux questions – 12

Le destinataire apparaît comme le moteur des actions du poète : « je sais que tu m’attends », « loin de toi ». C’est le lien sentimental qui justifie le voyage. Ce poème donne donc l’impression d’une intimité très forte entre le locuteur et son destinataire, d’un lien réciproque et affirmé. D’où l’interprétation première du texte comme un rendez-vous amoureux. v L’identité du destinataire n’apparaît clairement qu’à l’avant-dernier vers, à l’issue du voyage, par la précision « ta tombe ». Dans le contexte de « Pauca meæ », l’identification est claire : il ne peut s’agir que de Léopoldine. Cet effet de surprise brutal rend d’autant plus cruelle la réalité de cette mort et amène le lecteur à relire le texte différemment : ce n’est plus un rendez-vous amoureux, mais un pèlerinage anniversaire sur la tombe d’un être cher. La date (fictive) du poème confirme l’interprétation : « Demain », premier mot du poème, sera la date exacte du quatrième anniversaire de la disparition de Léopoldine. L’amour et le lien évoqués ne sont pas amoureux mais paternels et filiaux. Le dialogue s’instaure alors « outre-tombe ». w La forme poétique choisie par Hugo est brève et très simple : 3 quatrains d’alexandrins aux rimes croisées, sans recherche d’innovation ni de virtuosité. Le vocabulaire est simple lui aussi, plein de retenue, sans étalage de la douleur ni du deuil. On trouve très peu de termes de sentiment, seulement l’adjectif « Triste » (en rejet au vers 8). Le poète choisit de laisser le lecteur dans l’implicite, sans préciser tout de suite l’identité du destinataire, en restant dans le concret, les actions, les attitudes : « le dos courbé, les mains croisées ». Il y a peu de recherche de figures de style (seulement sur le plan rythmique), peu d’images. L’alexandrin est manié avec une grande souplesse, pour le rendre proche de la prose : les coupes traditionnelles ne sont pas toujours respectées : en particulier au vers 2 (4/2/6), qui épouse le rythme d’un dialogue familier ; aux vers 7-8, le rythme de l’alexandrin est quasiment imperceptible avec les coupes et le rejet. On observe donc, dans ce poème, un refus du pathos et un choix évident de la simplicité et d’une sobriété pudique dans l’expression – ce qui n’est pas toujours le cas chez Hugo ! On pourrait se sentir exclu de cette histoire intime, mais, au contraire, grâce à la simplicité du texte, le lecteur est d’autant plus touché. Le lyrisme atteint ainsi à l’universel.

UN VOYAGE RÉEL ET SYMBOLIQUE x Le futur domine dans ce poème. Il exprime une projection dans l’avenir, mais affirmée avec certitude. L’assurance est renforcée par les 2 présents : « je sais », « Je ne puis ». Les 2 premiers vers prennent la forme d’une promesse, d’un engagement par la succession de moments précis suivis du verbe en rejet « Je partirai ». L’impression d’urgence est soulignée par les notation de temps : « dès l’aube », « plus longtemps ». Le vers 4, très régulier (3/3/3/3), peut souligner aussi la détermination. Les verbes de marche qui ponctuent le poème (« partirai », « irai », « marcherai », « arriverai ») montrent que rien ne pourra arrêter le poète sur son chemin. De même, les négations répétées (« sans », « ne », « ni ») soulignent aussi que rien ne pourra le distraire de son but. y Les étapes temporelles du voyage sont bien précisées (une par strophe) : « l’aube », puis « le jour », enfin le « soir qui tombe ». La progression apparaît régulière, sans arrêt, sur une journée entière. Les différents moments sont soulignés également par les couleurs : « blanchit »/« or ». U Le poème est encadré par 2 groupes verbaux : « Je partirai » (en rejet) / « j’arriverai » (v. 11). Entre les deux, le texte est scandé par des verbes de marche (« j’irai », « Je marcherai »), montrant une progression régulière elle aussi, comme pour le temps. Elle est marquée, en outre, par l’évolution des paysages : « campagne », « forêt », « montagne », « voiles », « Harfleur ». Toutes ces précisions accentuent l’impression d’un long périple (environ 35 km entre Le Havre et Villequier), allant de la campagne à la mer. Cette progression apparaît à la fois comme difficile et inexorable, comme le souligne l’anaphore de « j’irai par ». Le pèlerinage peut être alors interprété comme un parcours initiatique, impliquant la traversée de lieux difficiles. Ces épreuves semblent la condition pour honorer pleinement la mémoire de la fille d’Hugo et recréer un lien avec elle malgré la rupture de la mort. V Effets de rythme qui scandent la marche : – parallélismes des vers 3 et 6, évoquant la marche régulière ; – trimètre du vers 5 (avec l’accent sur le même son [« é »]) : rythme plus pesant ;

Pauca meæ – 13

– rythme syncopé des vers 7-8, où la régularité ne se fait plus sentir : arrêts brutaux sur les monosyllabes « Seul » et « Trist[e] » (en tête de vers), rejet qui perturbe la cadence ; on a l’impression que la fatigue et la peine se font sentir au fur et à mesure du voyage et brisent le rythme régulier des pas.

ENTRE LA MORT ET LA VIE W Dans cette strophe, ce sont les attitudes physiques qui expriment l’intériorité du poète : – « les yeux fixés sur mes pensées » : son regard est tourné sur sa peine et non sur les beautés du monde (ce qui montre bien qu’il s’agit aussi d’un voyage intérieur) ; il n’est occupé que de la pensée de Léopoldine, obsession renforcée par l’homéotéleute « fixés »/« pensées » ; – « le dos courbé, les mains croisées » : attitude d’accablement et de souffrance ; on peut aussi l’interpréter comme du recueillement quasi religieux dans le contexte d’un pèlerinage ; cf. rythme et sonorités de ce vers (homéotéleute « courbé »/« croisé ») qui accentuent l’impression de lourdeur et d’accablement. Toutes ces attitudes sont résumées par le monosyllabe « Triste », en rejet, seul mot à caractère vraiment psychologique. X La douleur du poète s’exprime par sa fermeture au monde extérieur, attitude très rare chez Hugo : – fermeture aux sensations : 3 verbes de sensation systématiquement niés (« Sans rien voir », « sans entendre », « Je ne regarderai ni […] ni […] ») ; – opposition entre l’intérieur (« mes pensées ») et l’extérieur (« au-dehors ») ; « les yeux fixés » ≠ « Sans rien voir » ; – contraste entre la beauté du monde extérieur très bien suggérée par les lumières et les couleurs (« jour », « or ») et l’obscurité intérieure (« pour moi […] comme la nuit ») ; c’est ce détachement, ce refus de toute la beauté du monde qui expriment la profondeur de la douleur du poète ; – « Seul » en tête du vers 7 et « inconnu » : le poète n’a plus aucun contact avec les autres. Toute la strophe 2 est constituée d’une seule phrase, centrée sur le je (« mes pensées », « pour moi ») : Hugo se replie sur son monde intérieur et sur sa seule préoccupation qui est Léopoldine. at Le dernier vers évoque l’offrande à travers laquelle la beauté de la nature reprend ses droits : le houx toujours vert, symbole d’éternité, et le mot « fleur », sur lequel se clôt le poème (cf. le dernier vers du poème de Ronsard « Sur la mort de Marie » : « Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses »). La nature redevient consolatrice et messagère ; elle retrouve son rôle quand le but du pèlerinage est atteint, une fois que le poète est auprès de sa fille. Certains critiques ont interprété « houx vert » comme « ouvert » : après les images de fermeture au monde extérieur, le cœur du poète peut de nouveau s’ouvrir à la communication avec sa fille et, par là, au monde extérieur. Ce dernier vers souligne l’intention du poète, qui est de garder vivante la mémoire de sa fille par la magie de la poésie, par la beauté des vers : – l’attachement à sa fille s’exprime, ici, par un lien qu’il montre indissoluble, à travers l’engagement du « pèlerinage » et l’offrande finale sur sa tombe ; – le poème instaure un dialogue au-delà de la tombe et du temps : même si elle est absente au monde, Léopoldine est toujours présente par le fait que le poète lui offre aussi ce poème en s’adressant directement à elle. ak Par son dessin, Victor Hugo veut montrer que, pour lui, sa fille est toujours vivante : la pierre tombale extrêmement sombre est couverte d’un fouillis de fleurs aux couleurs parfois très vives (blanc, rouge), reprenant l’idée du dernier vers du poème. Le portrait de Léopoldine semble flotter dans son halo clair, pour l’éternité, suggérant que la jeune femme irrigue toutes les pensées de son père : par sa position dominante dans le dessin et sa présence lumineuse, elle reste l’inspiratrice du poète dont le nom en rouge barre la tombe, comme si la poésie avait vaincu la mort. al Suggestion pour l’organisation de son commentaire :

I. Un poème d’amour à une morte a) Ambiguïté du poème (réponses aux questions 1 et 2). b) La promesse d’un pèlerinage (réponses aux questions 4 à 7).

II. Un lyrisme universel par le choix de la simplicité a) Simplicité dans la forme choisie (réponse à la question 3). b) Pudeur dans l’expression des sentiments (réponses aux questions 3 et 8).

Réponses aux questions – 14

III. La poésie, plus forte que la mort a) Du repli sur soi à la communion retrouvée (réponses aux questions 9 et 10). b) La mémoire toujours vivante (réponse à la question 10).

P o è m e X V ( p p . 5 6 à 6 2 )

LA SORTIE DU DEUIL u Mouvement de l’extrait du poème : – Les strophes 1 à 5, rythmées par l’anaphore « Maintenant que » (qui marque l’aboutissement d’une évolution), constituent une sorte de prologue à la principale (que l’on trouve à la strophe 6). Cette première partie exprime un mouvement de retour sur soi et d’apaisement. À noter l’entrelacement structurant cette partie : les strophes impaires évoquent la paix venant de la nature ; les strophes paires évoquent le deuil et Léopoldine. – Les strophes 6-7, marquées par l’anaphore « Je viens à vous, Seigneur », expriment le retour à Dieu. – Les strophes 8 à 11, scandées par les verbes « Je dis que » et « Je conviens », affirment une nouvelle conception de Dieu et du monde. Le passage suit un mouvement rigoureux qui épouse l’évolution psychologique et morale du poète : l’apaisement de la douleur permet le retour à Dieu, qui ouvre à une nouvelle conception du monde. Il part du moment et du lieu présent (« À Villequier ») pour arriver à une méditation plus générale. v La date du manuscrit est le « 24 octobre 1846 » (très proche de celle de « Trois Ans après », daté de novembre 1846) : c’est le moment où Hugo se remet à écrire, après trois années de silence poétique. Mais il repousse la date d’un an dans le recueil, pour en faire le jour du quatrième anniversaire de la mort de Léopoldine : « 4 septembre 1847 ». Il le situe ainsi le lendemain de la composition du poème « Demain, dès l’aube… ». Hugo a décalé ce poème dans le temps pour mieux rendre compte de son évolution vers l’apaisement. Il pourrait même faire penser que c’est le « pèlerinage » sur la tombe de sa fille qui lui a permis d’écrire ce poème. Sa place à la fin du livre IV se justifie aussi par la démarche de pacification, d’acceptation de la mort comme ouverture à un autre mode d’existence, qui se profile dans les 2 derniers vers de « Mors » et s’achève en apothéose dans le dernier poème. w Villequier représente la nature – opposée à Paris, la grande ville populeuse et bâtie (« pavés », « marbres », « toits ») –, très évoquée dans le début du texte : « je suis sous les branches des arbres », « assis au bord des ondes » (la Seine), « ce superbe et tranquille horizon », « ces divins spectacles, / Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté ». Il s’agit, ici, d’une nature sauvage, ample et belle. Dans l’évolution des sentiments d’Hugo, Villequier, lieu de sépulture de sa fille, est aussi celui de l’acceptation de la mort (s’opposant au refus et à la révolte du début du livre IV). Dans la strophe 4, le poète évoque la mort dans toute sa réalité : « la pierre où je sais que dans l’ombre / Elle dort pour jamais ». Après trois ans, il peut aller visiter la tombe de sa fille et affronter cette réalité en face, comme le soulignent l’adverbe « désormais » (v. 14) et l’expression redondante « voir de mes yeux » (v. 15). Le poète exprime clairement le retentissement psychologique du lieu sur lui, qui en est « ému » (v. 10) et « attendri » (v. 17). La nature agit au plus profond de lui : « la paix de la grande nature / Qui m’entre dans le cœur ». Il se manifeste, ici, une profonde interaction entre l’homme et la nature : le paysage n’est pas seulement le reflet de la conscience de celui qui la regarde, mais il influe sur son état d’âme et le rend d’autant plus capable de la contempler et de s’en trouver ainsi apaisé. x Dans ces strophes, on relève un important champ lexical de la vision : « yeux », « examiner », « regarder », « voir de mes yeux », « spectacles », « voyant ». Mais la contemplation du lieu est le tremplin de la méditation, de la contemplation spirituelle, comme on le voit à travers le parallélisme « Examiner en moi les vérités profondes / Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon » (v. 11-12) : « Examiner » (vision intérieure) répond à « regarder » (vision extérieure), de même que « en moi » et « dans le gazon » ; les objets de la contemplation sont, d’un côté, « les vérités » et, de l’autre, « les fleurs ».

Pauca meæ – 15

On trouve un autre parallélisme du même ordre : « je suis sous les branches des arbres, / […] je puis songer à la beauté des cieux ». Le regard se tourne vers le haut et passe des arbres aux cieux (les « cieux » sont, ici, à la fois réels et symboliques). L’expression « divins spectacles » (v. 17) montre aussi que la contemplation de la nature renvoie à Dieu. Enfin, le verbe voir, qui avait d’abord pour complément d’objet « la pierre » tombale (v. 15), introduit ensuite la « petitesse » du poète et les « miracles » divins : on passe donc d’une réalité concrète à une réalité métaphysique et spirituelle. y Champ lexical de l’apaisement : « je sors, pâle et vainqueur » ; « paix » ; « tranquille » ; « calme sombre » ; « attendri » ; « je reprends ma raison » ; « apaisé ». Cet apaisement se traduit de différentes façons : – le poète peut sortir du deuil, du repli sur soi (« âme obscure ») pour s’ouvrir aux beautés de la nature et donc à Dieu ; – « désormais », il peut aller sur la tombe de sa fille et accepter la réalité de sa mort ; – il peut sortir de la révolte et du sentiment de l’absurde : « attendri », « je reprends ma raison ». C’est d’abord le temps qui a produit cette évolution, comme le suggèrent les anaphores (« Maintenant que ») et les oppositions entre le passé et le présent (v. 5-6 : « du deuil qui m’a fait […] / Je sors » ; v. 22-24 : « Je vous porte […] / Que vous avez brisé »). Et la nature joue aussi un rôle, comme on l’a vu dans les deux questions précédentes.

UN DIALOGUE AVEC DIEU U Le poète s’adresse à Dieu par les termes et expressions suivants : « ô mon Dieu ! », « Seigneur, père auquel il faut croire », « ô Dieu vivant ! », « père auguste ». Par ces termes, Hugo affirme la majesté et la puissance de Dieu (« Seigneur », « auguste ») : l’homme voit sa « petitesse » et se soumet. Il affirme aussi sa foi, au-delà de la mort, de la révolte ou du doute : « il faut croire », « vivant ». Par le terme « père » qu’il emploie 2 fois (v. 21 et 33), il établit une relation plus douce et plus intime avec la divinité : Dieu, père du Christ et des hommes, n’est peut-être pas incompréhensif devant le deuil paternel d’Hugo. V Relevé des verbes dont le poète est le sujet : « Je viens à vous », « Je vous porte », « confessant », « Je dis », « Je conviens » (4 fois), « Je ne résiste plus ». Les verbes de mouvement soulignent d’abord la démarche de retour vers Dieu, en particulier avec le jeu sur les pronoms « Je »/« vous ». Par la répétition de « je conviens », Hugo montre qu’il reconnaît consciemment la grandeur et la justice de Dieu. Les termes « à genoux » (v. 33) et « confessant » (v. 25) peuvent même évoquer le repentir et le pardon. Mais confesser est également un verbe de parole comme « je dis » : Hugo assume ce qu’il dit, son attitude de retour à Dieu ; ce n’est pas une soumission aveugle mais la recherche d’une vérité spirituelle. Le verbe convenir suppose aussi une démarche intellectuelle et raisonnable, dont il était incapable dans les premiers temps de son deuil, trop ébranlé par la douleur et le désespoir. Hugo ne « résiste plus » (v. 37) : il renonce à la révolte et à l’invective contre Dieu, présentes dans « Trois Ans après » ; il accepte la volonté de Dieu et la part de mystère (v. 42 : « la nuit d’un mystère effrayant »). W On peut trouver d’abord, dans cet extrait, la vision positive d’un Dieu paternel, « bon, clément, indulgent et doux ». Dieu apparaît aussi comme omniscient : « vous seul savez ce que vous faites » ; « vous seul, père auguste, / Possédez l’infini, le réel, l’absolu ». Les choses divines échappent à la connaissance de l’homme ; il ne lui reste qu’à s’incliner et les accepter (cf. la répétition de « Je conviens »). Dieu est enfin omnipotent, comme le montrent les expressions « Dieu l’a voulu » et « par votre volonté ». Il s’agit alors d’une image beaucoup plus négative, puisque Dieu semble se trouver à l’origine de la souffrance humaine : « ce cœur […] / Que vous avez brisé » ; « je conviens qu’il est juste / Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l’a voulu ». On constate donc que Victor Hugo propose une vision complexe de la divinité, car il cherche authentiquement à comprendre le mystère. S’il « convient » de la toute-puissance de Dieu et s’interroge sur son lien avec la souffrance des hommes, il tient surtout à la vision d’un Dieu bon, lié à la Vie et à l’Amour, qui va s’affirmer dans « Charles Vacquerie », et plus encore dans les deux livres suivants des Contemplations.

Réponses aux questions – 16

X Le poète et le personnage du tableau de Friedrich sont tous les deux des « contemplateurs » : c’est en contemplant la nature qu’ils rejoignent la divinité. Tous les deux se sont élevés au-dessus des médiocrités ou des soucis purement terrestres pour accéder à une réalité plus haute. On peut observer le même passage d’une vision de la nature qui les entoure à une vision spirituelle, symbolisée dans le tableau par la haute montagne à la forme triangulaire parfaite. Dans les deux œuvres, l’homme ne s’abaisse pas devant la divinité, dans une soumission servile, mais se tient devant elle comme pour un dialogue libre et conscient…

ENTRE PESSIMISME ET ESPÉRANCE at Vers proposant une définition de l’homme : – « l’homme n’est rien qu’un jonc qui tremble au vent » (v. 28) ; – « L’âme de deuil en deuil, l’homme de rive en rive, / Roule à l’éternité » (v. 39-40) ; – « L’homme subit le joug sans connaître les causes. / Tout ce qu’il voit est court, inutile et fuyant » (v. 43-44). À travers ces affirmations se dégage une conception assez pessimiste de l’être humain : – Fragilité et petitesse de l’homme : le « jonc qui tremble » fait penser au roseau de Pascal. Son existence est brève (« court », « fuyant »), ballottée par le « vent », donc sans but clair. L’homme « roule », sans être maître de sa destinée. – Il n’a qu’une vision très limitée du monde : « Tout ce qu’il voit est court », « sans connaître les causes ». – Sa vie semble dominée par le malheur : « deuil en deuil », « joug ». – Mais il reste l’espoir de « l’éternité » (v. 40) : la destinée humaine ne s’arrête pas à la réalité visible mais paraît avoir un autre versant, une autre dimension (cf. question suivante). ak Hugo expose, dans ces strophes, une vision de la mort qui n’est plus fermeture mais ouverture sur une autre réalité, même si celle-ci demeure insondable. Cette idée s’exprime particulièrement dans la strophe 8 par les oppositions dans les termes : « tombeau »/« firmament » (le fini opposé à l’infini) ; « se ferme »/« ouvre » ; « terme »/« commencement ». L’apaisement de sa révolte et de son désespoir, dans ce poème, est lié à une conception importante pour le poète : la destinée humaine ne se restreint pas à ce qu’en perçoivent notre regard et notre esprit trop limités (« ce qu’ici-bas nous prenons », « Nous ne voyons jamais qu’un seul côté des choses »). Il faut admettre l’idée d’un « mystère effrayant » qui reste, pour les hommes, dans « la nuit ». On peut remarquer, par ailleurs, que Victor Hugo, ici, emploie « nous » ou des termes généraux comme « le tombeau », « l’homme »… Il reprend son rôle de prophète (abandonné dans « Trois Ans après ») et proclame hautement ce à quoi il croit : « Je dis que ». al À la strophe 6, l’association des termes « croire »/« gloire » affirme la foi retrouvée. La rime « apaisé »/ « brisé » montre l’évolution de la souffrance à l’apaisement. La strophe 8 construit ses rimes en opposition stricte, qui souligne la nouvelle vision de la mort, contredisant l’expérience humaine ici-bas : « ferme » + « terme » ≠ « firmament » + « commencement ». La strophe 10 est encore fondée sur une opposition : « m’arrive » + « rive » (ces termes évoquent la destinée ballottée de l’homme, menée par l’aléatoire, les hasards) ≠ « volonté » + « éternité » (l’existence humaine se révèle dirigée par la Providence et ne va pas vers l’anéantissement de la mort, mais vers l’éternité). am Suggestion pour l’organisation de son commentaire :

I. Un homme apaisé a) La place du poème dans le livre et son plan soulignent l’évolution morale du poète (réponses aux questions 1 et 2). b) Le rôle apaisant de la nature (réponses aux questions 3 et 5).

II. Un homme croyant a) Le spectacle de la nature ouvre à la contemplation spirituelle (réponse à la question 4). b) Le poète instaure avec Dieu un dialogue et une relation plus apaisée (réponses aux questions 6 à 8).

III. Un poète qui retrouve l’espérance a) La destinée humaine, malgré sa fragilité, s’ouvre sur l’éternité (réponses aux questions 9 et 11). b) La mort s’ouvre sur le mystère (réponse à la question 10).

Pauca meæ – 17

S U J E T S D ’ É C R I T

S u j e t 1 ( p p . 1 0 6 à 1 1 0 )

◆ Question préliminaire Joachim Du Bellay ressent la nostalgie de son pays natal. Lamartine comme Hugo souffrent de la perte d’un être cher, femme aimée ou fille ; mais, chez Hugo, la douleur du deuil est encore décuplée par le fait que le poète est en exil et ne peut même pas se rendre sur la tombe de sa fille. Enfin, Apollinaire regrette l’absence de la femme qu’il aime, alors qu’il est loin d’elle, au front. • La profonde nostalgie de Du Bellay s’exprime d’abord directement : « j’ai si grand désir de me voir de retour ». Les exclamatifs et les intensifs soulignent encore le mal du pays : « tant me tarde », « tant le ciel », « combien le temps me dure » ; « si lent », « si morne », « Si morne et si pesant ». Mais c’est surtout par l’allongement démesuré du temps que le poète rend compte de son ennui « loin de France » : on trouve, dans ce sonnet, un important champ lexical du cycle temporel (« ciel » [2 fois], « cours », « ans », « tour » [2 fois], « jours », « nuits », « temps » + la mention des signes du zodiaque) ; le champ lexical de la lenteur est également bien représenté (« tarde », « lentement », « lent », « ne m’accourcit », « dure », « longue »). Ce relevé nous montre aussi combien les répétitions accentuent cette longueur du temps, comme si rien ne pouvait faire advenir la date espérée du retour et que le temps s’engluait dans un éternel recommencement : l’expression « le ciel a vu trois fois […] / Recommencer son cours » est reprise par « le ciel pour moi fait lentement son tour » ; on relève aussi une construction en concaténation : « Et tant le ciel pour moi fait lentement son tour. / Il fait son tour si lent, et me semble si morne, / Si morne et si pesant ». Les sonorités renforcent encore cette impression de pesanteur : allitération en t (comme le balancier d’une horloge), assonance en en (avec rime intérieure aux vers 9-10). • La souffrance de Lamartine s’exprime, de façon très lyrique, par la ponctuation affective : interrogations rhétoriques (« Que me font », « qu’importe », « pourquoi resté-je ») soulignant son désespoir ; exclamations rendant compte de son aspiration à retrouver l’absente. Sa douleur se manifeste par le dégoût de la vie, marqué par l’emploi systématique des négations ou des termes à connotation négative : « je n’attends rien », « je ne désire rien », « je ne demande rien », « Il n’est rien de commun », « dépeuplé », « indifférent », « le vide et les déserts » ; même la nature consolatrice, si chère au poète romantique, ne peut le consoler de son deuil. Lamartine exprime le désir impossible de rejoindre la bien-aimée disparue : « si je pouvais », « Que ne puis-je ». Mais c’est ici-bas qu’il se sent sur une « terre d’exil », prisonnier des « bornes de sa sphère ». • Victor Hugo exprime sa douleur, comme Lamartine, par la formulation poignante du souhait irréalisable : « si j’avais », « si je pouvais » (expression employée 2 fois : une en rejet et l’autre en début de vers). Cette impossibilité tragique d’aller sur la tombe de sa fille est martelée, dans l’extrait, par un polyptote autour du verbe pouvoir : « pouvais », « je ne le puis », « impossible ». Le poète évoque les forces supérieures et inexorables qui le séparent de sa fille : « Dieu ne veut pas », « le froid destin » ; la construction de la phrase centrale, rythmée par l’anaphore « puisque », rend bien compte des obstacles insurmontables qui l’empêchent de la rejoindre. Enfin, tout l’extrait est parcouru par le champ lexical de l’enfermement : « geôle », « porte », « scelle », « ferme », « avoir fermé ». • Apollinaire s’adresse directement à la femme qu’il aime (« ma Lou », « Amour », « ô mon Amour ») pour tenter d’atténuer la douleur de l’absence, mais celle-ci s’exprime de façon poignante dans la 2e strophe, à travers le champ lexical : « absence », « mourir », « souffrance », « souffrir », « peine » (noter le jeu sur les rimes qui met ces termes en valeur). Comme dans le sonnet de Du Bellay, l’absence est rendue plus cruelle par la longueur de la séparation : on retrouve le même champ lexical du temps qui s’étire (« chaque heure », « le jour », « la nuit »), le même phénomène de répétitions qui allongent le temps (« Et quand finit le jour […] / Et quand la nuit revient », « Ô lente lente nuit »). Le « fusil si lourd », sur lequel s’achève le poème, semble une image de cette guerre qui sépare Apollinaire de sa bien-aimée. Comme les autres poètes, il aspire à la réunion avec celle qu’il a perdue, qu’il retrouve par son imagination dans les étoiles ou le ciel (strophe 1), mais aussi « dans le Souvenir » ; cependant, l’absence est si cruelle que le poète paraît également voir ce souvenir s’éloigner de lui (« au loin »).

Sujets d’écrit – 18

◆ Commentaire

Introduction La nature, chez les romantiques, représente souvent une consolation dans les épreuves. Mais, dans les strophes finales de « L’Isolement » de Lamartine, tiré des Méditations poétiques, la souffrance du deuil est trop forte : le poète, privé de celle qu’il aimait, ne trouve plus que solitude cruelle dans la nature. Nous verrons comment ce poème lyrique traduit l’impuissance tragique face à l’absence, à travers l’image d’une nature désenchantée et l’aspiration impossible à un autre monde.

1. Un poème qui dit l’impuissance tragique face à l’absence

A. Les marques du lyrisme • Présence du « je ». • Ponctuation affective (beaucoup de phrases exclamatives et interrogatives). • Expression d’une intériorité ou d’un état d’âme au travers des verbes (plus que des adjectifs) : « je n’attends rien », « je ne désire rien »… Désespoir et mélancolie. • Dimension universelle du lyrisme : « vous » (v. 4).

B. La solitude • Absence de véritable destinataire : le destinataire est mort (« Vague objet de mes vœux ») – trop général pour en espérer une consolation (« vous ») ou immatériel (« aquilons »). • Opposition entre l’individu et l’immensité de la nature : énumérations, pluriels (1re strophe) + champ lexical du cosmos (« carrière », « tour », « cours », « sphère », « vaste », « immense »). • « L’Isolement » vécu ici n’est pas celui du romantique isolé de la foule au sein de la nature, mais la déréliction de l’être privé de celle qu’il aime.

C. Le mouvement du texte • 3 premières strophes : désespoir et solitude au sein de la nature ; strophes encadrées par un désenchantement profond (« Que me font »/« Je ne demande rien »). • 4e strophe introduite par « Mais » : rêve d’idéal, pour rejoindre la femme aimée ; souhait à l’irréel du présent (« si je pouvais ») et conditionnel. • 6e strophe : retour à la réalité et à l’impuissance (« Que ne puis-je »). • 7e strophe : désir de mort exprimé par la comparaison avec la « feuille flétrie ». Ce mouvement souligne l’impuissance tragique que ressent le poète souffrant cruellement de l’absence de l’être aimé au point de perdre toute raison de vivre, mais ne pouvant le rejoindre que dans la mort.

2. La nature comme image de l’absence À l’opposé de la figure consolatrice qu’elle représente, chère aux romantiques, ici le poète ne trouve aucun réconfort dans la contemplation de la nature qui ne lui renvoie qu’une image du vide. On assiste à un véritable désenchantement du monde.

A. La nature comme représentation du manque • Champ lexical : « envolé », « dépeuplé », « le vide et les déserts ». • Opposition entre les énumérations des vers 1 et 3 / « un seul » + répétition de « rien » (4 fois). • Opposition entre la joie que le poète trouvait auparavant dans la nature et la désolation présente : « si chères », « charme »/« dépeuplé ». Cf. le jeu sur le mot « solitudes », au pluriel, pour évoquer les lieux isolés chéris des romantiques, en opposition avec les « déserts » qui règnent désormais dans son cœur.

B. La nature comme figure de l’exil • Indifférence du poète : – le spectacle de la nature ne suscite désormais en lui qu’un « œil indifférent », alors même qu’il s’agit du Soleil, symbole même de la vie et de l’espoir ; – répétition de formules exprimant l’indifférence : « Que me font », « qu’importe » ; – répétition du tour « que […] que […] », avec les antithèses : « commence ou s’achève », « sombre ou pur », « se couche ou se lève » ; – opposition entre les formules totalisantes (« des jours », « tout ce qu’il éclaire », « l’immense univers ») et la négation systématique qui caractérise le poète. • Sentiment d’étrangeté : – les beautés de la nature ne sont plus, pour le poète, que de « Vains objets » (v. 2). Le terme « objet » ne désigne pas seulement ici l’objet de la contemplation, mais une réalité dont la vie est totalement absente ;

Pauca meæ – 19

– les tournures interrogatives expriment son incompréhension devant le monde ; – la terre n’est plus, pour lui, qu’une « terre d’exil » (v. 23) qui ne peut contenir que sa « dépouille » (v. 15) et non son être ; – ce mouvement aboutit au constat désespéré du vers 24 : « Il n’est rien de commun entre la terre et moi » ; – le seul élément de la nature avec lequel il puisse encore se comparer est « la feuille flétrie », image de la mort.

3. Une aspiration vaine Face à ce désenchantement du monde privé de la présence de celle qu’il aime, le poète, dans un mouvement qui évoque l’idéalisme platonicien, aspire à une autre réalité, mais qui n’existe que dans la mort.

A. Le monde terrestre dont le poète est prisonnier • Réalité insatisfaisante : « vains objets », lieux concrets et circonscrits (« fleuves, rochers »…). • Monde d’apparence, sans âme (« dépeuplé »). Il est l’objet d’une perception sensible avec les yeux (« d’un œil indifférent », « mes yeux verraient »). Cf. l’idéalisme platonicien où les yeux ne voient qu’un pâle reflet des vraies réalités qui se situent ailleurs, dans un autre monde. • Comme chez Platon, ce monde terrestre n’est qu’une prison, dont l’âme cherche à se libérer : « rester » ≠ « m’élancer ».

B. Un monde idéal inaccessible • Un objet d’aspiration : – ce monde est celui de « l’âme » (v. 19), du rêve (v. 16), de l’« idéal » (v. 19) ; – il est l’objet de la véritable aspiration du poète : « j’aspire » (v. 17) + « j’ai tant rêvé » (v. 16) + « désire » (v. 19) s’opposent à « je ne désire rien » et toutes les négations vues dans la partie précédente ; – l’anaphore de « là » souligne le désir du poète. • L’opposé du monde terrestre : – il n’est pas limité au monde terrestre incomplet du fait de l’absence de la bien-aimée : il se situe « au-delà des bornes de sa sphère » ; – il s’oppose à ce qu’a de déceptif le monde terrestre : le « bien idéal » remplace les « vains objets » ; « le vrai soleil éclaire » véritablement (v. 14 ≠ v. 11) ; « l’espoir » (v. 18) répond au désenchantement du monde ; « l’amour » retrouvé répond au manque d’un monde « dépeuplé ». • Un monde inaccessible : – cf. tous les modalisateurs : « peut-être », le conditionnel, l’irréel du présent + « Vague objet de mes vœux » ; – inaccessible à l’être vivant : « qui n’a pas de nom au terrestre séjour » ; – ce n’est que dans la mort qu’on peut le rejoindre : cf. la comparaison finale avec « la feuille flétrie », qui rappelle la « dépouille » du vers 15. Il faut alors que le vent « l’arrache aux vallons » (remarquer le verbe très fort) : construction en chiasme, qui renvoie aux « vallons » du 1er vers.

Conclusion Ce poème exprime, avec une grande force lyrique, le désenchantement profond qui s’empare de l’être quand il est privé d’une personne aimée. On retrouve ce sentiment dans « Pauca meæ », où Victor Hugo également ne trouve plus aucun réconfort dans le spectacle de la nature, ni dans sa mission de poète, et n’aspire qu’à mourir pour rejoindre sa fille.

◆ Dissertation

Introduction La poésie lyrique peut apparaître, à première vue, comme le genre littéraire où l’individualité de l’auteur s’exprime de la manière la plus forte, au point que le lecteur aurait des raisons de se sentir exclu. Pourtant, Hugo, dans la préface des Contemplations, écrit : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. » À travers ce paradoxe, il souligne que le lecteur peut trouver, dans un poème lyrique, une sorte de reflet de lui-même. Nous pourrons donc nous demander comment les intentions du lyrisme, sa portée et ses procédés caractéristiques permettent au lecteur, au-delà des différences de sensibilité, de se sentir en communion avec le poète lyrique.

Sujets d’écrit – 20

1. Les intentions

A. Expression de sentiments et non d’opinions Il s’agit, pour un poète lyrique, d’exprimer ses sentiments, ses émotions, et non ses idées ou ses opinions : cf. Hugo (« Mémoires d’une âme ») ou Du Bellay (« de mon cœur les plus sûrs secrétaires » ; 1er poème des Regrets). Même s’il exprime sa révolte ou son indignation (Les Châtiments de Victor Hugo), le poète lyrique ne s’adresse pas à la raison du lecteur, mais à sa sensibilité.

B. Portée universelle des émotions • Les sentiments ont une portée plus universelle que les idées, davantage relatives aux individus, aux époques, aux pays. • Chaque poème est le fruit d’une expérience très personnelle de l’auteur : dans notre corpus, la mort de sa fille pour Hugo, celle de la femme aimée pour Lamartine, l’exil pour Hugo et Du Bellay, la séparation pour Apollinaire. On peut évoquer aussi la guerre pour Aragon et Eluard, etc. Toutes situations que le lecteur peut avoir connues. • Le lecteur peut se retrouver dans l’expression de l’amour heureux ou malheureux (cf. Eluard, Labé, Apollinaire), du deuil (Ronsard, Hugo), du malaise (Verlaine), de la nostalgie de son pays (Du Bellay) ou du bonheur perdu (Hugo : « Elle avait pris ce pli… »), de la révolte (Aragon), même si cela dépend évidemment de la sensibilité de chacun. • Hugo emploie souvent le « on » ou le « nous », englobant poète et lecteur dans la même expérience : – on peut d’ailleurs apprécier un poème lyrique sans connaître les circonstances de son écriture ; – les émotions ont aussi un caractère assez général : l’ennui (le « Spleen » de Baudelaire), l’émerveillement devant la nature ou la beauté d’une personne (cf. Eluard) peuvent être ressentis par tous.

2. La portée (l’effet sur le lecteur)

A. Établir une communion entre le poète et le lecteur • Le lecteur devient confident, puisque l’auteur s’adresse à lui directement (Hugo : « Oh ! Je fus comme fou… ») ou indirectement (Du Bellay se confie à son ami Morel et, à travers lui, au lecteur) – ce qui crée automatiquement (si l’on accepte cette confidence) une certaine communion, où l’on éprouve les sentiments de l’auteur. • Hugo parle aussi de « miroir » : le lecteur peut se découvrir lui-même, trouver une expression juste de ses émotions les plus intimes quand il a l’impression que l’auteur exprime exactement ce que lui-même ressent (cf. les images concrètes du spleen baudelairien). Cela peut même parfois apporter un réconfort, l’impression que l’on n’est plus seul à éprouver tel ou tel sentiment. • La communion peut s’effectuer autour de la beauté formelle et musicale du poème, qui provoque une émotion esthétique où auteur et lecteur se retrouvent : jeux des sonorités qui créent une sorte de complainte dans le sonnet de Du Bellay ou qui scandent le rythme pesant du temps trop lent ; rythme mélancolique des alexandrins chez Lamartine ; beauté un peu mystérieuse des images chez Apollinaire…

B. Changer le regard du lecteur • Le poète peut aussi ouvrir le regard du lecteur sur le monde en lui proposant une nouvelle vision des choses. Il y a donc ici échange de regards, souvent d’autant plus fort que l’expression est originale et riche : dans « À Villequier », Hugo partage avec le lecteur sa vision de la nature et de la mort. • Les poètes symbolistes et surréalistes, par les analogies et les images, changent la perception de la réalité qui nous entoure et invitent le lecteur à la regarder autrement.

C. Faire réagir le lecteur Le lyrisme « engagé » veut, pour sa part, faire réagir le lecteur sur un phénomène qui le touche. Là encore, il y a communion dans les émotions fortes : indignation dans Les Châtiments ; sentiment d’injustice et compassion dans « Melancholia » (Les Contemplations) ; espoir d’une libération et désir de lutter chez les poètes de la Résistance (Pierre Emmanuel, « Ce cœur qui haïssait la guerre » de Desnos, Aragon, etc.).

3. Les procédés

A. L’identification • L’emploi du je lyrique crée immédiatement l’identification et permet de passer au-delà des époques et des situations. Quand il lit un poème lyrique, le lecteur s’approprie le je, rejoignant ainsi la phrase de Victor Hugo.

Pauca meæ – 21

• Le poète lyrique peut avoir recours aussi à la transposition : dans « La Loreley », Apollinaire abandonne toute expression personnelle pour nous raconter une histoire dans laquelle nous pouvons nous retrouver, même si nous ne connaissons pas l’histoire individuelle d’Apollinaire ; Hugo se sert aussi d’une sorte de double poétique, sous le nom d’Olympio.

B. La simplicité La simplicité lyrique de l’expression peut parfois faciliter la communion : cf. la pudeur de Victor Hugo dans « Demain, dès l’aube… » ou l’expression familière et presque enfantine de Verlaine dans le « Sonnet boiteux » (« Ah ! vraiment c’est triste »). Le lecteur peut ainsi s’approprier facilement le langage du poète, sans être gêné par une forme ou une langue trop compliquées, qui nécessiteraient des références culturelles.

C. Les images Le recours aux images permet aussi de passer au-dessus de certaines barrières individuelles pour s’adresser directement à l’inconscient du lecteur par le procédé des connotations ou de l’association de pensée, qui donne au lecteur la possibilité d’enrichir une image, de la faire sienne en la nourrissant de son propre monde intérieur.

Conclusion Hugo a donc raison de souligner le phénomène de « miroir » qui permet au lecteur de se sentir si proche de l’auteur lyrique et qui constitue une des forces de cette poésie. L’identification est d’ailleurs propre à beaucoup de genres littéraires (comme l’autobiographie) : elle donne au texte un grand pouvoir émotionnel et contribue, pour une bonne part, au plaisir de la lecture.

◆ Sujet d’invention Il faut tenir compte du destinataire : un lycéen s’adresse à d’autres lycéens. Mais si ce contexte entraîne un certain ton, il ne justifie aucune familiarité. Il faut tenir compte du support : une rubrique de journal, dans son premier numéro. Le texte doit donc présenter de façon attractive la nouvelle rubrique et en expliquer les objectifs et le contenu. Le texte doit être argumentatif : il s’agit de défendre le choix de poèmes lyriques, et en particulier de défendre l’idée de Victor Hugo. On valorisera la pertinence de l’argumentation, le choix de textes supplémentaires par rapport à ceux du corpus, la force de conviction de l’article, l’emploi de tonalités variées…

S u j e t 2 ( p p . 1 1 0 à 1 1 5 )

◆ Question préliminaire • Victor Hugo fait revivre, dans son souvenir et dans son écriture, cette maison liée au bonheur de l’enfance de Léopoldine en évoquant certains détails : « la maison qui touche aux bois », « le coin du vieux mur » ; l’article défini fait sentir que le poète revoit des lieux bien connus, qu’il n’a pas besoin de décrire plus précisément. Ces souvenirs, marqués par l’emploi dominant des temps du passé, semblent de nouveau vivants par l’irruption soudaine du présent, comme si le poète se trouvait brusquement transporté à cette époque bénie : « Où l’eau court, où le buisson tremble » ; « Oh ! comme l’herbe est odorante / Sous les arbres profonds et verts ! » Les nombreuses notations sensorielles (« odorante », « verts », « rougie », « clair », « obscur ») rendent vie au passé, réactualisé aussi par les nombreuses exclamations. Enfin, la force du souvenir est telle que Victor Hugo le partage avec le lecteur, comme si celui-ci y avait participé : « Oh ! la belle petite robe / Qu’elle avait, vous rappelez-vous ? » • La situation dans le sonnet de Verlaine est un peu différente car le poète revoit un lieu chéri après trois années d’absence ; mais cette visite confirme à quel point le souvenir était resté vivant en lui car tout le passé redevient présent. Comme Victor Hugo, Verlaine emploie systématiquement l’article défini pour nous décrire ce jardin bien connu. Il évoque des détails très précis pour montrer la vivacité des souvenirs qu’il a conservés de ce lieu : « porte […] qui chancelle », « chaises de rotin », « dont le plâtre s’écaille ». Cette précision vient confirmer l’impression dominante du texte, énoncée en début de 2e quatrain : « Rien n’a changé. » Dans cette visite, le poète revit son passé, comme le soulignent différents procédés :

Sujets d’écrit – 22

l’emploi du présent, les notations de temps (« comme avant », répété, dont 1 fois en contre-rejet ; « toujours »), les verbes à préfixe itératif (« revu », « retrouvé »). Les sensations, ancrées dans sa mémoire, sont ici revivifiées (nombreuses notations visuelles, « murmure argentin », « plainte sempiternelle », « odeur fade »). Verlaine suggère que le souvenir a assuré une sorte de pérennité à ce lieu, malgré le temps qui a passé : « Rien n’a changé. J’ai tout revu ». • Dans « San Bernardino », Supervielle affiche, dès le début, sa volonté de conserver vivants, par l’écriture poétique, les lieux de son enfance : « Que j’enferme en ma mémoire, / Ma mémoire et mon amour ». Il les fait revivre par une sorte d’incantation, une série de flashs de sensations très fortes qui semblent ancrées en lui et qui mêlent, dans de puissantes synesthésies, toutes les sensations : « conque du jour », « verts mouvants », « rouges frais »… Tous ces paysages sont pleins de vie (« plantes à l’envi », « azur vivace », « chaque arbre se hisse », « la fleur mouille »), doués de sentiments (« le lisse honneur des cieux heureux »), et même d’âme (« à la recherche de son âme »). Ces lieux paraissent faire intimement partie du poète, comme s’ils l’avaient mis au monde – ce que suggèrent toutes les images maternelles : « le parfum féminin des courbes colonies », « sa mère passant sous la conque du jour ». Supervielle s’adresse même directement à ses souvenirs, en employant le futur qui confirme leur persistance : « J’aurai besoin de vous, souvenirs » ; « vous me visiterez ». C’est par leur présence toujours vivante en lui qu’il pourra retrouver, lui aussi, son âme et sa nature profonde, comme le suggèrent les 2 derniers vers.

◆ Commentaire

Introduction Le recueil Poèmes saturniens, publié par Verlaine en 1866, est placé sous l’égide de Saturne, dieu du Temps et de la Mélancolie. Le poème « Après trois ans » illustre les deux sens du titre : il lui a été inspiré par le souvenir de sa cousine Élisa secrètement aimée, chez qui il a passé des étés. Ce sonnet régulier évoque une promenade dans le jardin qui lui était si cher, après trois ans d’absence. Nous verrons d’abord comment se construit la description de ce jardin, puis comment, selon un procédé coutumier à Verlaine, ce lieu devient reflet discret de l’état d’âme du poète, plein de mélancolie.

1. Le tableau d’un jardin

A. Un tableau en mouvement • La description suit la « promenade » (v. 2) du poète (« je me suis promené », « J’ai tout revu », « j’ai retrouvé ») : – entrée par la « porte étroite » ; – déambulation d’un point à l’autre, sans ordre logique (énumération des différents lieux par phrases juxtaposées) ; – arrivée « au bout de l’avenue ». • Liberté de la promenade qui se retrouve dans la souplesse de la forme : rythme souple de l’alexandrin pas toujours coupé à l’hémistiche (trimètre + enjambement au vers 5 ; v. 8, 11 et 14), enjambements (v. 5, 9 et 12). • Nature animée où les éléments du jardin sont sujets des verbes : le soleil « éclair[e] » et « paillet[te] » ; « le jet d’eau fait » ; les roses « palpitent » ; les lys « se balancent » ; « Chaque alouette […] va et vient ». Le jardin n’est pas statique mais animé. • Certains éléments sont même personnifiés : « humble », « folle », « plainte », « palpitent », « orgueilleux ».

B. La richesse des sensations • La description est sensible à la lumière : le 3e vers précise qu’il s’agit du « soleil du matin », qui permet une diffraction particulière de la lumière à travers les gouttes de rosée (« pailletant chaque fleur d’une humide étincelle »). Comme dans les tableaux impressionnistes, l’éclat vif de la lumière est tempéré par sa diffraction ; ce qui est sensible à travers l’oxymore « humide étincelle ». • Les sensations visuelles sont suggérées aussi par les mouvements très souples : les lianes de « vigne folle », le jet d’eau, le balancement des lys, le vol hasardeux des alouettes. • L’ouïe est sollicitée par le « murmure » et la « plainte » (remarquer l’harmonie du vers 8 : les liquides, l’assonance en en, l’écho « bl »/« pl »). • L’odorat est représenté implicitement par les roses et le lys, puis explicitement par « l’odeur fade du réséda » qui peut même ressortir au goût.

Pauca meæ – 23

• Enfin, l’adjectif « humide » suscite une sensation relevant du toucher.

C. Un jardin harmonieux • D’abord, il s’agit d’un jardin clos, protégé du monde extérieur par une « porte étroite ». Ce lieu protégé est évoqué aussi par la forme régulière et close sur elle-même du sonnet, traitée, ici, de façon canonique par Verlaine. • Harmonie entre animé et inanimé : la « tonnelle / De vigne folle », le bruit du jet d’eau qui s’associe avec celui des trembles… Union entre les plantes et les animaux (alouettes). Le tout est baigné dans la lumière douce du matin. • Harmonie entre la nature et le monde « humain » : la tonnelle de vigne et les chaises de rotin ; les fleurs plantées avec le vieux tremble ou le vent ; même la Velléda se dresse « parmi l’odeur ». Nature domestiquée, rassurante et protectrice (tonnelle). • Harmonie dans les sonorités : globalement, on trouve, dans ce poème, beaucoup de liquides et de nasales qui créent une unité sonore.

2. Un paysage « état d’âme »

A. Un lieu cher au poète • On a vu que cette description du jardin n’était pas extérieure, mais toujours prise en charge par le poète dont nous suivons le regard (« J’ai tout revu »). La précision des détails (« porte […] qui chancelle », « chaises de rotin », « dont le plâtre s’écaille »), ainsi que l’emploi systématique de l’article défini montrent à quel point ce jardin lui est cher et toujours présent dans sa mémoire. • Les nombreuses personnifications font que le jardin apparaît comme un être humain avec qui peut s’instaurer une sorte de compréhension, voire de relation. Les adjectifs exprimant des sentiments s’équilibrent par leurs oppositions : « humble »/« orgueilleux » ; la « plainte » du tremble est contrebalancée par le « murmure argentin » du jet d’eau, plus gai ; le poète semble trouver, dans ce lieu, une sorte d’équilibre affectif.

B. Un lieu qui paraît résister au temps • L’emploi des temps crée une certaine confusion : les verbes évoquant la promenade sont au passé composé, mais ceux qui évoquent le jardin sont au présent comme si les trois ans annoncés par le titre étaient effacés. • L’acuité des sensations renforce cette impression de permanence intacte des lieux. • Les notations de temps (« comme avant », répété, dont 1 fois en contre-rejet et formant une rime intérieure ; « toujours ») et les verbes à préfixe itératif (« revu », « retrouvé ») font que la familiarité du poète avec ce lieu semble inchangée. • Même remarque pour les seuls animaux du jardin : « Chaque alouette qui va et vient m’est connue ». • Vers 5 : trimètre – d’où le parallélisme entre les deux phrases (« Rien n’a changé. J’ai tout revu ») – ; sorte de redondance, avec les antithèses « Rien »/« tout », « changé »/« revu ». Encore la même négation du temps passé.

C. La mélancolie qui l’emporte • Cf. le titre du recueil Poèmes saturniens et celui de la section « Melancholia ». Saturne est justement le dieu du Temps et des mélancoliques. On s’aperçoit finalement de failles dans cet endroit qui paraît idyllique et éternel, par où s’insinue une profonde mélancolie. • C’est le dernier vers qui semble instaurer la rupture la plus nette (soulignée par le tiret) : l’adjectif « fade » introduit une sorte de dissonance, car il paraît peu approprié à l’odeur plutôt capiteuse du réséda. Cet affadissement est un signe brutal du temps qui a finalement marqué le jardin de son empreinte. • Si l’on relit le poème à la lumière de ce dernier vers, on peut relever les atteintes du temps : la porte « chancelle », la vigne est devenue « folle » de n’avoir pas été entretenue ni taillée, le plâtre de la Velléda « s’écaille ». • Solitude du jardin : il n’y a personne, en dehors du poète, dans ce jardin ; tonnelle et chaises sont vides ; on n’entend que l’eau, les arbres et les alouettes. La présence humaine, dont surtout celle de la jeune femme aimée, est dégradée dans celle, dérisoire, de la Velléda au plâtre écaillé, qui est aussi qualifiée de « grêle » (adjectif péjoratif). Comme le réséda affadi, la statue semble se déliter. • Si l’on tente une lecture symbolique de ce texte, on peut remarquer qu’il ne reste de la présence de la jeune femme aimée dans le jardin que les roses et le lys, symbole d’amour et de pureté. Le réséda, fleur de l’amour modeste et caché, est en train de se faner. Quant à la Velléda, bien dégradée, elle évoque une vierge farouche, donc un amour interdit…

Sujets d’écrit – 24

• Finalement, le seul élément qui résiste au temps, c’est la « plainte sempiternelle » du tremble, qui connote aussi, par son nom, une certaine mélancolie.

Conclusion Ce sonnet se révèle très caractéristique de l’art verlainien, par sa description par petites touches très sensuelles et par la mélancolie très diffuse qui s’y manifeste. Il est aussi particulièrement représentatif de la magie de la poésie, qui, par sa musicalité et sa puissance d’évocation, s’adresse directement à la sensibilité du lecteur.

◆ Dissertation

Introduction L’écriture poétique, dominée par le genre lyrique, semble destinée, depuis son origine, à exprimer et faire partager des sentiments et émotions personnels. Nous nous demanderons ce qui paraît la prédisposer à cette vocation, en réfléchissant aux rapports particuliers qu’elle entretient avec le lecteur et aux caractéristiques de son langage.

1. L’écriture poétique : une écriture plus directe

A. Une expression personnelle sans médiation • Le poète fait part de ses sentiments directement, en disant « je », comme c’est le cas dans la poésie lyrique et pour les trois poètes de notre corpus. • Il n’y a pas de médiation par l’intrigue et les personnages, mais le poète s’exprime directement, en partant de son expérience personnelle : dans notre corpus, les trois auteurs font part de leurs émotions face aux souvenirs de lieux chers. • Il s’agit souvent, en poésie (surtout dans le lyrisme), du langage du cœur et non de la raison ; l’expression la plus simple et la plus directe est celle qui traduit le plus d’émotion : « Oh ! la belle petite robe / Qu’elle avait » (Hugo).

B. Une expression universelle • Magie de la poésie : une expérience personnelle vient rejoindre celle de tous les lecteurs, quelle que soit l’époque, et acquiert une dimension universelle. • « Insensé qui croit que je ne suis pas toi », dit Hugo dans la préface des Contemplations ; « mon semblable, mon frère », dit Baudelaire au début des Fleurs du Mal : chacun affirme parler au nom de tous. • Universalité des émotions et des sentiments : on est encore touché par l’évocation de l’émotion amoureuse chez Sappho (VIIe-VIe siècle av. J.-C.) ou Louise Labé, par le deuil de Victor Hugo, la nostalgie d’Apollinaire (même si l’on n’a jamais vu le pont Mirabeau !)… Ces expériences rejoignent nos propres expériences. • La parole poétique dépasse les époques, tandis que les romans sont plus inscrits dans un contexte politique et social.

C. Les attentes du lecteur • Le lecteur n’a pas la même attente envers un texte poétique qu’envers un texte romanesque ou argumentatif : il s’attend à une parole personnelle qui va toucher son émotion. • Il arrive ainsi souvent qu’en lisant ou en écoutant de la poésie, le lecteur ressente une parfaite communion avec le poète, comme si ses mots devenaient véritablement les siens. • C’est aussi pour cela qu’on a plaisir à apprendre par cœur de la poésie pour « épouser » les paroles du poète et les faire siennes.

2. L’écriture poétique : un autre langage La poésie utilise d’autres ressources du langage qui lui permettent une expression particulière des émotions qui peut se partager avec les lecteurs, quels que soient les époques, les niveaux de connaissances ou les expériences de chacun.

A. Les images • Elles concourent à une représentation immédiate et sensible qui fait appel à l’imagination, à la sensation : l’image de la rose qui se fane ou de l’eau qui coule sous un pont est plus évocatrice qu’un discours rationnel et plus abstrait.

Pauca meæ – 25

• L’image laisse une place très importante aux sensations de tous ordres : cf. les couleurs, la lumière, les odeurs dans le poème de Supervielle. Elle n’est pas forcément de l’ordre de la description réaliste et permet ainsi au lecteur d’y mettre sa propre sensibilité. • L’image est une autre façon de percevoir le réel, qui surprend et peut toucher en donnant une nouvelle vision de la réalité : chez Supervielle, « la fleur mouille en l’infini / De la couleur et du parfum qu’elle a choisis » (la fleur devient un bateau qui fait escale dans un parfum et une couleur). Cf. aussi les objets quotidiens vus sous un angle étonnant et nouveau dans Le Parti pris des choses de Francis Ponge. • L’image dépasse les catégories rationnelles de la représentation : par les synesthésies, elle fait éclater les cadres de la perception (« la conque du jour » chez Supervielle) ; par l’oxymore, elle unit des réalités inconciliables par la raison… Elle trouve un autre accès à la réalité que la logique ou la raison et peut faire rêver à l’infini, selon ce qu’elle évoque chez chaque lecteur, indépendamment de sa culture ou de ses connaissances. • L’image laisse une grande liberté d’interprétation et de sensibilité au lecteur, en jouant beaucoup sur les connotations des mots et sur les représentations mentales : les images chez Apollinaire ne sont pas univoques et permettent de créer des analogies ou des rapprochements inédits ; le « petit jardin » de Verlaine peut avoir toutes sortes d’échos selon les lecteurs.

B. La musique • La caractéristique musicale du langage poétique permet encore un accès plus immédiat et plus sensible aux émotions (cf. « De la musique avant toute chose », extrait de l’« Art poétique » de Verlaine). • Les formes proches de la chanson utilisées par Villon, Verlaine, Apollinaire et tant d’autres touchent par l’harmonie sonore, le rythme lancinant des refrains ou des reprises de mots… • Sonorités et rythme soutiennent les sentiments et les rendent plus perceptibles au lecteur en s’adressant à sa sensibilité : la douceur des sonorités de « Après trois ans » de Verlaine fait percevoir directement l’harmonie et la mélancolie qui règnent dans le petit jardin ; les allitérations en m des premiers vers du poème de Supervielle semblent évoquer le monde clos de sa mémoire (« Que j’enferme en ma mémoire, / Ma mémoire et mon amour »). La boiterie du rythme, dans le « Sonnet boiteux » de Verlaine, exprime le malaise psychologique du poète. • Dans certains cas, c’est la musique du poème qui prend le pas sur le sens : dans « Le Rossignol » de Verlaine, fait d’une seule phrase où la raison logique se perd, le lecteur est pris dans une sorte de vertige nostalgique où sentiments et sensations se confondent. • La musique poétique peut aussi se mettre au service de la révolte et de l’engagement ; dans « Ce cœur qui haïssait la guerre » de Desnos, les anaphores et le rythme lancinant (imitant le battement du cœur) communiquent au lecteur la révolte mais aussi l’enthousiasme de la lutte collective qui animent le poète.

Conclusion Nous avons vu que la poésie, par sa vocation à la fois personnelle et universelle et par les ressources de son langage, est une voie d’expression privilégiée des sentiments et des émotions. Cette caractéristique lui a permis de traverser les âges et de se retrouver dans toutes les civilisations, en assumant des rôles très divers selon les époques ou les poètes.

◆ Sujet d’invention On valorisera, particulièrement dans ce sujet, les qualités d’écriture : la capacité à décrire le lieu, à le rendre présent à l’imagination du lecteur, à varier les tonalités et les modalités de phrase, à utiliser à bon escient les procédés poétiques.

Corpus supplémentaire – 26

C O R P U S S U P P L É M E N T A I R E

◆ Texte A : Jean de La Fontaine, « L’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin » (Fables)

L’ÉCOLIER, LE PÉDANT1 ET LE MAÎTRE D’UN JARDIN Certain enfant qui sentait son collège, Doublement sot et doublement fripon, Par le jeune âge, et par le privilège Qu’ont les Pédants de gâter2 la raison, Chez un voisin dérobait, ce dit-on, Et fleurs et fruits. Ce voisin, en automne, Des plus beaux dons que nous offre Pomone3 Avait la fleur4, les autres le rebut5. Chaque saison apportait son tribut6 : Car au printemps il jouissait encore Des plus beaux dons que nous présente Flore7. Un jour dans son jardin il vit notre Écolier Qui, grimpant sans égard sur un arbre fruitier, Gâtait jusqu’aux boutons, douce et frêle espérance, Avant-coureurs des biens que promet l’abondance. Même il ébranchait l’arbre, et fit tant à la fin Que le possesseur du jardin Envoya faire plainte au Maître de la classe. Celui-ci vint suivi d’un cortège d’enfants. Voilà le verger plein de gens Pires que le premier. Le Pédant, de sa grâce8, Accrut le mal en amenant Cette jeunesse mal instruite9 : Le tout, à ce qu’il dit, pour faire un châtiment Qui pût servir d’exemple, et dont toute sa suite10 Se souvînt à jamais comme d’une leçon. Là-dessus il cita Virgile et Cicéron11, Avec force traits12 de science. Son discours dura tant que la maudite engeance13 Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin. Je hais les pièces d’éloquence Hors de leur place, et qui n’ont point de fin ; Et ne sais bête au monde pire Que l’Écolier, si ce n’est le Pédant. Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire, Ne me plairait aucunement.

Jean de La Fontaine, Fables, Livre IX, 5, 1678-1679.

1 Pédant : au sens originel, désigne le « maître de collège » ou le « précepteur » ; a aussi, ici, le sens de « personne qui fait étalage de son savoir et veut donner des leçons à tout le monde ». 2 gâter : abîmer. 3 Pomone : déesse antique des Fruits. 4 fleur : ici, au sens figuré de « ce qu’il y a de meilleur ». 5 rebut : ce qui reste et qui est moins bon. 6 tribut : contribution. 7 Flore : déesse antique des Fleurs. 8 de sa grâce : par lui-même, de sa propre volonté. 9 mal instruite : mal élevée. 10 suite : cortège (ici, toute la classe amenée par le Pédant). 11 Virgile et Cicéron : auteurs latins du Ier siècle avant J.-C. 12 force traits : de nombreux exemples. 13 engeance : espèce.

Pauca meæ – 27

◆ Texte B : Victor Hugo, « L’Enfant » (Les Orientales) En 1822, les Grecs, sous la domination de l’Empire ottoman, se révoltent et revendiquent leur indépendance. Les Turcs répondent à cette révolte par une répression extrêmement violente, en particulier dans l’île de Chio, où la population est massacrée. C’est de cet événement que le poème de Victor Hugo se fait l’écho. Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil. Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil, Chio, qu’ombrageaient les charmilles1, Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois, Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois Un chœur dansant de jeunes filles. Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis, Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis, Courbait sa tête humiliée ; Il avait pour asile, il avait pour appui Une blanche aubépine2, une fleur, comme lui Dans le grand ravage oubliée. Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux ! Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus Comme le ciel et comme l’onde, Pour que dans leur azur, de larmes orageux, Passe le vif éclair de la joie et des jeux, Pour relever ta tête blonde, Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner Pour rattacher gaîment et gaîment ramener En boucles sur ta blanche épaule Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront, Et qui pleurent épars autour de ton beau front, Comme les feuilles sur le saule ? Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux3 ? Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus, Qui d’Iran borde le puits sombre ? Ou le fruit du tuba4, de cet arbre si grand, Qu’un cheval au galop met, toujours en courant, Cent ans à sortir de son ombre ? Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois, Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois, Plus éclatant que les cymbales ? Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ? – Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus, Je veux de la poudre et des balles.

Victor Hugo, « L’Enfant », Les Orientales, XVIII, 1829.

1 charmilles : charmes (variété d’arbres) plantés en allée ou en tonnelle pour procurer de l’ombre. 2 aubépine : rosier sauvage de couleur blanche. 3 nébuleux : voilés par les nuages ou le brouillard. 4 tuba : arbre merveilleux du paradis, dans la tradition musulmane.

Corpus supplémentaire – 28

◆ Texte C : Charles Baudelaire, « Le Joujou du pauvre » (Petits Poèmes en prose)

LE JOUJOU DU PAUVRE […] Sur une route, derrière la grille d’un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d’un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie. Le luxe, l’insouciance et le spectacle habituel de la richesse rendent ces enfants-là si jolis, qu’on les croirait faits d’une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté. À côté de lui, gisait sur l’herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d’une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries1. Mais l’enfant ne s’occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu’il regardait : De l’autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, sale, chétif, fuligineux2, un de ces marmots-parias3 dont un œil impartial découvrirait la beauté, si, comme l’œil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier4, il le nettoyait de la répugnante patine5 de la misère. À travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, l’enfant pauvre montrait à l’enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon6 agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c’était un rat vivant ! Les parents, par économie sans doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même. Et les deux enfants se riaient l’un à l’autre fraternellement, avec des dents d’une égale blancheur.

Charles Baudelaire, « Le Joujou du pauvre », Petits Poèmes en prose, XIX, 1869 (publication posthume).

◆ Texte D : Arthur Rimbaud, « Les Effarés »

LES EFFARÉS7 Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail8 qui s’allume, Leurs culs en rond, À genoux, cinq petits – misère ! – Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond… Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l’enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Grogne un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge, Au souffle du soupirail rouge, Chaud comme un sein.

1 verroteries : petites décorations en verre coloré. 2 fuligineux : noirâtre comme la suie. 3 paria : en Inde, individus de la caste la plus basse ; par analogie, personnes de classe inférieure, méprisées dans la société. 4 carrossier : fabricant de carrosses. 5 patine : coloration que donnent le temps, l’usure ou/et la saleté à certains objets. 6 souillon : personne sale. 7 Effarés : étonnés, inquiets, mais aussi sauvages, farouches. 8 soupirail : ouverture, souvent grillagée, donnant de la lumière et de l’air à une pièce en sous-sol (ici, l’atelier du boulanger).

Pauca meæ – 29

Quand, pour quelque médianoche1, Façonné comme une brioche On sort le pain, Quand, sous les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées, Et les grillons, Que ce trou chaud souffle la vie, Ils ont leur âme si ravie Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres Jésus2 pleins de givre ! – Qu’ils sont là, tous, Collant leurs petits museaux roses Au treillage, grognant des choses Entre les trous, Tout bêtes, faisant leurs prières Et repliés vers ces lumières Du ciel rouvert, – Si fort, qu’ils crèvent leur culotte, – Et que leur chemise tremblote Au vent d’hiver…

Arthur Rimbaud, « Les Effarés », édition posthume de 1895 (texte composé en 1870), version manuscrite de Verlaine.

◆ Sujets du bac

Question Quelle vision de l’enfant les quatre poèmes du corpus proposent-ils ? Vous en soulignerez les ressemblances et les différences.

Commentaire Faites le commentaire du poème de Victor Hugo (texte B).

Dissertation La poésie a-t-elle seulement une fonction esthétique ? Pour répondre à cette question dans un développement organisé, vous vous appuierez sur le corpus proposé et sur les textes que vous avez lus ou étudiés.

Sujet d’invention Vous prolongerez en prose le dialogue amorcé entre le poète et l’enfant dans le poème de Victor Hugo (texte B). Le poète tentera de détourner l’enfant de sa volonté de vengeance, mais ce dernier défendra sa position. Vous serez attentif(ive) au contexte historique, à la progression du dialogue, aux arguments exposés, à la personnalité des deux interlocuteurs. Vous utiliserez des tonalités variées pour rendre le dialogue plus vivant.

1 médianoche : repas copieux que l’on prend au milieu de la nuit. 2 Jésus : par allusion à l’Enfant Jésus de la Crèche, désigne un enfant innocent et vulnérable.

Corpus supplémentaire – 30

C O R R I G É D U C O R P U S

◆ Question Dans ce corpus, le poème de La Fontaine est à part : il propose une vision très négative de l’enfant, apparenté à un petit sauvage. Cette opinion est très communément répandue jusqu’au XVIIIe siècle, où l’enfant était considéré généralement comme un petit animal qu’il fallait dresser pour lui faire intégrer le monde des adultes. Le poète emploie donc des termes péjoratifs en faisant de ces écoliers des « fripon[s] », une « maudite engeance » (terme que l’on emploie pour désigner une espèce animale) ; le verbe gâter leur est attribué 2 fois, et ces écoliers ravagent le jardin (cf. « dérobait », « sans égard », « ébranchait »). Mais ils semblent avoir une excuse assez paradoxale : ils sont « gâtés » (v. 4), à leur tour, par le collège et les mauvais professeurs qui les rendent encore pires que ce qu’ils sont par nature (« doublement sot », « gâter la raison », « mal instruite »). Les trois autres textes se rejoignent dans une vision assez proche de l’enfant : • Symbole d’innocence et de pureté : – description assez stéréotypée d’Hugo : « yeux bleus / Comme le ciel et comme l’onde », « tête blonde », « blanche épaule » ; il est associé à l’aubépine et au lys ; – chez Baudelaire, l’enfant riche est aussi « beau et frais ». La crasse de la misère n’est qu’un « vernis » et une « patine » sous lesquels se cache la même « beauté ». La preuve en est ces dents « d’une égale blancheur » (noter l’italique qui souligne la pensée de l’auteur et la pointe du poème) ; – chez Rimbaud, les enfants sont appelés « les pauvres Jésus », « faisant leurs prières ». • Symbole de gaieté et de jeux : – c’est la seule chose qui les rapproche chez Baudelaire : le même désir de jouer et le même attrait pour le « joujou » vivant qu’est le rat ; – chez Hugo et Rimbaud, le pathétique vient justement de ce que les enfants sont privés de cette gaieté qui leur est propre par l’injustice de la guerre et de la misère. L’enfant grec ne veut pas du monde merveilleux du conte ou du rêve caractéristique de l’enfance et préfère « la poudre et les balles ». Les enfants de Rimbaud sont privés de la chaleur maternelle (« chaud comme un sein »), du plaisir de manger à leur faim qu’ils ne peuvent que désirer. • Victimes par leur fragilité : – victime de la guerre chez Hugo : « tête humiliée », « chagrins ». L’enfant ne peut plus ni « sourire » ni éprouver « le vif éclair de la joie et des jeux ». Il ne peut plus être un enfant et se trouve perverti et corrompu par la violence des adultes, comme le montre la chute du poème ; – victimes de la misère chez Baudelaire et Rimbaud : champ lexical de la saleté (« sale », « fuligineux », « souillon »/« noirs », « haillons »). Chez Rimbaud, en outre, ils souffrent de la faim (l’enfant pauvre de Baudelaire est également « chétif ») et du froid. Les poèmes de Baudelaire et de Rimbaud ont aussi en commun de les montrer exclus de la société : – ils sont séparés de la vie douce et riche par la « grille » chez Baudelaire et par « le soupirail » et « le treillage » chez Rimbaud. Ils apparaissent, chez ce dernier, pareils à de petits animaux, comme l’indique le champ lexical : « culs en rond », « museaux », « grognant » ; – dans ces textes, les enfants deviennent le support d’une violente dénonciation : Baudelaire veut signifier, par un apologue, que tous les êtres sont égaux et frères et que les différences sociales ne sont que le fruit de l’injustice de la société (cf. le mot « parias ») ; Rimbaud, par le pathétique attendrissant le lecteur (« culs en rond », « blottis », « petits museaux roses », « tout bêtes », « crèvent leur culotte »), montre la cruauté de la société privant de pain ces enfants pauvres et innocents.

◆ Commentaire

Introduction Les romantiques, épris de liberté sous toutes ses formes, ont toujours soutenu les mouvements des peuples opprimés aspirant à l’indépendance. En 1822, les Grecs, sous la domination de l’Empire ottoman, se révoltent, mais les Turcs répondent par une répression extrêmement violente, en particulier dans l’île de Chio, où la population est massacrée. Très frappé par cet événement, Hugo s’en fait l’écho dans le poème « L’Enfant », tiré de son recueil Les Orientales, pour dénoncer les ravages commis par les Turcs.

Pauca meæ – 31

Nous verrons comment le poète utilise le cadre de cet événement tragique, puis oppose la figure idéale de l’enfant à la cruelle réalité.

1. Le cadre

A. Une île autrefois paradisiaque • Strophe 1 construite sur une opposition entre imparfait et présent. L’imparfait évoque un temps désormais révolu, qui pourtant semblait devoir durer toujours. • Anaphore de « Chio », comme une évocation nostalgique ou un éloge : structure récurrente à partir du vers 3 (« Chio » + relative). • Champ lexical de la nature : « charmilles », « flots », « bois », « coteaux » ; harmonie entre nature et lieux domestiqués par l’homme ; harmonie aussi du bleu (« Comme le ciel et comme l’onde »). Luxuriance évoquée par l’emploi systématique du pluriel. • De cette nature, il reste encore « une blanche aubépine », symbole d’un monde pur et intact. • Champ lexical des plaisirs : « vins », « palais », « chœur dansant de jeunes filles » (cf. la rime « charmilles »/« filles », toujours pour marquer l’harmonie). • Ampleur et régularité du rythme des vers 2 à 6, pour évoquer la plénitude d’une nature généreuse et d’un bonheur qui dure (en opposition avec les phrases très courtes, vers 1 et 7, montrant la ruine).

B. Une terre ravagée • 1er vers brutal, qui désigne d’emblée les coupables : passé composé évoquant une action irrémédiablement accomplie. Les deux hémistiches de l’alexandrin exposent crûment la cause et la conséquence. • Formules courtes et lapidaires, répétition de « Tout est » + attribut (v. 1 et 7). • À la nature féconde et luxuriante s’oppose un monde minéral : « écueil », « désert », « rocs anguleux ». • À la beauté des « palais » s’opposent « ruine », « murs noircis ». • À la joie et aux plaisirs s’opposent le « deuil » et la solitude.

2. L’image idéale de l’enfant

A. Un enfant idéal • Cf. le titre du poème, avec l’article défini. • L’enfant est caractérisé par la blancheur (v. 11 et 21), la blondeur (v. 18) et le bleu de ses yeux (v. 8, 14, 26 et 35), symboles de pureté et d’innocence. • Même connotation avec les boucles « qui du fer n’ont pas subi l’affront ». • L’enfant est lié à la beauté : comparaison avec les fleurs (aubépine et lys, encore symboles de pureté) + « Bel enfant », « beau front ». • Il apparaît comme une sorte d’ange.

B. Une image de l’enfance • Enfance liée à la gaieté et aux jeux : – « jeux » rime avec « bleus » (v. 14 et 17) ; – cf. champ lexical : « vif éclair de la joie et des jeux », « rattacher gaîment et gaîment ramener » (chiasme), « sourire ». • Enfance liée au monde de l’imaginaire et des contes : – le poète propose trois cadeaux merveilleux pour consoler cet enfant : les deux premiers ont l’exotisme de l’Orient (Iran, mot arabe « tuba ») et semblent venir des Mille et Une Nuits ; le « bel oiseau des bois » évoque aussi le conte « merveilleux » ; – beauté des évocations : vision du lys en contraste avec « le puits sombre » (v. 27) ; chant de l’oiseau (redondance « qui chante avec un chant ») ; harmonie des contraires : « doux »/« éclatant » (cf. rime intérieure « chant »/« éclatant ») ; les sens sont sollicités : la vue, l’ouïe, l’odorat (le lys), le goût (fruit) ; – monde surnaturel et merveilleux : intensifs et comparatifs (« si grand », « plus doux », « plus éclatant ») ; évocation merveilleuse de la grandeur du tuba ; on revient à un monde originel et paradisiaque, dont l’enfant devrait faire partie.

3. L’enfance brisée Toutes ces caractéristiques de l’enfance sont brisées par la guerre.

A. Un enfant victime • La situation réelle de cet enfant grec s’oppose en tout point à l’image idéale de l’enfant.

Corpus supplémentaire – 32

• Solitude dans un monde en ruine ; il n’a plus pour « appui » que l’aubépine, soutien dérisoire, aussi fragile que lui. Pathétique du vers 12 : « Dans le grand ravage oubliée ». • À l’innocence des boucles « qui du fer n’ont pas subi l’affront » s’oppose « sa tête humiliée » (v. 9). • À la joie et aux jeux s’opposent le dénuement (« pieds nus »), le malheur (« deuil ») et la tristesse : – champ lexical : « pleurs »/« pleurent », « larmes », « chagrins » ; – métaphore filée : aux yeux bleus « comme le ciel » s’opposent « orageux » et « nébuleux » (qui riment à chaque fois avec « bleus »).

B. Le dialogue entre le poète et l’enfant • Pour souligner le pathétique, Hugo instaure un dialogue entre lui et cet enfant (à partir de la strophe 3), comme s’il était présent à Chio. • Sollicitude du poète : – manifestations de l’émotion dès le début du dialogue : « Ah ! Hélas ! » ; – apostrophes pathétiques : « pauvre enfant » ; – le poète tente de consoler cet enfant meurtri pour lui redonner la joie propre à son âge : « pour essuyer les pleurs », « pour me sourire » ; – par la magie de l’imaginaire, du conte et de la poésie, il tente aussi de faire oublier à l’enfant l’horreur de ce lieu dévasté et de le ramener dans un univers propre à l’enfance. • Chute du poème : tous les efforts du poète sont vains. • Plan du texte : – 1 : constat de la ruine de Chio ; – 2 : focalisation sur l’enfant victime ; – 3 à 6 (jusqu’au vers 35) : prise de parole du poète voulant consoler l’enfant et l’emmener dans le monde de l’imaginaire. Partie scandée par « Que veux-tu ? » ; – 2 derniers vers : réponse de l’enfant. • Reprise en chiasme du vers 8 : caractéristique de l’enfant qui va se briser au vers suivant. • L’enfant refuse le monde idéal et merveilleux de l’enfance : il s’adresse à l’adulte comme à un égal (« Ami ») et plonge, lui aussi, dans la guerre et la vengeance (« de la poudre et des balles »). • L’enfant qui avait été épargné par les massacres subit le massacre de son enfance. Il est passé directement dans le monde des adultes, marqué par la violence. • Le poème s’achève dans le tragique, comme il avait commencé. Rien ne semble pouvoir s’opposer à la force du mal, même pas les pouvoirs de la poésie ou de l’imagination.

Conclusion Ce poème illustre l’engagement de Victor Hugo pour toutes les grandes causes défendues par les romantiques. En usant de différentes tonalités et de toutes les ressources du lyrisme, le poète touche le lecteur et le sensibilise à la cause de l’indépendance grecque. Comme Hugo, Baudelaire et Rimbaud ont su utiliser la figure poétique de l’enfant innocent et victime pour s’élever contre la misère et l’injustice sociale.

◆ Dissertation

Introduction On a parfois tendance à limiter la poésie à de la pure esthétique, en lui refusant toute autre fonction. Nous verrons, au contraire, que la poésie ne se limite pas à sa fonction esthétique mais peut aussi « enchanter » le monde, voire le transformer.

1. Une fonction esthétique

A. La poésie a pour but la beauté • Les quatre textes du corpus illustrent différentes formes de beautés : recherche formelle dans le système complexe des vers (textes A, B et D), beauté de l’évocation de l’enfant et du monde imaginaire qui lui est lié chez Hugo, beauté attendrissante des enfants malgré la misère chez Baudelaire et Rimbaud. • Beaucoup de poètes ou de mouvements poétiques revendiquent le fait que « la Poésie n’a pas d’autre but qu’elle-même » (Baudelaire). Cf. les parnassiens qui recherchent la Beauté pure, Gautier qui voit le poème comme un bijou dans Émaux et Camées. • Recherche de la beauté par la forme : vers, rimes, formes complexes et contraignantes comme le sonnet pour « ciseler » le poème.

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• La recherche de la beauté musicale peut même conduire à l’hermétisme comme chez Mallarmé.

B. Un monde à part • La parole poétique vise souvent à se démarquer du langage ordinaire et utilitaire pour en retrouver la beauté musicale : « De la musique avant toute chose » (Verlaine). • Redonner aux mots leur beauté et leur richesse de signification : jeu sur les sonorités et le rythme, sur les images et les connotations, sur le sens étymologique (cf. Mallarmé : « Donner un sens plus pur aux mots de la tribu »). • Beauté de l’invention, de la nouveauté, de l’insolite (cf. Baudelaire : « le Beau est toujours bizarre » ; la beauté surréaliste).

Transition : Mais la poésie dépasse largement sa dimension esthétique car elle constitue aussi un mode particulier d’appréhension du monde.

2. Enchanter le monde

A. Enchanter ses peines • Comme le dit Du Bellay, la poésie peut « enchanter » ennuis et peines en les « chantant », c’est-à-dire en les transformant en œuvre d’art, dans une sorte de catharsis (Regrets, sonnet XII). • Écrire de la poésie a pu être une consolation pour Du Bellay exilé, pour Hugo endeuillé, pour Verlaine prisonnier, pour Apollinaire « mal aimé »… • La poésie peut adoucir les peines en permettant d’abord de les dire, puis de les mettre en musique et en beauté… • Elle peut aussi adoucir les peines d’autrui : cf. les témoignages de tous ceux qui ont « tenu » en se récitant des poèmes en prison ou dans les camps ; la poésie devient alors marque d’humanité et apporte le secours de la beauté dans un monde où l’être humain est dégradé ou nié.

B. Célébrer le monde • La poésie a une forte dimension de célébration, d’exaltation de la beauté : cf. le lyrisme amoureux qui célèbre la beauté féminine à travers les siècles. • Célébration du monde, de la création et de l’œuvre poétique chez Claudel, Saint-John Perse… • L’épopée permet la célébration des grandes figures héroïques (l’Odyssée d’Homère, les Métamorphoses d’Ovide), d’une cause (la Chanson de Roland : culture, roi + religion). Elle suscite la cohésion d’une même culture, d’un même peuple. • Dans tous ces cas, la poésie permet de mieux « habiter » le monde ; cf. les « poètes de la présence » comme Jaccottet, Bonnefoy…

C. Métamorphoser le monde • La poésie permet de : – voir le beau dans ce qui paraît le plus banal et le plus quotidien (« Le Cageot » de Ponge) ; – créer de l’extraordinaire (« La Bicyclette » de Réda) ; – révéler la beauté du laid : c’est ce que font Baudelaire et Rimbaud, décelant la beauté inaltérable des enfants sous « la patine de la misère » (cf. « La Charogne » de Baudelaire, « Le Porc » de Claudel…). • Par les images, la poésie propose une nouvelle vision du monde, et même un nouveau sens par les analogies et correspondances qu’elle crée entre les réalités.

3. Changer le monde ? La poésie peut même parfois prétendre « changer la vie » (Rimbaud) ou du moins « aider / À s’y mettre / Pour changer le monde » (Guillevic).

A. Partager • La poésie permet de partager : – émotions et souffrances, et donc de lutter contre la solitude, en retrouvant le sentiment de l’universel : Hugo, dans « L’Enfant », fait partager à ses lecteurs les souffrances de la nation grecque aspirant à se libérer du joug ottoman ; – des questions universelles et existentielles : la fuite du temps, le deuil, la place de l’être dans le monde… Créer un lien. • La poésie, en suscitant un nouveau regard sur la réalité, invite à la lucidité, à la prise de conscience de ce que nous sommes (cf. « Le Testament » de Villon, les Sonnets de Jean de Sponde, « Ce que dit la Bouche d’ombre » de Victor Hugo, Éthiopiques de Senghor, etc.).

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• Elle permet aussi de partager des valeurs : l’appel à la résistance pendant l’Occupation (« Ce cœur qui haïssait la guerre » de Robert Desnos), la poésie engagée, la poésie de la négritude…

B. Dénoncer • La poésie a une force particulière pour dénoncer, grâce à tous les procédés poétiques (rythme, musique…) et à l’émotion qu’elle dégage : les trois derniers poèmes du corpus dénoncent la violence faite aux enfants par la guerre et l’injustice sociale, alors même qu’ils sont faits pour la douceur, le bonheur et la gaieté. • Agrippa d’Aubigné dénonce les exactions du camp catholique pendant les guerres de Religion dans Les Tragiques, Hugo s’en prend à « Napoléon-le-Petit » dans Châtiments, Césaire au racisme dans Cahier d’un retour au pays natal… La poésie permet aussi de parler au nom de ceux qui sont privés de parole : les Grecs massacrés, les enfants, les Français sous l’Occupation, les Africains… • La poésie peut avoir aussi une dimension iconoclaste : engagement contre des formes traditionnelles et jugées sclérosantes pour faire advenir un nouveau langage adapté aux mouvements de son époque (Rimbaud, Lautréamont, Apollinaire, les surréalistes…).

Conclusion La poésie ne peut donc pas se réduire à sa dimension esthétique, et un poème n’est pas qu’une belle construction de mots. Cet art, par ses moyens particuliers et par la force de son langage, donne une certaine approche du monde, crée des liens entre les hommes et peut, à sa façon, « changer la vie ». On peut citer, pour conclure, ce poème de Guillevic (Art poétique) qui, dans son émouvante brièveté, suggère la richesse infinie de la poésie :

Je vous donnerai des poèmes Où vous vivrez.

Comme l’olivier

Vit dans sa terre.

Vous y gagnerez De faire vous aussi

Vos olives.

◆ Sujet d’invention Le professeur valorisera une argumentation ancrée dans un contexte historique précis et dans le cadre évoqué par le poème, un dialogue respectant la différence d’expression entre l’enfant et l’adulte et la vivacité dans l’échange des répliques.

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B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E E T P I S T E S P É D A G O G I Q U E S

◆ Compléments bibliographiques – C. Gély, Victor Hugo, poète de l’intimité, Nizet, 1969.

– Jean Gaudon, Victor Hugo : le temps de la contemplation, Flammarion, 1969.

– Pierre Laforgue, Hugo : romantisme et révolution, PUFC, 2001.

◆ Pistes pédagogiques • Il serait intéressant de comparer le poème « Mors » avec Le Triomphe de la Mort, peinture de Pieter Bruegel l’Ancien (XVIe s.), que l’on trouve sur Wikipédia.

• On pourrait comparer les intentions du poète dans un corpus de préfaces ou de poèmes liminaires : – Texte A : sonnet I des Regrets de Joachim Du Bellay. – Texte B : début des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné. – Texte C : extrait de la préface des Harmonies poétiques et religieuses de Lamartine. – Texte D : préface des Contemplations de Victor Hugo (pp. 11-12 du livre de l’élève). – Texte E : préface de L’Honneur des poètes de Paul Eluard [texte non reproduit ici car soumis à droits, que vous pouvez néanmoins trouver sur Internet].

Texte A : Joachim Du Bellay, sonnet I des Regrets Je ne veux point fouiller au sein de la nature, Je ne veux point chercher l’esprit de l’univers, Je ne veux point sonder les abîmes couverts, Ni dessiner du ciel la belle architecture.

Je ne peins mes tableaux de si riche peinture, Et si hauts arguments ne recherche à mes vers : Mais suivant de ce lieu les accidents divers, Soit de bien, soit de mal, j’écris à l’aventure.

Je me plains à mes vers, si j’ai quelque regret : Je me ris avec eux, je leur dis mon secret, Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires.

Aussi ne veux-je tant les peigner et friser, Et de plus braves noms ne les veux déguiser Que de papiers journaux ou bien de commentaires.

Joachim Du Bellay, sonnet I des Regrets, 1558.

Texte B : Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques Je n’écris plus les feux d’un amour inconnu Mais, par l’affliction plus sage devenu, J’entreprends bien plus haut car j’apprends à ma plume Un autre feu auquel la France se consume. Ces ruisselets d’argent que les Grecs nous peignaient1, Où leurs poètes vains2 buvaient et se baignaient, Ne courent plus ici ; mais les ondes si claires Qui eurent les saphirs et les perles contraires3

1 Les poètes grecs évoquaient souvent les jardins idylliques des Muses, sur le mont Hélicon, en Thessalie (région sauvage du Nord de la Grèce), où ils puisaient leur inspiration à des sources sacrées. 2 vains : frivoles, légers. 3 contraires : au sens de « rivaux » ; les ruisseaux de France rivalisaient d’éclat avec les saphirs (pierres bleues) et les perles.

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Sont rouges de nos morts ; le doux bruit de leurs flots, Leur murmure plaisant, heurte contre les os. Telle est en écrivant ma non-commune image ; Autre fureur qu’amour reluit en mon visage. Sous un inique1 Mars, parmi les durs labeurs Qui gâtent le papier et l’encre de sueurs, Au lieu de Thessalie2 aux mignardes3 vallées, Nous avortons ces chants, au milieu des armées, En délassant nos bras de crasse tout rouillés, Qui n’osent s’éloigner des brassards4 dépouillés. Le luth5 que j’accordais avec mes chansonnettes Est ores6 étouffé de l’éclat des trompettes. Ici le sang n’est feint, le meurtre n’y défaut7, La mort joue elle-même en ce triste échafaud8. Le juge criminel tourne et emplit son urne9 ; D’ici, la botte en jambe, et non pas le cothurne10, J’appelle Melpomène11, en sa vive fureur, Au lieu de l’Hypocrene12, éveillant cette sœur13 Des tombeaux rafraîchis, dont il faut qu’elle sorte, Échevelée, affreuse, et bramant en la sorte Que fait la biche après le faon qu’elle a perdu. Que la bouche lui saigne, et son front éperdu Fasse noircir du ciel les voûtes éloignées […].

Théodore Agrippa d’Aubigné, « Misères » (v. 55-86), Les Tragiques, 1616 (orthographe partiellement modernisée).

Texte C : Alphonse de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses Ces vers ne s’adressent qu’à un petit nombre. Il y a des âmes méditatives que la solitude et la contemplation élèvent invinciblement vers les idées infinies, c’est-à-dire vers la religion ; toutes leurs pensées se convertissent en enthousiasme et en prière, toute leur existence est un hymne muet à la Divinité et à l’espérance. Elles cherchent en elles-mêmes, et dans la création qui les environne, des degrés pour monter à Dieu, des expressions et des images pour se révéler à elles-mêmes, pour se révéler à lui : puissé-je leur en prêter quelques-unes ! Il y a des cœurs brisés par la douleur, refoulés par le monde, qui se réfugient dans le monde de leurs pensées, dans la solitude de leur âme, pour pleurer, pour attendre ou pour adorer : puissent-ils se laisser visiter par une muse solitaire comme eux, trouver une sympathie dans ses accords, et dire quelquefois en l’écoutant : « Nous prions avec tes paroles, nous pleurons avec tes larmes, nous invoquons avec tes chants ! » C’est à eux seuls que ces vers s’adressent. Le monde n’en a pas besoin : il a ses soins et ses pensées. Mais si quelques-uns de ces esprits qui ne sont plus au monde répondent en secret à mes faibles accents ; si quelques-uns de ces cœurs arides s’ouvrent et retrouvent une larme ; si quelques âmes sensibles et pieuses me comprennent, me devinent, et achèvent en elles-mêmes les hymnes que je n’ai fait qu’ébaucher, c’est assez ; c’est tout ce que j’aurai voulu obtenir ; c’est plus que je n’ose espérer.

Alphonse de Lamartine, extrait de la préface des Harmonies poétiques et religieuses, 1830.

1 inique : injuste, cruel. 2 Thessalie : région de Grèce souvent chantée par les poètes antiques. 3 mignardes : plaisantes, agréables. 4 brassards : parties de l’armure qui couvrent les bras. 5 luth : depuis l’Antiquité, instrument qui symbolise l’inspiration poétique. 6 ores : désormais. 7 défaut : manque. 8 échafaud : estrade de théâtre. 9 Le poète évoque ici Minos, le juge des Enfers dans la mythologie antique. C’est lui qui remue l’urne fatale où est renfermé le sort de tous les mortels et qui examine leur vie. 10 cothurne : chaussure à haute semelle que portaient les acteurs dans l’Antiquité. 11 Melpomène est la Muse de la Tragédie. 12 Hypocrene : ou Hippocrène ; source du mont Hélicon, séjour des Muses. 13 Les Muses sont aussi appelées « les Neuf Sœurs ».