vie publique : au coeur du débat public - le droit du …...introduction le droit joue un rôle...

126
Rapport au Premier ministre Le droit du côté de la vie Réflexions sur la fonction, juridique de l’Etat Patrice Maynial Conseiller à la Cour de cassation La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l , Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Upload: others

Post on 17-Jun-2020

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Rapport au Premier ministre

Le droitdu côté de la vieRéflexionssur la fonction,juridique de l’Etat

Pat r ice MaynialConseil ler à la Cour de cassat ion

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 2: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Rapport officiel

© La documentation FrançaiseEn application dela loi du 11 mars 1957

(art. 41) et du code dela propriétéintellectuelle du1er juillet 1992.

toute reproductionpartielle ou totaleà usagecollectif dela présente

publication eststrictement interditesansautorisation expresse del’éditeur

Il est rappelé à cet égard que l’usageabusif etcollectif de la photocopie

met en dangerl’équilibre économiquedes circuits dulivre.

ISBN 2-11-003732-6ISSN 0981-3764

DF 54078-1Paris, 1997

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 3: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Le Premier ministre

Monsieur Patrice Maynial,président de la chambreà la cour d’appel de Paris2-4 boulevarddu Palais75001 Paris

Paris, le 7 février 1996

Monsieur le président,

Je souhaite vous confierune mission d’évaluation de lafonction juridique au sein des administrations centrales.

En effet, les servicescentraux de l’État jouent un rôle majeurdans la production normative, qu’il s’agisse dela rédaction desprojetsde loi et des actes réglementaires, de l’interprétationdu droit par le biaisdes circulaires et des réponses aux questions parlementaires ou encoredu contrôle de l’application des textes.

Les critiques nombreuses et souventjustifiées concernant laprolifération des normes,leur instabilité, leur absence de nécessité etleurcaractère incantatoire doivent conduireà mener une réflexion sur lesconditions dans lesquelles s’élaborent,au sein des administrationscentrales, lesrègles du droit. Dans la partie de son rapport public de1991 consacréeà la sécurité juridique, le Conseil d’État avait d’ailleursformulé quelques recommandations en ce sens. Ilproposait notammentde rapprocher, au sein des ministères, les fonctionnairesqui élaborent larègle dedroit de ce qui en contrôlent l’application, d’associer davantageles gestionnaires auxrédacteurs dans la phase de préparation des texteset de renforcerla formation juridique des agents.

Depuis 1991, certains départements ministériels ontentreprisdesefforts pour améliorer la production normativede leursservices.Denombreuses instructions ont étédonnées par mes prédécesseurs et parmoi-mêmeafin que les administrations veillentà la correction juridiquedes textes etrésistent à la tentation de transcrire des déclarationsd’intention sous formede lois ou de décrets.La récente circulaire du21 novembre 1994 relative aux études d’impact s’inscrit dans ce cadre.

Cependant,il ne sera possible de progresser dans cedomaineque si l’on parvient à modifier en profondeurles habitudeset les réflexesadministratifs.

Je souhaite quevousmefassiez despropositions concrètesence sens. Il vous appartiendra notamment d’évaluer les méthodes d’élabo-rations destextes misesen oeuvredans lesministères et de recenser leseffortsfaits par les différentes administrationspour améliorer la qualitéde leur production normative.Je souhaiterais également quevousétudiiez

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 4: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

les questions concernantla formation, la documentation, les méthodesderecherche etde collecte des données juridiques et, defaçon générale,toutes lesprocédures qui permettentà l’administration d’assurer unefonction de veille juridique et de vérifier s’il est bien nécessairedemodifier l’ordonnancementjuridique pour atteindre les objectifs qui luisont assignés.

Votre mission devra s’effectuer en liaison étroite avec leSecrétariat général duGouvernementet le Commissariatà la réformede l’État.

Vous voudrez bienmefaire parvenir un rapport d’étape pourle 15 mai 1996 et m’adresser vos conclusions définitivesavant le31 décembre1996.

Je vousprie d’agréer, Monsieurle président, l’expression demes sentimentsles meilleurs.

Alain Juppé

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 5: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Sommaire

Le droit du côté de la v ieRéflexions surla fonction juridique de l’État 7

I n t r o d u c t i o n 9

Chapitre 1Quelques réflexionssur la production normatived e l’Etat 13

Chapi t re 2Fonct ion jur id ique -f o n c t i o n ju r id i c t ionne l le 47

Chapi t re 3Les structures cent ra les de l’Étate t la fonct ion juridique 67

Chapitre 4Fonct ion juridique e t communicat ion 85

Chapitre 5Gest ion des ressources humaines 103

C o n c l u s i o n 117

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 6: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Synthèses d e spr inc ipa lesp r o p o s i t i o n s 119

I n d e x 125

Table d e s matières 129

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 7: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Le droitdu côté de la vieRéflexionssur la fonctionjuridique de l’État

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 8: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Introduction

Le droit joue un rôle croissant dans notre société.Le tempsde la responsabilitéa succédéà celui de l’autorité. Une expressiondenotre langagede tous les joursa fait son apparition quien dit long surle désir de transparenceet d’équité ainsi que sur l’exigence d’unejusticeindépendante :l’État de droit.

De nombreuses études portantà la fois sur le système juridiquede l’État et sur l’aptitudede ses cadresà remplir cette fonction suscitent dessentiments mélangés :une activitéde plus en plus intense,mais brouillonne,une formation juridiqueen éveil, mais qui cherche salégitimité sociologiqueentre le tout économiqueet l’excellence mathématique.

Les choses auraientpu évoluer sans bruitsi la demandededroit « sociétal » et dejustice, l’arrivée en majesté du droit européen, lesmesures régulatricesliées aux épreuves économiqueset sociales, les« cohabitations » développantle souci d’appliquer strictementla règlen’avaient placé le droit au centremême del’engagementde l’État. CetÉtat, à la recherche d’une nouvelle alliance avec les citoyens,qui,confrontéà des difficultés croissantes, est pour beaucoup encore1’« ultimaratio », qui joue son destin dans une Europe supra nationale, a,sousl’impulsion du Premier ministre,décidéd’ouvrir le chantier de sa proprerénovation.

La réforme des méthodes d’élaboration des normes permettraà l’État d’avoir unerelation plusauthentique avecle Peuple,de jouer aumieux son rôlede régulateurde la vie sociale et économique.

L’état des lieux que nous avonstenté de dressernuance lacritique convenue. Ilmontre à la fois que l’État dispose d’une liberté demanoeuvreplus faible que celle que l’onpourrait imaginer de prime abordet que les utilisateurs dudroit sont moins hostilesqu’on veutbien le direà la qualité de la production normative qui les concerne directement, dèslors qu’ils ont étéassociésau débat. C’est souvent davantageunequestionde méthode quele fond du droit qui est en cause.

« L’État-gouvernement » fécondeun essaim normatif parmibien d’autres. La critique de la norme renvoie aussiau rôle du Parlement,

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 9: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

aux institutions européennes,aux producteurs de normes privéesàcommencerpar ceux qui élaborentles conventionscollectivesdu travail.

L’espace d’initiativesen matière normativede 1’« État-gouver-nement » vaen diminuant.

La production normativene pourrait pas être appréciée pource qu’elle doit être sil’on omettait d’évoquerle rapport entre la penséeet l’action, entrel’énonciation d’une règle et les mécanismes opérationnelsqui lui donnent vie.

Le rapport soulignele rôle du temps qui s’enrichitde laréflexion et deséchanges. Il relève l’intérêtdes étudesd’impact.

Mais l’effort le plus ambitieux devrait être fournien faveurde la communication des mesures entrées dansle droit positif.

Pour bien communiquer avec les citoyens,l’État doit secomporter à la fois en entrepreneur soucieuxde réussir à diffuser saproduction,puis en inlassable pédagogue.Et peut-être atteléà ces deuxfonctions,la secondelégitimant la première,en viendra-t-il à parler moinspour êtremieux entendu.

La seconde sériede réflexions a trait à l’évaluation de lafonction juridique au seindes administrations centrales.

Notre histoireportedes contradictions que projette une lumièrefroide sur ce sujet. L’inventaire de l’héritage de la Révolution et del’Empire fait une placede choix à la fonction législative, créatriced’unordre universel qui prendd’abord la forme de la Déclaration des Droitsde l’Homme etdu Citoyen, puis des grands codes,le premier d’entre euxétant le Code civil.

La science juridique s’appuyait alorssur de robustes humanitéset la connaissancedu droit romainétait un viatique essentielpour prétendres’occuper du bien public. Solon et Cicéron étaientimmortels, Keynesn’était pas encoreun prophète.Progressivement,les élites sesont éprisesd’autres disciplines.Avec le recul du temps, d’aucuns pourronttrouverétrange quele PrésidentRaymondPoincaréait hésité longuemententre laprésentationau concours à l’École polytechniqueet l’inscription à laFacultéde droit. Il devint avocat.On sait que l’attirancepour les sciencesexactes etla gestion plus que pour le droit et les lettresa contribué àfaçonner « l’honnêtehomme» moderne.Et si le scientifique issu d’unexcellent vivier est confrontéau doute dans les domaines lesplus avancésde la recherche, enrevanche, lorsqu’illui arrive de contribuerà définirdes mesures réglementaires,il aborde l’affaire avec l’assurancedu profane,la considérant commeun sous-produitde l’opérationnel.

S’il est vrai que le droit estdevenuau sein desadministrationscentrales omniprésent commela prose de Monsieur Jourdain, il estmanifeste quel’intérêt généralement portéàcette discipline est insuffisantpar rapport auxenjeux. Le traitement des dossiers juridiques esttropsouvent confiéà des services effacéspour ne pasdire marginalisés et,lanature ayanthorreur du vide, c’est souvent unconseiller techniqueau

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 10: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

cabinetdu ministreou un fonctionnaireen détachement quirelèvele défidu droit. Il y aurait beaucoupà dire sur le face-à-face entrele juriste etle gestionnaire.

Cette situation contraste avecla politique constantede renfor-cement de l’éveil juridique du Gouvernement qui s’estmanifesté parl’influence croissantedu Secrétariat généraldu Gouvernement devenuunorgane indispensable àla bonne marchede l’État.

En vérité, le fameux ministèrede la loi évoquéen 1975 parM. Olivier Guichard, garde des Sceaux,c’est sousla Ve République lePremier ministrelui-même qui en exerceles véritables attributions.

Il serait injustede passer sous silencele rôle du Conseil d’Étatqui, en plaçant chaque texte dansla perspective cavalièrede l’ordonnan-cement juridique, cache les effetstrop voyants du sous-équipementjuridique des administrations centrales.

Ce qui est également frappant, ce sont les conséquencesculturellesdu dualisme droit public-droitprivé qui a enfanté deuxfamillesde pensée. La considération mesuréede la haute administrationpour ledroit privé qui inclut le droit pénal, est l’une des causesqui sans doutea incité nombre demagistratsà s’inspirer de l’esprit des parlementsdel’Ancien Régime.

On s’attarde quelque peu surce dualisme, quia entraîné etnourri une partitionrévélée parla sociologie administrative,pour mieuxsouligner l’importance desefforts à accomplir sil’on veut rapprocherdeux mondes qui s’ignorent. Ilfaut pour cela vouloir entreprendre unevéritable démarcheen faveur de la formation au droit de ceux qui yconsacrentleur vie professionnelle. Et si l’on jugenécessaired’ouvrirportes et fenêtrespour renouveler -ou refonder - l’espritde la fonctionjuridique, il faut en mêmetemps associerà cetteréforme - au sens pleindu terme - lesprofessions juridiques,à commencer par les professeursde droit et les avocats qui sont souvent,à leur corps défendant, delointains spectateursde la vie administrative.

Le présent rapport appelleà une approche nouvelle parl’Étatde sa proprefonctionjuridique.

Paris, septembre1996

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 11: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Chapitre 1

Quelquesréflexions surla production normativede l’Etat

Selon les termes mêmesde la lettre de missiondu Premierministre, les services centraux del’Etat jouent un rôle majeur danslaproduction normative.A ce titre, l’État encourt des critiques nombreuseset souventjustifiées concernantla prolifération desnormes,leur absencede nécessité et leur caractèreincantatoire.

La première partiede ce rapport est consacréeà l’analyse decette proposition.L’État est considérésous ses différentesfacettes :l’« État-Gouvernement » qui, mettant en oeuvre sa politique normative,dispose à cet effet du concours desservices centraux ;l’« État-adminis-tration » qui, assujettià des obligations de transparence, deneutralité etde permanence s’attacheà donner un souffle à cette productionet àprendre les mesures d’ajustement etl’« État-juge » qui est chargé derendre la norme efficiente.

De même seront évoquésle rôle de plus en plus présentdudroit européendont la norme nationalen’est souvent que l’ombreportéeet celui des opérateurs qu’ils soient publicsou privés, d’origines nationaleet étrangère.

Imputer la production normative aux seuls services centrauxconduirait à une impasse. Une prisede conscience sur les ressortsdel’offre et de la demandeen matièrede mesureset de normes nouvelles,sur les contraintesqui entachentleur élaborationd’imperfections, surlanature aléatoire de toute démarche prospective montre combien lesresponsabilitésdénoncées sont partagées. Mais tout d’abord,on peuts’interroger sur la pertinence des critiquesde commande articuléesàl’encontre de la production normative.On ne peut passersous silencelaconnivence qui lie lesintéressés pour qu’en définitive les méthodeset lesréflexes soient conservés. En tout cas,la résignation constatée nepeutêtre vaincue par quelques recettes de pure forme.

On s’interroge surle point de savoir si la situation décriéetraduit un déclin de notreorganisation politique ou si,au contraire,ellerévèle une démocratie attentiveà l’ensembledes problèmes portés surlaplace publique. Les institutions majeuresde l’Etat souffrentde surchauffenormative et s’en plaignent, mais considèrent queleur devoir est de

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 12: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

poursuivre dans cette voie ;ce qui montrebien qu’elles ont fait leurchoix.Les invités à la rentrée solennellede la Cour de cassation, les lecteursdu rapport d’activité annuel du Conseil d’État saventd’avance quelecontentieux néde la prolifération des textes se poursuitavec deshauts etdes bas au fil des ans.

Le Parlement,subit de plein fouet l’épreuvede l’encombre-ment et de la précipitation en dépit de l’instaurationde la session uniquequi a pourtant augmentéde trois mois la période des débats publics.Etlorsque la presse déclaraiten avril dernier : «Le Parlement reprend sestravaux. D’aucuns se demandent comment lesdéputés vont pouvoirfaireface à un ordre du jour extraordinairement chargé », personnene pensaità imputer cette situationà la fécondité naturelledesservices centrauxdel’État. Cette situation exprime aux yeux de tousle contrat qui unit lepouvoir aux citoyens.

Les différents pointsde vue qui vont être développés, fontapparaître des problèmes structurelsdecorrélation entreles divers visagesde l’État, d’oùcette tendanceà remettre surle métier lestextes dèsqu’ilssemblent,au traversd’un événement quelconquemais monté en épingle,ne plus convenir.

La logique des différents pouvoirsconstitutifsde l’État nc luipermet pasde conduire ses effortsde manière synchrone. Et puis l’État,épris de safonction normative, pourrait avoir commedevise : « Jelégifère, donc je suis ».

* * *

A titre liminaire, la fonction juridique de l’État invite à uneréflexion sur les rapportsentre l’idée de progrès,le droit et la productionde normes par1’« Etat-gouvernement».

Progrès, droit, production normativeDe l’État, les citoyens attendent une capacité de prévision et

d’organisation qui facilitel’éclosion de progrès. La production normativeest au service de cette fonction. Est-elle, elle-même, enprogrès ?L’expression de « production normative », quiévoque l’idée derende-ment, traduit la précarité del’objet produit : la loi est un bien deconsommation.C’est pourquoi, s’éloignent du droitproprementdit - touten le polluant - les textes procédant d’une telle approche. Le« droit »sous-tendu par des principes estmalmené par la législation et laréglementation. Cette divergence est parfoissoulignée parles courssuprêmes qui sontlà pour rappelerla primauté des principesde droit surla contingence des textesissus decirconstances particulières.

Tout en favorisant des progrès, c’est-à-dire des réponses mieuxadaptées aux innombrables difficultéset aux demandes d’arbitragedontil est saisi, l’État peut, de bonnefoi, promouvoir la décadence de son

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 13: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

ordonnancement juridique surtoutlorsque les mécanismes mis en placene sont pas rationnels, qu’ils sont constituésde règles incertainesde tellesorte queles progrès qui se manifestent dansde nombreux domainesnesont pas incompatibles avec unerégressionde la législationau regarddudroit.

Dès lors,s’il a l’ambition d’associerle progrèsdu droit à ceuxde la société,le producteur de normes doit formuler des règles nécessairesqui s’inscrivent logiquement dans l’ordonnancement juridique.On peut serisquer à suggérer quela remise fréquente des textes surle métier n’estpas en soile signe d’un progrès,mais unetentative toujoursdéçue deréparer les défautsde la production antérieure.

Pour échapperà cette pesanteur nuisibleà l’image d’un Étatmoderne,le Premier ministre entend quel’appareil producteur denormeset de codification concourtau progrès du droit.

* * *

Une certaine nostalgie d’un droit stable, accessibleà l’ensem-ble de la communauté juridiquetransparaît dans les critiques écritesàl’encontre de l’évolution de l’ordonnancement juridique.Deux facteursde bouleversementparmi d’autres, méritent d’être soulignés : lesloisactuelles sontgénéralement destinées à des publics spécialisés :

- Des lois pour qui ?

- Publics spécialisés,et l’État manqueactuellementde tempspour s’assurerdu bon achèvement d’une réforme :

- La phase préparatoire d’une normeet le temps.

Des lois pour qui ?

Une impression d’intemporalitéet d’universalité se dégage descodesNapoléon et des textes législatifs publiés jusqu’àla moitié denotresiècle. L’emploi de termes généraux, l’économie des adverbes, des casparticuliers et des dérogations,la solennitédu style pour tout dire, sontautant de signesindiquant quele législateur s’adresseau peuple françaisdans sa diversité et dansson unité. C’est lui qui investit de la fonctionlégiférantela représentationnationale.En retour, celle-ci s’adresseà lui.

Aujourd’hui, la loi conçue à l’intention d’un ensemble decatégoriesfinement répertoriées,qu’on dénommeparfois publicsspécia-lisés, reflète l’évolution dela relation de l’Étatà l’individu. S’affranchis-sant de la prise en compte d’un peuple abstrait, l’État seréfère auxcatégories qui ont une existenceréelle. Il y est aidé parl’émergence desgroupes depression dontcertains vontmême jusqu’àproposer des projetsde loi prêts à êtreinscrits à l’ordre du jour d’une des deux assemblées,et par le développement dessondages et des statistiques.On se rapproche

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 14: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

à grands pasdu lobbying américain dontle poids influencela nature mêmede la fonction juridiquede l’État.

Faut-il institutionnaliserle rôle desgroupesde pression ?Entout cas, l’Assemblée de l’Union européenne envisagede se prononcersur les rapports entrela fonction d’élu et les intérêts manifestés par lesgroupes de pression.Deux textes y sont en cours d’examen :le premierconcernela déontologie parlementaireet le secondsepropose de prévoirl’encadrementde ces groupesde pression. Notre paysne pourra pas setenir longtempsà l’écart de ce type de mesuresde transparence.Enattendant,dès lors que les « forces vives » sont représentatives,il estnécessaire que les producteursde normes aientconnaissancede leurspoints de vue.

Publics spécialisésIl faut, selon les termesmême dela circulaire du Premier

ministre, «s’ engager dans unedémarche visantà améliorer, à simplifieret à sécuriser auplan juridique... les procédures de décisions del’État-central ». Cette démarcheconcernela production normativeelle-même etles moyens misen oeuvrepour en assurerla divulgation.

L’achèvementà échéancede quelques annéesde la codificationà droit constant,la rédaction des textesà partir des étudesd’impact etsous leurforme consolidée,la présentation exhaustive d’uneréforme sousforme d’un bloc juridique comprenantloi, décrets, arrêtéset circulairesd’application, une communication faisantappelà l’ensemble des moyenstechnologiques disponibles sont autant d’initiatives allantdans la bonnevoie. Mais il faut aller au-delàen prenant appui sur l’intérêt concret desusagers pour une réformeen particulier. C’estparce qu’ils existent quel’on peut substituerà la diffusion anonymeune démarche pédagogiqueciblée. Certaines administrationsle font déjà : lescontributions directesfont parvenir à chaqueassujettiun résumé des règlesfiscales applicablesà son cas.Ainsi se constituele public spécialisé.Car mêmesi une réformesemble avoir uneportée générale, elles’adresseen réalité à un publicprécis. Sila réforme de l’adoption concerne,danssonprincipe, l’ensembledes citoyens,en réalité, seuls quelques unssont concernés parce sujet.En dépit de leur non appartenanceà un milieu socio-culturel, c’estleursensibilité à ce sujet qui les prépareà recevoir le message juridique devulgarisation.Ce qui permet sans cesse età proposde tout à l’État de seconstituer des groupes d’usagersdu droit qui justifient une approchedifférenciée.

La majorité des mesures sont destinéesà des publics spéciali-sés formésà comprendreune langue technique, commechaque famillequi a ses rites et ses codes. Prenons l’exemple dela loi sur la maîtrised’oeuvrepublique. Sont d’abord concernées les professions quiconcourentà la construction immobilière, puis celles qui ontvocation à servir cesactivités : juristesspécialisés,experts-comptables, banquiers, mairesetc.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 15: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Dans cette optique, on peut mettre en avant le rôle descirculaires et des commentaires, une certaine vulgarisationdu contenu desmesures nouvelles,une procédure pratique destinéeà l’ensemble desacteurs concernés (professionnels, clients,collectivités territoriales etc.).Des études ont montré quela majorité d’un public spécialisé abordelaconnaissance d’une mesure parle biais de commentaireset d’exégèsespubliés par des ordres professionnelsou des chambres syndicales.Toutautant quela mesure énoncée, ce qui importec’est la présentationde soninsertion dansun ordre préexistantet sa miseen oeuvre pratique. Cettedémarche, qui combineréférencesde jurisprudence, commentaires doctri-naux, renvoisà d’autres textes, faitdepuis un siècle etdemi la fortuned’éditeurs de codes.

En reconnaissantles besoins spécifiques des publics spéciali-sés, l’État-producteurde normes doit viser à favoriseren priorité l’accueildes réformes auprèsd’eux.

La phase préparatoire d’une normeet le tempsL’intérêt d’une réforme peut naître dela nécessité pour l’État

d’apporter une solutionà un problème d’actualité.

Le fond des textes etleur qualité formelle nécessiteraientdes délais qui ne peuvent pastoujours répondre à l’impatience del’opinion publique. L’annoncedu projet crée une attente parmi lespublics spécialisés.L’aboutissementde la réforme leurparait imminentlorsque le projet est adopté enConseil des ministres. Cesentimentd’urgence contraintd’abréger les délais nécessairesà une élaborationapprofondie,laquelle nécessiteraitla consultation d’experts, des «for-ces vives », desministres contresignataires, des organismes publicsconcernés etcomprometla réalisation d’une étuded’impact approfon-die. Pis encore,s’il s’agit d’un projet de loi, à ces délaiss’ajoutentceux de la procédure parlementaire quisont en moyenne d’uneduréede six mois. Orla présentation dutravail parlementaireà l’opinion estdéroutante.On annonce quel’Assemblée nationalea voté unemesure.Mais on passe sous silenceles contraintes du bicaméralisme (quiimpliquent plusieurs lectures et des modificationsde texte à chaqueétape dela discussion).

D’une manière générale,la phasede consultation interminis-térielle pâtit de cette urgenceet lorsqu’une discussion est demandée pardes ministres contresignataires, celle-cifait souvent l’objetd’une conclu-sion précipitée, sans consultation des servicesdéconcentrés de l’État ;d’où un manque de coordination des points de vue des ministèresjuridiquement associés et une évaluation insuffisantede la portée réelledes mesures instaurées. Or, l’expérience montre quemoins la préparationd’une mesure est consensuelle,moins le dispositif ainsi institué emportel’adhésion et s’avèreefficace.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 16: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

L’État se doit d’exprimerdes signesparmi lesquelscertainssont transmuésen normes. Par sa volonté,l’idée devient loi.Le problèmeest quetout ne se décrètepas,que toute solutionne ressortit pasà l’ordredu discourspolitique :

Le verbe et l’ÉtatDans sa panopliede moyenspour gouverner,le plus sûr dont

dispose l’État est le verbe. Selon lescirconstanceset les besoins,lediscours devient norme,le verbe se fait loi, l’Étattransformela promesseen réglementation. Alorsl’écoute devient autre.En se faisant droit,leverbe interpellele citoyen à la manière de Guy Chapmanfaisant montrede cynisme :« Les gens qui se paient demots aimables et détestentl’iniquité, oublient engénéral qu’une réforme consisteà enleverun os àun chien ».

Une réforme est souventà cheval sur plusieurs domaines,juridique, fiscal, économique, technique. Faceau développementde ceschamps culturels,l’État éprouve les difficultéspropresau langage delacompétence. La langue comprendun système de mots pour saisir ununiversen une infinité d’événementssinguliers.D’où l’utilisation par lesjuristes d’expressions quimontrent quele mot utilisé n’est passatisfaisantpour décrirele réel (cf. Les mots quine vont pasde soi, boucles réflexiveset non-coïncidencedu dire, par Mme Jacqueline Authier-Revuz).Ce quiexplique l’insertion de nombreuses locutions qui tendentà donner unereprésentation plus précisede l’intention du rédacteur(exemples : notam-ment, tels que, sousréserve,à condition que..., au sens de...).

Il ne faut pas imputer parprincipe aux producteursde normesle caractère approximatif d’une langue qui nécessiteparfois d’êtredécryptée tandis qu’elle gagneen précision parla méthodedu renvoi àd’autres normesdéjà défrichées.Il faut, en revanche,débusquer lescausescritiquables des incertitudesdu langage. Ce peut être, au niveau d’undécret, une réduction sournoise du domaine deliberté ouvert par la loi,une interprétation controuvée des possibilités reconnues parun texte deniveau supérieur, une pertede vue de l’objectif d’une réforme, unéquilibre hésitantentre l’espace deslibertés individuelleset celui de leurréglementation, une volonté de privilégier « l’effet devitrine » sur le fondde la réforme etc.

Parfois la norme est bâtarde et vaine parce quele problèmeen jeu n’est pas réductibleau traitement normatif. Prenons l’exempledela délinquance en milieu scolaire. L’un des désordres constitué parl’intrusion d’individus n’appartenant pasà l’établissement d’enseignementétait prévu parla loi anti-casseurs du 8juin 1980 abrogéele 17 décembre1981 quipunissait cefait d’une peine d’emprisonnement d’unan et d’uneamende de 8 000 F. Une réflexion est actuellementen cours surl’intérêtàprévoir uneincrimination similaire. Le Gouvernement pourraits’orientervers la création d’une contraventionde 5e classe réprimantun tel faitd’une amendede 10 000 F. Mis à part le cas de l’intrusion, l’arsenalrépressif contenu dans le Nouveau Code pénal estamplement suffisant

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 17: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

pour traiter de l’ensemble des désordres et des violences enmilieuscolaire. Pourtant,force est de constater que les Pouvoirs publics abordentcette situation commesi elle s’inscrivait dansun vide juridique au pointqu’un syndicat d’enseignants exige «des mesures concrètes qui fontcruellement défaut ».

Un autre exemplede surinvestissement juridique est fourni parles autorités municipales prohibant certains comportements marginauxsurla voie publique.Comme l’a indiquéun communiquédu Premier ministre,« on ne peutmettre fin par arrêté auxmultiples causes de lamendicité ».A l’évidence, l’arsenal des textes suffità réprimerles comportementsquipoussent certainsmaires à prendre desarrêtés :ivresse, tapagenocturne,violences, etc.Au-delà, lesmesuresréglementaires se heurteraientau droitlui-même. Mais en réalité, les mesures sontprises pour leur effet« d’affichage ». Leur illégalité est sansgrande portéepratique dès lorsque les forces desécurité àcompétencegénérale sontnationales (policeet gendarmerie) et non municipales.

Pour autant, l’opinion confiantedansla puissancede l’État estdemanderesse de normes et demesures nouvelles pourrépondre auxproblèmes qu’elle rencontre ;la pire attitudeétant pour elle « l’inertie desPouvoirs publics » :

La croyance dans lesressourcesde la production normative

La scienceet ses applications ontvocation à répondre à lamajorité des besoins matérielsde l’homme. Nos concitoyens semontrentpressantstant auprèsde l’État que de la communauté scientifiquelorsqueles limites de la connaissance ou descapacités industrielles ont desconséquences dramatiques. L’exemple dela production pharmaceutique etdes besoins des malades atteints du sida estloin d’être unique.

Il existe parconséquent dans nos démocratiesexigeantes surles plans dela sécurité et du confort des liens deconnivence entre lesconsommateurs detechnologies,la recherche scientifiqueet l’industrie.Attentifs à la situation de dépendanceau bien-être queprocurent àl’homme d’aujourd’hui les fruits dela science, les partenaires scientifi-ques et économiqueslui tiennent un discours deséduction et desécurisation.

L’attente des usagersdu droit à l’égard dessolutions quecelui-ci est de natureà apporter est-elle comparable ?

Une part dela production du droit procède de l’actualité,c’est-à-dire de cas fortuits quin’ont pas nécessairement de caractèrerépétitif, mais qui,en raison de leur écho dans l’opinion,doivent avoirune traduction normative. C’estce qui donne à l’enchaînement desréformes son aspect événementielet décousu.Il n’empêche qu’en répon-dant à l’actualité, l’on traite aussi de problèmes permanents. Le scandalede Panama a fait naître la société anonyme par action. L’opinion est

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 18: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

sensibilisée, parle biais de faits divers, à la relation entre le milieuscolaire etla délinquance,au caractère dangereuxde certaines sectes,audénuement des sans-abriet de nombreuses catégories d’exclus, auxfraudesau mariage pour acquérirun titre de séjour, aux mèresporteuses,aux immigrésen situation irrégulière,au fait que leurs enfants peuventêtre français,etc. A ces interpellations quotidiennes, les Pouvoirs publicsapportent une doubleréponse, soulignantà la fois les possibilitésjuridiques existantes et lespratiques généralementsuivies et organisentun débat qui porteen germe la promessede nouvelles normes.C’estd’ailleurs cette perspective d’innovationqui permetd’éluder d’éventuellesdéfaillances opérationnelles.

Le citoyen afficheun scepticismede principe qui cache safoidans les effetsbénéfiquesdu droit qui naît du débat public et dans sonprocessuspermanentdecréationpour assurerla régulationdu corpssocial.Il est possible que celui-ci n’ait souvent qu’un effet placebo. Mais peului importe, c’est parce qu’il croit dans le progrès dela société,quandbien mêmele sensde l’Histoire aurait cessé d’êtrelisible, qu’il attenddel’ordonnancement juridique une évolution incessante destinéeà accompa-gner ce progrès. Il pense quel’État est l’horlogerde la société. Rienneserait pirepour lui que le vide. Sa foi dansla capacitéde l’État invite àméditer surla relation de l’individu à son propre corps tellequ’elle a étédécrite parRené Barjavel dansla Faim du Tigre: « L’ individu ne s’ estpas fait, il n’a pas voulu sa vie [...] C’est une organisation totalementindépendantede sa conscience etde ses décisions qui le maintiennent envie. Son intelligence esttrop faible, son attention trop instable, sonignorance trop grande pour qu’ il puisse assurer cette tâche, mêmependant quelques instants[...] Le gouvernement d’un monde aussicomplexe que le corpshumain réclame uneconnaissance totale desressources de lamatière et des lois de notre univers. Il exige un éveilperpétuel, une attention ininterrompue, unecapacité de réception, decoordination etde décision qui ne laisse en dehors du circuit de la vieaucune parcellede l’organisme ».

Placédans la situationde l’individu par rapport à sa proprevie, l’Etat ne peut détromperle citoyen sur son pouvoir.

* * *

L’« État-stratège »doit concilier deux types de rapportsaudroit qui procèdent de logiques distinctes :une approche organique,concrète et circonstancielleet une vision idéaliste.

Les racines du droit

Notre société est ouverteà la communication des idéeset desbiensmatérielset immatériels.Ce mouvement touche deplein fouet notreordonnancement juridique.La norme doit s’adapterpour assurer l’équili-bre des relations entre les acteurs économiques etsociaux.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 19: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

De la fonction normative,l’État moderne a à la fois uneapproche organique et unevision idéaliste. La norme mondiale - qui estun modèle de circonstance -cohabite avecla norme universelle. Cedualisme est illustré par le dilemme desdroits de l’homme et de noschômeurs à propos duquel M. Jeand’Ormesson déclare : «Je crois quela contradiction estplus forte que jamais entre nos aspirations procla-mées etla réalité. A chaque pas, nous devonsnous tenirà égale distancede leurs tentationsmeurtrières : le cynisme qui nous ferait tout accepter,et l’angélisme qui nous précipiterait dansun enfer pavé de bonnesintentions ».

Cettedouble approche est nourrie dela mémoirc de notredroit.Les acteursde la production normative doiventêtre imprégnésde lagenèsedu droit ainsi quede ses principeset de son langage.

L’objet même du droit n’évolue-t-il pas vers uneapprocheplusincitative qu’impérative ?A ce sujet, Michel Foucault disait : «S’orientervers uneconception du pouvoir qui, au privilège dela loi substituelepoint de vue de l’objectif; au privilège de l’interdit, le point de vuedel’efficacité tactique; au privilège de la souveraineté, l’analyse d’unchamp multiple derapport deforces où se produisent des effetsglobauxmais jamais totalement stables, de domination ; le modèle stratégiqueplutôt que le modèledu droit ».

Les conséquencesde la mondialisation de l’économie et dumarché du travail sur le droit, qui ne peut plus avoir d’assise territorialelimitée à celle d’un État, offrent d’innombrables illustrations du propos dece philosophe. La redistributiondesforces économiquesrend nécessairelaprotection dela société contre des chocs auxquelselle n’est pas naturel-lement préparée. C’est l’un desobjets des législations européenneetnationale. Il n’en demeure pasmoins qu’il faille tempérer l’approcheempirique et circonstancielle du créateur derègles par uneexpressionrespectueuse des principes juridiques. L’harmonieuse imbrication d’unenouvelle mesure dansun ordonnancement juridique qui s’appuie surunearmaturesans cesse renforcéede principes protecteurs des libertés,assurela prise de la greffe.A défaut,on assisteà une mésententeentre les juristeset les producteurs de normes ou,si l’on veut, entrele droit et la loi.

Il faut combiner la vision transcendante dudroit avec unegestion de l’immanence.

C’est par sa capacitéà trouver des normesjustesà la fois dansles domaines concurrentiels où prennentposition les opérateurs privés,nationaux et internationaux, etdans la sphère sociétale, que l’État justifiesonindépassable utilité.De même,doit-il trouver sa place dansla relationévolutive régions-État-Europeen énonçant des normes quiapportent uneplus-value auxbesoins de solidaritéet de sécurité. Cependant,à ladifférence de l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne, compte tenude latradition étatiquefrançaise etde la force centripètede notre Constitution,on ne peut pas réellementparler d’un transfertdu pouvoir normatif del’État vers les collectivitésterritoriales.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 20: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Cela étant,il importe de bien distinguer le droit de pétitionsde principe qui expriment une conception irénique des rapports sociauxet de la relation de l’individu à la nation :

Le périmètre incertain du droitPoser des règles qui touchentà l’organisation des relations

économiques etsociales,dont le respect peut êtregaranti par le juge,relève à coup sûrde la production juridique.

De quel droit s’agit-il ?A considérer de près la sémantiquedu droit, des nuances

apparaissent.Ainsi sur la forme, les confusionssont fréquentesentre lesobjectifs poursuivis etle contenu juridique proprement dit. Est-ceà direque l’annoncede la finalité d’un texte soitsansvaleur ? Sans doutepas,car elle peut éclairer le jugesur le sensd’une disposition dont l’interpré-tation apparaîtrait équivoque.En revanche,le risquede la déceptivité d’untexte tient à l’emploi inexact d’un terme, à commencer parcelui de« droit » : « droit »à la sécurité, « droit » àla santé... On associe deuxacceptionsdifférentes d’unmêmeterme : l’une qui est unengagement del’État mais qui ne constitue pas ensoi une créancejuridique, l’autre quiest sanctionnée parle juge. Par exemple, «le droit au logement » estd’une nature différente du droità demeurer dans les lieux reconnu auxoccupants d’un local d’habitation par la loi du 1er septembre 1948.L’annonce d’undroit, tel quedansla loi de 1982 «le droit au logement »,est une invitationà agir à l’adresse des Pouvoirs publics. LeprofesseurJeanCarbonnier,dans son ouvrageDroit et passion du droit sous la VeRépublique, voit là l’émergence d’une morale d’État qui se traduit parlapulvérisation du droit en droits subjectifs toujoursen projet.

Il n’en demeure pas moins que des proclamations non suiviesd’effets mettent l’Etat en situation difficile et nuisent à la sécuritéjuridique. Le monde juridique s’accommodaitde ces approximationsjusqu’à ce que certains problèmes sociaux aientpris de l’ampleur :présence importante d’étrangers en situationirrégulière, difficultés del’école, pratique massive du squatt, progression du chômage, delapopulation nécessitant des soinsmédicauxlourds, etc.La sémantique duconcept «droit » manipulée par des forcesprovocatrices met en difficultéles Pouvoirs publics etfragilise la cohérencede leur action. C’est par cebiais que certains groupesde pression veulent transformerun droitfondamentalen un droit juridiquement protégé.Et parfois même,onassimileun droit fondamentalàun objectif en matière d’hygiènepublique.Ainsi le projet de loi sur la qualité de l’air, en posantle principe du droit« de respirer un air qui ne nuise pasà sa santé », ne crée pas unenouvellecatégorie juridique. Maislà encore, cette annoncen’est passans risque.Que répondreà un citoyen qui, établissant qu’une affectionrespiratoiredont il est atteint est dueà la mauvaise qualitéde l’air qu’il respire,assigneraitl’État en responsabilité ? L’annonced’engagements politiques

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 21: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

sous une apparence normative peut,à terme, créer des problèmesjuridiques et des surprises juridictionnelles.

Le droit et la loiIl est difficile au non-juristede concevoirle droit au-delàdes

textes,c’est-à-dire quele droit puisse exister indépendamment deslois etrèglements. Pourtantnombre d’exemples montrentle rapport subtil entrele droit et la norme. Chacun a,en effet, présentà l’esprit l’abus toujourspossiblede l’exercice d’un droit ou encorel’application d’une législationtenue en échec par des principes qui sontla quintessencedu droit.

Le débat auquel donnelieu ce sujet est inépuisable.Ainsiimaginons un juge d’instruction qui se transporte surles lieux. Aupréalable,il doit en aviserle procureur de la République. S’il satisfaitàcette obligation justeavant de se livrer à l’opération envisagée, sansprendre les convenancesde son collèguedu parquet, peut-onen déduirequ’il recherche l’effetde surprise,manifestant dela sorte de la défianceà l’égard de celui-ci ? Sauf à être justifiéepar des circonstancesparticulières, cette attitude est-elle acceptableau plan déontologique ?Dans la négative, elle s’inscrit dansle périmètre du droit. Quellesconséquences entirer? Cet exemple illustre l’existenced’un univers dudroit bien au-delàde prescriptions légales prisesau pied de la lettre.

De même,les principes déontologiques énoncés dès1918dansla charte des devoirs professionnels des journalistes français, aux termesdesquels ceux-ci doivent garderle secret professionnel, ont constituéunesourcede droit qui n’a pu qu’influencer le législateur.En effet, l’article 109du Codede procédure pénale, modifié parla loi du 4 janvier 1993,dispose :« Tout journaliste, entenducommetémoin surdes informations recueilliesdans l’exercice de sonactivité, est libre de ne pas en révéler l’origine ».

* * *

Si l’on s’accorde sur quelques critiques relativesà la produc-tion normative de l’« État-gouvernement », on en vient généralement àles imputerà un défaut de perspective dans les méthodesde travail quitraduisent une insuffisancede culture juridique.

En réalité, il est difficile aux non-juristes d’admettre quel’élaboration de règles juridiques estun exercice complexe.Et pourtant,toute réforme modifieun équilibre de principeset de mesures d’applica-tion dont l’inventaire estdélicat à faire. C’est la méconnaissancede ceseffets collatéraux quicréent deschevauchements surtoutlorsque secombinent lesrègles des droits public, privé,pénal etfiscal, sanscomptercelles tenant à la procédure :

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 22: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

La difficulté de la fonction juridique :chaque norme fait partie d’un toutPas plus d’ailleurs quele fait de juger une affairecriminelle

ne requiertde la part des jurésde cour d’assisesde capacités particulières,l’aptitude à l’élaboration de la loi n’est associéeà l’idée de compétence,mais àla légitimité électiveou à la position d’autoritéd’un responsableadministratif. Bien sûr, dansla réalité, les chosessont plus nuancées.Pourtantcombien de fonctionnaires qui assistent leur ministreau Parle-ment en qualité de commissairesdu gouvernement, n’ont-ilspas ététémoinsdu succès d’amendements d’origine parlementairene reflétantpasune profonde orthodoxie juridique.Ainsi s’impose l’idée que toutespritbien fait peut, sansy avoir été préparé, rédigerun texte.

Rédiger destextes, veillerà leur application sont desfonctionsdifficiles qui font appelà des compétences techniqueset à la culture dudroit. Les insuffisances dans cedomainesont révélatricesde l’évolutionde la relation de l’État aux citoyens.Ce qui fait quela fonction normativeest de plus en plus liée à la fonction contentieuse et qu’ainsila fonctionadministrative est accoupléeà la fonction juridictionnelle.A ce sujet, dansson livre Le temps des jugesM. Patrick Devedjian déclare : «La montéede l’individualisme, la conviction que l’hommea des droits contre unÉtatqui se trompe si souvent, le dépérissementde l’État affronté de plusenplus à des normesinternationales qui le dépassentou à l’aspiration ducitoyen d’être administréau plus près, tout cela tend à transférer lacharge du lien social d’un État mythifiéà un État de droit. C’est-à-direà un État quidoit se soumettrelui-même de plus enplus à la loi ».

Toute nouvelle réglementation s’inscritdansun cadregénéralqui apporte déjà unecertaine solutionau problème posé.Il s’ensuit quela marge de liberté du producteurde normes estbien plus réduitequ’iln’y paraît. Des lois mal rédigées peuvent provoquerdes situations oùl’Etat sembleen conflit avec la loi alors qu’il n’existe en réalité qu’unmauvais ajustement entrela situation que l’État entend organiseretl’application qui est faitede ladite loi (cf. notammentla législation surles étrangersen situationirrégulière). Une formulation inadéquateou malinterprétée,ce qui revient au même,ne crée pasun antagonisme,au senspolitique, entre des compétences étatiques indépendantes les unes desautres, mais un dysfonctionnement qu’il faut corriger pour que dumalentendune surgisse pasle conflit.

L’actualité donne un exemple dela mise en perspective delaresponsabilitédu producteurde normes : la traduction normative de latransmissibilité de l’encéphalopathie spongiforme bovineà l’homme. Lacommunauté scientifique n’estpas encore en mesure d’apporter sonverdict sur ce point. Si les recherches confirmentla possibilité de latransmission de cette maladieà l’homme, le Gouvernement devra prendredes mesures permanentes.Sinon, les ministresconcernéscourraient lerisque devoir leur responsabilité pénale recherchée par lesayants-droitdes victimes. Cet exemple montre quela réglementation prise pourparerà un risque sanitaireavéré s’emboîte dansun cadrejuridique plus général,celui des responsabilités administrative, civileet pénale.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 23: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

De même,le droit relatif aux conditionsde séjour des étrangersn’est pas uniquementfixé par l’ordonnancedu 2 novembre 1945, mais,comme l’a rappelé le Conseil d’État dansson avis du 22 août 1996,parun ensemblede règles et de principes qui incluent le préambule de laConstitutionde 1946et la Convention européennedesDroits de l’Homme.Quelle quesoit l’éventuelle réécriturede cette législation, sont «incon-tournables »le principe du droit àune vie familiale normaleet celui relatifà la gravité exceptionnelle des conséquences d’une mesure éventuelled’éloignement.

La fonction juridique requiert la capacité pour les déci-deurs à apprécier la position du problème à résoudre dans l’ensemblede l’ordonnancement juridique.

* * *

De même quela peinture contemporainene saurait seréduireà un catalogue d’oeuvres, un chiffre d’affaires et une communautédecréateurs,de même le droit est davantage qu’unesommede règles etdemesures :il en est la mémoireet la combinaison. L’appréciation de cetterichesse estla premièrecondition d’une approche plus respectueusedecette discipline qui est non seulement une sciencehumaineet une culturemais aussi, dans son application,un art :

- Le droit : élémentde l’actif national.

- Le droit : élémentdu passif national.

Le droit : élément de l’actif nationalExpression d’une organisation sociale,de ses valeurs, d’un

rapport à des ordres logique et politique,le droit estun atout culturel. Iltraduit les forces et les faiblessesd’une civilisation. Il est l’une desfacettesde sa langue,de sa capacitéà la rigueur. Par conséquent, au-delàde la prise en compte des besoinsjuridiques de l’actualité, l’Etat a lamission de veiller à la qualité de sonordonnancement juridique.

Peut-on direqu’en raisonde la prégnancedu droit de l’Unioneuropéenne et du rapprochement des modes depenséeau sein decettecommunauté d’États,le droit français conservece qui en a fait jadis unmodèle pour les nations les plus évoluées ?Rappelons-nousl’époque oùle professeur Boissonnade offraitau Japonson Codede commerce.

Le rayonnementdu droit pris comme élémentdu patrimoineculturel mérited’entrerdansle champ des préoccupations politiques. Au-delàde sa dimension culturelle,le droit constitueun atout économique dans lesrelations internes et internationales.Le droit, en tant que tel, n’est pascréateurde richesses.Il a une fonction d’incitation, d’organisationet deprévision. Il sert à maîtriserune partie des incertitudes de l’avenir.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 24: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Dans la vie économique internationale,le rayonnement d’unelégislation est mesurableà son application lorsque celle-ci est laisséeauchoix des partiescontractantes.Ainsi, dans le cadre de l’Union euro-péenne, deuxpartenaires ressortissantsde deux États membressontamenésà désignerla loi de l’un de ces payspour régir leurs relations.Dans ce cadre contractuel,le rayonnement d’undroit nationaldépenddupoidséconomique des ressortissantsde cet État et aussi de sa commoditéet de l’accessibilité de sa justice. C’est pourquoi, dans ce domaine ouvertà la concurrence,la combinaison dela qualité dudroit, de l’avocat et dujuge qui en sanctionne l’application, est primordiale.De même quel’onparle de la place financièrede Londresou deFrancfort,on pourrait parlerde la place judiciairede Paris.

En matièrede coopération,le droit constitueun enjeuculturel,économiqueet politique. Prenonsl’exemple du Liban. Du fait d’une longueguerre,ce pays a pris un grand retarden matièrejuridique. Son ordonnan-cement juridiquedoit être modernisé.«La garantie d’un climat économiquepropice est unecondition nécessairemais non suffisantepour les investis-seurs. Il leur faut aussi une législation moderne et stable » affirme sonministrede la JusticeM. BahigeTagbarah.Quantà maîtreVatier,bâtonnierde l’ordre des avocatsde Paris, il déclare : «Il faut maintenir la culturejuridique française au Liban. Et pas simplementpour des raisons culturelles.C’est aussi une manière d’accompagner plus facilement les entreprisesfrançaises dans leurs négociationsde marchésà l’étranger».

Le droit : élément du passif nationalL’on doit éviter que par sa précarité, saformulation ou ses

contradictions,le droit n’entretienne des incertitudes ou des désordres.

L’évolution de l’ordonnancement juridique, suscitée parlalogique administrative, aboutit trop souventà la mise en place deprocédures de plus en plus lourdes jusqu’à former des écheveauxindémélables. Elle investitla vie du contribuableau point d’aller jusqu’àmobiliser toutesonattentionpour accomplirde véritables rites compliquéset stériles sur le plan du rendementde l’impôt. C’est ainsi qu’un numérospécial du2e trimestre 1996 duCentre d’information civique,consacréàune table ronde sur les impôtset le civisme, soulignetous lesefforts decompréhension etde rassemblement des justificatifs demandésà ceux quidoivent remplir les imprimés de déclaration alors que l’élévation decertains seuils de déclaration forfaitairesimplifierait le travail desdéclarantssanspriver l’État de ressources.

Il serait bon d’évaluerle coût pour lesagents économiquesdela difficulté d’accèsau droit. Considéronsle courant annuel desmodifi-cations desrègles fiscales, socialeset de celles touchantà l’objet socialde l’opérateur économique. Évaluons,par exemple, l’effortainsi demandéà une petiteou moyenne entrepriseà quelques centaines d’heures,sanscompter les rechercheset démarches induites(constitution de dossiers, dejustificatifs, etc.), les déclarationset les réponses auxdemandes d’inves-tigations. Nous voyons quece dialogue contraint avec l’administration

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 25: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

consomme énergieet richesse. Offrir une déduction fiscalede 10000 Fen contrepartie d’une trentaine d’heuresde recherches etde démarchesest sans intérêt.C’est là sans doute unecauseimportante de la faibleutilisation des dispositifs incitatifs.

Le temps demandé aux assujettiset aux administrés a uncoût : modifier le droit équivaut à lever un impôt. C’est par le biaisde ces dévotions à l’administration que l’image de la productionnormative est altérée.

L’on doit également mesurer leseffets de règles inadaptées,surtout dans un cadre juridique ouvert sur l’Europe.Notre ordonnance-ment juridique doit répondre aux besoinsde ses utilisateurs.A titred’exemple, onpeut citer le droit des sociétés auquel ses utilisateursfontle reprochede régir de la même façon les sociétés fermées et cellesfaisantappel public à l’étranger. Or, cette inadaptation juridique aux besoinsconduit certainsopérateurs à délocaliser leurs intérêts dans d’autres paysde l’Union européenne, plus accueillantsà l’égard de rapprochementsdepartenaires européens.Citons à ce sujetun extrait d’un article intitulé :« Économie : avantage auxservices »par M. Jean-Pierre Raffarin, minis-tre des Petites et Moyennes Entreprises,du Commerce etde l’Artisanat(cf. le Figaro datédu 20 août 1996) :« Une partie des métiers deservicesparaît aujourd’ hui suréglementée. D’autres sont, au contraire, trèslibéralisés. L’ internationalisation desmarchés deservice remet en ques-tion certainesbarrières réglementaires (exemple : le monopoledu droit).Les réglements alourdissent, dans certains cas, le coût desprestations(exemple : agencesimmobilières). Le trop libre exercice professionnel estparfois contesté (exemple : servicesInternet) avec un appel pressant àde nouvellesréglementations, nationales ou communautaires ».

* * *

La définition denouvellesnormesne sauraitêtre une activitébanale,confiée aux bons soins dela « technocratie ». Par essence,il s’agitd’une activité politique qui s’inscrit dansla liturgie républicaine. C’estpourquoi, une meilleure adhésionde la populationà la règle passe parlarevendication depaterniténormative dela part desorganes politiques etpar une pédagogiedu sens même desmesures :

- Valoriser le sens etla paternitéde la production normative.

- Fonction politique et fonction juridique.

Valoriser le sens et lapaternitéde la production normative

L’« État-stratège » doit inscrire la plupart de ses réformesdansun projet globaldont le mérite ne peut êtreexclusivement technique. Onne saurait reconnaître à la technocratie une double nature,à la foissystème intellectuelet système depouvoir.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 26: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Pour sa part,M. Luc Ferry, auteurde L’Homme-Dieu ou lesensde la vie, soutient que les hommes seraient prêtsà faire dessacrificesbeaucoup plus grands qu’onne l’imagine s’ils en percevaientle sens. Pardéfinition, le sensne peut êtrede l’ordre de la technique,ni défini par desclercs. Selon cet auteur, tandis quedans leurs rapportsà la cité, lescitoyenssontplus préoccupés par les questions affectives que parde simples aspectsmatériels, ils ontle sentiment d’une évolution réductrice dela politiquevers la technique, quel’une et l’autre tendentà se fondre, ce qui aboutità valoriser les moyensau détriment des finalitéset des objectifs.

L’« État-stratège » exerce,à cet effet, sonautorité tutélaire surles administrations centralesdansle cadre derègles qui leur ont été fixées.L’ébauche d’un projet de texte, quis’inscrit dans l’axe d’une volontégouvernementale, devient unacte politiqueà partir du moment oùil estconnude quelque manière quece soit de l’opinion. La protectionde laconfidentialité est donc impérative pour quele Gouvernement conserveàla fois sa libertéde choix faceà l’administration qui se borneà faire despropositions et des relations de confiance avec elle.En matière deréformes, le pouvoir exécutif et l’administrationne font qu’un. La sociétéa besoin de faire confiance à sesélites politiques, administratives etjuridictionnelles. Ce sont elles qui incarnent la permanence de l’Etat.Mais cela étant, l’opinion doit savoir que seuls sont légitimespourproduire des normes les organes politiques investisà cet effet par laConstitution ; qu’il n’existe pasun pouvoir administratif qui imposeraitses décrets.Certains responsables politiques detrès haut niveau l’admet-tent parfois avec humour. Selon un quotidienqui aurait recueilli sesconfidences, entant qu’ancien sénateurM. Jean Arthuis, ministre desFinances, aurait admis avoir été «complice dela complication adminis-trative » lorsque uneréforme en faveur de quelques dizaines decontri-buables,dont il était l’auteur, avait nécessité deux pages deformulairessupplémentaires dansla déclaration desrevenus.

La production normative est uneactivité d’essence politique,ce qui posele délicat problèmedesprérogativesen matière d’élaborationde normes dégradées par les autorités administratives indépendantes. Biendésigner le rôle du politique dans l’exercice de cettefonction, c’estrapprocher le citoyen de la loi. Il prend alors conscience de ce quelui-mêmeou ses représentants peuvent prendrepart au débat et quelorsque l’État agit, il engage la responsabilité de chacun des citoyens.

Les citoyens doivent être convaincusque le travail de prépa-ration des normes s’inscrit dans le cadre d’objectifs dont la définitionrelève des seules autoritéspolitiques et qu’il n’y a donc pas de placepour une logique d’affrontement entre elles et les administrations.

Certes les juristesdésapprouvent les rédactions « politiques »qui se traduisent par l’insertionde déclarationset de pétitions de principedans le corps mêmedu texte normatif. Mais on pourrait envisager depublier, en accompagnementdu texte lui-même, sonexposédesmotifs.Ce serait unemanière d’officialiser l’insertion de toute nouvellenormedans un ordre juridiqueen application d’un projetpolitique. La mesure

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 27: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

nouvelle ne serait plus perçuecomme contingenteet dérangeante, maiscomme une pierred’un édifice dont leslignes de force s’imposent.

Fonction politique et fonction juridiqueEn demandant,àproposde la nouvelle politiquede défense, aux

ministresde se comporter« en ministrestout court », c’est-à-direavec unevision globalede leur fonction et non pasen porte-parole d’unebranchedel’économie ou dela société, le Président dela Républiquetouche à unedifficulté identitaire de la fonction ministérielle, difficultéqui est l’une descausesde l’inflation réglementaire. Chaqueministre considère qu’il doit,enpriorité, répondre aux attentes des catégoriesde citoyens, des acteurs sociauxet économiqueset des personnels relevantde sa tutelle. C’est pourquoi,l’intérêt général requiert que d’autresministres concourentà l’analyse dubien-fondé dela réforme proposée. C’est notammentle ministre des Financesqui tient cet emploi.Mais si le projet de réforme ne comporte pasde risquede contagion financière, ni decoût exorbitantau regarddes enjeux politiques,qui prend la parole pour défendre l’orthodoxiejuridique? Le garde desSceaux est d’une certaine manièrele ministredu Droit, mais il n’a paspourcelade moyens suffisants(cf. infra).

On cite en exemplecertains États,la Suèdeentre autres,pouravoir pris des initiatives tendantà brider leur inflation juridique qui sontallées jusqu’à réduire d’un tiersleur production.Dansnotre tradition, cetteconception arithmétiquede l’énonciationdu droit ne laissepasde surprendre.Il n’en demeurepasmoinsqu’il faudraitque les ministresaient la possibilitéde distancier leurrôle des affairesdont ils ont la tutelleen prenantdavantageen compte la notion du temps. Car la fabrication du droit précaire -notamment en matièrepénale - procèdedu dialogue en tempsréel avecl’opinion publique mobiliséeau gré des circonstanceset des crises. Delànaissentles réformes pendulaires,en décalage parrapportauxbesoins.C’estainsi que M. Jacques Toubon, garde des Sceaux,estime que le NouveauCode pénal aété une« occasion manquée», en ce sensqu’il est trop répressifet trop prolixe enmatièreéconomique. Faisant observer quela majorité « desincriminations ne sontpas sanctionnées une foispar an », il suggère «uneapproche rigoureusedu conceptde la pénalisation ».

Les études d’impact devraient introduire cette distance parrapport à l’actualité.

En même temps, l’élaborationde la norme doit êtreun tempsfort de la participation des « forcesvives » à la vie publique :

Légitimer la normeLes hommes de lettres, les créateurs despectacles ne peuvent

être assurésà l’avance de l’accueil que le public réserveraà l’oeuvre.L’État promoteur deréformes est faceà la même incertitudemais, lui,n’attache pas toujours suffisammentd’intérêt à l’accueil d’une réformepar son public.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 28: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Pourtant, ce n’est pasparcequ’un texte doit s’imposerà peinede nullité ou de sanctions pénalesou fiscales, ou encore qu’il clôt undébatpolitique, quela partie est gagnée. Le droit pénal, pourne citer quecelui-là, est une forêt encombrée d’arbres morts. Devientmêmepolitique-ment sérieusela situation lorsqueles prescriptionsne sont pas respectées,qu’il se développe une culture d’impunité et queles juges interviennentalors dans le tumulte médiatique.Ce n’est donc pas parce que l’États’attache des publicsspécialisés,qui sont en quelque sorte des clientèlescaptives, qu’il peut se désintéresserde l’impact des mesuresnormativesqu’il énonce. Le succès n’a pasde recette sûre.Au moins posons-nouslaquestion :commentlégitimer une norme ?Il faut au niveau de l’élabora-tion d’un texte si modeste soit-il créer unedynamiquede transparence eninstaurant une communication.

L’un desreproches récurrents des « publics spécialisés »portesur le fait que les «bureaux »ne leurdemandent pas leur avis.Il importede consulter les « forces vives » intéressées parla réforme. C’est latransparencede l’élaboration de la norme qui enrichit la démocratieparticipative, en ce qu’elle obligeà présenterà la discussion les principeset les objectifspoursuivis. Il faut convaincre les personnesintéressées quela réforme naît d’un besoin réel et qu’elle prendforme grâceà un brassaged’idées et d’intérêts,en bref aprèsun débat.

Les communautés scientifiquespeuvent avoir leur mot à diremême si l’expérience inviteà accueillir avec prudence toute affirmationpéremptoire,en particulier en matière de sciences humaines. Combiendeprojets de réforme pénale ont prôné des mesuresd’exclusion ou deréinsertion fondées surde simpleshypothèses biologiques,sociologiques,psychiatriques,génétiques ! La penséescientifique est, elleaussi, sensibleaux effets de modeet s’éprend de solutionsdoctrinaires pouraprès lesrépudier. Parfoisau contraire, elle est perplexe,et sa perplexité accroîtle trouble des populations (par exemple,la maladie dela « vache folle »).S’il est bon que la communautéscientifiqueéclaire les autorités norma-tives sur l’état desconnaissances, elle nedoit leur dicter sa loi en aucunecirconstance.A propos des incertitudesdu progrès, M.Thomas Ferencziaffirme : «Le triptyque même deComte setrouve mis en question.Science, prévoyance, action : les trois termes ne sedéduisentplus aussifacilement l’un de l ’autre, la "science" ne rime plus aussi bien avecla"prévoyance", ne s’accorde plus aussiaisémentavec l’ "action". Entrele savant et le politiquela collaboration estproblématique, lesavoir etle pouvoir divergent...» (Le Mondedu 20 août 1996).

L’autorité politique doit savoirparfois imposer sesvues àl’administration qui trouve naturellement beaucoupde confort au discoursscientifique, variante du discours technocratique.

Cette dernière doit rechercherle « succès »de ses investisse-ments normatifs. Or trop souvent,l’intérêt des Pouvoirs publics pourletexte qu’ils ont conçu fléchit dès sapublication alors que sejoue le sortde son insertion dans le droit positif, c’est-à-dire son accueil parlapratique, son application parle juge, ses effets utileset négatifs.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 29: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

D’où l’intérêt des études d’impact préalables à la réformeet les études d’impact après la réforme.

* * *

Les juristes se plaisentà citer le dicton : « Trop de droit tuele droit ». Le droit pourrait-il connaîtrele destin du catoblépas,ce monstrequi se nourrit en se dévorant ? S’il parait plausible à un esprit non avertiqu’un droit tropancien puissene plus êtreà mêmede satisfaire les besoinsde l’actualité, il a intérêt à faire preuvede la même circonspection àl’égard du droit en croissance permanenteet désordonnée. Créerdu droitsuppose derégler la cohérenceentre lesdifférents étages de l’édifice.Sinon, c’est méconnaître sa vocationà être l’ordre au service d’unsens,c’est-à-dire :

Le droit du côté de la v ieLe droit positif pourrait-il devenir une langue morte ? La

situation exemplairedu droit du travail permet d’ébaucher une réponse.L’évolution de ce droit fait perdrede vue ses principeset safonction parrapport aux besoins actuelsde la société.A son sujet,M. Alain Supiot,professeur de droit,déclarait dansLe Monde du 26 juin 1996 : «Le droitest le reflet d’unesociété enmouvement. S’ il se contentede collecter leschoses inertes, sanspréfigurer les scénariosd’avenir possible, il devientmortifère ».

En s’écartant desobjectifs clairset cohérentsqui en formentle socle, le droit du travail s’est hypertrophié. Cet embonpoint, qui paraitsans limite, se nourrit de l’accumulation des systèmes dérogatoires quidiluent la référence à une finalité au profit d’une production normativeau service de la gestion, dansun domaine pourtant marquédu sceaudel’ordre public. C’est pourquoi, les représentations juridiques du rapportau travail telles qu’elles se sont construites à partirde la Libération sontdésormais dépassées... mais non remplacées.

Lorsqu’il ne pénètre pasla culture commune des publicsspécialisés,le droit est alors confronté à unvéritable défi de survie. Sesadversaires sontla complexité déstructurante et l’ignorance. Il est menacépar un foisonnementde dérogations nichées dansles maquis réglementai-res à l’image d’une «sorte de note deservice à réitérersans répit »,selon l’expressiondu professeur JeanCarbonnier. Et surtout,son principede réalité est misen cause lorsque, privésde connaissances réellesde larègle du jeu, des acteurs économiques,au demeurantde plus en plusnombreux,vivent en margedu droit avecle consentement tacitede leurscocontractants (à commencerpar leurs salariés). Quandbien mêmel’application des dispositions impératives seraitgarantie par des sanctionssévères,le droit n’existe que lorsqu’il estau service dela vie, c’est-à-dired’une réalité qui rend compte des rapportsde forces. S’il ne remplit pasce rôle, le droit tend à devenir fictif.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 30: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Comment alorslui restituer saraison d’être, sachant quelespublics spécialisés préfèrent souventun systèmeen lambeaux plutôt qued’accueillir une réforme quirogne symboliquementdes terrains conquis ?Le droit ne peut survivre que lorsqu’il estle trait d’union entre laconservation et l’imagination.

* * *

Tel l’empereur d’Autriche faisant reprocheau Don Juan deMozart de comporter tropde notes, certainsconsidèrent quela productionnormative est trop abondante et, parvoie de conséquence, compliquéeetobscure. Qu’en est-il ? Existe-t-il une suffisance idéale ?

La complexité croissantede toute construction normative n’estpas étrangèreàcette abondance.A mesurequ’une société évolue,elle faitappel au droit qui en épousela vie de plus en plus imaginative etfoisonnante :

- Des règlesnombreuses, tatillonnes, complexeset obscures.

- Réglementationet auto-contrôle.

- La norme et le déclin de l’autorité.

Des règles nombreuses, tati l lonnes,complexes et obscuresDes règlesnombreusesLa production normative frappepar sonabondance.Selon le

Conseil d’État,on dénombraiten 1991 7500 lois, 82 000 décretset 21 000règlements. Le Premier ministre, M.Édouard Balladur commençaitainsiun discoursprononcé le 8 novembre 1993, lors de l’installation delaCommissionsupérieure de codification : «Plus de8 000 lois, dit-on, sontaujourd’hui applicablesen droit positif français. Près de 400 000textes,décrets et règlements interministériels,seraient aujourd’hui en vigueur ».L’épaisseurdesJournaux officielsmontreque si le flux tient la promessedu stock, la crue poursuit sonoeuvre unpeu plus sagement. Commetoutmode decommunication,la production de droitqui, comme l’ensemblede cetteactivité humaine combinantraison etsentiments, est endévelop-pement constant.

Dans sa fonction consultative,le Conseil d’Étata examiné lesprojets suivants :

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 31: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

S’il y a pléthore, ce qui contribue à l’entretenir, c’est laversatilité de1’« État-gouvernement ». Ainsiau cours de la période du4 juillet 1992 au 18 août 1993,1 650 modifications directesde disposi-tions du Code général des impôts sontintervenues (dont44 nouveauxarticles, 689 modifiéset 65 abrogés). Pourla périodedu 19 août 1993au2 septembre 1994,le nombre total de modifications directes n’est plusque de 1 149 !

Peut-onmettre un frein à la créationdu droit par l’État ? Sansdoute, mais dans une faible mesure par des recettesqui consistentàcompliquer le processus normatifd’élaboration normative.Ainsi est-il sûrque l’élargissementdu domaine législatif consenti parle Gouvernementcontribue à freiner le rendement, que les organesde contrôle de plus enplus influentsusentde leur pouvoir de police sur cette activité : c’est,àdes titrestrès divers, le rôle duConseil constitutionnel, du Conseild’État,du Secrétariat généraldu Gouvernement,du Conseil économique et socialet, dans des casprécis, des autoritésadministratives indépendantes.L’action de ces autoritéscontribueà stabiliser la productivité normative.

Des règles tatillonnesOn ne saurait perdre de vue que l’énonciationde normes

nationales est,et serapour unepart croissante,induite de la constructionde l’Europe. Or les quinze Etats-membresn’ayant pas les mêmestraditions juridiques,la démarche intégratrice passe par l’homogénéisationdes droits internesdansle domainequi relève du traité de Rome. C’estainsi que domine uneméthode d’élaborationqui intègre l’ensembledessituations susceptiblesde se présenter.Cette volonté d’exhaustivité seconjugue avec l’harmonisationde concepts juridiquesqui n’ont paspartout le même sens(par exemple, la force majeure,la bonne foi...).

La production normative est, par essence, bourgeonnante.Toute règle tendà s’affiner et à se ramifierpour desraisons intrinsèqueset extrinsèques. Cette tendance, quel’on retrouveaussibien dansla natureque dans l’art, exprime,dansnotre société, une philosophie libérale.

La réglementation demeurele fruit d’une culture et plusprécisément d’une relationde connivence avecle public auquel elle estdestinée. S’inscrivantdansun dialogue permanent, ellefait partie du jeusocial. Elle traduit le souci d’égalité de traitemententre lescitoyensetle désir exprimé notamment parles opérateurs économiques soucieuxdesécurité juridique, d’anticiper les réponsesde l’administration et de lajustice. C’est pourquoi, par exemple,le Code de la route étalonne lesexcès de vitesseou les tauxd’alcoolémie.Ainsi en est-il égalementde lalégislation qui impose,dans lesrestaurants,une répartition entrefumeurset non-fumeurs.Dans la mesureoù il est avéré quele tabac nuit à lasanté, il aurait été plus expédient d’interdire purementet simplement defumer dans les lieux publics. Maisil est bien évident qu’unesociétéfondée surle primat de la liberté ne saurait adhérerà des mesuresaussicatégoriques.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 32: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Il est vrai que l’approche casuistique tendà compliquer laréglementation qui finitpar ressemblerà un jeu de questions-réponses.Mais contrairementà une idée reçue,c’est par son caractèreprécis quela réglementation tendà préserverun espacede liberté. C’était l’essentielde l’argumentation de Royer-Collard dansson fameux discours surlaliberté dela presse : «C’est à dire, Messieurs, qu’il faut pousuivre à lafois, qu’il faut ensevelirensemblesans distinction, le bien et le mal. Maispour cela, il faut étouffer la liberté, qui, selon la loi de la création,produit nécessairementl’un et l’autre ».

De même,la mutualisation des risques individuelspeut-ellelégitimement conduireles Pouvoirs publicsà s’immiscer dans l’apprécia-tion de comportementsprivés, mais qui sont de nature à exposer lesdeniers publics. La presse danoise,qui stigmatise la réglementationtatillonne de ce pays, n’est pas toujours convaincante :ainsi selonM.Kjelb Nillson, correspondant à Parisde l’hebdomadaireBillet-Blader, unhomme de 64 ans était monté surle toit de sa maison pourle réparerquandun passant seprésentantcomme l’inspecteurde la surveillance destravaux lui intimal’ordre de descendre. Devantson refus, la police a étérequise.En France, nousen sommeslà dans un domaine qui concerneaussi la sécurité : le port obligatoirede la ceinturede sécurité dans uneautomobile. Après tout, est-on seuljuge de sa sécuritélorsque lesconséquences d’un accident hautement prévisible sont supportées parlacollectivité ? De même, ce journaliste cite-t-il le litige qui oppose unemèreau ministère des Affaires ecclésiastiquesde ce pays au motif qu’ellevoulait que son fils se prénommâtChristophpher (avec deuxph). Maisqui souffrirait du caractère ridiculede cette orthographe sinoncelui-ci ?

On ne dit pas assez qu’enréglementant,l’État protège leslibertés. Il lui revient,en effet, de brider les initiativescontractuellesqui,paradoxalement, seraient souventbien moins libérales quele législateurle plus interventionniste.Ainsi lorsquel’on soutient que «le signe d’unesociété ouverte est de laisser l’initiatives’épanouir »,c’est méconnaîtrela réalité conventionnelle et lesabus qu’ellepeut sécréter. Ce quijustifieà la fois une réglementation protectrice des cocontractantset la mise enplace d’autorités chargéesde veiller au maintien de l’équilibre desrelations contractuelles(cf.: Conseilnational de la concurrence,Commis-sion nationale desclauses abusives).

La contractualisationdes rapports professionnelsva égalementdans ce sens. Sait-onpar exemple quela convention collective desgardiens d’immeublelimite leur ascension sur lesescabeauxà troismarches, cequi n’empêche pas les parties concernéesde faire grief àladite convention collectived’être imprécise surle sensàdonnerà « petitstravaux de serrurerie etde plomberie » ?

Bref, l’État, en intervenant dans des relations dedroit privé,allège l’étaucontractuel, mais, parcette fonctionarbitrale, crée uneffetd’affichage en sens contraire. C’estpour cela qu’au-delàde l’imagemétaphorique du labyrinthe deslois et règlements, un allégement véritabledes règles produitespar l’État débouche surun débat de philosophiepolitique qui porte surla finalité de l’État et unecertaine conception des

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 33: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

rapports sociauxdont il est porteur. Sile droit est un labyrinthe, celui-cin’est pas conçu pourqu’on s’y perde.

Des règlescomplexesLa complexité des règles reflètecelle des sujets traitésen

considérationde principes, d’intérêtset de libertés difficiles à combinerentre eux : libertédu commerceou de l’industrie, sécurité, dignitédel’être humain, intérêt de la recherche scientifique,etc.

L’élaboration de ces règles s’inscrit parfois dansun contextepolitique sensiblede sorte que celles-ciapparaissent, dans leurexpressionvolontairement maladroite, comme des compromis. Elles sontaussi lamanifestation d’une matière scientifiqueou économique imparfaitementmaîtrisée et qui, entout état de cause, est appeléeà connaître desmutations rapides. Ellespeuvent aussi refléter uneincertitude éthique,comme enmatière de fécondationin vitro. Citons quelques exemples, lesdeux premiers soulignant les difficultésde la stratégie juridique quitientà l’imprévisibilité de la perturbation créée parle droit nouveauet à lapolitisation des effetsinduits par la réforme ou la mesure.

Lorsque l’accroissement du rôle du jugeet le durcissement des règles de procéduresont présentéscomme une meilleure protectiondes libertés individuellesTel estle sensde l’évolution de la législation sur les conditions

d’entrée etde séjour des étrangers en France au termede laquelle il estdemandéau juge de se porter fort pour l’administrationen l’autorisant àprendre des mesures coercitives. Comptetenu de l’augmentation delapopulation étrangère entrantet demeurant surle territoire dans desconditions irrégulières et de la brièveté des délais desaisine du juge,ila fallu organiser les juridictions civileset administrativesde premièreinstanceet d’appel à cet effet. Cette réponse fonctionnellene peut êtrequ’insuffisante,comme l’ont montré les événementsde mars 1996 où ungroupe de plusieursdizaines d’immigrésayant investiun lieu de culteaété déféréau juge de « l’article 35 bis de l’ordonnance de 1945 ». C’estdans le cadre d’un tel engorgement, fortementmédiatisé, que les avocatsprésentent une défense « derupture » à l’encontre du droit positifet parconséquentde l’État lui-même.

La logique judiciaire, inadaptéeau traitementde contentieuxde masse, n’est pas toujourscompatible avecla logique administrative.Des ajustements réglementaires sont nécessairespour concilier ces deuxapproches ; ce qui ne va pas de soi, carbien que la gestion des fluxmigratoiresillégaux relève par naturede l’action administrative,la loi aconfié au juge le soin d’appréciera priori et au cas par casle tempsnécessaireà l’administration pour exécuter samission de reconduite à lafrontière des étrangersen cas de séjour irrégulier. Cette fonctionneressortit pas au domaine de compétence naturelledu juge; d’où lesyndrome du juge-alibi ou du juge-rebelleprovoqué par l’exercice de cette

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 34: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

fonction qui nuit aux imagesrespectivesde 1’« État-gouvernement», del’« État-administration » etl’« État-juge ».

Les lois de police s’articulent surdes éléments strictsetfactuels :passeport, certificat d’hébergement, titrede transport, justifica-tion de ressources etc.Aussi la difficulté de cette stratégie réglementaireest d’organiser une riposteau refus d’adhésion d’unepartie de lapopulation concernée : perte du passeport, reventedu billet d’avion,certificat d’hébergementde complaisance, mauvaisevolonté desconsulatsétrangers : ce quientraîne une complexificationdu système (on légifèrealors pour « les derniersde la classe »). De là,la nécessitéde remanieren permanenceun système qui concilie difficilement l’efficacité etl’humanitaire.

Lorsque l’usage se transforme en norme écriteEn 1980, les rédacteursdu projet de loi « Sécurité-Liberté »

avaientrelevé que le contrôleet la vérification de l’identité pratiquéeparles forces de sécurité depuisdes lustres ne reposaient sur aucun textelégislatif. De fait, le fondement juridiquede cette banale opérationdepolice administrative relevaitdu droit coutumier etla population s’y pliait.Car le droit préexisteà la norme et sa légitimité est mieux enracinée.Enl’espèce, toucheràce pointde droit aprovoqué une véritable cancérisationnormative. Il a fallu bien des réformessuccessives agrémentéesdepolémiques pour répondre à l’ensembledes difficultés pratiques suscep-tibles de se poser.Aujourd’hui, le contrôle et la vérification d’identitésont régis par les lois des 10mai 1983, 3 septembre 1986, 4 janvier et19juillet 1993.Et ayant considéré quele contrôle d’identitépar la policeet la gendarmeriene pouvait intervenir que dans des conditions préciseset sousle contrôle du juge ou à l’initiative du parquet,le législateur aclairement dissocié celui-ci du contrôle des documents autorisantunétranger à séjourner surle territoire. Ce qui a posé uneautre série dedifficultés quela pratique n’apasentièrement réglées.

Pourquoi tant de textespour organiser une opération apparem-ment simple ? Parce quela société n’est pas dansun rapportde confianceavec les Pouvoirspublics. Ces variations normatives interprètentlavolonté populaire de n’accorderà la police qu’une compétenceliée etd’inviter l’autorité judiciaire à s’en porter garante ; ainsi s’allient l’aveu-gle et le paralytique. Elles seveulent des réponsesà des situations qui,après avoir été signalées par des médias et analysées parle juge,soulignaient leslacunes destextes précédents.

Le besoinde confiance de la population à l’égard desdiversvisagesde l’État doit être au centre de la réflexion sur la réforme del’Etat.

Lorsque le virtuel s’inscrit dans la pensée juridiqueL’exemple suivant soulignela complexité desrapports du droit

et du progrès scientifique surtout lorsqu’il ouvre des horizons nouveauxà l’univers mental de l’homme, ce qui est notamment le cas de latechnologie du virtuel.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 35: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

La société contemporaine est l’héritièred’une époqueoù unepart importante desbiens économiquesétait tangible, où les individusnouaient essentiellement des relationsde proximité. Le droit réglait desrapports facilement intelligibles,le domainede l’immatériel se limitantpour l’essentielà la monnaie scripturale. Sousla pousséede la technolo-gie, le monde actuel s’évadede cette réalité-là pourgagner le royaumede la virtualité. Les causesde la chutede la banque Baringsen sont uneillustration saisissante.Sont devenus virtuelsles marchésinternationaux,les bourses avec leurs innombrables instruments financiers,les réseauxInternet, les rapports des actionnairesavec les sociétés cotéesen bourse,les relations des partenairesau sein d’organismes paritaires,tout commele serontle substitut auxessais nucléaires pour notreforce dedissuasion,ou les autoroutes del’information et la compressionnumériquepour latélévision de demain.Il existe mêmeun individu virtuel que recueillentdans leurs filets les statistiques et lesétudes de marché.

Le virtuel modifie la représentationde la loi. Il est lui-mêmecause de production normative.D’où les règles de plusen plus abstraiteset difficiles à ancrer dans la conscience collective.Le problème surgitavec acuité lorsque c’est l’objectifmêmede ces ensembles normatifs quiéchappe àla compréhension de leurspublics spécialisés.Jamais leshommes n’ont étéà la fois si informés au niveau planétaireet si séparésdes spectaclesdont ils sont gavés parle miroir du virtuel, c’est-à-dire parune « interface »entre la réalité et la fiction, entre le sens et l’illusion.Le risque, c’est qu’unepartie des citoyensne s’y retrouvent pluset qu’àson tour, ce soit l’esprit deslois elles-mêmes quileur paraissentvirtuelles.Tout se passe alors commesi la société était duale, une face qui relèvede leurs connaissancesexpérimentales et l’autre plusirréelle qui nes’inscrit plus dansleur univers mental.

Cettesociété estd’autantplus partagée qu’unepartie croissantedes acteurs économiquesméconnaissent les règlesnon parce qu’elles sonttrop complexes - ce qu’onavanceen guise d’alibi - mais parcequ’ilsestiment qu’elles nepeuvent êtrefaites pour eux. Ceux-cinient la loi.

C’est notammentle cas des entreprises quirecourentau travailclandestin. Le rapport sur les fraudes de MM.Léonard et de Courson,députés,remis au Premier ministrele 9 mai 1996, présente une évaluationéconomique dece dédoublement sociétal. Notre pays n’est pasvictimed’une délinquance généralisée,mais il est constitué d’une partie de plusen plus importante de ses citoyens qui se mettent «hors-la-loi », et enparticulier d’individuset d’entreprisesqui inscrivent leurenvironnementjuridique «ailleurs » avec le consentement tacited’une partie importantede la population etpeut-être aussi des Pouvoirspublics. Il se développeen effet, au sein de certaines petites entreprisesen difficulté, une stratégietendant à ne plus payer que lesdettesà risque. Elles sontde plus en plusnombreusesà ne plusdétenir dejustificatifs, ni de comptabilité régulière.De sorte que les parquets, l’administration desimpôts et lescaissesderecouvrement des charges sociales,mus par des considérationsde facilitéet d’efficacité, orientent les poursuites aux fins d’obtenir des sanctionspénales, fiscales et des interdictions commercialesà l’encontre des

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 36: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

commerçants qui respectent approximativement les règles,de préférenceà ceux qui se placenthors de tout espace juridique.

Une étudesur la sociologiede l’exclusion dansle mondedel’entreprise seraitutile à l’État pour lui permettre d’affiner sa stratégie,de contrecarrerainsi le développement d’une économie souterraineet defaire respecterla règle de droit avec discernement.

Lorsque les libertés individuelles sont concernéespar les technologiesdu virtuelL’avenir de notre société s’inscrit dansle développementdes

productions issuesde virtualités. L’objet des mesures qui accompagnentcette métamorphose estde plus en plus éloigné desreprésentationssensibles,de la relation simple de l’homme à la chose.

Ainsi, à proposde l’avenir des technologiesde l’information,M. François Fillon, ministre déléguéà la Poste,aux Télécommunicationset à l’Espace déclare : «Le développement des réseaux pose des problè-mes complexesà résoudre en matière de déontologie et de protection desdroits d’auteur [...] cet extraordinaire outilde communication n’est-il pasdéjà détourné de savocation originelle par des groupes(terroristes,extrémistes) qui mettentà profit la possibilité decommuniquer, en touteconfidentialité, ou en toute impunité, à travers les réseaux ? Ces derniersne se prêteront-ils pas, dans un avenir proche, à la tentation demanipulation de l’opinion, à l’échelle internationale ?».

Cette évolution irrépressible entraîneune réglementationdeplus en plus technicienne. Ilfaut préparer l’opinionà ce mouvement etnon lui donner l’impressiond’une fatalité qu’elle doitsubir, tout enprotégeantchaque citoyen contreles menaces que cette technologiefaitpeser surces libertés.

C’est la raison d’êtrede la Commission nationalede l’infor-matique et deslibertés quede veiller au respect des règlesstrictes enmatière de fichiers pour concilier progrès etprotection des libertés. Elleimpose à la fois des contraintesproductrices d’une réglementationcomplexe (certaines autorisationsde créationde fichiers devantêtre prisespar décreten Conseil d’État)et des structures administrativesdotéesdepersonnelsplus nombreux pourpallier la réduction intentionnelle desperformancesde la technologie.Ce rapport à la technologie està opposerà la révolte des canuts lyonnais. Lafonction « inhibitrice » de cetteautorité indépendante bride l’efficacitédes contrôles administratifs. Leprix à payer, c’estune possibilité accruede développementdes fraudes.

Lorsque la complexité de la norme tendà assurer la représentativité des intermédiairesentre les publics spécialiséset les Pouvoirs publicsN’existe-t-il pas un décalage entrela volonté de simplifier

l’ordonnancement juridique exprimée dans sacirculaire précitée parlePremier ministre,celle de l’administration qui subit despesanteurs, celledes représentants des « forcesvives » et celle desdestinatairesfinaux dudroit ? Ce sontdesréalités sociologiquesbien connuesde la Commission

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 37: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

de simplification desformalités administrativesoù même des mesuresdestinéesà faciliter la vie pratique et frappéesau coin du bon sens seheurtent à de fortesréticences.Ainsi, à l’heure actuelle,la déclaration etle paiement des cotisationssocialessont effectuées auprèsde plusieursdestinataires (auminimum quatre ; ondénombre,en effet, près de 250régimes de retraite complémentaire).L’idée d’une déclaration etd’unpaiement uniques s’impose à l’esprit. S’ilsemble que l’on puisseprochainement aboutirà la déclaration des charges socialesà un guichetunique, en revanche, l’ensembledes partenaires intéressés s’opposentaupaiement des cotisations entre les mains d’une seule caisse parce que cettesimplification supprimerait le contact direct de la caisse avec sesressortissantset mettrait en cause une relationde pouvoir. C’est en effetun ordonnancementcompliqué qui érigeen organisation responsableuninterlocuteur du pouvoir. Son statutdépend largement de sa reconnais-sance par lesadministrationsde tutelle. Cette situation est peuréductibleà une politique de simplification.

Plaidoyer pour la complexitéComplexification peutaller de pair avec simplification. Tout

système croît en complexité.La production normative se doitde traduirecette évolution afind’ajuster au mieux les relations des sujetsde droit.Pour autant, cette complexificationn’est passynonymede complication.Au contraire, plusun systèmedevient complexe, mieuxil s’adapteà sonenvironnementpour accomplir plus simplement ses fonctions nécessaires.La technologie nousen offre d’innombrables exemples,à commencer parl’informatique.

Il faut par conséquentque, touten adaptantl’ordonnancementjuridique aux besoins dela société, l’État s’attache à en simplifierl’application, ce quiconduit par exempleà mettre encause desprocédureslourdes fondées surdes contrôles a priori telles que les demandesd’autorisationpréalable.Et formellement, s’imposentune langueet unelogique accessiblesau plus large public possible.C’est en recherchantlasimplification quel’État justifie la complexité d’unsystèmejuridique. Cequi est critiquable,c’est une réglementation compliquéeparce qu’elle estmal rédigée,incertaine, lacunaire, contradictoire,c’est-à-dire en déficit decomplexité. A la limite, une insuffisancede normes crée une situationjuridique confuse.

Des règles obscuresFaisons justice du reproche d’obscurité. Résulte-t-elle d’une

maladressede plumeou d’une incertitudesur le sensmêmede la mesure ?Les contradictionsou les embarras qu’exprime unerègle confuse résultentaussi du compromis. Il n’en demeure pasmoins que la phase deconception d’un textemérite souvent une évaluationplus précise. Lesétudesd’impact paraissentunebonneréponseà ce point de fragilité. Ellesconstituent des bansd’essai où tous les aspects d’une mesure oud’uneréforme doivent être soumisà l’épreuve de l’espritcritique.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 38: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Si la démocratie a toutà gagnerà instaurer des rapports plustransparents,il n’est pas sûr que l’État rencontredans l’accomplissementde cette volonté l’adhésion des publics spécialisés. Unedemandedesimplification desrègles formulée par ceux-ci n’estsouvent qu’unprétextepour obtenir des avantages supplémentaires (cas fréquentsen matièrederégimesde retraiteet d’obtentiondedroits sociaux). Toutes revendicationsmisesà part, les publics spécialisés adhèrent globalementau droit positif.Ils souhaiteraientplutôt un renforcementdu maillage des textes pourdissipertout risqued’interprétation.Quantaux syndicats, ils sont attachésau foisonnementdu Code du travail.

Réglementation et auto-contrôleEn énonçantdes normes contraignantes,la société crée des

obligationsqui ont pour objet d’assurer sapérennité. L’Étata une fonctioncivilisatrice qu’il mène à bien lorsque les greffes qu’il pratique sontassimilées par l’inconscient collectif et s’inscrivent dans l’auto-contrôleindividuel. C’estainsi que le Code de la route doit être vécu pour assurerl’intégrité de la communautédes usagersde la route.De mêmeque tous lesconducteursconduisentàdroite,de mêmeles mesuresrestrictives enmatièred’absorption de boissonsalcooliséesauront porté leurs fruits lorsque lesconducteurs lesauront intégréesdans leurcomportement, que leur volontéde les respecterne dépendraplus de la seulepeurdu gendarme.

Avant d’édicter des interdits,l’État doit multiplier les précau-tions, car la production normativepeut avoir des effets pervers. Plus uneréglementation est effervescenteet moins elle est priseau sérieux, moinselle reflète une démocratie fondéesur la confiance.La norme, quine faitpas appel aux facultés assimilatrices, soulève l’indifférence quandellen’incite pas àla fronde. Préférons deslois douceset appliquées aux loissévères qui traduisent, dansun but d’affichage, une relation troprudeentrel’État et lescitoyens ou encore unparti pris à l’égard d’une catégoriesocio-professionnelle.

A titre d’exemple, l’article L.483-1du Codedu travail disposeque toute entrave apportéeau fonctionnement régulierd’un comitéd’entreprise serapunie d’un emprisonnement de unan et/ou d’une amendede 25 000 F. En cas de récidive, les peines seront doublées. Lajurispru-dence précisantla portée de ce texte considère quele défaut deconvocationà la réunion du comité d’entreprise des membres suppléants,mêmesi ces derniers sontindisponibles cejour-là, estconstitutif dudélit.Le législateur, qui meten place un outil répressifexcessif, s’enremet aupouvoir modérateur dujuge qui peutaussi,à son tour, l’aggraver. Faut-ilvraiment faire deslois terrifiantes, c’est-à-dire deslois dont nul n’attendque leur extrême sévéritésoit mise à exécution ?

La réussite du couple civilisation-réglementationrepose surl’aptitude des citoyensà l’auto-contrôle. Faute d’auto-contrôlesuffisantdela part dela population,l’« État-gouvernement » va être incitéà étreindreles libertés individuelles dans des carcans, touten souhaitant que l’admi-nistration et le juge apportent destempéramentsà ces contraintes.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 39: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

La norme et le déclin de l’autoritéLe déclin de la relation d’autoritécontribue à l’expansion de la normeA la légitimité du commandementde l’autorité, le citoyen

préfèrecelle de la norme.La norme objectiviseles relationsdes individusentre eux. Ce n’estplus au supérieur hiérarchique,à l’employeur, aupolicier, au professeur quel’on doit obéissance maisà un ordre émanantde lui, et ce àcondition qu’il soit conformeà un ordonnancement juridiquepréexistant. Cette distance,qui - et cela peut passerpour un paradoxe -réduit l’affrontement direct, permetd’en référer à une autorité tierce -leministre, le président-directeur général,le juge - afin qu’elle apprécielaconformité de l’ordre à une norme. Le déclin social des détenteursd’autorité a pour contrepoids l’influence grandissantedu rôle du juge.

Où la réglementation estle fruitd’un consensus incertainsur la valeur des principesFaute de refléter une adhésionà des principes clairement

définis, nombreux sont les textes complexes et changeants, sansidéedirectrice, ou qui posent un principe aussitôt battu en brèche pardenombreusesdérogations. L’exemple dela substitution du permis deconstruireà une simple déclarationde travaux illustre, par ses réticences,l’hésitation de l’État sur le bien fondé de la restriction au principed’autorisation.De proche en proche, aussi bien le producteur normatifque la populationelle-même perdentde vue le point de départde la règle :régime de liberté ou régime d’autorisation administrative préalable ?

Cette incertitude reflète un doute sur les valeurs quifondent la cohérenced’un ordonnancement juridique.

Où le déclin de l’autorité de l’Étatentraîne celui de la normeSouvent la portée d’un texte dépend des mesures budgétaires

qui assurentla viabilité du projet de réforme. Lorsqu’unepolitique estmarquée par l’austérité, les textes ont tendanceà être plus« bavards »qu’« opérationnels». Ou encorel’État sape lui-même son autoritélors-qu’il ne s’assure pas des moyens nécessairespour exercerpleinementlesattributions qu’il s’estdonnées. La réforme devientfacteur de régressionlorsque le mauvais fonctionnement d’une nouvelle procédure provoquedes discriminations. On est alorsfondé à parler de loi injuste.

On peut citer, à titre d’exemple, le cas de la Commissionnationale de contrôle descomptes de campagneet des financementspolitiques. Lorsquecette autorité qui dispose d’undélai de sixmois pourinstruire uneprocédurecontradictoire, constateune irrégularité sur descomptes de campagne,elle doit statuerdans ce délai et transmettreledossierau juge administratif qui déclarera le candidat élu démissionnaired’office et inéligible pour un an. Faute de disposer d’un nombre suffisantde rapporteurs-adjoints,la Commission vient de se prononcer, danslecadre desdernières élections municipales, surune partie seulement desdossiers. Certainsélus setrouventainsi écartés dela vie publique, d’autreséchappent aux filets du juge.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 40: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

L’État doit s’assurer que son administration, ainsi que lesautorités administratives indépendantes aientles moyens d’assurerpleinement leurs fonctions. A défaut, une schizophrénie s’installe entrel’« État-stratège » etl’« État-opérateur »,entre l’« État-gouvernement » etl’« État-administration ».A elle seule, cette exigence de bonne applicationdes règles juridiques justifiele projet d’allègementet de simplificationde l’État central présentépar M. Perben, ministrede la Fonction publique,de la Réforme de l’État et de la Décentralisation.

A contrario, faute de moyens suffisants, l’État diffère uneréforme pourtant largement souhaitée. Ceparti pris est loyal.Ainsi, enva-t-il du débat surla détention provisoirequi bute sur desobstaclesessentiellement budgétaires et surla révision de la carte judiciaire, quiest un sujet tabou.

* * *

La production normativede l’État s’inscrit dansun ensembleplus vasteau sein duquel lessourcesdu droit interagissent. Il est évidentque l’intelligibilité de la production normative nationale,qui reprendformellement à son compte quelque 1 700 directives européennes,esttributaire de la constructioncommunautaire :

La communauté de destind e s productions normatives nationaleet européenneLe public concerné par des mesures nouvellesne fait pas la

distinction entrecelles quiprocèdent del’initiative nationale etcellesquiportent un label européen. L’améliorationde l’image de la productionnormative est solidairede celle qui émanede l’Union européenne.

D’ailleurs, conscientede la « nécessité de rechercher lesmeilleurs moyenspour accroître l’efficacité, la cohérenceet la légitimitédes institutions européennes », la Conférence intergouvernementaled’avril 1996 s’est penchée sur les moyens destinésà simplifier lesprocédures législatives età les rendre plus claireset plus transparentes.La simplification administrative,à laquelle est invitéela Commission,s’inscrit dansla foulée de la politique poursuivie par le Conseil desministres de l’Union européenne (marché intérieur)et par chaqueÉtat.D’ores et déjà, semanifeste unedécélération dela production normativeeuropéenne.En application du Livre blanc pour un marchéunique,environ 300 textes ont été publiésau cours dela période 1985-1992contredix-neuf seulementen 1996.

La norme européenne qui répondà des exigences politiques,culturelleset institutionnelles,invite à s’interroger sur l’influence fran-çaise danssonélaboration.Il semblerait,selonM. Laurent Cohen-Tanugiet Mme Joëlle Simon, que «dans la négociation, comme au contentieux,l’Administration défende insuffisammentsespositions et ses dossiersaux

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 41: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

plans juridique, économique et technique, et tende à avoir une attituderéactive dansle quotidien desaffaires communautaires ».

Pour sapart, M. RenaudDenoix de Saint-Marc,vice-présidentdu Conseil d’État, relevant qu’une part importante de notre productionnormative estimputable à la constructionde l’Europe, fait valoir qu’ellen’y a pas gagnéen clarté, en cohérenceet en permanenceet qu’il seraitsouhaitable que les institutions communautaires posentle principe d’unehiérarchie des normes, comme en Franceoù la Constitutionest supérieureà la loi, la loi au décret etle décret à l’arrêté. De la sorte,un organe,àl’image du Conseild’État dans ses attributions consultatives, indépendantdes institutions européennes comme des États-membres,pourrait introduiredavantage d’ordre etde cohérence dans les textes.La démocratiea tout àgagnerà ce que l’ordre juridique soit structuréd’une manière logique.Ilsemblerait cependant quele Gouvernement nesoit plus aujourd’huifavorable à une hiérarchie des normesqui aboutirait à renforcer laCommission etle Parlement européenau préjudice duConseil.

L’influence du droit communautaire surle droit national estcomparableau rôle joué par la lune et le soleil sur les marées.On estimeque plus de la moitié des normesqui enrichissentnotre ordonnancementjuridique sont d’origine européenne.Même si la subsidiarité etla simplifi-cation administrativesontdevenues parties intégrantesde la culture commu-nautaire et desÉtats-membres, l’évolutiondu champ de compétencedel’Union vers le droit sociétalaffecterale domainede compétence des États.Le mémorandumsocial françaisdéposéle 29 mars 1996 parle Présidentdela République à la conférence gouvernementale de Turin renforcecetteévolution. Peut-êtreen prenantposition dansce nouveaudomaine, la Courde justice des Communautés européennes pourrait-elle connaîtreune évolu-tion comparableà celle suivie parla Cour suprêmedes États-Unis.

Quant au principe de subsidiarité du droit communautaire,ildoit produireun effet redistributif descompétences normatives.Si chacunconnaît la conception descendante selon laquellela Commission sedessaisitde compétencesauprofit des États-membres,il faut aussiprendreen considérationles effets ascendantsde la subsidiaritéqui font obligationaux États de se dessaisirau profit de l’Union. Il importe quechacun desÉtats fassentde cette règle uneapplication identique.

* * *

Les États producteurs de normes, etmême lesproducteursprivés denormes élaborent des modèles qui ontparfois une traductiondans l’ordonnancement juridique national :

- Le modèlede l’étranger.

- La vie internationale etla marge de manoeuvre del’Étatproducteurde normes.

- La créationde nouveaux concepts juridiquesne peut laisserl’État indifférent.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 42: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Le modèle de l’étrangerL’exemple de l’étranger estun aiguillon stimulant la produc-

tion de textes,le modèle créela mode :Nul n’est prophèteen son pays.Les réformesentreprises, surtout lorsqu’elles sontassociées,soit à l’idéed’un progrès social,soit à une avancée technologique, soitencore à denouvelles prestations (parexemple commercialeset bancaires), sontsouventcheznous prises pourparoles d’évangile.

Ainsi, les réformes adoptées parle ministre de la Conditionféminine dans les années 80 étaient la reprise fidèle des avancéesjuridiques réalisées dans lesannées 60 dans des pays modèles, tels lesÉtats-Unis, la Suèdeet le Canada, contre les discriminations,le harcèle-ment sexuel et enfaveur de divers droits sociaux. Tarderà insérer cesmesuresdansnotre droit auraitété interprété ipso facto par les mouve-ments féministes commeune attitude plus conservatrice que cellesdespays modèles. Cequi aurait été politiquement critiquableet aurait étélanégationde l’objet même de ce ministère.

L’idée du bracelet électronique, comme substitut à la détentionprovisoireou de courte durée,procèdede la mêmeapproche. Son adoptiondépendra pourune large part des expériences menéesà l’étranger.

Suivonsl’évolution dans différentsordres nationauxdu couplehomosexuel.

Souvenons-nous quele mouvement quia conduit à l’abroga-tion de la peine de mort s’appuyait sur le fait que l’ensemble desdémocratiesmodernes, certainsétats des États-Unis exceptés, avaientendroit ou en fait renoncéà cette sanction.

L’un des motifsde l’extrême prudence manifestée parl’Étaten matièrede réformes touchant aux libertés tientà ce que la permanenceest une qualité essentielle dela loi ; celle-ci n’est pas, dansnotre traditionpolitique, le cadreadapté pour mener des expériences. Rares sont les loisqui, comme la loi sur la fécondation in vitro des couples infertiles,prévoient une sorte d’échéancier permettant leur remise en cause surlefondement de l’expérience acquise. C’est pourquoi, lesjuristes prêtentattention au ban d’essai des législationsavant-gardistes étrangères.

La vie internationale et la margede manoeuvre de l’État producteurde normesPar ailleurs, les ajustements internationaux ont une traduction

juridique : les distorsions économiqueset sociales causées par des régimesdifférents appellentà long terme une unification des règlesde droit ausein d’ensemble régionaux cohérents.L’un des objectifs de 1’« Europesociale » estd’aligner les systèmes de droit du travailet de la protectionsociale. C’est l’une desconséquencesde la mondialisationde l’économieet du marché du travail.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 43: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Il serait intéressant d’évaluerle domainede l’ordonnancementjuridique qui, en pure logique institutionnelle,a vocation à demeurerspécifiquement national. Le destindu droit national estlié à celui del’État.

La création de nouveaux conceptsjuridiques ne peut laisser l’EtatindifférentOn assiste à l’émergence d’une langue juridique mondiale.

Cette évolutionva de pair avecla mise en place d’une comptabilité uniquemondiale. C’estpourquoi, qui reprocheà l’État de trop légiférer etréglementer méconnaît sa faiblemarged’autonomie. Sansmême évoquerle pouvoir normatif de Bruxelles,relevons quel’État est souventà laremorque juridique des créations d’origineprivée.

La créativité desproducteurs de normesprivées apporteà lavie juridique de nouveauxespacesoù l’État intervient à son tour pourprotéger et déterminer une règlede jeu (on peutciter l’exemplede l’offrepublique d’achatd’une société cotéeen bourse etla multiplication desinstruments financiers issus des notions d’actionet d’obligation).

L’État disposealors de nombreux élémentsde réflexion : lesdemandes des professions concernées, les décisions descours de justiceeuropéennes,la doctrine et une infinitéde signaux moins officiels quiluicommandent d’agir.Ceux-ci peuventvenir de la communauté d’affairesinternationale. Prenons l’exemplede la revue Droit et Patrimoine dejanvier 1996 qui vantesous la signature de maître BernardMonassier,notaire, les avantagesde la « defeasance »,technique apparue auxÉtats-Unis permettantà une entreprisedonnée d’atteindre un résultatéquivalent à l’extinction d’une dette figurantau passif deson bilan parle transfert de titres à une entité juridique distinctechargéedu servicedela dette.

Ainsi l’État doit-il prendre à son compte la réalité dufoisonnement juridique national et international pour l’introduiredans son ordonnancement juridique ou le rendre compatible aveccelui-ci (cf. paragraphe sur «Les règles tatillonnes » p.33). A défaut,menacé d’obsolescence,il s’avérerait décalé par rapport aux besoinsdes utilisateurs du droit.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 44: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Chapitre 2

Fonction juridique -fonction juridictionnelle

M. Alain-Gérard Slama, dansle cadre d’une enquête pourleFigaro intitulée «Le malaise dansla justice », déclare : «Le conflit quine cesse de s’aggraver entre les magistrats et les hommes politiquess’explique moins par lapartialité, inévitable, des unset la corruption,occasionnelle, des autres que par la montéed’un juridisme de plus enplus arbitraire et intolérant ». Selon ce journaliste,la production norma-tive saturele droit qui, a son tour, contaminele systèmejudiciaire.

S’il est vrai que les fonctions juridiqueset juridictionnellessont interdépendantes,il n’en demeure pas moins qu’elles seréfèrent àdes logiques quipeuventparfois conduireà leur délégitimation réciproque.Pour mieux éclairer les enjeux de la fonction juridique, il a paruintéressant de se pencher sur les relations complexes desactivités decréation normativeavec celles tendantà dire le droit et à en sanctionnerla transgression.Il faudrait que d’un côté le juge ait les moyensd’accomplir samission, que ses décisions soient exécutées avecl’aide del’administrationet que, del’autre, sonrôle apparaisse clairement commeétant inscrit dansle cadregénéral desattributions del’État, qu’il soit, enquelque sorte,l’« État-juge ».

Identifier les dysfonctionnementsproduits par cette relationconduit à mieux valider les réponsesdu droit positif et à rechercherunéquilibre institutionnel qui pourrait fairel’économie d’une partiede laproduction normative.En se recentrant sur les acquisexistants - unordonnancement juridiquesous-utilisé et des juridictionsadministrativeset judiciaires, sans doute dequalité, mais encombrées - ,l’État valideraitd’une manière plus convaincante ses proprescapacitéset serait à mêmede mieux valoriserl’impact des nouvelles mesures.

* * *

La fonction juridique de l’État est affectée parle dualismedroit public-droit privé qui seprojette dansle dualisme juridictionnel.Cette répartition de compétences intellectuelleset de fonctions n’est-ellepas devenue unepartition, c’est-à-dire une mutilation ? N’engendre-t-ellepas une complexitéqui dessertla causedu droit et l’autorité desjuges ?Alors qu’aujourd’hui le véritable défi sociologiqueauquel est confronté

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 45: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

le monde du droit concerne l’improbable rencontreentre juristes etgestionnaires :

- Vers l’unité du droit.

- Vers l’unité desordres juridictionnels ?

Vers l’unité du droitL’unité du droit, c’est l’unité de ses valeurs,de ses méthodes

de création et d’interprétation. C’estlà que, selon l’expressionmême deM. MarceauLong, vice-président honorairedu Conseil d’État, se situe saforce créatrice, celle qui donneun sens aux relations lesplus concrètes.Pour que l’évolution de la productionnormative, qui n’a quetrop tendanceà émietter le droit, s’orientevers sonunité, il faut d’abord entreprendreun effort de formation. Les magistratsde l’ordre judiciaire connaissentmal le droit public général, mêmesi les candidatsau concoursd’entréedans ce corps sont souvent titulaires dudiplôme d’un institut d’étudespolitiques ou d’une maîtrisede droit public.

Or cette division culturelle n’entame quetrop la force deconviction des juristes qui se présentent désunisface au monde desgestionnaires. Car,il ne faut pas perdrede vue que ce qui menacel’influence du droit, c’est la communauté des gestionnaires qui reçoiventune formation éloignéede la penséejuridique. Il est tempsde rassemblerles familles de juristes autour d’unseul foyer qui resteà créer : l’unitédu droit. Présentant un front solidaire, celles-ci pourrontmieux faire vivre,aussibien au sein de l’administration quedans lesentreprisesprivées, leprincipe de réalité du droit.

Comment dépasserle clivage droit public-droit privé qui estle fruit de l’histoire, mais aussi dela penséeadministrativetout autantque d’une formation forcémentlacunaire ? De nombreusesdisciplinesrelèvent deplus en plus difficilement decette vision dualiste. C’est lecas du droit des affaires, de nombreux aspects dudroit pénal, et mêmedu droit communautairelequel touchetout autant les publicistes que lesprivatistes. Carce droit-là est celui des échanges,de la circulation desbienset de la réduction desinterventions de l’Etat. Demême,la frontièreest de plusen plus floue entre le droit international privé et le droitinternational public. Quantau droit des étrangers qui prévoitnotammentdes mesures d’expulsion, d’extradition, de refoulement et de reconduiteàla frontière, il donne lieu à un contentieux qui relève aussi bien desjuridictions de l’ordre judiciaire quede l’ordre administratif.

Les principes directeursdu droit positif dégagés parlajurisprudence judiciaire rejoignent les principesgénérauxdu droit énoncésou rappelés parle Conseil d’État. Certes, en matière de responsabilitépour faute - et c’est sans doutela divergence philosophiquemajeure -les publicistesne retiennent quela cause dominante tandis qu’en droitprivé eten droit pénal,on considère que tout fait imputableà une personnequi participeà la survenanced’un dommage engage sa responsabilité.Ce

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 46: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

qui, en matière d’atteinteinvolontaire à l’intégrité corporelle, conduitàrechercher la responsabilité pénaleou quasi-délictuelle de décideurspublics, là où le droit administratif ne décèlerait pasde faute génératricedu préjudice. On sait qu’un projet de loi en cours de discussiontend àlimiter la possibilité de rechercherla responsabilité surle fondementd’une« obligation desécurité oude prudence imposéepar les lois et règle-ments ».Le législateur entend faire évoluerle droit pénalen direction dudroit public. De son côté, ce dernier entr’ouvre la porte à la notionciviliste de « bonnefoi » qui se traduit par une obligationde transparenceet de concertation.Et cette mêmenotion se combine avec celle,publiciste,de « l’imprévision » jusqu’alors ignorée du droit desobligations.

Vers l’unité des ordres juridictionnels ?L’unité des ordres juridictionnelsprésuppose que n’estpas

irrévocablement constitutionnaliséela dualité dejuridictions en vertu dela « conception française dela séparation despouvoirs ». Et certainsd’avancer qu’il serait difficile d’envisagerla suppression du Conseild’État sans toucher àl’indépendance dela juridiction administrative,laquelle est distinctede celle de l’autorité judiciaire. D’autressoutiennentque l’institution d’une coursuprême unique procédantde la fusion duConseil d’État et de la Cour de cassation, et nonde leur suppression,accroîtrait la forcemoraledu juge sanspour autant l’exposerau reprochede démesuresouvent fait à la Cour suprême des États-Unis. Etsurtout,mêmesi l’on ne peut méconnaîtrela portéede ses décisions des23 janvier1987 et 28 juillet 1989,ce qui parait releverde l’appréciation souverainedu Conseil constitutionnel, c’est l’affirmation del’indépendance delajuridiction administrationet non son existence distinctede celle de lajuridiction judiciaire.

Soutenir quela dualité dejuridictions reflète «la conceptionfrançaise dela séparation despouvoirs » tend à assurer l’intangibilitéd’une organisation quiperpétuela dispersiondu contentieux sansbénéficeconvaincant pour les justiciables. L’existencemême du Tribunal desconflits n’est-elle pasla preuve d’une administration perfectiblede lajustice ? Implicitement,le Conseil constitutionnel admet que cettesitua-tion ne sauraitêtre érigée en modèle puisqu’il reconnaît l’effet bénéfiquede mesures palliatives :« Lorsque l’application d’unelégislation ou d’uneréglementation spécifique pourrait engendrer des contestationsconten-tieuses diverses qui se répartiraient,selon les règles habituellesdecompétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire,il est loisible au législateur, dans l’intérêt d’unebonne administration dela justice, d’unifier les règles compétencejuridictionnelle au sein del’ordre juridictionnel principalement compétent »(décision des 22 et23 janvier 1987).

Si une volontéde tendrevers l’unité du droit se fait jour, lafusion des deuxordresjuridictionnels ne sera plus une chimère.C’estmêmecette fusion qui,en retour, faciliteral’unité du droit. La coexistencede deux justices,tantôt complémentaires,tantôt concurrentes,déroute

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 47: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

l’usager du droit : elle setraduit par des lenteurs, desincertitudes, desrenvois et des coûts. Les questions préjudicielles, lesarrêtésde conflit,les déclarations d’incompétence,les irrecevabilités soulevées d’officesontautant de douloureux obstacles.Ce qui n’empêche pas,chaque jour, lespraticiens d’enrichir cetterelation dialectique de nouvelles questions.Ainsi, à quelle juridiction doit s’adresserle plaideur qui entend faire unrecours contre une ordonnancede taxe rendue parle tribunal des pensionsconstitué de magistrats del’ordre judiciaire ?

L’état d’esprit des magistratsdes deux ordresjuridictionnelsse rapprochent. Leurs règles déontologiques évoluentde pair. Pour leurpart, les membres des tribunaux administratifs revendiquentun statutcomparableà celui des magistratsde l’ordre judiciaire. Ils ambitionnentde devenir des magistratsau sens constitutionneldu terme. Il convientde poursuivre les efforts de rapprochement des conditions des magis-trats de l’ordre judiciaire et ceux de l’ordre administratif.

Quant au Conseil d’État,il fonde sa singularité sur safonctionconsultative. Quandbien même,en dépit de l’évolution du droit européenqui fait porter la critique sur la dualité consultation-contentieuxau seind’une même institution, l’on estime que cette fonction estindispensableà la satisfaction des besoins juridiques etnormatifs del’État, on voit malen quoi la fusion de deux ordresen une cour souveraine unique seraitunobstacleà ladite fonction consultative.Après tout, la prépondérance dudroit européen dans notreordonnancement juridique,la consécration desprincipes posés parla Cour européenne des Droits de l’Homme ontconstitué une révolution d’une touteautre ampleur que celle queconsti-tuerait la fusion de deux ordres juridictionnels, chacun d’euxétantaujourd’hui soumisà la dure critiquede l’opinion publique.

Les magistrats del’ordre judiciaire doivent pouvoir sesous-traire au confinement qui résulte de leur condition si particulière. Enraison deleur influence croissante dans les affaires sociales,moralesetéconomiquesde la cité, il paraîtra un jour peu adapté auxexigencesdeleurs fonctions qu’ils puissent les exercer dansleur plénitude pendanttroisou quatre dizainesd’annéessansavoir connud’autresunivers profession-nels. C’est d’ailleurs pourquoi une évolution sedessine : insensiblement,sous l’effet de réformes annoncéesà partir de 1980, lesmagistratssontde plus en plus nombreux à être accueillis dans desemplois dedétachement. Ils sont présents aussi biendans des fonctions juridiques(par exempleau sein des directions des affaires juridiques du ministèredes Affaires étrangères, de l’Assistance publique de Paris oucommeconseiller juridique duComité interministériel pour lesquestions decoopération économique européenne) que dans lesemplois opérationnels- une quinzaine d’entre euxoccupent desemplois de sous-préfet - . Ilsconstituentun volant d’environ 3% du corps judiciaire.

La proposition développée ci-aprèsde création d’un «cadrede magistrats aux administrationscentrales » tendà inscrire d’une manièrepermanenteleur présence dans les « pôles juridiques » desministères où,à présent, cettestructurefait défaut.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 48: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Par ailleurs, il faudrait poursuivre le recrutement auConseil d’État de magistrats de l’ordre judiciaire par le tour exté-rieur. Chacun s’accordeà reconnaître qu’ils contribuentà renforcer lacapacitéde cettehaute assembléeà approfondir lessujets relevantdu droitprivé. Après tout, qui mieux qu’un magistratayant une longuepratiquede la vie judiciaire aussi bienà Paris qu’en provincepeut contribuer àrenforcer la fonction consultativedu Conseil d’État saisi d’un projetdeloi sur la Cour d’assises ?

En contrepartie, il serait souhaitable d’accueillir à laChancellerie davantage de fonctionnaires,y compris dans les servicesde conception du droit, et d’ouvrir plus largement les possibilités derecruter dans la magistrature au tour extérieur des cadres supérieursde l’État, et ceci à tous les niveaux de l’organisation judiciaire. A titred’exemple, la nomination à la Cour de cassation d’un professeurdemédecine seraitun apport utilepour le traitement des affaires qui touchentà la bioéthique, la responsabilité médicaleet le droit desexpertises.Demême, ne serait-il pas temps de donner une vigueur accrue aurecrutement dans certains emplois de personnalités «en serviceextraordinaire » ?

* * *

Voyons, dansle recours à la justice, la manifestationd’uneadhésionau contrat social et non une aventure individuelle, qui serait uneénième versiondes Plaideurs de Racine :

Production normativeet accès à lajusticeLa production normative est l’inscription dela volonté politi-

que dans l’espace juridique. Lejuge la révèle, presqu’au sensphotogra-phique, en enassurant l’interprétationet la sanction. Lesrègles édictéesdoiventêtre largement connues de leurs destinataires, toujours applicableset généralement appliquées. Dece fait, l’accèsau droit est inséparabledel’accès à la justice. C’est dans cette perspectivequ’une mission surl’amélioration des règlesde fonctionnementde la justice civile a étéconfiée parM. Jacques Toubon, garde des Sceaux, ministrede la Justiceà M. Jean-MarieCoulon, présidentdu tribunal de grande instancedeNanterre.

Quel grief peut-on essentiellement adresser auxdeux ordresjuridictionnels ? Comme toujours l’absencede prévisibilité de la datede la fin du litige, soncoût et l’inefficacité de la décision rendue. Cesattentes et cesdésillusions mobilisent contre l’État ; elles constituentune cause du divorce des citoyens d’aveclui. Une justice peuaccessible,c’est un État qui prend du champ avec une responsabilitémajeure ; c’est unesociété qui serefuse de se donnertous lesmoyenspour évacuer sesviolences, quine garantit pasla primauté de la paix

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 49: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

civile, laquelle va bien au-delàde l’ordre public. Enoncerdu droit sanss’assurer qu’il puisse recevoir une sanction, c’est battre dela faussemonnaie (d’où peut-être l’inflation destextes). Ilne faudrait pluslire dansla presse des expressionsbanales telles que « marathon judiciaire »,« gâchis judiciaire ». Car, du fait même de son existence,l’États’oblige à l’égard desjusticiables. Il leur doit intérêt, compassion etdiligence, un peu à la manière d’un médecin qui est lié par lesermentd’Hippocrate. C’està ce prix queles citoyenspeuvent avoir delui unereprésentationpacificatrice. En effet, bien résoudre lesconflits, que cesoit entre particuliersou entre ceux-ci etles personnes de droit public- au premier rang desquelsprend place l’État - , c’est répondreà uneexigencede paix civile et à une conditionde l’adhésion descitoyensà la loi républicaine. Ainsi, ce serait renforcerla crédibilité de l’Étatde droit que d’admettre quele paiement d’une detteà une entreprisecommerciale est, auxplans économiqueet social, aussi nécessaire quecelui d’une detteau fisc.

Les citoyens, même les mieux informés, font l’amalgameentre les fonctions de production normative et lesfonctions qui engarantissent l’application. Lesdérapages sémantiques sont significatifs.Ainsi le Comité nationald’information surla drogue publie-t-il dans salettre d’informationde mars 1996un article intitulé «La France est-elleencoreun État de droit ? ». Il signale l’existenced’une revue destinéeaux enfants qui inciteà l’usage de la drogue et interpelle ainsile gardedes Sceaux : «Qu’attend le procureur de la République pourfaireinterdire (ce mensuel)à la vente et appliquer à l’éditeur les sanctionsprévues par la loi ? »

L’accès par le coût est une difficulté sérieuseà laquellerépond,en partie, l’aide juridictionnelle. Il faut aller beaucoupplus loin.Pourquoi ne pas envisager, comme en Allemagne, queles fraisd’auxiliaires de justice et deconsultants soient déductibles des revenusimposables !L’État montreraitainsi l’intérêt qu’il porte à la connaissancedu droit et à la saisine dela justice, et en particulier à l’initiative desparties civiles.

La production normativepeut faire déborderla justice de sonlit. Chacunconserveprésentà l’esprit leseffets dela loi du 31 décembre1989 relative à la prévention et au règlement des difficultésliées ausurendettement des particulierset des familles.Il en est de même desréformes de procédure pénalequi, alors qu’ellessont destinéesà accroîtreles garanties du justiciable, se traduisentdans de nombreux cas parl’allongement dela durée des procès, voire des détentionsprovisoires ;de mêmeencore du sortfait à la peine de travail d’intérêt général,peinesubstitutive de l’emprisonnementqui, faute de moyens suffisants, n’estpas prononcéeni appliquée commeelle devrait l’être.

Les études d’impact, qui accompagnent tout projet de loiet de décret, devraient évaluer l’incidence de la mesure sur lefonctionnement de la justice au regard des objectifs d’améliorationde cette dernière.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 50: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Les rapports entre1’« État-gouvernement »et l’« État-adminis-tration » d’une part et l’« État-juge » de l’autre sont perfectibles. Lasituation faiteau juge qui s’inscrit dans notre histoire,évolue aujourd’huidansun contexte nouveau dansla mesureoù les citoyens des démocratiesavancées en appellent systématiquementà lui :

- L’héritage de Colbert.

- Montée en puissance dujuge pénal etproduction normative.

L’héritage de ColbertLe rapport des personnesde droit privé à l’administration et

à la justice estmarqué parl’histoire. Jadis, l’« État-gouvernement »etl’« État-administration » embrassaientun vaste champ de compétenceslargement orientéesvers l’économie, les affaires socialeset la sécurité.Investi des fonctions normatives et administratives,l’État répondait delarelation de l’individu à la collectivité nationale,le premier énonçant laloi, le second l’appliquant.La justice était une autorité supplétive,unrecours,le lieu du traitement de l’accident. Ressentie commeune forceplus mutilante que constructive, elle connaissait, selon l’expressionconsacrée, «des litiges entreparticuliers » et le domaine habituel dudroitpénal étaitce qu’il est convenu d’appelerla délinquance de droitcommun.

La conception traditionnelle del’État n’incline pas volontiersà reconnaître le primat de la règle de droit. Le droit, dans sa créationcontinue, restaitsubordonné aux desseins opérationnels del’administra-tion. Il venait en appui d’une politique. Demême,le système faisaitdujuge un régulateur de conflits,mais non un « décideur ». Colbertplaçaitl’administrateur devant le juge. Le souci d’une organisation tutélaireprimait sur un État de droit. Créon l’emportaitsur Antigone.

L’énergie cinétique produite parce mouvement esten voied’épuisement. Il en reste des traces dansla représentationcollective del’État de droit.

Mme Blandine Kriegel cite l’exempledu sang contaminé :« Tous lespays européens ontcommis la même erreur en matière deprévention du sida. Mais chez nos voisins, dès queles administrationsont comprisqu’elles s’étaient trompées,elles ont reconnuleur erreur etelles ont indemnisé les hémophileset les transfusés.En France, selonlevieux principe selon lequel le roi ne peutmal faire et que l’État ne setrompe pas, l’administration de laSanté n’aadmis aucune compensationmonétaire pour les victimes » (Figaro, 15 février 1996).

Cependant,l’édifice dessiné parColbert se lézarde.A l’imagedes démocratiesoccidentales,la société française est enserrée dans unréseaunormatif de plus en plus dense.On parle à ce sujet d’une société« hyperjuridicisée », ce qui ne signifie pas quela culture juridique aitgagné tous les milieuxsocio-professionnels, maisce qui est,sansconteste,la cause directe dela « judiciarisiation » dela vie socialeet politique.L’influence anglo-saxonneau sein des Nations-unies favorise cette

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 51: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

évolution. L’époque oùle pouvoir d’administrer primaitcelui dejuger estrévolue. Cette judiciarisation,qui a pour elle d’être formidablementmédiatique dansle monde entier, montrela relation ambiguë des jugesavec l’opinion.Ainsi la conscience démocratique, révélée par les médias,opère-t-elleun nouveau classement des valeurs :quandcelles-ci s’affron-tent, la légitimité du droit tendà l’emporter surla légitimité dela gestion.La justice doit désorganiser, quand ellele juge nécessaire. C’estla forcede cette conscienceannoncée par Theilardde Chardin qui donne leurvéritable légitimité au tribunal pénal international à La Haye et à sesdécisions dont, désormais,nul État démocratique ne saurait méconnaîtrela portée.Le droit s’insinue dansdes logiques politiques, diplomatiqueset économiques jusqu’à devenir inexpugnable.

La démocratie exige que les conflits trouventleur solutiond’une manièrelogique et prévisible. Or,paradoxalement,c’est au tour dela justice, prise à revers,de voir son domainede compétence concurrencépar l’autorité administrative qui s’impreignede la culture judiciaire.L’onpense d’abord aux autorités administratives indépendantes telles quelaCommission desopérations de bourse qui secomportenten parquets, maiscette évolution prend parfois des formesplus discrètes.

Revenonsà l’exemple du traitement dela violenceà l’école :dès lors que l’objectiféducatif est d’éviter l’exclusion, même en cas dedélinquance avérée, lesconseils de discipline,qui sont des instanceséducatives, deviennent des substituts administratifsau juge pénal. Ledéplacement de compétences aboutità la mise en place de circuits dedérivation (d’autant plusadmis qu’y sont invités lesreprésentants duministère public)et tend à méconnaîtrela fonction irremplaçable dujuge,garant dela liberté individuelle et du droit. Caril ne faut perdre aucuneoccasionpour fonder l’autorité, notamment auprès desplus jeunes (cf.Protection de la jeunesse etdélinquance juvénile rapport du sénateurMichel Ruffin).

Si, à l’aube de notrehistoire contemporaine,la fonction admi-nistrative était prépondérante, elletend désormaisà céder du terrainà desinstances régulatricesau sein desquellesla justice occupeune placeparmid’autres. L’administrationcentraleainsique certaines autorités admininistra-tives indépendantes investissentà leur tour le champ du juridictionnel, quandelles nesont pas les postes avancés dela justice elle-même (parexemple :le Conseil dela concurrence).Cette évolutionpose auxcitoyensun problèmed’identification des rôles respectifs des autorités. Elle contribueainsi àbrouiller l’image des différentsvisagesde l’État. Quandle juge administreet l’administration juge,à la critiquesur la qualité dela production normatives’ajoute le flottement des repères institutionnels.

Montée en puissance dujuge pénalet production normativeM. Alain-Gérard Slama,dans sonarticle «Le malaise dela

justice » déjà cité, pose ainsila question dela concurrence entredeux

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 52: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

sourcesnormatives -celle de l’« État-gouvernement »et celle de 1’« État-juge»- : «Qui, du législateur ou du juge doit être la source principaledu droit ? [...] La tradition républicaine française a investi de cettefonction le législateur. La conception anglo-saxonnea répondu par lejuge. Comme cettedernière estdominante enEurope, la pression qu’elleexerce surnotre "exception" exp l ique engrande partie le trouble de notrejustice ».

Le juge est devenuun régulateurde la vie socialede premierplan. Sa promotion dansla conscience collective,qui lui a assuré lareconnaissancede sa fonction, est indépendante d’unevolonté supposéede rivaliser avec les pouvoirsexécutif et législatif dansle dessein deconquérir une plus grande influence dansla production normative.Audemeurant, le rapport de la Cour de cassationpour 1995 indiqueclairement la contribution normative dela Justice. En vérité, celle-cirépond aux questions et comble leslacunes de la réglementation.L’exemple européen est intéressant :la production de textes provoqueunchoc en retour au plan jurisprudentiel.

Il est vrai cependant qu’àcôté dela réglementationqui ajustel’ordonnancement aux besoins concretset changeants dela société,il existeune demande d’énonciationsde grands principes quirelèvent davantage -plus naturellement -des autorités juridictionnelles. C’estle domainedeprédilection de la Cour de justice des Communautés européennes,de laCour européenne des Droitsde l’Homme et, en France, du Conseilconstitutionnel et des courssuprêmes auxquellestout citoyen a accès.

Le casde la loi du 13 juillet 1990 (dite «loi Gayssot »), quia modifié la célèbre loi du 29 juillet 1881 surla liberté de la presse, estexemplaire. Il aurait étéplus satisfaisantpour l’esprit desjuristes queleConseil constitutionnel ait étémis à même d’émettre une appréciationausujet de la préservation des libertés fondamentales :liberté d’opinion etd’expression (article10 de la Déclaration des Droitsde l’Homme et duCitoyen) et liberté de communication des pensées et desopinions (article11). Tout se passe commesi la législation touchant auxgrands principesn’était parfaite qu’aprèsavoir été entérinéepar les autorités juridiction-nelles. Peut-être est-celà unedesdernières tracesde la fonction politiquedes parlementsde l’Ancien Régime.

On assisteainsi à un rééquilibrage des autorités émettricesdenormes qui prenden comptela sensibilitéde l’opinion publique : le jugeest investi d’une dimensionéthique, qui tientà son indépendanceet àsonimpartialité. Pour sa part,le juge judiciaire jouit davantage d’uneinfluence moralequ’il ne s’érige en sourcede droit dominante.L’« État-gouvernement » doit, quant à lui, apporter desréponses pratiquesetrapides. C’estlui qui dispersele champ pénaldanstous les horizonsdudroit, faisant ainsidu juge répressifun censeur omniprésentde la cité.Car ce n’est pasle juge qui s’approprieson pouvoir. Il le reçoit de la loiet, sauf casparticuliers,en fait usage avec discernement.Mais si tout cesur quoi déteintle droit pénalvient naturellementà la connaissancedujuge, qu’y peut-il lorsquele tumulte du prétoire éclipsele désordrede la

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 53: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

transgression ? La justicepénale se situe au point focal de l’intérêt del’opinion. Elle est le révélateur émotionnelde la loi.

Les causesde la montéeen puissancedu droit pénal économi-que sont nombreuses.En voici quelques-unes :

1) Le droit pénal estsouventassociéau droit fiscal lui-mêmeen expansion.

2) Les plaignantsde faits constitutifs d’infractions économi-ques ont intérêt à s’adresserau juge pénal plutôt qu’au juge civil,commercialou prud’homal. Carle ministèrepublic et le juge d’instructionsecondent leurs effortsdansla recherchede la vérité, y compris danslecadred’un procès destinéà créer une pression psychologique pourinciterà la négociation.

3) La mésententeentre associés se traduit généralement parundépôt de plaintepour abus de biens sociaux(cf. affaire d’abus de bienssociaux Tranchant-Tapie).

4) La législation socialeet économique s’appuie sur desincriminations pénales dont lesconditions d’ouverturesont souvent troplarges, impréciseset non conformesà la philosophie du droitpénal.

5) Les catégories d’associations habilitéesà déclencher despoursuites en se constituantparties civiles sont en expansion, ce quidessaisitle ministère publicde ses prérogativesde décider desclassementssanssuite.

6) Les difficultés économiques favorisent lescontentieux(parexemple :banqueroute,abus de bienssociaux,abus deconfiance etc.).

7) La réforme du Code pénala contribué à cette évolution encréant une nouvelle catégorie dejusticiables - lespersonnesmorales -etdes incriminations qui «ratissent » largement :le délit de favoritismecrééen 1991 est plus facileà établir que celui de corruption et permet desanctionner l’ensemble dela procédure illicite, et non plus seulementcertaines de ses manifestationsou certains des procédés utilisés pourdissimuler l’illégalité.

Nombre de juristes pensent quela société est victimed’unexcès de droit pénal et de l’incertitude de ses définitions. Ils voientunlien de causalité entre l’enrichissement quotidiendu dispositif répressifet l’accroissement durôle du juge notammentdans desdomaines oùilétait jadis peu présent.La société économiqueet tous les acteurs quil’aident à prospérer y sont particulièrement sensibles. Parailleurs, laconjonctureéconomique etle poids des habitudes(cf. supra : l’auto-con-trôle et la loi - p. 40) accroissent les effets dela pénalisation.

Pour autant, les acteurs socio-économiques réclament,non pasdes coupes claires, maisun droit plus ajusté à la diversité dessituations.Pour répondreà leur attente,une sorte de dialogue s’instaure entre lesdifférentes sources normatives. Citonsà titre d’exemple le principe du« devoir de loyauté »qui vient d’être dégagé parla Cour de cassation(arrêt du 27 février 1996) lequels’impose au dirigeant d’une sociétéau

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 54: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

profit de tout associé. Relevonsqu’en introduisant ceconceptbien connudu droit américain (fiduciary duties) dans notre ordre juridique,la Coursuprême tendla main à l’« État-gouvernement » qui, dansle cadred’uneréforme du droit des sociétés, pourraexpliciter ce concept.Cet exempleillustre le vaste domaine de coopération en matièrede productionnormativeentre les diverses expressionsde l’Etat.

* * *

L’« État-gouvernement »ne doit pas donner l’impressiondesubir cette évolution contre songré. Au contraire, parce qu’il doitfavoriser des relations plus transparentes et plus conviviales,il luiappartientde réévaluer sa relationau droit :

Une nouvelle culture juridique :prendre la loi au sérieuxLes proposde de M. Antoine Garapon, directeurde l’Institut

des hautesétudes judiciaires, méritent d’êtrerelevés : «On aimefairedes lois, on aime moins les respecter. Ce que dit Tocquevilledansl’Ancien Régime et la Révolution est d’une actualitébrûlante : "Lesinstitutions françaises, c’est unerègle rigide et une pratique molle. Onparle désormaisde l’activisme des juges. Est-cequ’on dénonce suffisam-ment l’activisme parlementaire qui faità tour de bras des lois inapplica-bles et surtout inappliquées ? Lorsqu’elles deviennentapplicables, parceque les juges semettent à faire leur métier jusqu’au bout, on assiste àce que l’on voit aujourd’hui. Mais la machine marchetoute seule et onne sait plus l’arrêter" ».

Aux États-Unis, «enfreindre laloi » se traduit par «To breakthe law », expression qui, par sa force sémantique,exprime bien, au-delàdu cas particulier,la rupture du contrat social,la manifestationmaligned’un comportement incivique quidépasse debeaucoup l’objetmême dela transgression. Le cas d’un commandant debord d’un aéronef américain,qui décide de modifierson plan devol parce qu’unpassagerrefuse d’obéirà une interdiction de fumer, estrévélatrice decette relationà la règle.

En France, la distanciation entrela norme qui fixe uneobligation et le devoir de la respecter constitueun vrai problème desociété. Ce qui explique à la fois que la plupart des obligationsimpérativesposées parla puissance publiquesoient assorties desanctionspénaleset qu’en mêmetempsun pourcentage peu important d’infractionsdénoncéesau parquet soientpoursuivies.Il faut veiller à ce quela culturede l’impunité ne soitplus au nombre des obstacles à lacrédibilité de laproduction des normes pénales.

Il n’est pas non plussouhaitable de donner l’impression queles infractionsbanales ne sont généralement pasdavantage sanctionnées.Il s’agit de soulignernon seulement l’importance duchiffre noir (le

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 55: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

pourcentage des délits, tels quele vol, qui ne sont pas portésà laconnaissance desautoritésde police judiciaire), mais aussila vanité desrecherchesde la police judiciaire et des procédures pénales misesenoeuvre à cet effet lorsqu’on sait qu’une proportion considérabledepoursuites pénales, qui aboutissentà des condamnations,ne peuvent êtreportéesà la connaissance des justiciables concernés. Parexemple, dansle ressortdu tribunal de grande instancede Nanterre, sur cent infractionsdénoncéesau parquet (lesquellessont affectées d’unchiffre noir particu-lièrement important),six seulement étaient, ces dernières années,poursui-vies et moins encoreamenéesà exécution.

Les exemples, somme toute inévitables,de lois inappliquéesou insuffisamment respectées, démoralisent les forcesde sécurité qui usentleur crédibilité, ainsiqu’ils indignent les « honnêtes citoyens ».Ceux-ci,en leur qualité d’automobilistes, d’usagersdes services publicsou encorede contribuables, sententle poids d’une répression dirigée contreeux. Lacomparaison qu’ilsfont entre un excès de vitesse puni d’une amendelourde ainsi qued’un retrait de points du permis de conduire et letraitement judiciaire des délits de droit commun, créateurs d’insécurité,procède du spectacle quotidien offertà l’opinion publique. Elle pose leproblème de l’impunité et de l’effectivité dela répression ainsi que celuide l’égalité descitoyens devantla loi pénale.

L’État doit avoir la volonté et la capacité de faire respecterles dispositions pénales qu’il édicte. Rienn’est plus dérisoire qu’unépouvantail sur lequel caquettent les oiseaux. On pourrait faire lepoint sur les causes de l’absence de poursuitessur le fondement deplus des 9/10e des infractions créées.

* * *

La loi fixe les attributions de l’administrationet du juge. Maisau-delà des textesparticuliers, demeurent les principes fondamentaux quiassignentau juge seul le soin de trancher des conflits oud’infliger dessanctionspénales et civiles. Il convientdonc deveiller à ce que chaqueautorité se situe dansson domaine naturelde compétence ;en d’autrestermes, il faut éviter d’instituer entre elles desconcurrences :

- Le droit pénal : le pouvoir exécutif et l’autoritéjudiciaire.

- Force doit resterà la loi : le double langage dela médiation.

Le droit pénal : le pouvoir éxécutifet l’autorité judiciaireDès lors que l’État entend que sesprescriptions aientforce

obligatoire, il doit en préciser la sanction en cas de non respect.Lasanction,ce peut êtrela nullité d’un acte, la perte d’un avantage fiscal,une amende civile ou administrative.Force est deconstater quele recours

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 56: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

au droit pénal par l’État estdevenuun réflexe au point qu’il s’est insinuédans tous les secteurs dela législation.

L’exemple de la loi du 19juillet 1976 relativeaux installationsclassées pourla protection de l’environnement illustre cette démarchesystématique. Cetteloi définit les procéduresapplicables aux installationssoumises d’unepart à autorisation et d’autre part à déclaration. Ellerenvoie à une nomenclature établie pardécret en Conseil d’État, puisprévoit que l’exploitant esttenu d’adresser une demande d’autorisationou une déclarationen cas de... «changementde procédésde fabricationentraînant des dangers mentionnésà l’article premier ». L’article premierfait état de dangers possiblespour la santé, la sécurité, la salubritépublique, l’agriculture,la protection dela nature et de l’environnement,et la conservation dessiteset des monuments. Leséléments légauxd’undélit, aussi généraux et imprécis, confèrentà l’administration les plusgrands pouvoirsd’appréciation quantau dépôtde plainte.Cequi constitue,en théorie, une menace sérieusepour les libertés individuellesd’autantplus que les peinesprévuessont lourdes :peined’emprisonnementde unan et/ou amendede 500 000F et obligation de remettre les lieuxen état.

En instituant un délit qui énonce les peines auxquelss’expo-sent les contrevenants,l’État ouvre la possibilité à la justice d’en fairel’application qu’elle estimeadéquate.Il n’y a pas conflit entre l’« État-gouvernement »,l’« État-administration » et1’« État-juge ». Si l’État estlégitime dans toutes sesfonctions, il n’empêche que l’imprécision delarègle et la gravité dela sanction ont pour effet de donnerà chacun desacteurs quidécidenten son nom un pouvoir d’interprétationet d’appré-ciation trop large. Et l’expérience montre qu’untel pouvoir inhibel’administration. C’est l’effet pervers des lois inefficaces parce queterrifiantes. Nes’écarte-on pas tropsouvent des prescriptionsde l’article8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen auxtermesdesquelles «la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemmentnécessaires ».

L’autre travers d’une législation moderneconçueen marge desgrands principes juridiques, c’est l’instaurationen parallèle desanctionsadministratives.Le représentant de l’État devient une autoritéconcurrentede la justice. Dans l’exemple cité,le préfet peutcontraindrele contreve-nant à exécuter les mesures qu’il a prescrites. L’Étatdoit sedonner lesmoyens coercitifsstrictement nécessaires pours’assurerdu respect desnormes qu’il énonce.Or lorsque l’État institue des procéduresadminis-tratives et fiscalesparallèles,il répartit le pouvoir de sanctionner entrelejuge et l’administration : Colbertfait de l’ombre à Montesquieu.(cf.égalementla législation surle délit d’initié et les pouvoirs respectifsdela justice et de la Commissiondesopérationsde bourse).Ce quiest aussisouvent le cas des relations des juges des enfants avec les directionsdépartementales des affaires sanitaireset sociales, une illustration parmid’autres du propos de M. Paul Ricoeur : «Le rôle de l’État n’est plusclair dans la conscience des citoyens ».

Cette dualité d’autorités suggèreau sujetdu Code de la routeà un journaliste,M. Jacques Chevalier commentant,le livre de MM. Didier

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 57: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Gallot et Jeande Maillard Les automobilistes politiquement incorrectslaréflexion suivante : «Comment oublier ces véritables tribunaux d’excep-tion, qui au milieu des années 80, renvoyaient les préfets aux champs, lelong des routes, pour ôter à des automobilistesmédusés et néanmoins"bons pères de famille" leur triptyque rose ?... La sécurité routièreaainsi... réalisé la confusiondes genreset bafoué les règles de l’équité ».La combinaison des compétences préfectorale et judiciaireen matière desuspension du permis deconduirequi procède de cet esprit,rend confusel’action de l’État. L’automobiliste auquelle préfet suspendson permis àtitre provisoireparcequ’il acommis une infractionne peut s’empêcherdepenserqu’il subit une sanction. Comment,du point de vue de l’automobi-liste, le pouvoir administratifde suspensionà titre provisoire s’articule-t-ilavec le pouvoir du juge qui peut relaxer ou décider de prononcer unemesure moins sévère ? Une étudeest en cours pour mettre fin à cettedualité de compétences.

Il faut assurer la cohérence entreles textes dansle respectdes grands équilibres institutionnels, en évitant de créer deschampsde concurrence entre l’administration et la justice.

Force doit rester à la loi :le double langage de lamédiation

Lorsqu’un principe d’ordre publicn’est pasdirectement encause, libre aux parties de recourirà d’autres modes de règlements deleurs litiges. Ces espaces d’initiatives,hors du périmètrepublic, consti-tuent une alternativeà la justice de 1’« État-juge ». La justice publiqueest parfois insuffisamment attentive aux besoins des justiciables, notam-ment en ce qui concerne les délais.Il lui est utile dedisposer d’autreséléments que les statistiquesannuelles sur l’opinionde la population àson sujet.A cet égard, lesarbitrages, les conciliationset les médiationspeuvent être autantd’aiguillons et d’indicateurs susceptibles de l’inciterà améliorer sesperformances. Cesmodes de règlement des différendsetdes litiges font appelà des talents irremplaçables dejuristes et d’expertsqui, par leur autorité, permettent souvent aux partiesd’abréger leursconflits, d’en limiter la portée etd’en préserver la confidentialité. Etmême lorsquele contentieuxa trait à des sujets relevant del’ordre public,il peut être bon de préparerles décisions judiciaires par des accords surdes points précis procédant de médiationsinformelles. C’est pourquoi,l’université Paris IIet le barreau de Paris, qui s’intéressenten particulierà ce sujet, ont misen place une associationprésidée parle professeurPierre Catala sur les modes alternatifs derèglement deslitiges.

En revanche,lorsque l’État encourageou organise des déro-gations à la prévalence dela loi impérative, il porte atteinte au crédit desa fonction normative. A quoi bon édicter des règles impérativessilui-même accepte qu’ellespuissent ne pas être respectées ou dumoinsqu’elles ne jouissent pasde plus d’un meilleur crédit que des repèresdiscutés. C’est ainsi que s’insinuele doute sur sa résolution. La normeobligatoireperd safonction pour devenir un élément de fait, une opinion

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 58: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

ou l’enjeu d’une confrontation politique. D’impérative,la norme devientindicative. On finit par perdre de vue l’idée que transgresserla règle,quand bienmêmeil n’y aurait pasde victimes désignées, porte préjudiceà la collectivité nationale.

C’est pourtantla voie sur laquelles’engage parfoisl’État enfavorisant desméthodesde traitementdes différends nés dela violationde règles impératives.La démarche médiatrice est convenablepour réglerdes conflitsà condition de ne pas nourrir ainsi l’impression quetout estnégociable et quela référenceà l’autorité - cellede la justice par exemple- n’est qu’une procédure destinéeà prévenir l’échec de pourparlers.Ilfaut veiller à ce quesonrecoursne nuisepasà la légitimité desinstitutionspermanentes.Ainsi le lieu naturel du rappel à la soumissionde chaquecitoyen à la loi impérative doit resterle juge, qu’il soit judiciaire ouadministratif.

La médiation présente aussi l’inconvénientde faire oublier quela fonction du droit est aussi de protéger les plus faibles,en particulierles victimes d’infractionspénales. Car devantle médiateur,il n’y a plusde règles de procédureet le fond du droit est mis entreparenthèses. Lerapport de forces qui s’instaure devantlui est d’unetoute autrenaturedansla mesureoù il n’est pas un arbitre, maisun intermédiaire dotédepouvoirs équivoques.

Par conséquent, il faut veiller à ce que le recours à lamédiation n’ait pour effet d’ébranler le respectqui s’attache à la forcede la loi impérative et la légitimité des institutions chargées dela faireappliquer.

Le médiateur de la RépubliqueToute autre estla situationdu médiateurde la République dont

la fonction procèdede la loi. En effet, selon ses propres termes,sonactivité «s’exerce dansle cadre d’une mission que lui a confiée lelégislateur et selondes principes strictement définis parla loi. Il luiappartient notamment d’identifier lescas où une administration n’auraitpas fonctionné conformémentà sa missionde servicepublic, n’aurait pasfait une exacteapplication de la loi, et d’intercéder auprèsde celle-ciafin de rétablir les usagersdans leurs droits. Le médiateur de laRépublique peut égalementintervenir en équité auprèsde l’administrationen vertu des dispositionsde la loi du 24 décembre1976 modifiant la loifondatrice du 3 janvier 1973 (articles 9 et 11). Ce pouvoir ne relève pasde principes supérieursdu droit. Le législateur a simplement voulupermettre au médiateur de la République d’apprécier les conséquencesd’une loi, d’un règlementou d’un jugementpour éviter que celles-cisoientinéquitables pour un membre de notre collectivité. Le médiateur delaRépublique agitpour renforcer la cohésion socialeet c’est son pouvoirpropre d’appréciation etd’application : il est seul à pouvoir invoquerl’équité et à formuler des recommandations.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 59: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

« Ces recommandations doivent être faitesdans le respectdel’État de droit, de l’esprit de la loi et sousréservequ’un certain nombrede conditions soientréunies. Il convient notamment des’assurer :- que la décision administrative aitdes conséquences inéquitablestrouvant leur originedans la lettre de la loi ou du règlement et non dansune erreur d’appréciation del’administration ;- que cette inéquitésoit certaine et suffisamment gravepour constituerune atteinteà la cohésiondu groupe social et justifier uneinterventionfondée sur le devoir de solidarité;- que la situation d’apparenteinéquité ne soit pas la conséquencenécessaire et inéluctabledu dispositif voulu par le législateur;- que la mesure destinéeà compenser l’inéquité soit conformeà l’espritde la loi;- qu’elle soit concrètement réalisable, c’est-à-dire, financièrement sup-portable par la collectivité publique concernée;- enfin, qu’elle neporte pas atteinte audroit des tiers.

«En outre, la loi fixe les limitesdeses compétenceset notammentla loi du 3 janvier 1973 lui interdit de s’immiscerdans le domaine de lajustice en intervenant dans uneprocédure engagéedevant une juridiction ouen remettanten causele bienfondé d’unedécisionjuridictionnelle. Dès lors,son action nepeut être préjudiciable à celle dela justice ».

* * *

Refus d’expulser, refusde démolir... C’est surtouten neprêtant pasà la justice son bras séculier quel’« État-administration »délégitime le juge et seporte tortà lui-même. Il s’y prend deplusieursmanières : il dispose d’une liberté d’appréciation pourconcourir àl’exécution des décisions de justice. Mais,d’une manièreplus subtile,ilorganisele chaosjuridictionnel en instituant de nouvelles procédures quipermettent de renvoyerla conclusion d’une affaire aux calendesgrecques :

Un c a s classique dedélégitimationde la justice par la concurrencedes normes applicables et laconfusiondes rôles entre administration et justiceÉvoquonsun fait divers querelate le Figaro daté du 13mars

1996 :

« La fin probable d’un lourd calvaire.

« Depuis quatre ans, F.L. veut vendre sonappartementpourpouvoir soigner sa fille malade. Uneissue est en vue pour reloger seslocataires "inexpugnables".

« "J’ai l’impression que cette fois-ci, il y a une solution. C’estpeut-être sérieux" indique avec prudence F.L.... Depuis quatre ans,cette"mère-courage" se bat afin de récupérer lelogement.L’argent desa ventelui permettra alors defaire face financièrementà l’éducation de safille.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 60: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

« En 1992, F.L. donnait congé à ses locataires, un couple auchômage avectrois enfants, dans les lieux depuis1986. Ces derniersrefusèrentde quitter l’endroit. Un conseiller de Paris intervint afin queles locataires ne soientexpulsésqu’avec l’assuranced’un relogement. Enavril 1995, une autorisation d’expulsionsera accordée parla préfecturede police. Elle ne sera pas exécutée etla préfecture reviendramême sursa décision. Dernière solution : trouver une autre habitation auxlocatai-res récalcitrants ».

On peut égrener une infinitéd’exemples demêmenature, telle sort d’une dame âgéequi, s’étant adresséeà justice pour obtenirl’expulsion d’individus ayantprofité de son départ en vacances pouroccuperson logement,adû attendreà l’hôtel prèsd’un an,en dépit d’unedécision dejustice deréféré, avant de pouvoirréintégrer les lieux.

Détentrice du monopole de la coercition légale, l’autoritéadministrativen’a cessédepuis le XIX e siècle de prendre ses distancesvis-à-vis dela force exécutoire des décisions de justice. Elle entend sefaire juge à son tour, commes’il s’agissait de dresserle fait contre ledroit, l’équité contre la justice. L’article précité indique qu’ « uneautorisation d’expulsion estaccordée ». Comment le justiciable peut-ilcomprendre quel’administration valide ou nonune décision de justice ?Alors qu’au surplus, sur unplan général, l’État n’a decesse que de placerdes obstacles normatifs et administratifsdestinésà relativiser l’efficacitéde la justice et en même temps de fournir lesfondements du développe-ment du contentieux qui contribueà l’encombrement des prétoires.

La justice serait-ellele vent immobile ?Ce r ta ins juges, esti-mant qu’à ce compte,le dernier mot revenantà la contingence adminis-trative, affaiblissent encorela force de la loi en se comportantcnadministrateursde l’équité. C’est ainsi qu’un juge des référésdu tribunalde grande instance de Paris,saisi par la ville de Paris d’unedemanded’expulsion de squatters,a considéré quecelle-ci «n’avait dans l’immé-diat aucun projetprécis d’utilisation ou de réhabilitation de l’immeuble »,donnantainsi en quelque sorte un titreà la voie de fait.

L’idée qui scande la houle des réformesconsiste à élargirl’éventail des voies procédurales afinde rendre inépuisablele recours àla justice. Un justiciable veut faire exécuterune décision d’expulsion :son huissierde justice serendra à plusieurs reprisesau domicile de lapersonnecondamnéeà quitter les lieux. Celle-ci conserverala possibilitéde saisirle juge de l’exécution auxfins d’obtenir desdélais qui pourrontatteindre troisans. Ces délais expirés,la mise en oeuvre de l’expulsioncommencera par seheurter à des chicanes propresà ce type de voied’exécution afin que, par cette procédure quin’est encore qu’unesimplepression,la personne condamnéepuissetrouver à se reloger. Quand toutparaîtra enfin enrègle, alors seulement l’autorité préfectorale apprécieradiscrétionnairementet sans débat l’octroidu concours de la forcepublique. Souvent, les grandesvilles étant dans une largemesurepartiesprenantesau règlement dece conflit dansla mesure où elles peuventoffrirun relogement,l’autorité préfectorale chargée d’octroyerle concoursdela force publique différera sa décision jusqu’à l’aboutissement des

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 61: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

procédures d’attributionde logement social. Il faudra également veillerau respectde la suspensionde l’effet exécutoire de la décision pendantla période hivernale.Ainsi est-il de plus en plus fréquentqu’un proprié-taire qui veut recouvrer la libre disposition de son bien, engage uneinstanceau fond devant lesjuges despremier et second degré,quand cen’est pas devant la Cour de cassation, accomplisse des démarchesadministratives pour pratiquer l’expulsion et,en cas de refus - toujoursprovisoire -de l’autorité administrativedeprêter sonconcours, introduisedeux actions indemnitaires,l’une devant le juge administratif et l’autredevant le juge de l’exécution, pour recouvrer des créancescontrel’occupant et l’administration. Imaginons qu’unefois libéré, le local soitaussitôt squatté,en généralpar le même occupant,et c’est une nouvelleprocédure quiva démarrer.

En 1991, le coût pour l’État dessuspensionsde concoursdela force publique s’élevaità la sommede 175MF.

Il est vain de critiquer la complexité et l’inefficacitéde ces« bouquets » decontentieuxsi l’on ne s’interroge surle déclin du droitde propriété et la primauté de la situationde fait sur la situation de droit.Mais prenant acte de cetteévolution sociologique dont l’administrationn’est qu’une interprètefidèle, il faudrait sans doute,si l’on devait instituerune taxation particulière de logements vacants,réévaluer le rôle de lajustice et l’autorité de ses décisions.

Par nature,le juge est un contre-pouvoir. Mais, est-cebien lerôle de l’administration de sefaire à son tour le contre-pouvoir delajustice ? Ce qui présente aussi l’inconvénient de fairesupporter àl’autorité administrative la responsabilité de la décision lorsque sonexécution fait scandale.

Le sort d’un bénéficiaire d’unedécision en justice constatantune créance n’est pas beaucoup plusenviable. Le concours que devraitlui apporter l’administrationpour dénoncer lesdomiciliations bancairesdu débiteur est accordé avec parcimonie.

L’ordre juridique doit procéder de la logique de tellemanière que le traitement par l’État des conflits dont le saisissentlesjusticiables trouve une solution. Lorsque l’État légifère pour amoin-drir l’efficacité de la justice et accroître les difficultés d’accès àcelle-ci, il produit de l’insécurité. C’est une manière de désoler lejusticiable que de «délégitimiser » lejuge.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 62: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Celaétant, le juge contribueà la fonction normativede l’État :

« État gouvernement » et juge :sources normatives complémentaireset concurrentesLe rapport d’activitépour 1995 de la Cour de cassation exprime

en filigrane l’idée d’une complémentarité dela fonction juridique entrel’« État-gouvernement » et l’« État-juge ». Le conseiller à la Cour decassationM. Yves Chartier, rapporteur généraldu rapport d’activité annuel,déclare quele rôle de la Cour de cassation consiste non seulementà« maintenir la règle du droit maisaussià l’adapter... »; et d’ajouter : «Laloi perdrait unepartie de son efficacitéet desa nécessitési la jurisprudenceétait incertaine : seule une jurisprudence stable aux contours clairs peutéviter un immensecontentieux ; "stabilité" ne veut pas dire pour autant"sclérose" et la Cour de cassation est sensible aux considérations économi-ques, socialesou liées à de mauvaisrésultatsdans l’applicationde la loi ».

Pourtant des difficultés se manifestent qui résultent du fait quel’« État-gouvernement »,l’« État-administration » etl’« État-juge » ontdes missionsprocédant de logiques différenteset qu’il existe entre ellesdes relations dialectiques.

L’action judiciaire de polissage des textes, cettedigestion dela loi par le juge qui lui donneainsi sa dimension sociale(« le juge estla bouche vivantede la loi » disait Montesquieu) estpour l’administrationsourcede maux. Lejuge, dans son office, n’a pasà se préoccuper commeelle des effets «collatéraux » de sa décision :manque d’harmonie, effetsindésirables, complexité inopportune, amoindrissementde l’effet incitatifou dissuasif d’un texte.Et surtout l’enrichissement juridictionnelde larègle dedroit est le résultat aléatoire dudébat auqueldonne lieu le procèset de l’intérêt quele juge y porte.

L’autorité administrative quiconsidère,pour sa part, qu’elleafabriqué un produit fini, une pièce qui s’insère dans unecomposition plusvaste, n’apprécie pasle dérangementjudiciaire. La simple incertitudesurun éventuel contentieuxplane commeune menace.

Certes, l’évolution jurisprudentielle du droit échappeà touteprogrammationainsi qu’à toute prévisibilité. Les circonstances qui ontpour noms « influence dela doctrine », «rôle desavocats », « nature dela questionposée », « combinaison des talentsau sein d’une juridictioncollégiale », « médiatisation d’un conflit », « saisine dujuge de cassa-tion » sont autant de fruits du hasardqui participent àla création delajurisprudence.

Hasard dela saisine du juge, incertitude sur saréponse etledélai dans lequelil se prononcera : onn’empêchera jamais les relationsjustice - «État-gouvernement » deprovoquer quelques éclats.Il arriveque le pouvoir normatif mette en causeune jurisprudencedont il juge leseffets indésirables. Telfut le sort d’une interprétationde la loi sur l’impôt

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 63: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

sur les grandes fortunes parla Cour de cassation qui, ayantété favorableaux contribuables dans uneappréciationde l’usufruit, fut aussitôt remiseen cause.En revanche,le fisc semble acquiescerà l’arrêt du 13 février1996 aux termes duquel la Cour de cassationa donné raisonà uncontribuablequi avaitpratiquéunedécote sur l’évaluationde sa résidenceprincipaleen arguantdu fait que l’occupationde l’immeublepar lui-mêmeet sa famille le dépréciait(1).

L’« État-gouvernement » recherchede plus en plus naturelle-ment un certain consensusavec la justice, etmêmeson appui. C’estainsique la Chancellerie,à la demande du ministère des Finances, seraitencline,par l’intermédiaire des parquets,à voir fixer une jurisprudence concernantl’étendue desdevoirs des responsables sociauxde la société-mèreau sujetde la gestion des filiales,en particulier la sincérité deleurs comptes.

L’opinion qui, par le biais desmédias,arbitre les divergencesd’appréciation entrele Gouvernementet le juge, en même tempssouhaiteune meilleurecoordinationentre les Pouvoirspublics et le juge. C’est quele juge, lui aussi, incarne l’État. Juger desintérêts privés répond àunenécessité d’intérêt général.Le juge, dont les décisions sont renduesau nomdu peuple Français, représente l’Étatde droit par excellence. Conscientdela portée de sa fonction, il doit prendreen considération l’ensemble desresponsabilités assumées, des contrainteset des contradictions subies parl’État, fût-ce au prix de la censure de sesactes réglementaires ouindividuels. Tout estquestion de mesure,d’état d’esprit et d’explication.Que ne voit-on pas qu’un juge,qui vivrait sa fonction comme uneopposition à l’État, ajouteraitau découplage entre celui-ciet la Nation.

Pour restaurerla place du juge au sein de l’État, celui-ci doitdonner à sa missionde juger des moyenssuffisants. Ce sont notammentles difficultés quotidiennesqui empêchent le juge d’être pleinementreconnu dans l’exercice de ses attributions et qui l’incite à prendre sesdistances. L’« État-gouvernement » doit également veiller à ce que saproduction normativene donne pas l’impressionde confier à la justice destâches qui n’entrent pas véritablementdans son domaine decompétence.

Il faut autant que possible concilier la logique dela gestionet la logique de la juridiction. Pour cela, il faut redéfinir le périmètrenaturel du juge.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 64: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Chapitre 3

Les structures centralesde l’Etat et la fonctionjuridique

La crainte inspirée parle juge estla condition nécessaired’unenouvelle approchede la fonction juridique par les administrationscentrales.

L’intérêt croissant des citoyens pour les rapports de droit, quin’est passansconséquence surla production juridique,induit de nouvellescontraintes pour lesadministrationsen termesde compétenceet d’imagi-nation juridiques. L’augmentation du contentieuxreflète cette évolution.Les juridictions de l’ordre judiciaire ont,en 1994, renduprès de2 millionsde jugements civils et quelque 14millions de décisions pénales. Lesprofessions judiciaires ontconnu une croissance démographique sansprécédent, en particulier lesbarreaux.Ainsi à Paris, on dénombraità laLibération quelque 200 avocatscontre aujourd’hui 12000.

Au demeurant, l’accèsau droit ne passe pas par cetteseuleprofession qui estloin d’être l’unique responsable de l’engouement pourcettediscipline. On voit descabinets d’architecture donner des consultationsendroit de l’urbanisme ; demême les associations, dont certaines ont descompétences pointues telles que cellesqui militent pour la défense desétrangers ou de l’environnement, les syndicatset les ordres professionnelsrapprochent les citoyens du droit.Mais surtout, toutesles couches delasociété sont invitéesà emprunterle chemin du tribunal grâce à l’extensionde l’aide juridictionnelle qui, danscertainsressorts,en raison des revenusdes justiciables,est accordéeà un plaideur sur deux et aux conventionsd’assistance juridiqueproposées parles banqueset les compagnies d’assu-rance moyennantde modestes primes (environ400 F par an).

Ainsi s’est « judiciarisée » la société.Et les rituels sondagessur l’imagede la justice à laquelle seuleune minorité de citoyens déclarefaire confiance obscurcitla compréhension de ce phénomène communàtoutes lessociétés développées, phénomènequi a largement contribuéàl’évolution du droit. En tant que producteurde normes,l’État n’a de cesseque de répondreà cette attente, ne serait-ce qu’en élargissantle cercle desjusticiables (parexemple, les associations habilitéesà se constituer partiecivile), la gamme des juridictions (parmi les dernièresnées : le juge del’exécution, le juge aux affairesfamiliales), desprocédures(surendettementdes particuliers)et des infractions pénales.Les instances juridictionnelles

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 65: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

ne sont pas en reste.Le Conseil constitutionnelqui a développéson rôledans le contrôle de l’exercice du pouvoir législatif est devenu, selonl’expressionde M. Didier Maus, «un véritable régulateur dela continuitéjuridique ». La procédurea élargi le droit d’agir des groupements,ce quifait d’eux en quelque sortedesprocureurs privés, dépositairesde la défensed’intérêts collectifs,pour ne pas dire parfois généraux : il s’agit deprocédures inspiréesdu modèle américain des «class actions ».

Cette évolution n’est pas, selon certains, exemptede risques.Ainsi, dans la revue Philosophie politique n˚ 7/1995, le professeurFrançois Terreaffirme-t-il : « Force est mêmede constater que, depuisune cinquantaine d’années, tout unmouvement législatifa abouti àaccroître le rôle du juge dans la société française. Il est loin d’êtredemeuré,sur le modèlede l’acte de dire le droit (juris-dictio), le serviteurde la loi. En tous domaines ses missions se sont multipliées. Iladministredes biens, il les évalue, il obtient la régularisation de situations, il gèredes entreprises... Et s’il y a crise de la justice, c’est principalement parceque à l’augmentation destâches n’ont pascorrespondu l’accroissementdu nombre desjuges et la modernisation des palaisde justice ».(« L’américanisme etle droit français »).

Ce nouveau rapportau droit emporte des conséquencesentermes d’organisation : despôles de compétence se développent. Latechnicité, lescontraintes économiques etla demande dela clientèlesuscitentdes regroupementset desspécialisationsau sein de toutes lesprofessions juridiques.

Ce qui explique queles administrations qui n’ontpas encoremodifié leur approche minimalistedu droit, subissent les conséquencesde leurs lacunes :la complexification normative devientun avantage pourl’usager du droit et un handicap pour cellesd’entre elles qui sontsous-équipées. Dans l’administration traditionnelle,le juriste apparaîtlorsqu’une affaire entre dansla phase précontentieuse. C’estle carabinierd’Offenbach. Mais, dansla vie de tous les jours, la fonction de ceresponsable n’incarne pasun principe de réalité.

Dès lors, quelle doit être la stratégie desadministrationscentralesqui auraient tendanceà prendre des libertés avecle droit aumotif qu’elles constituentle soutien le plus prochede l’action gouverne-mentaleet qu’à ce titre, elles se sententhors de portée de la sanctionjuridictionnelle ?

Elles doivent faire remonter la place du juriste de la phasefinale - le contentieux - vers l’amont jusqu’à l’associer à l’élaborationde la stratégie. A lui de démontrer, parla sécurité qu’il apporteaufonctionnement de l’administrationet à l’évolution des missionsdecelle-ci, la légitimité juridique.

Cette opinion vaut égalementpour les représentantsde plu-sieurs administrations centraleschargées d’élaborer une réforme lorsqu’iln’y a pas clairementde chef d’orchestrependantla phasepréparatoire ;ne partageant pas toutà fait les mêmes référencesculturelleset la mêmeinterprétation de l’intérêt général, chacunde ces représentants joue sa

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 66: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

petite musique(cf. le projet de loi contre l’exclusionoù le ministère duTravail et des Affaires sociales qui n’apparaissait pastotalementen phaseavec le secrétariat d’État à l’action humanitaired’urgence).

C’est ainsi que l’univers du droit est traversé de forcescentrifuges. D’où l’idée, pour remettre de l’ordre dans le discoursjuridique de l’État, d’instaurer des synergies entre ministèreset entreservicesd’un même ministère. Aprèstout, dans notre mondesi ouvert audialogue etaux débats,la solituded’une équipe ministérielleen charged’une réforme, qui va présenter sarédaction au Conseil d’État commedes élèvescraignant les foudresdu maître, ne laisse pasde surprendre.

Pour donner cet élan, il est proposé de faire de laChancellerie le ministère du droit privé, de créer au sein de chaqueministère un pôle juridique, d’étendre autant que possible l’objet desétudes d’impact et de prévoir un suivi des textes,de créer un contrôlejuridique rattaché au Secrétariat généraldu Gouvernement, d’ouvrirla possibilité au parquet général près la Cour de cassationd’émettredes avis,de faire davantage appelà des pré-rapporteurs du Conseild’Etat et d’associer plus étroitement les professeurs de droit à lafonction juridique de l’Etat. Tout en conservant leurs attributionset afinde mieux lesexercer, il est indispensable que les services opérationnelsdes ministères disposentde moyens juridiques adaptésà leurs besoins.

* * *

Il est proposé de créer des pôles juridiques qui,pour des raisonsd’indépendance intellectuelle, devraientêtre constitués endirections :

Constituer un pôle juridique au seinde chaque administration cent ra leL’une des contributions à l’amélioration de la fonction

juridique pourrait consister en la création d’un pôle juridique au seinde chaque administration centrale.Le rôle de cette entité s’apparenteraità celui d’un avocat qui consulte,postule devant les tribunaux,rédige desprojets d’acte,anticipe l’impact des mesures prises, en défendle bien-fondé, propose des transactions,transige et surtout éclaire l’autoritépolitique qui doit prendre des décisionsen connaissancede cause.

Fonction de soutienSeulsle ministre et les directeurs des administrations centrales

devraient pouvoir saisirle pôle juridique afin de ne pas le détournerdesa mission essentiellede traitement des dossiersles plus délicatset surtoutpour éviter à tout prix d’éloigner de la préoccupation juridique lesfonctionnaires des autres services.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 67: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Cette structurene serait doncpas investie de prérogativesopérationnellesau mêmetitre que d’autres serviceset ne se situerait doncpas dans unelogique de concurrence avec eux.Elle aurait pour fonctionde formuler des avis, de mettre en forme juridique des décisionsetd’ouvrir l’horizon du ministère à l’univers du droit et des juridictions.Elle aurait des relations habituelles avecle Conseil d’État,les facultés dedroit, le monde dela justice, le barreau et tous les spécialistes desquestions juridiques qui entrentdansla sphère d’intérêtdu ministère.Lepôle juridique devrait également pouvoir suivre lesgrandes affairescontentieuses,du moins les plus délicates. Car l’activitéde conception etd’évaluation nourrit celleliée au contentieux. Elles sont indissociables :celui qui donne un avis doit le défendre devantle juge.

Force de propositionDans le domaine juridique, l’administration était jadisun

laboratoire d’initiativeset de propositions.M. Jacques Larche, présidentde la Commission deslois du Sénat, qui avaitconnu dans les années 60,alors qu’il était directeur au Secrétariat généraldu Gouvernement, leséquipes de juristes de la Chancellerie, leur reconnaissait la maîtriseintellectuelle desmatières relevantde leurs attributions (cf. supra lamémoire du droit). Il s’agissait, au sens plein du terme, de légistescapablesd’évaluer le besoin ou l’intérêt d’une réformeà la fois parcequ’ils étaient à mêmede découvrir les lacuneset les difficultés concrètesd’une législation parle suivi attentif de la jurisprudence,de la doctrineet des questionsécrites et qu’ils étaienten relation étroite avec lesreprésentants des publics spécialisés.

S’il est vrai que d’excellents expertspuisés dansle vivier desprofesseurs dedroit et de grandspraticiens - certains se souviennentencore de la connaissancedu droit de l’urbanisme du notaire, maîtreThibierge - débattaient, dansle cadre de commissions, des bases degrandes réformes, il n’en demeure pasmoins que lesjuristes desadministrations centrales concernées contribuaientà ce foisonnementintellectuel parla mise en forme des propositions. Or, cette connaissanceprofonde des dossiers,ce professionnalismesonten déclin. Mais ce déclin,le Gouvernement l’accentue en recouranttrop systématiquementà uneforce expertale extérieureaux administrations. C’est ainsi qu’ilenait venuà confier à des personnalités -parfois desparlementaires - desmissionsde réflexion sur des pansentiers du droit.

Il paraît souhaitable de restituer aux administrations cen-trales leur fonction d’aide à la stratégie juridique de l’État. Il importepour cela de restaurer les conditions de compétenceintellectuelle etde ne recourir qu’à bon escientà des alternatives comme des chargésde mission (les commissions et les groupes de travailauxquellesparticipent les servicesne présentent pasle mêmerisque de démotiver).

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 68: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Un investissement delongue haleineL’investissement ainsiproposé porterait ses fruitsà terme

puisque l’autoritéde ce pôle juridique reposerait moins surdes préroga-tives inscrites dansles procédures décisionnelles que dansla démonstra-tion de l’utilité de sonrôle, à la manièred’un particulier qui trouve intérêtà se confier à un avocat ou à un notaire. Du temps est nécessaire pourque cette instancefassela preuvedu principe de réalité du juridique. Cen’est, en effet,qu’après plusieurs années qu’un ministredispose d’un reculsuffisant pour mesurerl’intérêt d’une telle aide à la décision. Faireladémonstrationde l’utilité du juriste nécessite doncune certaine stabilitéministérielle ! Cette stabilité, le maire de Paris l’a connue, quia subi lesconséquencesde choix mal éclairés, sanctionnés parle juge administratif,jusqu’à ce qu’il créela structure juridique qui,en jouant aujourd’huipleinement sonrôle, le prémunit contre les risquesjuridiques majeurs.

Relation de confiance avecle ministreEn effet, l’efficacité du pôle juridique dépend d’abordde la

relation de confiance quelui manifeste le ministre et del’intérêt qu’iltrouve à son concours. C’est lui seul qui, en raisonde sa fonction decoordination au sein de sondépartement (en l’absence de secrétairegénéral), peutmodifier la sociologie de l’administrationen faisantjouerà ce serviceun rôle central. Lepôle juridique pourrait d’ailleurs avoirune fonctionde coordination entre des directionsqui n’ont pasle mêmepoint de vue pour traiterun problèmeà forte incidence juridique. C’estlà une raison supplémentaire,même si elle est occasionnelle, quijustifieune structure horizontale.Au surplus,les administrations centrales souf-frent de la sectorisationde leurs directions, laquelle les prive d’inspirationcommune. Lepôle juridique faciliterait l’échange etla formulation d’unestratégied’ensemble.

Une direction...Pour renforcer l’importance de la fonction juridique au

sein du ministère, il est souhaitable que cette équipe soit constituéeen direction autonome. Elle doit être affranchie de toute relationtutélaire avec d’autres services.Ce pôle juridique n’impose rien, ilinforme, participe à la stratégie du ministère. Ila une stratégie deprestatairede services.En contrepartie,à l’image de l’avocat ou du jugepréservé par sonstatut, la liberté de penséeet d’expression de cetorganeest mieux assurée par sa structure directoriale. L’exemplede la ville deParis est, sur ce point également,très convaincant.

... dotée d’effectifs peu nombreuxLa crédibilité d’une Direction desaffaires juridiquesne devrait

pas être fondée sur l’importance numériquede l’équipe - car un servicenombreux constitueraitmécaniquementun contre-pouvoir -mais sur laqualité de ses membres. L’équipe pourrait comprendrele cas échéantun

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 69: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

membredu Conseil d’État, un ou deux magistratsde l’ordre judiciaire,des conseillers destribunaux administratifset des attachés d’administra-tion centrale.A titre de référence,la Direction des affairesjuridiques dela ville de Paris, qui a une importante activité - y compris en ce quiconcerneles mesuresréglementaires - disposede trente-cinq agents (soit1 % des effectifs totaux)dont vingt-quatre de catégorieA ou assimilés.

Les juristes devraientêtre sélectionnés surla base d’uneexpérience pratique du droit, de savoir-fairedans la préparation desdossiers,de leur aptitudeà pouvoir identifier le spécialiste compétent. Ilsdevraientavoir le sensdu temps et parfois mêmede l’urgence, pouvoiraussi bien suivre méticuleusementun contentieux complexe qui évolueàson rythme que réagirà une demande d’avis trèsurgente.

Ces juristes devraientpouvoir :- s’adapterà la psychologiede l’interlocuteur (ils sontà la dispositiondu ministre et des services) ;- faire une appréciation politiquede l’objectif ou des risques quecomportela solution préconisée ;- développerla synergie des moyensen mettantàcontribution des personnesextérieuresau service, notammentau profit de la fonction d’anticipation.

...ouverte sur le monde du droitAinsi la ville de Paris,désireusede s’ouvrir surla communauté

juridique nationale,a crééun Comité consultatifdu contentieuxoù siègentdes professeursde droit. Cet exemplemérite d’êtresuivi.

Les ministères pourraient créer ou vivifier, sous l’impulsionde leur Direction des affaires juridiques, des comités de juristescapables de faire une évaluation des besoins nouveaux en droit, dedonner un avis sur l’impact d’un avant-projet de réforme dansl’ordonnancement juridique.

A cet effet, pour affiner sa compétenceou valider son pointde vue, cette direction devrait disposer decrédits de recherche etd’honoraires poursous-traiter les dossiersqui excèdent sa compétence oupour validerson point de vue.

Modèles existantsOn émet des réservesà l’égard desstructures mixtes qui, tout

en se comportanten conseil juridique du ministère, gèrent undomaineopérationnel. Ce qui estle cas de la Direction des affaires juridiques etdes libertéspubliques du ministère del’Intérieur qui comprend notammentla sous-direction des étrangerset de la circulation transfrontière.

De mêmel’approchedu ministère de la Défense, qui confèrel’exclusivité des relations juridiques avec l’extérieurà la Direction desaffaires générales(qui relève du secrétariat général pourl’Administra-tion), est démotivante pour les directions opérationnelleset les états-ma-jors. Ainsi, lorsque la Direction des affaires criminelles et desgrâces du

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 70: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

ministère de la Justice sollicite l’avisde la Direction généralede lagendarmerie surun projet de loi en matièrede procédure pénale, seulelaDirection de l’administration générale est habilitéeà donner un avis aunom du ministère.

Le modèle dela Direction des affaires juridiques duministèredes Affairesétrangères serapprochede l’idée de pôle juridique qui vientd’être exposée. Mais, commed’ailleurs la Direction des libertés publiquesdu ministère de l’Intérieur, elle souffre d’uneinsuffisance chronique depersonnels. Membres du corpspréfectoral et diplomates préfèrent êtreaffectés à des tâches opérationnellesqui, selon eux,correspondentmieuxà leur vocation. Elle estmême amenéeà sous-traiter un nombretropimportant de dossiers.

Quantau modèlede la Direction des affaires juridiquesde laville de Paris, il appelle une réserve tenantà ce qu’elle est organisée surla distinction droit-public-droit-privé.

En effet, il vaut mieux privilégier une vision croisée, une« structure-carrefour » où diverses formations juridiques se retrou-vent et s’enrichissent mutuellement.Il parait préférable, en effet, dedévelopper des pôles de compétenceen réponse auxcentres d’intérêtdu ministère. Ainsi, la Direction des affaires criminelleset des grâces,en définissant des secteurs quine reposent pas sur des spécialisationsuniversitairesmais sur des prioritésgouvernementales,accroît sa capacitéd’aide au ministre pour lui permettred’élaborer unedoctrine d’ensemble.C’est dans cet esprit qu’ellea créé desbureaux orientésvers lessectes,la police judiciaire, la protection des victimes,la lutte contre le crimeorganisé etle blanchiment de l’argent.

Présence de la culture dudroit privéau Conseil d’Etat et au Secrétariatgénéral du GouvernementLe Conseil d’État et le Secrétariat généraldu Gouvernement

pourraient avoir intérêt à favoriser leur ouverture au droit privé enaccueillant quelquesmagistrats supplémentaires.Le recrutementau tourextérieur du Conseil d’État, du moins en ce qui concerne lesmaîtres desrequêtes, pourrait davantage s’adresser aux magistrats.Pourquoi ne pascréer un tour extérieur qui leur serait réservé ?Rappelons que sousla IVe

République,il appartenaitau garde des Sceauxde sélectionner les maîtresdes requêtes au tour extérieur. C’est l’époqueoù des directeursà laChancellerie, notamment desdirecteurs des affaires civiles et dusceau,ct d’autres magistrats dehaut niveau ont été ainsi invitésà prendreplacedans cettehauteassemblée.

Quant au Secrétariat généraldu Gouvernement qui emploiedeux magistrats,peut-être pourrait-il augmenter ses effectifs d’unou dedeux éléments pour répondreà la demande d’expertiseen droit privé.

En même temps, le Gouvernement pourrait trouverintérêt àdisposer d’unorganechargé ducontrôle juridique, lequel serait constitué

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 71: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

de personnalitéspour menerà bien un audit descapacitésjuridiques d’unministère oud’un servicede l’État et traiter directementdesdossiers pourfaciliter le travail juridique interministériel :

Contrôle juridiqueL’une des difficultés de l’évaluation de la fonction juridique

tient à ce qu’aucun ministère n’estdemandeur d’unemise à plat de sescapacités, queceux qui s’appuient sur une traditionde compétencemasquent la déficience de ministères plus démunis, queles cabinetsministériels, le Conseil d’État et le Secrétariat généraldu Gouvernementconstituentdes soutiens qui pallientles insuffisanceschroniques.

On ne doit pas sous-estimer,en effet, l’amour propre d’uneadministration,son désir d’autosuffisance,le poids de ses liens tutélairesavec ses administrés,la difficulté de recruter elle-mêmede meilleurséléments du fait de sa cote auprès des élèves de l’Écolenationaled’administration, lesconséquences de l’équilibre subtilentre les différentscorps d’originede ses serviteurs (notamment corps d’ingénieurs)et sespossibilités budgétaires d’accueillir des personnelsde bon niveau enposition de détachement. Maisla réponse à ces faiblesses,qui sontd’autant pluspréoccupantes qu’elles sont latentes, renvoieà l’aptitude del’État à se réformer. Or, celui-ci doit sedonner les moyens d’évaluer safonction juridique et normative.

Un oeil extérieur peut apporter beaucoup d’amélioration : unemission d’auditeffectuée par des spécialistes qui n’appartiennent pasàl’administration concernée etn’ont pas vocationà en faire partie, pourraitêtre sourcede progrès. C’estpour cela quede nombreuses entreprisesprivées jugent utile derecourir à l’audit juridique, soit dans dessecteursbien précis (exemple :propriété industrielle), soit surun plan général,àla manière d’un médecin de famille. Les investigations portent alors surl’ensemble des conventions, accords,contrats de travail,contentieux etc.

L’État ayant un devoir de contrôle juridique, commeil a celuide vérifier l’emploi des deniers publicset le recouvrementde ses créances.Il devrait pouvoir assurercette fonction d’une manière pragmatique, c’est-à-dire sanscréerune inspectionou un corpsde contrôle supplémentaire.

Il pourrait confier cette fonction à une mission constituéede membres du Conseil d’État, dela Cour de cassationet de la Courdes comptes. Il s’agirait d’une petite équipe de juristes rompus auxproblèmes délicatsque posela fonction juridique à l’État. Celle-ci severrait confier des audits portant sur l’organisation de la fonctionjuridique de l’État et sur les moyens mis, à cet effet, à sa disposition.Elle pourrait aussi donner son avis sur l’applicabilité de mesuresnouvelles comptetenu des dispositifs administratifs mis en place. Elleapprécierait ainsi la cohérence entreune réforme en vigueur et lesmesures concrètes misesen oeuvre par l’administration pour luidonner corps. Elle pourrait appeler l’attention du Gouvernement surl’obsolescence des règles de droit ou,au contraire, sur les difficultés

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 72: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

pratiques de mise en place d’une réforme, par exemple cellesquiconcernent lesprocédures applicables aux entreprises en difficulté etles professions responsables deleur mise en oeuvre.

Cette mission pourrait être saisie parle Gouvernement,levice-président du Conseil d’État, le premier président de la Cour decassation etle premierprésidentde la Cour des comptes lorsqu’ils seraientamenésà enquêtersur des dysfonctionnements justifiantune appréciationportant à la fois sur l’application du droit positif et l’adéquation desstructures administratives.

Par ailleurs,l’État devrait plus souvent faireappel aux moyensdont il disposedéjà ou qu’il peut aisémentadapterà l’amélioration delafonction publique :

- La fonction juridique de l’État et les professeursde droit.

- Les pré-rapporteursdu Conseil d’État.

- Les avisde la Cour de cassation.

La fonction juridique de l’Étate t les professeurs dedroit

Jadis, les professeurs dedroit étaient associés aux réformes,soit en présidant descommissions «ad hoc », soit en étant,le plus souventd’une manière informelle, des conseillersécoutés du Gouvernement.C’étaient des jurisconsultes dont les avis faisaient autorité.

Les choses ont, aujourd’hui, changé : ils sesont éloignés dela fonction juridiqueau seinde l’administration.Une meilleurecontribu-tion des professeurs dedroit à la vie de l’« État-stratège » impliqueraitque ceux-ci reconquièrent l’imagede légistes impartiaux quccertainsd’entre eux ontun peu voilée en orientantleursconsultations dansle sensd’intérêts particulierset en faisant une parttrop importante aux activitésde conseil par rapportà leur contribution désintéresséeà la doctrine.

Un État de droit abesoin du soutien des «intellectuels »et duconcours actif,même s’il est parfoiscritique, des professeurs dedroit.Nombreuxsont les magistrats et les fonctionnaires quiregrettentle déclinquantitatif des grandes notesd’arrêt, lesquelles sont aujourd’huiessentiel-lement rédigées pardejeunes agrégatifs. On se souvient desnotes signéesdes professeurs Capitant,Ripert ou encore Vedel,Rivero ou Laubadère.Cette moindre contributionà l’élaboration de la doctrine affaiblit sonrayonnement.Le droit en souffre. La distance quisépare le mondeuniversitairede l’administration centrale est préjudiciableà la qualitédesréformes qu’engage l’Etat,mêmesi l’on ne peut passer sous silencelefait que certains ministères entretiennent encore des relations étroitesavecle corps professoral.Ainsi la Chancelleriefait encore volontiersappel àlui dans des domaines tels quela procédure, le droit pénal, l’état despersonnes etc.Mais dans l’ensemble, onassiste à un éloignementprogressifdu monde universitaire qui, en privantl’État d’une possibilitéd’améliorer la qualité dela production normative,nuit à sonrayonnement,

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 73: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

notamment auprès des « intellectuels». Le Gouvernement semble recourirplus volontiersà des «experts »provenant d’autres originesde la fonctionpublique et surtout à des parlementaires. Ceux-cine comblent pas ledéficit de la contribution universitaire.

Il serait souhaitable d’associer plus volontiers les profes-seurs de droit à la réflexion sur la modernisation de l’État de droit,de leur confier le plus souvent possible des missions d’élaboration deréformes à forte incidence juridique (exemples : droits de l’urba-nisme, du travail, de la propriété intellectuelle), de les consulter surles contentieux dont l’issue importe à l’État, de les inviter àparticiper au sein de l’organe chargé du contrôle juridique àl’évaluation de la fonction juridique des administrations et à prendreplace dansles conseils consultatifsdu droit placés auprès de chaqueministre (cf. supra). Il convient, à cet égard, de citer, en partie, laconclusiondu rapport intitulé La participation de juristes universitairesaux activités desadministrations et des juridictions administrativesadresséle 15 février 1995 parMme Latournerie, conseillerd’État à M.le vice-président du Conseil d’État : «Ce rapport estcommandé par unsouci de réalisme que renforceune conviction profonde enla validité del’objectif de recherchede synergies entre administrations etjuridictionsadministratives d’unepart, juristes universitaires d’autre part.Expéri-menterl’ouverture effectivede la fonction de conseiller juridique à tempspartiel rémunéré d’une administration centrale, leur offrir un éventailplus complet de voies d’accès auxfonctions administrativeset juridic-tionnelles du Conseil d’État, des cours administratives d’appel et destribunaux administratifs, normaliser le cadre juridique et lesconditionsfinancières de leur emploitemporaireà tempsplein par des administra-tions centrales etdéconcentrées, tel pourrait être le programme globalà mettre en chantier ».

De même, sur les plans départemental et régional, lespréfets pourraient améliorer la qualité juridique des services décon-centrés de l’État, en leur prescrivant de consulter les professeurs dedroit d’une manière habituelle. Saisis de problèmes juridiquesnotamment dans le cadre du contrôle de légalité ou pour anticiperles solutions que le juge peut apporter à l’application d’une règledont l’interprétation est incertaine, les professeurs de droit pour-raient contribuer à améliorer le respect du droit et par voie deconséquence la formation juridique des élus et des personnelsconcernés. L’exemplarité dans un cadre de travail équivaut à uneaction de formation continue.

* * *

Les pré-rapporteurs du Conseil d’ÉtatL’amélioration de la production normative doit setraduire par

une plus grande ouverture d’espritde l’administration. De même qu’un

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 74: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

professeurde médecine est plusà même qu’un médecin de campagneàs’adresserà ses confrères les plus éminents,de même lesadministrationscentralesmieux préparéesà la fonction juridique peuventplus aisémentnouer des liens avecle mondedu droit et, en particulier, avec le Conseild’État. Cettedémarche doit êtred’autantplus encouragée quecette hauteassemblée émet surles projets des avisen opportunité juridiqueet si, àpartir de la phase préparatoire,l’un de ses membresa connaissance desobjectifs du Gouvernement, elle pourra disposerd’éléments suffisantspour apporter aide et conseil. Rappelonsà ce sujet que l’opportunité étantentendue commeétant la cohérencede l’action du Gouvernement,leConseil d’État veille à la conformité des projets aux règlesde la bonnegestion administrative,à la capacité des Pouvoirs publicsà mettre enoeuvre la réforme envisagéeet à la compatibilité de la mesure avecd’autres qui existentdéjà, prises ou à la veille d’être prises dansledomainevisé parle texte ou dans les domaines connexes. C’est pourquoi,la désignation de pré-rapporteurs accroîtla sécurité que procureauGouvernementle Conseil d’État, etassureen même tempsla qualitérédactionnelle des textes.

Le pré-rapporteurdu Conseil d’État peut veiller à la bonneexécution d’études d’impact et s’assurer que l’ensemble des servicesdel’État et des autorités compétentes ontbien été consultés. Il est, parexcellence,celui qui s’assure quela production normative est uneoeuvrede collaboration. Au contact des fonctionnaires desdifférentes adminis-trations concernées,il peut avoir auprès d’euxun rôle pédagogiquerayonnant.

Les avis demandés par les juridictionsà leur Cour suprême respect iveLe Conseil d’État peut être saisi par lestribunaux administra-

tifs et les cours administrativesd’appel «d’une question nouvelle présen-tant des difficultés sérieuses et susceptiblesde seposer ende nombreuxlitiges ». Les avis au nombre d’une dizaine paran orientent le cours desinstances. Cetteprocédure consultative tendà faciliter la solution deplusieurs milliersde dossiers dansles domainesles plus variés :- préjudices commerciaux subispar la SNCF et les sociétésd’autoroutesà la suite de grèveset de manifestations interdisantla circulation ou lepaiement du péage; - supplément familial de traitement des agentspublics ;- interprétation relativeau financement des comptesde campagne élec-torale dela notion de « candidat ».

S’inspirant de cetteprocédure deconsultation,la loi du 15 mai1991 a ouvert aux juges judiciairesla possibilité desaisir, pour avis, laCour de cassation «avant de statuer sur unedemande soulevant unequestion de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posantdans de nombreux litiges ». Les avis tendentà améliorer la sécuritéjuridique en permettant d’anticiperla solution que pourra donnerla Courde cassation lorsqu’elle sera saisie d’unpourvoi fondé sur le point en

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 75: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

discussion (ouafin de prévenir la formationde pourvois). Depuis l’entréeen vigueur de cette procédurede consultation,la Cour de cassationa émisune soixantaine d’avis,qui, pour une part importante, sont relatifsà desquestionsde procédure. On assiste depuis quelques tempsà une diminu-tion du nombrede demandes d’avis.

Les quest ions poséespar le Gouvernement au Conseil d’ÉtatUn autre type d’avis a trait aux questions que se posele

Gouvernement sur desproblèmes importantspar leurs conséquencespratiques etdont la solution apparaît délicate.

L’ordonnance du 31 juillet 1945 donneau Gouvernementlapossibilité de consulter le Conseil d’État « sur toutes difficultés quis’élèvent en matièreadministrative». On relève dans lesdernières annéesdes demandes d’avis portantsur l’étendue dudomaine public,le crédit-bail, les tarifs duTGV, les marchés ouconcessions de mobilier urbain,la vaccinationobligatoire, l’aide sociale aux étrangers,la laïcité et le portdu « foulard » islamique, etc. On relève également unedemande d’avissur le droit à régularisation deleur séjour pour certaines catégoriesd’étrangerset sur les conditions d’applicationde la loi pénale plusdouce.

Les quest ions quedevrait pouvoir p o s e rle Gouvernement au Parquet généralprès la Cour de cassat ion

C’est précisément cettequestion de rétroactivité dela loipénale plus doucequi invite à s’interroger surl’intérêt qu’il y aurait pourle Gouvernementà solliciter l’avis du parquet général prèsla Cour decassation.

Le choix du parquet,et non de la Cour elle-même, permetd’éviter que l’avis ne soit émis par desformations qui puissentêtreamenéesà seprononcerau contentieux surle point de droit soulevé.Enmême temps, magistrats dusiège et du parquet travaillanten profondeosmose intellectuelle, les avisformulés par ces derniers seraient revêtusd’une grande autorité.En tout cas, lesavis qui se rapporteraient auxmatières juridiques relevant dela compétence exclusive destribunauxjudiciaires, seraientplus « légitimes » que ceux émis par l’autreCoursouveraineà laquelle échappel’aspect juridictionnel de la question.Pourquoi priver l’« État-gouvernement »de la faculté de faire appelà ce« gisement de compétence » ? Précisément, l’interprétation desdisposi-tions d’uneloi pénale plusdouceincombe généralement auxtribunaux del’ordre judiciaire. Il en va de mêmede questions portant surla procédurecivile ou pénale, l’état despersonnes,le droit de la nationalité... C’estenraison de sa contribution au contentieux,mais sans prendrepart auxdélibérés, quele parquetgénéral prèsla Cour de cassation pourrait donnerau Gouvernement des avis de natureà renforcer la sécurité dudroit.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 76: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Ce serait aussi,au plan symbolique,un signe quela justicen’est pas un morceaudu continent de l’État qui s’en éloigne,mais unpartenaire de 1’« État-gouvernement » qui l’aideà mieux assurer safonction juridique.

* * *

L’« État-gouvernement »devrait disposer d’uneforce opéra-tionnelle de consultation et de co-rédactionpour tous les textes quitouchent au droit privé et au droit pénal. Dans cesdomaines, laChancellerie pourrait devenirle pôle juridique decelui-ci et l’associéeduministère qui prendl’initiative de la réforme :

La « babélisation » du droitet la chancellerieLe droit, c’est d’abord une langue, une logique et uneculture.

Le droit, sousla pressiondu foisonnement dans l’ensemble des domainesde l’activité humaine, est conduità se diversifieren spécialisations deplus en plus indépendantes.Pourtant, alors qu’ils devraientinnover dansle respect du droit, pris dans cette acception, les Pouvoirs publicsconcourent pour unepart importanteà cette évolutiondestructurante.

Or, plus quejamais, il est nécessaire que l’État assurela policede l’évolution du droit, du moins dansson domaine proprede compétence.Il devrait disposer,à cet effet, dela collaboration dela Chancelleriepourles textes touchantau droit privé et au droit pénal. La Chancelleriedeviendraitainsi le ministère du Droit.

La Chancellerie devrait avoir une mission générale denotaire du Gouvernement pour l’élaboration de tous les textes quicréent des obligationsà la charge despersonnes de droit privé ou quicomportent des dispositions répressives. Il s’ensuit que les textesdevraient être rédigés conjointement par le ministère qui a prisl’initiative de la réforme et la Chancellerie.

A l’heure actuelle, certainsministères onttendanceà éluder lasaisinede la Chancelleriepour gagnerdu tempsou pour ne pas avoirànégocier le contenu juridique d’une réforme ;ce qui se produit parfois,entre autres, en droit commercial.Mais, il faut reconnaître quele Conseild’État et le Secrétariat général duGouvernementveillent à ce que laChancelleriesoit consultéeet c’est par cescanaux qu’elle est informéede certains projetsélaborés à son insuet priée, dans la phase finale dela préparation d’une réforme,d’apporter sa contribution.

Il arrive aussique la Chancellerie soit saisieen toute dernièreextrémité. Elle dispose alors d’un trop courtdélai pour donnerun avissuffisammentéclairé et motivé surun texte qui peut compter plusieursdizaines d’articles de sorte que sonrôle se borneà vérifier si le textesoumis ne rencontre pasd’obstacle juridique majeur, quela disposition

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 77: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

pénale insérée institueune répression adaptéeet que ses éléments légauxsont suffisamment précis.

Peut-être les ministères qui ontla responsabilité des réformes,verraient-ils danscette collaboration renforcée à la fois une perted’autonomie et la soumissionà une discipline juridique étrangère auchamp de leurspréoccupations. Mais ce binômageentre « bureaux »d’horizons différentsserait très formateur pour les fonctionnairespourlesquelsle droit n’estqu’une culture d’appointet surtout contraindrait lesministèresà se référer àun corpsde principes.Car seuleune « doctrine »peut assurer une cohérenceà la production normative au-delà desscansions politiques.

Il est temps,en effet, que lesrédacteurs detextes s’affranchis-sent de cette vision limitéeà un étroit domaine dont ilss’approprientl’extrême technicitépour cheminer,à partir d’une vision générale, versla solution du problème à résoudre.La démarche préconisée, qui n’estpas sans rappelerle principe de l’entonnoir, assurerait aux textes uneintelligibilité ouverte au plus grand nombre.La Chancellerie, par savocation générale etson découpage fonctionnelqui assureà chacun deses bureaux unelarge vision sur des pansentiers du droit, esten mesured’apporter ce souffle et cette clarté donton déplore trop l’absencedansnotre production normative.

C’est sous cettedouble responsabilité, celle du techniciend’un côté, celle du juriste de l’autre, que seraient assurées aux textesdès leur genèse plus de densitéet une meilleure justification de leurraison d’être.

Bien sûr,une telle responsabilité impliquerait quela Chancel-lerie dispose de moyenssuffisants.Deux de sesdirections sont essentiel-lement concernées :la Direction des affaires civileset du sceau etlaDirection des affaires criminelleset des grâces.A l’évidence, l’étatactuelde leursforces respectives neleur permet pasd’y faire face. Au-delà dunombre des magistratsà la Chancellerie, se poseraitla question deleursélection et de leur duréed’affectation (cf. infra p. 108).

Ajoutons à cela quela collaboration entrela Chancellerieetles ministères techniques faciliteraità la fois le travail du Conseild’Étatet du Secrétariat général du Gouvernement.En veillant à l’unité del’ordonnancement juridique, cette méthode de travail réduirait lerisque que les quelques quarante nouveaux codesprévus dans le coursdu présent septennat soientautant de monuments juridiques indépen-dants et parfois discordants.

* * *

L’opportunité d’une réforme ou d’une mesure devraittoujours être débattue au niveau interministériel. C’est tout l’intérêtdes études d’impact, qui,au stade préparatoire, répondraient à unquestionnement élaboré par les ministères concernés.Une fois la

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 78: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

mesure ou la réforme entrée en vigueur, son applicationdevrait fairel’objet d’une évaluation :

- Les étudesd’impact préalables à la réforme.

- Les étudesd’impact après la réforme.

Les études d’impact préalablesà la réformeLa solennité dela loi, qui sur le plan dela sémantique, estun

discours général et permanent, convientmal à un pouvoir normatifincertain sur les buts et lesméthodes. Faceà des situations quelapuissance publiquen’est pas en mesured’analyser avec certitude, lestextes traduisent uneapprocheempirique ;tantôt sansle dire, tantôten leprévoyant par une disposition inclusedansle texte initial, l’Etat procèdeà une évaluationde l’application de la réforme et prévoit mêmede laconfirmer par un nouveau texte la loi initiale (cf. législation surl’interruption volontairede grossesse).

La crédibilité des études d’impact repose sur des capacitésd’analyse etd’évaluation et sur le temps donné auxadministrations pourles menerà bien. Il est du plusgrand intérêt deconsulter les praticiensde la matière concernée(experts comptables, avocatsspécialistes,ban-quiers, juristes salariés par les groupes de pression, etc.). Davantagequ’elles nele font actuellement, cesétudesdevraient prendreen considé-ration les interrogations « desforcesvives » qui participent d’une manièreou d’une autreau débat.

L’exemple des méthodes detravail de la commission deBruxellesmérite attentionmême s’il n’est pastransposable tel quel. C’estparce que les gouvernements,invités à formuler des observations sur lesprojets de règlement, disposent d’unrecul suffisantqu’ils contribuentd’une manière enrichissante aux études d’impact.

La dépendance d’une administration à l’égard de son minis-tre, lui-même tenu par des engagementset pressé de les tenir,conduità penser qu’il serait préférable d’associer l’ensemble des ministrescontresignataires à la définition de l’étude d’impact et même depermettre aux instancesconsultatives de demander dela complémenter.

Le cas de la grande distributionA cet égard, l’actualité offreun sujet de réflexion : le projet

de loi sur la loyautéet l’équilibre des relations commercialesqui constitueun chapitre importantd’une politiquevisant à maîtriser le développementdes grandes surfaces.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 79: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

L’intérêt du questionnement :cerner la problématiqueD’un questionnement approfondidépend l’intérêtde l’étude

d’impact. La première démarche consisteà bien identifier l’objectifpoursuivi et les effets négatifs quel’on veut écarter (parexemple :renchérissement desprix à la consommation). Les effets sociauxetéconomiquesdu texte doiventfaire l’objet d’une évaluation précise. Ledroit positif actuelne serait-il pas suffisant ?Y aurait-il d’autres appro-ches possiblespour aboutirà ce résultat notamment parl’instauration demesures relativesaux prélèvements obligatoires ?De même,ne faudrait-ilpas évaluerd’autres effets possibles ? Le maintien des petits commercesen centre ville contribue-t-ilà la qualité dela vie, de l’environnement età la sécurité?...et dans quelle mesure ? Il faudrait présenter des enquêtesou des statistiquespour éclairer ces sujets.Ne pourrait-on pas identifierdes différences d’impact selon les villespour avoir une représentationplus concrète du projet ? Est-il nécessaired’introduire dansce texte undispositif pénal ?Est-il adapté aux faits ?L’incrimination telle qu’elle estformulée laisse-t-elle uneimaged’incertitude néfasteà la prisede décisionen matière économique ? Quelssont les risquesde détournement desinvestissementsvers l’étranger ?Quels pourraientêtre leseffets de cetteréforme sur lesimportations ? Quelles sont les conséquences de cetteréforme sur lesservices de contrôle etla justice ? Une étude dedroitcomparé serait-elle utile ?

A propos des études d’impact devantaccompagner les projetsde loi, MM. Jérôme Bignon et François Sauvadet,députés, déclarent :« Cette évaluation rigoureuse, si elle estgénéralisée, conduira à laclarification et à la simplification souhaitées car ellepermettra de seposerplus souvent la question des moyens ».L’étude d’impact pourraêtreen effet l’occasion de formuler un questionnement permettantd’approfon-dir le débat et constituant un pasvers la pédagogie dela réforme engestation.Elle permettraau Conseil d’État d’émettreun avis plus éclairésur l’opportunité administrative et juridique des projets de textequi luisont présentés.Elle fournira au Parlement des élémentsprécis qui luipermettrontde se prononcer dansun cadre intellectuel traduisant mieuxla préoccupationdu Gouvernement.

Dans sonrapport public 1995, le Conseil d’État déclareàpropos dela méthodologie de présentation des texteslégislatifs : «Ledivorce fréquemment observéentre l’ambition des exposésdes motifs etles règles de droit positif énoncéesdans le corps des projets de texteslégislatifs devrait prochainementêtre résorbé grâceà la mise en oeuvredes récentes directives du Premier ministre concernant lesnoticesd’impact. Cela est entout casnécessaire pour éviter que laconfrontationdes uns et des autresne suscite, de la part des usagersde la loi, desréflexesde surprise ou de déception ».

Cependant, onpeut déjà dire,à la lumière desexpériences decette haute assemblée, que les premiersrésultats ne sont pasà la mesuredes espoirssuscités par l’annonce decette nouvelleméthode detravail.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 80: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Pour l’heure,il ne s’agit que d’un substitut fastidieuxet faussement savantà l’exposé des motifs. Pour être pertinenteet utile, l’étude d’impactdevrait être très antérieure à la décision politique et menée par desespritsindépendantsdu ministère responsable. Maisun tel système compliquelaproduction normative et,en tout état decause,tous les projets deloi nesont pas justiciablesd’une telle procédure. C’estla systématisation desétudes d’impact quinuit à la crédibilité de cette initiative

Ainsi, à condition de ne pas être un exercice de stylemaisun approfondissement collégial mené avec conviction et transparencesur des sujetsqui le justifient, l’étude d’impact renforcera l’efficacitéde l’État et améliorera la transparence de sa fonction normative.

Les études d’impact après la réformeLorsqu’une mesure nouvelle est lancée dans la vie juridi-

que, il est indispensable quel’autorité normative soit vigilante en cequi concerne l’accueil qui lui est réservé.

Notammenten matière fiscale,l’administration selivre à desparties d’échecs avec les publics spécialisés.Conscientede l’enjeu, laDirection générale des impôtsorganiseune veille juridique, en instituantun comité d’évaluation des risques de fraudes quiréunit desfonctionnairesde l’administration centraleet des directions des services fiscaux.Il s’agitd’un modèle d’évaluation en temps réel de la fonction normative,indispensableà l’effectivité des mesures fiscales. Les échanges auxquelsdonnent lieu ces réunions peuvent inspirer desinstructions publiéesauBulletin officiel des impôts. Nombreux sontles ministres qui réunissentleurs responsables territoriauxpour évoquer l’ensemble des problèmesintéressant le niveau central et les services opérationnels,ceux quipréparent lesnormes et ceux qui sont chargés de lesappliquer. Maisl’objet de ces réunions est trop général, lesparticipants trop nombreuxetl’agenda duministre tropchargépour donnerà ces rencontresun véritablecaractère d’échangeset de suivi desorientations.

Il parait indispensable que les ministères qui énoncent desmesures touchant, par le biais du droit, aux grands équilibreséconomiques et sociaux, organisent périodiquement (unefois partrimestre au minimum) une rencontre des responsables administratifsde l’État central et des responsablesopérateurs pour se livrer à uneanalyse de l’impact des mesuresprises et de leur adéquation auxsituations réelles. C’est l’expression la plus opérationnelle de la veillejuridique.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 81: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Chapi t re 4

Fonction juridiqueet communication

Dans les premiers temps de Rome,le droit était secret etreligieux. «Le droit civil était cachédans lessanctuaires des pontifes»,disait Tite-Live. Puisun mouvementplébéienobtint, en 449 avant notreère, la divulgation des coutumes qui prirentla forme d’uneloi écrite etpubliée : la loi des XII tables que cet historien a qualifié de «source detout le droit public et privé ». Mais seules les coutumesétaient révélées.Les formules etle calendrier judiciaire demeuraient encore secretsjusqu’àce que Caeus Flavius lesdivulguât. Pourla première fois, auxalentoursde 304 avant J.-C.,soit une vingtaine d’années plustard, un grand pontifeplébéien, Tiberius Coruncanius,donnait des consultations dedroit et c’estde cetteépoque-là que datela divulguation complètedu droit.

* * *

La volonté decommuniquertend à faire prévaloir le principede réalité, que doitconstituerla norme, surun théâtrede fictions.

Communiquer avec les citoyens, c’estle signe que l’adminis-tration se metà leur service ; qu’elle a,à leur égarden leurs qualitésd’assujettis, d’usagerset de consommateurs,un devoir d’information.

L’amélioration de la production juridique, conduisant insensi-blement à une présentation simplifiée et plus cohérente del’ordonnance-ment juridique, estune entreprisede longue haleine. Ellerequiert, enmême temps qu’unemodernisation des méthodes de travail desadminis-trations centrales, unevolonté politique forte et... du temps. Desobstaclesne manqueront pasde sedresser : deshabitudesde pensée, des contraintespolitiques liées aux attentes des publics spécialiséset l’attitude conserva-trice des corps et organismes intermédiairesreprésentatifs d’intérêtscatégoriels qui croienttrouver leur justification existentielle dans lemaquisnormatif.

Mais, dèsà présent, lesPouvoirspublics devraient êtreinvitésà concevoir unestratégiede communication destinéeà faciliter l’accèsàla norme comme s’ils se devaientd’instaurerune communication directeavec chaquedestinataire des textes qu’ilsviennentde produire. Tradition-nellement,la communication auprès des publics spécialisés se limiteà la

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 82: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

publication dela norme au Journal officiel et, quelques moisplus tard,une fois publiés l’ensemble destextes instituantla réforme,à la rédactiond’une circulaire d’application principalementdestinéeaux administrationsde contact et à la justice et occasionnellementaux usagers eux-mêmes.La pratique des retouches incessanteset inopinées destextesà peinesortisde leur matrice traduit à la fois unedémarche empirique etle peu d’intérêtpour l’information en tempsréel des destinatairesdu droit (c’estpourquoil’information par CD-ROM mis à jour périodiquement est moinsfiableque l’information télématique en ligne). Les exemplesd’une série demodificationsà l’objet peu substantiel dansun bref laps de temps d’unmême texteabondent. Une véritable politique de communication surlaproduction normative rehausseraitle respectdû à la règle tant parceuxqui sont responsablesde son énonciation que par les citoyensauxquelselle est destinée.

D’un autrecôté, au-delàde la simple information,la commu-nication exprimant la volonté de tisser un lien, de nouer un dialogue,révélerait plus tôtà l’État la nature des résistancesà ses réformes.Elleaméliorerait l’aptitudede l’État à répondre aux besoinsinduits par sesréformes. C’est pourquoi,au moins pourles réformesimportantes,un plande communication devraitêtrejoint aux dossiers présentant lesprojets :

Production normative et communicationNous sommes entrésdansl’ère de l’information : on a produit

plus d’information au cours des trentedernières années que pendant lesdix mille ans précédentset l’on s’attend à son doublementtous lescinqans. Il est normal que les productions normatives d’origines publiqueetprivée connaissent,elles aussi, une remarquable expansion.Comme lemontrent MM. Emmanuel Pateyronet Robert Salmon, dansleur ouvrageNouvelles technologies de l’informationet l’entreprise, « aucune entraved’ordre technologique ouéconomique ne peut nous empêcher detirerprofit du boomde l’échanged’informations. Cettecroissancen’est limitéeque par l’archaïsme des structures sociales etmentales de l’humanité».

La difficulté culturelleet sociologique que constitue l’adhésiondu plus grand nombrede citoyensà toute formede changementdoit êtresurmontéepar l’administration. Elle doit affiner sa stratégiede commu-nication pour faireen sorte que les publics spécialiséspuissent êtredemieux en mieux informés. Elledoit combiner desactions directesauprèsd’eux et s’appuyer en même temps sur les structuresintermédiaires :associations, syndicats, chambres demétiers etc. et sur les médias.

La stratégiede communication tendantà rechercher l’adhésiondu public surun projet de réforme estd’une toute autrenature decellequi vise à en assurerla connaissance etle respect, une fois qu’ellepénètredans l’ordonnancement juridique. Lapremièrerelève essentiellementdupolitique qui, par ce moyen, n’exclut pas d’atteindreun compromis etlaseconde est de natureplus administrative. L’une des difficultés decommunication tientà ce que la panoplie des projets passe par desreprésentations abstraitesqui ne sont pas accessiblesà tous. Les idées

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 83: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

neuves paraissent,en effet, toujours trop « abstraites». M. Pierre Scha-pira, prenant la défense du conceptuel (Le Monde du 26 avril 1996),s’interroge : «Est-ce que "abstrait" ne voudrait pas simplementdire"nouveau" et "concret" " bien compris, bien assimilé"? Auquel cas,l’opposition entre lesdeux ne serait qu’unénième avatar dela lutte entreréaction et progrès, conservatisme etmodernité ? ».

La norme et l’instruction civiqueL’effectivité de l’application de la règle suppose,certes,une

relation de confiance entre l’État et les citoyens, mais d’abord queces derniers aient une connaissance, ne serait-ce que sommaire, delanotion de loi, de décret, d’acte administratif pris par les différendsniveaux de la puissance publique, du Président dela Républiquejusqu’au maire. Or, la méconnaissancedes réalités constitutionnelleset administratives de la part de la majorité du public constitue unobstacle à l’éclosion d’un véritable consensus sur la nécessairesoumissionà la règle de droit. Le progrès dela fonction juridique desadministrations centrales n’apportera pas, à lui seul, de réellesaméliorations dans le dialogue avec la populationtant qu’une politiquevolontariste d’instruction civique n’aura pasporté sesfruits. A cet égard,les publicationsdu Centre d’information civique qui pourraientêtrediffusées et commentées dans les établissements scolaires, seraientfortutiles.

La démarche explicative et persuasiveNombreux sont ceux qui pensent que le débat sur la

complexité de la loi perdrait de son acuité si l’autorité administrativese mettait à la portée de ses publics spécialisés par une communicationvéritablement professionnelle. Celle-cia une mission de vulgarisationde la loi.

La complexité mêmede l’organisation socialeet économique,commc cellede nos structures institutionnelles,si elle justifie desnormestrès élaborées,commandeen même tempsun effort permanentde clartéqui doit semanifestertant par une rédaction pluslimpide des textes quepar une politiquede communication. On pourrait faireun réel progrèsdans cette voiesi toute nouvelle réglementationétait aussi bien présentéect expliquée que lesrègles applicables à l’impôt sur le revenu despersonnes physiquesgrâceà la notice jointe aux formulairesde déclarationde revenus. Carle rôle de l’État ne fait que commencer lorsqu’uneréforme pénètre dansle droit positif. Les circulaires interprétativesconstituent unélément attendu de divulgationet de promotion d’untexte.Si dans la phase préparatoire, la valeur ajoutée del’« État-Gouverne-ment » est prépondérante, le suivi de l’accueil du texte revient en prioritéà 1’« État-administration » qui devrait mieux intégrer cette missiondansle management quotidien.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 84: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Les administrations centralesdoivent joindre leurs effortsàceux des administrations territorialespour assurerla divulgation d’uneréforme ou d’une mesure importante. Elles doivent conserverleursrelations avecl’ensemble des partenairesqui ont été consultés lorsde laphase préparatoire, pour évaluerla qualité de l’accueil réservéà la réformeet être en mesurede réagir. C’estd’ailleurs une démarche inspiréed’unsouci du même ordre qu’a adoptéla Chancellerieen proposant auxparquetsle concours techniquede la Direction des affairescriminelles etdes grâces pour améliorer l’efficacitéde la répression pénaleen matièrede marchéspublics ; elle leur a adresséun document présentantle droitdes marchés publics et descontratsainsi qu’un inventaire des détourne-ments le plus fréquemment constatés.

Pour intégrer la nécessité dela promotion d’un projetimportant dans la démarche réformatrice de l’Etat, il conviendraitque le dossier de présentation d’un projet de loi, qui comprenddésormais, outre une note de présentation et un exposédes motifs,une étude d’impact, présente égalementun plan de communicationdestiné à la fois aux administrations et aux publics particulièrementconcernés.

Les responsables dela fonction de communication doiventêtre clairement identifiés. Les compétences entre lesservicesde concep-tion et lesservices d’informationet des relations publiques doiventêtrerigoureusementréparties, de même que celles de cesderniers et du Serviced’information du Gouvernement.Reste la délicate répartition delafonction de communication entre les serviceset les cabinets ministériels :

Communication juridique :cabinets ministériels et serv icesPour asseoirleur influence, les juristesau sein des adminis-

trations centrales doiventêtre en relation habituelleet informelle avec les« forces vives » qui constituentle relais entrela puissance publiqueet les« usagers »du droit.

Or la situation actuelle montre que dansla plupart desministères, ces juristes doivent reconquérirleur crédibilité. A titred’exemple, descentrales syndicalesfont observer que,jusqu’à la fin desannées 70, elles étaienten contact permanent avec lesservices duministère du Travail.Puis, progressivement est intervenue une redistribu-tion de ce rôle de liaison au profit des cabinets ministériels.Il en résultedes relations variables suivantl’intérêt, la formation et la disponibilité deces partenaires... et parfois, lorsqu’uneéquipe ministérielle estremplacée,il arrive que ces contacts tombent insensiblementen déshérence, sousleregard d’une administration qui,ayant perdu l’usage decette fonction, sesent illégitime à la relever. En effet, s’il est constant que les centralessyndicales etle Conseil national du patronat français sonten relation avecles serviceslorsqu’une réforme législativeest envisagée, enrevanche,dans la vie quotidienne, leurs rapports sesont espacésau point que

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 85: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

certainsde ces partenaires sociaux disent n’avoirpas toujours connais-sancede mesurestelles que descirculaires interprétativesavant qu’ellesaient été publiées.

Ainsi la fonction de communication de l’« État-administra-tion » est mise en porte-à-faux parla pratique des cabinets ministérielsqui font écran entre les serviceset leurs correspondants naturels.Cettecommunicationdoit porter sur l’échangede renseignementset s’appliquerà la concertation surle droit applicableet les projetsde mesures. Sielleest dépossédéede cette mission, l’administration centrale estprogressive-ment délégitimée ; alors qu’aucontraire, porteusede la confiance duministre, elledoit être en charge des relations extérieuresau quotidien.Celles-ci, entretenues par unebonne connaissancede la variété des intérêtscatégoriels, viennent éclairerla politique réformatricedu ministre et enfacilitent l’accueil auprès de sesdestinataires.

Le plan de communication devrait préciser les opérationsde suivi et d’évaluation, la production de tous documents, lesprestations de toutes natures,voire les campagnes d’information etdéfinir le rôle de chacun desservices concernés.

L’objectif est fonction de la mesure et du public concernés.Par exemple, uneréforme touchantau Code de la route pourrait fairel’objet d’une distribution de fiches d’information auxpéagesd’autoroutes,tandis qu’une réforme relative au Code de la santé publique pourraitexpliquée dela même manière dans les hôpitauxet les pharmacies...

La communicationdoit pouvoir être personnalisée. C’estlerôle de l’avocat d’individualiser l’explication du sens dela règle, maisc’est aussicelui des relaisassociatifsou syndicaux.Cette fonction peutaussirelever, commel’exposeM. Cossin, conseiller référendaireà la Courdes comptes,de la responsabilité directede l’administration : «Il ne suffitpas de former et d’ informer, mais de donner des possibilitésde contactau contribuable, caril a besoin, non seulement d’écrits ou de renseigne-ments par les médias, maisaussi d’être informé personnellement. Descontacts, que j’appellerais anonymes, sont importants, à savoir tout cequi est téléphone etnotamment les centres interministériels derenseigne-ments administratifs(CIRA). C’est une nouveautétrès appréciableet trèsappréciée, qui est remarquable dupoint de vue technique...» (Revue duCentre d’informationcivique déjà citée).

Une communicationdoit se faire aussi sans gaspillage.A cesujet, M. Cossindéclare : «Il est important qu’il ne se produise pas decommunicationostentatoire. Ce sont des petits détails. Il ne convient pasd’effectuer de grandes campagnes, carle contribuable réagit en disant :"On commence pargaspiller mon argent" ».

Pour susciterl’adhésion du public concerné,le senset la portéed’un texte peuventêtre soulignés à l’aide de moyens faisant appel autantà la raison qu’à l’affectivité. La communicationoffre un terrain d’imagi-nation pour l’administrationqui ne manifeste pas toujoursune considéra-tion suffisante pour les fonctions d’explicationet de « marketing ». C’estun art tout d’exécution, qui n’entre pas encore dansla formation dela

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 86: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

haute fonction publique. Il lui faut aussi franchirun obstacleculturel :« Toujours brillantes lorsqu’il s’agitde décortiquer un problème complexepar un canevas rationnelou de rédiger une note synthétiquepour unresponsable, nos élites administrativessont biendémuniesquand il s’agitde convaincre d’uneréforme, d’y associerles acteurs concernés, de lanégocier avec des partenaires, de l’expliquer aux usagers et à l’opinion,de dynamiser uneéquipe, de menerà bien un projet. Du papier auterrain,il y a un gouffre qu’ellessemblent incapablesde franchir » écrivait à cesujet M. Jean-Michel Gaillard dans « Les élites publiques :la crise dumodèle français » (Revue politique et parlementaire, décembre 1995).

* * *

Dans un système fondé surle principe « nul n’est censéignorer la loi », la circulaire est un moyen habituel d’éclairerle sens etla portée de la norme. Mais l’administrationdoit veiller à ce que sescirculaires serventbien le but recherché : clarifierle sujet pour accroîtrela sécurité juridique. Il faudrait qu’elle ait recoursà des procéduresconsultatives qui puissentrenforcer la sécurité offerte par ces circulairesinterprétatives :

Lorsque la circulaireéclaire le sens de la loi

La démocratiea pour ambition que l’ensemble des citoyensconnaissentet comprennent leslois qui les gouvernent.L’adhésion à larègle repose sur l’éducation,l’information et la formation. D’où, encontrepartie, l’adage «nul n’estcenséignorer la loi ». Le déclin de l’écritest une difficulté pédagogique supplémentaire dela norme face au déclinde l’écrit.

Il importe d’abord que les divers champs juridiques soientconnus deleurs publics spécialisés. De fait,au plan de la paix civile, iln’est pas gênant qu’un propriétaire occupant son logementignore le droitlocatif auquel, par définitionil n’est pas soumis,ou que le citadin, pourlequel la campagnen’est qu’un espace de loisir, n’ait pas de notion dedroit rural. Mais le problèmenaît lorsque la complexité croît dans unemesure telle que seuls quelques initiés, qui concourentà l’élaboration denormeset à leurs commentaires, savent dequoi il en retourne. C’estainsiqu’une grande partie des efforts accomplis par lestechnostructuresnationales et européennessont dédiésà la compréhensionet à l’explicationde normesqui constituentle droit positif. Elles jouissentainsi d’une rentede technicité. (A cet égard, on note que les consultants de LEGIsont, pourprès de 80 %, lesadministrations centrales).L’inverse peut aussi seproduire : degrandes entreprises, des cabinets d’avocatsspécialisés, dessyndicats, des associations dedéfense connaissent parfois mieux undomaine juridique précis que desadministrations ou des juges, lesquels,notamment dans des villes moyennes, ne disposent pas d’un soutien

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 87: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

logistique suffisant.Ce sont alors certains administrésou justiciablesquidisposentà leur encontre d’une rentede technicité. Cette situationn’estpas sans conséquences :le coût de la production du droit est très élevé,puisqu’à son élaboration proprement dite, s’ajoutela mise en place d’un« service après-vente». Par ailleurs, surun strict plan sociologique,cen’est plus la norme supérieure qui constituela référence concrète, maisdes normes dégradées :décrets d’application,arrêtés, circulaires, voirefascicules destinésau grand public (cf. la documentation adresséeauxemployeurs pourfavoriser l’embauche de certaines catégories des salariés).

Cette réalité concrète indique quela démarcheexplicative estnécessaire pour assurerà unemesuresa pleine efficacité. Maisil faut êtreattentif au fait que la distance par rapportà la norme de basepeut aussiavoir desconséquences néfastes, parexempleen enprésentantl’objet sousun éclairageparticulier, qui peut être réducteur outendancieux. Lesélusont présent à l’esprit la circulaire interprétative de l’article L-52-5 duCode électoral contreditepar la jurisprudenceadministrativeet l’avis duConseil d’État du 5 février 1996, selon lequel « lejuge administratif » esttenu de déclarer le candidattête de liste... inéligible pour un an. Alors,pour tenter de conjurer les effets funestes de cette contradiction entrclaloi et la circulaire, qui peuvent toucher des dizainesd’élus et entraînerentre eux une discrimination,le Sénat avait proposé de tempérerleprincipe « nul n’est censé ignorer la loi » par un critère d’appréciationde la bonne foi, celleayant étéégarée par un acteadministratif. Cetteinitiative est restée vaine, cedont le juriste doit se féliciter. Car il importeque la circulaire purement interprétative demeuresansvaleur juridique.Donner une traduction juridique à l’inexactitudede la connaissancede larègle, même en raison d’une circulaire inexacte, fragiliseraitla règleelle-même. Admettre quela connaissance dela loi puisse être relativiséepar une approche subjective dela situation constituerait unevéritablemenace pourl’effectivité du droit. Mais,en contrepartie,il y a là un motifsupplémentaire pour l’administrationà ne pas se résigner pasà êtrecréatrice d’insécurité.

Parfois, l’insécurité juridique résulte dedivergences d’inter-prétation entreministères, tellecelle révélée par les difficultésd’applica-tion de la loi du 31 décembre 1993 surle coordinateur dela sécurité deschantiers. Laquestion posée concernait la nature du contrat qui lielecoordinateur au maître d’ouvrage, laquellccommande le régime deresponsabilité. Pardeux circulaires distinctes,le ministère de l’Équipe-ment, puisle ministère du Travail ont affirmé qu’il nes’agissait pasd’unlouage d’ouvrage et qu’en conséquencele coordonnateurn’était pasassujettià l’obligation d’assurance deslocateurs d’ouvrage tandis que, parune circulaire du 28 mai 1996, la Chancellerie adoptait la positioncontraire.

Pour parer à ce risque, il importe de s’assurer de lapertinence juridique des circulaires interprétatives et, en cas de diver-gence d’interprétation, de s’en remettre à l’avis de la Chancellerie.

Dans l’attentede la codification à droit constantqui faciliteral’accès àla règle de droit, le progrès queconstitueraitdéjà l’énonciation

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 88: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

de la norme dansson intégralité chaquefois qu’elle subit une modifica-tion, mérite d’être souligné.Certes, leséditeurs privésstructurent, sousleur responsabilité, les phases successivesde construction d’untexte,procèdent àla mise en place dudit texte au sein de compilationsimproprementappelées «codes » (cf. la collection des « Codes Dalloz »)et, tant bien que mal,la communauté des spécialistess’accomode depuistoujours de tels arrangements,même si les délais d’édition créent desincertitudes.

* * *

La codification restela grandeoeuvrejuridique de clarificationrappelée parle Présidentde la République, dansson message adresséauParlement, le 19 mai 1995, en évoquant « une remise en ordre de lalégislation par un exercice général de codification et de simplificationdes textes ». Les effortsdéjà accomplisméritent d’êtresoulignés :

Codifier : mettre de l’ordreet changer le droitUn empire manifeste sasatiété de conquêtes lorsqu’il borne

ses frontières d’une manièremonumentale :le mur d’Hadrien etla grandemuraille de Chine, traduit,sur un mode minéral grandiose,les limitesd’un horizon. UnÉtat proclamela perfection desrègles qu’il a édictées,lorsque celles-ci deviennent intangibles ; intangiblescomme les « Institu-tes » de Justinienou le Code civil de Napoléon. Telle est l’ambiguïté quis’attache à unedémarche aussi « totalisante ».

Quel est l’objectif dela politique codificatrice, telqu’il estprésenté parle Gouvernement ?« Un nouvelexemple de remise en ordredu droit qui pourra inspirer l’Union européenne et se répandra au-delàde ses frontières ». Ainsi s’exprimaitM. Dominique Perben,ministre dela Fonction publique, dela Réforme de l’État et dela Décentralisation,lors d’une communication faitele 21 février 1996.

L’on se doit d’être attentif à la lente réalisation decetteambition, qui confère sa plénitude desensà l’expression «ordonnance-ment juridique », lequel sera, en quelque sorte,enchâssé dans unesoixantainede codes ; l’objectif étant d’élaborer vingt-deuxcodes nou-veaux et d’en refondre vingt autres.La codification passe parune remiseen ordre des textes,leur simplification et leur harmonisation.Ce faisant,l’Etat s’engagedans deux voies de naturedifférente : d’une part,il metà jour les textes au regard des principesconstitutionnels et du droiteuropéen en distinguant les textes toujoursen vigueur de ceux qui ont étéabrogés implicitement et,en décelant au sein de ces derniers, lesambiguïtés et les contradictions (il s’agitde la codification à droitconstant) etd’autre part,il entend moderniserle droit. Moderniserle droit,c’est de la chirurgie lourde. Rappelons l’adoptiondu Nouveau Codepénal : ce fut l’occasion d’ouvrir pendant plusieurs annéesun débatpolitique sur le droit pénal général.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 89: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

L’obstacle n’estguère plus aiséà franchir lorsque l’entreprisede codification interfèreavec une réformequi porte sur le contenuducodeen gestation ; c’està ce double titre quele futur Code des marchéset des contrats d’intérêtgénéral marquele pas, une première foisen raisonde la loi sur la préventionde la corruption et, actuellement, dans l’attented’un texte en préparationrelatif aux marchés publics. Les difficultéspeuvent également être imputablesau Parlement. La Commissiondes loisde l’Assemblée nationale a,en effet, rejeté le projet de Code decommerce. Le sortdu Code rural n’est guère plusenviable. L’Officeparlementaired’évaluation de la législation facilitera-t-il le processusd’adoption des codesà droit constant ?

La première étape, celle d’unecodification «à droit constant »,permet de dégagerle champ opératoire d’une réformede fond. Et unefois cette logique juridiquemise en place,on dispose d’un dossier quipermet d’explorerd’autres voiesmieux adaptéesaux circonstances. Danscette approche endeux temps, la codification est le préalable à laformulation d’un droit moderne. C’est seulement unefois ces deux tâchesaccomplies -codification à droit constant,puis modernisationdu fond dudroit - , que l’on pourra juger de la politique de clarification et desimplification destextes. Mais déjà,à elle seule,la codification à droitconstant requiert l’engagementdes meilleurs spécialistes. Le développe-ment de logiciels est certes de natureà faciliter la tâche. Pourtant lesdifficultés abondent.Il faut articuler le code piloteet les codes suiveurs :par exemple,les textes relatifs à la procédurede règlement judiciairedoivent figurer à la fois dans les codesde commerce etde procédurecivile et, demain, dansle Code des sociétés.Ce travail de constructionetd’élagage demandela plus grandeattentionà peinede créer dessituationssurprenantes. C’estainsi qu’une mauvaise évaluation desconséquencesd’une abrogationa pu conduire, à la surprisegénérale,à la suppressiondu délit d’usure entrecommerçants.

Par ailleurs,la codificationà droit constant meten lumière desaménagements enmarge des découpages prévus parla Constitution. Ainsi,depuis longtemps,le Gouvernement avait accepté,quand il ne l’avait pasproposé lui-même, quele domaine législatif empiète surle pouvoirréglementaire. Il estvrai que, sur un planpratique, lescompétencesnormativesne sont pas facilement sécables. Lorsqu’il reste cantonnéà ladéfinition de principesgénéraux,le Parlement n’apas toujoursne serait-cequ’une vision cavalièrede la réforme soumise à sonapprobation.D’oùl’évolution des champs decompétence des articles 34et 37 de laConstitution. Or, l’oeuvre codificatrice opèreun reclassement entrelesdomaines législatif et réglementaire.Déporter versla partie réglementairenombre de dispositionsadoptées parle Parlement conduità nouveau àredéplacer les bornes du pouvoir législatif. Le Conseil constitutionneldevra être consultépour que les résistances soient surmontées.

En outre, des incertitudes demeurentsur l’architecture de lacodification qui, selon certains, tendrait versla complexité et la redon-dance (cas, par exemple, dudroit locatif et du droit des sociétés). Ledécoupage sembleparfois s’inspirer autant de considérations politiques

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 90: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

que de nécessités juridiques proprement dites.Il donne l’impression quechaqueministère à compétences régaliennes devraitavoir «son » code àmoins qu’il n’assure entre eux des équilibrespolitico-administratifs (casdu droit des sociétés, parexemple).M. Braibant, vice-présidentde laCommissionsupérieurede codification, dansun entretiendonnéau Figarodaté du 14juillet 1996, lui-mêmeconstate : «Ces répartitions peuventdonner lieu à quelquesfrictions. Car, "faire le code" pour un ministèresignifie qu’il sera, par la suite, compétentpour le modifier ». En effet,la répartition du droit en codes conduitl’autorité codificatrice à proposerde distribuerle pouvoir entre administrationset à organiser un partage decompétences quela situation antérieurene prévoyait pas. La nouvellearchitecturede codification attribue despansnouveauxde responsabilitéjuridique, notamment « de lege ferenda », à des services sans quel’organisation du travail administratif quien découle, ait été évaluéeenpleine lumière. Parcontre, la proposition tendant à intégrer, dans descodes plus vastes, plusieurs codes existants, trop petits pourdemeurerisolés, mérite d’êtresoutenue sansréserve.

L’oeuvre de codification va « muscler » le droit dont lediscours seraplus ordonné ;maiselle ne serait êtreune panacée qui puisseguérir tous les maux dont on accablela législation.Il ne seraitsans doutepas inutile de donner des informationsprécises sur leslimites de cetteentreprise. N’est-ce pas,en effet, une présentationquelque peu déceptiveque celle qui consisteà titrer, comme l’afait le quotidien du matin précité,auquelM. Braibant accordaitun entretien au sujet du rapport annueldela Commissionsupérieurede codification au Premierministre : Le bilande la codification des lois et desdécrets... Quand le droit est remisenordre, alors quece n’est que l’accèsau droit qui est amélioré et cedansune mesure qui estloin de faire l’unanimitéparmi les professeurs de droitet, pour d’autresraisons, au sein des parlementaires.En tout cas, lacodification estune opération de chirurgie esthétique quine concerne pasdirectement l’adaptationdu droit aux besoinsde la société.

Quant àce que l’on désigne parcodification de droit européen,c’est essentiellementla consolidation d’untexte modifié dans saversionultime et intégrale.

* * *

Il importe d’améliorer la stratégie decommunicationà l’égarddes juristes pourleur faciliter l’accès au droit dans sa muepermanente.Cette fonction estau centre d’intérêts économiquesimportants. Quelpeut-être le rôle de la puissance publiquequi investit déjà beaucoup deressources danscette affaire ?

- La contribution des Journaux officielsà la fonction juridiquede l’État.

- Autres accès informatisés audroit.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 91: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

La contribution des Journaux officielsà la fonction publique de l’EtatProduction papierLes Journaux officiels (lesJO), outre les lois et décretset le

journal des débats des assemblées, publient des brochures thématiques quiconstituent desrecueilsde textes ordonnés. Leur catalogue offrequelquesix cents publications.

Deux points, qui amélioreraientla sécuritéjuridique, méritentd’être relevés : les brochures, assezgénéralement éditéeset misesà jourpar la voie informatiqueà partir de la basede données LEGI présententtoutes les garantiesd’exhaustivité. Il faut cependant relever que n’yfigurent pas,comme dans lescollections de codes privés, les référencesde la jurisprudence.Ceci s’explique parle refus d’empiéter surle secteurconcurrentiel.

Par ailleurs, les JO, auxquels ont étéconfiées l’impression etla diffusion de la plupart des bulletins officiels desministères, publientles circulaires. Mais il peut arriver que certaines administrations, quiconfient leur bulletin aux JO ouà l’Imprimerie nationale, ne souhaitentpas - sans s’enexpliquer - publier certaines circulaires.

Les basestélématiques de données juridiquesLe projet de modernisation des basesde donnéesjuridiques

LEGI et LEX devrait avoir une forte incidence surla consultationde cesbases, dontle décret du 31 mai1996 continue deprévoir qu’elle feral’objet d’une concessionde service public. L’économie généralede ceprojet, qui devrait être réalisécourant 1997, consiste dans l’articulationde la base LEGI, qui comprendà la fois le texte intégralet l’historiquede ses modifications,avec la base LEX, qui donne les références destextes et les abstracts. Ce nouvel ensemblehomogèneoffrira le doubleavantage d’uneaccélération, voire d’une quasi-automaticité duchange-ment et des misesà jour, et d’une consultation beaucoup plusconviviale.

Participation à la consolidationdes textesmodifiésM. Jean-Richard Sulzer, professeurà l’université Paris-Dau-

phine, témoigne : «Nous assistons actuellementà un empilement denormes par stratifications successives... qu’il s’agisse du droit pénal(photocopillage) ou administratif (statut des enseignants chercheurs).Nous sommesobligés de procéder à un couper-collerpermanent afindeconnaître les règlesen vigueur. Chaque établissement public opèreisolément afinde reconstituer la version en vigueur. Pendant ce temps,l’administration centrale nousinondede circulaires d’application sur destextesdont nous ignoronsfinalement la dernière mouture».

C’est pour mettre unterme à ces exercicescompliqués etaléatoires quela circulaire relative aux études d’impact recommande aux

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 92: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

ministères de consolider les textes, c’est-à-direde présenterdans leurforme finale destextes modifiés, et ce à un moment contemporainde lapublication de la dernière modification. L’appui technique des JO, grâceà la basede données LEGI,peut permettreau Gouvernementde s’orienterprogressivementvers la publication en instantanédes textesconsolidés.Au demeurant,il appartientau Conseil d’État de veiller à ce quecetteconsolidation puisse avoirlieu lorsqu’il est saisi pouravis du texte,c’est-à-dire, s’il s’agit d’un projet de loi,en amont dela présentation decelui-ci aux assemblées parlementaires.Cette procédurelaisse suffisam-ment de tempspour pouvoir mettreen mémoire le texte consolidé,en vuede sa publication immédiate, les modificationsrésultant d’amendementspouvant être prises en compte sans difficulté par leur transmissionnumérisée.

L’exemple de la publication en temps réel de la partielégislative du Code des collectivités territoriales ouvrela voie à la miseen oeuvre de cette présentation améliorée.

Autres accès informatisés au droitInitiatives du Conseild’ÉtatLe Conseil d’Étata créé sa proprebasede donnéesjuridiques

qui inclue la jurisprudence administrativesur les dix dernières annéesavec un logiciel d’interrogationsimple (ARIANE). Cette hase de donnéesest alimentée par trois maîtres des requêtesau Conseil d’État quisélectionnent les décisions intéressanteset en rédigent lessommaires.

L’accès à cette base de données nepeut être ouvert qu’auxjuridictions administratives.Le décret du31 mai 1996 relatif au servicepublic deshases de donnéesjuridiques prévoit quela diffusion externede celles-ci ne pourraêtre réalisée que parle titulaire de la concession(sauf l’hypothèse théorique oùle concessionnaire n’est pasà même del’assurer). Sansdoute aurait-il été intéressant que lesadministrationscentrales disposent du logiciel d’interrogation ARIANEqui, par sa« convivialité », facilite la consultation par des usagers peu formésaudroit administratif.

Initiatives privéesEDIDATA, créé parLa semainejuridique, est subventionné

par la Chancellerie. Des ateliers de jurisprudencecomposés deprofes-seurs, de magistratsen retraiteet d’avocatsrédigent desabstracts et dessommaires desdécisions qui méritent d’être publiés.

LEXIS édite tous lessix mois desCD-ROM desarrêts delaCour de cassation sans titre,ni sommaire.

Des éditeurs privés éditent des CD-ROM alimentés parledépouillementde près de 150 revues.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 93: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

La situation actuelle soulève des problèmes juridiquesetéconomiques qui appelleront des solutions prochaines.En effet, le marchédes banquesde donnéesen lignes estétroit. La production de CD-ROMmis à jour périodiquement, formulequi semble mieux convenir auxjuristes, est uneactivité naturellementconcurrentielle qui peut êtredélocalisée dans les paysoù le coût de la main-d’oeuvre est moins élevé.

* * *

La communicationdoit également être orientéeen directiondes administrations.En effet, bien souvent,l’un des objets d’une réformeest de l’inviter à modifier son comportement. Ce qu’ellefeint parfoisd’ignorer pour des raisons qui tiennentà l’insuffisance de moyens, à lacomplexité même dela réforme (c’est notammentle cas de l’ordonnancede 1945 sur les étrangers),mais aussià une mauvaise communication ;la conséquence, c’est que l’administration relaie imparfaitement lesactions del’« État-gouvernement » :

- Les missions d’étudeset les administrations.

- Pourquoi la productionnormativeest-elleparfois décevante ?

Les missions d’étudeset les administrationsLe rapport de M. JeanPicq sur la réforme de l’État souligne

l’importance dela contribution des administrations centralesà la mise enoeuvre de la stratégiedu Gouvernement.Il suggèrequ’elles doiventêtredavantage impliquées dans la réforme de l’Etat et l’élaboration de laproduction normative quien est l’expression. Or,l’« État-gouvernement »s’est habituéà recourir à une forceexpertaleconstituée de «personnali-tés » chargées de missions d’études. Cette pratiques’étend et donnelieuà une production importante. L’avantage, c’est que les rapporteursexplorent des pistes, font des analyses sans engager le crédit duGouvernement. Ilsprocèdent à des auditions qui permettentd’évaluerl’accueil pouvantêtre réservéà une réforme. Dans cesconditions, il y alieu de favoriser une synergie entre eux et l’administration quileurapporte des éléments utilesà leurs réflexionset peut être chargéedemettre enoeuvre leurs propositions.

Or, il apparaît que lesrapports de ces «personnalités »sontinsuffisamment diffusésauprès desadministrations.Au cours desenquêtesque nous avons menées,nombrede fonctionnaires qui, s’exprimant surun sujet entrantdans le champ de notre mission d’évaluationavaientsouvenir d’uneétude qui avait déjà évaluéun aspect d’une question,sansqu’ils puissent indiquer avec certitudele lieu de consultationdu rapportauquelelle avait donné lieu. Il ya là une dissipationtout à fait regrettablede connaissances etde propositions.A l’évidence, il serait bon que lesadministrations centralesen charged’une fonction juridique aient facile-ment accèsà l’ensemble de ces rapports.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 94: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Danscet esprit,on ne sauraittrop insistersur l’importancede lasorte de « dépôt légal » dont la Documentation françaiseest chargée(notamment parla dernière circulairedu Premier ministredu 10 avril 1995relative à l’exploitation et à la conservationdes rapports administratifs).

Il est clair que toutes les administrations,loin s’en faut,nerespectentpas cette obligation,non sans doutepar mauvaise volonté,maispar ignorancede celle-ci. C’est pourquoi,le directeurde la Documentationfrançaise,a précisé qu’elle s’attacherait à étendrele champ effectifdudépôt des rapports, rappelant la richesse de ce fonds au service del’ensemble des fonctionsde l’Etat, à l’occasion de la création, en mars1997, de la rubrique « littérature grise » sur « Internet » (site de laDocumentation française : ladocfrancaise.gouv.fr.) regroupant dès sonouverture quelque 150rapports officiels non publiés. Cesrapports,précise-t-elle, serontmis enconsultation gratuitementet télédéchargeablesmoyennantun prix modique.

Il serait bon d’accompagner cettedémarche d’unenvoi annuelaux administrationsde la liste des rapportsdisponibles.

Pourquoi la production normativeest-e l le parfois décevante ?Il existe plusieurs milliers d’incriminationspénales.A lui seul,

le Code dela route en contient quelques centaines, sans compter toutescelles qui sont créées par des arrêtés préfectoraux etmunicipaux. Lapolice et la gendarmerie nationalesréunissentquelque 200 000 agents,compétents pour lesconstater. A ces forces, s’ajoutent les policesmunicipales et les polices judiciaires spécialisées (parexemple lesfonctionnaires assermentés desEaux et Forêts).

En dépit de ces communautésaussi nombreusesd’« agentsverbalisateurs », unetrès faible partie dela typologie des infractions estréellement exploitéeet celles qui le sont représentent peude choses parrapport au gisementpénal proprement dit.A cela, on peut avancer troisraisons : une absence de véritable formation au droit nouveau del’ensemble des agents,une résistanceculturelle à réprimer descomporte-ments quine leur apparaissent pasnuisibleset des difficultés techniqueset budgétaires d’administrationde la preuve.

Le droit répressif est, par excellence,le domaine d’unecoopération nécessaire entre l’autoriténormative et les servicesopération-nels. L’objet mêmedu dispositif pénal doit imprégner leurculture. Cequi n’est pastoujours le cas. On observe, par exemple, que ceux-ci sontpeu sensiblesà la commission d’infractions constituées parla pollutionsonore ou gazeusedes véhicules et d’une manière généralepar lesatteintesà l’environnement.Tout semble sepassercommc si cesagentsplaquaient leurpropre subjectivité sur la politique pénale de l’État.Dumême côtéde la barrière, opérateurs agissantau nom de l’Etat et usagersréagissent dela même manièreà la complexité déroutante du monde actuel(cf. également : «Lorsque le virtuel s’inscrit dansla pensée juridique »p. 36) commesi la loi ne se « décrétait » passans eux.En accompagne-ment detoute réforme,il convient donc, pourlutter contre ce refus dela

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 95: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

complexité, qui est générateurde malaise,de fabriquer des modèlesd’interventionqui représentent l’objetmêmede toutenouvelle norme.

Et surtout,la fonction juridique de l’État bute surdesobstaclessous-estimés parle niveaustratégique :les nouvelles normessont fondéessur des critères objectifs dontla violation est scientifiquement délicateàrelever. Un matérielsophistiqué estnécessaire : alcootest, éthylomètre,appareil mesurantla vitesse,le poids, les échappementsde gaz, de sorteque l’affinement dela répression souhaitée par l’État n’est possible qu’àl’aide d’équipementsde plus en plus complexeset coûteux. L’autonomiecomptable desservices qui identifient le coût de fonctionnement decertaines missions, parexemplela police dela route, oblige lesopérateursà faire des choix quitteà privilégier d’autres missions.La constatationdes infractionscoûte pluscher à l’Etat qu’elle ne lui rapporte sousformed’amendes et surtout les services verbalisateurs nesont pas budgétaire-ment concernés parle produit fiscalde leurs efforts.D’où une applicationdécevante debeaucoup deréformesfaute devéritable motivation.

En matière de droit dutravail, une tendance analogue estobservée. Ainsi, lorsde leurs enquêtes, les contrôleursdu travail seréfèrent dans 95 % des casà une dizaine d’articlesdu Code du travail.Faudrait-il endéduire que les textesrarement appliqués sont inutiles etméritent d’être sacrifiés sur l’autel dela simplification ?Cer ta i ns nelepensent pas car, seloneux, comme pourle Code dela route, les textesen droit du travail dont l’application n’est pas contrôlée sont des pointsd’ancragepour tendrevers unemeilleure protection.

Il n’en demeure pas moins que pour mobiliserles énergies,s’impose une stratégie de communicationentre les niveaux de concep-tion et opérationnel en prenant garde à ce qu’elle ne repose pasessentiellement surle principe d’autorité.

Parfois le désintérêtd’un texte tient tout simplementà unemauvaiseétude de marché. L’Étatlance de nouveaux «outils » juridiquesdont il n’a pas mesuré s’ils répondentà des besoins véritables. C’est ainsique des innovationsrestent sans lendemain. Tel estle cas des facturesprotestables quela pratique a toujours ignorées. Désormais, grâce auxétudes d’impact, l’administration devrapouvoir faire des évaluationssérieuses sur l’intérêt detoute réforme. Cette volonté d’améliorerlaproduction normativedans le sensde la simplification offre l’occasiondedonner un nouveau souffleà la participation des « forces vives »à lafonction juridique de l’Etat.

Il existe presquetoujours des zones d’incertitudesur le senset la portée du droit nouveau.Si l’amélioration dela culture juridique desadministrations peut tendreà réduire la marge de flottement, notammentpar une énonciationplus rigoureuse des normes,pour autant, l’aléa surl’interprétation à laquelle se livrele juge ne serajamais totalement dissipé.

En dehorsde tout contentieux,la communicationsur la portéed’une mesureau sein de l’administrationet entre celle-ciet ses usagersaccroîtrala sécurité juridique. Pour comblerle fosséexistant entrela lectured’une normeet son application et pour hâterla maturation opérationnelled’un texte,il faut développerun dialogue avecles publics spécialisés.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 96: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Un trait d’union entre la lectureet l’application de la normeDans sa circulaire relativeà la préparationet à la mise en

oeuvre de la réforme de l’État, le Premier ministre déclare :« L’Étatlégifère et réglemente trop et souventmal : la sécurité juridique descitoyens estmenacée et lesentreprisespénalisées». On pourraitajouterles collectivitésterritoriales au nombre desvictimes de la productionnormativede l’Etat.

Les acteurs économiques et sociauxse plaignent de ce qu’iln’y ait rien entreleur analysepersonnelle d’une nouvelle réglementationet le stade contentieux. Ilexiste, par conséquent, une fortedemande devalidation de points de vue qui peut mêmeconstituerun préalableà desprises de décision : va-t-on décider d’investir si l’objectif visé estincompatibleavecle droit positif ? Les opérateurs économiques ontbesoind’avoir une bonne anticipation surla portée du droit.

Les interventions publiques sont devenuessi nombreuseset sidécisives pour le sort desentreprises et des particuliers quel’État et lescollectivités territorialesne peuvent plus rester sur leur Aventin quandonattend d’eux depréciser les règles du jeu.

Pourrait-on imaginer,à l’exemplede la pratique américainedu« ruling », une sorte deprocédureinterlocutoireavec l’administration quidonnerait à un administré (parexempleun soumissionnaire dansle cadred’un marchépublic) un accorda priori sur l’application detelle règle dedroit ? Sans doute,ce dialogue est-iltrop éloigné de nos mentalités. Laprocédure du «ruling » serait de natureà entraîner,à plus d’un titre, unerupture de l’égalité entre lescitoyens, surtoutlorsque la demande degarantie juridique constitueen réalité une demandede dérogation.Enrevanche, s’inspirer des nouvelles méthodes mises en place parl’admi-nistration en matière fiscale seraitun progrès :

- L’administration fiscaledoit répondre rapidement : c’estainsi quesaisied’un projet de création d’entreprisenouvelle, elle disposed’un délai de trois mois pour se prononcer sur l’exonération sollicitée.Passé ce délai,l’exonération est réputée accordée.

- Les interprétationsde cette administration sont sourcesdedroit dans la mesure où elleslui sont opposables par lestiers : elle estdonc liée lorsqu’elle a pris position.

- Elle peut faciliter la prise dedécision d’opérateurs écono-miques en leuradressant les lettres de confort, lesquelles, sans valoirengagement,définissentle cadre danslequel peuts’inscrire une opération.

En outre, retenir le principe suivant lequel,passé uncertaindélai, le silence de l’administrationvaut acceptation irait dansle sens dela rapidité et de la clarté desrelations entrele public et la puissancepublique, maison ne peut nier quece principe ouvrirait un vaste domainede responsabilité aux cadres del’État et des collectivités territorialesetqu’il comporterait des conséquences insupportablespour l’intérêt général.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 97: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

On considère que cette suggestion quia fait ses preuvesen matière depermis de construire,ne saurait être généraliséesans risquemajeur.

En ce qui concerne les collectivités publiques,les chambresrégionales des comptes pourraient leur apporter une aide à ladécision, et même les éclairerdans leurs orientations budgétaires. Il estregrettablequ’à l’heureactuelle, ces juridictionssoient encore vécuesparleurs « justiciables »sous l’angledu seul contrôle.

Le préfet lui-même a besoin d’avis indépendants notammentlorsqu’il lui importe d’anticiper l’application d’une règle incertainepar le juge. Il pourrait être intéressant pourlui de confier à un conseillerde tribunal administratif cettemission, àl’instar du conseillerde préfecturequi jadis étaitcensé tenir ce rôle.Le conseiller de tribunal administratifjouerait même un rôle d’éclaireur des réformesauprès du préfet qui,trop souvent, ne dispose pasau sein de son administration d’unconcours technique suffisant.Il va de soi que le conseillerde tribunaladministratif, qui luiaurait apporté ses lumières,ne pourraitpasparticiperà la formation juridictionnelle appeléeàconnaîtred’un contentieux mettanten cause une décision préfectorale qui s’était inspiréede son avis.

Si les textes envisagentbien cette collaboration, force estdeconstater qu’il s’estdéveloppéun état d’espritqui, de fait, prive jusqu’àprésent l’autorité préfectoralede la faculté d’y recourir. Il est vrai queces magistrats sont,pour la plupart, occupésà temps plein par leursactivités juridictionnelles ; mais est-ceun argument suffisant pourne paspousser une porte quela loi n’a pas verrouillée ? Dansla mesureoùcertains des membres destribunaux administratifs souhaitentintégrerl’administration active,on pourrait ainsi détecter ceuxd’entre eux qui ontdes aptitudesà la rejoindre.

On a évoquésuprala contribution que pourraient apporterlesprofesseursde droit à l’administration.

Un énorme effort de diffusion de la production normativeà l’initiative des administrations s’impose notammentauprès descollectivités localesqui n’ont pastoutes,tant s’en faut,pris la mesuredufacteur droit. Il faut rapprocherla rive des concepteursde réglementationsde celles de leurs destinataires. Ceux-cine doivent plus être faceà dessphinx. On sait bien que le concours de juristes ne peut résoudrel’ensemble desproblèmes de droit,mais seuls des spécialistes sontcapablesd’avoir une bonne connaissancede leur ignorance.

* * *

Une importante initiativeen matièrede communication pour-rait consisterà rapprocher l’administration du public (assujettis,clients etusagers) parla mise en place de chartesévoquées parla circulaire duPremier ministredu 26 juillet 1995 relative à la préparationet à la miseen service de la réforme de l’État et des services publics.Quelpourrait-être l’objetde ces « chartes»?

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 98: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Chartre de l’administrationLes structures gouvernementalesse mettenten placeselon une

logique politique qui peut compliquer l’actionde l’administration. Lerôlede coordination entre délégations, missionset autres instances dérogeantà l’organisation traditionnellede l’administration devient plus compliquéet offre le flanc aux contentieux administratifet pénal.Par ailleurs,leservice publiclui-même esten crise. Sur quoil’État doit-il garder soncontrôleou sa maîtrise ? La décentralisation est-elle toujours faiteau nomde l’efficacité ? A quoi doit s’appliquerla déréglementation ?

L’administration, confrontéeà un défi idenditaire,a besoin deconcentrerson attention sur desvaleurs mobilisatrices qui incluentlerapport au droit. D’où l’intérêt de chartesde l’administration avancée parla circulaire du Premier ministredu 26 juillet 1995. Ces « chartes »doivent être desoutils majeursdestinésà témoigner d’un rapport deconfiance.

Les chartes devront seréférer aux rapportsde droit del’administration avecles usagerset non amalgamer ceux-ci à des valeursqui n’en font pas partie. Autrement dit, uneapproche transparentecommandede préciser ce qui relèvedu « projet d’entreprisede l’admi-nistration » et ce qui constitueun droit garantipar le juge. Il faudra ydistinguer les objectifs des principes.Que, commele suggèrela circulaireprécitée, l’administration soit plus rapide, accessible, participativeetresponsable, c’est annoncer des objectifs. Les principes, eux, demeurentidentiques :neutralité et confidentialité desservices,égalité detraitementdes usagers, principede continuité de la desserte de l’ensembleduterritoire. Il faut saisir cette circonstancepour le rappeler. A cet égard,on doit prendre conscience d’objectifs incompatiblesà mettre enoeuvrecompte tenu descontraintesbudgétaires. Ainsien est-il du critère dequalité combinéà celui d’accessibilité. Par exemple, peut-onpromettreau nom de l’accessibilitédesservices publicsle maintien dequelque3 700brigades territorialesde gendarmerie,tout en améliorantla qualité duservice lorsque, corrélativementla technicité, le volume des tâches etlacroissance des droitssociaux des personnels commandentla recherched’économies d’échelle ?

Ces chartes,portées à la connaissancedu public dans leslocaux où il a accès,pourraientavoir un impact considérable.L’exempled’« une charte dugendarme »affichée dans les locaux desbrigades degendarmeriebelge montre que ce document solennel estun engagementd’une meilleurequalité des rapports avec les administréset la garantieque la contrainte, voirela coercition dont disposent les membresde cetteadministration,s’inscrit - aussi bienformellement que dansl’esprit - dansle strict respectde la légalité. Cette volontégouvernementalede clarifierles relationsentre "administrationet le public, de rendre plus ouvertsetdisponiblesles agentsen charged’un servicepublic ne pourra qu’amé-liorer l’image del’Etat.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 99: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Chapitre 5

Gestion desressourceshumaines

Vouloir modifier les mentalitéset les méthodesde travail ausein desadministrations centrales est uneoeuvrede longue haleine. Uneapproche nouvellede la fonction juridique impliqueau premier chef lespersonnelsconcernés. Une évaluationde leur formation etde leur rapportau service s’impose.

A la croisée de préoccupations les plusdiverses,la fonctionjuridique doit associer les personnels d’origines administrativesvariéesayant des expériencesen rapport avecles sujets qu’ils traitentpour éviterle confinement si nuisible à l’image du juriste. Or, l’évaluation descompétences juridiquesfait apparaître dessituationstrès inégalesentreles diverses administrations centrales. Unepolitique d’harmonisationconduiraità faire un effort interministérielde nivellementpar le haut dela fonction juridique. La solutionpréconisée passe par l’ouvertureducorps judiciaireà cette fonction.

Bien gérer les fonctions signifieaussi former les personnelsqui en ont la charge. Une politiquede formation applicableà l’ensembledes concours administratifset des écolesd’application de la fonctionpublique doit donc intégrerle facteur-droit en fonctionde l’environnementparticulier de chaque corps et desbesoins des administrationsde tutelle.

* * *

La légitimité de l’action de l’État passe par unefonctionjuridique efficace etengagée dansla vie :

- Sensibiliserlespersonnelsà l’importance stratégiquedu droit :- par le travail de la mémoire ;- par unepratiquequi donnedu droit une vision innovante ;- par la recherchede synergies.

Sensibi l iser les personne lsà l’importance stratégique du droit

Dans sonrapport généralsur l’année 1986,le Conseil d’Étatrelevait : «Jamais au même degré, le Conseil d’État n’a euà constater

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 100: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

que, loin d’être une, l’administration française sedivisait en deuxcatégories, qu’il y avait des servicesbien équipés etqui fonctionnent bienet d’autres démunis et connaissant des difficultéstrès sérieusesdefonctionnement. On pourrait parler sansexagérationd’une administrationduale. Le plus grave est que l’écart entreces deux secteurs de notreadministration s’accentue eton peut en voirde multiples risques ».

Le sentiment général inclineà penser qu’en ce domaine, lesecteurprivé a opéréun redressement plusnet que l’administration. Lacomparaison tourne à l’avantage dela « force defrappe » juridique desgrandes entreprises, qui,au surplus, estrenforcée par le barreauet lenotariat. L’École nationale d’administration(l’ENA) qui, pendant denombreuses années,avait exclu les disciplines juridiques des matièresobligatoires, a modifié sa politique de formation (cf. infra p. 114) etdéveloppe notamment l’enseignementdu droit communautaire. Pour sapart, l’enseignementde l’École nationalede la magistrature est lacunaireen ce qui concernele droit public.

Le niveau moyen des attachésd’administration centrale estinsuffisanten droit. Mais dans l’ensemble, desprogrès sont observés, quine sont pas étrangersà l’amélioration continuedu niveau général descandidatsaux concours administratifset à la perception par les grandesécolesdu rôle croissant que jouentles régulations juridiques. Il n’empêchequ’un long cheminresteà faire pour quesoit reléguéau passéle constatsuivant : «Tant que lesdiversesfilières juridiques resteront étroitementcompartimentées, que l’accès aux grands emplois juridiques publicsdemeureraréservé via leConseil d’État à une élite polyvalente, que lamagistrature etl’université resteront des univers clos, le droit restera unecarrière marginalementattractivepour lesmeilleurs étudiants »(LaurentCohen-Tanugi etJoëlle Simon,L’État et le systèmejuridique).

Au début de l’année 1996, présentantles voeux des corpsconstitués au Président de la République, M. Denoix de Saint-Marc,vice-président du Conseil d’État, évoquaitl’idée d’un « État modeste »,entendant ainsi quel’État devait êtrele premier à se soumettreau droitqu’il avait lui-même énoncé. Lesadministrations ne pourront donnerlemeilleur d’elles-mêmesà la réforme de l’État qu’en améliorant leurfonction juridique. Les agents des administrations centrales, dépositairesde cette fonction,doivent être incitéset formés à reconnaîtreau droit unprincipe de réalité permanente, qu’ilconstitue la clé de tout effort dedémocratisationde l’appareil de l’État.

Le droit public est d’ailleurs lui-même en pleine métamor-phose. L’évolution de la finalité de l’État et de ses compétencesbouleverse la fonction juridique traditionnelle.La modernisation del’appareil administratifpasse aussi parle maniementdeconceptsdedroit :la décentralisation, la déconcentration et l’adaptation desstructuresgouvernementales ont changé profondémentla répartition des compéten-ces, les niveauxde décisionet les modes d’intervention. Demême, l’Étatest confronté aux difficultésde mise en conformité du droit interne avecle droit communautaire, notammenten matièrede concurrence,de travailet de libre circulation des travailleurs.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 101: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Commeles magistratsdont c’est le milieu naturel, les fonc-tionnaires commencentà découvrirau sein dela population unesociologiede la contestation. Les recours contreleurs décisions se sont banalisésetmême leur miseen cause personnelle devantles juridictions civiles,pénales, administratives et financières estde moins en moins rare. Ilsdoivent notammentêtre sensibilisés auxchampspénaux que recouvrentles incriminations d’abusd’autorité, de corruptions activeet passive,defavoritisme,de concussion,de prise illégale d’intérêts etde violation desecrets. Une responsabilité civile estsouvent recherchéeen matièrehospitalière et dansla police. Faceà des risques accrus, l’administrationa, à la fois, un devoir de surveillanceet d’assistancede ses agents.

Parce biais, on voit ainsi se comblerle fossé entredroit privéet droit public. Il faudrait favoriser cette évolutionen donnant pluslargement la possibilité auxfonctionnaires servant dansles administra-tions centrales dedécouvrir un aspectplus dynamique du droit, celui quidonne auxopérateurs économiquesles meilleures opportunitésde réussite.Il faut, en quelque sorte, qu’ils troquentleur attitudetrop souventréactivepour une vision innovantedu droit.

Par le travail de la mémoireL’une des différences majeuresentreun juriste d’administration

centrale et un juriste tout court porte surla mémoire : mémoire desnégociations, des correspondances, des non-dits, des projets avortés, despositions des groupes de pression, des commissions parlementaires;mémoire de Bruxelles, de Luxembourg, de Strasbourg, duQuai Branly, dela Place Vendômeetc. Il s’agit d’une infinité d’informations nonpubliqueset non publiées qui sont constitutives d’une culture irremplaçable.

Dans l’intérêt de la fonction juridique, ses serviteurs doiventconnaître une stabilité dans leur affectation pour, d’unepart, acquérir lamémoire du droit applicableà leur domaine de compétence et tous leséléments quien sont la justification, et, d’autre part, partager avec leurscorrespondantscette culture fondée surle travail du temps.

Ce qui n’empêchepas qu’avant d’assurerdes responsabilitésde rédaction de texteset une fonctionde conseil, le juriste doit corrélerses connaissances juridiquesproprement ditesà une expérience pratique.Mais unefois investi de sa fonction,il doit accepterde demeurer plusieursannéesdans celle-ci. C’est d’ailleursla politique suivie parle Secrétariatgénéral du Gouvernementoù les juristes demeurenten principe plusdecinq ans,ou encore ceuxde l’administration des assemblées parlementai-res chargés d’accompagnerle travail des commissions. Du reste, lesinterlocuteurshabituels que sont les juristes des groupes de pression onteux-mêmes des affectations stables.Si l’on oppose à la mémoire descorrespondantsd’un ministère, celled’un personnel partrop mobile, onvoit que l’État se trouve dans une situationde faiblesse.

Par ailleurs, mainteniren fonction pendantun temps assezlongdes juristes d’administration centrale garantitmieux la permanencedudroit, conduitaussià responsabiliser ceux quiauraient tendanceà laisser

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 102: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

une trace brouillonnede leur passageen corrigeant inutilementunordonnancement juridique nécessairement imparfait. La stabilité estenmêmetempsun contrepoidsaux changementsplus fréquentsau sein descabinets ministériels. Ellepermet également d’instaurer avecle Conseild’État une collaboration plus confiante.

La mémoire doit se transmettre.Il est indispensable quelessuccessionssoientprévuesde longuedateafin queles passationsdeconsignesoient enfait de longues collaborations entrel’entrant et le sortant.

De même, il est impératif de conserver au bureau d’ordred’un service juridique sa fonction de garde des dossiers.Trop souvent,les dossiers sontà l’usage personneldes fonctionnaireset le peu qu’ilstransmettentau moment de leur départ est expurgéde documentsou denotes intéressantes. Les dossierssont la propriété du service. Conservéspar les bureauxd’ordre, ils sont nourrisde tous les éléments quienassurentla bonne compréhension,ce qui doit permettreà un juriste de sesubstituerà son collègue absentet à son successeur d’acquérir, danslesdélais les plusbrefs possibles,la véritable connaissance desaffaires.

A Rome, les Pèresconscrits avaientla mémoire des loisqu’ilsallaient voter.

Par une pratique qui donne du droitune vision innovanteLa situation actuelletient à la perception insuffisante par

l’administration de la spécificité de la fonction juridique. C’estlà la causeessentielledu sous-équipement juridiquede l’État. Les fonctionnaireschargésde fonctions juridiques acquièrent une expérienceprofessionnelleorientée versla tutelle, c’est-à-direle contrôle,la délivrance d’autorisationet la censure exercésà partir de dossiers etde rapports qui leur sontsoumis.Comme les juges, ils réagissentà des situations préexistantes,àdes initiatives étrangèresà leur domaine de compétenceintellectuelle.Lorsqu’ils sont chargés d’établir desprojetsde décisions (appelsd’offrepar exemple), ils reproduisent desschémas fondés surle précédent.

Cette approchedu droit est un frein à la réforme de l’État.Faute d’avoir une conception innovantedu droit, les juristesde l’admi-nistration résistentà l’introduction de concepts juridiquesaptesà gérerdifféremmentles intérêts publics. C’est ainsi l’unedesprincipales raisonsdu conservatisme juridiqueen matièred’occupation des locaux parl’Étatqui ne connaît essentiellement quele contrat de bail et de venteimmobilière, alternativejugée insuffisante par les opérateurs privéset lescollectivités territoriales qui conduitparfois à des situationsde blocage.C’est pourtant la seule quepeuvent mettre en oeuvre la gendarmerieetles collectivités locales pourloger par nécessitéabsolue de servicequelque85 000 famillesde militaires.

Cette cultureétriquée creuseun fossé intellectuel entreles« forces vives » qui doivent faire montrede capacitésadaptativespourobtenirdesfinancements, notammenten raison des insuffisancesde fondspropres des entrepriseset l’État, dont la doctrine est le reflet de la

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 103: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

formation et de l’univers mentalde ses décideurs. Ce handicap est encoreplus patent lorsque les juristes administratifssont confrontés à desproblèmesà cheval surle droit public et le droit privé.

C’est pourquoi,une formation théoriquede droit privéest toutaussi indispensableque l’acquisition d’une pratiquequi permet de rédigerdes contrats,de négocierdes accords,d’anticiper les effets d’un principenouveau,de résoudreune infinité de difficultés que soulève touteopérationd’envergure, d’éclairerles décisions du Gouvernement.Et pourtant lavéritable expériencedu droit privé fait défaut aux administrationscentralesde l’État. Il serait très utile que les juristes, qu’ils soient administrateurscivils, conseillers de tribunaux administratifs, attachésd’administrationcentrale ou magistratsoccupantdes fonctions au sein des administrationscentrales, acquièrentunepratiquehors du milieu administratifou judiciaire.Ainsi, le fonctionnaire chargéde la fonction de conseil et associéà laproduction normativeenmatièred’urbanisme serait plus opérationnelet plusfiable s’il avait acquisuneexpériencedans uneentreprisedetravaux publics,une étude notariale,une banquespécialisée,voire une collectivité locale.

A la formation continue classique,doit s’ajouter l’acquisitiond’une connaissancepratique du droit.

Il importe que lesjuristes affectés au sein des administra-tions centrales puissent avoir préalablement validé leurs connaissan-ces et leurs réflexespar la pratique du droit tel que le reçoivent les« publics spécialisés » de l’Etat. L’État a besoin de juristes qui ontété immergés dans l’environnement juridique des professions aveclequel ils sont en relation. L’acquisition d’une telle expertise nécessiteune politique de détachementsou de misesà disposition de fonction-naires de laquelle leur administration attend des retombées utiles.

Par la recherche de synergiesOn devraitfavoriser un rapprochement, notamment au sein des

pôles juridiques, des fonctionnairesau servicedu droit privé et du droitpublic. Il devrait égalementêtre fait une place auxmagistratsdont laformation et l’expérience professionnelles sont fortement orientéesversle droit privé. En effet, pour donner vieà la pluridisciplinarité juridique,il faudrait inviter à participer à la fonction juridique des personnelsappartenantà d’autres corps queceux qui sont recrutés parla voie del’ENA, dès lors qu’ils ont acquis uneformation juridique sérieuse.

Les juristes devraient acquérirune ouverture d’espritgrâce àdes stages axés sur les problèmesde société, la vie économique,l’évolution des relations socialeset la notion d’éthique.

Par une véritable placefaite à la formation au droitL’évaluation dela situation actuelle dans l’ensemble des écoles

destinéesà former les fonctionnairesde catégorie A fait apparaître des

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 104: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

lacunes dans l’enseignementdu droit. A l’École nationale du travail,l’enseignementdu droit représenteun quart environ du programme, cequi entraîne progressivementune pertede compétencesde ce corps alorsque la demandede formation au droit expriméepar les stagiairesy estforte. Cette observation estégalement applicable à l’Ecole nationale desimpôts.

Il faudrait inscrire aux programmes de ces concoursadministratifs l’acquisition des principes générauxdu droit, enseignerdans les écoles d’applicationde la fonction publique les disciplinesqui permettent de comprendre et de situer la spécificité des matièresdominantes (par exemple, le droit commercial, le droit foncier parrapport au droit fiscal pour l’École nationale des impôts).

Il faudrait également offrir l’opportunité aux fonctionnai-res de faire des stages, etmême organiser une mobilité leur ouvrantl’esprit sur des réalités administratives, juridiques et sociales autresque celles auxquelles ilsseront confrontés.

* * *

La qualitéde la fonction juridique pourrait être plus homogèneen faisantappel auxmagistrats :- les magistrats etla fonction juridique de l’État ;- magistrats auprès des administrationscentralesde l’État.

Homogénéiser la qualité de la fonction juridiqueLe cadre des magistrats auxadministrations centrales permet-

trait de contribuer à niveler les inégalités de qualification juridiquedénoncéespar le Conseil d’État. Dansla mesureoù certains ministèresne peuvent paseux-mêmes constituer une « massecritique de juristes »nécessaire pourmodifier le rapport au droit, l’apport interministérielconstitué parles magistrats assureraitle décollagede la fonction juridique.Ces magistrats s’agrégeraientà une petite communautéd’agentsmotivés(cf. pôle juridique).

Les magistrats et la fonction juridique de l’ÉtatLes magistrats ont-ilspour vocation exclusive l’exercicede

fonctions judiciaires ?Si la réponsedevait être affirmative,ne s’ensui-vrait-il pas desinconvénients liésau confinement ?La distinction entreadministrateurs civils, quisont des généralistes dela gestion publique, etmagistrats, dontla compétence estdédiée à l’exercice exclusif delajustice, doit-elleêtre ainsi tranchée lorsqu’on connaît lesdifficultés liéesà la fonction juridiqueau sein des administrations ?

Compte tenude l’importance numériquedu corps judiciaire(environ 6200 magistrats), dela qualité de la formation donnée parl’École nationale dela magistrature et du besoin de respiration et de

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 105: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

renouveaude ce corps,uneconception conservatrice tendantà écarter lesmagistratsde l’administration - exception faitede la Chancellerie -aumotif que les tribunaux sontdéjà très surchargéspriverait les administra-tions centralesde l’enrichissementapporté par cesmagistratset isoleraitces derniers dans des soliloques corporatistes. Par ailleurs, nulne contestele nombre insuffisantde juristes au sein de l’«État-stratège», et surtoutde juristes de droit privé. Au demeurant, n’est-ilpas aussi normald’affecter un conseillerde tribunal administratifà des tâchesd’adminis-trateur civil ? Pourquoi la mobilité serait-elle mal appréciéedu corpsd’origine, c’est-à-diredu corps judiciaire, et encouragée, voireobliga-toire, ailleurs ?

En contrepartie,les magistrats, quigèrent l’aspectadministratifde la justice et sesressources humaines, auraienttout intérêt à acquérirde solidesnotions de management. Les magistratsayant été jadis lesseulsadministrateursdu ministère de la Justice ont,à leur corpsdéfendant,contribué à isoler l’administration dela justice dureste de l’État.Depuisquelquesannées, les chosesbougent ; la Chancellerie, elle aussi,a prisconscience qu’elle atout intérêt à accueillir des fonctionnairesde hautniveau. De même les administrations centralesdes autres ministèrestrouveraient avantageà ce que des magistratsleur apportentle fruit deleur expérience dans les domaines juridiquesou dans des tâchesd’anima-tion liées à l’activité judiciaire. Là encore,tout estaffaire de rapproche-ment des modes depensée et descultures.

Il n’est d’ailleurs pas certain queles lacunesde la fonctionjuridique au sein des administrations centrales puissent être combléesparl’École nationale de l’administration dansla mesure où elle n’a pasvocation à former au droit, mais seulement à quelques techniquesd’élaboration des textes età quelques principes d’interprétationdu droit.

Certes,la formation continue et une plus grandeouvertureaudroit par les écoles d’application et notamment par lesécoles d’ingénieurs(cf. École nationale desponts etchaussées) améliorentla situation. Maispour donnerun élan à la fonction juridique, il faut accueillir des juristesde formation et,à partir d’eux, créer des pôles decompétenceet dessynergies. Danscette optique, les magistrats peuventêtre trèsutiles.

Le détachement des magistrats pourcontribuer à la fonctionjuridique n’est pasinadapté à cette ambition,mais cette procédureal’inconvénient d’être précaire et circonstancielle. Dès lors que l’onconsidère bonpour l’État d’aérer le corps judiciaire, l’affectation desmagistratsdoit s’inscrire dansle cadred’une véritable politique. Surtout,à l’instar de l’administrateur civil qui, appartenantà un corps interminis-tériel, est naturellement légitimeà la Chancellerie, on devraitcréerquelques postes au sein des administrations centrales destinées auxmagistrats. Ainsi, seraient fortement reconnuesà la fois l’importance etla permanencede la fonction juridique et l’idée que le magistrat estaussiun acteur administratifde l’Etat, que saspécificité professionnellepeutêtre contrebalancée par sa vocationà être également présentau sein desadministrations centrales.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 106: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Magistrats auprès des administrations centralesde l’EtatUne fois admisela nouvelle approchequi justifie la place du

droit privé dans le cadre de la fonction juridique de l’État et, enparticulier, de sa production normative, deuxaxes d’efforts se présententen perspective :- donner au ministèrede la Justiceles moyensde contribuerà la fois àjouer un rôle de consultantau profit du Gouvernement età participer àla rédaction des textes touchantau droit privé (qui inclue le droit pénal) ;- mettreen placedesjuristesde droit privé de haut niveau aux carrefoursstratégiquesde la conception etde l’application du droit privé.

Le ministère de la Justice ayantdepuis toujours choisid’ap-peler à ces tâches desmagistratsde l’ordre judiciaire a créé à cet effetun cadre particulier, celui des magistratsà l’administration centraleduministère de la Justice (MACJ).

Cependant,la situation actuelle laisseà désirer dansla mesureoù les magistrats sontde moins en moins désireux d’être nommésà laChancellerie.D’où un niveau moyenen baisse,une durée de séjour pluscourte, untaux de relèves de plusen plus important et des postes nonpourvus dansles deux directionsà vocation essentiellement juridiques.Au surplus, les emploisbudgétaires sontinsuffisants (del’ordre de 162).Une évaluation approximative conduità proposer d’augmenter d’unevingtaine le nombrede magistratsen fonction à la Chancellerie.

Il faudrait restaurer, en l’aménageant, un véritable cadredes magistrats à l’administration centrale du ministère de la Justice.Cette organisation, quia bien fonctionné jusqu’àla fin des années 70,assurait la collaboration de magistrats motivés,fiers de leuraffectation,conscientsde l’importancede leur mission. Ilsy étaient assurésen retourd’une durée de services d’au moins dix ans,assortie d’espoirsdepromotions.Formésà des tâches spécifiques qui exigeaientd’eux l’acqui-sition artisanalede la mémoire du droit dont ils étaient chargés, ilsrecevaient,à leur tour, des responsabilitésd’encadrement etde formation.Ils veillaient à ce que les générationssuivantesprennent la relève dansde bonnes conditions.

Quoiqu’on en ait dit,ce systèmea permis à la Chancelleriedefaire autoritéen matièrede production normativeet aux deuxdirectionsprécitées d’avoir unrayonnement intellectuel et moralcomparableà celuide la Direction du trésor au ministère des Finances.Ne cachons pas quela principale maladresse commiseavait été de fairecohabiterau sein desmêmes servicesles MACJ avec desmagistrats des courset tribunauxofficieusement misà la disposition de la Chancellerie, moinsbien traitésen ce qui concerne les conditions d’avancementet le régime indemnitaire.Par contre,il parait essentielde continuer à imposer aux MACJ unepratique professionnelle dans les courset tribunaux.

En outre, il serait souhaitable que,pour contribuer à fairepénétrer le droit public dans sa culture, la Chancellerie accueilleen

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 107: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

son sein également des publicistes, en particulier des conseillers destribunaux administratifs.

Doter la Chancelleriede moyens intellectuelsadaptésà satâche, c’estun premier pas. Maisil faut aussi innerverles administrationscentrales d’un réseaude « privatistes». Actuellement elles satisfontcebesoin, mais d’unemanière insuffisante et empirique, notammentenoffrant aux magistratsdespostes contractuelsde détachement.

Une prise de conscience d’avoir à améliorer la fonctionjuridique serait l’occasion de systématiserla participation des magis-trats au sein des administrations centrales,surtout si leur rôle venaiten appui de la création de directions des affaires juridiques au seindes principaux ministères (cf. supra). A raison de deux ou troismagistrats par ministère quotidiennement concerné parla productionnormative, on créerait ainsi un vivier d’une centaine de magistrats.De là naîtrait l’intérêt d’étendre le cadre desMACJ - dont les besoinssupplémentaires peuvent ainsi être évalués à quelque 20 magistrats -à l’ensemble des administrations centrales.Ce cadre deviendrait alorscelui des magistratsauprès des administrations centrales de l’État.

Autrement dit, au lieu d’ouvrir des postes dedétachementpourrenforcer la fonction juridique au gré des circonstanceset des capacitésbudgétaires de telou tel ministère, il conviendraitd’évaluer l’ensembledes besoins à centmagistrats affectés dans les administrationscentralesautres quela Justiceet de fixer une cléde répartition de ces emploisausein des administrations centrales età fixer à 185 les besoinsde laChancellerie.

Quelles seraientles perspectivesdecarrièredeces personnels ?L’on pourrait envisagerdeux situationsbien distinctes :- une carrièrecourtede cinq ou six anspermettantau magistrat d’acquérirune brève spécialisation qu’il pourrait assez rapidement rentabiliser ;- une carrière longue d’unequinzaine d’annéesau plus qui permettraitàl’intéressé d’assurer des fonctions derédaction, dechef debureauet desous-directeur.

La gestionde ces personnels devraitêtre comparableà celledes administrateurscivils dans la perspective toutefoisde les réintégrerdans des emploisde magistrat descourset tribunaux.

Ainsi la priorité gouvernementalepour le développementde lafonction juridique,et notammentde celle qui toucheau droit privé, seraitaffirmée.

* * *

L’administration dispose aujourd’huide deux atouts : uneaugmentationdu nombre descandidats aux emploispublics et un réseaud’écoles d’applicationde bonne qualité.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 108: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Par ailleurs, la formation continue, qui a faitl’objet d’untroisième accord-cadreen février 1996, doit contribuer à améliorerleniveau juridiqued’un nombrede plus en plus importantde personnels :

- L’introduction au droit : contribution indispensableà laformation des fonctionnaires associésà la productionnormative.

- Les analysesdu Conseil d’État.

- Contribution de l’ENA à la formation au droit.

- Formation continue.

L’introduction au droit :contribution indispensableà la formation des fonctionnairesassociés àla production normativeFaire de la formation au droit l’une des clés del’enseigne-

ment dispensé à la haute fonction publique, c’est faire entrer par lagrande porte dans la culture de l’Etat-stratège, aux côtés de l’écono-mie et des sciencesexactes,le raisonnement juridique. Celui-ci reposesur la connaissance des grands principes dudroit et des conceptsinvariables.Ce qui donnerait,à l’image de l’astronome qui situe les étoilespar rapport aux constellations et aux galaxies,la faculté d’insérer unerègle dans un ensemblede principes, d’ajusterla logique d’unemesurenouvelle dansune construction plus vaste etde coordonnerle tout. Cettedémarche débute dansun environnementmouvantau point que, commele fait observerM. Marceau Long, vice-président honorairedu Conseild’État, la distinction du droit privé et du droit public tend à devenirobsolète. Le proposde M. Jean Coussirou,ancien directeurde l’ENA,selonlequel « il faut former de grands administrateurs davantageouvertssur les problèmesconcrets des citoyens», devrait conduire à orienter lesfuturs cadresde l’État vers l’étude du droit privé pour leur permettred’appréhender les besoins juridiques des différentes communautés humai-nesau sort desquelles ilssont intéressés.

L’exemple vient de haut : le Conseil constitutionnelincite àaccélérerle pas dans cettedirection. Par une approcheplus personnaliste,cette haute instanceassurela défense des grands principesdu droit privé(une de sespremières grandes décisions touchaitau droit privé et à laliberté d’association).L’évolution de sa jurisprudence tientau fait que ledroit constitutionnel irrigue toutes les branches du droit. C’estainsi quetout en maintenant entredroit public et droit privé un équilibre variablesuivant le domaine considéré,le Conseil constitutionnel seréfère à unmodede pensée différentde celui de l’administration.

La formation de nombre de ses membres doit beaucoupaudroit privé, à commencer par celle desdeux derniers présidents MM.Badinter et Dumas et du premier avocatgénéral honoraire dela Cour decassation,M. JeanCabannes.Quant au secrétariat général animé parun

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 109: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

conseiller d’État,M. Schrameck,il comprendun fonctionnaire parlemen-taire, un magistratet un conseillerde tribunal administratif.

Au surplus,le développementdu droit privé horsdu champdecompétencede l’État central est, surle seul planquantitatif,sanscommunemesureavec celui du droit public. L’éclatementdes lieux de productionde normes enrichitpresque exclusivementle droit privé. Sans parlerde lafonction régulatrice desjuges nationaux et européens, les autoritésadmi-nistrativesindépendantes (Conseil dela concurrence, Conseilsupérieur del’audiovisuel, Commission nationalede l’informatique et des libertés), lesforces du mondedu travail (les conventions collectives)et les principauxproducteurs privésdu droit concourent à cette évolution. Une connaissanceapprofondiedesprincipesdu droit privé estdonc une condition nécessairede la crédibilité des grands administrateurs chargésd’agir au nom del’État : la fonction juridique a acquis une dimension stratégiqueau seinde l’État, de même que dansla gestion desentreprises.

Une raison supplémentaire pour renforcerla qualification endroit privé des fonctionnaires d’autoritéde l’État tient à ce que desprogrès considérables ontdéjà étéaccomplis parles entreprises privéesqui font une placede plus en plus significative au droit. Le risquepénalest sans doute une incitation supplémentaire.Il serait néfaste pourl’autorité de l’État en charge de l’intérêt général queles juristes del’administration et de la société civile ne partagentpas la mêmeculture.

Les analyses duConseil d’État(rapport du 21 avril 1988)La sectiondu rapport et des étudesdu Conseil d’État avait

évalué la formation juridique des fonctionnaires, évaluation qui avaitdonné lieu à un rapport en date du 21 avril 1988. Le Conseil d’Étatsoulignait queles exigences juridiques avaient diminué dans beaucoupdeconcoursde recrutement etde programmesde formation des fonctionnai-res et qu’enmême temps une part trop faibledes actionsde formationcontinue étaitconsacréeau droit.

Le Conseil d’État proposaitde rétablir une matièreobligatoirede droit pour les épreuvesd’admissibilitédesconcoursde recrutementdesfonctionnaires etde veiller à ce qu’il y ait une adéquation entrele niveaudu droit demandéet les fonctions correspondantaux corpsde fonctionnai-res concernés.Il suggéraitque les écolesd’application qui enseignentlesdroits spéciaux,actualisentles connaissances juridiquesde base,notam-ment endroit communautaireet dans certaines branchesdu droit privé etdéveloppent l’aptitudeà la rédactiondes textes administratifs,au raison-nement, àl’informatique juridique et au contentieux et que des actionsdemême nature soientassurées dansle cadrede la formation continue.

L’investissement juridiquedoit être considéréà l’aune del’objectif tendantà assurerun recrutement plus professionnel.Le Conseild’État recommandaitde fixer des règles permanentes d’évaluation descritères de recrutementet de formations dispensées dansles écoles. Car

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 110: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

la haute assemblée notait qu’il existedes écoles bien structurées,àl’écoute des besoins des administrationsde tutelle et d’autres qui sesituent à un niveau moinssatisfaisant. Il s’ensuit une qualitéinégaled’agents qui explique la différence de qualité des administrations dansl’accomplissementdes tâches juridiques.Huit années sesont écoulées.L’analyse et les recommandationssont toujours d’actualité.

Contribution de l’École nationaled’administration à la formation au droitLa Direction de l’ENA estime queles candidatsreçus au

concours ontdéjà acquisun bon niveau de connaissancesen droit public,et qu’en tant qu’école d’application,son rôle ne consistepas à dispenserdes enseignementsde base,mais à donner «une bonne maîtrise desoutilsadministratifs».

Au coursde la formation initiale,le droit n’est pas abordéentant que tel, mais sous l’anglede la procédure d’élaboration des textesainsi présentée aulecteur : « D’une façon ou d’une autre, rédiger etappliquer des textes constitue, pour les anciens élèves de l’école, uneactivité naturelle et souvent quotidienne. Ce rôle, qui leur revient dansla préparation destextes législatifset réglementaires, est mêmeessentiel.Aussi l’enseignementà l’école ne peut-il être indifférent auxcritiques,souventjustifiées, dont notre appareil normatif est l’objet».

La formation permanente consacre uneséanceà « la rédactionet l’interprétation des textes administratifs »,deux séances aux « consé-quencesde la construction européenne», normesconstitutionnelles, nor-mes communautaires,normes législatives, deux séances à « laresponsabilité des fonctionnaires». Les principes générauxdu droit nesont pasabordés.

M. Lebr is ,directeur de l’ENA, envisage de réformer lesconditions d’accèsà l’École afin de sélectionner des élèves quiauraientdes profils plus diversifiés que ceux issusdu moule de l’Institut dessciences politiquesde Parisou de l’École des hautes étudescommerciales.Il se proposede mettre en place descentresde préparation régionaux quiformeraient pendant deux ans des candidats sélectionnéssur la based’uneformation dans desmatières nouvelles pour l’ENA, lesquellesincluraient,entre autres,le droit privé. Ces candidats auraient l’obligationde semaintenir à niveau dans leur matièrede spécialité. L’École pourrait ainsirecruter quelquesvrais juristes. Est-ce suffisant ?

A l’heure actuelle,le droit public est pour la majorité descandidatsune discipline présupposée maîtriséeen raison du programmedu concours d’entrée.

Compte tenu de l’évolution des missionsde l’État et desservicespublics, on ne peut que recommanderde faire au droit privé uneplace à l’heure actuelle absente et pourcela que les programmesprésententle droit comme une discipline nécessaireet omniprésente.En

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 111: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

même temps,il faudrait permettre auxélèveset anciens élèves, quilesouhaitent,d’acquérir ou de parfaire leurs connaissances. Cette orientationne peut porter ses fruitsqu’à long terme. En attendant,les affectationsdes élèves àla sortiede l’école, qui sont fonctiondu choix offert par leurrang de classementet non de leurs aptitudes particulières danstelle outelle discipline, ne garantissentpas aux administrations centrales quelafonction juridique soit assuréeau mieux par la voie de l’ENA.

Formation continueLe recensement des demandesde formation des fonctionnaires

des administrations centralesfait apparaître un intérêt croissant deformation complémentaireaudroit. Ces demandesqui portent sur le rappelet l’actualisation des connaissances juridiques professionnelles, etnotam-ment des droitsspéciaux, sontliées à l’évolution de l’ordonnancementjuridique et aussià la mobilité despersonnels.

Il importe d’évaluer avecprécision l’objet desdemandesdeformation et la qualité des stages. Les recommandations suivantesformulées en 1988 parla section du rapport et des étudesdu Conseild’État adaptées aux besoinsde l’administration et répondant auxdeman-des de stage sont toujours d’actualité :- une formationde baseen droit communautairedes fonctionnairesdesadministrations centrales ;- une augmentationde spécialistes en droitcommunautaire par des stagesde perfectionnement dans des institutionsspécialisées ;- une formation pour élaborerdes textesjuridiques ;- une formation pour accéderà la télématique juridique.

Toute politiquede formation s’appuie sur une analyseprécisedes emplois et descompétences.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 112: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Conclusion

La critique de l’ordonnancement juridique est peu motivée.Elle fait appel à dessentimentsplus qu’à la raison. En vérité, elle est lesymptômed’un mal contre lequella science juridiquene peut pas grandchose. Ce mal, sociologiquementavéré, reflète l’amoindrissementde laconfiance àl’égard de l’Etat et de ses institutions.Et surtout, il procèdede la contradictiondans laquelles’inscrivent leslibertés, la justice sociale,le désir de créer et celui de protéger,la volonté d’innover et celle deconserver. Cettecritique s’aiguiseau contact de l’utopie qui consisteàcroire possiblede créerun droit allégéde ses pesanteurs historiques.

Au nom d’un impératif de simplification,on auraitpu proposerd’améliorer les choses par des recettestendant à restreindrede manièresignificative la production normative. Maisc’eût été proposer une réformepalliative traduisant une conceptionferméedu droit àcontre-courant d’unesociétéouverte. Ledroit serait alors comme l’anneaude fer qui étranglel’arbre.

Laissonsde côté les inévitablesanecdotes, qui n’ont pasdevaleur exemplaire,pour poser la question au « simplificateur » : quelspans de l’ordonnancement juridique devraient tomber sous sahache?Quellespièces maîtressesde l’architecturedu droit rural, du droit locatif,du droit d’auteur,du droit du travail ou de quel autre encorepeuvent êtresoustraites sansen menacer l’équilibre ? Poursuivant saconceptionirénique d’uneloi faite pour l’humanité despremiers jours, celui-ci nourride contractualismequi fait recette et parfoisscandale aux États-Unisproposerait enréalité, de substituer à l’ordonnancement existantunsystèmeplus complexe, plusincertain etplus dur.

Sur le fondement de notre conception traditionnelle dudroit,l’état des lieux permet-ilde dire que la législation contemporainea étédévoyée de sa finalité ? Nousne le pensonspas. La démarche duproducteur de normes,plus actuelle que jamais, estde contrer le librearbitre du fonctionnaire, d’encadrerla souverainetédu juge, le pouvoirdu maire, la liberté des cocontractants,de donnerun contenu plus richeaux libertés publiques,à l’acception la plus large de la justice... LorsqueM. Jacques Toubon,garde des Sceaux, envisagede modifier quelques

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 113: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

aspectsde la procédure pénale touchantà la détentionprovisoire des misen examen,il ne recherchepas la simplification, mais une meilleureprévention des abus et, parla même, le renforcement desgaranties quientourent la privation de liberté. Quand les collectivités territorialesparticipent à la fixation d’une taxe,comme la vignette automobile,onvoit son taux varier d’un départementà l’autre. Ainsi en adviendrait-ildes normes publiques sil’État laissait à d’autres instances -privées etpubliques - le champ libre.La loi est un facteur d’unificationdans unpays qui abhorre les différencestout en célébrant lesparticularismes.

On confond souvent simplificationdu droit et simplificationadministrative quiest une toute autre chose.En réalité, le public émet lesouhait d’une administration pluscompétente, plushumaine et pluslogique. Il souhaitemoins de guichets,moins de liassesà remplir et moinsde démarches.

De même,on confond souvent complexitéde la loi et difficultéd’y avoir accès. C’est pourquoi, la communication de la norme -notamment par télématique -et tout ce qui concourt à sa vulgarisationsont des devoirs del’État qu’il pourrait mieux remplir. S’agissant del’énonciation de la norme, l’espoir d’un progrès résided’abord dans lesétudesd’impact qui ouvrent la porte à la compétence età la contradictionappliquées à chaque dossier.Il s’agit d’un effort de maturation pourassurer davantagede solidité à des textes qui,de ce fait, auraientdemeilleurs atoutsde stabilité. Est-ce àdire que toutva bien dansle meilleurdes mondes ? Non,bien sûr.C’est pourquoile Premier ministrelui-mêmea décidé d’améliorerla fonction juridique de l’État. Ce projet, qui nepourra aboutir quepar la volonté soutenuedu Gouvernement, appelle unenouvelle organisationdu traitementdu droit par l’« État-stratège »et uneformation appropriée des personnelsqui ont en charge cette fonction.Ceux-ci doivent devenir des acteurs visibles, différenciéset écoutésausein des administrations centrales. Lacréation de directionsdes affairesjuridiques répond à cette nécessité. Ils doivent être informés, formésetmotivés. Dès lors que l’ENA n’a paspour vocation premièrede formerdes juristes d’administration centrale, que sesélèves manifestent unepréférence nativepour des tâches plusopérationnelleset que le droit privéest une discipline qu’ilsne connaissent quede réputation, l’Étatdevraitalors se tourneraussi vers ses serviteursplus disponibles pour cettemission,parmi lesquels lesmagistrats de l’ordre judiciaire.A leur contact,plus ouvertesau droit, les administrations renoueraient avecle monde dela pensée juridique largement représenté parles facultésde droit.

La formationdes hommesfaçonneleur mentalitéet leur méthodede travail. Tout commence àl’universitédansla perspectivedes programmesdes concours, se poursuit dansles écoles préparant aux carrières delafonction publiqueet seconforte par lessessionsde formation continue.L’onsedoit de souligneren particulier, dansle cadre de servicesbien structurés,la valeur formatricede l’association des expérienceset des intelligences,cette synergiequi donne l’appétit de la curiosité et du doute. C’est laformation par l’exemple quiinitie le mieux au secret dela compétenceetqui assigneau droit saplace du côté de la vie.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 114: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Synthèses desprincipales proposi t ions

OBJECTIFS

Créer des structures de compétencejuridique indépendantes

Ouvrir la fonction juridiquevers l’extérieur

MOYENS

Au sein de chaque ministère oùlafonction juridique tient une placeimportante

1) Pôle juridiquea) Créer au sein de chaque ministèreunpôle juridique indépendant.b) Pour être indépendant desautresservices, ce pôle juridique doit êtreconstituéen direction, laquelle aurait nonpas une responsabilité opérationnelle,maisune fonction de conseil,d’aide à ladécision etde suivi du contentieux.c) Cette directiondoit disposerd’effectifspeu nombreux de juristesd’originesdiverses.d) Cette directiondoit être ouverte auxcommunautésdejuristes et aux professionsjudiciaires.

2) Comité juridiqueInstituer au seinde chaquegrand ministère,un comité juridique chargé d’évaluer lesbesoins afin d’améliorer la fonctionjuridique de l’ensemble des services,d’émettre des avis sur les projetsderéforme : et de faire des propositionsderéforme.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 115: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Se doter d’uneinstanced’évaluationdu droit et de la fonction juridiquepouvant assurerune aideponctuelle

Faire de la Chancelleriele ministèredu droit privé et du-droit pénal pourassurerla cohérencede la législation

Valoriser les investissements juridiques

... et lescompétences juridiques

Pour être :

- plus innovant

- plus précis

- plus ouvert

- plus concret

3) Contrôle juridiqueMettre en place au niveau centralunemissionconstituéede membresdu Conseild’État, de la Cour de cassation etde laCour des comptes afind’effectuer desaudits portant sur l’organisationde lafonction juridique de l’Etat et sur lesmoyensmis, à ceteffet, à sa disposition.

Cette mission pourrait être saisie par leGouvernement,les chefsdu Conseil d’État,de la Cour de cassation etde la Cour descomptes pour donner son avis sur lesdysfonctionnementstouchant à la fonctionjuridique, l’application du droit positif et sonadéquationaux structuresadministratives.

4) La Chancellerie,ministère du droit privé etdu droit pénal.

Attribuer à la Chancellerie, la respon-sabilité d’élaborerle droit privé et ledroitpénal, le cas échéanten collaborationavecle ministère technique, promoteur delaréforme.

5) Désigner une administration ou unétablissement public dépositaire desrapports et études demandés par leGouvernement,à charge pour ce serviced’en diffuser la liste aux administrations etdemettre cesdocumentsà leur disposition.

6) Prévoir la facultépour le Gouvernementde saisir pour avis en matièrededroit privéet de droit pénal leparquetgénéral prèslaCour de cassation.

Améliorer les méthodes detravail

1) Faire remonterla place du juriste de laphase finale contentieuse, enamont,jusqu’à l’associer à l’élaboration de lastratégiede l’administration.

2) Mettre en mesurele Conseil d’État dedésigner le pré-rapporteur d’unprojetchaque fois qu’il s’agit d’une réformecomplexe et importante.

3) Faire davantage appelaux professeursde droit.

4) S’assurer des conditionsqui donnentleurefficience auxétudes d’impactdestinéesàargumenter les projetsde textes.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 116: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

- plus attentif aurôle de la mémoire

- plus confiant à l’égard descapacitésinnovantes de l’administration

Présence demagistrats au seindes administrations centrales

Rapprocher les juristes des gestionnaires

Sensibiliserau droit

Professionnaliserla fonction juridique

5) Évaluer l’impact d’une réforme entréeen vigueur :- par des réunions périodiquesentreservices centrauxet services territoriaux ;- par l’élaboration d’étudesd’impactrelatives aux textes adoptés.

6) Reconstituer,au sein des services, desbureaux d’ordre qui conservent lamémoiredes dossiers.

7) Reconnaîtrele rôle de « forcede propo-sition » de l’administration.

8) Ne pasrecourir systématiquementà despersonnalités extérieuresà l’administrationpour mener àbien des missions d’étudesetfaire des propositionsde réforme.

Gestion des ressourceshumaines

1) Créerun cadre de magistratsaux admi-nistrations centrales par extensiondu cadreexistant des magistratsà l’administrationcentraledu ministère dela Justice (effectifsactuels : 165 ;effectifs proposés : 285).

2) Développer les possibilitésde déta-chement et de mise à disposition pourdévelopper une connaissance pratiquedudroit.

Développer :- l’accueil desfonctionnairesà la Chancel-lerie, y compris dans les services deconceptiondu droit ;- le recrutement,par la voie latérale, demagistrats parmi les personnes issuesd’autres corps del’État ;- le recrutement,à titre extraordinaire,despécialistes.

3) Évaluer l ’enseignement du droitdispensédans lesécoles formant lescadresadministratifs au regard des besoinsexpriméspar les administrations d’accueil.

4) Développer l ’enseignement del’introduction au droit, et notamment audroit privé :- en vue desconcoursd’accèsà la fonctionpublique ;- par la formation continue.

5) Instituer une certaine stabilitéfonctionnelle parmi les cadresdes « pôlesjuridiques».

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 117: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Simplifier l’accès au droit

Instaurerdes relations confiantes

Rendre plus rigoureuses les relationsde l’administration avec ses usagers

Inciter les citoyens àmieux connaîtrele droit pour la défensede leurs intérêts

Promouvoir :

- un système plus logique etplus simple

- une meilleure corrélationentre ces deux fonctions

Redéfinir le périmètre natureldu juge

Améliorer les relationsavec les usagers dudroit.(Les publics spécialisés)

1) Présenter systématiquement le texteconsolidé, en accompagnement de samodification.

2) S’assurer queles pôlesjuridiques aientdes relations habituelleset confiantes avecles représentants des « forces vives ».

3) Saisir l’opportunité de l’élaborationdechartesde l’administration pour soulignerla place des principes juridiques etdéontologiques.

4) Accorder la déductibilité desrevenusimposables à la rémunération desauxiliaires de justice.

Fonction juridiqueet fonction juridictionnelle

1) Tendre, dans le cours général desréformes, vers l’unité du droit (droitpublic/droit privé).

2) Évaluer l’impact des réformes surlefonctionnementde la justice.

3) Évaluer les moyens nécessairesà l’Étatpour faire face aux contraintes nouvellesprocédantdes réformes.

4) Veiller à ce que le recoursà desalternativesà la justice ne méconnaissepasl’ordre public et ne porte pas atteinte à lalégitimité du juge.

5) Éviter de créer deschamps de concur-rence entre l’administrationet la justice.

6) Ne pas affaiblir l’autorité de la justicepar des textes qui rendent son action moinsefficace et quirelativisent la portéede sesdécisions.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 118: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

L’État-statègedoit mieux s’acquitterde son devoirde communicationet de vulgarisation de sa productionnormative

Chartes des administrations

Bases télématiques de données juridiques

Fonction juridiqueet communication

1)

a) Établir un plan de communication quiprécise les opérations de suivi etd’évaluation, la production de toutdocument, les prestations de toutenaturevoire les campagnes d’information.Veillerà ce que la stratégie de communicationentre les niveaux de conception etopérationnelne reposepasessentiellementsur le principe d’autorité. Insérer ce plandans ledossierde présentationdu projet deréforme.

b) Dresser l’inventaire des actions decommunication destinées d’unepart auxservices opérateurset d’autre part auxpublics concernés.

2)

a) Développer lerôle de soutien et deconseil des chambresrégionales descomptes.

b) Développer le soutien juridique au profitdes préfetsen faisant appelaux membresvolontaires des tribunaux administratifsetaux professeursde droit.

c) Développer les procédurespermettantd’apporter aux interlocuteurs del’admi-nistration desprécisions sur le sens et laportée que celle-cidonne à une normenouvelle.

3) Adapter le concept de charteà chaqueadministration pour définir à la fois un« projet d’entreprise » etles droits et obli-gationsde l’administration et des usagers

4) Inciter à développer des systèmesplusconviviaux », moins coûteuxet compa-tibles avecle droit de la concurrence.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 119: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Index

Authiez-Revuz (Jacqueline), Ces mots qui nevont pas desoi,boucles réflexives etnon-coïncidencedu dire, édition Larousse,citéep. 18.

Badinter (Robert), cité p. 112.

Balladur (Édouard), extrait du discours prononcéle 8 novem-bre 1993, lorsde l’installation de la Commission supérieurede codifica-tion, cité p. 32.

Barjavel (René), La Faim du tigre, cité p. 20.

Barrot (Jacques), cité p. 66.

Bignon (Jérôme), mission surles problèmes généraux liésàl’application des lois,L’insoutenable légèreté de la loi, (en collaborationavec François Sauvadet),cité p. 82.

Braibant (Guy), le bilan de la codification deslois et desdécrets, « Quandle droit est remis en ordre »,le Figaro, 13-14 juillet1996, citép. 94.

Cabannes (Jean),cité p. 112.

Carbonnier (Jean), Droit et passion du droit sous la VeRépublique,édition Flammarion,cité p. 22, 31.

Catala (Pierre), cité p. 60.

Chartier (Yves), rapporteurgénéraldu rapport d’activité pour1995 de la Cour de cassation,cité p. 65.

Chevallier (Jacques), cité p. 59.

Cohen-Tanugi (Laurent), article «L’État et le systèmejuri-dique », (en collaboration avecJoëlle Simon), in Pour un État moderne,édition Plon, cité p. 42, 104.

Cossin (Jean-Pierre),Revuedu centre d’informationcivique,cité p. 89.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 120: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Coulon (Jean-Marie), cité p. 51.

Courson de (Charles), Lesfraudes et lespratiques abusives,rapport remisau Premier ministrele 9 mai 1996, (en collaborationavecJean-Louis Léonard), éditionLa Documentation française, citép. 37.

Coussirou (Jean),cité p. 112.

Denoix de Saint Marc (Renaud), « Droit communautaireetdroits nationaux : L’idée d’un Conseil d’État européen », entretienau,Figaro du 6-7 avril 1996, citép. 42, 104.

Devedjian (Patrick), Le tempsdesjuges, édition Flammarion,cité p. 24.

Dumas (Roland), cité p. 112.

Ferenczi (Thomas),« Les incertitudesdu progrès», Le Mondedu 20 août 1996, citép. 30.

Ferry (Luc), L’Homme-Dieu ou le sens de la vie, éditionGrasset,cité p. 28.

Fillon (François), cité p. 38.

Foucault (Michel), cité p. 21.

Gaillard (Jean-Michel), « Les élitespubliques :la crise dumodèle français »,Revue politique etparlementaire,novembre-décembre1995,cité p. 90.

Gallot (Didier), Les automobilistespolitiquement incorrects,(en collaboration avecJeande Maillard), édition Albin Michel, cité p. 60.

Garapon (Antoine), Le gardien des promesses. justice etdémocratie,édition Odile Jacob,cité p. 57.

Guichard (Olivier), cité p. 11.

Kriegel (Blandine), « L’alliance abusiveavec les médias »dansle cadre dudébat dela place dela justice dansla société »,le Figarodu 15 février 1996, citée p. 53.

Larche (Jacques),cité p. 70.

Latournerie (Marie-Aimée), rapport « La participation dejuristes universitaires aux activités desadministrations et des juridictionsadministratives »,citée p. 76.

Lebris (Raymond-François), cité p. 114.

Léonard (Jean-Louis), Les fraudes et les pratiques abusives,rapport remis au Premier ministrele 9 mai 1996 (encollaborationavecCharlesde Courson,cité p. 37.

Long (Marceau), cité p. 48, 112.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 121: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Maillard de (Jean), Les automobilistespolitiquement incor-rects, (en collaboration avec Didier Gallot),édition Albin Michel, citép. 60.

Maus (Didier), « Le Conseil constitutionnel, arbitre légi-time », le Figaro du 3 septembre 1996, citép. 68.

Monassier (Bernard), « La techniquede la defeasance »,Revue Droit et patrimoine,janvier 1996, citép. 45.

Nillson (Kjelb), cité p. 34.

Ormesson d’(Jean), « Les tentations meurtrièresdu cynismeet de l’angélisme », (LiPeng, nos chômeurset les droitsde l’homme), leFigaro du 15 avril 1996, cité p. 21.

Pateyron (Emmanuel), Nouvelles technologiesde l’informa-tion et l’entreprise, (en collaboration avec Robert Salmon, éditionÉconomica, gestion poche,cité p. 86.

Perben (Dominique), communication en Conseil des ministresdu 21 février 1996,cité p. 42, 92.

Picq (Jean), président dela mission sur les responsabilitésetl’organisation de l’État, L’État en France, édition La Documentationfrançaise, 1995,cité p. 97.

Raffarin (Jean-Pierre), Économie : avantages auxservices,le Figaro du 20 août 1996, citép. 27.

Ricoeur (Paul), cité p. 59.

Royer-Collard, cité p. 34.

Ruffin (Michel), Protection de la jeunesse et délinquancejuvénile, édition La Documentation française, 1996,cité p. 54.

Sauvadet (François), mission sur les problèmes généraux liésà l’application deslois, L’insoutenablelégèretéde la loi, (en collaborationavecJérômeBignon), cité p. 82.

Schapira (Pierre), « Défense du conceptuel »,Le Monde du26 août 1996, cité p. 87.

Schrameck (Olivier), cité p. 113.

Simon (Joëlle), article «L’État et le système juridique » (encollaboration avec Laurent Cohen-Tanugi),in Pour un État moderne,édition Plon, citéep. 42, 104.

Slama (Alain-Gérard), « Malaisedans la justice », le Figarodu 9 mai 1996, « L’abus des médiateurs »,le Figaro, mars 1996,citép. 47, 54.

Sulzer (Jean-Richard), cité p. 95.

Supiot (Alain), Le Mondedu 26 juin 1996, citép. 31.

Tagbarah (Bahige), cité p. 26.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 122: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Terre (François), « L’américanisation etle droit français »,Revuede philosophie politiquen˚ 7, 1995, citép. 68.

Toubon (Jacques), M. Toubon, prône la dépénalisation,legarde des Sceaux souhaite« substituer une logiquede responsabilitéàune logique de culpabilité »notammenten matière économique,le Figarodu 22 mars 1996, citép. 29, 51, 117.

Vatier (Bernard), cité p. 26.

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 123: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

Table des matières

Sommaire 5

Le droit du côté de la v ieRéflexions surla fonction juridique de l’État

Introduction

Chapitre 1Quelques réflexionssur la production normativede l’EtatProgrès, droit, production normativeDes lois pour qui ?Publics spécialisésLa phasepréparatoire d’une norme etle tempsLe verbe et l’ÉtatLa croyancedans lesressources dela production normativeLes racinesdu droitLe périmètre incertaindu droit- De queldroit s’agit-il ?- Le droit et la loiLa difficulté de la fonction juridique : chaquenormefaitpartie d’un toutLe droit : élément del’actif nationalLe droit : élément dupassif nationalValoriser le sens etla paternité dela productionnormativeFonction politique et fonction juridiqueLégitimer la normeLe droit du côté de la vieDes règlesnombreuses,tatillonnes,complexes etobscures- Des règles nombreuses

7

9

1314151617181920222223

242526272929313232

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 124: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

- Des règles tatillonnes- Des règles complexes

Lorsque l’accroissement durôle du juge et le durcissementdes règles de procédure sont présentés commeune meilleure protection des libertés individuelles

. Lorsquel’usage se transformeen norme écrite. Lorsquele virtuel s’inscrit dans la penséejuridique. Lorsque les libertés individuellessont concernées

par les technologies duvirtuel. Lorsque la complexitéde la norme tend àassurer

la représentativité des intermédiaires entre lespublicsspécialisés et lesPouvoirspublics

. Plaidoyer pour la complexité- Des règlesobscuresRéglementationet auto-contrôleLa norme et le déclin de l’autorité. Le déclin de la relation d’autorité contribue àl’expansion

de la norme. Où la réglementationest le fruit d’un consensusincertain

sur la valeur desprincipes. Où le déclin de l’autorité de l’État entraînecelui

de la normeLa communauté de destin des productions normativesnationale et européenneLe modèle del’étrangerLa vie internationale etla marge demanoeuvre del’Étatproducteur de normesLa création denouveauxconceptsjuridiques ne peut laisserl’État indifférent

C h a p i t r e 2Fonction juridique -fonct ion jur idict ionnel leVers l’unité du droitVers l’unité des ordresjuridictionnels ?Production normativeet accès àla justiceL’héritage deColbertMontée enpuissance dujuge pénal et production normativeUne nouvelle culture juridique :prendre la loi au sérieuxLe droit pénal :le pouvoir éxécutif et l’autorité judiciaireForce doit rester àla loi : le double langage dela médiation- Le médiateur dela RépubliqueUn cas classique dedélégitimation dela justicepar la concurrence desnormesapplicables etla confusiondes rôlesentreadministrationet justice« État gouvernement »et juge : sourcesnormativescomplémentaires et concurrentes

Chapitre 3Les structures cent ra les de l’Étatet la fonction juridiqueConstituer unpôle juridique ausein dechaqueadministrationcentrale- Fonction de soutien

3335

353636

38

3839394041

41

41

41

4244

44

45

47484951535457586061

62

65

67

6969

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 125: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

- Force deproposition- Un investissement delongue haleine

- Relation de confiance avecle ministre- Une direction...- ... dotée d’effectifs peu nombreux- ... ouverte surle monde du droit- Modèles existantsPrésence dela culture dudroit privé au Conseil d’Étatet au Secrétariat généraldu GouvernementContrôle juridiqueLa fonction juridique del’État et les professeurs dedroitLes avis demandés par lesjuridictions à leur Cour suprêmerespectiveLes questions posées parle Gouvernement auConseil d’ÉtatLes questions quedevrait pouvoir poser le Gouvernementau Parquetgénéral prèsla Cour de cassationLa « babélisation »du droit et la chancellerieLes études d’impact préalables àla réforme- Le cas dela grandedistribution- L’intérêt du questionnement :cernerla problématiqueLes études d’impact après la réforme

Chapitre 4Fonction juridique et communicationProductionnormative et communication- La norme et l’instruction civique- La démarcheexplicative et persuasiveCommunicationjuridique : cabinetsministériels et servicesLorsque la circulaire éclairele sens dela loiCodifier : mettrede l’ordre et changerle droitLa contribution des Journauxofficiels à la fonction publiquede l’État-Production papier- Les basestélématiques dedonnéesjuridiques- Participationà la consolidationdestextesmodifiésAutres accèsinformatisésau droit- Initiatives du conseil d’État- Initiatives privéesLes missionsd’étudeset les administrationsPourquoila production normativeest-elle parfoisdécevante ?Un trait d’union entre la lecture etl’application de la normeChartre del’administration

Chapitre 5Gestion des ressources humainesSensibiliser lespersonnels àl’importance stratégique dudroit- Par le travail de la mémoire- Par une pratiquequi donnedu droit une vision innovante- Par la recherche de synergies

- Par unevéritable place faite à la formation au droit- Homogénéiserla qualité de la fonction juridique

70717171717272

737475

7778

787981818283

85868787889092

959595959696969798

100102

103103105106107107108

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.

Page 126: Vie publique : au coeur du débat public - Le droit du …...Introduction Le droit joue un rôle croissant dans notre société. Le temps de la responsabilité a succédé à celui

- Les magistrats etla fonction juridique de l’État- Magistratsauprès desadministrationscentrales del’ÉtatL’introduction au droit : contribution indispensable àlaformation des fonctionnairesassociés àla productionnormativeLes analyses duConseil d’État (rapport du 21avril 1988)Contribution de l’École nationaled’administrationà la formation au droitFormation continue

Conclusion

Synthèses d e spr incipalesp ropos i t i ons

Index

1 0 81 1 0

1 1 21 1 3

1 1 41 1 5

1 1 7

1 1 9

1 2 5

La documentation Française : Le Droit du côté de la vie : réflexions sur la fonction juridique de l,Etat : rapport au Premier ministre / Patrice Maynial.