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Vers une prise en compte de l’environnement sonore ordinaire :
proposition d’une méthode d’évaluation de la
qualité de l’espace public
Solène MARRYDoctorante Cifre au CSTB Département Acoustique et
Eclairage / Pôle Acoustique Environnementale et Urbaine
Doctorat Urbanisme spécialité Aménagement
Ecole doctorale Sciences de l’Homme, du Politique et du
Territoire SHPT 454
Laboratoire Pacte Territoire
Directeur de thèse : Yves CHALAS, Professeur en
Urbanisme
Encadrante entreprise : Marine BAULAC, Ingénieur
Docteur en Acoustique
Définition des termes du sujet :
-Ambiance : « situation d’interaction sensible (sensorielle et signifiante)
entre la réalité matérielle architecturale et urbaine et sa
représentation sociale, technique et/ou esthétique » [Lévy, Lussault,
2003].
Le laboratoire CRESSON (Centre de recherche sur l’espace sonore et
l’environnement urbain) a largement travaillé sur l’ambiance sonore
ordinaire des espaces publics.
La question des ambiances est une manière d’aborder
l’environnement urbain par les situations quotidiennes, l’In Situ.
Les ambiances urbaines sont perçues par l’ensemble des sens même
si, bien souvent, les sens sont hiérarchisés dans l’espace public (la vue
passant avant l’ouïe par exemple), le sonore étant souvent
appréhendé en tant qu’élément résiduel d’une intervention
aménagiste, architecturale ou urbanistique.
- Espace public :
Creuset de l’urbanité, appropriable par tous, lieu de l’anonymat.
Sansot (1980), stipule la positivité de l’anonymat ; Quéré (1993) parle de
l’ « indifférence mutuelle des passants » comme fondement de l’urbanité.
L’espace perçu a beaucoup été utilisé en géographie de la perception
(Brunet, 2001).
Etymologiquement, public dérive de publicus en latin, issu de pubes,
population masculine en âge de délibérer et de populus, peuple.
De manière simple, l’espace public urbain peut être défini, plus simplement,
comme l’espace ressortissant strictement de la sphère publique, c’est-à-dire
comme tout espace n’appartenant pas à une « personne de droit privé »
[Lévy, Lussault, 2003].
L’expression « espace public » est à manier avec précaution ; son pluriel
n’étant pas la correspondance exacte de son singulier.
L’ « espace public » a trait à la philosophie politique alors que « les espaces
publics » se rattachent à la vision urbanistique.
En sciences politiques, c’est J. Habermas, qui (dans sa thèse, publiée en
Allemagne en 1962, intitulée « espace public »,) explicite l’émergence de
cette notion en tant qu’opinion publique.
La traduction française de sa thèse lui apposant le titre d’ « espace public »
introduit un glissement sémantique de la sphère publique à l’espace
public.
Pour le philosophe M. Hénaff, l’espace public est l’espace civique du bien
commun et s’oppose à l’espace privé et aux intérêts particuliers [Hénaff,
2008].
Dans les années 1980, les urbanistes se sont approprié la notion d’espace
public. En urbanisme la notion d’espace public a progressivement
remplacé celles de lieu public et de place publique dans le langage des
aménageurs, mais aussi des élus.
Dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés,
coordonné par J. Lévy et M. Lussault [Lévy, Lussault, 2003], la difficulté à
s’entendre sur ce terme est soulignée.
- Son :
E. Lecourt caractérise le son par son côté « fugitif », insaisissable, par son
immatérialité et par la difficulté à en percevoir les limites.
Ce qui nous amène à caractériser le son par la temporalité : selon les termes
de J-F Augoyard, « par nature, le son est du temps qualifié » [Augoyard, 1991].
Mais l’existence du son n’est finalement révélée que si ce signal sonore est
entendu, perçu.
La gêne est plus souvent évoquée que la qualité sonore des lieux et reflète le
rapport conflictuel aux sons comme caractéristique sociétale.
La notion de bruit est finalement ambivalente ; O. Balaÿ nous rappelle que « sa
présence insupporte, mais son absence aussi » [Barraqué, 2004].
L’absence totale de son étant inexistante, le silence ne se qualifie que par
une comparaison subjective et contextualisée. E. Lecourt nous rappelle qu’ « il
n’existe pas de silence acoustique, d’absence totale de bruit, et [que]
chacun de nous a une catégorie « silence » très différente de celle du voisin. »
[Lecourt, 2008].
Parler d’environnement sonore relève donc de la tautologie et pointe le retard
du domaine du sonore dans l’idéologie ambiante.
Jeu d’hypothèses :
les déterminants de la perception de l’ambiance sonore d’un
espace public sont multiples et hétérogènes ;
paramètres spatiaux, temporels, sensoriels, individuels, et pratiques spatiales influent sur la perception sonore d’un lieu ;
l’évolutivité spatiale (aménagements urbains, rénovation) ainsi
que l’évolutivité des pratiques et usages d’un espace public
impactent la perception sonore de celui-ci ;
l’aménagement spatial d’un espace public est primordial pour
l’ambiance sonore et ce, non pas d’un point de vue
uniquement acoustique, mais du point de vue d’une perception
synesthésique.
La catégorisation élaborée dans le cadre de cette thèse, nous
semble pouvoir être la suivante : temporalité, spatialité, sensorialité,
pratiques et individualité.
Ces grandes catégories ne doivent pas occulter la multitude de
sous-catégories et leurs interactions.
Quelques chiffres
29 enquêtés : 2 saisonnalités, 3 terrains
174 questionnaires
513 photographies
18 focus group in situ
29 entretiens individuels hors contexte
La perception sonore est-elle influencée par la
morphologie spatiale et la typologie urbaine
de ces trois places ?
Choix des terrains :
Choix d’une typologie
d’espace public :
la « place » :
- originellement à la base
du concept d’espace
public (agora grecque),
- délimitation spatiale claire,
identifiable,
- représentations mentales
fortes.
Critères de sélection : « Places »
dissemblables :
- morphologie spatiale : ouverture,
taille, forme,
- degré de centralité urbaine
(localisation spatiale, attractivité,
animation, réputation du quartier,
historicité urbaine),
- environnement urbain
(morphologie du quartier,
conception urbaine, densité du
tissu urbain, typologie d’habitat,
profil sociologique de la
population),
- caractéristiques du lieu
(présence de végétation, d’eau,
mise en lumière, traitement
artistique, proximité de différents
modes de déplacements).
Place centrale
Place Mistral-Eaux-Claires
Place des Tilleuls
Place Centrale, domaine universitaire,
Saint-Martin-d’Hères
Place Mistral-Eaux-Claires, ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) en ZUS (Zone Urbaine Sensible) quartier Mistral-Eaux-Claires, Grenoble
Place des Tilleuls, centre urbain historique, Grenoble
Protocole méthodologique effectué:
-entretiens collectifs in situ
triangulation méthodologique : questionnaire, prise de photographies, entretien de groupe
- mesures acoustiques physiques : points et parcours (tirés des parcours des enquêtés) aux deux mêmes saisonnalités, le même jour de la semaine et aux mêmes heures que pour la passation des entretiens,
- entretiens individuels hors contexte avec chacun des trente enquêtés : entretiens non directifs (sur les pratiques, les représentations de l’environnement sonore…), commentaires des photographies prises aux deux saisonnalités, cartes mentales sonores, méthode du réseau associatif.
Entretien collectif in situ, groupe B, Place des Tilleuls, 12 septembre 2009.
Fondements théoriques :
- méthodologie basée sur le paradigme qualitativiste et la sociologie
compréhensive (subjectivité du sujet traité),
- méthode réactive (recueil d’informations basée sur la présence de
l’analyste), fondée sur l’enquête,
- cognitivisme : les données physiques observables sont traitées et
transformées en informations symbolisées (représentations),
- comparaison entre enquête perceptive et mesures acoustiques
physiques: association disciplinaire.
Complémentarité des méthodes d’enquête :
Une même enquête peut être basée sur un protocole cumulant
entretiens collectifs et entretiens individuels.
Ce cumul se justifie aisément [Duchesne, Haegel, 2004] par la
complémentarité de ces deux types d’entretiens.
S. Duchesne et F. Haegel insistent sur le peu d’études utilisant les
deux méthodes auprès des mêmes personnes, ce qui permet
pourtant de comparer les propos tenus en groupe (ici qui plus est,
in situ) et ceux livrés en face à face.
Ce sont bien les mêmes personnes qui participent aux trois
entretiens, et ce afin de pouvoir compléter les perceptions issues
des entretiens in situ par un entretien individuel approfondi sur les
représentations: (rémunération à l’issue des entretiens).
Analyse de données et analyse de contenu :
- corpus de données de différentes natures,
- analyse statistique des questions fermées des questionnaires in situ avec SPAD,
- ces trente dernières années, l’analyse de discours s’est accompagnée du développement d’outils informatiques. la tradition anglo-saxonne a développé des logiciels « outils », qui nécessitent l’analyse qualitative du corpus par le chercheur. Ces logiciels, appelés CAQDAS(Computer Aided Qualitative Data Analysis), facilitent la gestion et l’analyse du corpus, ainsi que le codage des données,
→ le logiciel Nvivo permet de traiter non seulement des données textuelles, mais aussi des images voire des enregistrements audio. Cet outil est donc particulièrement adapté à notre méthode de recueil de données de différentes natures (photographies, cartes mentales, etc…).Un codage qualitatif est particulièrement adapté aux entretiens collectifs ; en effet, il correspond à l’élaboration de catégories de codage fines.
- dans la tradition française, l’analyse des correspondances a donné lieu à des logiciels traitant eux-mêmes les données textuelles (analyse linguistique lexicale, morphosyntaxique ou sémantique). Complément d’analyse avec le logiciel Sphinx Lexica.
Questionnaires in situ
Occurrence des 5 mots choisis pour décrire les Places
0
5
10
15
20
25
30
Septembre
Décembre
Questionnaires in situ
Agréable Ni l'un, ni l'autre Désagréable
Ambiance sonore: Agréable 80 23 6
Ambiance sonore: Neutre 2 11 13
Ambiance sonore : Désagréable 4 9 23
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
Ambiance Visuelle
La dépendance est très significative. chi2 = 85,79, ddl = 9, 1-p = >99,99%.Les cases encadrées en noir (gris) sont celles pour lesquelles l'effectif réel est nettement supérieur (inférieur) à l'effectif théorique.Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
Focus groups in situ
0
5
10
15
20
25
30
35
40
agréable calme urbain bruyant beau sonore moderne
Adjectifs utilisés lors des Focus Groups - par Mois
Septembre
Décembre
Différences significatives selon le mois
Les formes urbaines impactent la
propagation du bruit en milieu
urbain.
Impactent-elles aussi la perception
de l’ambiance sonore ?
L’ambiance sonore dépendante
des temporalités de l’espace
public :
Un même espace public peut
connaître des ambiances sonores
très diverses, entre la présence du
marché, le calme du milieu
d’après-midi et l’animation
nocturne par exemple.
Les ambiances sonores se
succèdent et fluctuent donc
pendant un nycthémère (durée de
vingt quatre heures qui comporte
un jour et une nuit).
Par ailleurs, selon le moment de la
journée la perception et la
sensibilité aux sons est variable. S.
Ledentu nous affirme que « nous
écoutons différemment selon les
moments de la journée » [Ledentu,
2006].
Evolutivité des fonctions, des pratiques
et de l’ambiance sonore d’un espace
public :
Diverses évolutions sociétales ou
législatives engendrent des mutations
dans l’appropriation et l’usage des
espaces publics ayant des
conséquences non négligeables sur
l’ambiance voire le niveau sonore de
certains espaces.
Les représentations collectives de la place idéale, étudiées par P.
Korosec-Serfaty, s’orientent vers le thème de la rencontre (38% des
items), de l’idéal de sociabilité. Cet idéal est opposé à la réalité vécue,
celle de la ségrégation, de l’anonymat.
La place idéale est également « calme », « intime » et « reposante »
[Korosec-Serfaty, 1982].
Un paradoxe est à souligner dans la représentation de la place idéale, à
la fois calme et animée.
Concernant l’espace urbain, la perception sonore d’une ville, d’un
quartier, d’un îlot ou d’un espace public, l’impression découle de traits
marquants que l’on assimile ou compare à d’autres lieux dont on a eu
l’expérience antérieurement.
L’expérience passée, quelle soit spatiale mais aussi sonore, constitue le
vécu urbain qui détermine la perception actuelle.
Notre rapport à l’espace public sonore ordinaire n’est-il finalement
pas schizophrène ?
L’espace public, lieu de l’animation, est simultanément associé à
une présence sonore bruyante, donc inhabitable. Cette présence
sonore peut engendrer des conflits entre habitants et usagers dans
les centres urbains.
L’animation urbaine est-elle pour autant à la base d’aménagements
urbains spécifiques ? Les aménagements peuvent être pensés en
fonction des usages prévus et de leur impact sur l’ambiance sonore
dans les espaces publics.
Les représentations du « bruit » impactent les comportements
spatiaux, de stratégie résidentielle et de relation au lieu.
Nécessité pour les urbanistes de prendre en compte
l’environnement sonore qui façonne les pratiques spatiales urbaines:
lieu et type d’habitat, mode et trajectoires de déplacement…