vers un droit des contrats modernisé et mieux adapté à la vie des

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VERS UN DROIT DES CONTRATS MODERNISE ET MIEUX ADAPTE A LA VIE DES AFFAIRES -------------- Réaction de la CCIP à la consultation de la Chancellerie de juillet 2008 Rapport présenté par Monsieur Didier KLING au nom de la Commission du droit de l‘entreprise et adopté à l’Assemblée générale du 9 octobre 2008

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VERS UN DROIT DES CONTRATS MODERNISE ET MIEUX ADAPTE A LA VIE DES AFFAIRES

-------------- Réaction de la CCIP à la consultation de la Chancellerie

de juillet 2008

Rapport présenté par Monsieur Didier KLING au nom de la Commission du droit de l‘entreprise

et adopté à l’Assemblée générale du 9 octobre 2008

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SOMMAIRE

I – LA CONSÉCRATION LÉGALE D’ACQUIS JURISPRUDENTIELS 8

A – PACTES DE PREFERENCE 8 1) Projet de réforme (article 35) 8 2) Observations de la CCIP 8

B – OBLIGATION PREALABLE D’INFORMATION 11

1) Projet de réforme (article 50) 11 2) Observations de la CCIP 12

C – DETERMINATION UNILATERALE DU PRIX 12

1) Projet de réforme (articles 81 et 82) 12 2) Observations de la CCIP 13

II – DES INNOVATIONS POUR UN DROIT PLUS PRAGMATIQUE 15

A - PRINCIPES DIRECTEURS DU DROIT DES CONTRATS 15 1) Projet de réforme (articles 15 à 18) 15 2) Observations de la CCIP 16

B – CAUSE 16

1) Projet de réforme (articles 85 à 87) 16 2) Observations de la CCIP 17

C – RETRACTATION DE L’OFFRE 18

1) Projet de réforme (articles 25 à 27) 18 2) Observations de la CCIP 19

D - VIOLENCE ECONOMIQUE 20

1) Projet de réforme (article 63) 20 2) Observations de la CCIP 21

E – EFFETS DU CONTRAT A L’EGARD DES TIERS 21

1) Projet de réforme (article 138) 21 2) Observations de la CCIP 22

F - REVISION POUR IMPREVISION 23

1) Projet de réforme (article 136) 23 2) Observations de la CCIP 23

G - RESOLUTION DU CONTRAT 26

1) Projet de réforme (articles 168 et 169) 26 2) Observations de la CCIP 27

H – EXCEPTION D’INEXECUTION 30

1) Projet de réforme (article 160) 30 2/ Observations de la CCIP 30

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SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS

1) Sur le pacte de préférence

- En cas de violation d’un tel pacte, sanctionner le contrat conclu avec un tiers de mauvaise foi (celle-ci étant établie par sa connaissance du pacte), alternativement, soit par la nullité, soit par la substitution du bénéficiaire du pacte, le tout sans préjudice d’éventuels dommages et intérêts.

- En l’absence de mauvaise foi du tiers, engager la responsabilité du seul promettant.

2) Sur la détermination unilatérale du prix En cas de contestation - qui devra être faite par écrit avec avis de réception -, préciser que le créancier est tenu d’en justifier le montant à première demande. Dans l’hypothèse d’un prix manifestement abusif, prévoir que le débiteur peut saisir le juge aux fins d’en ordonner une renégociation. En l’absence d’accord des parties, le juge peut lui substituer un prix raisonnable ou prononcer la résolution du contrat.

3) Sur la cause Substituer à la notion d’intérêt au contrat la notion de justification de l’engagement contractuel.

4) Sur la rétractation de l’offre Prévoir que la rétractation d’une offre faite à personne déterminée avant le terme du délai expressément prévu, ne peut empêcher la formation du contrat. En effet, la seule sanction de la responsabilité de l’auteur de la rétractation semble insuffisante : la sécurité de la vie économique implique de ne pas pouvoir se désengager trop facilement, en « calculant » le coût de la rétractation.

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5) Sur la violence économique

Pour éviter une multiplication des contentieux, assortir le dispositif envisagé d’un encadrement renforcé, en précisant :

- que sa mise en œuvre nécessite de constater un état de dépendance « caractérisé », - qu’un « avantage manifestement excessif » doit impérativement être identifié.

6) Sur les effets du contrat à l’égard des tiers

Pour limiter les atteintes au principe de l’effet relatif des contrats, prévoir que la seule existence d’un dommage subi par un tiers du fait de l’inexécution d’une obligation par un contractant n’engage pas la responsabilité délictuelle de celui-ci à l’égard du tiers.

7) Sur la révision pour imprévision

- Instaurer une véritable obligation de renégocier le contrat lorsque survient un changement de circonstances répondant à de strictes conditions : imprévisible, insurmontable, extérieur aux parties et postérieur à la conclusion du contrat.

- En cas d’échec de la renégociation, accorder au juge le pouvoir d’adapter le contrat, sur saisine de l’une ou l’autre des parties, en se fondant sur les « attentes légitimes des parties ».

8) Sur la résolution unilatérale du contrat

- Ne pas limiter l’applicabilité du dispositif à la seule hypothèse – trop restrictive – de la perte de l’intérêt au contrat : préférer la condition d’une « inexécution essentielle du débiteur ».

- Préciser que le « délai raisonnable », dans lequel le débiteur est mis en demeure de s’exécuter, doit s’apprécier « eu égard à la nature du contrat et à l’activité des parties ».

- Dispenser le créancier de recourir au mécanisme de la mise en demeure lorsque l’inexécution est définitive ou s’il y a urgence.

- Prévoir dans le texte que la résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni les clauses de confidentialité et de non-concurrence.

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9) Sur l’exception d’inexécution

Approuver l’insertion de l’exception d’inexécution dans le code civil mais en l’encadrant davantage :

- ajouter une condition d’absence de disproportion entre le manquement qui justifie l’exception et les conséquences de l’inexécution ; - admettre l’exception d’inexécution anticipée dès lors qu’il est manifeste que l’autre partie ne pourra pas satisfaire son obligation essentielle.

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INTRODUCTION Dès l’étape fondamentale de l’avant-projet de réforme dit « Catala », la CCIP avait tenu à insister sur l’opportunité – et même la nécessité – de réformer notre droit des contrats. En effet, l’enjeu d’une telle modernisation ne se situe pas seulement sur un plan strictement juridique, mais s’appréhende également en termes de compétitivité de notre système juridique et d’attractivité de notre territoire. Autrement dit, l’impact et les retombées économiques attendus d’une telle réforme sont loin d’être négligeables. Ce constat est d’autant plus vrai qu’au-delà du contexte national, la construction européenne prend une place de premier plan dans l’évolution du droit des contrats. A l’heure où plusieurs projets d’élaboration d’un droit européen sont en cours, la position adoptée par notre droit national s’avère déterminante. Or, cette réforme apparaît bien comme le résultat d’une confrontation des réflexions menées à l’échelle européenne, en particulier le projet Gandolfi de code européen, les Principes du droit européen des contrats, ou encore les principes Unidroit. Aujourd’hui, sur la base précieuse des travaux du groupe Catala mais aussi de nombreuses autres réflexions - dont celles de l’Institut de France1 ou encore de la CCIP2 -, la Chancellerie a élaboré un projet de réforme, soumis à consultation de place en juillet dernier. L’économie générale du projet est clairement guidée par deux idées phares, vivement soutenues par la CCIP :

dans le souci d’une meilleure lisibilité de notre droit, la structure du texte suit une nouvelle logique, reprenant chronologiquement les différentes étapes de la vie du contrat. Par ailleurs, le projet répond aussi à cette préoccupation en légalisant des acquis jurisprudentiels désormais bien établis (I) ;

1 La CCIP est membre du groupe de travail de l’Institut de France, présidé par le Professeur François Terré et dédié à la réforme du droit des contrats. Elle y a été représentée par son Directeur du pôle de politique législative et juridique. 2 On soulignera que la grande majorité des évolutions envisagées dans le projet de loi ici étudié s’inscrivent dans le prolongement de propositions de réforme qui avaient été suggérées par la CCIP à partir des réflexions d’un groupe de travail (Jean-Pierre Ancel, Président de la première chambre civile de la Cour de cassation ; Bénédicte Fauvarque-Cosson, Laurent Leveneur et Denis Mazeaud, Professeurs de droit privé à l’université Paris II Panthéon-Assas ; Jean-Jacques Guilhem, Directeur juridique adjoint du groupe Lagardère ; Daniel Carton, Avocat au Bureau Francis Lefèbvre ; Anne Outin-Adam, Directeur des études juridiques à la CCIP ; Anne-Marie Reita-Tran, Chargée d’études et de recherches à la CCIP) ; cf. rapport de M. Kling du 19 octobre 2006, « Pour une réforme du droit des contrats et de la prescription conforme aux besoins de la vie des affaires - Réactions de la CCIP à l’avant-projet « Catala » et propositions d’amendements », http://www.etudes.ccip.fr/archrap/rap06/reforme-droit-des-contrats-kli0610.htm

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afin de parvenir à un droit plus pragmatique et plus performant, il a été introduit d’une part des dispositions à vocation générale, tels des Principes directeurs du droit des contrats, que la CCIP avait appelés de ses vœux et qui constituent en quelque sorte la charte commune du droit des contrats. D’autre part, pour répondre à des problématiques qui se posent à certaines étapes cruciales de la vie des contrats, des mécanismes techniques innovants sont instaurés. En cela, le projet réalise plusieurs avancées opportunes conformes aux objectifs essentiels de sécurité et de modernisation des rapports contractuels. Il reflète les évolutions progressivement consacrées en droit européen des contrats, comme dans les droits internes étrangers (II).

Le projet de réforme de la Chancellerie appelle donc un soutien global. En effet, de nombreuses préconisations formulées par la CCIP en 2006 ont reçu un écho favorable. Ces points ne seront donc pas abordés ici ; seules seront envisagées les questions qui susciteraient encore, selon la CCIP, certains aménagements ou encadrements dans l’intérêt de la vie des affaires et de la compétitivité de notre droit. On précisera enfin que, sur les aspects davantage conceptuels de la réforme, on renvoie aux travaux de l’Institut auxquels la CCIP a participé.

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I – LA CONSÉCRATION LÉGALE D’ACQUIS JURISPRUDENTIELS A – PACTES DE PREFERENCE 1) Projet de réforme (article 35) « Le pacte de préférence est la convention par laquelle une partie s’engage à proposer prioritairement à

son bénéficiaire de traiter avec lui au cas où elle déciderait de contracter.

Le contrat conclu en violation d’un pacte de préférence avec un tiers de mauvaise foi est nul.

Lorsque le tiers présume l’existence d’un pacte de préférence, il peut mettre en demeure son

bénéficiaire d’avoir à confirmer son existence dans un délai raisonnable.

La mise en demeure mentionne en termes apparents qu’à défaut de réponse, le bénéficiaire du pacte

ne pourra plus se prévaloir de la nullité du contrat à son égard ».

2) Observations de la CCIP

Sur la sanction du non respect d’un pacte de préférence Contrairement à une précédente mouture du projet de réforme, le présent texte abandonne opportunément la sanction de l’inopposabilité, qui aurait été d’application difficile, voire même dangereuse, en présence de contrats translatifs de propriété (notamment les cessions d’actions ou les ventes immobilières). En effet, comme l’avait souligné la CCIP dès son rapport de 2006, il est indispensable de pouvoir faire disparaître le contrat conclu en violation du pacte de préférence. En d’autres termes, ce dernier doit pouvoir être frappé de nullité, ce qui est la solution retenue par le projet de texte. Toutefois, selon la CCIP, cette sanction ne devrait pas être systématique : alternativement, le bénéficiaire devrait pouvoir obtenir sa substitution au tiers de mauvaise foi, en s’inspirant de la

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solution dégagée par la Cour de cassation par un arrêt du 26 mai 20063. Bien évidemment, il s’agirait d’une simple faculté dont l’opportunité devrait être appréciée tant par le bénéficiaire que par le juge, au regard de différents éléments, notamment le degré de précision du pacte de préférence : si celui-ci déterminait d’ores et déjà tous les éléments essentiels du contrat pour lequel une priorité avait été accordée, la substitution pourrait aisément s’opérer ; à l’inverse, si les termes du pacte n’étaient pas assez précis, de nouvelles négociations devraient être engagées et, en cas d’échec, la nullité s’imposerait. En présence d’un tiers de mauvaise foi, la CCIP préconise donc de prévoir directement dans la loi cette alternative de sanctions (nullité ou substitution), étant précisé que, par ailleurs, le bénéficiaire du pacte devrait toujours pouvoir se voir allouer des dommages et intérêts. Enfin, si la mauvaise foi du tiers ne peut être établie (cf. infra), elle propose de préciser à l’article 35 que seule la responsabilité du promettant pourra être engagée.

Sur la preuve de la mauvaise foi du tiers S’agissant des critères d’établissement de la mauvaise foi du tiers, la démonstration de sa seule connaissance du pacte serait suffisante. Cette solution mettrait opportunément fin à une évolution jurisprudentielle subordonnant la réussite de l’action en nullité – voire en substitution – à la preuve de la connaissance par ce tiers, lorsqu’il a contracté, non seulement de l’existence du pacte mais aussi de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. Or, on a pu – à juste titre – considérer qu’« il y a parfois

quelque chose de diabolique dans la preuve de ce dernier élément »4. Le projet de loi semble avoir implicitement opté pour cette définition de la mauvaise foi, mais une clarification en ce sens de l’alinéa 2 de l’article 35 serait tout de même préférable.

3 Cf. les conclusions du Conseiller rapporteur de cet arrêt, Monsieur Bailly. Celui-ci renvoie aussi aux dispositions de

l’avant-projet Catala, et précisement à l’alinéa 3 de l’article 1106-1, pour justifier l’admission du droit à substitution du bénéficiaire du pacte, dont les droits ont été violés, au tiers de mauvaise foi. On notera, d’ailleurs, que le recours à la substitution s’inscrit dans la tendance générale du droit des obligations à favoriser l’exécution en nature, confirmée et posée comme principe par les dispositions de l’article 1154 de l’avant-projet Catala.

4 « Coup de pouce aux pactes de préférence », Alain Couret et Philippe Rosenpick, Les Echos, 18 septembre 2006.

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Sur l’action « interrogatoire »

Par souci de pragmatisme, le projet de loi prévoit un mécanisme d’« interpellation » du bénéficiaire lorsque le tiers « présume l’existence d’un pacte de préférence ». Il s’agit de permettre d’apurer certaines situations de blocage peu souhaitables d’un point de vue économique.

Article 35 du projet de réforme Proposition de modification de la CCIP Le pacte de préférence est la convention par laquelle une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui au cas où elle déciderait de contracter. Le contrat conclu en violation d’un pacte de préférence avec un tiers de mauvaise foi est nul. Lorsque le tiers présume l’existence d’un pacte de préférence, il peut mettre en demeure son bénéficiaire d’avoir à confirmer son existence dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne en termes apparents qu’à défaut de réponse, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus se prévaloir de la nullité du contrat à son égard.

Le pacte de préférence est la convention par laquelle une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui au cas où elle déciderait de contracter. Le contrat conclu en violation d’un pacte de préférence avec un tiers de mauvaise foi est nul. Lorsque, en violation d’un pacte de préférence, un contrat a été conclu avec un tiers qui en connaissait l’existence, le bénéficiaire du pacte peut, dans un délai raisonnable, demander au juge d’annuler ce contrat ou de le substituer au tiers dans le contrat conclu ; le tout sans préjudice de dommages-intérêts. Si la mauvaise foi du tiers n’est pas établie, seule la responsabilité du promettant peut être engagée. Lorsque le tiers présume l’existence d’un pacte de préférence, il peut mettre en demeure son bénéficiaire d’avoir à confirmer son existence dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne en termes apparents qu’à défaut de réponse, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus se prévaloir de requérir ni la nullité du contrat à son égard, ni sa substitution dans ce dernier.

* * *

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Sur la question de l’inopposabilité, on observe à l’article 34 du projet de réforme que cette sanction a été maintenue en cas de violation d’une promesse unilatérale. Il s’agit certainement d’une omission à laquelle il conviendrait de remédier en remplaçant les termes « inopposable au bénéfice de

la promesse » par « nul ».

Article 34 alinéa 3 du projet de réforme

Proposition de modification de la CCIP

Le contrat conclu en violation de la promesse avec un tiers de mauvaise foi est inopposable au bénéficiaire de la promesse.

Le contrat conclu en violation de la promesse avec un tiers de mauvaise foi est inopposable au bénéficiaire de la promesse nul.

B – OBLIGATION PREALABLE D’INFORMATION 1) Projet de réforme (article 50) « Celui des contractants qui connaît ou est en situation de connaître une information dont l’importance

est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, ce

dernier peut ignorer cette information ou faire confiance à son cocontractant.

Sont déterminantes les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la

qualité des parties.

Le contractant qui se prévaut de l’inexécution d’une obligation d’information doit prouver que l’autre

partie connaissait ou était en situation de connaître cette information, sauf pour celle-ci à prouver qu’elle

les ignorait elle-même ou qu’elle a satisfait à son obligation.

Tout manquement à cette obligation d’information engage la responsabilité civile délictuelle de celui qui

en était tenu, sans préjudice en cas de vice du consentement, de la nullité du contrat. »

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2) Observations de la CCIP Conformément aux préconisations de la CCIP, cette obligation préalable d’information est encadrée (pour limiter les risques de dérives, le texte concerne désormais les seules informations « qui

ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ») et la question de la charge de la preuve de l’inexécution de cette obligation d’information a été précisée, conformément au droit commun (qui prévoit que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver »5). Les solutions acquises en droit positif6 - notamment en droit de la consommation – ne devraient pas en être affectées, en leur qualité de dispositions spéciales primant sur le droit commun. Reste toutefois ouverte la question de la consécration textuelle – ou non – de cette jurisprudence dans le Code de la consommation. C – DETERMINATION UNILATERALE DU PRIX 1) Projet de réforme (articles 81 et 82) Article 81 L’obligation a pour objet une prestation présente ou future.

A peine de nullité du contrat, cette prestation doit être possible, déterminée ou déterminable.

La prestation est déterminée ou déterminable lorsque son étendue peut être déduite du contrat.

Article 82 Il peut toutefois être convenu, dans les contrats à exécution successive et dans les contrats cadre, que

le prix de la prestation sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en justifier le

montant en cas de contestation.

Si le prix est manifestement abusif, le débiteur peut saisir le juge aux fins d’obtenir des dommages et

intérêts et le cas échéant la résolution du contrat.

5 Actuel article 1315 al. 1er du Code civil. 6 « Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » (Civ. 1ère, 25 février 1997).

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2) Observations de la CCIP A titre de remarque préliminaire sur l’article 81, sur un plan terminologique, le terme « déduite » appelle des réserves par son imprécision. Ne devrait-on pas plutôt viser une prestation dont l’étendue « résulte » (d’ailleurs explicitement ou implicitement) du contrat ? La consécration légale, à l’article 82, de la faculté de fixation unilatérale du prix (dans le prolongement des arrêts de la Cour de cassation de 1995) s’inscrit dans la démarche de construction d’un droit plus libéral.

Sur le mécanisme, il est mentionné que le créancier - qui détient le pouvoir unilatéral de déterminer le prix - doit, sur demande du débiteur, en justifier le montant en cas de contestation. Il pourrait, toutefois, être précisé, sur le fond, qu’il devrait s’agir d’une justification « à première demande » et, sur la forme, que la contestation devrait être faite par écrit avec avis de réception.

Surtout, sur la sanction, un paradoxe doit être soulevé : si le prix est manifestement abusif,

à quoi cela sert-il de saisir le juge aux seules fins d’obtenir des dommages et intérêts s’agissant de contrats-cadre ou à exécution successive ? En effet, cela ne résoudra pas de façon pérenne le problème pour l’avenir…

On préconise donc d’aller plus loin. Autrement dit, en faisant un pendant avec les propositions formulées en matière d’imprévision7, il faudrait permettre au juge d’adapter le prix, en se référant à un montant « raisonnable », cela à la demande du débiteur et après avoir incité les parties à trouver un accord. Cette solution est d’ailleurs celle retenue par les Principes du droit européen des contrats et les Principes Unidroit. Il convient toutefois de préciser que le juge ne se substituerait pas automatiquement aux parties et ne fixerait le prix que si et seulement si celles-ci ne sont pas parvenues à un tel accord. A l’appui de cette solution, on relèvera qu’en matière de contrats d’entreprise, la possibilité pour le juge de fixer le prix est acquise depuis longtemps en jurisprudence8. Dès lors, pourquoi ne pas la généraliser à d’autres types de contrats, plusieurs avancées ayant déjà été entamées en ce sens ?

7 Cf Infra. 8 Cass. civ. 1, 4 octobre 1989, Bull. n° 301.

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De surcroît, il est clair que la Cour de cassation a manifesté sa volonté, à chaque fois que l’occasion lui en était fournie, de donner toute sa portée à son célèbre revirement de 1995 qui permet au juge de contrôler l’abus dans la fixation du prix. Dans cette lignée, pourquoi ne pas franchir le pas et admettre, pour les contrats qui s’inscrivent dans le temps, en fonction des éléments de l’espèce et à défaut d’accord des parties, que le juge puisse fixer le prix en cas d’abus ? Si cela s’avérait impossible, ce dernier opterait alors pour la résolution.

Articles 81 et 82 du projet de réforme Proposition de modification de la CCIP Article 81 L’obligation a pour objet une prestation présente ou future. A peine de nullité du contrat, cette prestation doit être possible, déterminée ou déterminable. La prestation est déterminée ou déterminable lorsque son étendue peut être déduite du contrat. Article 82 Il peut toutefois être convenu, dans les contrats à exécution successive et dans les contrats cadre, que le prix de la prestation sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en justifier le montant en cas de contestation. Si le prix est manifestement abusif, le débiteur peut saisir le juge aux fins d’obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat.

Article 81 L’obligation a pour objet une prestation présente ou future. A peine de nullité du contrat, cette prestation doit être possible, déterminée ou déterminable. La prestation est déterminée ou déterminable lorsque son étendue peut être déduite résulte du contrat. Article 82 Il peut toutefois être convenu, dans les contrats à exécution successive et dans les contrats cadre, que le prix de la prestation sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en justifier le montant à première demande en cas de contestation faite par écrit avec avis de réception. Si le prix est manifestement abusif, le débiteur peut saisir le juge aux fins d’obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat d’en ordonner une renégociation. En l’absence d’accord des parties dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande du débiteur, lui substituer un prix raisonnable ou, le cas échéant, prononcer la résolution du contrat. Le tout sans préjudice d’éventuels dommages et intérêts.

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II – DES INNOVATIONS POUR UN DROIT PLUS PRAGMATIQUE La démarche innovante de ce projet de réforme, qui se traduit par l’introduction de nouveaux mécanismes, est opportunément guidée par plusieurs axes :

- la recherche de lisibilité pour un droit plus attractif pour les opérateurs économiques nationaux, européens ou internationaux ;

- une volonté de pragmatisme essentielle dans un contexte de globalisation des échanges et de leur inscription dans le temps ;

- la prise en compte des impératifs moraux et sociaux garantissent la sécurité et un certain équilibre contractuel.

A - PRINCIPES DIRECTEURS DU DROIT DES CONTRATS 1) Projet de réforme (articles 15 à 18) Article 15 Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter.

Article 16 La liberté contractuelle emporte celle de choisir son cocontractant, ainsi que celle de déterminer le

contenu et la forme du contrat.

Toutefois, il ne peut être dérogé, par des conventions, à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Article 17 Le contrat légalement formé s’impose aux parties qui ne peuvent ni le révoquer ni le modifier

unilatéralement. Chacune d'elles peut exiger de son cocontractant l’exécution de son obligation telle

qu’elle a été prévue par le contrat.

Article 18 Chacune des parties est tenue d’agir de bonne foi.

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2) Observations de la CCIP L’introduction de principes directeurs a été suggérée par la CCIP dès son rapport de 2006. Elle présente l’avantage de garantir une meilleure lisibilité du droit des contrats et de sa philosophie générale, tout en étant fidèle aux valeurs traditionnelles de la matière (liberté contractuelle, force obligatoire du contrat, bonne foi…). On relève que le principe de la « cohérence contractuelle » n’a pas été retenu, alors qu’un précédent avant projet l’envisageait. La CCIP ne serait pas opposée à sa réintroduction, à condition de l’encadrer davantage car la rédaction d’alors suscitait des réserves. En particulier, il s’agit d’éviter que de simples tolérances soient considérées comme des situations juridiques acquises. En ce cas, la disposition devrait être rédigée de la manière suivante : « Une partie ne peut agir en contradiction avec ses

déclarations et comportements extérieurs, sur la foi desquels son cocontractant s’est légitimement

fondé et a, en conséquence, subi un préjudice. La simple tolérance ne suffit pas à rendre la confiance légitime ». B – CAUSE 1) Projet de réforme (articles 85 à 87) Article 85 Chaque partie doit avoir un intérêt au contrat qui justifie son engagement.

Article 86 Un contrat à titre onéreux est nul faute d’intérêt lorsque dès l’origine la contrepartie convenue au profit

de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire.

Article 87 La clause vidant le contrat de son intérêt est réputée non écrite.

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2) Observations de la CCIP En vertu de la volonté de simplification qui anime le projet de la Chancellerie, la notion de cause disparaît, même si ses fonctions, développées par la jurisprudence afin d’assurer le respect de l’équilibre contractuel, sont opportunément maintenues. La réforme est louable et nécessaire : elle est conforme à la position d’une partie de la doctrine qui souligne la complexité de la notion de cause et le particularisme français. Mais certains ont pu critiquer le recours au concept d’« intérêt » qui lui est substitué aux articles 85 à 87 du projet. A l’appui de cette critique, on pourrait faire observer qu’effectivement, le terme « intérêt » est utilisé dans le texte à plusieurs endroits, dans des acceptions radicalement différentes, ce qui entretient la confusion. Ainsi, pour certains, la notion d’« intérêt » risque de susciter autant de problèmes d’interprétation en pratique que la notion de cause qu’elle remplace. Il conviendrait de pallier cette confusion, soit en relisant le texte à la lueur de cette critique, soit en reprenant la proposition de la CCIP, qui suggérait de se référer clairement à la notion de « justification de l’engagement contractuel ». Cette orientation est d’ailleurs suggérée à l’article 85 du projet, selon lequel « chaque partie doit avoir un intérêt au contrat qui justifie son engagement ». Le titre du paragraphe 3 du projet de réforme devrait être modifié en conséquence. Une alternative est proposée :

Projet de réforme de la Chancellerie Proposition de modification de la CCIP § 3- L’intérêt au contrat § 3- La justification de l’engagement

contractuel Articles 85 à 87 du projet de réforme Articles 85 à 87 du projet de réforme

Article 85 Chaque partie doit avoir un intérêt au contrat qui justifie son engagement. Article 86 Un contrat à titre onéreux est nul faute d’intérêt lorsque dès l’origine la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. Article 87 La clause vidant le contrat de son intérêt est réputée non écrite.

1ère branche de l’alternative : Article 85 Chaque partie doit avoir un intérêt au contrat qui justifie son engagement. Article 86 Un contrat à titre onéreux est nul faute d’intérêt de justification lorsque dès l’origine la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. Article 87 La clause vidant le contrat (ou l’engagement) de son intérêt sa justification est réputée non écrite.

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Article 85 Chaque partie doit avoir un intérêt au contrat qui justifie son engagement. Article 86 Un contrat à titre onéreux est nul faute d’intérêt lorsque dès l’origine la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. Article 87 La clause vidant le contrat de son intérêt est réputée non écrite.

Ou 2ème branche de l’alternative : Article 85 : supprimé Article 869

L’engagement contractuel est sans justification lorsque dès l’origine la contrepartie convenue est illusoire ou dérisoire. L’absence de justification de l’engagement contractuel est sanctionnée par la nullité du contrat. Article 87 La clause vidant le contrat (ou l’engagement) de son intérêt sa justification est réputée non écrite.

C – RETRACTATION DE L’OFFRE 1) Projet de réforme (articles 25 à 27) Article 25 L’offre oblige son auteur à la maintenir pendant le délai expressément prévu, ou à défaut, pendant un

délai raisonnable.

Article 26 La rétractation de l’offre, en violation de l’obligation de maintien prévue à l’article 25, n’engage que la

responsabilité délictuelle de son auteur sans l’obliger à compenser la perte des bénéfices attendus du

contrat.

Article 27 L’offre est caduque à l’expiration du délai fixé par son auteur, ou à défaut à l’issue d’un délai

raisonnable.

Elle l’est également en cas d’incapacité ou de décès de son auteur.

9 Il est inutile de spécifier que l’on est dans le cadre d’un contrat « de type onéreux » dans la mesure ou les donations, en particulier, comme tout actes à titre gratuit doivent relever de la partie du code civil sur les libéralités. D’ailleurs, on remarquera que le projet ne vise pas davantage le contrat aléatoire, traité, quant à lui, en amont (art. 8 du projet).

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2) Observations de la CCIP Dans son rapport de 2006 et dans le sens préconisé par le rapport Catala comme par les projets européens (PDCE – article 2 : 202 al.3 – et Unidroit – article 2-1-4), la CCIP avait souligné qu’en présence d’une offre faite à personne déterminée et pour un certain délai, la solution actuelle du droit positif - consistant à ne sanctionner la révocation que par de simples dommages et intérêts - ne semblait effectivement pas suffisante. En effet, l’auteur d’une telle offre doit en prendre la juste mesure et ne pas pouvoir se désengager trop facilement, en « calculant » le coût de sa rétractation. Elle avait toutefois considéré, contrairement aux préconisations de l’avant-projet Catala, qu’il était excessif de prévoir une conclusion « forcée » du contrat en cas d’incapacité ou de décès de l’offrant (cette solution pouvant difficilement s’appliquer à des contrats à fort intuitu personae et, de manière générale, risquant de mener à des situations complexes mettant en cause des tuteurs ou héritiers). Les réserves de la CCIP ont été entendues sur ce dernier point puisque le projet de loi prévoit opportunément la caducité de l’offre en cas de décès ou d’incapacité de son auteur. En revanche, il entérine les solutions jurisprudentielles actuelles en cas de rétractation abusive d’une offre faite à personne déterminée avec délai, ce qui est regrettable. Si la vraie raison de ce choix est simplement motivée par la volonté de distinguer l’offre de la promesse unilatérale, pour laquelle la rétractation du promettant ne pourrait pas empêcher la formation du contrat (cf. article 34 al. 2 du projet), cela ne semble guère opportun. En effet, la sanction de leur non respect est loin d’être la différence déterminante entre ces deux mécanismes. Pour en être convaincu, il suffit d’évoquer la caractéristique essentielle du régime de la promesse unilatérale qui est sa transmissibilité. En définitive, la CCIP réitère donc sa proposition tenant à ce que la rétractation, avant le délai expressément prévu, d’une offre faite à personne déterminée ne puisse empêcher la formation du contrat.

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Articles 25 à 27 du projet de réforme Proposition de modification de la CCIP

Article 25 L’offre oblige son auteur à la maintenir pendant le délai expressément prévu, ou à défaut, pendant un délai raisonnable. Article 26 La rétractation de l’offre, en violation de l’obligation de maintien prévue à l’article 25, n’engage que la responsabilité délictuelle de son auteur sans l’obliger à compenser la perte des bénéfices attendus du contrat. Article 27 L’offre est caduque à l’expiration du délai fixé par son auteur, ou à défaut à l’issue d’un délai raisonnable. Elle l’est également en cas d’incapacité ou de décès de son auteur.

Article 25 L’offre oblige son auteur à la maintenir pendant le délai expressément prévu, ou à défaut, pendant un délai raisonnable. Article 26 La rétractation de l’offre faite à personne déterminée et assortie d’un délai expressément prévu, en violation de l’obligation de maintien prévue à l’article 25, n’empêche pas la formation du contrat. La rétractation de l’offre faite à personne indéterminée, en violation de l’obligation de maintien prévue à l’article 25, n’engage que la responsabilité délictuelle de son auteur sans l’obliger à compenser la perte des bénéfices attendus du contrat. Article 27 L’offre est caduque à l’expiration du délai fixé par son auteur, ou à défaut à l’issue d’un délai raisonnable. Elle l’est également en cas d’incapacité ou de décès de son auteur.

D - VIOLENCE ECONOMIQUE 1) Projet de réforme (article 63) Il y a également violence lorsqu’une des partie abuse de la situation de faiblesse de l’autre pour lui faire

prendre, sous l’empire d’un état de nécessité ou de dépendance, un engagement qu’elle n’aurait pas

contracté en l’absence de cette contrainte.

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2) Observations de la CCIP Pour des raisons de lisibilité de notre droit et dans la mesure où cette évolution est bien établie par la jurisprudence10, la CCIP estime que son intégration dans le Code civil serait opportune. Pour autant, dès lors qu’une règle générale serait posée, il importe de veiller à y apporter un strict encadrement pour éviter des dérives. A cet égard et à l’instar des droits étrangers qui reconnaissent cette notion de « violence économique », il conviendrait de préciser :

- que l’état de dépendance doit être « caractérisé », - qu’un « avantage manifestement excessif » doit nécessairement être identifié.

Article 63 du projet de réforme Proposition de modification de la CCIP

Il y a également violence lorsqu’une des partie abuse de la situation de faiblesse de l’autre pour lui faire prendre, sous l’empire d’un état de nécessité ou de dépendance, un engagement qu’elle n’aurait pas contracté en l’absence de cette contrainte.

Il y a également violence lorsqu’une des partie abuse de la situation de faiblesse de l’autre pour lui faire retirer un avantage manifestement excessif en lui faisant prendre, sous l’empire d’un état de nécessité ou de dépendance caractérisé, un engagement qu’elle n’aurait pas contracté en l’absence de cette contrainte.

E – LES EFFETS DU CONTRAT A L’EGARD DES TIERS 1) Projet de réforme (article 138) « Le contrat est opposable aux tiers qui doivent respecter la situation juridique ainsi créée.

Le contrat est opposable aux parties par les tiers qui peuvent invoquer à leur profit la situation juridique

ainsi créée notamment pour rapporter la preuve d’un fait ou encore rechercher la responsabilité d’une

partie ».

10 Selon un arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2002, « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement ».

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2) Observations de la CCIP Par cette disposition relative aux effets du contrat à l’égard des tiers, le projet prend position en faveur d’une solution très discutée, récemment consacrée par un arrêt d’Assemblée plénière de la Cour de cassation11. Cette question a donné lieu à de vifs débats doctrinaux, car il s’agit de reconnaître la possibilité pour un tiers d’invoquer le contrat, non seulement pour rapporter la preuve d’un fait mais encore, et c’est le point qui pose problème, pour rechercher la responsabilité d’une partie. Sur un plan pratique, l’enjeu est fondamental, car la disposition autorise le tiers à engager la responsabilité délictuelle d’une partie sur le fondement de l’inexécution par celle-ci de l’une de ses obligations contractuelles : toute faute contractuelle peut désormais être considérée comme une faute délictuelle. La CCIP estime que cette disposition va beaucoup trop loin. Elle rejoint en cela les critiques formulées par l’Avant-projet Catala12 ou le projet de l’Institut13. Si l’opposabilité du contrat par les tiers peut être admise en matière probatoire, la CCIP exclut la conséquence contestable qu’en tire la jurisprudence sur le plan de la responsabilité, à laquelle elle souhaite que le législateur mette un terme. En effet, consacrer une telle solution affecterait sensiblement le principe de l’effet relatif des contrats. C’est pourquoi la CCIP propose de s’inspirer de la position de l’Institut qui exige, pour que la responsabilité délictuelle d’une partie soit engagée, que les conditions propres à caractériser l’existence d’une faute délictuelle soient réunies. Seule cette solution serait respectueuse du principe de l’effet relatif des contrats ; les dérogations ne peuvent être qu’exceptionnelles.

11 Cass. Ass. Plén. 6 octobre 2006 : Bull. Ass. Plén., n°9. 12 Avant-Projet Catala, article 1342 : « Lorsque l’inexécution d’une obligation contractuelle est la cause directe d’un dommage subi par un tiers, celui-ci peut en demander réparation au débiteur sur le fondement des articles 1362 à 1366. Il est alors soumis à toutes les conditions qui s’imposent au créancier pour obtenir réparation de son propre dommage. Il peut également obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle, mais à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs visés aux articles 1352 à 1362 ». 13 Article 125, alinéa 2 de la proposition de réforme établie par l’Institut : « La seule existence d’un dommage subi par un tiers du fait de l’inexécution d’une obligation par un contractant n’engage pas la responsabilité délictuelle de celui-ci à l’égard du tiers ».

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Articles 138 du projet de réforme Proposition d’amendement de la CCIP

Le contrat est opposable aux tiers qui doivent respecter la situation juridique ainsi créée. Le contrat est opposable aux parties par les tiers qui peuvent invoquer à leur profit la situation juridique ainsi créée notamment pour rapporter la preuve d’un fait ou encore rechercher la responsabilité d’une partie.

Le contrat est opposable aux tiers qui doivent respecter la situation juridique ainsi créée. Le contrat est opposable aux parties par les tiers qui peuvent invoquer à leur profit la situation juridique ainsi créée notamment pour rapporter la preuve d’un fait. La seule existence d’un dommage subi par un tiers du fait de l’inexécution d’une obligation par un contractant n’engage pas la responsabilité délictuelle de celui-ci à l’égard du tiers.

F - REVISION POUR IMPREVISION 1) Projet de réforme (article 136) « Si un changement de circonstances, imprévisible et insurmontable, rend l'exécution excessivement

onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une

renégociation à son cocontractant mais doit continuer à exécuter ses obligations durant la

renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, le juge peut, si les parties en sont d'accord, procéder à

l'adaptation du contrat, ou à défaut y mettre fin à la date et aux conditions qu'il fixe ».

2) Observations de la CCIP

Sur le champ d’application du mécanisme La CCIP relève avec satisfaction le choix du projet de réforme de ne pas limiter l’application du mécanisme de l’imprévision aux seuls « contrats à exécution successive ou échelonnée »14, ce qui en aurait exclu le recours pour les contrats à terme alors que, d’un point de vue économique, les besoins sont les mêmes.

14 Comme cela était préconisé par l’avant-projet Catala.

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Sur le caractère obligatoire ou facultatif du mécanisme

La Chancellerie a opportunément tenu compte ici du droit comparé et aussi de la pratique des opérateurs économiques, français comme internationaux, qui insèrent dans leurs contrats des clauses de hardship. Ce constat vaut pourtant essentiellement pour les grandes structures, les PME ne bénéficiant pas des mêmes moyens. C’est pourquoi un dispositif légal est bienvenu. Toutefois, tel qu’il est rédigé actuellement, l’article 136 alinéa 1er du projet de réforme suscite des interrogations quant à son utilité même. En effet, chacun sait qu’une partie peut d’ores et déjà demander une renégociation à son cocontractant, sans avoir à invoquer un texte de loi. Deux remarques peuvent donc être formulées :

• Le seul apport de cet alinéa réside dans la fin de la phrase qui précise « …mais doit continuer à

exécuter ses obligations durant la renégociation ». Le projet entend ici éviter les contestations dilatoires, en rappelant – de façon incidente – un principe fondamental sur lequel il conviendrait pourtant d’insister davantage.

• Selon la CCIP, la réelle innovation serait de prévoir que les parties ont une obligation légale de renégocier lorsque survient un changement de circonstances répondant à certaines conditions.

Par conséquent, on pourrait reformuler cet article 136 en s’inspirant opportunément des Principes du droit européen des contrats (article 6 :111) qui prévoient :

- dans un premier alinéa, que les parties sont tenues de remplir leurs obligations, quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse ;

- dans un deuxième alinéa, que dans certaines conditions, les parties ont cependant l’obligation d’engager des négociations en vue d’adapter leur contrat.

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Sur les conditions de mise en œuvre du dispositif Il importe d’assortir le dispositif d’un encadrement suffisant pour limiter les risques de dérives. Ainsi, le changement de circonstances qui justifierait la mise en application de ce dispositif devrait répondre à de strictes conditions. A cet égard, le projet de réforme retient :

• Un « changement de circonstance imprévisible et insurmontable… »

• « …qui rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en

assumer le risque ». On observera toutefois, par comparaison avec les projets européens15, que les conditions liées, d’une part, à l’extériorité par rapport aux parties et, d’autre part, à la postériorité au regard de la conclusion du contrat, n’ont pas été retenues. Elles pourraient être intégrées à l’article 136. En revanche, quant à la condition d’insurmontabilité que l’on ne retrouve pas dans ces mêmes projets, celle-ci devrait être écartée16 car elle limite trop radicalement la portée du dispositif17.

Sur la sanction de l’échec des renégociations La question radicalement novatrice qui se pose est de savoir quel rôle accorder au juge en la matière. Autrement dit, faut-il lui donner le pouvoir de refaire le contrat ? Le projet de réforme réalise une avancée conséquente en prévoyant le recours à l’office du juge qui peut, si les parties en sont d’accord, adapter le contrat. Mais cette condition ne limite-t-elle pas, d’un point de vue pragmatique, la portée de la mesure ? Le juge intervient-il au titre de son imperium ou de son pouvoir de conciliation ? C’est pourquoi, la CCIP souhaite un dispositif plus abouti : saisi par l’une ou l’autre des parties, le juge pourrait procéder à l’adaptation du contrat. Mais, d’une part, pour éviter que l’une des parties ne se voie imposer un contrat qu’elle n’aurait jamais conclu à l’origine et, d’autre part, pour « canaliser » le pouvoir du juge, ce dernier devrait se fonder, à l’instar de ce que prévoient les PDEC, sur le standard des « attentes légitimes des parties ». Ce point est essentiel selon la CCIP. 15 Article 6 : 111 des PDEC et article 6.2.2 des principes Unidroit. 16 Justement, la théorie de l’imprévision doit pouvoir jouer quand l’exécution est encore possible. 17 Cf. en ce sens les travaux de l’Institut.

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Bien évidemment, serait également conservée la possibilité pour le juge de prononcer la résolution du contrat lorsqu’il lui apparaît clairement que la relation contractuelle ne peut être poursuivie.

Article 136 du projet de réforme Proposition de modification de la CCIP

Si un changement de circonstances, imprévisible et insurmontable, rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation à son cocontractant mais doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, le juge peut, si les parties en sont d'accord, procéder à l'adaptation du contrat, ou à défaut y mettre fin à la date et aux conditions qu'il fixe.

Une partie est tenue de remplir ses obligations, quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué. Cependant, si un changement de circonstances, imprévisible, insurmontable et extérieur aux parties, survient en cours de contrat et en rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation à son cocontractant mais doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation les parties doivent renégocier leur contrat. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, le juge peut, si les parties en sont d'accord, procéder à l'adaptation du contrat, à la demande de l’une ou l’autre des parties, adapter le contrat en considération des attentes légitimes des parties, ou à défaut y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe.

G - RESOLUTION DU CONTRAT

1) Projet de réforme (articles 168 et 169) Article 168 Lorsque l’inexécution prive le créancier de son intérêt au contrat, il peut mettre en demeure le débiteur

défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

La mise en demeure n’est efficace que si elle mentionne de manière apparente qu’à défaut pour le

débiteur de satisfaire à son engagement, le créancier sera en droit de résoudre le contrat, à ses risques

et périls.

Le débiteur peut pendant le délai de la mise en demeure saisir le juge des référés pour contester la

résolution. Cette procédure suspend la résolution.

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Lorsque l’inexécution persiste et en l'absence de saisine du juge, le créancier notifie au débiteur la

résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Celle-ci prend effet lors de la réception de la

notification par l’autre partie.

Article 169 Une partie peut, selon les modalités prévues à l’article précédent, résoudre un contrat, dès avant

l’échéance, lorsqu’il est manifeste que l’autre partie ne pourra pas exécuter son obligation essentielle.

2) Observations de la CCIP Le projet de la Chancellerie propose ici deux modifications opportunes de notre droit : l’introduction légale de la résolution par notification, et celle de la résolution anticipée. Ces mécanismes seraient innovants en ce qu’ils reposeraient sur une approche économique du contrat. Ils répondraient à un souci de pragmatisme en permettant de mettre fin, rapidement et à moindre frais, à des relations contractuelles défaillantes. Toutefois, ils ne sauraient affecter l’équilibre des intérêts en cause : ils doivent satisfaire le créancier, mais aussi protéger les intérêts légitimes du débiteur. C’est pourquoi, dès son rapport de 2006, la CCIP avait insisté sur la nécessité de prévoir un strict encadrement accompagnant l’admission de ces deux dispositifs. Elle avait, notamment, préconisé la possibilité de saisir le juge des référés en cas de contestation, ce qui a été opportunément repris dans le projet de réforme. Au-delà et même si le dispositif envisagé apparaît relativement équilibré, plusieurs remarques peuvent toutefois être formulées :

- On relève que le mécanisme de la résolution unilatérale ici proposé repose sur la notion de perte de l’intérêt au contrat, contrairement aux textes européens18 et aux préconisations de la CCIP qui lui préfèrent la notion d’ « inexécution essentielle ». Or la nuance est loin d’être négligeable car elle influe directement sur l’accessibilité au dispositif. En effet, le projet de réforme n’ouvre la faculté de résolution unilatérale qu’en cas de disparition totale de l’intérêt au contrat, ce qui constitue une condition très restrictive. Par ailleurs, le critère de la gravité de

18 « inexécution essentielle » pour les Principes Lando (art. 9 : 301) et les Principes Unidroit (art. 7.3.1) ; « inexécution d’importance notable » pour le Code Gandolfi (art. 114).

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l’inexécution rejoint davantage les traditions des autres pays européens, mais aussi la tradition jurisprudentielle française.

- Dans un souci de pragmatisme et d’adaptabilité, le « délai raisonnable » dans lequel le débiteur

serait mis en demeure de s’exécuter devrait s’apprécier « eu égard à la nature du contrat et à

l’activité des parties ». - S’agissant de la mise en demeure et de la notification, la CCIP avait souligné, dès son rapport

de 2006, la lourdeur de cette double démarche. Celle-ci pourrait, pour le moins, être atténuée lorsque la mise en demeure – dont l’objectif est de laisser au débiteur la faculté de s’exécuter19 – n’a plus de raison d’être. Tel est le cas lorsque le constat d’inexécution est définitif, ou encore en cas d’urgence.

- La CCIP relève avec satisfaction la reconnaissance d’une résolution anticipée, qu’elle avait

également appelée de ses vœux en 2006, au nom de la recherche d’efficacité économique et du rapprochement des législations européennes, dès lors qu’elle est strictement encadrée pour éviter toute dérive (il s’agit toujours, en effet, de préserver l’équilibre des intérêts).

Articles 168 - 169 du projet de réforme Proposition de modification de la CCIP

Article 168 Lorsque l’inexécution prive le créancier de son intérêt au contrat, il peut mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure n’est efficace que si elle mentionne de manière apparente qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son engagement, le créancier sera en droit de résoudre le contrat, à ses risques et périls.

Article 168 Lorsque l’inexécution prive le créancier de son intérêt au contrat En cas d’inexécution essentielle du débiteur, il le créancier peut mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable eu égard à la nature du contrat et à l’activité des parties. La mise en demeure n’est efficace que si elle mentionne de manière apparente qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son engagement dans ce délai, le créancier sera en droit de résoudre le contrat, à ses risques et périls. Lorsque l’inexécution persiste et en l'absence de saisine du juge, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Celle-ci prend effet lors de la réception de la notification par l’autre partie.

19 ce qui est d’ailleurs conforme à l’esprit du 1er alinéa de l’article 68 du projet de réforme de la Chancellerie.

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Le débiteur peut pendant le délai de la mise en demeure saisir le juge des référés pour contester la résolution. Cette procédure suspend la résolution. Lorsque l’inexécution persiste et en l'absence de saisine du juge, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Celle-ci prend effet lors de la réception de la notification par l’autre partie. Article 169 Une partie peut, selon les modalités prévues à l’article précédent, résoudre un contrat, dès avant l’échéance, lorsqu’il est manifeste que l’autre partie ne pourra pas exécuter son obligation essentielle.

Le créancier est dispensé de la mise en demeure lorsque l’inexécution est définitive ou s’il y a urgence. Le débiteur peut à tout moment, le cas échéant en référé, en contester la résolution. Cette procédure suspend la résolution. Article 169 Une partie peut, selon les modalités prévues à l’article précédent, résoudre un contrat, dès avant l’échéance, lorsqu’il est manifeste que l’autre partie ne pourra pas exécuter son obligation essentielle.

* *

*

Enfin, de manière générale et dans la lignée des travaux de l’Institut, il serait opportun de préciser (par exemple à l’article 166 du projet de réforme) que la résolution « n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles que les clauses de confidentialité et de non-concurrence ». Cette rédaction large permet d’inclure – conformément aux évolutions en cours à l’échelle interne et européenne – aussi bien l’arbitrage que la médiation.

Articles 166 du projet de réforme Proposition de modification de la CCIP Dans les contrats à exécution instantanée, la résolution s’entend de l’anéantissement rétroactif d’un contrat en raison de son inexécution. Elle libère les parties de leurs obligations. Dans les contrats à exécution successive ou échelonnée, l’engagement des parties prend fin pour l’avenir, à compter de l’assignation ou de la notification de la résolution unilatérale.

Dans les contrats à exécution instantanée, la résolution s’entend de l’anéantissement rétroactif d’un contrat en raison de son inexécution. Elle libère les parties de leurs obligations. Dans les contrats à exécution successive ou échelonnée, l’engagement des parties prend fin pour l’avenir, à compter de l’assignation ou de la notification de la résolution unilatérale.

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La résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles que les clauses de confidentialité et de non-concurrence.

H – EXCEPTION D’INEXECUTION 1) Projet de réforme (article 160) « Dans un contrat synallagmatique, chaque partie peut refuser d’exécuter son obligation si l’autre

n’exécute pas la sienne, alors même qu’elle est exigible ».

2/ Observations de la CCIP L’exception d’inexécution ne figure actuellement pas dans le Code civil car il s’agit d’une construction prétorienne. L’avant-projet Catala avait opportunément montré la voie en l’insérant dans le Code, à l’instar des projets européens. Si cette évolution est tout à fait opportune, il semble toutefois nécessaire de l’encadrer, comme le font les textes européens et également la jurisprudence française, laquelle exige depuis longtemps une inexécution d’une certaine gravité20. C’est pourquoi, là encore, la CCIP soutient les travaux de l’Institut en préconisant que soit ajoutée, à l’article 160 in fine, une condition d’absence de disproportion entre le manquement qui justifie l’exception et les conséquences de l’inexécution. Par ailleurs, dès lors que l’on accepte le principe de la résolution anticipée, il serait logique – dans le même souci de pragmatisme – d’admettre que l’exécution puisse être suspendue de manière anticipée et, par essence, provisoire (ce n’est pas l’anéantissement du contrat qui est en question). Il faut ajouter, bien évidemment, aux conditions classiques de l’exception de l’inexécution, le fait qu’il est manifeste que l’autre partie ne pourra pas satisfaire son obligation essentielle (pendant de l’article 169 du projet de la Chancellerie). 20 Cass. com. 30 janvier 1979, Bull. civ. IV, n° 41.

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Article 160 du projet de réforme Proposition de modification de la CCIP Dans un contrat synallagmatique, chaque partie peut refuser d’exécuter son obligation si l’autre n’exécute pas la sienne, alors même qu’elle est exigible.

Dans un contrat synallagmatique, chaque partie peut refuser d’exécuter son obligation si l’autre n’exécute pas la sienne, alors même qu’elle est exigible à condition que ce refus ne soit pas disproportionné au regard du manquement. Dans les mêmes conditions, chaque partie peut suspendre l’exécution de sa prestation lorsqu’il est manifeste, dès avant l’échéance, que l’autre partie ne pourra pas exécuter son obligation essentielle.

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