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VERRERIES ART NOUVEAU : L’EXEMPLE DES FRERES MULLER DOCUMENT D’AIDE A LA VISITE

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VERRERIES ART NOUVEAU : L’EXEMPLE DES FRERES MULLER

DOCUMENT D’AIDE A LA VISITE

L’ITINERAIRE DES FRERES MULLER

La famille Muller est originaire de la région de Bitche en Moselle. Comme un certain nombre d’Alsaciens et de Mosellans, elle s’installe en 1894 en Meurthe-et-Moselle après l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Allemagne en 1870. Les frères Muller, au nombre de dix, sont donc issus d’une région dans laquelle le travail du verre est bien implanté, avec les cristalleries de Saint-Louis-lès-Bitche et de Meisenthal. Cette dernière fabrique d’ailleurs les verreries de Gallé jusqu’en 1894, date à laquelle celui-ci ouvre ses propres ateliers à Nancy, rue de la Garenne. Les frères Muller sont d’ailleurs formés à la cristallerie de Saint-Louis ; ce sont donc des ouvriers d’art formés aux techniques verrières. Deux sont tailleurs de verre, trois sont graveurs de verre et un autre, Désiré, est peintre sur verre. L’aîné, Henri Muller devient, en 1897, le directeur de la manufacture Muller. La profession des autres frères n’est pas connue. Certains des frères Muller sont employés dans la cristallerie de Gallé dès 1894. Henri Muller y est embauché avec le statut de commis de halle-cristallerie ; ce n’est donc pas un ouvrier, mais un employé et un assistant. A ce titre, il participe aux étapes importantes de la fabrication (soufflage, travail à chaud), ce qui lui permet d’acquérir une maîtrise certaine des techniques verrières. Les frères Muller quittent la cristallerie Gallé en 1896. Une année après, ils s’installent à Croismare, à côté de Lunéville, où ils fondent leur manufacture. Ils y développent une production verrière proche de celle des frères Daum ou de Gallé. Les frères Muller profitent ainsi du goût pour l’Art nouveau et les arts décoratifs. Forts des enseignements de l’usine Gallé, ils rencontrent un succès certain, comme en témoigne l’acquisition de nombreuses verreries par Eugène Corbin. En 1905, deux des frères Muller, Désiré et Eugène, s’installent à Seraing, près de Liège en Belgique, et collaborent avec les cristalleries du Val-Saint-Lambert fondées en 1825 par d’anciens verriers de Baccarat. Ils y travaillent jusqu’en 1908. Cette manufacture met en place à cette époque une politique artistique dynamique ; les directeurs, Jules et Georges Deprez recherchent des artistes capables de créer des nouveautés. C’est dans ce contexte que les frères Muller sont embauchés au Val-Saint-Lambert. Ils y produisent des articles « genre Daum », pour l’essentiel des vases, ce qui démontre la volonté de la manufacture d’imiter les œuvres de l’École de Nancy. En trois ans, les frères Muller créent plus de 400 modèles et enseignent leurs techniques aux employés du Val-Saint-Lambert. Malgré ce succès, les frères Muller n’appartiennent pas à l’École de Nancy fondée en 1901 par Émile Gallé. Ils ne participent pas non plus aux grandes expositions de cette époque (exposition du pavillon de Marsan en 1903 à Paris, exposition des galeries Poirel en 1904). Cette situation s’explique sans doute par les relations inamicales avec Gallé, qui reprochait aux frères Muller d’avoir fondé leur propre cristallerie en utilisant le savoir-faire acquis dans ses ateliers.

UNE PRODUCTION MODERNE LIEE A L’INDUSTRIALISATION

Les techniques employées par les frères Muller s’inspirent en premier lieu d’Émile Gallé, mais également des frères Daum et de Désiré Christian. Ce dernier collabore avec Gallé durant de nombreuses années avant d’ouvrir son propre atelier à Meisenthal. Les frères Muller connaissent et maîtrisent donc parfaitement les techniques verrières et en particulier les techniques de coloration, ce qui leur permet de créer des œuvres sophistiquées à côté de leurs productions en série. Ils s’intéressent particulièrement à la cémentation ou teinture à l’argent : ce procédé utilise des peintures à base de sels d’argent ou de cuivre dissous dans l’eau. Celles-ci sont appliquées à froid puis recuites à environ 600°C. L’intensité de la coloration dépend de la composition du verre, de la concentration d’argent, de la durée et de la température de cuisson. Cette technique, relativement simple, est donc souvent utilisée permettant des effets décoratifs variés. Les frères Muller et Désiré Christian l’expérimentent sur différents verres colorés, ce qui leur permet d’obtenir des surfaces irisées ou patinées. La teinture à l’argent est appliquée sur de grandes surfaces afin de modifier les couleurs déjà existantes ; les sels d’argent sont appliqués sur des couches de verre coloré d ‘épaisseurs différentes, ce qui donne aux verreries produites en série l’allure de pièces uniques. Les verreries produites au Val-Saint-Lambert reprendront les mêmes techniques et effets décoratifs.

Vase à décor de magnolia, Val-Saint-Lambert, Désiré et Eugène Muller, v. 1906-1908

Cette verrerie se compose de plusieurs couches de verre : verre incolore à l’intérieur, une couche de blanc grisé, une fine couche incolore et une couche rouge foncé à l’extérieur. Elle est réalisée selon la technique du soufflé-moulé : le verre chaud est soufflé, après cueillage, dans un moule dont il prend la forme ; les différentes couches de verre cueillies en même temps se superposent alors sans se mélanger. La teinture à l’argent est appliquée de façon irrégulière, puis le décor est partiellement gravé à l’acide et poli.

Si les frères Muller utilisent des techniques relativement élaborées, ils ont néanmoins le souci de rentabilité, comme tous les industriels. Aussi cherchent-ils à réduire leur coût de production et s’inscrivent à ce titre dans la lignée des frères Daum. Plusieurs éléments attestent de ce pragmatisme :

• La technique de gravure Les frères Muller privilégient, dès l’ouverture de leur manufacture, la gravure à l’acide fluorhydrique, plus rapide et moins coûteuse que la gravure à la roue, qui nécessite un travail plus long et plus minutieux.

• L’utilisation des métaux précieux Les verriers ornent leurs œuvres de métaux précieux (or, argent, platine). L’or est le plus utilisé. On distingue l’or à polir et l’or brillant. Les frères Muller privilégient ce dernier car il est bien meilleur marché que l’or à polir. Le répertoire décoratif

Vase modèle carré à décor d’hortensias et de paons, Val-Saint-Lambert, Désiré et Eugène Muller, v. 1907-1908.

Ce vase est encore composé de verre multicouche : verre clair doublé d’une couche grise et triplé d’une couche rouge. Le décor est obtenu par la même technique de teinture à l’argent et de gravure à l’acide. On peut mettre ce vase en relation avec le dessin préparatoire également présenté dans l’exposition.

Pichet à décor de toile d’araignée

Les frères Muller, comme les artistes de l’École de Nancy, savent s’adapter au goût de la clientèle. Ils utilisent donc les thèmes à la mode, ce qui explique le peu de risque pris dans le choix du décor. Ils reprennent le répertoire naturaliste décliné par des artistes comme Gallé et Daum. Ils emploient ainsi l’usage des citations littéraires caractéristique des verreries parlantes de Gallé. Les vases produits au Val-Saint-Lambert sont influencés par Daum, puisqu’on y retrouve le thème décoratif associant les feuilles et les insectes (série Vigne et escargot de Daum en 1904). Ces vases portent d’ailleurs la mention « genre Daum ». Les hannetons, les araignées et les scarabées sont fréquents, mais ils sont souvent peu détaillés, à quelques exceptions près.

Comme les artistes de l’École de Nancy, les frères Muller ont un répertoire floral assez vaste : les orchidées sont fréquentes dans les pièces du Val-Saint-Lambert. On trouve également les lys, les pavots, les hortensias et les coloquintes appréciés à la fin du XIXe siècle.

Vase à décor de sabots-de-vénus, Val-Saint-Lambert, Désiré et Eugène Muller, v. 1906-1908.

Vase à décor de fleurs de coloquintes

Souvent, les motifs floraux et végétaux ne sont que des éléments décoratifs ; il n‘y a donc pas d’adéquation entre le décor et la forme de l’objet, comme ce fut le cas dans les verreries de Gallé. Cela s’explique par le fait qu’il faut rationaliser la production : la manufacture réutilise la même forme avec des motifs différents. L’exemple de la coupe décorée d’hortensias ou inspirée du thème de la nuit est tout à fait significatif. L’originalité tient dans la poignée inhabituelle de cette coupe qui rappelle les bourdaloues (pot de chambre au XVIIIe

siècle) et que l’on ne trouve ni chez Daum ni chez Gallé. Cette flexibilité et cette diversité de la production des frères Muller témoignent de leur souci de s’adapter aux goûts de la clientèle

Coupe ou bourdaloue La nuit

Coupe ou bourdaloue à décor d’hortensias

LA DIFFUSION ET LA COMMERCIALISATION

• La diffusion locale La verrerie d’art des frères Muller ne participe pas aux grandes manifestations organisées par l’École de Nancy en raison des relations plus que difficiles avec Émile Gallé. La manufacture de Croismare cherche tout de même à commercialiser ses verreries à Nancy par l’intermédiaire de Charles Fridrich d’une part et d’Eugène Corbin d’autre part. ���� La Maison d’Art Lorraine et Charles Fridrich La Maison d’Art Lorraine, située au 38 de la rue Stanislas, est dirigée par le décorateur Charles Fridrich qui ouvre sa première exposition permanente en 1900. Son objectif est de faire connaître l’art moderne, notamment les artistes de l’École de Nancy (Louis Hestaux, Émile André). N’ayant pas obtenu de dépôt de la part de Daum et Gallé, il se tourne vers les frères Muller, qui n’ont pas de commerce à Nancy. Cependant, la Maison d’Art Lorraine connaît des difficultés financières et ferme ses portes en 1903. Cette faillite pose un réel problème de diffusion aux frères Muller. C’est sans doute à cette époque qu’ils trouvent un nouveau partenaire en la personne d’Eugène Corbin. ���� Les Magasins réunis et Eugène Corbin Amateur d’art et mécène, Eugène Corbin succède à son père Antoine à la direction des Magasins réunis en 1883. En 1903, il propose à Émile Gallé de commercialiser ses verreries dans un rayon consacré aux verreries d’art ; celui-ci ayant refusé, il se tourne vers les frères Muller. Les verreries de Croismare sont exposées et commercialisées aux Magasins réunis de Nancy et dans son magasin parisien. Eugène Corbin achète personnellement un certain nombre d’œuvres aux frères Muller entre 1900 et 1914. Une partie de ces pièces (22) fait aujourd’hui partie de la collection Corbin conservée au musée de l’École de Nancy. Pour un certain nombre, ce sont des pièces uniques. L’une d’entre elles est particulièrement représentative de la diffusion locale voulue par les frères Muller : C’est la coupe Le Supplice de Jeanne d'Arc.

Coupe Le Supplice de Jeanne d’Arc Le thème choisi est dans l’air du temps : les frères Muller, ayant quitté la Moselle après l’annexion allemande de 1870, sont sensibles au caractère patriotique de Jeanne d’Arc ayant combattu les envahisseurs étrangers. Les frères Muller sont donc bien ancrés dans leur région. L’originalité de cette verrerie tient dans son décor presque abstrait. Ce verre triple couche (incolore, bleu opale et rouge) est recouvert de lamelles de verre, ce n’est pas sans rappeler la marqueterie de verre mise au point par Gallé.

Par deux fois, Eugène Corbin expose d’ailleurs sa collection au public, mettant ainsi en valeur les œuvres des frères Muller : en 1919, une exposition est organisée dans un magasin du faubourg Stanislas. En 1935, lors de l’ouverture de la Galerie Poirel, Eugène Corbin présente sa collection. Les pièces Muller sont disposées dans la vitrine centrale de la galerie aux côtés de celles de Gallé et Daum. De part et d’autre de la vitrine, deux sellettes d’Eugène Vallin mettent en évidence les verreries Muller à décor de hiboux.

• La diffusion hors de la Lorraine

Les frères Muller cherchent à diffuser leurs œuvres en dehors de Nancy, compte tenu des difficultés qu’ils rencontrent avec l’École de Nancy. Ils participent ainsi à l’Exposition universelle organisée à Dijon en 1898 et obtiennent la médaille d’or. Ils ne manquent pas de se prévaloir de ce succès auprès de leur clientèle, puisque l’en-tête des courriers de la verrerie de Croismare mentionne, en 1910 : « Médaille d’or 1898 ».Ils cherchent alors à maîtriser la commercialisation de leurs verreries. C’est ainsi qu’ils ouvrent un magasin de détail à Paris, rue de Paradis, sous l’enseigne « Cristaux d’Art Muller Frères Lunéville près Nancy ». Les frères Muller ne participent pas à l’Exposition universelle de 1900 ; les raisons de cette absence sont inconnues. Il faut attendre 1910 pour les voir participer à une exposition majeure : l’exposition de la cristallerie et de la verrerie au musée Galliera (actuel musée du Petit Palais). Ils ne rencontrent cependant pas le succès escompté. Ce n’est qu’après la guerre qu’ils retrouvent le succès avec une production industrielle. Il est cependant intéressant de noter que, lors de cette exposition, les frères Muller fixent des valeurs d’assurance pour les pièces qu’ils proposent ; ces valeurs peuvent être assimilées à des prix de vente. Or ces prix sont relativement faibles (entre 125 et 300 francs ; en comparaison, ceux de Gallé se situent entre 500 et 2000 francs), ce qui souligne la volonté de la manufacture Muller de s’adresser à une clientèle plus modeste. En cela, les frères Muller s’inscrivent dans la lignée de l’École de Nancy qui prônait « l’art pour tous ».