universite de paris 1 pantheon sorbonne · 2012-03-05 · 0 universite de paris 1 – pantheon...
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UNIVERSITE DE PARIS 1 – PANTHEON SORBONNE
INSTITUT DE RECHERCHE ET D’ETUDES SUPERIEURES DU TOURISME
La mise en tourisme du patrimoine viticole : l’exemple du Chianti
Mémoire professionnel présenté pour l‟obtention du
Diplôme de Paris 1 – Panthéon Sorbonne
MASTER PROFESSIONNEL « TOURISME » (2ème année)
Spécialité Développement et Aménagement Touristique des Territoires
Par Melle Virginie Anger
Sous la direction de M. Sébastien Jacquot
Année universitaire : 2010-2011
1
Remerciements
Ce mémoire n‟aurait pas pu être réalisé sans l‟aide apportée par plusieurs personnes. Il me
paraît en conséquence indispensable de les remercier : tout d‟abord M. Sébastien Jacquot,
Maître de conférences à l‟IREST et docteur en géographie, pour son encadrement
universitaire, ses conseils de méthodologie, et ses nombreux apports sur les thématiques
relatives à ce travail.
Ensuite,
- Mme Coline Perrin
- Mme Sophie Lignon Darmaillac
- Mme Rita Poli,
- M. Massimiliano Pescini
- M. Sestilio Dirindelli
- M. Roberto Bozzi
- M. Michele Cassano
- Mme Stefania Pianigiani
- Mme Ana Rosa Buldon
Toutes ces personnes ont accepté de me rencontrer en France et en Toscane, et ont permis de
faire avancer la réflexion autour du processus de mise en tourisme du patrimoine viticole.
Enfin, Mme Gravari-Barbas, professeur de géographie et directrice de l‟IREST, pour le suivi
méthodologique et les conseils apportés tout au long de cette dernière année.
2
Sommaire
La mise en tourisme du patrimoine viticole : l’exemple du Chianti ................................................. 0
1. Introduction ................................................................................................................................... 4
2. Axes de réflexion ............................................................................................................................ 6
3. Méthodologie globale de l’étude ................................................................................................... 9
Partie 1 : Le Chianti, un terroir touristique de renommée internationale..................................... 10
Introduction ..................................................................................................................................... 11
1. La mise en tourisme du patrimoine viticole : développer des activités touristiques en lien
avec le vin et la viticulture d’un terroir viticole ............................................................................ 12
1.1 La dimension patrimoniale des terroirs ........................................................................ 12
1.2 Les éléments constitutifs des patrimoines viticoles ....................................................... 14
1.3 Le tourisme viticole : un ensemble d’activités touristiques construit autour de la
thématique du vin et de son patrimoine. .................................................................................. 16
2. Le Chianti Classico : un riche patrimoine viticole de renommée internationale............... 19
2.1 Un espace économique et culturel homogène ................................................................ 19
2.2 Le patrimoine du terroir Chianti Classico .................................................................... 21
3. L’œnotourisme dans le Chianti : un secteur dynamique ..................................................... 26
3.1 Une offre œnotouristique croissante et diversifiée ........................................................ 26
3.2 La demande croissante de visiteurs aisés attirés par le patrimoine viticole ............... 33
Conclusion ........................................................................................................................................ 39
Partie 2 : Les logiques et les systèmes d’acteurs de la mise en tourisme ........................................ 40
Introduction ..................................................................................................................................... 41
1. Un contexte national et régional favorable au développement de l’œnotourisme dans le
Chianti .............................................................................................................................................. 42
1.1 Le développement de l’agritourisme en Italie, un processus ancien ........................... 42
1.2 L’Italie : le pays européen le plus avancé en matière d’œnotourisme ........................ 43
1.3 Le tourisme rural en Toscane : une filière secondaire mais complémentaire aux
tourismes urbain et culturel ....................................................................................................... 46
2. Les acteurs de la mise en tourisme du patrimoine viticole chiantigiano ............................ 49
3
2.1 La patrimonialisation de l’espace viticole : le rôle des producteurs ........................... 49
2.2 Des ruines à la réhabilitation : une mise en valeur influencée par le regard des
étrangers ....................................................................................................................................... 55
3. Le développement du tourisme viticole : logiques, intérêts, divergences de point de vue et
tensions ............................................................................................................................................. 61
3.1 L’intérêt économique de la mise en tourisme du patrimoine viticole ......................... 61
3.2 La gestion d’un terroir touristique : logiques d’acteurs, intérêts et tensions ............ 70
Conclusion ........................................................................................................................................ 75
Partie 3 : Du terroir au territoire touristique, un enjeu de la mise en tourisme du patrimoine
viticole ................................................................................................................................................... 76
Introduction ..................................................................................................................................... 77
1. Une destination divisée entre deux territoires politiques ..................................................... 78
1.1 Deux provinces, deux administrations pour l’aménagement des territoires .............. 78
1.2 Deux Agenzia per il Turismo, deux destinations assimilées au Chianti ....................... 81
1.3 Des représentations diverses de la destination Chianti en fonction des opérateurs . 83
2. La construction de la destination et du territoire Chianti Classico par les professionnels
du vin et du tourisme ....................................................................................................................... 86
2.1 Les actions du Consortium : lobbying, route du vin, produits dérivés, brochures… 86
2.2 Le rôle des sites internet qui relayent le discours du Consortium .............................. 94
3. La reconnaissance progressive par des instances publiques : CST et APT di Firenze ..... 98
3.1 L’Union des communes et la Conférence permanente des maires : l’émergence d’un
système de gouvernance publique .............................................................................................. 98
3.2 Le terroir : une échelle d’étude de plus en plus pertinente pour appréhender le
tourisme ...................................................................................................................................... 101
Conclusion ...................................................................................................................................... 107
Conclusion de l’étude ........................................................................................................................ 108
Références Bibliographiques ............................................................................................................ 112
LISTE DES FIGURES ...................................................................................................................... 118
GLOSSAIRE ...................................................................................................................................... 119
4
1. Introduction
Le tourisme viticole, une forme de tourisme récente, en plein développement
Depuis quelques décennies, les acteurs de l‟aménagement des espaces viticoles
valorisent la dimension patrimoniale du vin et de ses métiers dans le but d‟attirer des
visiteurs. Parallèlement, les classes moyennes des pays développés témoignent d‟un
engouement croissant pour la découverte des produits locaux et notamment du vin, boisson
culturelle par excellence (LIGNON-DARMAILLAC, entretien n°1, annexe E). La rencontre
de ces deux tendances est à l‟origine d‟une nouvelle forme de tourisme appelée tourisme
viticole ou œnotourisme. Née en Afrique du sud et en Californie dans les années 1970, cette
filière a été importée en Europe une décennie plus tard, où elle est actuellement en plein essor.
Parce qu‟il peut recouvrir des activités et des pratiques très diverses, il est parfois
difficile de définir précisément le tourisme viticole. Une analyse du terme permet néanmoins
d‟en saisir le sens. « Oenotourisme » associe le vin (« oeno ») au tourisme. Pratiquer
l‟œnotourisme correspond ainsi à un déplacement de plus d‟une journée et de moins d‟un an
dans un lieu autre que le lieu de résidence, et ce dans le but de découvrir un espace viticole,
ses produits et sa culture1. Le tourisme viticole repose donc finalement sur l‟attrait du
patrimoine hérité des sociétés rurales spécialisées dans la culture viticole, patrimoine à la fois
matériel et immatériel.
Un enjeu pour le développement des espaces ruraux viticoles
En Europe, il semble que l‟introduction de ce type d‟offre touristique soit le résultat de
deux tendances simultanées. La première correspond à l‟évolution de la demande des
consommateurs européens, qui, dans un contexte de mondialisation et de banalisation des
pratiques, manifestent un désir accru de retrouver l‟ « authenticité » des produits et de visiter
des espaces ruraux « traditionnels » (DIACO ANDREA, 2005). La deuxième tendance est
celle qui renvoie au milieu viticole, touché par des crises successives depuis la baisse de la
consommation de vin et l‟entrée de nouveaux concurrents sur le marché international. Les
régions spécialisées dans la production de vin ont alors trouvé dans le développement de
l‟œnotourisme un moyen de relance économique respectueux de leurs ressources et de leur
1 Cf. Définition du tourisme selon l‟Organisation Mondiale du Tourisme : Le fait de voyager en dehors de son
environnement habituel, pendant une durée supérieure à 24h et inférieure à une année, pour loisirs, affaires et autres motifs
non liées à l‟exercice d‟une activité rémunérée dans le pays visité.
5
système local. La mise en valeur des produits, des savoir-faire et des paysages locaux à
travers les médias et les professionnels du tourisme a été pensée comme une manière d‟attirer
et de fidéliser une nouvelle clientèle et ainsi de compenser la baisse des ventes due au déclin
de la consommation. Pour les producteurs, communiquer sur la dimension culturelle du vin
permet de donner une nouvelle dynamique à leur exploitation et d‟augmenter leur chiffre
d‟affaires. Concernant les collectivités, la mise en tourisme est devenue une stratégie de
développement. La démarche favorisant à la fois une amélioration de l‟image du territoire et
une diversification de l‟économie, elle doit permettre d‟augmenter l‟attractivité de l‟espace
concerné (Atout-France, octobre 2010).
L’étude d’un exemple pour une approche ciblée
Ce travail est centré sur l‟étude de l‟exemple d‟un terroir italien, celui du Chianti
Classico. Afin de mieux cerner les enjeux de l‟œnotourisme, il paraissait plus pertinent
d‟analyser en profondeur l‟organisation d‟un espace rural porteur d‟une identité propre et doté
d‟une organisation socio-économique unique. Plusieurs raisons expliquent plus précisément le
choix de ce terrain d‟étude.
L‟espace communément associé au Chianti correspond à la zone de production du vin
DOGC Chianti Classico de renommée internationale. Ce terroir s‟étend sur huit communes
médiévales (neuf si l‟on compte Poggibonsi), réparties sur les provinces de Sienne et de
Florence. Il est situé en Toscane, une région touristique particulièrement convoitée pour le
patrimoine culturel de ses villes, pour ses paysages typiques et ses spécialités
œnogastronomiques. Le vin et les activités liées à la production du vin Chianti Classico
attirent en conséquence chaque année des centaines de milliers de visiteurs italiens et
étrangers.
Par ailleurs, le Chianti est le premier espace viticole européen à avoir été mis en
tourisme. En effet, dès les années 1970, dans un contexte de déprise rurale, entrepreneurs
étrangers et grandes familles terriennes ont décidé de réhabiliter les bâtiments agricoles et de
valoriser leur métier et leurs produits afin de développer le tourisme viticole dans leur région.
Cette démarche s‟inscrit également dans un contexte national favorable : l‟Italie, bien avant la
France, a vu dans le tourisme un moyen de relancer l‟économie des espaces ruraux en crise et
l‟œnogastronomie y a très tôt été considérée comme un patrimoine à part entière.
Enfin, le vin Chianti Classico est fabriqué par des producteurs réunis dans un syndicat très
puissant à l‟échelle régionale, le Consortium Chianti Classico. Ayant pour mission de
défendre l‟appellation et de faire la promotion du vin sur les marchés internationaux, il est
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également très actif dans la mise en tourisme de son terroir. En parallèle, les organisations
publiques chargées du tourisme, au même titre que les administrations provinciales et
municipales, interviennent également dans la gestion et le développement de l‟œnotourisme.
Le Chianti est donc un espace viticole dont la mise en tourisme est relativement
ancienne comparée aux autres terroirs européens. Producteur d‟un vin de qualité apprécié au
niveau international, la mise en valeur de son patrimoine rural revêt de nombreux enjeux et
implique une multiplicité d‟acteurs. L‟analyse des logiques d‟acteurs et des procédés
d‟aménagement2 utilisés à différentes échelles permettra de comprendre les facteurs, les
intérêts et les effets de la mise en tourisme d‟un terroir viticole. Les points de vue et les
actions de chaque acteur seront confrontés en vue de dégager des pistes de réflexion sur la
gouvernance et les mutations territoriales qu‟implique le développement du tourisme dans un
espace viticole.
2. Axes de réflexion
La mise en tourisme d’un terroir : un ensemble d’actions d’aménagements et de
communication
Depuis une trentaine d‟années, la mise en valeur touristique des espaces viticoles vient
compléter les aménagements de type agricole mis en place par les sociétés locales. Désormais
les Etats, les collectivités territoriales mais aussi certaines associations comme Città del Vino
ou movimento turismo del vino en Italie encouragent producteurs et communes à valoriser leur
patrimoine viticole. L‟objectif est de les inviter à faire de leur espace de vie une destination
touristique attractive. Città del vino tout comme les éditions Espaces, tourisme et loisirs et
Atout France publient ainsi des revues ayant vocation à guider les professionnels et les
collectivités qui entament cette démarche.
Et de fait le développement du tourisme n‟est pas un processus naturel. Il suppose au
contraire une diversité d‟actions de la part des acteurs locaux. En premier lieu, l‟attribution
d‟une valeur patrimoniale à une activité et à des paysages conduit à l‟adoption de pratiques de
conservation (entretien, réhabilitation). Sur place, le producteur doit mettre en scène son
savoir-faire et l‟art de vivre de sa communauté pour répondre aux attentes des visiteurs
désireux de découvrir et d‟apprendre les usages locaux. D‟autre part, il existe tout un travail
2 L‟aménagement du territoire renvoie à « l‟action et à la pratique de disposer avec ordre à travers l‟espace et dans une vision
prospective, les hommes et leurs activités, les équipements et les moyens de communication qu‟ils peuvent utiliser, en
prenant en compte les contraintes naturelles, humaines et économiques » (MERLIN, 2007).
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autour de l‟accueil et de l‟accessibilité : les acteurs publics doivent équiper l‟espace viticole
en panneaux de signalisation et en structures d‟accueil (Offices de Tourisme), et veiller à
l‟entretien des infrastructures de transports. Enfin, rendre un espace attractif nécessite en
amont une mise en récit, la construction d‟un imaginaire attractif autour de l‟offre d‟activités
proposées. Multiples sont les acteurs concernés par ces procédés de communication :
organisations touristiques publiques et parapubliques (Offices de tourisme mais aussi Comités
Régionaux du Tourisme, Comités départementaux du Tourisme en France ou Agenzie per il
Turismo, provinces et régions en Italie), producteurs, agences et tour-opérateurs. Parce que
l„expérience touristique se construit à travers l‟imaginaire, les déplacements, la découverte
des paysages, la rencontre des habitants et des professionnels du tourisme, toutes ces mesures
sont les composantes de mise en tourisme. Elles participent à la construction d‟une destination
ayant pour limites celles du terroir. Le travail suivant a donc pour ambition d‟évaluer quels
sont les enjeux socioéconomiques et territoriaux de la mise en tourisme d‟un espace viticole.
Le tourisme viticole dans le Chianti : un système d’acteurs complexe
La mise en tourisme d‟un patrimoine territorialisé naît d‟un projet. Or tout projet est le fait
d‟acteurs, lesquels défendent des intérêts (GUMUCHIAN, GRASSET, LAJARGE, 2003).
Dans le cas du Chianti, le développement du tourisme est né dans les années 1970 de
l‟initiative des étrangers et des gros producteurs. A partir des années 1980, la région Toscane
a encouragé les agriculteurs à diversifier leurs activités en s‟ouvrant au tourisme. De
nombreux petits propriétaires affectés par la crise viticole ont alors créé des agritourismes sur
leur exploitation. Enfin, les années 1990 ont vu l‟implication progressive des municipalités
dans la mise en valeur du patrimoine viticole de leur commune. Le développement du
tourisme viticole a donc été porté par différents profils d‟acteurs publics et privés dans le
Chianti. Or, selon la fonction qu‟il occupe, chaque protagoniste nourrit une intention
spécifique quant à l‟avenir de l‟espace concerné, et analyse en conséquence l‟œnotourisme
comme porteur d‟enjeux particuliers. La situation est rendue d‟autant plus complexe que les 8
communes du Chianti Classico dépendent de deux provinces distinctes et concurrentes depuis
des siècles. San Casciano in Val di Pesa, Tavarnelle Val di Pesa, Barberino Val d‟Elsa, Greve
in Chianti sont localisées dans l‟area Chianti Fiorentino, ensemble intercommunal de la
province de Florence. Castellina in Chianti, Gaiole in Chianti, Radda in Chianti et
Castelnuovo Berardenga constituent l‟area Chianti Senese de la province de Sienne. Les
politiques et les actions visant à la construction d‟une destination Chianti unique et homogène
doivent donc composer avec l‟existence de ces deux circonscriptions administratives.
8
Le travail suivant essaiera de répondre à cette problématique :
Quels sont les enjeux socio-économiques et territoriaux du développement touristique du
Chianti par la mise en valeur de son patrimoine viticole ?
Plus précisément il s‟agira de se demander :
- Comment et dans quel but les acteurs publics et privés ont contribué à la mise en
tourisme de l‟espace viticole ?
- Quelles en sont les conséquences en termes d‟organisation des territoires ?
Pour cela, nous avons défini trois hypothèses de travail destinées à structurer la
réflexion:
Hypothèse n°1 : L‟œnotourisme dans le Chianti est né du dynamisme des acteurs privés,
investisseurs étrangers et grands propriétaires, qui ont largement contribué à la renaissance
rurale et à la promotion du patrimoine viticole Dans le contexte de modernisation des
systèmes économiques locaux des années 1960-1970, les acteurs publics furent absents de
cette première phase de mise en valeur de l‟héritage rural. Le regard des étrangers et des
consommateurs a par ailleurs largement influencé les choix de mise en valeur du patrimoine
viticole Chiantigiano.
Cette hypothèse devra être démontrée par l‟étude rétrospective du processus de mise
en tourisme, depuis les années 1970 aux années 2000, au niveau du terroir comme au niveau
d‟exploitations représentatives.
Hypothèse n°2 : La mise en tourisme s‟est révélée être un moyen de diversifier les sources de
revenus et d‟augmenter les ventes de vin. Cette stratégie de développement a été adoptée par
les producteurs, à l‟échelle de leur exploitation, puis par les collectivités, à l‟échelle de leur
commune.
Il s‟agira de confronter et de mettre en parallèle les informations recueillies lors des entretiens
avec les acteurs concernés.
9
Hypothèse n°3 : L‟œnotourisme peut transformer un terroir en une destination et un territoire
touristique. Les perceptions et les pratiques des touristes ainsi que les actions menées par le
syndicat de producteurs ont contribué à l‟émergence d‟une destination Chianti Classico. En
raison du développement rapide de la filière oenotouristique, les acteurs publics ont alors été
amenés à s‟investir dans la gestion de cette destination et à mettre en place un système de
gouvernance public qui dépasse la limite administrative qui sépare les deux Chianti.
Le travail d‟observation, les témoignages recueillis ainsi que l‟analyse des supports de
communication touristiques permettront de vérifier cette hypothèse
3. Méthodologie globale de l’étude
La méthodologie adoptée a pour objectif de donner des éléments de réponse à la
problématique et de vérifier les trois hypothèses présentées précédemment.
La première partie consiste à présenter les caractéristiques de la filière œnotouristique
dans le Chianti. Il convient de définir l‟œnotourisme et de cerner au mieux sa traduction à
l‟échelle du terroir Chianti Classico. La lecture des différents travaux de recherches et
d‟enquêtes réalisées sur le tourisme viticole ainsi que la rencontre de spécialistes de la
question ont permis de saisir les composantes du tourisme viticole sur le terroir Chianti
Classico en termes d‟offre et de demande et de mesurer ses enjeux à l‟échelle des deux aree
Chianti.
La lecture d‟études sur la région, de documents d‟aménagement du territoire et la
réalisation de plusieurs entretiens semi-dirigés durant l‟enquête de terrain3 auprès de
professionnels du tourisme et du vin, d‟associations et d‟élus locaux ont donné la possibilité
d‟analyser les discours des différents acteurs impliqués dans l‟œnotourisme au niveau du
Chianti. La question des logiques d‟acteurs a ainsi pu être étudiée à la lumière des points de
vue et des intérêts des principaux protagonistes.
Enfin, l‟analyse des actions menées par les acteurs publics et privés pour développer
l‟œnotourisme permettra d‟appréhender en quoi et dans quelle mesure le terroir Chianti
Classico peut être considéré comme une destination et un territoire touristique.
3 L‟enquête de terrain s‟est déroulée en février et en septembre 2010.
10
Partie 1 : Le Chianti, un terroir touristique de renommée internationale
11
Introduction
Afin d‟étudier les logiques d‟acteurs à l‟échelle du Chianti Classico, il convient de
cerner dans un premier temps ce qui relève du tourisme viticole et d‟en mesurer l‟importance
à l‟échelle du terroir.
Aussi, nous tenterons de définir l‟œnotourisme et de comprendre quels types
d‟activités et de pratiques il recouvre. Nous montrerons ainsi que le vin et le patrimoine
matériel et immatériel lié à la viticulture sont au cœur de cette forme de tourisme.
Nous analyserons dans un deuxième temps ce qui fait du Chianti Classico une
destination privilégiée pour le développement de l‟œnotourisme. L‟évaluation de la manière
dont la viticulture a marqué les sociétés locales et les paysages depuis plusieurs siècles nous
amènera à une présentation de son patrimoine viticole.
Enfin une analyse de l‟évolution récente de l‟offre et de la demande liée au tourisme
viticole au sein des huit communes du Chianti permettra de mesurer l‟ampleur du phénomène,
et en conséquence d‟en saisir les enjeux.
12
1. La mise en tourisme du patrimoine viticole : développer des activités touristiques
en lien avec le vin et la viticulture d’un terroir viticole
L‟œnotourisme est une forme de tourisme relativement récente en Europe. Née dans les
années 1970-80 en Italie, elle connaît un véritable essor depuis une quinzaine d‟années. Dans
le cadre de notre étude, il convient de cerner les fondements de l‟œnotourisme et les facteurs
explicatifs de son apparition. Il s‟agit donc de montrer en premier lieu comment les espaces
viticoles, le vin et les métiers du vin ont progressivement pris une dimension patrimoniale.
Nous verrons dans un second temps pourquoi cette activité agricole et le patrimoine qui lui est
désormais associé ont donné lieu à la création d‟une filière touristique de niche,
l‟œnotourisme.
La lecture de travaux de recherches sur les terroirs et le tourisme viticole, ainsi que les
éléments d‟information recueillis auprès de chercheurs ont guidé ce travail de définition et de
réflexion.
1.1 La dimension patrimoniale des terroirs
Le patrimoine matériel et immatériel des sociétés viticoles est couramment associé aux
représentations des terroirs dans les discours tenus par les professionnels et les médias.
L‟étude croisée de la notion de terroir et de l‟évolution des espaces viticoles européens permet
d‟appréhender ce lien qui unit terroir et patrimoine. Dans son ouvrage Les terroirs viticoles.
Origines et devenirs, J-C HINNEWINKEL définit le terme de terroir ainsi :
« Le terroir est une construction sociale résultant du projet d’un groupe d’acteurs pour un
espace délimité, avec ses privilèges, ses règles, ses images (paysage, environnement, produits,
etc…), ses perspectives de développement-aménagement. Derrière ce projet, un vin typique
serait reconnu par une qualité déterminée, soit un positionnement recherché dans une
pyramide qualitative, grâce à un contrôle exigeant, une traçabilité sans faille, une notoriété
associée à des représentations claires où se trouvent en bonne place les paysages »4.
Selon cette définition, le terroir est le résultat du projet collectif d‟acteurs, qui dans un
contexte concurrentiel ou menaçant, décident de valoriser un vin à en mettant en place de
mesures contribuant à la différenciation de sa zone de production. L‟objectif est de faire en
-
4 Cité par Hélène VELASCO-GRACIET dans « Le terroir, le territoire et la qualité. Triptyque d‟une géographie de la
vigne et du vin », Actes du colloque international sur les terroirs sous la direction de Claudine DURBIANO et Philippe
MOUSTIER, 9-12 mai 2007, Aix-en-Provence
13
sorte que le vin, et ses représentations, répondent aux attentes de la classe dominante, qui
seule peut se permettre de consommer en quantité du vin de qualité. Aussi l‟inscription dans
le passé, l‟harmonie des paysages, et en conséquence le patrimoine, ont souvent été
convoqués car ils faisaient office de traits distinctifs susceptibles de convaincre et satisfaire
cette classe dominante. La construction des terroirs a donc souvent été accompagnée d‟un
processus de patrimonialisation tel que défini par V. VESCHAMBRE (VESCHAMBRE,
2007) : les techniques artisanales locales, les paysages et la société locale associés au produit
deviennent des biens communs spatialisés à préserver en vue de répondre à la demande
d‟authenticité et de qualité des consommateurs ciblés.
Avec la diffusion à l‟échelle mondiale de la production viticole, et la fin du monopole
européen sur la production du vin de qualité, les terroirs viticoles se sont multipliés en
Europe. Les sociétés viticoles ont en effet été amenées à faire valoir la qualité et la supériorité
de leur sol et de leur savoir-faire pour conserver leur place sur le marché international du vin.
Ils ont également dû prendre en compte les nouvelles préoccupations de la demande. Et de
fait, depuis quelques décennies, la perception de l‟activité viticole a évolué dans les sociétés
européennes et nord-américaines. Ces dernières manifestant un besoin croissant de se référer
au passé, empreint de repères spatio-temporels solides et tangibles dans un monde mobile et
changeant (DI MEO, 2008), les produits de la viticulture mais aussi la façon dont elle a
marqué certains territoires sont désormais reconnus comme relevant d‟un patrimoine matériel
et immatériel à préserver et à mettre en valeur. Dans un contexte concurrentiel croissant, il
s‟agit donc pour les producteurs de communiquer et de mettre en valeur la dimension
patrimoniale et l‟inscription géographique de la fabrication pour donner une valeur ajoutée
aux vins et ainsi répondre aux attentes des citadins appartenant à la classe moyenne et
supérieure. .
Les systèmes des labels nationaux et européens (Appellation d‟Origine Contrôlée en
France et des Denominazione di Origine Controllata e Garantita en Italie), qui reconnaissent
la spécificité d‟un savoir-faire et d‟une zone de production viticole, s‟inscrivent d‟ailleurs
dans la même démarche. Tout comme la communication sur la beauté des paysages et le
caractère traditionnel de la culture locale, les labels et les appellations participent à la
diffusion d‟une image de qualité du vin et au discours qui doit amener les consommateurs à
porter un regard positif sur les produits locaux et la région productrice (LE GOUY, 2007 ;
HINNEWINKEL, 2005). Labels, discours et valorisation font référence à cette « construction
sociale » qui doit permettre aux producteurs se revendiquant d‟un terroir et donc d‟une
14
identité territoriale, d‟être visibles et lisibles à l‟échelle mondiale, et ainsi d‟être plus
compétitifs.
1.2 Les éléments constitutifs des patrimoines viticoles
Le vin est désormais reconnu comme un élément à part entière d‟un art de vivre et
d‟une gastronomie régionale, autrement dit, comme le produit spécifique d‟un terroir façonné
par l‟homme (LIGNON-DARMAILLAC, 2007).
« Le terroir pour Roger Dion, c’est bien sûr le milieu mais ce sont aussi les hommes
qui ont fait du bon vin et qui ont su faire du bon vin, c’est les chais, c’est les méthodes
spécifiques à telle ou telle appellation. Je crois que ce terroir n’est pas lié uniquement aux
chais mais à tout ce qui s’y rattache. Ce sont les fêtes vigneronnes très importantes, qui sont
une tradition, et qui participent de ce patrimoine à part entière. Et cela rentre dans la
définition de terroir, car c’est le milieu et les hommes qui l’habitent. Ce qui est engendré,
c’est à la fois la vigne, des établissements (des chais, des caves, la géographie du vignoble) et
puis des traditions locales dans la façon de vendre, dans la façon de festoyer, dans la façon
de faire son vin » (LIGNON-DARMAILLAC, Annexe E, entretien n°1)
Ainsi, les paysages viticoles, les villages, les constructions et les objets se rapportant
aux travaux de la vigne constituent des témoignages matériels de cette activité qui a structuré
l‟organisation des sociétés locales. Les caves, les chais, les cuveries, la configuration des
bâtiments agricoles, les villages, le matériel agricole et les outils utilisés pour les travaux se
rapportant à la vigne et au vin intéressent les visiteurs du fait de leur dimension mémorielle.
Les savoir-faire, les fêtes, les légendes et les croyances qui ont façonné les cultures locales
sont considérés par ailleurs comme ayant la valeur d‟un patrimoine immatériel qu‟il faut
conserver pour les générations futures.
Malgré la dimension marketing des légendes réanimées, voire transformées, par les
professionnels du vin dans un but purement commercial (HINNEWINKEL, 2004), la société
contemporaine se montre de plus en plus préoccupée par la préservation et de la mise en
valeur de ce patrimoine depuis une trentaine d‟années. En atteste le regard nouveau porté sur
les paysages viticoles. En effet, le paysage5 défini comme étant une portion d‟espace
terrestre perçue par un observateur, implique un point de vue, une interprétation de l‟espace
5 « Paysage : Agencement matériel d‟espace – naturel et social – en tant qu‟il est appréhendé visuellement, de manière
horizontale ou oblique, par un observateur. Représentation située, le paysage articule plusieurs plans, permettant
l‟identification des objets contenus et comprend une dimension esthétique » (LEVY-LUSSAULT).
15
où s‟articulent plusieurs plans et où l‟on peut identifier des objets. Il correspond aussi au
produit d‟une société qui a transformé l‟espace au cours du temps afin de l‟adapter à ses
activités et à ses besoins. Aussi, parce qu‟ils sont le produit et donc le reflet d‟une
organisation sociale locale, laquelle est visible à travers la répartition de l‟habitat, les traces de
pratiques culturales mises en œuvre et la configuration du parcellaire, les paysages viticoles se
distinguent des autres aux yeux des spécialistes comme des amateurs : « Ils sont généralement
reconnus parmi les formes les plus remarquables de paysages résultant de l‟activité humaine,
à la fois par la marque qu‟ils impriment au territoire et par les traditions culturelles qui leur
sont associés ». Par ailleurs, il faut rappeler que ces paysages sont nés la plupart du temps de
volontés politiques (ICOMOS, 2005). Ils ont été soumis à des décisions ou à des événements
de l‟histoire qui en ont orienté les caractères, et ils leur demeurent associés.
Les imaginaires qu‟ils éveillent depuis le 15ème
siècle doivent également être
soulignés. Les champs de vignes ont souvent été représentés par les artistes, avant même que
le terme « paysage » apparaisse. Leur dimension esthétique est reconnue depuis plusieurs
siècles. En outre, ils sont porteurs de valeurs gustatives : l‟observateur admire le travail des
producteurs ainsi que la maturation des fruits qui donnent, après transformation, la boisson
tant appréciée. De fait, les paysages viticoles renvoient souvent aux vignobles réputés, et
surtout à des dénominations géographiques associées à des vins : Tokaji, Bourgogne,
Champagne, Meursault, Jerez, Frascati, Saint-Emilion, Napa Valley, Rioja, évoquent non
seulement un vin, mais un lieu et un paysage (ICOMOS, 2005).
Les paysages viticoles présentent ainsi une dimension patrimoniale indéniable et
aujourd‟hui reconnue par la communauté internationale. Résultant de travaux d‟aménagement
commencés par les générations précédentes, leur transmission aux générations futures s‟est
imposée en raison de leurs valeurs picturale et mémorielle. Depuis 1992, la catégorie des
paysages culturels a ainsi été introduite dans la Liste du Patrimoine mondial de l‟UNESCO et
trois sites viticoles majeurs ont déjà été inscrits (l‟ancienne juridiction de Saint-Émilion, la
vallée du Haut Douro, la côte de Tokaj). Dans d‟autres paysages culturels inscrits au
Patrimoine mondial, la vigne joue un rôle majeur (Wachau, Cinqueterre, val de Loire, vallée
du Rhin…). D‟autres régions de vignobles sont en cours d‟examen par l‟ICOMOS et le
16
Comité du Patrimoine mondial, font l‟objet d‟un dossier en préparation, ou encore figurent sur
les listes indicatives de leur pays6.
1.3 Le tourisme viticole : un ensemble d’activités touristiques construit autour de la
thématique du vin et de son patrimoine.
Le tourisme viticole, plus couramment appelé œnotourisme repose sur l‟attrait du
patrimoine construit par les sociétés rurales spécialisées dans la viticulture. L‟œnotourisme est
en effet une forme de tourisme où le divertissement des visiteurs passe par la pratique
d‟activités de loisirs dans un espace viticole. Sophie Lignon- DARMAILLAC le définit ainsi
comme « réunissant l‟ensemble de toutes les activités touristiques, de loisirs et de temps libre
dédiés à la découverte et à la jouissance culturelle et œnophile de la vigne, du vin et de son
terroir » (LIGNON-DARMAILLAC, 2009).
Ces activités sont diversifiées et peuvent avoir pour intérêt une pluralité de
thématiques reliées à la notion de patrimoine. La découverte du patrimoine gastronomique est
ainsi au cœur de la dégustation, de la pratique de l‟œnologie ou de la sommellerie.
L‟organisation de visites de caves, de chais, de vignoble, les rencontres avec les métiers du
vin ou encore la mise en tourisme de la pratique des vendanges participent de la valorisation
du patrimoine immatériel que représentent les métiers et les techniques de la vigne et du vin.
Enfin, le paysage constitue un attrait majeur : des itinéraires permettant de se promener parmi
les champs de vignes et le patrimoine bâti qui lui est associé sont proposés. Le survol des
terroirs viticoles en avion ou en montgolfière fait également partie de l‟offre touristique dans
certaines régions. (LIGNON-DARMAILLAC, 2007). Enfin, la visite de musées fait
également partie intégrante de l‟œnotourisme, au même titre que la découverte de
l‟architecture des bâtiments et des villages spécialisés depuis des décennies dans la production
du vin.
Toutes ces activités relèvent donc du tourisme rural et du tourisme vert, le but étant de
découvrir le fonctionnement d‟une société dont les sources de revenus proviennent de la
culture de la terre et de la fabrication d‟un produit alimentaire consommé depuis des siècles
voire des millénaires. L‟œnotourisme favorise d‟ailleurs l‟apparition de pratiques censées
amener les touristes à s‟imprégner du patrimoine culturel des territoires dans lesquels ces 6 Cf. Etude thématique, Les paysages culturels viticoles dans le cadre de la convention du patrimoine mondial de l‟Unesco,
2005, p.5.
17
sociétés ont évolué. En attestent la réanimation ou l‟ouverture aux visiteurs de fêtes locales
qui autrefois étaient organisées pour marquer les étapes importantes du processus de
fabrication du vin dans certaines régions viticoles.
Le développement de l‟œnotourisme est à mettre en relation d‟une part avec la
dimension culturelle du vin, produit noble par excellence, d‟autre part avec la baisse globale
de la consommation de vin. En effet, le vin est rattaché à deux types de pratiques alimentaires,
lesquelles sont associées à deux catégories sociales distinctes, et ce depuis l‟antiquité. La
première est celle de la consommation de vin de table de qualité médiocre, qui avait pour
objectif de donner de la force aux paysans, qui servait de remède en cas de maladie, et qui
était bu quotidiennement dans de nombreux foyers. La deuxième est celle de la classe
dominante qui a toujours apprécié le vin de qualité (LIGNON-DARMAILLAC, Annexe E,
entretien n°1). A titre d‟exemple, la connaissance des vins produits par les grands châteaux
bordelais ou toscans et la pratique de la dégustation a toujours fait partie de l‟éducation des
jeunes hommes dans les milieux de la noblesse et de la bourgeoisie. Or depuis une trentaine
d‟années, les modes de vies ont évolué en Europe. Des préoccupations nouvelles telles que le
bien-être, la santé, les méfaits de l‟alcool sont apparus. Aussi, la demande de vin de table de
consommation courante a fortement diminué. Il accompagne de moins en moins le repas
quotidien des européens. Les consommateurs se tournent désormais davantage vers les vins
de qualité issus de terroirs renommés ou dotés d‟une appellation, qu‟ils consomment
seulement lors d‟occasions particulières. Les classes moyennes adoptent ainsi
progressivement des pratiques anciennes de la classe dominante. La consommation du vin est
maintenant plus une affaire de goût, de culture et d‟éducation qu‟une habitude.
« Comme les jeunes filles de bonne famille devaient faire un peu de piano, aujourd’hui
si vous êtes éduqués, vous savez parler un peu de vin. Notre président qui ne boit pas de vin a
pris des cours d’œnologie. Voilà, c’est culturel. Si vous ne savez pas parler de telle volaille,
ce n’est pas très grave mais le vin, c’est au cœur de la gastronomie. Et assortir les mets au
vin, c’est un fait de culture. Ca s’apprend, et ça fait partie de l’éducation » (LIGNON-
DARMAILLAC, Annexe E, entretien n°1).
Cette tendance a touché le monde du tourisme et a contribué à la création de nouvelles
formes de pratiques destinées à faire découvrir aux visiteurs les différents types de vins et les
savoir-faire locaux. Cet apprentissage passe par le déplacement et l‟immersion dans la zone
18
de production, où les traditions de la société sont mises en valeur par les acteurs locaux pour
attirer les visiteurs. Sophie LIGNON-DARMAILLAC souligne cette importance de
l‟identification géographique dans l‟expérience gustative (LIGNON-DARMAILLAC, 2007) :
« Telle la madeleine de Proust, ces bons vins doivent se déguster dans leurs vignes ou
dans les souvenirs des lieux auxquels ils appartiennent, les vins sont bons à boire là où ils les
vignes sont à voir. La qualité du produit est à l’image de la qualité du lieu, du paysage et du
travail auquel il se réfère. »
L‟idée directrice de l‟œnotourisme est donc de plonger le touriste dans le milieu
géographique qui est à l‟origine de la fabrication du vin afin qu‟il comprenne tous les aspects
historiques, culturels et sociaux du produit présenté. L‟apprentissage, la découverte du plaisir
de la dégustation et le dépaysement sont en effet conçus comme des moyens de redévelopper
les ventes directes de vins.
19
2. Le Chianti Classico : un riche patrimoine viticole de renommée internationale
Le Chianti Classico est un terroir renommé à l‟échelle internationale. Ses vins sont
commercialisés dans la plupart des pays européens et sont particulièrement appréciés aux
Etats-Unis. Outre ce rayonnement commercial, le Chianti Classico est rattaché à un
patrimoine rural, celui des producteurs et de leur savoir-faire, mais aussi celui des huit
principales communes sur lesquelles s‟étend la zone de production. Il convient donc de
présenter les différents éléments qui participent à sa dimension patrimoniale et ainsi à son
attractivité touristique.
Les études réalisées par différents chercheurs sur le Chianti Classico ainsi qu‟une analyse
des actions réalisées par le Consortium Vino Chianti Classico ont permis d‟explorer ces
différentes questions.
2.1 Un espace économique et culturel homogène
Le terroir Chianti Classico occupe une place particulière parmi les zones de production
viticole toscanes. La Toscane se caractérise de fait par une imbrication très forte de terroirs
locaux qui, comme en Bordelais, s‟enchevêtrent en une mosaïque complexe. Outre le Chianti
Classico, plusieurs vins portent la Dénomination d‟Origine Controlée et protégée Chianti
(Denominazione di Origine Controllata e Garantita) : le Chianti Colli Fiorentini, le Chianti
Colli Senesi, le Chianti Montalbano, le Chianti Montespertoli, de Chianti Colli Aretini, le
Chianti Rufina et le Chianti Pisane (Fig. 1). Or le terroir Chianti Classico est le seul terroir
correspondant à un espace précis, identifié comme une zone de production homogène et
immuable car liée à une histoire, à un patrimoine commun. Celle-ci a d‟ailleurs été reconnue
par un décret ministériel de 1932, et ses limites sont restées inchangées depuis. L‟espace du
Chianti Classico a de fait toujours été assimilé à la zone originelle de production de Chianti,
d‟où la reconnaissance de sa primauté et de son identité particulière par les pouvoirs publics.
Aussi, si la production de Chianti s‟est étendue vers l‟Ouest à partir du 18ème
siècle,
jusqu‟aux abords de Pise, l‟appellation « Chianti Classico » ne peut être attribuée qu‟à des
vins produits dans les limites de la zone de production évoquée précédemment, laquelle
s‟étend sur deux provinces et comprend neuf communes situées entre Sienne au sud et
Florence au Nord, les montagnes du Chianti à l‟Est et les rivières de l‟Elsa et de la Pesa à
l‟Ouest : Greve in Chianti située dans la province de Florence, Castellina in Chianti, Gaiole
20
in Chianti et Radda in Chianti situées dans la province de Sienne ainsi que sur une partie des
territoires de Barberino Val d'Elsa, de San Casciano in Val di Pesa et de Tavarnelle Val di
Pesa administrées par Florence, de Castelnuovo Berardenga et de Poggibonsi qui dépendent
de la province de Sienne. A ce critère de distinction de nature historique, s‟est ajouté plus
récemment un critère d‟ordre qualitatif et organoleptique : le terroir Chianti Classico produit
un vin auquel l‟Etat a attribué une Denominazione di Origine Controllata e Garantita
indépendante des autres DOCG Chianti, en raison de la particularité des procédés de
fabrication suivis par ses producteurs. Et de fait, les autres vins Chianti sont dotés d‟une
même DOCG qui n‟est quant à elle pas fondée sur des critères spatiaux et historiques précis.
Figure 1: Carte des appellations de la zone Chianti
(Dessin de G RAVIGNON, HINNEWINKEL, 2004, Les Terroirs viticoles, Origines et
devenirs. p.221). Dès le Moyen Age, la production de vins similaires à ceux du célèbre vin
21
issu des collines du Chianti se développa dans des espaces ruraux périphériques. La
spécificité de chaque produit fut reconnue au 20ème
siècle, par l’attribution d’appellation
Chianti distinctes en fonction des vins et des zones de production.
Le terroir Chianti Classico est donc un espace viticole lisible qui se caractérise par une
histoire, des procédés de fabrication et un vin qui lui sont propres. Il correspond donc à un
ensemble rural dont l‟unité est fondée sur une identité forte et un système socio-économique
homogène.
2.2 Le patrimoine du terroir Chianti Classico
2.2.1 Le vin Chianti Classico : un produit historique et culturel
Outre l‟appellation attribuée à son vin, le Chianti présente une forte identité qui s‟est
construite au cours des siècles autour de la viticulture. Et de fait, le vin a structuré le système
économique local très tôt, créant une culture et une organisation sociale particulières. La
vigne y est cultivée depuis l‟Antiquité. Les premiers relevés parcellaires datent de la fin du
14ème
siècle. Dès cette époque, le Chianti apparaît comme un vin de référence. Apprécié par
la classe dirigeante sous les Médicis, il est produit en quantités pour approvisionner Florence
en vins de qualité. Egalement convoité par les anglais, les exportations à destination de
l‟Angleterre deviennent régulières à partir du 17ème
. Il bénéficie ainsi déjà à cette époque
d‟une renommée internationale. Enfin, le Chianti classico, cœur historique du Chianti, fut la
première région viticole délimitée à l‟échelle mondiale. De fait, en raison de sa réputation, de
nombreuses imitations du vin Chianti étaient produites dans des espaces ruraux extérieurs à la
zone de production traditionnelle. Aussi, afin de mettre fin à la contrefaçon, Côme III, duc de
Toscane décida en 1716 d‟émettre un édit selon lequel il reconnaissait officiellement les
limites du district du Chianti (Fig.2). Ainsi, l‟espace rural est spécialisé dans la production de
vin d‟exportation depuis le 15ème
siècle, et Sienne et Florence revêtent depuis cette époque le
statut de capitales du Chianti. Or cette demande extérieure a favorisé la création progressive
d‟un espace tourné vers la fabrication d‟un produit gastronomique emblématique, le vin rouge
Chianti Classico (Doc 2 ; ICOMOS, 2005 ; HINNEWINKEL, 2004).
22
Figure 2 : L’évolution des vignobles de Florence depuis le Moyen Age (ANGER V.)7
La société locale s‟est en effet très tôt organisée pour produire des vins de qualité
destinés à diffuser une image prestigieuse des grands propriétaires locaux et à satisfaire les
attentes de haute bourgeoisie et de l‟aristocratie. Le mode de mise en valeur choisi a en
conséquence façonné les paysages au cours des siècles. Les vignes ont été plantées sur les
flancs des collines et dans les vallées du Chianti, en alternance ou avec les oliviers (Fig. 3).
Les vallons sont couronnés de villas en pierres ceinturées de cyprès flammes. L‟ensemble
forme ainsi le paysage toscan archétypique représenté sur les tableaux et décrit dans la
littérature. De même l‟ancienneté de la spécialisation viticole a contribué à l‟émergence d‟une
7 Copie du dessin de N. Pau-Martinez, HINNEWINKEL, 2004, Les Terroirs viticoles, Origines de terroir, p 209
23
identité étroitement liée à la production du vin. L‟année est marquée par une diversité de
manifestations traditionnelles destinées à célébrer les grandes étapes annuelles de la
fabrication du vin : fête du vin, fête des vendanges etc.
2.2.2 Il paesaggio chiantigiano
Le vin renvoie aussi aux paysages qui lui sont associés et qui contribuent à sa renommée.
De fait, le Chianti est produit dans une région où les paysages sont admirés pour leur beauté et
nourrissent tout un imaginaire. Aujourd‟hui particulièrement convoités aux Etats-Unis, en
Angleterre, et en Allemagne, leurs représentations se sont façonnées dès la Renaissance. Ces
images idéalisées du bel paesaggio sont présentes dans les tableaux Renaissance à l‟image du
Bon Gouvernement, fresque créée par Ambroggio Lorenzetti en 1336, sur laquelle on peut
voir le duc de Sienne inspectant les travaux des champs et notamment des vignes. Les
écrivains ont également contribué à la renommée de cet espace. Stendhal ou Anatole France
Figure 3 : Photographie du paysage chiantigiano (ANGER V.,
San Casciano in Val di Pesa).
Vigne, oliveraies et cyprès flammes composent le paysage rural du
Chianti et le rattachent au paysage toscan si recherché et apprécié
par les visiteurs.
24
ont témoigné du plaisir et de la sensation de tranquillité qu‟ils ont éprouvée en contemplant
les collines toscane. Il est à noter que ces représentations sont souvent celles de citadins ou
d‟étrangers fantasmant cette nature habitée, entretenue, parcourue et fertile. Elle est devenue
un endroit reposant par opposition à la ville bruyante et densément construite pour les
habitants de Florence (PERRIN, 2009).
Ce paysage témoigne en outre de l‟héritage du passé. Les centres des communes du
Chianti abritent un riche patrimoine médiéval (Remparts, Vieux Palais, Eglises etc.). Greve in
Chianti présente ainsi en son centre une place de forme triangulaire entourée de constructions
médiévales et qui donne sur une église en pierre datant de l‟époque moderne. De même, San
Casciano in Val di Pesa, Barberino Val d‟Elsa et Radda in Chianti ont conservé leur rempart
ainsi que la trame urbaine médiévale de leur centre historique (Fig. 4 et 5). Plus globalement,
des palais et des bâtiments édifiés au Moyen Age à l‟époque moderne donnent aux neuf
communes une allure pittoresque, en rupture avec l‟architecture moderne et urbaine. Des
châteaux et des villas hérités de la Renaissance et de l‟époque moderne sont encore visibles au
cœur des espaces agricoles. Les châteaux de Verrazzano (San Casciano in Val di Pesa),
de Meleto, de Brolio (Gaiole in Chianti), sont autant d‟édifices construits par les grandes
familles locales ayant marqué l‟histoire du Chianti. Les paysages et l‟organisation actuelle de
l‟espace sont en partie liés à l‟évolution et à l‟ancienne structure de leur domaine. Le système
de la mezzadria qui a prévalu dans cette région du Bas Moyen Age au XXème siècle a en
effet donné naissance à de grands domaines appartenant à la noblesse citadine, lesquels
étaient exploités par des paysans liés au propriétaire par un contrat. Une terre et un bâtiment
d‟habitation, nommé podere, étaient attribués à l‟exploitant, il mezzadro. L‟adoption de ce
mode de faire valoir indirect s‟est en conséquence accompagnée d‟une restructuration des
espaces ruraux : les poderi furent aménagés autour d‟un château ou d‟une fattoria (l‟édifice
central d‟une propriété) faisant office de résidence de campagne ou de logement pour le
régisseur principal du domaine. Or le paysage chiantigiano est fortement marqué par cette
organisation socio-économique, qui a prévalu jusque dans les années 1950. La répartition
actuelle du patrimoine naturel et monumental témoigne ainsi aujourd‟hui de cette période
fondatrice.
25
Figure 4 : Vue aérienne du bourg de Gaiole
in Chianti
Figure 5 : Vue aérienne du bourg de Radda in
Chianti
Gaiole et de Radda in Chianti, deux communes membres de la ligue du Chianti au 13ème
siècle, ont
conservé leur centre médiéval. Elles témoignent donc de l’héritage historique du Chianti. En outre,
construites sur un site surélevé, elles offrent une vue sur les paysages de vignes environnants. (Source :
http://voyagesenduo.com/italie/chanti.html)
Enfin, le Chianti est aussi associé à l‟histoire des provinces dont il dépend, et aux villes
culturelles qui l‟environnent. Dès le Moyen Âge, le Chianti était en effet un espace rural
convoité par les deux cités de Florence et de Sienne. Son contrôle fut l‟objet de nombreuses
batailles entre les deux provinces, lesquelles eurent un impact sur l‟identité collective locale.
Et de fait, au 13ème
siècle, suite à la victoire de Florence sur Sienne, le Chianti passa sous le
contrôle de la province de Florence. Il fut alors demandé aux communes d‟organiser leur
propre défense. Cinq communes fondèrent la Ligue du Chianti, et décidèrent de prendre un
coq noir pour emblème. Depuis, cette image est restée associée au Chianti. Le Consortium du
vin Chianti Classico a ainsi a ainsi choisi un coq noir, il gallo nero, comme logo pour ses
bouteilles de vins. La campagne du Chianti est en outre visible depuis la coupole de la
cathédrale Santa Maria del Fiore de Florence et depuis le beffroi de Sienne. Ces perspectives
sont caractéristiques de ces villes et participent à leur attrait. Le paysage de Chianti constitue
donc un patrimoine riche et créateur d‟imaginaire à l‟échelle internationale.
26
3. L’œnotourisme dans le Chianti : un secteur dynamique
L‟espace rural du Chianti possède une image forte, liée au vin qui porte le même nom.
Le Chianti est devenu en outre l‟un des symboles de la cuisine et des paysages toscans : « le
tourisme œnogastronomique (. . .) devient une véritable forme de tourisme dans la mesure où,
pour certains usagers, la typicité de la cuisine devient la motivation principale du
déplacement à but récréatif » (BALLESTRIERI, 2005). Le vin constitue donc un produit
emblématique et attractif qui permet une valorisation touristique du terroir ainsi que des
territoires qui le compose. Dans ce contexte, l‟étude de la filière œnotouristique dans le
Chianti est de rigueur dans la mesure où nous cherchons à en comprendre les enjeux pour les
acteurs locaux et le développement des territoires.
L‟offre et la demande œnotouristique seront donc analysées à la lumière d‟enquêtes
réalisées par les provinces de Florence et de Sienne auprès des professionnels du tourisme,
des guides collectés sur place et des informations publiées sur les sites internet de promotion
touristique.
3.1 Une offre œnotouristique croissante et diversifiée
Comme nous l‟avons vu précédemment, l‟offre en activités touristiques se concentre
principalement autour de la thématique du vin. Dans le cas du Chianti, l‟offre œnotouristique
est organisée au niveau du terroir, des communes et des exploitations.
3.1.1 L’offre œnotouristique du Chianti Classico
A l‟échelle du terroir Chianti Classico, une route des vins et de l‟huile Chianti Classico a
été créée en 2005 pour guider les visiteurs souhaitant découvrir le vin et le patrimoine viticole
local. Des panneaux et des cartes routières indiquent ainsi aux visiteurs la localisation des
producteurs de Chianti Classico proposant des services de dégustation, de vente directe,
d‟hébergement et de restauration. Des guides suggèrent également des circuits de randonnées
pédestres et des itinéraires à suivre en vélo. La plupart des hébergements touristiques et des
agences réceptives offrent d‟ailleurs la possibilité de louer des vélos pour partir en promenade
27
dans les vignes. A l‟échelle des communes, l‟offre se structure autour d‟exploitations
organisant des dégustations ou disposant de chambres à louer, auxquelles il faut ajouter les
œnothèques, les restaurants œnogastronomiques et les épiceries commercialisant des produits
locaux. Peuvent être mentionnés le musée du vin de Greve in Chianti et le Petit musée du
Chianti à Castellina (Piccolo Museo del Chianti), tenus par des producteurs locaux,
l‟œnothèque du Chianti Classico à Greve in Chianti, et l‟œnothèque de Radda in Chianti.
Enfin, des manifestations annuelles ayant pour thématique centrale le vin ont été réactivées ou
ont été ouvertes aux touristes. La commune de Greve in Chianti accueille chaque année sept
manifestations et fêtes autour de la viticulture : « I vini del castello » et « Cantine Aperte » en
mai, « Vino al vino Panzano », « Degustazione Lamole… » en juin, « Rassegna del Chianti
Classico », « Non Solo Vino » en septembre, sans compter la fête des vendanges et les autres
réunions annuelles marquant les étapes du processus de fabrication du vin.
3.1.2 L’offre proposée par les producteurs viticoles
De nombreuses exploitations viticoles se sont ouvertes au tourisme, à travers entre
autres la création d‟agritourismes8, dans les aree du Chianti, et sont en conséquence à
l‟origine d‟une offre diversifiée en gamme et en services. Les huit communes constituent ainsi
aujourd‟hui un des ensembles ruraux toscans qui concentrent les plus fortes densités de
fermes en agritourismes (Fig. 6).
8 Cf. La loi de 2006 reconnaît comme relevant de l‟agritourisme les activités suivantes : l‟hébergement, la restauration
(service de plats et de boissons produits par l‟exploitant ou par des exploitants de la même zone géographique), l‟organisation
de dégustations, et l‟organisation d‟activités culturelles, récréatives et didactiques visant à la valorisation du patrimoine rural
(Legge 96/2006). La loi énonce toutefois le principe selon lequel l‟agriculture doit demeurer l‟activité principale de
l‟exploitant qui accueille des touristes. Les prestations touristiques doivent compléter les activités agricoles, non se
substituer à elles selon la définition par la loi des agritourismes.
28
Figure 6: Les fermes en agritourisme en Toscane
(RANDELLI, 2008)
A titre d‟exemple, au niveau du consortium, sur les 350 membres producteurs de vin
en bouteille en 2011, 309 pratiquent la vente directe et proposent des services de restauration,
de dégustation et d‟hébergement (Annexe F). L‟offre se concentre principalement à Greve in
Chianti, à Castellina in Chianti et à Castelnuovo Berardenga qui représentent 54% des
exploitations accueillant des touristes (Fig. 7). Viennent ensuite Radda, San Casciano et
Gaiole qui abritent chacune 12% de l‟offre. Quant aux prestations, les plus répandues sont par
ordre décroissant la vente directe (102 producteurs), la dégustation (94 producteurs) et
l‟hébergement (84 producteurs)9. La restauration reste marginale, avec seulement 30
exploitations ayant ouvert des restaurants (Fig. 8). Un parcours des sites référençant ces
exploitations permet en outre de constater que l‟œnotourisme s‟organise autour de deux
grands types de structures, les grandes propriétés généralement pourvues d‟un château et
détenues par des grandes familles locales, et les plus petits domaines, qui produisent des vins
moins renommés.
9 www.chianticlassico.com, site internet du Consortium Chianti Classico.
29
Figure 7 : La localisation des producteurs de Chianti Classico proposant des activités
touristiques en 2011 (Sources : Consortium Chianti Classico/V.ANGER).
Figure 8: Les activités touristiques proposées par les producteurs de Chianti Classico en
2011 (Sources : Consortium Chianti Classico/V.ANGER).
30
Les grands châteaux producteurs de vins Chianti Classico et dont les domaines
s‟étendent sur une quarantaine d‟hectares, comme le château de Verrazzano à Greve in
Chianti, la Fattoria le Corti à San Casciano in Val di Pesa, ou le château de Monterinaldi à
Radda in Chianti. Les gérants organisent des dégustations et des visites guidées de la
propriété, pratiquent la vente directe et offrent des services de restauration. Les dépendances
du château, qui correspondent aux anciens poderi, ont souvent été converties en appartements
ou en chambres à louer. Certains se sont même ouverts au tourisme d‟affaires, accueillant des
groupes en déplacement pour incentives ou dans le cadre de séminaires, à l‟image de la Villa
Talente à San Casciano, qui a également équipé son exploitation d‟un Spa et a développé une
gamme de cosmétiques autour du vin nommée « Enolea ». Beaucoup de ces grandes
structures travaillent en partenariat avec des tour-opérateurs et des agences de tourisme
locales et étrangères. Le château de Verrazzano passe ainsi par des agences localisées dans les
communes du Chianti pour la promotion et la distribution de ses prestations.
Des exploitations de plus petite taille proposent également des dégustations, louent des
chambres et des appartements et pratiquent la vente directe, comme le Podere Campriano,
domaine de 3 hectares situé à Greve in Chianti. La qualité des prestations y est souvent
inférieure, et le cadre est moins grandiose. Les deux catégories d‟exploitation ne ciblent pas
nécessairement la même clientèle, notamment dans le domaine de l‟hébergement. Tandis que
les agritourismes localisés dans les grandes propriétés sont positionnés sur le segment haut de
gamme (200 euros en moyenne la chambre pour une nuit), ceux aménagés dans les plus
petites exploitations correspondent à des hébergements situés entre le moyen de gamme et le
haut de gamme (100 euros la nuit en moyenne).
Les producteurs de vin contribuent donc largement à l‟offre en activités touristiques
dans le Chianti. Certains sont même à l‟origine de produits touristiques novateurs comme la
vinothérapie.
3.1.3 Le rôle des agritourismes dans la croissance de l’offre en hébergements touristiques
L‟étude de l‟évolution du parc en hébergement depuis 10 ans dans le Chianti Fiorentino10
fait apparaître une croissance moyenne de l‟offre de 80% sur la période, et ce en dépit de la
récession économique de 2008 (Annexe B). Or cette progression a essentiellement été le fait
des hébergements relevant de l‟agritourisme (chambres, appartements ou résidences
10
L‟étude se limite au territoire du Chianti Fiorentino en raison de l‟absence de documentation concernant l‟évolution du
parc en hébergement dans le Chianti Senese.
31
touristiques mises en location par des producteurs agricoles au sein de leur exploitation
agricole11
) et des locations touristiques, lesquels ont affiché une augmentation du nombre
d‟unités de 85% dans le Chianti Fiorentino entre 2001 et 2010. Parmi ces hébergements, une
croissance du nombre d‟agritourismes de 48% a été enregistrée sur la même période, contre
une progression de 28% pour les structures hôtelières. L‟offre en lien direct avec les activités
agricoles connaît un développement rapide dans le Chianti. Dans la mesure où la zone est
spécialisée dans la viticulture, nous pouvons en déduire que le vin et l‟élément qui fédère ce
parc en hébergement chez l‟exploitant. D‟autre part le Chianti présente une offre relativement
dense en comparaison avec les communes voisines du Chianti, notamment en ce qui concerne
les agritourismes (Fig. 8), ce qui atteste de sa vocation de plus en plus touristique.
11 Cf. note n°7.
32
Communes des aree du
Chianti et communes
voisines
Nombre d’agritourismes
(hébergements)
San Casciano in Val di
Pesa 65
Castelnuovo Berardenga 56
Greve in Chianti 55
Castellina in Chianti 47
Sienne 38
Barberino Val d’Elsa 36
Gaiole in Chianti 30
Montespertoli 29
Monterignoni 27
Colle in val d'Elsa 26
Tavarnelle Val di Pesa 26
Radda in Chianti 25
Certaldo 19
Rapolino Terme 19
Poggibonsi 16
Rignano Sull' Arno 11
Bagno a Ripoli 9
Figline Val d'Arno 9
Impruneta 8
Incisa in Val d'Arno 5
Figure 8 : Tableau recensant le nombre d’agritourismes dans les huit communes du Chianti
et dans les communes voisines (sources : APT Firenze, APT Siena).
Ainsi, avec 709 unités toutes catégories confondues sur leur territoire en 2010, dont 50%
correspondent à des agritourismes, les aree du Chianti apparaissent comme des espaces
ruraux adaptés et ouverts à l‟accueil des touristes. La faiblesse du nombre d‟hébergements de
plein air, au nombre de deux (l‟un à Barberino Val d‟Elsa, l‟autre à Castellina in Chianti)
confirme le positionnement moyen de gamme et haut de gamme des acteurs de la destination.
33
3.2 La demande croissante de visiteurs aisés attirés par le patrimoine viticole
La fréquentation touristique des aree du Chianti
Le Chianti étant l‟une des portions du territoire toscan la mieux structurée en matière
d‟agritourismes et d‟œnotourisme, les flux de visiteurs n‟ont cessé d‟augmenter jusqu‟à la
crise de 2008, qui a entrainé une légère stagnation de la fréquentation. En 2005, le Chianti a
ainsi attiré 700 000 visiteurs (touristes et excursionnistes). En 2009, 221 881 touristes y ont
séjourné (Annexe B). Si le nombre de touristes est toujours trois fois plus faible que celui des
excursionnistes, il affiche une croissante constante. Le Chianti Senese ayant été plus
durement touché par la crise, le nombre d‟arrivées comptabilisé par les hébergements
touristiques a peu évolué entre 2002 et 2009, passant de 122 854 en 2009 à 125 824
touristes. Dans le Chianti Fiorentino, en revanche, la progression est beaucoup plus marquée :
le nombre d‟arrivées a augmenté de 44% par rapport à 2001. Comme dans beaucoup de
terroirs, la fréquentation est toutefois caractérisée par une forte saisonnalité : l‟essentiel des
séjours comptabilisés ont été effectués entre mai et octobre.
Les communes les plus fréquentées sont Greve in Chianti, Castelnuovo Berardenga,
Tavarnelle Val di Pesa et Castellina in Chianti, qui attirent chacune respectivement 17%, 15%
et 14% des touristes en 2009 (Fig. 10). Globalement, à l‟exception de Gaiole in Chianti et de
Radda in Chianti, qui n‟ont accueilli respectivement que 6% et 9% des touristes en 2009, la
répartition des arrivées est relativement équilibrée entre les communes. Les collectivités les
plus convoitées par les touristes sont finalement celles qui sont les mieux desservies et les
mieux pourvues en hébergement. Castelnuovo Berardenga est proche de Sienne et Greve in
Chianti de Florence, et toutes les deux disposent des offres en hébergement les plus denses du
des aree du Chianti (101 unités à Castelnuovo en 2010 et 136 à Greve in Chianti). Tavarnelle
Val di Pesa et Castellina in Chianti sont faciles d‟accès depuis Florence et Sienne, grâce à la
proximité de l‟Autoroute Florence-Sienne. Gaiole et Radda qui sont localisées plus à l‟est,
dans les collines du Chianti, sont en revanche plus isolées. 10 à 15 km de routes sinueuses les
séparent de l‟Autoroute Sienne-Florence et plus de 20 km les éloignent de Sienne. Cette
situation peut donc être considérée comme un inconvénient pour les touristes qui souhaitent se
déplacer et visiter les centres urbains toscans durant leur séjour. Ces données sont
vraisemblablement les raisons pour lesquelles les deux communes attirent des flux de moindre
importance.
34
Figure 9 : La répartition des arrivées touristiques par commune du Chianti en 2009 (Source:
Observatoires du tourisme de Sienne et Florence/ ANGER V.)
Une demande croissante pour les agritourismes et les locations touristiques
Une analyse plus fine des données enregistrées par les observatoires du Tourisme de
Sienne et Florence permet de constater que cette tendance a profité davantage aux
agritourismes qu‟aux hôtels. A l‟échelle du Chianti Senese, si les hôtels ont vu leur clientèle
diminuer de 6 % entre 2002 et 2009, celle des hébergements autres qu‟hôteliers a progressé de
23 %. Le phénomène est plus marqué dans les communes de Castelnuovo Berardenga, de
Castellina, et Gaiole in Chianti, où la fréquentation des hôtels a baissé de 21% en moyenne
par rapport à 2002 alors que celle des hébergements autres qu‟hôteliers a augmenté de 21%.
Les performances rencontrées par les agritourismes sont liées à la demande croissante de cette
forme d‟hébergement dans les aree du Chianti. En effet, une enquête de satisfaction réalisée
en 2006 par le Centre d‟Etudes Touristique de Florence (Centro Turistici Studi di Firenze)
auprès des visiteurs du Chianti Classico révèle que les modes d‟hébergement qu‟ils
privilégient sont par ordre décroissant le logement chez l‟exploitant (agritourisme), la location
d‟appartements ou de villas et l‟hôtel. L‟étude montre enfin que les touristes louent des
hébergements pour une période relativement longue. La durée moyenne des séjours est en
effet de sept jours pour les personnes ayant choisi d‟être hébergées dans un hôtel tandis que
les autres touristes restent en moyenne dix jours.
35
Le profil des touristes : une majorité d’étrangers attirés par le patrimoine viticole du
Chianti Classico
Le tourisme est caractérisé par le poids important des étrangers parmi les visiteurs, et
l‟intérêt porté par les touristes aux paysages de vignes et au vin. Dans le Chianti Senese, les
étrangers représentent ainsi 57% des arrivées et 61% des nuitées (Observatoire du Tourisme
de Sienne, 2009). Concernant l‟origine des touristes dans les huit communes des aree du
Chianti, l‟enquête de satisfaction réalisée en 2006 par le Centro Turistici Studi de Florence
révèle que la plupart des étrangers sont originaires d‟Allemagne, des Etats-Unis, du Royaume
Uni et de la France. Les touristes italiens viennent quant à eux en majorité des régions du nord
(Emilie-Romagne, Lombardie) et de Toscane. Par ailleurs, le choix du Chianti comme
destination est motivé pour une majorité d‟entre eux par le cadre et les paysage qu‟offre le
terroir Chianti Classico (26% des touristes italiens, 32% des touristes allemands et 26% des
excursionnistes). L‟œnogastronomie est le deuxième motif mentionné (20% des italiens et des
excursionnistes, 23% des allemands). Il faut également souligner que les nord-américains
visitent en priorité le Chianti Classico pour son vin : 30% ont cité l‟œnogastronomie comme
motif principal, contre 25% pour le cadre et les paysages. Le troisième attrait le plus évoqué
est le style de vie. L‟examen des motivations des visiteurs (Fig. 11) montre donc que c‟est
essentiellement le patrimoine viticole des communes du Chianti qui attire les touristes. Le
terroir est donc attractif en lui-même, en raison de la singularité de ses paysages hérités, de sa
culture et de ses spécialités locales. Le tourisme viticole y est prépondérant, et ce en dépit de
la concurrence exercée par le tourisme urbain des grandes villes historiques de Florence et
Sienne, également convoitées par les personnes interrogées.
36
MOTIVI DELLA VACANZA PER COMUNE
Barberino Val d'Elsa Greve in Chianti San Casciano Val di
Pesa
Tavarnelle Val di
Pesa
Natura e ambiente
Enogastronomia
Qualità e stile vita
Posizione
strategica
Cultura e arte
Natura e ambiente
Enogastronomia
Cultura e arte
Clima
Accoglienza
Natura e ambiente
Cultura e arte
Qualità e stile vita
Enogastronomia
Posizione
strategica
Natura e ambiente
Enogastronomia
Cultura e arte
Clima
Qualità e stile vita
Castellina in Chianti Castelnuovo
Berardenga Gaiole in Chianti Radda in Chianti
Enogastronomia
Natura e ambiente
Cultura e arte
Qualità e stile vita
Accoglienza
Natura e ambiente
Enogastronomia
Cultura e arte
Clima
Qualità e stile vita
Natura e ambiente
Enogastronomia
Cultura e arte
Qualità e stile vita
Qualità
strutt.ricettive
Enogastronomia
Natura e ambiente
Qualità e stile vita
Cultura e arte
Accoglienza
Figure 10: Les principaux motifs de visite des touristes en fonction des communes du Chianti
(Source : CST Firenze, 2006)
Enfin, l‟enquête fait remarquer que le Chianti Classico est fréquenté en majorité par des
visiteurs de catégorie socioprofessionnelle supérieure âgés en moyenne de 45 ans. Ceux-ci
voyagent principalement en couple (60%), le segment famille ne représentant que 30%
d‟entre eux. La région est en outre faiblement ciblée par les Tours Opérateurs pour les
voyages de groupes : 2,5% des étrangers et 3% des excursionnistes se déplacent en groupes.
Multi-résidentialité et développement des résidences secondaires
En raison de l‟émergence du phénomène de multi-résidentialité dans les années 1970,
les deux aree concentrent aujourd‟hui un nombre important de résidences secondaires, qui
appartiennent pour beaucoup à des étrangers.
37
« Le vin est en effet très connu. Vous savez que le Chianti est apprécié en particulier par
les allemands. Les anglais venaient beaucoup il y a environ dix ans de cela, et ils ont acheté
beaucoup de fermes et de maisons. C’est un territoire où il y beaucoup de résidences
secondaires. Ce n’est pas différent dans les autres territoires de Florence mais le Chianti
bien sûr… Si vous allez à Greve in Chianti, vous trouverez des journaux en allemand, des
journaux en anglais…. Ce n’est pas inhabituel dans les grandes villes car il y a un tourisme
international important mais si vous trouvez de journaux étrangers dans un bourg, c’est qu’il
y a beaucoup de résidences secondaires et de touristes. » (R. POLI, Chargée de la promotion
au sein de l‟APT de Florence, Annexe E, entretien n°6)
Ce témoignage fait référence à l‟installation dans les communes du terroir de nombreux
étrangers aisés et attiré par le vin prestigieux. Pour eux le Chianti est devenu, grâce aux
aéroports de Pise et Florence, la périphérie de Londres, New York, Munich ou Francfort, un
deuxième lieu de résidence. De nombreux étrangers ont même acheté un domaine viticole
comme placement financier, autant pour la production de vin que pour le cadre de vie. Parmi
eux, beaucoup ont acquis un domaine pour préparer leur retraite. Ils ont découvert
progressivement la viticulture en hobby-farming, comme une activité de loisir à la mode,
susceptible de donner un sens à leur semi-retraite. « L’image d’eux-mêmes viticulteurs dans le
Chianti (…) leur plaît. Pris par la passion du vin, l’acquéreur s’implique souvent de plus en
plus dans la production » (PERRIN, 2009). Les premiers sont arrivés dans les années 1950,
mais l‟installation de hobby-farmers pratiquant la viticulture s‟est surtout manifestée entre
1988 et 1997 au moment où les prix du foncier étaient encore accessibles. Le tourisme, le vin
et la qualité de vie du Chianti a donc entrainé un changement dans la répartition des types de
propriétés et une évolution du profil des résidents. En 2009, la commune de Grève in Chianti
comptait ainsi 647 résidences secondaires en 2009, et celle de San Casciano 332. En 2006, le
nombre de nuitées dans les résidences « secondaires » s‟élevait à 1 300 000.
Les aree du Chianti sont donc des destinations très attractives pour une population nord-
américaine et européenne relativement aisée voyageant en couple. Comme dans la plupart des
terroirs touristiques, la moyenne d‟âge des visiteurs est relativement élevée, les jeunes adultes
étant généralement moins amateurs de vin que la génération de leurs parents, et identifiant
plus rarement cette boisson comme un produit culturel. D‟autre part, l‟offre est moins adaptée
à ce segment, en termes de prix et d‟activités, que des destinations touristiques balnéaires ou
urbaines (ATOUT-FRANCE, octobre 2010). Les touristes y effectuent enfin des séjours assez
longs, une partie d‟entre eux profitant de la situation privilégiée du Chianti pour visiter
38
également les villes culturelles plus ou proches comme Sienne, Florence, San Gimignano ou
Pise au cours de leur voyage.
39
Conclusion
Le Chianti Classico est un terroir dont le vin comme le patrimoine viticole sont renommés
à l‟échelle internationale. La viticulture est au cœur de la culture locale et de l‟organisation
des paysages. L‟œnotourisme y est donc très développé et connaît une croissance constante
depuis plusieurs années aussi bien en termes d‟offre que de demande. En outre, cette forme de
tourisme, selon laquelle la « recreation »12
des visiteurs passe par la pratique d‟activités de
loisirs ayant pour objet la découverte du vin et des métiers du vin, a donné naissance à une
offre de divertissements variés, allant de la consommation de produits locaux, à travers la
vente directe et la dégustation, à la vinothérapie. Or l‟existence de ces différents types
d‟activités relevant du tourisme viticole dans le Chianti Classico est liée à l‟implication de
différents types d‟acteurs, et dans la mesure où l‟œnotourisme est un marché en plein essor, il
revêt un enjeu important pour chacun d‟entre eux. Et de fait, il draine une population
étrangère amatrice de vin et disposant d‟un fort pouvoir d‟achat pour une longue durée dans
les communes du Chianti.
12
Nous faisons référence à la définition du tourisme élaborée par la MIT : « un système d‟acteurs, de pratiques, et de lieux
qui a pour objectif de permettre aux individus de se déplacer pour leur recréation hors de leur lieu de vie habituel, en allant
habiter temporairement dans d‟autres lieux » (MIT, 2002).
40
Partie 2 : Les logiques et les systèmes d’acteurs de la mise en tourisme
41
Introduction
Le terroir Chianti Classico est aujourd‟hui très dynamique, accueillant chaque année des
centaines de milliers de visiteurs. Or le tourisme ne se serait pas développé sans l‟intervention
de protagonistes. Comprendre le processus de mise en tourisme du Chianti Classico invite en
conséquence à étudier ces acteurs et leur logique d‟action, et ce à différentes échelles. D‟autre
part, le patrimoine viticole étant à l‟origine de l‟attractivité touristique d‟un terroir, il convient
de s‟intéresser aussi bien aux responsables de la patrimonialisation qu‟aux acteurs ayant
participé au développement du tourisme viticole.
Nous présenterons ainsi dans un premier temps le contexte national et régional dans lequel
s‟est inscrite l‟émergence du tourisme viticole au niveau du Chianti. Nous verrons ainsi que
l‟Etat italien comme la région Toscane ont très tôt encouragé le développement du tourisme
rural et viticole.
Nous analyserons ensuite les logiques d‟acteurs ayant régi la construction et la mise en
valeur du Chianti. Nous mettrons ainsi en évidence le rôle qu‟a eu le regard des étrangers et
des consommateurs de vin dans le processus de valorisation du patrimoine viticole.
Enfin, nous étudierons les facteurs qui ont amené les acteurs locaux à mettre en tourisme
le terroir ainsi que les tensions induites par la diversité des protagonistes impliqués. Nous
soulignerons ainsi que la crise du secteur viticole a été un élément déclencheur. D‟autre part,
nous montrerons que les intentions divergentes des protagonistes donnent lieu à des rivalités
dont l‟enjeu principal est la maîtrise d‟une ressource pourvoyeuse de pouvoir : le patrimoine
viticole (VESCHAMBRE, 2007).
42
1. Un contexte national et régional favorable au développement de l’œnotourisme dans
le Chianti
L‟analyse du contexte politique et économique dans lequel s‟est inscrite l‟émergence de
l‟œnotourisme en Toscane permet de mettre en évidence les facteurs ayant indirectement
favorisé le développement de cette filière dans le Chianti à partir des années 1970. En Italie,
le tourisme rural a de fait été valorisé dès les années 1960, soit bien avant les deux autres
grands pays viticoles européens, la France et l‟Espagne. La Toscane fut par ailleurs l‟une des
premières régions à participer à ce mouvement, d‟où sa force actuelle sur le marché de
l‟agritourisme.
Les études publiées sur le tourisme rural en Italie et en Toscane ont permis d‟éclairer cette
question.
1.1 Le développement de l’agritourisme en Italie, un processus ancien
Le besoin de développer et d‟organiser un tourisme prenant appui sur les valeurs du
milieu rural s‟est manifesté dès les années 1960 en Italie. En effet, le contexte de révolution
agricole a favorisé la mise en valeur d‟espaces délaissés par les activités de production. Situés
sur des terrains accidentés ou soumis des contraintes climatiques, ces territoires perçus
comme non favorables à la pratique d‟une agriculture moderne furent convertis en lieux de
loisirs. Commença alors une nouvelle phase de retour à la campagne.
Durant les années 1960-1970, le tourisme s‟est démocratisé et devient un phénomène de
masse avec l‟allongement de la durée des congés payés. En outre, entre 1950 et 1970,
l‟existence d‟un réseau routier dense, couplée à la généralisation de la voiture parmi les
acquisitions des ménages italiens, favorisèrent la croissance des séjours en campagne durant
les weekends et les vacances. Enfin, la densification et l‟étalement du bâti qui accompagna la
croissance urbaine des années d‟après-guerre entraînèrent l‟émergence d‟une nouvelle
demande au sein de la population citadine. L‟aspiration au repos, à la détente et au
dépaysement pousse les citadins à sortir de leur lieux du quotidien pour se rendre dans des
espaces où nature et calme cohabitent durant leur temps libre (DESPLANQUES, 1973).
C‟est dans ce contexte que l’Associazione nazionale agricoltura e turismo (ou Agriturist)
fut fondée à Florence en 1966 par de jeunes agriculteurs, des économistes et des hommes
43
d‟affaires. L‟Agritourist lança alors une campagne de communication à travers des dépliants,
des expositions, des congrès et la rédaction d‟articles dans la presse. L‟objectif était de
sensibiliser l‟opinion à la préservation de la nature et à la protection des campagnes, et
d‟associer économie, agriculture et tourisme. Le tourisme résidentiel en milieu rural devait
permettre de freiner l‟exode rural, la présence de visiteurs apportant un appoint de ressources
aux producteurs. Il s‟agissait d‟autre part de faire de l‟agriculteur « (…) un marchand de
vacances et de détente par la vente de locations de logements, par l‟entretien de
l‟environnement rural, par la commercialisation de produits naturels, par la formation et
l‟hébergement de centres d‟équitation… » (DESPLANQUES, 1973).
Les démarches de l‟Agritourist ont rapidement rencontré un succès. Dès 1970, une
nouvelle forme de tourisme regroupant toutes les activités de loisirs en rapport avec
l‟agriculture, nommée agritourisme, apparut et entama une phase de croissance. De
nombreuses régions agricoles furent l‟objet d‟un processus d‟aménagement auquel
participèrent Chambres de commerces, associations agricoles, organisations régionales, mais
aussi des hommes d‟affaires, des propriétaires, des notaires etc. Leur accessibilité fut
améliorée et les logements furent réhabilités et équipés de l‟électricité et de l‟eau.
Ainsi, le tourisme rural italien a profité du développement précoce de l‟agritourisme,
lequel a très tôt mobilisé une très grande diversité d‟acteurs privés. Touristes italiens et
étrangers ont très rapidement manifesté leur goût pour ce type de tourisme valorisant la vie
simple, le calme et les produits traditionnels. Dans les années 1970 déjà, le séjour à la
campagne était à la mode, et acteurs locaux et nationaux avaient compris que les espaces
agricoles en crise pouvaient profiter de la proximité des concentrations de population des aires
urbaines pour relancer leur économie.
1.2 L’Italie : le pays européen le plus avancé en matière d’œnotourisme
L‟Italie est le pays européen le plus avancé en matière d‟œnotourisme. Cette situation
s‟explique par le caractère ancien de la mise en valeur touristique des produits locaux et de la
gastronomie régionale. De fait, dès les années 1930, le régime fasciste encourageait la
consommation de produits nationaux en relançant la visite des régions italiennes par la
construction de voies ferrées. Un guide, La Guida gastronomica d’Italia, inventoriait et
localisait les plats et les vins typiques pour chaque région (LIGNON-DARMAILLAC, 2007).
44
Les routes des vins
Dans ce pays où tourisme et gastronomie sont traditionnellement associés, les vignobles se
sont plus naturellement ouverts aux touristes pour faire connaître leur terroir, leur histoire, la
richesse de leur patrimoine, présentés comme autant de gages d‟authenticité et de qualité pour
leurs vins. Suite à cette mobilisation du secteur agricole, une loi concernant les routes des vins
italiennes a été votée en 1980. Celle-ci portait entre autre sur les panneaux routiers et avait
pour but de favoriser la reconnaissance du très large réseau d‟œnothèques qui structure les
routes viticoles. Plus récemment, en 1999, une loi plus générale a été votée (L.286 du 9/8/99).
Il s‟agissait cette fois de faire des routes du vin un instrument d‟organisation, de gestion et de
promotion du territoire dans chaque région. La loi réglemente ainsi l‟ensemble des routes des
vins et a pour objectif de protéger et de valoriser les territoires viticoles ainsi que leurs
produits. La visibilité de ces territoires ainsi que leur dimension touristique doivent en être
accrues.
“Ces organisations sont très importantes car d’une part, elle aident les producteurs de
vin et les produits typiques à se faire connaître, et d’autre part, elles rendent service au
citadin et au touriste.” 13
(A.R. BULDON, chargée en 2003 d‟organiser les évènements et la
promotion de la Strada del Vino Terre di Arezzo e Chianti Rufina e Pomino en Italie et à
l‟étranger, Annexe E, entretien n°12)
Les routes des vins sont alors conçues comme des outils d‟aménagement du territoire en
raison de leur succès auprès des touristes. Parce qu‟elles sont créatrices d‟attractivité, elles ont
rapidement suscité l‟intérêt des pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux. Leur gestion
est d‟ailleurs assurée par des structures où les acteurs publics et privés collaborent. Il s‟agit le
plus souvent d‟associations composées d‟élus locaux, de producteurs et de restaurateurs qui
œuvrent à l‟harmonisation des panneaux indiquant aux visiteurs les caves, les musées, les
boutiques de vin et les restaurants adhérents à la route du vin concernée.
Città del Vino
13 « Queste organizzazione sono molto importanti perchè da una parte aiutano a produttori di vino e prodotto tipici a farsi
conoscere e dall'altra da un servizio al cittadino e al turista”. Traduction, V. ANGER.
45
L‟engagement des collectivités transparaît également à travers la création de
l‟association Città del Vino en 1987, laquelle regroupe les communes traversées par les
Routes du vin, ou réputées pour leur tradition viticole et leur vin. Capables de mobiliser les
acteurs privés à l‟échelle de leur territoire, les 578 collectivités membres sollicitent les
services de l‟association pour l‟organisation d‟évènements ou bien plus globalement pour
définir la politique touristique à adopter.
« Si une municipalité nous appelle pour savoir si nous pouvons les aider à organiser
quelque chose, une rencontre, un séminaire, nous le faisons ». (S. PIANIGIANI, responsable
des projets européens au sein de l’association Città del vino, Annexe E, entretien n°11)14
Città del Vino publie en outre une revue mensuelle du même nom destinée à conseiller
les élus dans leurs démarches et leurs projets
“Le magazine a pour objectif de conseiller les personnes qui travaillent dans les
municipalités. Ce n’est pas seulement à propos du vin, il aborde la question des lois, des lois
relatives au vin et des lois italiennes (S. PIANIGIANI, responsable des projets européens au
sein de l‟association Città del vino, Annexe E, entretien n°11)15
.
Ayant son siège à Castelnuovo Berardenga, l‟organisation a ainsi pour mission de participer à
la sauvegarde de l‟environnement et des traditions rurales, tout en initiant les visiteurs à une
meilleure connaissance du vin, de son élaboration et de ses qualités.
L‟œnotourisme est donc un secteur d‟activité reconnu et structuré à différentes échelles en
Italie. Le pays compte aujourd‟hui 69 routes du vin et les pratiques qui se développent autour
du thème de la viticulture mobilisent des acteurs variés. Le vin est en effet devenu « une
opportunité de marketing territorial » désormais. Ainsi, en 1993, producteurs, journalistes et
agences de voyages, gérants d‟œnothèques et de restaurants ont créé le « Mouvement
Tourisme du vin » (« Movimento Turismo del Vino ») dans le but de promouvoir
l„œnotourisme italien. A titre d‟exemple, cette association organise la journée du vin,
14
“ If a municipality calls us to ask if we can help them to organize something, a meeting or a seminar, we do
that”.Traduction V.ANGER 15
“The magazine is to advise people who work in the municipalities. It’s not only about wine but also laws, wine laws, Italian
laws”.Traduction V.ANGER
46
« wineday » et le weekend du vin, « cantine aperte » à la fin mai. Les caves sont visitées par
des milliers d‟italiens à cette occasion (LIGNON-DARMAILLAC, 2007).
1.3 Le tourisme rural en Toscane : une filière secondaire mais complémentaire aux
tourismes urbain et culturel
La Toscane est la première région touristique d‟Italie en termes de poids économique et de
fréquentation. Elle accueille en outre les flux de visiteurs dont les origines sont les plus
diversifiées. Touristes étrangers, italiens, toscans et excursionnistes sont tous attirés par les
villes culturelles et les stations balnéaires du territoire. Certes, le dynamisme de la Toscane
repose principalement sur les tourismes urbain, culturel et balnéaire. Néanmoins, les espaces
ruraux préservés de l‟industrialisation profitent de ces flux de visiteurs pour écouler les
produits locaux et promouvoir leur patrimoine artistique (BALLESTRIERI, 2005). De plus,
ils bénéficient de la venue de touristes s‟étant déplacés jusqu‟en Toscane pour visiter les villes
historiques de Florence, Pise et Sienne. De fait, beaucoup d‟entre eux souhaitent être logés
dans des communes offrant un cadre rural toscan typique, et idéalement localisées pour se
rendre dans les différents hauts lieux urbains durant leur séjour. (R. POLI, chargée de la
promotion au sein de l‟Agence pour le tourisme de Florence, Annexe E, entretien n°6).
Cette situation est liée au fait que l‟agritourisme est un phénomène ancien dans cette
région de l‟Italie. Il a en effet été importé de l‟étranger dès la fin des années 1950. A la fin des
années 1940, suisses, allemands et britanniques se sont installés en Toscane pour transformer
des hameaux en chambres d‟hôtes. Par la suite, influencés par le modèle des campagnes
tyroliennes et anglaises, les grandes familles de l‟aristocratie terrienne ont aménagé des
hébergements touristiques sur leurs domaines afin de rentabiliser leur patrimoine rural. Dans
sa thèse sur les campagnes péri-urbaines, Coline Perrin dresse une chronologie du
développement de l‟agritourisme en Toscane.
De 1965 à 1985, les agritourismes se multiplient surtout dans le Chianti ainsi que sur
le littoral et l‟Ile d‟Elbe sous l‟effet de la mobilisation des grands producteurs. En 1973 et
1976, deux syndicats de petits exploitants créent leur propre association et en 1975,
Agritourist publie le premier guide de l‟hospitalité rurale, référençant chaque année les
exploitations agricoles offrant des services d‟hébergement et de restauration. Le modèle
connaît alors une forte croissance: on passe de 80 exploitations référencées en 1975 à 1500 en
1980. En 1980, les trois associations s‟unissent dans le Consortium Anagritur, chargé de
prospective et de promotion.
47
La loi-cadre nationale de 1985, qui fut ensuite complétée par la politique d‟aide de la
Politique Agricole Commune16
(RANDELLI, SCHIRMER, 2009), marque ensuite un
tournant : à partir de cette date, l‟agritourisme se diffuse rapidement partout en Toscane.
Prévoyant des avantages fiscaux aux producteurs qui accueillent des touristes au sein de leur
propriété, la loi entraine une progression du nombre d‟agritourismes. Les activités considérées
comme relevant de l‟agritourisme sont en outre variées, laissant une certaine marge de
manœuvre aux intéressés. Sont ainsi mentionnés par la loi l‟hébergement, la restauration
(service de plats et de boissons produits par l‟exploitant ou par des exploitants de la même
zone géographique), l‟organisation de dégustations, et l‟organisation d‟activités culturelles,
récréatives et didactiques visant à la valorisation du patrimoine rural. Ainsi, malgré la loi
régionale de 1987, qui impose que l‟activité agricole reste la principale, tant en termes de
temps de travail que de chiffre, l‟agritourisme progresse et s‟impose dans pratiquement toutes
les communes rurales17
. Parallèlement il se diversifie : des exploitations de taille inférieure
prennent le pas et créent une offre destinée à une clientèle moins aisée, plus italienne, et
adaptée aux séjours plus courts. Le camping à la ferme se répand.
Pour certains territoires toscans en marge, le tourisme a alors été conçu comme un
moyen de développement. Le succès de l‟agritourisme et de l‟agro-industrie, lié à la
sensibilité accrue à la protection de l‟environnement et aux bienfaits des produits locaux, ont
favorisé l‟essor d‟espaces autrefois en crise (BALLESTRIERI, 2005). En raison de ce succès
auprès des exploitants, la Toscane est devenue la région d‟Italie où l‟agritourisme est le plus
développé. Elle concentrait ainsi en 2007 plus de 25% des structures, 35% des nuitées et près
de 45% des nuitées des étrangers dans les agritourismes italiens. L‟offre a encore augmenté de
77% entre 2001 et 2006. Or, comme nous l‟avons vu, la politique régionale a largement
favorisé cette tendance, la région ayant très tôt perçu que le tourisme pouvait servir de support
à l‟agriculture.
Lieu de naissance de l‟agritourisme, et région motrice de la dynamique nationale qui a
suivi, les acteurs toscans se sont très tôt mobilisés pour structurer et promouvoir cette activité.
16
L‟agritourisme étant reconnu comme une activité agricole par l‟Union Européenne, la Politique Agricole Commune a mis
en place un dispositif d‟aides aux propriétaires se lançant dans le secteur depuis le début des années 1990. 17 La loi sur l‟agritourisme de 2003 (n°30 du 23 juin 2003) renouvelle le principe selon lequel l‟activité centrale de
l‟exploitation doit rester l‟agriculture et les produits de l‟exploitant ou d‟origine locale doivent être privilégiés.
48
Les pouvoirs publics ont d‟ailleurs encadré cette diffusion par l‟élaboration de lois, percevant
le potentiel de ce secteur en termes de développement rural. Aujourd‟hui, les concentrations
d‟exploitations sont toutefois plus fortes dans les zones pionnières du littoral et des collines
intérieures et le Chianti au sens large reste le véritable « épicentre agritouristique » (PERRIN,
2009). La mise en tourisme du patrimoine rural toscan est donc un processus qui a commencé
dans les années 1950 et la production de vins de qualité a constitué et constitue encore
aujourd‟hui un des éléments les plus attractifs de la campagne toscane.
49
2. Les acteurs de la mise en tourisme du patrimoine viticole chiantigiano
Si le Chianti Classico est aujourd‟hui un terroir touristique attractif et dynamique,
l‟œnotourisme s‟y est développé grâce à l‟intervention d‟une diversité de personnes engagées
dans la mise en valeur du patrimoine local. La patrimonialisation a de fait été portée par des
acteurs issus de milieux très différents.
La lecture de travaux de recherches réalisés sur la question, ainsi que les informations
recueillies sur le terrain d‟étude lors des entretiens et des séances d‟observation ont permis de
retracer l‟histoire de la mise en tourisme du Chianti, et de cerner quels sont les acteurs y ayant
participé.
2.1 La patrimonialisation de l’espace viticole : le rôle des producteurs
Parce que le patrimoine est l‟un des principaux éléments qui participent de l‟attractivité
d‟un terroir viticole, il convient de faire commencer l‟analyse du processus de mise en
tourisme au moment de la patrimonialisation du vin et de la zone de production de l‟espace
d‟étude, soit au moment où il fut décidé de revaloriser son identité et son histoire. Or, comme
nous l‟avons souligné précédemment, la construction d‟un terroir est souvent accompagnée
d‟un processus de patrimonialisation, le passé étant convoqué pour mettre en avant la qualité
du vin. Les actions menées par les acteurs à l‟origine de la constitution du terroir Chianti
Classico doivent en conséquence être étudiées. Ils ont en effet mis en place les éléments qui
ont servi plus tard de moteur au développement d‟œnotourisme.
2.1.1 Le terroir, une construction collective
La construction du terroir Chianti Classico a suivi un processus classique, comparable à
d‟autres terroirs européens. La reconnaissance de sa particularité par l‟attribution d‟une
appellation qui lui est propre fut le résultat d‟un combat mené tout au long du XXème siècle
par les producteurs réunis au sein Consortium Chianti Classico. L‟objectif était de s‟imposer
auprès de l‟État pour se distinguer des autres appellations Chianti existantes.
A la fin du 19ème
siècle, en raison de la notoriété du Chianti, beaucoup de producteurs et
de commerçants utilisaient ce nom pour désigner les vins de la région de Florence ce qui eut
un impact sur la renommée du vin Chianti produit dans la zone historique de 1716. Le produit
qui faisait autrefois figure de référence était assimilé aux vins Chianti de moindre qualité
50
produits en quantité en périphérie pour approvisionner la population italienne immigrée aux
Etats-Unis. Aussi, les viticulteurs les plus dynamiques de la zone historique du Chianti, durent
s‟affirmer pour faire reconnaître par la loi la spécificité de leur vin et se voir attribuer une
appellation distincte et hiérarchiquement supérieure aux autres aires de l‟appellation
générique Chianti. Dès 1924, les producteurs de Greve, Radda, Gaiole et Castellina in Chianti
se munirent d‟un organisme destiné à contrôler la qualité et à garantir la spécificité de leur
vin. Ils fondèrent ainsi un consortium ayant vocation à défendre le vin de Chianti le 14 mai
1924. Ils définirent en outre une marque d‟origine identifiable par un logo représentant un coq
noir, lequel devint une garantie de qualité apposée sur les bouteilles de Chianti produites par
le consortium. En 1925, les 33 pionniers furent rejoints par des producteurs des parties
limitrophes des communes voisines de San Casciano in Val di Pesa, de Tavarnelle val di Pesa
et de Barberino Val d‟Elsa, situées à l‟ouest de la zone historique. Considérant qu‟il était
impossible de commercialiser un vin de qualité à un prix raisonnable sans donner les garanties
nécessaires au marché et donc au consommateur, ils décidèrent de constituer des cahiers des
charges portant sur les conditions de production et s‟accordèrent sur un périmètre de
production. Ce choix était très original, la logique dominante des viticulteurs étant de produire
massivement un vin de faible qualité à cette époque.
En 1941, le ministère de l‟agriculture italien valida l‟existence de deux Chianti, la
première catégorie étant réservée seulement à l‟aire Chianti Classico, la seconde à tous les
autres. Néanmoins, le président du Consorzio del Gallo Nero nommé en 1947, Luigi Ricasoli
Firidolfi, considérait ses mesures comme étant insuffisantes et souhaitait une appellation
spécifique. Vingt ans plus tard, un décret reconnut la DOC Chianti en précisant les critères de
production, et admit les caractéristiques spécifiques du Chianti Classico. Soumis à des règles
plus contraignantes que le Chianti, il était alors perçu comme plus propice au vieillissement.
Néanmoins, ce n‟est qu‟au début des années 1980 que le Chianti accéda à l‟appellation
DOCG, catégorie supérieure créée par la loi de 1963 et destinée à consacrer les meilleurs vins
italiens. Enfin, le décret ministériel du 5 août 1996 permit au Chianti Classico de bénéficier
d‟un statut personnel : « la création d‟une DOCG indépendante au code de production
distinct concluait 29 ans d‟efforts (…). La construction d‟un terroir était enfin complètement
reconnue » (HINNEWINKEL, 2005).
Ce long combat, et le perfectionnement des techniques de production qui l‟a accompagné,
ont ainsi été menés dans le but unique de se positionner sur le marché du vin de qualité
supérieure. Le Consortium visait donc une clientèle aisée et amatrice de bons vins. Il a dû en
51
conséquence travailler l‟image de son produit pour satisfaire cette demande. Néanmoins, si
l‟identification nationale de sa qualité a donné une visibilité et une valeur au savoir-faire
local, la reconnaissance de la supériorité d‟un produit typique par les consommateurs passe
également par le discours et la convocation du passé.
2.1.2 La promotion d’un terroir : utiliser les « fonctions identitaires et valorisantes » du
patrimoine (VESCHAMBRE, 2007)
La patrimonialisation, définie comme un processus de réinvestissement et de
revalorisation d‟espaces désaffectés, a pour enjeu la construction d‟une ressource. Le
patrimoine est pourvu d‟une « fonction identitaire » dans la mesure où il est créateur au lien
social et de distinction, mais également d‟une « fonction valorisante » car il peut permettre
d‟accroître les retombées économiques au niveau local (VESCHAMBRE, 2007). Or il semble
que le Consortium Chianti Classico ait très tôt perçu cette dimension. Bien avant
l‟élargissement de la notion de patrimoine, qui s‟est surtout imposée dans les années 1970, les
producteurs se sont approprié la dimension historique de l‟espace viticole du Chianti pour en
faire un signe distinctif et un marqueur de qualité pour leur vin.
En effet, plus que la DOC, c‟est l‟adoption dès les années 1920 par le Consortium
Chianti Classico d‟un logo (le Coq noir) faisant référence à un événement hautement
symbolique de la lutte qui opposait Florence et Sienne au Moyen Age qui a construit l‟image
d‟une zone de production aux limites historiques (HINNEWINKEL, 2005). L‟illustration
renvoie en effet à une période où les territoires actuels du Chianti dépendaient de la
République de Florence et formaient un seul et même territoire. Emblème de la ligue du
Chianti, cette image identitaire fondatrice a depuis toujours été reconnue par les sociétés
locales comme le symbole des communes du Chianti (Fig. 12). La reprendre était donc un
acte très significatif : symbole d‟une période marquante de l‟histoire des communes du
Chianti, le coq noir (gallo nero) est porteur de valeurs fortes et unificatrices. Il permettait aux
33 producteurs de 1924 de se distinguer des autres à travers la revendication d‟un lien social
fort. De même sa convocation permettait d‟associer le vin à un passé, à un espace délimité, à
un savoir-faire territorialisé et donc à des qualités gustatives. Face à un Etat incompétent pour
mettre en place un dispositif de protection du vin de qualité (le système de la DOC n‟a été
créé qu‟en 1963), la stratégie de marque s‟est imposée. Le Gallo Nero fut de fait
progressivement assimilé à un terroir rigoureusement délimité par les producteurs locaux.
52
Cette action rejoint finalement celle qui consistait à communiquer sur le fait qu‟il
produisait du vin dans la zone historique du Chianti (Radda, Gaiole et Castellina, puis la zone
s‟est étendue) pour légitimer le nom « Chianti Classico » (Chianti Classique) de leur vin et le
positionner au-dessus des autres dans la hiérarchie des vins Chianti fabriqués dans la région.
Ainsi, la « fonction identitaire » du patrimoine immatériel, à savoir celle des légendes, de
l‟histoire, de la tradition et du savoir-faire local, a été sollicitée dès le début de la construction
du terroir.
En outre, une analyse du site internet du consortium fait clairement apparaître les
enjeux que revêt l‟appropriation du patrimoine rural pour les producteurs de Chianti Classico
(Annexe F). Cette fois ce sont davantage les paysages, les bâtiments agricoles, les outils
utilisés pour la fabrication du vin qui sont mis en avant dans le discours pour communiquer
sur la supériorité du Chianti classico. L‟association du territoire à la viticulture est mise en
perspective. La rubrique « notre territoire » est composé de deux sous-rubriques : la première
est nommée « l‟histoire ». Elle fait un bref historique du territoire depuis les Etrusques à nos
jours pour insister sur la richesse culturelle du Chianti, l‟ancienneté de ses paysages et de ses
exploitations (Annexe F). Elle présente les différentes étapes de la reconnaissance du terroir,
et tait bien évidemment le fait qu‟entre le 12ème
et le 19ème
, à l‟exception de ceux produits
Figure 11 : Le logo du vin Chianti Classico (source:
www.chianticlassico.com).
Le coq noir, emblème de la ligue médiévale du Chianti, est au centre de
l’illustration, associant le vin au passé médiéval et à l’identité collective de sa
zone de production. La mention « dal 1716 » (depuis 1716) communique sur
l’ancienneté du terroir et son caractère originel. La mise en valeur de la
dimension historique et identitaire de la zone de production a donc été au
cœur de la construction du terroir Chianti Classico.
53
dans certaines rares exploitations, les vins Chianti étaient de mauvaise qualité et étaient
produits en masse pour être exportés et consommés par les immigrés italiens installés aux
Etats-Unis (HINNEWINKEL, 2005 ; PERRIN, 2009).
La deuxième sous-rubrique est intitulée « les caractéristiques », et tend à démontrer
que le terroir est également un patrimoine naturel unique en partie responsable de la qualité du
vin qui y est produit. Dans le discours adopté pour cette partie, le territoire du Chianti se voit
d‟abord attribuer le nom de la marque « Chianti Classico », et se confond avec la production
ancestrale du vin. En outre, les éléments naturels et les paysages sont associés pour insister
sur la supériorité du vin produit dans les limites du périmètre reconnu par le syndicat de
producteurs. Le Consortium s‟y approprie les patrimoines historique, agricole, naturel et
territorial pour distinguer son produit des autres vins, à l‟échelle locale comme nationale.
Cette dernière analyse révèle la volonté de la part du Consortium d‟élargir et
d‟améliorer leur maîtrise du patrimoine local. Celle-ci s‟est d‟ailleurs concrétisée en 1991 à
travers la création d‟une Fondation pour la préservation du territoire Chianti Classico
rattachée au Consortium. Elle a pour mission de protéger le terroir et son environnement et de
mettre en valeur son patrimoine culturel et artistique (CASSANO M., responsable marketing
du Chianti Classico et secrétaire de la Fondation, Annexe E, entretien n°5).
Ce processus de patrimonialisation revêt de fait un enjeu économique pour les
producteurs. En effet, valoriser l‟histoire du vin et son imbrication avec une histoire des
territoires du Chianti s‟avère être un moyen de légitimer sa qualité supérieure auprès des
consommateurs. En Europe, le développement des appellations et des terroirs est lié au statut
culturel du vin. Comprendre ce que l‟on boit est devenu un impératif pour une partie des
acheteurs modernes généralement issus des classes supérieures. L‟importance croissante
accordée à « l‟authentique » et au traditionnel a été prise en compte et dicte les procédés de
mise en valeur du patrimoine du Chianti par les producteurs. La revendication d‟une
dimension historique et collective du vin est intégrée dans une stratégie marketing visant à
utiliser le patrimoine pour accroître les ventes (Annexe F). Or cette démarche a favorisé
l‟émergence d‟un patrimoine visible et lisible par des amateurs de vin potentiellement
touristes.
54
2.1.3 Le patrimoine, une ressource à l’échelle de l’exploitation viticole
A l‟échelle de leur exploitation, les grands propriétaires développent les mêmes
stratégies de communication que le Consortium. La mise en valeur du Château de Verrazzano,
aussi bien renommé pour son patrimoine historique que pour son vin, est un exemple. De fait,
la première inscription attestant de la production de vin dans le domaine date de 1115 et le
château a été construit à la fin du 14ème
siècle. L‟exploitation bénéficie donc d‟une profondeur
historique. De la fin du Moyen-Age à 1819, il a appartenu à la famille Verrazzano, connue
notamment aux Etats-Unis, car l‟un de ses membres, Giovanni Verrazzano, est le premier
européen qui a découvert la Baie de New York au début du 16ème
siècle. Le pont qui relie les
boroughs à Staten Island à New York est d‟ailleurs nommé le pont Verrazzano-Narrows18
.
Aussi, Cavaliere Luigi Cappellini, qui a racheté le château en 1958, a travaillé à la
revalorisation de la dimension historique du domaine dans une perspective vraisemblablement
économique. Un centre historique Verrazzano, qui conserve les archives de la famille et du
navigateur, a ainsi été créé par le gérant. Les étiquettes des bouteilles sont décorées de la
gravure de l‟explorateur (Doc 11). L‟exploitation, le vin, et l‟histoire du domaine sont ainsi
associés pour donner une plus-value au vin. Le caractère ancien de sa production et les
familles renommées qui y ont participé l‟accréditent d‟une qualité supérieure et d‟une
« authenticité » prouvée. D‟autre part, il paraît peu étonnant que Luigi Cappellini ait choisi
de cibler la clientèle américaine en priorité dans le cadre de ses stratégies de vente. Le nom
« Verrazzano » y jouissait vraisemblablement d‟une notoriété plus importante qu‟ailleurs et
les habitants de la côte ouest des Etats-Unis étaient sans doute plus réceptifs au discours
marketing associant le vin à Giovanni Verrazzano et sa famille.
18
Livret et brochures du Château de Verrazzano.
55
2.2 Des ruines à la réhabilitation : une mise en valeur influencée par le regard des
étrangers
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Chianti était un espace agricole pauvre
touché par l‟exode rural. Le conflit international avait entraîné de nombreuses destructions et
certains domaines agricoles avaient été très endommagés par les bombardements. (M.
PESCINI, Maire de San Casciano in Val di Pesa, Annexe E, entretien n°2).
Vingt ans après la fin de la guerre, le Chianti est en effet entré dans une période de déclin.
Les lois de réformes agraires Sila et Stralicio de 1950 favorisèrent le développement du faire-
valoir direct et renforcèrent les exploitations économiquement viables au détriment des
structures faiblement productives. Le système de la mezzadria, qui avait régulé la société
locale depuis la fin du Moyen-Age, fut alors brutalement abandonné dans ce contexte de
révolution agricole (PERRIN, 2009). Le nombre de métayers passa ainsi de 3482 en 1950 à
352 en 1970 en Toscane (BIANCHI, 1985). Or le Chianti fut particulièrement affecté par ce
Figure 12 : La bouteille de vin Chianti Classico
Verrazzano (source: http://www.verrazzano.com/).
L’histoire du Château est mise en avant comme un
gage de prestige du domaine viticole. Une
illustration de l’explorateur Giovanni Verrazzano,
qui a vécu dans le Château au 16ème siècle,
agrémente les étiquettes des bouteilles.
56
processus de modernisation. La zone de production perdit de sa population, le secteur agricole
fut délaissé par les résidents locaux au profit de l‟industrie et l‟artisanat et certains espaces
furent abandonnés.
“Le Chianti a l’apparence d’un territoire riche aujourd’hui, mais après la Seconde
Guerre mondiale, le territoire était extrêment pauvre et une terrible misère s’était installée.
La moitié des maisons étaient détruites à cause des bombardements américains et des
destructions allemandes. La situation a été catastrophique pour l’agriculture à la fin des
années 1950-1960. (...) L’industrialisation a montré que [le métier de métayer] était un type
de travail arriéré et non prestigieux. Les agriculteurs sont partis pour devenir ouvriers ou
artisans et l’agritulture a été transformée.” (M. PESCINI, Maire de San Casciano in Val di
Pesa, Annexe E, entretien n°2)19
La « misère » et « la pauvreté » ont alors laissé place à l‟abandon d‟une terre considérée
comme déprimée : « La mention area depressa était inscrite sur les panneaux de signalisation
à l’entrée des communes » (PERRIN, RANDELLI, 2008). Les prix des domaines devinrent
excessivement bas. C‟est dans ce contexte que des étrangers et des producteurs locaux, issus
de grandes familles terriennes ou non décidèrent de remettre en valeur le paysage et les
bâtiments de l‟espace viticole du Chianti.
2.2.1 Le rôle déterminant du regard étranger à partir des années 1960
Trois profils d’acteurs étrangers
Dans leur article « L‟essor des viticulteurs étrangers dans le Chianti », Coline PERRIN et
Filippo RANDELLI, distinguent trois profils d‟étrangers ayant participé à la revitalisation du
patrimoine viticole (PERRIN, RANDELLI, 2008).
Le premier groupe identifié est arrivé dans les années 1960, attiré par le cadre de vie de
qualité offert par le lieu. Souvent venus d‟Europe du nord (Grande Bretagne, Allemagne,
Hollande) ou des Etats-Unis, ces étrangers ont été séduits par le climat et les paysages du
Chianti lors d‟un voyage touristique et ont décidé de s‟y installer. Les campagnes du Chianti
19 “Il Chianti ha l'apparenza di un territorio ricco oggi, ma dopo la seconda guerra mondiale, il territorio era
estremamente povero ed una terribile miseria si era installata. La metà delle case era distrutta a causa dei bombardamenti
americani e delle distruzioni tedeschi. La situazione è stata catastrofica per l'agricoltura fino negli anni 1950 -1960. Il
sistema del mezzadria dominava.(...) L'industrializzazione ha mostrato che [mezzadro] era un tipo di lavoro arretrato e non
era prestigioso. Gli agricoltori sono partiti allora per diventare operai o artigiani e l'agricoltura se ne è trovata trasformata.
Solo negli anni 80 la campagna si è ripopolata, che l'agricoltura è stata rivalutata e che il turismo si è sviluppato”.
Traduction V. ANGER
57
sont en effet idéalisées à l‟étranger, la Toscane étant une région renommée à l‟échelle
internationale pour ses paysages ruraux et ses villes d‟histoire. Le vin Chianti représentait
aussi un élément fort dans leur imagination, car il symbolisait la richesse gastronomique et
donc la qualité de vie de la région. Non viticulteurs antérieurement et s‟étant généralement
enrichis dans un autre secteur d‟activité, ils se sont lancés dans la fabrication du vin en vue
d‟en faire une occupation de loisirs. Or cette catégorie d‟investisseurs étrangers a fortement
contribué à la revalorisation du Chianti : ils ont réhabilité et aménagé les bâtiments
conformément à l‟image idéalisée qu‟ils avaient de la campagne toscane. Leur perception
antérieure des lieux a donc fortement influencé les choix de mise en valeur du patrimoine
rural local. Ils ont par ailleurs souvent ouvert des chambres d‟hôtes ou des locations
touristiques destinées généralement à l‟accueil de visiteurs originaires de leur pays.
L‟image d‟une culture à taille humaine a en outre encouragé les étrangers initialement
viticulteurs, deuxième groupe identifié, à investir dans le Chianti. L‟amour du vin, la
renommée du Chianti mais aussi la présence d‟une filière viticole alors bien structurée et
dynamique les a incités à acheter un domaine, souvent à bas prix, dans cette portion de la
Toscane. De plus, les bouteilles étaient revendues à un prix élevé. Cette caractéristique leur
donnait la possibilité d‟être rentables sur une superficie de moindre dimension et rendaient en
conséquence le Chianti attractif. Certains d‟entre eux ont profité du cadre agréable de leur
nouvelle propriété agricole pour créer un agritourisme, lequel est généralement tenu par
l‟épouse de l‟exploitant. D‟après l‟étude, ces véritables viticulteurs seraient souvent moins
riches et plus jeunes que les précédents.
Enfin le dernier profil d‟étrangers ayant choisi de s‟installer dans le Chianti sont ceux
que C.PERRIN et F. RANDELLI appellent les « investisseurs de la planète nomade ». Il
s‟agit de multi-résidents fortunés qui exercent une fonction de cadre supérieur dans leur pays
d‟origine et qui ont fait un placement financier en achetant un domaine dans le Chianti, autant
pour y produire du vin de qualité que pour son cadre de vie. Arrivés plus tard, dans les années
1990, c‟est donc aussi bien pour exercer une nouvelle activité économique que pour réaliser
un investissement immobilier qu‟ils ont acheté un domaine. Ils emploient souvent de
nombreux employés et assurent la gestion de l‟exploitation par des va-et-vient réguliers. La
plupart de ces nouveaux exploitants ont de plus aménagé des équipements d‟accueil pour les
touristes. Les auteurs citent l‟exemple d‟un armateur de cargos frigorifiques, qui a acheté un
domaine à Gaiole in Chianti en 1988, puis un deuxième en 1996. Il a réhabilité les deux
maisons, modernisé les caves, et aménagé un agritourisme d‟une capacité de 60 lits. Dans la
58
mesure où l‟investissement a une valeur financière considérable (le quart de la valeur d‟un
cargo), l‟exploitation représente plus que du hobby-farming. Le propriétaire participe
d‟ailleurs 15 jours par mois aux travaux agricoles.
Les initiateurs de la mise en valeur du patrimoine viticole
Bien que présentant des profils socio-économiques distincts, ces trois types d‟acteurs
ont un point commun : ils ont choisi de s‟installer dans le Chianti et d‟y exercer des activités
viticoles et touristiques parce qu‟ils avaient une image positive de la région et de son
patrimoine culturel et gastronomique. Alors que le Chianti était en partie détruit par les
bombardements de la seconde guerre mondiale, ils ont aménagé leurs biens et mis en place
des techniques de production conformes au cadre et au mode de vie traditionnels qui selon
eux était associés au Chianti. Les principes qui ont régi la reconstruction et la revalorisation
patrimoniale et touristique des campagnes du Chianti ont donc été emprunts d‟idéaux et
d‟imaginaires forgés par les visiteurs :
« D’après Sean O’C, "Les maisons tomberaient en ruine sans les étrangers : les
habitants ne voulaient plus y habiter". Les étrangers ont effectivement réhabilité à l’identique
les maisons qu’ils occupent en employant des artisans locaux (maçons, charpentiers, tailleurs
de pierres). Selon Gerd S, "les étrangers défendent mieux le patrimoine du Chianti que les
toscans". Il a remis en état un château et le bourg environnant à l’abandon en respectant les
matériaux d’origine. Après six années de gouffre financier, il est très fier d’avoir redonné à
l’Italie un joyau qui se perdait par manque d’argent. » (PERRIN, RANDELLI, 2008).
Ils ont apporté au Chianti le souci de la protection et de la préservation du patrimoine
bâti et agraire (paysages agraires, murets de pierres sèches), mais aussi des préoccupations
environnementales souvent liées à leur position sociale et à la culture de leur pays d‟origine.
Les hollandais, les suisses et les allemands accordent ainsi une attention particulière à la
culture des vignes en terrasse pour limiter l‟érosion.
En outre, ils ont favorisé le développement d‟une viticulture de terroir modernisée et
tournée vers l‟exportation. Ce sont eux qui, face à la crise actuelle du marché, ont construit
une stratégie productive sur un retour au terroir et le refus de produire un vin standardisé. Ils
ont mis en avant l‟ancienneté du San Giovese, le cépage autochtone qui fait la particularité du
Chianti Classico et en ont fait un facteur de haute qualité dans le processus de fabrication du
vin. Ils ont enfin introduit des techniques de commercialisation axées sur la promotion. Et de
59
fait, la moitié de leurs vins est généralement vendue dans leur pays d‟origine. L‟offre
s‟adresse donc à une demande extérieure spécifique, réceptive à des images préconçues du
Chianti. Aussi, là-encore, la promotion est basée sur des idéaux de patrimoine rural, de modes
de vie et de savoir- faire. Ils participent ainsi de la diffusion de l‟image d‟un terroir dit
« authentique ».
Enfin, ce sont eux, qui ont importé le principe de l‟agritourisme à la fin des années 1940.
Les allemands et les britanniques ont développé ce type d‟offre pour accueillir les touristes
étrangers. Le fait d‟aménager un bâtiment agricole secondaire pour en faire une structure
d‟hébergement touristique était une innovation à l‟époque dans la région. En raison de son
succès, l‟idée a été reprise par de nombreux grands propriétaires d‟origine toscane. Si
aujourd‟hui beaucoup d‟étrangers primo-arrivants sont opposés à l‟afflux trop important de
touristes, ressenti comme une menace pour l‟ « authenticité » qu‟ils étaient venus chercher, il
n‟en demeure pas moins qu‟ils ont eux-mêmes lancé le processus de mise en tourisme du
Chianti.
2.2.2 L’implication des grands propriétaires locaux
Le mouvement lancé par les étrangers fut presque aussitôt suivi par les grands
propriétaires, qui pouvaient davantage envisager la diversification des activités de
l‟exploitation vers le tourisme que les petits agriculteurs (PERRIN, 2009). De fait ils
disposaient des capacités financières pour transformer le bâtit rural et le reconvertir en
hébergement touristique. Ils bénéficiaient de plus d‟une expérience de l‟accueil liée à
l‟ancienne villégiature. Surtout, ils étaient propriétaires de nombreuses fermes abandonnées
avec la fin de la mezzadria (métayage), et l‟exode rural massif qui s‟en est suivi.
Sans nécessairement se lancer directement dans le tourisme, des familles ont travaillé à
la revalorisation du patrimoine local. Nous pouvons reprendre l‟exemple de la famille
Cappellini, qui a racheté en 1958 le domaine et le Château de Verrazzano, une exploitation
peu rentable dont des bâtiments tombaient en ruine. Autrefois propriétaires d‟un grand
domaine situé dans la province de Sienne, les Cappellini décidèrent de tout vendre pour
acheter des parcelles à Greve in Chianti parce qu‟ils jugeaient le terroir plus porteur. Le fait
qu‟il s‟agisse d‟un château dont l‟histoire remonte au 14ème
siècle, et la situation du domaine,
en plein cœur de la zone de production du Chianti Classico, a vraisemblablement influencé
leur choix. Et de fait le vin et l‟huile d‟olive produits sur le domaine portaient l‟appellation
Chianti Classico. Ils ont alors réhabilité le château, sa cave et ses bâtiments agricoles avec
60
l‟aide de la Soprintendenza ai Monumenti di Firenze. Durant la période qui s‟étend des années
1960 au début des années 1990, Luigi Cappellini s‟est d‟abord focalisé sur la production d‟un
vin de qualité et sur l‟exportation vers les Etats-Unis. A partir des années 1990, bien que
réticente dans un premier temps à laisser entrer des visiteurs sur les lieux de fabrication du vin
et aux abords de leur domicile, la famille a créé un agritourisme (hébergement) à l‟entrée de la
propriété, puis s‟est lancé dans l‟organisation de visites et de dégustations (S. MODUGNO,
Responsable commercial du château de Verrazzano, Annexe E, entretien n°10).
A l‟image de la famille Cappellini, les acteurs privés locaux ont beaucoup participé à
la mise en valeur du patrimoine rurale et viticole du Chianti et au développement de
l‟œnotourisme (DESPLANQUES, 1980). Nous pouvons citer la famille Socci, qui possède la
Fattoria di Lamole depuis le 19ème
siècle20
, ou la famille François, qui a acquis le Château de
Querceto au 18ème
siècle21
, toutes les deux rattachées au Consortium depuis sa création en
1924. Elles ont ainsi restauré les poderi de leurs domaines pour les transformer en
hébergements touristiques.
Les producteurs, étrangers et toscans, sont donc à l‟origine de la démarche de
patrimonialisation et de valorisation du patrimoine viticole qui a précédé le développement du
tourisme dans le Chianti. Par leurs actions, l‟espace viticole, ses paysages et ses bâtiments
agricoles, civils et religieux ont pris une dimension identitaire et patrimoniale, et constituent
aujourd‟hui le bien commun spatialisé des habitants et des producteurs du terroir.
L‟idéalisation étrangère du paysage chiantigiano, le besoin croissant de patrimoine et
d‟ « authenticité » des sociétés européennes et nord-américaines ainsi que l‟évolution de la
demande des consommateurs de vin ont alors fortement contribué à la renaissance de cet
espace rural et ont déterminé les choix de mise en valeur de cet héritage. L‟imaginaire de ces
protagonistes exogènes a servi de référent au cours des différentes démarches de sélection des
héritages à conserver qu‟implique le processus de patrimonialisation.
20 www.fattoriadilamole.it 21 www.castellodiquerceto.it
61
3. Le développement du tourisme viticole : logiques, intérêts, divergences de point de
vue et tensions
Attirant de plus en plus de touristes, les produits typiques constituent une ressource
privilégiée pour les espaces ruraux. Le tourisme viticole est en effet une filière qui permet de
diversifier l‟économie sans produire de transformations radicales, qui facilite le réemploi des
bâtiments existants, sauvegardant ainsi le patrimoine bâti, et qui contribue à un
développement endogène avec des valeurs partagées par la communauté (AZZARI, CASSI,
MEINI, 2007). Dans le Chianti, les acteurs locaux ont compris cet enjeu et se sont lancés dans
le développement de l‟œnotourisme. Toutefois, le patrimoine viticole ayant progressivement
pris le statut de ressource économique, son exploitation a tendance à cristalliser des tensions
entre les différents groupes d‟acteurs en présence.
Les travaux publiés sur la question, les documents de planification locale ainsi que les
témoignages recueillis auprès des acteurs locaux a permis d‟éclairer cet aspect de notre sujet
de recherche.
3.1 L’intérêt économique de la mise en tourisme du patrimoine viticole
La proximité de Florence et Sienne s‟est révélée être un atout pour les territoires du
Chianti. De fait, ces deux villes de renommée internationale attirent chaque année des
millions de visiteurs italiens et étrangers. L‟aéroport de Pise, qui assure le transit de
compagnies aériennes low-cost, et l‟aéroport de Florence drainent des visiteurs originaires
d‟Europe, d‟Amérique et d‟Asie orientale vers Florence. Par ailleurs le centre historique de
Sienne, comme celui Florence, est inscrit au patrimoine mondial de l‟Unesco et fait partie des
sites touristiques incontournables de la Toscane (Guide Vert Toscane et Ombrie 2010, Guide
Bleu Toscane et Ombrie 2010, le Routard Toscane et Ombrie 2010).
Or le terroir du Chianti Classico est situé entre Florence et Sienne, et la voie rapide qui
relie les deux destinations culturelles le traverse (Fig.14). Aussi, les producteurs puis les
communes ont rapidement perçu que leur territoire présentait une situation stratégique. La
possibilité de capter les flux de touristes qui visitent Florence et Sienne et de développer des
activités touristiques pour les accueillir s‟est présenté comme un moyen de diversifier les
sources de revenus (Province de Florence, La governance del turismo della provincia di
Firenze, 2010;).
62
« Le Chianti est un endroit idéal pour loger et visiter Florence, San Gimignano, Sienne au cours
d’un séjour. Ils choisissent ces lieux pour avoir plus d’espace, pour venir en famille, profiter de la
campagne. Ils veulent avoir une relation privilégiée avec le paysage. Ce sont souvent des personnes
qui viennent pour le paysage car ils adorent le trekking, le vélo ou se relaxer, mais ils viennent aussi
pour visiter les villes alentours. » (R. POLI, responsable de la Promotion à l’Agenzia Per il
Turismo di Firenze, Annexe E, entretien n°6).
Figure 13 : La situation du terroir Chianti Classico, localisé entre Florence, Sienne et
Arezzo (V. ANGER).
3.1.1 Le tourisme viticole : une source de revenus et un outil marketing pour les
producteurs
Les petits producteurs
Si le tourisme viticole est né dans les années 1960 et 1970 grâce aux actions déployées
par les étrangers et les grands propriétaires pour mettre en valeur le patrimoine chiantigiano,
ce n‟est qu‟à partir du milieu des années 1980 que le secteur a connu une forte croissance.
Deux facteurs expliquent cette transition.
63
Le premier facteur renvoie à la crise viticole dans laquelle la viticulture est entrée dans les
années 1980. La baisse de la consommation de vin et la montée de la concurrence
internationale, due à l‟arrivée des vins chiliens et californiens sur le marché européen, ont
affecté le secteur en Europe. Les coûts de production étant élevés en Italie, l‟activité viticole
est devenue peu rentable pour les professionnels (LIGNON-DARMAILLAC, Annexe E,
entretien n°1). Pour les petits producteurs, plus vulnérables aux chocs extérieurs et aux
évolutions du marché, la création d‟une offre touristique sur leur exploitation et le
développement de la vente directe sont apparus comme un moyen de percevoir de nouveaux
revenus, d‟augmenter les ventes sur place et de fidéliser une clientèle étrangère.
“Produire du vin coûte cher ici et ce n’est plus très rémunérateur. Pour faire des
bénéfices, il faudrait que les prix soient différents des prix actuels. Le tourisme est une
nouvelle source de revenus qui s’est ajouté aux sources de revenus classiques”(S. S.
DIRINDELLI, Maire de Tavarnelle Val di Pesa, Annexe E, entretien n°3).22
Dans le Chianti, la plupart des producteurs ont ainsi choisi d‟aménager des structures
d‟hébergement au sein de leur exploitation viticole afin de bénéficier des retombées
économiques du tourisme urbain florentin et siennois.
Le deuxième facteur renvoie au vote de la loi nationale sur les agriturismi de 1985,
élaborée pour encourager les agriculteurs à diversifier leurs activités et à valoriser leurs
produits auprès des visiteurs.
En atteste le témoignage de la gérante de l‟agritourisme Il Bacio (Annexe E, Propriétaire
de l‟agritourisme Il Bacio, entretien n°8), localisé sur le territoire de Tavarnelle val di Pesa.
Son époux produit une diversité de produits, dont entre autre du vin DOCG le rosse, de la
grappa et de l‟huile d‟olive depuis les années 1980. Toutefois, n‟arrivant pas à dégager des
revenus suffisamment élevés par l‟agriculture, ils ont décidé de créer un agritourisme au
milieu des années 1990. Le manque de rentabilité de l‟exploitation les a poussés, elle et son
mari, à aménager des appartements dans les bâtiments annexes de leur propriété située au
milieu de champs de vignes. L‟agritourisme a ainsi ouvert en 1998. Ils accueillent depuis en
majorité des hollandais, des allemands et des japonais, et ce de mai à septembre, et ils gagnent
désormais confortablement leur vie. En outre, les touristes qu‟ils hébergent étant également
des clients pour la vente des produits qu‟ils récoltent et qu‟ils fabriquent, l‟investissement est
d‟autant plus profitable.
22 “Produrre del vino costa caro qui e non è molto rimunerativo. Per fare dei benefici, occorrerebbero prezzi più altri che i
prezzi attuali. Il turismo è una nuova fonte di reddito che si è aggiunta alle fonti di redditi classici.”Traduction V.ANGER
64
Les grandes exploitations
Le tourisme est en outre intégré à la stratégie marketing des producteurs de Chianti
Classico. Non seulement la vente directe représente 10% du total des ventes mais il permet de
mieux connaître le profil des consommateurs étrangers amateurs de Chianti Classico. Le
Consortium Chianti Classico s‟intéresse en effet beaucoup à l‟origine des touristes :
“La vente de vin directe dans les exploitations représente 10% du total des ventes. Et
dans le Chianti, il y a 500 000 touristes par an, donc une part importante des ventes se fait
directement sur le territoire. Mais le grand avantage, c’est qu’à travers le tourisme, nous
menons une opération de marketing directe sur le pays d’origine de ces touristes. (...) Nous
demandons à ceux qui vendent d’où ils viennent exactement. Nous demandons d’où ils
viennent parce que le tourisme véhicule l’image du pays d’origine. Cela permet de connaître
le profil de ceux qui dépensent pour une dégustation.” (M. CASSANO, responsable
marketing du Consortium Chianti Classico, Annexe E, entretien n°5).
Le Consortium profite donc de la venue d‟amateurs de vin sur place pour améliorer sa
connaissance de la clientèle.L‟objectif est de cerner quels marchés étrangers ses producteurs
doivent cibler et comment. Il développe ainsi actuellement une stratégie en direction des
américains qui, selon le Consortium, constituent 40% des visiteurs étrangers Et de fait,
comme l‟a précisé Sophie LIGNON-DARMAILLAC au cours de l‟entretien, les producteurs
comptent sur l‟effet « madeleine de Proust » de la dégustation de vins au cours du séjour
touristique. Une fois de retour dans leur pays de résidence, les touristes vont apprécier
consommer un vin qui leur rappelle leurs vacances passées dans un cadre agréable. La
dégustation est donc une façon comme une autre de fidéliser une clientèle.
Cette mise en valeur touristique des exploitations à des fins économiques peut être
illustrée par l‟exemple du Château de Verrazzano. Les propriétaires de ce domaine ont décidé
d‟ouvrir leur château aux touristes tardivement, au début des années 2000. D‟après le
témoignage du guide et responsable commercial du Château, « auparavant, l’idée de recevoir
des touristes dans leur propriété leur faisait peur. Ils ont découvert par la suite que c’était
une activité qui pourrait leur être très profitable » (S. MODUGNO, Responsable commercial
du Château de Verrazzano, Annexe E, entretien n°10). Le fait de voir d‟autres grands
propriétaires de la zone de production bénéficier des retombées économiques du tourisme
65
grâce à l‟organisation de visites, de dégustations ou à l‟aménagement d‟agritourismes les a
vraisemblablement incités à accueillir des visiteurs. Des formules proposant visites puis
dégustations de vins, d‟huile et de produits locaux font désormais partie de l‟offre du château.
Le circuit de la visite permet de voir les jardins du château et les caves où sont exposés les
bouteilles et les fûts de vin. Un guide explique l‟histoire du château et de la famille
Verrazzano, ainsi que les procédés de fabrication de la maison. Après la visite, les visiteurs
sont installés dans une salle de restauration décorée de fausses vignes et d‟instruments anciens
utilisés autrefois pour fabriquer le vin. Un serveur fait goûter les différents types de vins et
des produits typiques produits au sein de l‟exploitation comme l‟huile d‟olive pendant que le
guide explique aux visiteurs ce qu‟ils sont en train de déguster. Une fois la dégustation finie,
le guide indique qu‟il se tient à la disposition des clients pour l‟achat de vins et de produits
typiques (Annexe G).
Comme cet exemple en témoigne, la dégustation est donc conçue comme une activité
ludique et pédagogique. Elle est ludique parce que le touriste est invité à se comporter comme
un œnologue qui goûte des vins de qualité. La dimension pédagogique transparaît à travers les
explications du guide mais aussi la mise en scène, qui semble pensée pour apprendre aux
visiteurs comment se pratique une dégustation de vin en milieu viticole (ATOUT-FRANCE,
octobre 2009). En effet, la dégustation et la vente directe ont pour objectif d‟éduquer le
consommateur au goût et à la qualité des produits. Dans un contexte où la consommation
baisse et où le vin s‟affirme comme un produit de distinction, les producteurs de vin ont
compris que le tourisme pouvait être un moyen de relancer les ventes (DIACO A., 2005). La
dégustation doit leur permettre de donner à comprendre comment le vin de qualité, produit
culturel par excellence, doit être apprécié.
« Il s’agit de revaloriser le vin comme un produit de culture. Comme les jeunes filles de
bonne famille devaient faire un peu de piano, aujourd’hui si vous êtes éduqués, vous savez
parler un peu de vin. » (LIGNON-DARMAILLAC, Annexe E, entretien n°1).
La rencontre avec les producteurs ou la visite d‟une exploitation est également censée
marquer le touriste en jouant sur ses émotions. Les décors, les paysages, la mise en scène sont
autant d‟éléments qui contribuent à faire vivre une expérience touristique agréable (DIACO
A., 2005). Tout est donc étudié pour inciter le touriste à acheter des bouteilles de vins au
terme de la dégustation, et pour le fidéliser. A long terme, le consommateur pourra livrer des
commandes depuis son pays d‟origine grâce au site internet de l‟exploitant ou du Consortium,
lesquels sont traduits en anglais. Comme le souligne Sophie LIGNON-DARMAILLAC :
66
« On compte beaucoup sur la fidélisation et sur l’effet de la madeleine de Proust, le fait
d’avoir visité des lieux pour lesquels on a été sous le charme, l’effet du souvenir. »(LIGNON-
DARMAILLAC, Annexe E, entretien n°1).
Le touriste pourra également conseiller le vin en question à son entourage et contribuer
ainsi indirectement à l‟élargissement de la clientèle du viticulteur.
La multiplication de ce type d‟offre sur un même terroir a ainsi favorisé l‟émergence
d‟une filière œnotouristique dynamique.
3.1.2 Le tourisme rural pour diversifier les secteurs d’activités des municipalités
Les municipalités du Chianti ont également pris conscience de l‟intérêt que pouvait revêtir
le tourisme viticole pour l‟économie de leur commune. Né d‟une initiative privée,
l‟œnotourisme a progressivement été soutenu par les élus locaux. De fait, à Tavarnelle Val di
Pesa comme à San Casiano in Val di Pesa, deux communes spécialisées dans la viticulture, la
diversification des activités s‟était d‟abord appuyée sur le secteur agroindustriel et l‟artisanat
dans les années 1970. Cependant, avec la crise du vin européen, il s‟est révélé nécessaire
d‟encourager le développement d‟autres secteurs d‟activité, dans la mesure du possible
complémentaires à la viticulture. Ainsi, depuis une quinzaine d‟années, face au succès du
tourisme œnogastronomique dans le Chianti, les élus locaux des huit communes ont décidé
de développer un tourisme durable axé sur la découverte du patrimoine rural du Chianti. Alors
que le Consortium se montrait de plus en plus actif dans les processus de valorisation du
patrimoine et de mise en tourisme du terroir, et que les agritourismes se multipliaient sur leur
territoire, ils ont saisi qu‟il était nécessaire qu‟eux aussi accompagnent la démarche des
producteurs, lesquels représentent une part importante de leur électorat. Des actions de
protection et de mise en valeur du patrimoine, d‟aide aux agritourismes, d‟aménagement et de
promotion sont ainsi menées au niveau des communes en parallèle de celles déployées par le
Consortium à l‟échelle du terroir. L‟objectif est de créer une destination attractive fondée sur
un système d‟offre complet et respectueux des ressources locales.
La protection et la mise en valeur du patrimoine
Avec la décentralisation qui s‟est opérée à partir des années 1990 en Italie, les communes ont
été pourvues de compétences supplémentaires en matière de préservation des ressources
locales. La loi régionale n°5 de 1995 a en effet réformé la politique de planification
67
communal. Celle-ci repose désormais sur l‟élaboration d‟un Plan Structurel (Piano
Struttural). Tandis que les programmes précédents se focalisaient sur les espaces à urbaniser,
l‟ensemble du territoire communal est pris en compte selon une approche systémique dans le
nouveau plan. Les communes sont alors obligées de publier un rapport de présentation de
quatre-vingts pages ainsi qu‟un règlement de quatre-vingt-dix pages, lesquels doivent être
complétés de tableaux et de carte représentant le milieu physique, l‟hydrographie, les risques
géologiques, hydrologiques et la pollution. Deux autres cartes doivent localiser le patrimoine
bâtit et les équipements publics. Enfin, le territoire doit être découpé pour les besoins de la
planification en six systèmes territoriaux et 18 unités territoriales (UTOE, Unita territoriale
Organiche Elementari). Une carte délimite les invariants structurels du territoire à préserver.
Une autre mentionne les usages possibles et les moyens de protection de ces invariants. Dans
le cadre du montage de ce document d‟aménagement du territoire, les communes sont
amenées à définir des espaces bâtis et agricoles à protéger pour leur dimension patrimoniale,
et à déterminer des mesures de protection et de mise en valeur adaptées. La loi de 1995
renvoie finalement à la politique plus générale de protection des paysages et du patrimoine
prônée par l‟Etat depuis un peu moins d‟un siècle à travers la mise en place de
règlementations : la loi 1497 de 1939 sur la protection du patrimoine naturel, l‟inscription
dans la constitution de la République italienne de 1947 du devoir de préservation des
paysages ou encore la loi Gaspello n°431 du 8 août 1985, qui complète les paysages à
préserver. Suite à la décentralisation (D. Lgs. 42/2004), la région s‟est vue chargée de la mise
en valeur du patrimoine et la province de sa gestion. Si l‟Etat agit par l‟intermédiaire de la
Soprintendenza per i Beni Architettonici, Paesaggistici, Storici, Artistici ed Etnoantropologici
per le province di Firenze, Prato et Pistoia, une commission périphérique du Ministère des
biens et des activités culturelles chargée de protéger, conserver et mettre en valeur l‟héritage
architectural et paysager des provinces de Florence, Prato et Pistoia en collaboration avec les
différentes collectivités concernées, les compétences sont désormais partagées 23
. Surtout, la
commune est devenue l‟échelon privilégié pour l‟application des politiques de mise en valeur
et de gestion du patrimoine définie dans le plan d‟orientation territorial régional (Piano di
Indirrizzo Territoriale –PIT- Régionale) et le Plan de coordination provincial (Piano
Territoriale di Coordinamento Provinciale -P.T.C.-) de la province.
Cette implication des pouvoirs publics locaux dans la préservation du patrimoine et des
paysages peut être illustrée par l‟exemple du plan structurel de la commune de Greve in
23
La Soprintendenza emploie notamment des experts du patrimoine et des architectes qui assurent la conduite de projets de
restauration et de valorisation du patrimoine bâti et paysage
68
Chianti élaboré pour la période 2009-201424
. Le plan précise qu‟une règlementation et une
politique particulière doit être appliquée dans les espaces correspondant au « tissu historique »
et aux zones dont la dont la fonction dominante est l‟agriculture. Les premiers sont soumis à
une discipline très stricte en matière de construction et d‟urbanisme. Tous les travaux
d‟aménagement doivent s‟insérer dans le tissu existant sans compromettre l‟identité du bâti ni
les caractéristiques historiques du patrimoine existant. La protection du patrimoine bâti
d‟intérêt historique et la valorisation du rôle de l‟activité agricole, qui permet la préservation
des paysages, sont mis en avant pour ce qui concerne les espaces agricoles.
Par ailleurs, les municipalités interviennent pour la réhabilitation et la valorisation
touristique du patrimoine bâti et des lieux historiques. Dans son programme de gouvernance
2009-201425
, la municipalité de Gaiole in Chianti prévoit ainsi la requalification de la zone
nord du centre, soit la reconstruction du mur de la via di Roma, la valorisation de la Piazza
Antica Mercato et l‟aménagement d‟un petit jardin. Elle envisage également la restauration
de tous les angles de rues du centre historique. La visite des huit communes des aree du
Chianti a permis de constater que chaque municipalité s‟est engagée dans une politique
d‟esthétisation du patrimoine bâti et des paysages. Les centres médiévaux, les villages et les
églises sont très bien entretenus. Barberino, San Casciano, Gaiole, Radda, et Castelnuovo
Berardenga, dont les bourgs ont été construits sur des promontoires, ont de plus aménagé des
points de vue sur la campagne environnante. L‟histoire et le lien étroit qui unit le bâti et les
espaces agricoles sont clairement mis en avant car ils sont considérés comme des facteurs
d‟attractivité à exploiter.
La politique de développement touristique
Les huit communes participent ainsi aujourd‟hui à la mise en tourisme de leur patrimoine
viticole de différentes manières. Certaines encouragent les producteurs à accueillir les
touristes à travers un système d‟avantages fiscaux, à l‟image de municipalité de San Casciano
in Val di Pesa :
24
Commune di Chianti, Piano strutturale, “Statuto dei Luoghi e Normativa strutturale » 25
« Programma di governo per Gaiole in Chianti, Amministrazione 2009-2014.”
69
« Le tourisme est basé sur les agritourismes, c’est-à-dire sur les hébergements autres
qu’hôteliers. Il n’y a pas de taxe sur le patrimoine dans le cadre des agritourismes, et je
prévois de réduire l’impôt sur le revenu » (M. PESCINI, Annexe E, entretien n°2).26
Toutes ont ouvert des offices de tourisme communaux, restauré les bâtiments et les rues
des centres médiévaux et aménagé des points de vue. Elles créent des itinéraires de
promenade et améliorent la desserte des principaux sites touristiques en aménageant les routes
de campagne et en installant une signalétique spécifique. Elles travaillent à l‟amélioration de
l‟offre à travers la programmation de rencontres thématiques avec les professionnels du
tourisme et en planifiant des programmes d‟actualisation du classement des hébergements.
Elles organisent des évènements ayant pour thème central le vin, et ce en coopération avec les
producteurs et les commerçants. Elles lancent des initiatives visant à atténuer le phénomène
de saisonnalité associé au tourisme viticole en créant des manifestations culturelles en
octobre, comme le Festival du Chianti. Le but est de diversifier l‟offre pour inciter les
touristes à venir durant la saison non touristique, laquelle s‟étend de fin mai à fin septembre.
Enfin, chaque maire est membre de l‟association Città del vino, qui s‟est donnée pour mission
de conseiller les collectivités où la viticulture représente une activité économique importante,
à mettre en tourisme leur patrimoine viticole et à organiser des évènements
œnogastronomiques (Province de Florence, La governance del turismo della provincia di
Firenze, 2010 ; M. BOZZI, Annexe E, entretien n°4)
La promotion
Afin d‟optimiser la promotion de la commune à plusieurs échelles, chaque office de
tourisme est en relation avec l‟Agence Pour le Tourisme (Agenzia Per il Turismo) dont il
dépend27
. Ceux-ci mettent à la disposition des visiteurs des flyers référençant les producteurs
pratiquant la vente directe, des guides proposant des itinéraires de promenades ainsi que des
brochures sur les activités du Consortium Chianti Classico. Ils commercialisent en outre des
cartes publiées par ce dernier et des produits dérivés Chianti Classico. Par ailleurs, les
communes soutiennent financièrement les associations d‟habitants, nommées Proloco, qui ont
également pour objectif de « promouvoir et de développer des activités et des manifestations
à caractère touristique, folklorique, culturel, sportif, œnogastronomique, sans but lucratif et
26 “Il turismo è basato sugli agriturismi, vale a dire sull'extra-alberghiere. Non c'è tassa sul patrimonio nella cornice degli
agriturismi e io prevedo delle riduzioni sull'imposta su reddito”. Traduction V.ANGER 27 L’APT correspond à l’agence de promotion touristique de la province, cf. p.70
70
dans le respect de l’autonomie des autres associations présentes sur le territoire »28
. De
même que les offices de tourisme, elles disposent de leurs propres locaux, et sont à la
disposition des touristes.
3.2 La gestion d’un terroir touristique : logiques d’acteurs, intérêts et tensions
Acteurs publics et privés sont favorables à la mise en valeur touristique du patrimoine
viticole appréhendé comme une ressource en vue du développement futur de leurs territoires
(AZZARI, CASSI, MEINI, 2007). Ils coopèrent d‟ailleurs parfois ensemble pour
l‟organisation d‟événements. Toutefois, ils ne conçoivent pas nécessairement cette
valorisation de la même façon.
Tandis que les communes s‟efforcent de proposer une stratégie de développement
économique intégrant tous les secteurs d‟activité, et en particulier l‟industrie, les producteurs,
à travers le Consorzio Chianti Classico, sont davantage convaincus qu‟il faut spécialiser le
terroir dans la production viticole et oléicole et le tourisme rural. Cette divergence de point de
vue est entre autres visible à travers les actions de promotion et de mise en valeur déployés
par chacun de ces acteurs. D‟au côté, les communes s‟efforcent de promouvoir un tourisme
diversifié, alliant patrimoine historique, avec la mise en valeur de leurs bourgs, patrimoine
naturel, à travers des musées comme le Musée du paysage à Castelnuovo Berardenga,
patrimoine religieux, avec les musées d‟art religieux comme ceux de Tavarnelle Val di Pesa,
San Casciano in Val di Pesa, Greve in Chianti, ou Radda in Chianti, activités de randonnées
ou sportives et enfin divertissements culturels (festival de jazz Chianti festival). Le syndicat
de producteurs limite quant à lui ses actions à la mise en valeur du patrimoine agricole,
historique et religieux du terroir. En effet, il semble que le Consortium n‟attache de
l‟importance qu‟aux éléments ayant participé à la construction de l‟identité du Chianti
Classico, à savoir le vin, l‟huile, les paysages de vigne, le passé, l‟architecture locale et l‟art.
C‟est du moins ce que laisse supposer les choix qu‟il a faits en matière de développement
touristique.
3.2.1 Des intentions différentes concernant l’avenir des aree Chiantigiane : l’exemple du
projet d’inscription du Chianti Classico au Patrimoine Mondial de l’Unesco
Un évènement passé illustre ces oppositions sous-jacentes. En 1997, la Fondation pour la
préservation du Chianti Classico avait monté un dossier de candidature pour l‟inscription du
28 Statuts de l’association Proloco de Greve in Chianti. http://www.comune.greve-in-chianti.fi.it/attach/Statuto.pdf
71
terroir Chianti Classico au patrimoine mondial de l‟UNESCO. Toutefois, les collectivités
locales n‟ont pas été consultées. L‟Etat, a donc souligné l‟absence de collaboration dans
l‟élaboration du plan de gestion et a refusé de retenir la candidature d‟un projet non concerté.
Le dossier est en conséquence actuellement bloqué (PERRIN, 2009).
C’est le Consortium qui a fait la demande pour être candidat au patrimoine mondial de
l’UNESCO, et non les communes. Cela fait des années maintenant. Nous n’avions pas été
consultés et nous avons eu une réponse négative (S. DIRINDELLI, Maire de Tavarnelle val di
Pesa, Annexe E, entretien n°3)29
De fait, les communes, sans être défavorables à l‟inscription de leur territoire au
patrimoine mondial de l‟UNESCO, ne la considèrent pas comme une priorité. Selon les
maires de Tavarnelle Val di Pesa et San Casciano in Val di Pesa, le territoire du Chianti ne se
réduit pas aux secteurs du vin et du tourisme. En atteste le témoignage de M. DIRINDELLI,
maire de Tavarnelle Val di Pesa :
Ce serait très bien pour notre territoire car cela nous donnerait de la visibilité.
Cependant, les communes ne veulent pas être réduites à des territoires agricoles producteurs
de Chianti Classique. Nous souhaitons que l'industrie manufacturière fournisse des emplois.
Nous sommes convaincus que nous ne pouvons pas vivre du tourisme et du vin exclusivement.
Nous avons besoin de structures matérielles et immatérielles qui permettent à nos entreprises
d'être compétitives.” (S. DIRINDELLI, Maire de Tavarnelle val di Pesa, Annexe E, entretien
n°3)30
Selon les élus, pour un développement à long terme, il convient de conserver des
industries et des manufactures, qui non seulement représentent 50% des revenus locaux mais
permettent aussi de maintenir une économie diversifiée. Certes, la proximité de Florence
facilite l‟attraction de flux touristiques, mais elle contribue aussi à l‟implantation d‟entreprises
non touristiques. Le fait d‟être en situation périurbaine et bien desservie est un avantage
comparatif pour leur commune qu‟il ne faut pas sous-estimer. Or l‟inscription au Patrimoine
mondial de l‟Unesco ferait entrer le territoire dans une logique de conservation et de
29
“È il consorzio che ha fatto la domanda per la candidatura al Patrimonio mondiale dell’ umanità (Unesco) e non i comuni
del Chianti. Parecchi anni fa di ciò... Non ci hanno consultati e non abbiamo avuto risposta positiva”.Traduction V. ANGER 30
« Sarebbe molto bene per il nostro territorio, ciò ci darebbe della visibilità. Tuttavia, i comuni non vogliono essere ridotte
ai territori agricoli di produzione del Chianti Classico. Auguriamo che l'industria manifatturiera fornisca degli impieghi.
Siamo convinti che non possiamo vivere esclusivamente del turismo e del vino. Abbiamo bisogni di strutture materiali ed
immateriali che permettono alle nostre imprese di essere competitive.” Traduction V. ANGER
72
préservation qui pourrait entraver le développement du secteur secondaire et l‟accueil de
sociétés dynamiques, ce que redoutent les élus. “Le Chianti est un ensemble qui a ses
particularités et ses diversités”31
(M.PESCINI, Maire de San Casciano, Annexe E, entretien
n°2). C‟est donc cette dimension qu‟il s‟agit de mettre en valeur. Réduire le Chianti au vin et
au tourisme est perçu comme une démarche d‟appauvrissement de ses richesses.
D‟autre part, la priorité des élus locaux est davantage de satisfaire les revendications de
l‟ensemble de la population de leur territoire. Assurer la création d‟emplois ainsi que l‟accès
au logement et à la culture pour tous est en conséquence privilégié. Ils ont également élaboré
des programmes de développement local visant à limiter l‟augmentation des prix de
l‟immobilier, due à la fois à leur situation de périphérie urbaine et à la croissance du tourisme.
Enfin, le modèle de développement agro-touristique défendu par le Consortium leur paraît peu
porteur à long terme pour les collectivités dans la mesure où le secteur viticole connaît des
crises successives (PERRIN, 2009). La spécialisation dans le tourisme et l‟agriculture n‟est
donc pas considéré comme un modèle de développement démocratique et stratégique par les
élus.
3.2.2 Rivalités et revendications au sujet de la maîtrise du patrimoine :
Les élus locaux et les producteurs se retrouvent finalement à intervenir dans le même
domaine, celui de la politique d‟aménagement touristique du terroir. Or comme les deux
groupes de protagonistes ne défendent pas la même politique et qu‟ils ne travaillent pas en
collaboration, cette situation débouche sur des conflits de pouvoir et des blocages. Un
exemple illustre ce phénomène de rivalité entre les communes du Chianti et le Consortium.
Le Consortium a élaboré un projet visant à réaménager le couvent de Santa Maria al Prato,
situé à Radda in Chianti, pour en faire le siège de la Fondation pour la préservation du
Territoire Chianti Classico. Cette construction du 18ème
siècle a été acquise par l‟organisation
pour abriter une collection d‟objets d‟art religieux et accueillir des expositions temporaires
d‟art moderne. Une annexe est de plus aménagée pour servir d‟espace d‟information
touristique, de librairie et d‟œnothèque. L‟ouverture de ce complexe, dont les fonctions
s‟apparentent à celles des musées municipaux d‟art religieux et à celles des offices de
tourisme, est prévue pour 2011. Cette initiative semble être un signe de rivalité avec les
communes du Chianti. Le Consortium cherche en effet vraisemblablement à concurrencer les
31
« Il Chianti è un tutt’uno che ha le sue particolarità e le sue diversità », traduction V. ANGER.
73
communes dans le domaine de la mise en valeur touristique du patrimoine local. Les thèmes
d‟activités proposés dans le couvent réhabilité rappellent en effet ceux des musées
municipaux et comprennent des domaines qui ne sont pas en relation directe avec le
patrimoine viticole. Parmi les différentes fonctions du patrimoine identifiées par V
VESCHAMBRE, nous pouvons soupçonner le Consortium de tirer profit de la « fonction
légitimante » que peut induire l‟appropriation du patrimoine rural local. Celle-ci renvoie de
fait aux « capacités d‟intervention dans la sphère publique, d‟infléchissement de
l‟aménagement de l‟espace que donne la maîtrise d‟un patrimoine et le prestige qui y est
associé » (VESCHAMBRE, 2007). Or cette fonction semble prendre tout son sens dans notre
cas d‟étude. Parce que le Consortium contrôle un patrimoine à forte identité et qu‟il est
puissant d‟un point de vue économique et social à l‟échelle locale, il est en mesure
d‟intervenir dans les domaines tels que l‟aménagement et la promotion touristique des
territoires du Chianti, qui sont également du ressort des communes. Les propos du secrétaire
général de la Fondation pour la préservation du territoire Chianti Classico en témoigne :
“Nous avons un consortium qui s’occupe de l'huile, un autre du vin et nous avons notre
Fondation dont le siège officiel est à Radda en Chianti, où nous possédons un grand couvent,
qui s'occupe de l'art, des oeuvres et de la préservation du paysage. Et donc ce sont beaucoup
d’actions orientées contre l'administration communale, parce que [les élus] veulent contrôler
la conservation du territoire et qu’ils condamnent la construction et la spéculation etc. Et
pour pouvoir agir, le consortium a créé une fondation pour le préservation du territoire et de
l'art”.32
(M.CASSANO, Responsable marketing du Consortium Chianti Classico et secrétaire
de la Fondation pour la Préservation du territoire Chianti Classico, annexe E, entretien n°5).
Ces démarches sont en conséquence à l‟origine de tensions. La commune de Radda in
Chianti, qui n‟était pas favorable au projet, aurait ainsi tout fait pour empêcher l‟acquisition
du couvent Santa Maria al Prato par le syndicat en 1999 (M.CASSANO, Responsable
marketing du Consortium Chianti Classico et secrétaire de la Fondation pour la Préservation
du territoire Chianti Classico, annexe E, entretien n°5).
Aussi, le Consortium étant puissant et populaire, les actions d‟aménagement qu‟il souhaite
mettre en place pour promouvoir son vin à l‟échelle internationale peuvent être considérées
32
Abbiamo uno consorzio chi si occupo di olio, un altro del vino e abbiamo nostra fondazione di cui il sede officiale é a
Radda in Chianti, dove abbiamo uno grande covento ,che si occupa del arte, dei artisci e della tutela del paesaggio, e quindi
sono molto attivi contro l’amministrazione communale, perche vogliono controlare la conservazione del territorio e
condannano la costruzione e la speculazione etc. E per povere agire, il consorzio ha creato una fondazione per la tutella del
territorio e dell’arte. Traduction V.ANGER
74
comme une menace ou une opposition susceptible de perturber leurs projets : « Ils nous
considèrent comme une organisation privée trop puissante. Et donc nous sommes des
concurrents politiques selon eux »33
. Le fait que cet acteur privé intervienne dans des
domaines aussi importants que l‟aménagement et la politique économique et culturelle des
territoires explique vraisemblablement cette situation. Les logiques d‟acteurs en présence dans
le Chianti et les tensions qui s‟en suivent montrent ainsi que la mise en tourisme d‟un
patrimoine viticole est un processus complexe. Parce que cette démarche peut suivre des
modèles de développement économique diverses, la maîtrise de l‟héritage viticole devient
alors un enjeu majeur pour les différents protagonistes impliqués, ce qui engendre parfois des
oppositions.
33
“Considerano ci come una struttura privata per loro troppo forte. E quindi siamo concorenti polititice, secondo loro.”
Traduction Virginie Anger.
75
Conclusion
La patrimonialisation et le développement touristique du Chianti sont ainsi à mettre en
relation avec la construction du terroir du Chianti Classico, qui a induit une mobilisation
collective de la part des producteurs locaux et la mise en valeur d‟un savoir-faire commun
localisé en vue de fabriquer un produit identitaire. Le terroir, une fois défini et reconnu par un
système d‟appellation et grâce à un système de communication étudié, pose les bases de ce
qui attirera le futur touriste : un produit typique et de qualité, un savoir-faire, une identité
collective spatialisée et matérialisée par un patrimoine bâti et des paysages.
Les étrangers ont aussi contribué à la mise en valeur du patrimoine rural. Ils ont ainsi
réhabilité des domaines viticoles sur le modèle des imaginaires formés et véhiculés par les
voyageurs depuis des siècles. En parallèle, les grands propriétaires locaux ont amorcé la
même démarche, voyant dans le tourisme une manière de donner une nouvelle fonction aux
dépendances inoccupées depuis la fin de la mezzadria et la modernisation des techniques de
production.
Les choix de valorisation des patrimoines immatériel et matériel ont donc été
largement influencés par le regard des consommateurs, qui considère comme supérieurs les
vins historiques et rattachés à une identité collective localisée. Toutefois, le point de vue des
visiteurs a également, voire davantage, été déterminant dans le processus de valorisation du
patrimoine matériel, qu‟il s‟agisse des paysages ou du patrimoine bâti. Les étrangers ont en
effet cherché à reconstituer les paysages tels qu‟ils les avaient idéalisés, et les grands
propriétaires ont été guidés par les attentes de leurs futurs clients dans leur démarche de
reconversion des dépendances agricoles.
Enfin le développement du tourisme viticole dans le Chianti est à mettre en relation
avec les législations nationales et régionales mises en place à partir des années 1980, ainsi
qu‟à l‟existence de mouvements nationaux favorables à l‟essor de l‟œnotourisme. Les
producteurs et les communes du Chianti Classico ont alors entamé un processus de
valorisation touristiques de leurs ressources en vue de dégager des revenus supplémentaires.
Le patrimoine viticole a donc progressivement revêtu un enjeu économique et social. Détenu
et mis en tourisme par une diversité d‟acteurs, la maîtrise de cette ressource est devenue
l‟objet de rivalités.
76
Partie 3 : Du terroir au territoire touristique, un enjeu de la mise en
tourisme du patrimoine viticole
77
Introduction
Les actions déployées par les différents acteurs locaux pour développer l‟œnotourisme
sont menées à l‟échelle d‟un terroir, ou du moins s‟inscrivent dans une démarche qui tient
compte du terroir, conçu comme un ensemble pédologique, historique et socio-économique
cohérent. Aussi, nous sommes amenés à nous demander si la mise en tourisme du Chianti
Classico ne favorise pas l‟émergence d‟une destination touristique, voire d‟un territoire, ayant
pour périmètre la zone de production, et ce en dépit des frontières administratives.
En effet, si le Chianti Classico est un terroir, c‟est-à-dire un espace économique
homogène spécialisé dans la production d‟un vin, il s‟étend sur deux provinces, et se compose
de deux ensembles administratifs distincts : le Chianti Fiorentino dans la province de
Florence et le Chianti Senese dans la province de Sienne. D‟autre part, comme nous l‟avons
vu, l‟appellation Chianti est accordée à des vins dont les zones de production ne sont pas
localisées dans l‟ensemble géographique reconnu comme étant celui du Chianti historique. La
partie suivante du document aura donc pour objectif d‟évaluer en quoi le terroir prend
progressivement les attributs d‟un territoire touristique conçu comme un espace de projet
pertinent, et dans quelle mesure il est reconnu comme tel.
Nous analyserons dans un premier temps les conséquences en termes d‟aménagement
et de promotion touristique de la répartition du Chianti Classico sur ces deux provinces.
Nous étudierons ensuite les actions menées par les acteurs privés locaux qui
contribuent à la construction d‟un véritable terroir touristique, soit d‟un espace cohérent d‟un
point de vue identitaire et attractif aux yeux des visiteurs. Nous verrons plus particulièrement
le rôle central que joue le Consortium Chianti Classico, actif sur les huit communes, dans ce
processus.
Enfin, nous mesurerons l‟impact de ce phénomène au niveau des collectivités locales.
Plus précisément nous montrerons qu‟une véritable gouvernance s‟établit progressivement à
l‟échelle des huit communes et que le terroir devient un échelon à part entière dans le cadre de
la gestion touristique.
78
1. Une destination divisée entre deux territoires politiques
Certes, le Chianti est un espace délimité et habité par une communauté qui s‟est approprié
ses ressources naturelles, à savoir les terres, pour les exploiter. Aujourd‟hui spécialisé dans la
viticulture, ses occupants ont mis en place un système d‟échanges destiné à produire de la
richesse et à s‟approvisionner en biens. Il rassemble ainsi quatre des cinq actes de
fondamentaux constitutifs d‟un territoire selon Georges BRUNET : l‟habitation,
l‟appropriation, l‟exploitation et la communication et les échanges (BRUNET, 2001 ;
MERENNE-SHOUMAKER, 2002). Seul manque le sous-système territorial qui renvoie à la
gestion, c‟est à dire l‟action qui coordonne toutes les autres :
« La gestion permet le fonctionnement de l’espace en assurant l’intégration des hommes et
des fonctions, en résolvant les conflits, en développant les projets. » (MERENNE-
SHOUMAKER, 2002).
En effet, si le Chianti Classico est un terroir, il ne correspond pas à un territoire
institutionnel. Il s‟étend sur deux circonscriptions administratives distinctes et se trouve donc
soumis à deux organes de gestion distincts. Il convient donc d‟étudier les contraintes
qu‟implique cette situation en ce qui concerne le développement et la promotion du tourisme
viticole.
Le parcours des sites internet de promotion touristique, la lecture d‟enquêtes, les
renseignements collectés lors d‟entretiens et les observations faites sur place ont fourni des
éléments de réponses.
1.1 Deux provinces, deux administrations pour l’aménagement des territoires
Les communes du Chianti dépendent de collectivités toscanes distinctes. Tavarnelle val di
Pesa, Barnerino val di Pesa, San Casciano in Val di Pesa et Greve in Chianti dépendent de la
province de Florence tandis que Radda, Gaiole, Castellina in Chianti et Castelnuovo
Berardenga sont situées dans la province de Sienne. Elles sont donc en partie gérées par des
divisions administratives distinctes. De cette situation découlent trois conséquences.
La première conséquence est que les communes doivent composer avec des règlements et
des instances politiques distinctes. En effet, les provinces sont compétentes dans la
planification locale et le zonage du territoire ainsi que dans la réglementation des transports et
79
la maintenance des routes secondaires, soit deux domaines relevant de l‟aménagement des
territoires (Partie II de la Constitution italienne, art 114 et s). Aussi, si les projets
d‟aménagement ou de développement peuvent être élaborés au niveau intercommunal,
chacune des municipalités y participant doit être localisée sur la même province. En outre, la
plupart des enquêtes économiques et sociales, quantitatives et qualitatives, sont réalisées et
harmonisées à l‟échelle de la province, et si les programmes de développement sont en
général élaborés au niveau intercommunal, ils sont réalisés entre communes d‟une même
province.
Chaque province est d‟ailleurs divisée en sous-secteurs appelés area qui réunissent des
communes constituant un ensemble géographique ou économique cohérent susceptible de
constituer un espace de projet et de concertation. Les communes de Tavarnelle, de Barberino,
de Greve et de San Casciano sont réunies dans un même sous-secteur, lequel est nommé
Chianti Fiorentino par les instances de la province de Florence. De la même manière, sur la
province de Sienne, les communes de Gaiole, Radda, Castellina et de Castelnuovo Berardenga
sont rassemblées dans l‟area Chianti Senese. Certes, les noms attribués aux deux ensembles
administratifs semblent attester que le Chianti est bien reconnu par les instances politiques
toscanes comme n‟étant composé que des huit principales communes sur lesquelles s‟étend la
zone de production du Chianti Classico. Aux yeux des pouvoirs locaux, le Chianti constitue
donc un espace géographique délimité, et situé sur les collines du Chianti, entre Florence et
Sienne, et ce en dépit de l‟existence de zones viticoles produisant également du vin Chianti
dans des zones périphériques en Toscane.
Néanmoins, cet espace reste divisé en deux area gérées de manière indépendante.
Chacune des parties mène des actions de développement touristique de son côté, lesquelles
incluent parfois des communes extérieures à la zone du Chianti. A titre d‟exemple, les quatre
communes localisées sur la province de Florence ont mis en place des projets de promotion
touristique qui se sont traduits par la constitution d‟un portail internet. Or la commune de
Bagno A Ripoli y participe alors qu‟elle n‟est pas située dans la zone de production du
Chianti Classico. Dans le cadre de leur politique de développement, les communes du Chianti
se sont donc aussi unies à des territoires extérieurs aux limites de la zone Chianti Classico.
D‟autre part, en Italie, les enquêtes statistiques et qualitatives sont réalisées et
harmonisées à l‟échelle des provinces. Conçues comme des outils d‟analyse territoriale
permettant de déterminer des choix politiques futurs, elles sont élaborées et exploitées au
80
niveau de la collectivité compétente en matière d‟aménagement. Ce phénomène s‟observe en
particulier à travers les périmètres choisis pour élaborer des enquêtes qualitatives, à l‟image
de l‟enquête de 2006 sur « les synergies entre les opérateurs pour l‟enrichissement du produit
de l‟area » (CST « Le sinergi fra operatori per l’arricchimento del prodotto d’area », 2006),
réalisée par le Centre d‟études touristiques de Florence auprès des agriculteurs du Chianti
Fiorentino. Les enquêtes touristiques annuelles sont donc menées séparément dans Chianti
Senese et le Chianti Fiorentino, et ne sont pas publiées conjointement comme pour une
destination à part entière.
Enfin la troisième conséquence découle du fait que la gestion des transports relève des
compétences de la province. Peu de transports publics relient les communes du Chianti entre
elles. Chaque capitale de province possède un réseau en étoile qui dessert plus ou moins bien
les communes périphériques en fonction de leur situation géographique et les seuls moyens de
transport qui assurent la liaison entre les provinces de Sienne et de Florence sont le train, dont
la ligne de chemin de fer passe à l‟ouest du Chianti, des bus directs Florence-Sienne, une
ligne de bus Florence-Sienne, qui passe entre autres par San Casciano, Tavarnelle, Barberino
Val d‟Elsa et Poggibonsi, et une ligne qui relie Florence à Gaiole in Chianti via Greve, Radda
et Castellina in Chianti. Les communes du Chianti ne sont donc pas interconnectées. Il faut se
rendre à Florence ou à Sienne pour rejoindre Gaiole ou Radda depuis San Casciano in Val di
Pesa. Les arrêts sont de plus peu nombreux (la ligne Firenze-Poggibonsi prévoit six arrêts par
jour en période scolaire). Ce manque de coordination au niveau des transports et les
problèmes de desserte figurent parmi les principales critiques formulées par les touristes
auprès des professionnels du tourisme (CST, 2006, Enquête de satisfaction de la clientèle du
Chianti Classico ; Province di Firenze, La governance del turismo della provincia di Firenze,
2010). Les visiteurs se plaignent ainsi de la difficulté qu‟ils éprouvent à passer d‟une
commune à l‟autre en transports en commun. Les limites administratives et l‟absence de
coordination au niveau des aree du Chianti sont ressenties comme un désagrément par les
touristes au cours de leur séjour. Bien que le Chianti Classico soit vécu par les visiteurs
comme une destination touristique à part entière, et ce indépendamment des découpages
institutionnels, l‟existence de deux provinces compétentes sur ce même espace crée donc un
effet de césure, qui ramène finalement au statut de terroir et non de territoire de la zone
concernée. Cette situation peut alors être perçue comme une entrave au développement de la
destination spécialisée dans le tourisme viticole.
81
1.2 Deux Agenzia per il Turismo, deux destinations assimilées au Chianti
En Toscane, la promotion touristique est assurée par les collectivités aux échelles de la
région, des provinces et des communes (Legge regionale 42/2000). Au niveau de chaque
province, une Agence Pour le Tourisme a pour mission de promouvoir la capitale provinciale
et ses environs. Elle est donc chargée de la production de brochures d‟information et de la
mise à jour quotidienne sur son site internet des renseignements relatifs à l‟offre en
hébergements et en restauration, aux activités culturelles et sportives proposées et aux
manifestations programmées. Or, comme le Chianti s‟étend sur deux provinces, la promotion
est réalisée par deux organisations qui travaillent chacune sur leur territoire respectif. L‟APT
de Florence est compétente sur les communes de San Casciano in Val di Pesa, de Barberino
Val d‟Elsa, de Greve in Chianti et de Tavarnelle Val di Pesa. L‟APT de Sienne, Terra di
Siena, limite ses actions aux communes de Radda in Chianti, Gaiole in Chianti, Castellina in
Chianti et Castelnuovo Berardenga. Les brochures qu‟elles réalisent concernent donc en
priorité les collectivités situées dans leur province. De la même manière, ne sont référencés
sur leur site que les offices de tourisme, les hébergements et les restaurants localisés dans leur
territoire de compétence. Le Chianti est présenté par les agences comme un espace divisé en
deux et constitué au sud du Chianti Senese et au nord du Chianti Fiorentino.
L‟exemple des actions menées par Terra di Siena (APT di Siena) illustre parfaitement
cette situation. Sur les pages « Chianti » du site internet34
de l‟agence comme dans les
brochures mises à la disposition des visiteurs dans l‟office de tourisme de Sienne, ne sont
présentées que les quatre communes du Chianti Senese. Si l‟organisation reconnaît les limites
du terroir Classico lorsqu‟il évoque la zone géographique du Chianti, elle ne fait la promotion
que de Radda, Gaiole, Castelnuovo Berardenga et de Castellina. Les quatre communes du
nord ne sont jamais mentionnées. Il en va de même pour les offices de tourisme des
municipalités du Chianti Senese, qui ne proposent aux visiteurs que des activités dans leur
commune respective, dans les communes du Chianti Senese, et dans les sites touristiques
situés dans la province de Sienne. Les systèmes de collaboration entre collectivités pour la
promotion touristique s‟effectuent donc à l‟échelle de la province et à celle du terroir. Radda,
Gaiole, Castelnuovo Berardenga et Castellina paraissent en conséquence davantage
constitutive de la destination « Sienne et ses environs » que de la destination Chianti
considérée comme un espace rural homogène s‟étalant sur huit collectivités.
34
www.terra-di-siena.com
82
De la même manière, l’APT di Firenze participe majoritairement à des publications sur
le Chianti qui ne parlent que du Chianti Fiorentino. Comparé à d‟autres aere, la promotion de
cette espace est d‟ailleurs particulièrement axée sur le caractère unique de son patrimoine
viticole et historique. Toutefois, contrairement à Terra di Siena, l‟agence florentine se trouve
parfois contrainte de communiquer également sur les communes du Chianti Senese dans la
mesure où ces dernières constituent un espace économique et culturel cohérent avec
Barberino, Tavarnelle, San Casciano et Greve. Selon Rita Poli, la distinction opérée par les
APT entre les deux provinces n‟est pas pertinente. Dans le domaine du tourisme, il paraît de
fait plus constructif de raisonner en termes de destination que de circonscriptions
administratives.
« Nous trouvons ça stupide de ne pas promouvoir l’ensemble du territoire. Certes, il y
a une compétition entre les deux provinces, mais quand nous assurons la promotion du
Chianti, nous sommes obligés d’inclure les communes de la province de Sienne. Nous avons
une série de brochures sur le Chianti, mais regardez ( Elle me montre une brochure sur
laquelle une carte est représentée), quand nous décidons de faire ce type de carte, comme
nous parlons du Chianti, nous sommes obligés d’inclure aussi les communes de Radda in
Chianti, de Castellina in Chianti de Castelnuovo Berardenga et de Gaiole in Chianti. » (R.
POLI, Chargée de la promotion au sein de l‟APT de Florence, Annexe E, entretien n°6)
Dans la rubrique « un séjour dans le Chianti » du site internet de l‟agence, laquelle
présente l‟histoire et le patrimoine bâti des communes du Chianti, figurent ainsi les huit
principales communes du terroir Chianti Classico et Impruneta, située au nord de Greve in
Chianti. La présence d‟Impruneta dans cette liste mérite d‟être analysée. Sa mention révèle
que la Province de Florence considère également parfois Impruneta comme une commune
faisant partie de la zone géographique Chianti et que le Chianti appréhendé comme
destination touristique ne correspond pas nécessairement aux limites de la zone de production
du Chianti Classico. Et de fait, outre le site web, deux brochures publiées en collaboration
avec la province de Florence intègrent Impruneta: Artmap, artistic routes and sites in the
Chianti et Chianti Musei, Musei del Chianti Fiorentino (Annexe A). Il faut néanmoins
souligner que cette association n‟est pas systématique. Lors de notre entretien, Rita Poli,
responsable de la promotion à l‟APT Firenze, ne citait pas Impruneta parmi les communes du
Chianti.
83
Ainsi, les deux agences ont adopté une démarche différente pour la promotion de la
destination « Chianti ». Alors que l‟œnotourisme se développe sur l‟ensemble du terroir
Chianti Classico depuis vingt-cinq ans, chacune travaille de son côté, sans qu‟aucune
collaboration durable ne se soit établie. Or, si l‟on se réfère au témoignage de Rita Poli, cette
situation serait le résultat de la rivalité ancienne qui divise Sienne et Florence. La compétition
qui oppose depuis longtemps les deux villes toscanes serait un obstacle à toute coopération.
En conséquence, la communication réalisée par les organismes publics n‟est pas harmonisée
et tend à fragmenter le terroir. Le Chianti Senese est présenté comme une destination à part
entière au sein de la province de Sienne, et la province de Florence inclut Impruneta dans le
Chianti touristique.
1.3 Des représentations diverses de la destination Chianti en fonction des opérateurs
Le parcours des sites internet des principaux opérateurs de tourisme en ligne et des
professionnels locaux amène à deux observations. D‟une part le partage du terroir entre deux
territoires administratifs distincts favorise une occultation de l‟unité culturelle de la zone du
Chianti Classico. D‟autre part, le rattachement au Chianti des particuliers proposant des
prestations œnotouristiques hors de la zone historique contribue à brouiller les limites de
l‟espace étudié.
Les opérateurs en ligne, nationaux et internationaux tels que Lastminute, Octopus Travel,
www.agriturismo.it, Chiantinews et Italian Lodge proposent à leurs clients de choisir leur
destination en fonction de différents critères, dont entre autre celui de la circonscription
administrative (région, province, commune) dans laquelle ils souhaitent se rendre. Aussi le
terroir Chianti n‟apparaît pas comme une destination en soi. Il est au contraire associé à une
diversité d‟ensembles institutionnels. Le site www.agriturismo.it demande dans un premier
temps à l‟internaute de choisir la province dans laquelle il veut être hébergé. Si ce dernier
inscrit Florence, la destination Chianti Fiorentino lui sera suggérée. Réciproquement, s‟il
choisit Sienne, le Chianti Senese apparaîtra (Annexe A). Les noms des circonscriptions
administratives sont donc bien réutilisés par les opérateurs du site internet pour définir les
destinations. Cependant, les limites des deux aree ne sont pas respectées. Selon eux, le
Chianti Senese comprend outre les quatre communes historiques, Cole val d‟Elsa, Sienne,
Monteriggioni et Ponggibonsi. Le Chianti Fiorentino comprend quant à lui les communes de
84
Fiesole, Empoli et Montespertoli. Il semble finalement que ces communes ont été associées
aux territoires du Chianti parce qu‟elles font partie de terroirs qui produisent du vin
d‟appellation Chianti. Les communes de Colle val d‟Elsa, Monteriggioni, (area Val d‟Elsa) de
San Gimignano et Sienne appartiennent en effet à la zone de production du Chianti Colli
Senese, celles de Fiesole, Cercina (area Fiorentina), Empoli et Montespertoli (area Empolese
Val d‟Elsa) à la zone de production du Chianti Colli Fiorentini, et enfin celle de Marciano
della Chiana à la zone de production du Chianti Aretini (Figure 1). Aussi, au terme de
l‟analyse de ces sites, il est difficile de déterminer avec précision quel est le périmètre de la
destination Chianti. Si certains acteurs retiennent les limites administratives, d‟autres se
réfèrent aux zones de productions viticoles.
Sites internet
Reconnaissance des
limites du terroir
Chianti Classico
Territoire de référence
www.agriturismo.it non Province / Région/ terroirs Chianti
www.chiantinews.it non province/commune
www.lastminute.it non province/région
www.octopustravel.it, non province/région
www.italianlodge.it non communes
Figure 14: les principaux sites internet référençant l’offre en hébergement du Chianti par
circonscription administrative.
Par ailleurs, les particuliers offrant des prestations œnotouristiques dans les communes
voisines du Chianti ont tendance à diffuser une conception large du Chianti appréhendé
comme espace touristique. En atteste l‟exemple du discours tenu par le Consortium Chianti
Ferie, Toscana di Amare35
. Il s‟agit d‟une association de petits producteurs propriétaires
d‟exploitations familiales abritant des agritourismes. L‟objectif de sa création était
d‟optimiser la fréquentation touristique en assurant la promotion de leurs activités touristiques
à l‟étranger depuis un même site internet et à travers la mise au point d‟un système conjoint
de réservation en ligne. Or les agritourismes tenus par les membres de ce consortium sont
situés pour beaucoup en dehors des aree du chianti. La majorité d‟entre eux sont localisés
35
http://www.chiantiferie.net/inglese/chiantiferie.php
85
dans des communes de la province de Sienne : à Sienne, à Casole val d‟Elsa, à Colle val
d‟Elsa, à San Gimignano, à Ponggibonsi, à Monteriggiorni, à Torita di Siena, à Asciano et à
Rapolano Terme. Les autres sont dans des collectivités qui dépendent de la province de
Florence (Cercina) et d‟Arezzo (Marciano della Chiana). Sur 19 villas mises en location,
deux seulement sont situées dans les territoires du Chianti, l‟une à Grève in Chianti, l‟autre à
Castellina in Chianti. Ainsi, là encore, les limites du Chianti paraissent difficilement
identifiables. Il semble que la localisation des exploitations membres ait déterminé l‟étendue
de la zone d‟action du consortium. Si les espaces concernés sont au cœur de terroirs
produisant du Chianti, certains sont éloignés du Chianti Fiorentino et du Chianti Senese.
Ainsi, non seulement la frontière administrative des deux provinces entrave le
développement harmonisé de la destination Chianti, mais l‟utilisation de ce terme par les
opérateurs et les professionnels du tourisme pour désigner des espaces correspondant à
d‟autres ensembles géographiques, administratifs et touristiques crée une confusion autour des
limites et donc de l‟identité du Chianti conçu comme un ensemble de communes dont l‟unité
est fondée sur un patrimoine viticole et historique commun.
86
2. La construction de la destination et du territoire Chianti Classico par les
professionnels du vin et du tourisme
En dépit de la limite administrative évoquée précédemment, le Chianti apparaît aux
visiteurs comme un espace économique et culturel homogène. Ce phénomène est en grande
partie le résultat des actions menées par le consortium Chianti Classico. Animés par une
volonté de faire en sorte que le Chianti Classico se démarque des autres terroirs Chianti, leur
discours et les mesures qu‟ils ont adoptés entraînent progressivement la construction d‟une
destination à part entière. En outre, certains professionnels du tourisme relayant ce discours
dans le cadre de leur travail de promotion, le terroir Chianti Classico tend à s‟affirmer comme
tel dans l‟esprit des visiteurs. Une lecture des travaux de H. GUMUCHIAN, E.GRASSET, R.
LAJARGE et E. ROUX amène alors à s‟interroger sur l‟enjeu de ces démarches en termes de
territorialité: « (…) de l’intention à l’action territoriale se construit un cheminement parfois
incertain, mais qui s’appuie dans tous les cas sur un objet médiateur fort, le discours. Ce
dernier produit, légitime, construit ou déconstruit le territoire, et quoiqu’il en soit, occupe
toujours une place centrale dans l’analyse que l’on fait de l’espace géographique »
(GUMUCHIAN, GRASSET, LAJARGE, ROUX, 2003).
Nous évaluerons dans quelle mesure les acteurs privés du Chianti Classico participent à la
construction d‟un territoire touristique à partir des renseignements collectés lors de l‟étude de
terrain (entretiens, observations) ainsi que sur les sites internet des différents protagonistes
concernés.
2.1 Les actions du Consortium : lobbying, route du vin, produits dérivés,
brochures…
Le Consortium Chianti Classico joue un rôle déterminant dans le développement du
tourisme viticole. Le fait que ce soient les investisseurs étrangers et les producteurs locaux qui
aient été à l‟origine de la renaissance du Chianti et de la valorisation de son patrimoine
viticole a vraisemblablement favorisé cette situation. Désormais, le Consortium est présent
dans tous les projets ayant trait à la préservation du patrimoine et à l‟œnotourisme, et ce sur
les deux aree du Chianti. Qu‟il s‟agisse de la promotion touristique du terroir, de
programmes d‟aménagements touristiques ou de l‟organisation d‟un évènement ayant pour
thème l‟œnogastronomie, la structure professionnelle figure presque toujours parmi les
87
initiateurs ou les collaborateurs. Or l‟implication du syndicat de producteurs dans la mise en
valeur du patrimoine et dans le développement de l‟œnotourisme contribue fortement à
l‟émergence d‟une destination Chianti Classico. Plusieurs actions menées par ce dernier en
témoignent
La protection du patrimoine
La Fondation pour la préservation du territoire Chianti Classico travaille à la
préservation du patrimoine, de l‟environnement et des espaces agricoles rattachés à
l‟appellation viticole Chianti Classico DOCG. Elle emploie notamment des architectes pour
contrôler les projets d‟aménagement des huit communes et veille ainsi à la protection des
biens hérités qui donnent au terroir son identité. En cas de désaccord avec les projets des
municipalités, l‟organisation manifeste sa désapprobation et s‟efforce d‟empêcher leur
concrétisation. Dans la plupart des cas, la fondation se contente de rédiger des observations et
de proposer aux municipalités des modifications de leurs documents de planification lors des
consultations publiques. Il arrive toutefois que l‟organisation aille plus loin. Elle a ainsi
engagé des recours auprès du Tribunal Administratif Régional depuis 2004 contre Grève sur
le plan de restauration du centre historique et l‟extension du pôle industriel de Testi, contre
Castelnuovo Berardenga sur un projet de carrière et un projet de lotissement, et contre Gaiole
sur un projet industriel (Pianella).
« Elle exerce donc une action continue de veille en matière d’aménagement et
d’urbanisme, agit comme un lobby, un groupe de pression auprès des maires » (PERRIN,
2009)
Par l‟intermédiaire de sa Fondation, le Consortium contribue à la conservation des
paysages, des ensembles architecturaux historiques et des bâtiments hérités qui caractérisent
le terroir Chianti Classico. Comme il agit à l‟échelle de la zone de production, il s‟assure que
les actions isolées des huit communes ne dégrade pas sa cohésion d‟ensemble. Il favorise
donc le maintien des attraits qui font du Chianti Classico une destination aux yeux des
visiteurs.
88
Les actions de promotion : contrôle, création de brochures et de pages internet.
Le Consortium intervient en effet à plusieurs niveaux dans la promotion du terroir. Il
s‟efforce d‟abord de contrôler et d‟orienter le discours des APT sur le Chianti. L‟organisation
a ainsi explicitement demandé à l‟APT de Florence de respecter les limites du Chianti
Classico dans leurs supports de communication :
« Nous avons également eu l’occasion dans le passé de travailler avec le Consortium
Chianti Classico, ils nous demandaient de bien délimiter le territoire du Chianti Classico et
depuis nous représentons toujours cette limite. » (R.POLI, chargée de la promotion au sein de
l’Agenzia per il Turismo de Florence, Annexe E, entretien n°6).
On peut penser qu‟ils ont procédé de la même manière auprès de l‟APT de Sienne. Le
Consortium publie par ailleurs lui-même des brochures valorisant les caractéristiques du
Chianti (la continuité de ses paysages et l‟authenticité de ses traditions agricoles), l‟histoire
de l‟appellation et les fonctions du syndicat. Il a également édité une carte touristique du
terroir qui met en évidence le périmètre de la zone de production et qui référence les
exploitations viticoles membres accueillant les touristes (Annexe A). Les viticulteurs
adhérents qui organisent des dégustations, des visites ou pratiquent la vente directe, peuvent
en parallèle élaborer des brochures en utilisant la même charte graphique que celle du
syndicat pour se faire connaître auprès des visiteurs. Tous ces supports sont d‟ailleurs
disponibles dans les offices de tourisme de Florence, de Sienne et des communes du Chianti.
Enfin, le site internet www.chianticlassico.com tient un annuaire de toutes les exploitations
qui offrent des services d‟hébergement, de restauration, de dégustation et de ventes directes.
Or dans les brochures ainsi que sur le site internet, non seulement le terroir est décrit comme
un espace rural idyllique producteur de produits d‟exception, mais il est également présenté
comme un territoire (« nostro territorio », Annexe A et F et p.46). Toutes ces actions
consolident finalement la visibilité et la lisibilité de la destination Chianti Classico
appréhendée comme un territoire touristique unique fondé sur une histoire, un système
agricole et des paysages communs.
L’évènementiel
Les producteurs de Chianti Classico sont à l‟origine ou bien participent à
l‟organisation de nombreuses manifestations qui s‟adressent aux visiteurs. Et de fait, les
marchés œnogastronomiques et les fêtes folkloriques sont souvent le fruit de collaborations
89
associant municipalités, syndicats de producteurs d‟huile et de vin et artisans locaux. Non
seulement ces événements sont l‟occasion de mettre en scène les traditions et la culture
locales, mais elles sont aussi un moyen de promouvoir les produits agricoles typiques de la
région. Pour le Consortium, y participer permet d‟augmenter la visibilité de ses vins tout en
les associant aux pratiques et à l‟identité de la société locale. Le syndicat est lui-même
également responsable de manifestations ayant pour thème central le vin et l‟huile Chianti
Classico. Classico è (fin mai début juin) ou l’Expo del Chianti Classico (2ème semaine de
septembre à Grève in Chianti) sont des exemples. La quasi-omniprésence du syndicat lors de
ces évènements contribue à relativiser et à gommer les frontières administratives. Leur
participation à toutes les manifestations, quelle que soit l’area Chiantigiana concernée,
permet de diffuser l‟idée qu‟il existe une réalité économique et culturelle qui transcende les
limites institutionnelles, celle du terroir Chianti Classico.
Les actions d’aménagement touristique du terroir
Le Consortium est en outre actif dans le domaine de l‟aménagement touristique du
terroir. En 2008, il a ainsi créé une association Strada del vino e dell’olio Chianti Classico,
laquelle réunit 204 opérateurs locaux, dont 114 exploitations viticoles et oléicoles
(Organigramme du Consortium Chianti Classico, Annexe F). Ceux-ci proposent aux touristes
de suivre un itinéraire qui leur permet d‟aller à la rencontre des producteurs pour déguster les
vins et l‟huile Chianti Classico, mais aussi de se promener au travers des paysages de champs
de vignes, et de découvrir le patrimoine bâti des huit communes du Chianti (Tableau des
brochures, Annexe A). Cette action est particulièrement notable dans la mesure où la mise en
place d‟une telle route implique l‟installation de panneaux pour guider les visiteurs souhaitant
la suivre. Dans le cas du Chianti Classico, cette signalétique a favorisé la matérialisation des
limites de la zone de production du vin. Des panneaux routiers indiquent à partir de quel
endroit les automobilistes entrent dans le terroir et le quittent. A la plupart des intersections,
des flèches montrent quelle direction suivre pour rejoindre ou emprunter la route du vin
(Fig.16). Enfin, les exploitants pratiquant la vente directe ou offrant des services
d‟hébergement sont indiqués au moyen de flèches mentionnant le nom de la propriété
accompagné d‟un coq noir, ce qui donne l‟impression d‟un espace structuré autour de la
production du vin et de l‟huile Chianti Classico.
Instrument marketing par excellence (M. CASSANO, Responsable Marketing du
Consortium Chianti Classico, Annexe E, entretien n°5), ce procédé de mise en valeur renforce
90
l‟idée que l‟identité du territoire est étroitement liée à la marque dans l‟esprit des visiteurs.
L‟image et les couleurs du logo du Consortium servent désormais à structurer et à organiser
un ensemble qui s‟étend sur deux provinces distinctes. L‟analyse de Sophie LIGNON-
DARMAILLAC concernant les routes du vin se vérifie donc à l‟échelle du Chianti
(LIGNON-DARMAILLAC, 2007). Elles sont de véritables outils d‟aménagement du
territoire:
« Elles structurent les espaces et deviennent un outil commercial en proposant le long d’un
itinéraire balisé la découverte des paysages du vignoble, la visite de caves, etc. L’appellation
d’origine prend alors tout son sens, indissociable de son milieu géographique et de la
communauté qui la légitime ».
Il est d‟autre part intéressant de noter que, traditionnellement, les routes des vins
naissent d‟initiatives publiques ou sont le fruit d‟une concertation entre collectivités locales et
professionnels du vin en Italie (A.R. BULDON, Chargée en 2003 d‟organiser les évènements
Figure 15 : Photographie de panneaux de signalisation à un carrefour de Radda in
Chianti.
Un panneau indique l’itinéraire de la route du vin et de l’huile Chianti Classico. De
couleur marron et agrémenté d’une image représentant une grappe de raisin, il se
démarque des autres qui sont tous de couleur bleue. Ce type de panneau donne donc
une visibilité à la spécialisation viticole de l’espace ainsi qu’aux limites de la zone de
production Chianti Classico (V ANGER, Radda in Chianti, septembre 2010)
91
et la promotion de la route du vin de Terre d’Arezzo, Chianti Rufina et Pomino en Italie et à
l‟étranger, Annexe E, entretien n°12). Leur création est d‟ailleurs encouragée par Città del
Vino, et leur mise en place et leur promotion sont généralement encadrées par l‟association
nationale Strade del Vino. Concernant la Strada del Chianti Classico, si les neuf communes
sur lesquelles le terroir s‟étend y ont adhéré, c‟est surtout le Consortium qui a œuvré à sa
construction. Ce sont donc les producteurs qui, plus que d‟autres types d‟acteurs, ont travaillé
à la construction d‟une destination Chianti Classico proposant une offre œnotouristique
structurée et fonctionnant en réseau. Comme l‟a souligné le président du Consortium Marco
Pallanti,
« Avec l’institution de la route du Vin et de l’huile d’olive naît enfin un organisme
unique capable de dépasser les divisions anciennes et anachroniques entre les territoires
florentin et siennois, des faiblesses structurelles qui ont trop souvent conduit à une action
promotionnelle localiste et fragmentée » (PERRIN, 2009)36
.
Ainsi, la route du vin doit contribuer à l‟émergence d‟un territoire viticole et
touristique gouverné par une association réunissant les différents acteurs du terroir. La
création de cette route rejoint les actions menées par le Consortium à travers la Fondation
pour la préservation du territoire Chianti Classico. L‟idée directrice est en fait de se munir
d‟organisations compétentes à l‟échelle du terroir pour pouvoir élaborer des programmes de
promotion et de conservation harmonisés. La présence du terme « territoire » dans le nom de
la Fondation n‟est d‟ailleurs pas anodine. L‟objectif du Consortium est explicitement de
parvenir à la construction d‟un véritable territoire Chianti Classico.
La commercialisation de produits dérivés
Enfin, le syndicat a récemment lancé une gamme de produits dérivés portant le logo de la
marque Chianti Classico. Des tabliers, des tire-bouchons, des maillots de cyclisme, des t-
shirts, des casquettes, etc. sont vendus dans les boutiques de souvenirs installées dans les
bourgs, dans les centres historiques de Sienne et de Florence et dans l‟aéroport de Pise
(Fig.17). Ils fonctionnent alors comme des articles que les touristes peuvent acheter en guise
de souvenir du lieu qu‟ils sont en train de visiter. Ces objets sont aussi destinés à la société
36 «Con l‟istituzione della Strada del Vino e dell‟Olio nasce finalmente un soggetto unitario capace di superare le antiche ed
anacronistiche divisioni tra il territorio fiorentino e quello senese, troppo spesso causa di debolezze strutturali rappresentate
da un‟azione promozionale localistica e frammentata » (http ://www.chianticlassicomagazine.com). Traduction: Coline
Perrin.
92
locale (M. CASSANO, Responsable Marketing du Consortium Chianti Classico, Annexe E,
entretien n°5). Cette dernière étant très fière de son vin de qualité, les produits dérivés sont
devenus populaires à l‟échelle du Chianti mais aussi de Sienne et de Florence, les deux
capitales viticoles environnantes. Avec cette initiative, Le Gallo Nero a ainsi de nouveau
revêtu la fonction d‟emblème du terroir, et donc de l‟espace viticole et touristique que
constituent les huit communes. Il représente à la fois un symbole identitaire pour la population
locale et une image rattachée à la destination visitée pour les touristes :
« Le coq noir est le symbole du Chianti depuis 1400, et il est devenu une marque, la
marque du Chianti Classico depuis 1924. (...) Ces produits s’adresse aux touristes et à toute
personne de manière générale (…).Le coq est l’emblème des communes du Chianti, de
l’administration… Il est devenu très populaire. A travers les produits avec la marque, nous
faisons du marketing en Toscane de manière plus générale. (…) Cela permet de donner le
plus de visibilité possible au vin. Plus tu vois la marque, mieux tu connais le vin. En même
temps c’est une marque du territoire, si tu vas à Firenze, tu peux voir des automobiles avec le
gallo nero. » (M. CASSANO, Responsable Marketing du Consortium Chianti Classico,
Annexe E, entretien n°5)37
Ces produits dérivés ont donc également pour effet d‟associer encore davantage la
marque aux territoires des Chianti Fiorentino et Senese et favorisent l‟assimilation du terroir à
une destination touristique.
37 “Abbiamo sviluppato una linea merci per il commercio del nostro marchio da una anno. Il Gallo è il simbolo del Chianti
da 1400, e poi e devutato il “brand”, la marca del chianti Classico da 1924. (...).Questi protutti che sono indiressati sia ai
turisti che in generale (...). Il gallo é l’emblema dei comuni del Chianti, del’amministrazione... E diventato molto populare.
Attraverso le produtti con il marquio, facciamo “merchandising” in Toscane in generale. (..) Permesse di rendere il vino il
piu visibile possibile. Piu vedi un marquio, piu conosci il vino.. En même temps c’est une marque du territoire, si tu vas à
Firenze, tu peux voir des automobiles avec le gallo nero ».Traduction V. ANGER
93
La maîtrise du secteur œnotouristique pour protéger l’appellation Chianti Classico ?
Les différentes actions menées par le syndicat pour développer l‟œnotourisme
semblent finalement traduire une crainte vis-à-vis de l‟utilisation abusive du terme Chianti.
Selon la même logique, elles paraissent témoigner d‟une volonté de profiter de la situation
privilégiée du terroir, localisé dans la zone historique et sur les aree chiantigiane, pour attirer
les flux de visiteurs souhaitant découvrir le Chianti. En effet, avec l‟accélération du
développement touristique du Chianti, liée entre autre à la loi sur les agriturismi de 1985, le
syndicat a compris qu‟il était dans l‟intérêt de ses producteurs et de son appellation de
participer et de contrôler la mise en tourisme du terroir. Si le tourisme peut contribuer à la
promotion des produits Chianti Classico par le biais des médias et des visiteurs, il peut
également devenir une menace. Comme nous l‟avons vu, l‟utilisation à des fins touristiques
du nom Chianti par les acteurs extérieurs et étrangers au secteur viticole pour désigner un lieu
situé hors des deux entités administratives du Chianti est une réalité. On peut donc émettre
l‟hypothèse que les producteurs considèrent ce phénomène comme pouvant favoriser la
confusion dans l‟esprit des consommateurs sur les limites géographiques du Chianti et donc
Figure 16: Photographie d’un maillot de cyclisme
Chianti Classico vendu dans un magasin de souvenirs à
Radda in Chianti.
Les produits dérivés du vin Chianti Classico ont la
fonction de souvenirs de vacances passées dans le terroir
du Chianti Classico (photographie: V.ANGER, septembre
2010)
94
également sur celles du terroir. Cette situation risque ainsi de porter atteinte au prestige de
leur production et de limiter les retombées économiques du tourisme dans le Chianti Classico.
Elle est donc vraisemblablement perçue comme une menace pour l‟image de leur vin.
Quelles que soit les raisons profondes de cet investissement, Le Consortium Chianti
Classico, à travers ses brochures, ses actions de lobbying, ses produits dérivés et ses
aménagements, a su mettre en évidence l‟ identité culturelle et donner une dimension
touristique au terroir. Les différents canaux de communications utilisés diffusent de fait
auprès des visiteurs un discours présentant le Chianti comme un une destination cohérente,
réunissant des communes unies par la même histoire, les mêmes paysages et les mêmes
traditions socio-économiques. A travers cet ensemble d‟actions territorialisées, ces acteurs
semble en conséquence avoir entrainé l‟émergence d‟un territoire à la fois agricole et
touristique.
2.2 Le rôle des sites internet qui relayent le discours du Consortium
La visibilité sur les principaux supports de communication touristiques que sont Internet
et les guides est aujourd‟hui déterminante pour le dynamisme des destinations touristiques. La
présence sur Internet semble en particulier décisive. Non seulement ce moyen de
communication est une source d‟informations pour les touristes qui organisent leur voyage
mais il est aussi de plus en plus utilisé par les professionnels du tourisme comme canal de
distribution. Dans le cas du Chianti, Internet occupe une place importante dans le processus
de préparation du séjour des visiteurs. Selon L’Enquête de satisfaction de clientèle du Chianti
et de Cortone (2006), 23% des italiens, 50% des américains et 30% des allemands réservent
leur hébergement sur internet. 30% des réservations d‟agritourismes, de chambres d‟hôtels et
d‟appartements sont réalisées en ligne et 25% des visiteurs avaient recherché des informations
sur le web avant leur départ. D‟autre part 24,1% des enquêtés utilisent internet pour trouver
des renseignements sur leur lieu de séjour et 15,7% consultent un guide touristique (Fig. 18).
Dans ce contexte, il est évident que les discours tenus sur les sites internet et les guides
touristiques influencent la représentation que les visiteurs potentiels se font de la destination
et qu‟ils revêtent en conséquence un enjeu particulier.
95
LE FONTI DI INFORMAZIONE SULL’AREA DI SOGGIORNO
Fonte Italiani Stranieri Totale
Agenzie di viaggio 5,0% 16,3% 13,6%
Riviste/giornali/TV 7,4% 2,8% 3,9%
Guide turistiche 12,1% 16,9% 15,7%
Fiere e mostre 0,4% 0,6% 0,5%
Precedenti visite 12,1% 8,4% 9,2%
Brochure/depliant 14,5% 13,8% 13,9%
Consiglio
amici/parenti 23,0% 17,2% 18,6%
Internet 24,5% 24,0% 24,1%
Pro loco 1,1% 0,2% 0,4%
Totale 100,0% 100,0% 100,0%
Figure 17 : Les canaux d’information consultés par les touristes du Chianti pour se
renseigner sur leur lieu de séjour. Source : L’Enquête de satisfaction de clientèle du Chianti
et de Cortone (2006)
Une analyse des différents sites internet assurant la promotion du Chianti montre que
certains opérateurs et professionnels indépendants Toscans ont développé des sites Internet
faisant office de guides touristiques et de support de promotion du terroir. En effet, ces sites
ne tenant pas compte des limites administratives, le Chianti Classico est présenté comme une
destination à part entière. Nous pouvons ici citer le site http://www.chianti.it géré par des
acteurs locaux à titre d‟exemple, qui reconnaît les limites du terroir. Des sites Internet tenus
par des opérateurs en ligne travaillant à une plus petite échelle comme
www.italianwinetours.com ou firenze.guidatoscana.it, respectent également le périmètre des
territoires du Chianti et font référence à l‟histoire du vin Chianti Classico (Fig. 19). Un
partenariat avec le Consortium, qui, comme nous l‟avons vu, cherche à contrôler l‟utilisation
du terme « Chianti », peut expliquer cette discipline de la part des professionnels.
96
Sites internet Reconnaissance des limites du
terroir Chianti Classico
Territoire de
référence
www.chianti.com oui terroir
www.yourtuscany.com oui terroir
www.chianti.it oui terroir
www.terredevins.com oui terroir
http://www.italianwinetours.com/wine
%20tour%20in%20tuscany.htm oui terroir
http://www.reidsitaly.com/destinations/t
uscany/chianti/index.html oui terroir
http://firenze.guidatoscana.it/fr/firenze-
dintorni/vacanze-nel-chianti.asp oui terroir
http://www.borghiditoscana.net/it/to
scana/chianti/index.htm oui terroir
Figure 18 : Les principaux sites internet faisant référence aux limites du terroir Chianti
Classico.
Des guides touristiques classiques comme le Guide vert Toscane Ombrie 2010 ou le
Guide du Routard Toscane Marche Ombrie 2010 présentent aussi le Chianti comme une
destination en soi, dont les limites correspondent à la zone de production du Chianti Classico.
Ils relayent ainsi indirectement le discours du Consortium.
Plusieurs observations semblent attester que les visiteurs sont réceptifs aux représentations
véhiculées par le consortium et les canaux d‟information évoqués ci-dessus. D‟abord, nous
savons grâce à l‟enquête de satisfaction réalisée par le CST que la moitié des visiteurs visitent
le Chianti pour son vin et ses paysages, et donc que la découverte du terroir est au centre de
leurs motivations. En outre la même étude montre qu‟une partie des touristes interrogés a
consulté les sites des communes du Chianti avant de préparer leur voyage. Cette donnée laisse
penser que certains visiteurs ont recherché au préalable quelles étaient les communes
constitutives du terroir et que leur intention principale était de visiter l‟espace viticole
renommé pour ses vins et non les aree de Sienne et de Florence. Enfin, comme nous l‟avons
vu précédemment, les visiteurs se plaignent du manque de coordination entre les deux aree
Chiantigiane, ce qui traduit une volonté de leur part de parcourir les huit communes du
Chianti parce qu‟elles sont les parties d‟un même ensemble agricole et culturel.
97
Le développement de l‟œnotourisme a donc contribué à une plus forte visibilité et une
meilleure lisibilité du terroir viticole, et ce malgré les limites administratives. Il semble que le
processus d‟association d‟un produit à une destination soit quasiment achevé dans le Chianti.
La visibilité internationale du vin a vraisemblablement favorisé ce phénomène, le visiteur
formant sa propre représentation d‟un espace touristique en fonction de ce qu‟il convoque
comme référent ou comme motif de visite. Dans le cas du Chianti, le vin étant le motif ou un
élément ayant influencé le choix de la visite, le terroir devient une destination à part entière. .
Et de fait, il s‟agit de l‟objectif de tous les projets de mise en tourisme des terroirs.
« Les activités viticoles et touristiques peuvent contribuer à faire du terroir une
destination touristique. C’est ce qui tente toutes les initiatives en oenotourisme maintenant.
Le but, c’est d’essayer d’offrir des destinations nouvelles…. et le vin est un des produits
nobles des campagnes finalement. (LIGNON-DARMAILLAC, Annexe E, entretien n°1)
En parallèle, le discours et les actions d‟aménagement du Consortium favorisent la
reconnaissance mais aussi la construction d‟un véritable espace empreint de territorialité, des
projets étant conçus par l‟organisation syndicale au niveau terroir
98
3. La reconnaissance progressive par des instances publiques : CST et APT di
Firenze
Certes, le Chianti ne constitue pas un territoire au sens classique du terme dans la mesure
où il ne dispose pas d‟un organe de gestion administratif unique. Néanmoins, il semble que la
renommée croissante du terroir et le développement de l‟œnotourisme contribuent à la
construction progressive d‟un territoire touristique du Chianti, c‟est-à-dire d‟un espace
pertinent de projets touristiques. En effet, non seulement les communes ont mis en place un
système de concertation afin d‟harmoniser leurs politiques dans les domaines du tourisme et
de l‟agriculture, mais le terroir apparaît également comme un échelon d‟analyse pertinent
dans le cadre des missions de veille d‟informations touristiques menées par les services de la
province.
La lecture de travaux de recherches réalisées sur la région, ainsi que les informations
réunies lors des entretiens avec les maires de différentes communes du Chianti Classico ont
mené aux conclusions suivantes.
3.1 L’Union des communes et la Conférence permanente des maires : l’émergence
d’un système de gouvernance publique
Avant les années 1990, les municipalités du Chianti, qui étaient de majorité
communiste à l‟époque, avaient peu d‟autonomie administrative et politique face aux
syndicats et aux organes du parti communiste à l‟organisation très hiérarchisée. De plus, les
tentatives de collaboration institutionnelle entre les communes du Chianti se heurtaient à la
division entre les deux Provinces de Florence et de Sienne. Toutefois, dans les années 1990,
l‟affaiblissement du parti communiste, le processus de décentralisation et les fonds structurels
européens permirent le dépassement de cette limite provinciale et une coordination des
communes du Chianti. Ce changement fut également motivé par le développement de la
communication et des discours identitaires sur le terroir Chianti Classico et la croissance des
flux touristiques et la multiplication des agritourismes. Les élus locaux des huit communes du
Chianti (Barberino, Tavarnelle, San Casciano in Val di Pesa, Greve, Gaiole, Radda, Castellina
in Chianti, Castelnuovo Berardenga) ont pris conscience qu‟il était plus stratégique en termes
d‟aménagement et de développement économique de créer un organe de concertation dédié à
la mise en œuvre de politiques agricoles et touristiques communes. La puissance du
99
Consortium Chianti Classico a fortement influencé cette décision. En 1997, au moment de la
concrétisation de cette union, ce dernier réalisait le dossier de candidature pour inscrire le
Chianti Classico au patrimoine mondial de l‟Unesco. Défavorables au projet du syndicat pour
les raisons que nous avons évoquées précédemment, les municipalités ont alors réalisé que
leur manque de concertation limitait leur possibilité d‟intervention à l‟échelle du terroir et les
empêchait en conséquence d‟encadrer les actions des professionnels du vin ayant un impact
sur le développement économique de leur territoire. Et de fait, ils disposaient alors de peu de
pouvoir face à cette organisation qui regroupait et représentait les grands producteurs de huit
communes. Aussi, dans ce contexte les huit maires prirent la décision en 1997 de se donner
les moyens de devenir des interlocuteurs de poids face aux producteurs en signant le pacte de
Pontignano, lequel formalise une collaboration intercommunale entre les huit maires du
Chianti.
Plusieurs projets et politiques ont été définis par la suite dans le cadre du système de
coopération intercommunal. Les communes se sont dans un premier temps engagées à
protéger l‟environnement, le paysage et l‟identité du Chianti Classico ainsi qu‟à valoriser son
patrimoine culturel (PERRIN, 2009). Il s‟agissait alors pour les élus de s‟affirmer dans les
domaines d‟action jusque-là de plus en plus dominés par le Consortium et d‟atténuer leur
influence sur les questions ayant trait au développement du territoire. Deux années plus tard,
en 1999, le pacte fut prolongé à travers la création de la Conférence permanente des maires du
Chianti, qui adopta pour logo un Coq Noir entouré de huit tours médiévales. Toujours
d‟actualité, son objectif est de contribuer à un développement durable sur l‟ensemble du
territoire Chiantigiano et d‟organiser de manière coordonnée des projets culturels et
touristiques (M. PESCINI, Maire de San Casciano in Val di Pesa, S. DIRINDELLI, Maire de
Tavarnelle Val di Pesa, R. BOZZI, Maire de Castelnuovo Berardenga ; ANNEXE E,
entretiens n°2, 3 et 4).
“Nous avons créé une Conférence Permanente des maires du Chianti Senese et du
Chianti Fiorentino. Nous parlons surtout des questions liées au tourisme, aux perspectives
touristiques, à la manière d’organiser des événements tous ensemble. Nous parlons
également du territoire, du paysage, et nous cherchons à mener des actions le plus possible
100
coordonnées” (R. BOZZI, Maire de Castelnuovo Berardenga ; ANNEXE E, entretiens n°2, 3
et 4). 38
Ils collaborent ainsi pour l‟organisation de manifestations culturelles et
œnogastronomiques. Afin de limiter la saisonnalité du tourisme, ils ont par exemple coopéré
pour la réalisation d‟un évènement nommé « Chianti d‟automne » en octobre 2010. De plus,
le syndicat concentre ses actions sur le terroir, dont les limites ne correspondent pas
exactement à celles des huit communes. Les élus souhaitaient également prolonger le pacte
pour affirmer leur pouvoir et imposer une politique touristique harmonisée à l‟ensemble de
leur territoire respectif, et non à celle du terroir uniquement. Et de fait, les maires de San
Casciano, Barberino, Tavarnelle et de Castelnuovo Berardenga redoutent que qu‟une partie de
leur commune soit identifiée comme un Chianti de second rang sur lequel se reporteraient les
pressions de l‟urbanisation liée à la proximité de Florence et Sienne (PERRIN, 2009). Leur
union semble donc traduire une volonté d‟imposer leur propre conception du « territoire » du
Chianti, pour reprendre le mot employé par M. le Maire de Castelnuovo Berardenga.
L‟unique obstacle à l‟approfondissement de la coopération réside dans le fait que les
huit communes dépendent de deux provinces distinctes. Florence comme Sienne semblent
hostiles à la constitution d‟un territoire doté d‟une gouvernance transcendant la limite
institutionnelle :
« [Le statut de l’organisation Eurochianti] a été modifiée en 2007 par la région, qui a
demandé à ce qu’une distinction soit faite entre Sienne et de Florence (...). Aujourd’hui, il n’y
a plus de lien institutionnel entre les communes mais nous continuons à faire beaucoup de
choses ensemble” (M. PESCINI, Maire de San Casciano in Val di Pesa, ANNEXE entretiens
n°2).39
Le Maire fait ici référence à Eurochianti, un consortium qui a été créé en 1995 dans le but
d‟aider les municipalités et les entreprises de quinze communes produisant du vin Chianti à
adopter un modèle de développement durable et concerté. Devenu réellement opérationnel en
38 (...)”Abbiamo creato una Conferenza Permanente di sindaci del Chianti Senese e del Chianti Fiorentino. Noi abbiamo una
conferenza permanente tra communi del Chianti fiorentino é quelli del Chianti senese .Parliamo suppratutto di questione
legate al turismo, alle perspective tustiche, a come fare dei eventi tut‟ insieme. Parliamo egalmente del territorio, del
paesaggio et cerciamo di fare azioni il piu possibile coordinate (...). Traduction, V. ANGER
39
“Una struttura, Eurochianti che aiuta i comuni e le imprese erano stati creati. Ma tutto ciò è stato modificato nel 2007 dalla
regione che ha chiesto la distinzione dei galli tra Siena e Firenze. San Casciano e Grava in Chianti sono i comuni del Chianti
dove ci sono più aziende agricole. Adesso i comuni non hanno più legami istituzionali tra di esse ma continuiamo a fare
insieme molte cose.” Traduction, V. ANGER.
101
1997, il s‟inscrit dans le cadre du programme LEADER+ et perçoit à ce titre des fonds
européens. Toutefois, pour divers motifs, le consortium Eurochianti étant actuellement en
cours de liquidation, il devrait prochainement cesser ses activités. Si le consortium
Eurochianti dépasse notre périmètre d‟étude, sa mention par M. Pescini est significative. Le
témoignage met en évidence les blocages opérés par les échelons administratifs supérieurs et
la difficulté rencontrée par les élus locaux pour mettre en place un système de concertation
doté de pouvoirs et de compétences administratives dépassant les limites institutionnelles des
provinces.
Néanmoins, la prolongation de cette collaboration au niveau des huit communes des aree
du chianti montre qu‟il existe une véritable gouvernance publique du Chianti, et ce malgré les
la réticence des provinces. Et, dans la mesure où les projets qu‟elle élabore sont
essentiellement tournés vers le développement durable de l‟espace rural et incluent le
tourisme et la culture, nous pouvons parler de territoire rural touristique. Des actions sont
pensées et mises en place à l‟échelle des huit communes du terroir. Ainsi, la place
grandissante qu‟occupe le vin dans les systèmes économiques locaux, en raison notamment du
développement de l‟œnotourisme, a eu pour effet d‟amener les élus à changer leur périmètre
de réflexion et d‟intervention. Du fait son succès auprès des touristes et des enjeux de pouvoir
et de développement local qu‟implique sa construction, la destination qui fut portée à
l‟origine par les producteurs a désormais partiellement les attributs d‟un territoire.
3.2 Le terroir : une échelle d’étude de plus en plus pertinente pour appréhender le
tourisme
Les travaux de recherches réalisées par le Centre d‟études touristiques (Centro di Studi
Turistici) de Florence permettent de penser que le Chianti Classico est reconnu comme un
espace de projet touristique pertinent à un échelon supérieur. Cette association à but non
lucratif composée d‟acteurs publics (l‟APT et la commune de Florence) et privés (le
Consortium Firenze Albergo entre autres) et créée en 1975 pour développer des activités d‟étude et
de recherche sur les différentes problématiques du tourisme40
, a en effet publié le rapport d‟une
enquête ayant été effectuée auprès des visiteurs des Chianti Senese et Fiorentino, l‟enquête de
satisfaction auprès des visiteurs du Chianti, évoquée précédemment. Cette étude avait pour
objectif d‟évaluer les désagréments ressentis par les touristes au cours de leur séjour afin de
40
www.cstfirenze.it
102
proposer dans un deuxième temps un programme d‟amélioration de la qualité de l‟offre sur
l‟ensemble du terroir. Un petit guide dédié à l‟amélioration de la qualité des prestations
touristiques a en outre été publié suite à ce travail de prospection, et distribué à l‟ensemble des
professionnels du tourisme en exercice dans les huit communes du Chianti. Ainsi, Barberino,
Tavarnelle, San Casciano, Greve, Castellina, Gaiole, Radda in Chianti et Castelnuovo
Berardenga sont reconnues comme étant constitutives d‟une seule et même destination par les
opérateurs chargés du développement touristique au niveau de la province de Florence. Les
flux et les pratiques touristiques tout comme l‟unité culturelle et socio-économique du terroir
Chianti Classico semblent donc avoir amené les professionnels à dépasser les limites
administratives pour redéfinir un espace d‟étude et de projet cohérent. Et de fait, les
programmes visant à améliorer la qualité de l‟offre et de l‟accueil concernent les deux aree
Chiantigiane.
Ainsi, l‟espace viticole situé entre Sienne et Florence s‟impose de plus en plus comme un
périmètre d‟étude à adopter pour tout ce qui concerne le tourisme et les actions de
développement touristique. Quatre éléments d‟analyse militent en faveur de cette nouvelle
approche qui consiste à appréhender le terroir comme un territoire touristique de projet: son
homogénéité géographique et socioculturelle, le regard des visiteurs, le caractère structuré de
l‟offre autour de la thématique du vin, et le système de gouvernance existant.
Un espace géographique et culturel homogène
Le terroir Chianti Classico apparaît et est reconnu comme espace géographique et culturel
unique. Il a été soumis aux mêmes évolutions sociales et économiques depuis plusieurs
siècles, lesquelles ont façonné un paysage caractéristique. Les huit communes ont été
marquées par le régime féodal, dont elles ont hérité des places fortifiées. Elles ont ensuite pris
la fonction de campagne des républiques de Sienne et de Florence. Les bourgs, certaines
églises, des monastères et des châteaux encore visible aujourd‟hui ont été édifiés à cette
époque. La période des Médicis a contribué au développement des vignobles sur leur
territoire. Le système de la mezzadria est à l‟origine du système de culture en terrasse,
conservé ou restauré à certains endroits, et de la présence de fattorie, de châteaux et de poderi,
qui constituent les principaux éléments bâtis du patrimoine viticole chiantigiano. Enfin, la fin
de la mezzadria et la spécialisation viticole qui s‟en est suivie ont accentué cette homogénéité
paysagère. Les actions menées par le Consortium Chianti Classico pour protéger et
103
promouvoir leur appellation ont en effet renforcé cette identité dans l‟organisation de
l‟espace.
Cet ensemble géographique, composé de lieux relevant du patrimoine bâti et d‟espaces
agricoles, habité et exploité par une population rurale particulière, et doté d‟une culture
propre construite autour du vin, semble donc avoir les attributs d‟un paysage culturel tel que
défini par l‟ICOMOS41
. Le terroir viticole du Chianti Classico, parce qu‟il prend les
dimensions d‟un patrimoine spatialisé, peut alors être perçu comme un attrait touristique en
soi.
« [Le classement des vignobles au patrimoine mondial de l’UNESCO] une étape
importante de reconnaissance des vignobles en tant que patrimoine. Alors qu’on s’attachait
qu’au patrimoine bâti, il n’y a pas très longtemps, le naturel est entré dans cette catégorie
patrimoniale qui comme les églises, qui relèvent du patrimoine architectural classique, vont
faire valoir leur patrimoine historique. Aujourd’hui, le patrimoine paysager va faire valoir du
tourisme et une destination à faire valoir en soi. Et lié au tourisme, l’idée qu’il y a toujours
cette idée de durée et de séjours. Là effectivement, parce que c’est un paysage, il y a un
itinéraire, je ne vais pas m’arrêter à un point fixe. Je vais faire une activité puis la décliner, je
vais le faire à vélo, en montgolfière etc. Et un patrimoine en appelle un autre du coup et c’est
vrai que c’est tout un territoire qui peut être reconnu comme un patrimoine parce qu’il est
reconnu pour ses paysages, ses bâtiments, ses fêtes » (LIGNON-DARMAILLAC, Annexe E,
entretien n°1).
Cette assimilation du Chianti Classico a un paysage culturel peut d‟autant plus être opérée
que la région Toscane reconnaît la dimension identitaire et patrimoniale de ce terroir. Dans le
cadre du PIT, la collectivité territoriale élabore un Plan paysager (Piano Paesaggistico), en
application du décret n°24 janvier 2004 relatif au Code des biens culturels et du paysage. Un
document spécifique a été conçu pour le paysage du Chianti, « Ambito 32 Chianti», lequel
concerne les huit communes des aree du Chianti. Le document précise les caractéristiques et
les valeurs du paysage chiantigiano, tant géologiques, végétales, historiques qu‟économiques,
et présente les différents lieux dégradés qu‟il convient de restaurer et de protéger. Il indique
également quelles sont les missions assignées aux provinces et aux communes pour appliquer
ce programme. Il est important de signaler que le paysage chiantigiano est étroitement associé
au terroir Chianti Classico dans les documents de planification régionaux. Cela montre que
41
Cf.p.18
104
l‟espace viticole est clairement identifié comme un paysage viticole unique disposant de
ressources naturelles, patrimoniales et agricole qui lui sont propres. Il concentre en lui-même
suffisamment d‟attrait et de sens pour drainer des touristes et les contribuer à leur
« recréation » le temps de leur séjour42
.
Un espace vécu comme une destination à part entière
En raison de sa cohésion paysagère, historique et culturelle, le terroir est devenu un lieu
que l‟on visite pour lui-même. La découverte du vin Chianti Classico et des paysages
chiantigiano sont les motifs du déplacement et les thèmes qui fédèrent l‟ensemble des
pratiques qu‟ils déploient durant leur séjour. Touristes et excursionnistes suivent ainsi plus ou
moins consciemment la route du vin et de l‟huile Chianti Classico. Ils visitent les huit centres
médiévaux des communes du Chianti et s‟arrêtent dans quelques villages emblématique du
passé comme San Donato à Tavarnelle Val di Pesa ou San Gusme à Castelnuovo Berardenga.
Ils se rendent dans des exploitations viticoles pour faire des dégustations ou acheter du vin.
Dans le cadre de l‟oenotourisme, le terroir est en effet perçu comme un périmètre de séjour
plus pertinent. L‟essentiel des activités sont pratiquées dans les limites de la zone de
production parce que son patrimoine paysager et bâti, ainsi que ses habitants et les savoir-faire
locaux donnent à comprendre le vin si renommé du Chianti Classico.
Un élément indique que les touristes identifient le terroir à une destination. Dans l‟enquête
de satisfaction auprès des touristes du Chianti, réalisée par le CDT en 2006, les critiques
formulées par les visiteurs interrogés avaient principalement porté sur les lacunes du Chianti
en matière d‟aménagements touristiques : ils avaient insisté sur le fait que le terroir étaient
mal desservi par les transports collectifs, sur l‟absence d‟itinéraires pour les promenades en
vélo, la pauvreté de l‟offre en activités sportives et l‟indigence de la signalisation. Ces
informations révèlent qu‟il existe une véritable volonté de parcourir l‟ensemble de l‟espace
viticole, et que le vin Chianti Classico et l‟environnement qui lui est rattaché sont les attraits
qui motivent leur déplacement. L‟absence de services de transport et d‟aménagements a donc
entraîné un sentiment de frustration, ce qui montre que les visiteurs ont conscience de l‟intérêt
touristique du terroir dans son intégralité.
42
Cf. note 13 p.37
105
Une offre structurée autour de la thématique du vin Chianti Classico
Grâce aux actions menées par le Consortium et les communes, une offre œnotouristique
fondée sur la découverte du vin Chianti Classico et de son patrimoine structure l‟espace, et lui
donne les attributs d‟une destination équipée pour l‟accueil et le divertissement des visiteurs.
La création de la route du vin et de l‟huile Chianti Classico a vraisemblablement renforcé
cette situation, comme le suggèrent les propos de Sylvie LIGNON-DARMAILLAC :
« La route est un vecteur de patrimoine, parce qu’elle relie les différents patrimoines et
sur un même plan : le patrimoine paysager qui est présent dans les vignobles en général et en
particulier, les caves en tant qu’architecture, le patrimoine en tant que savoir-faire dans une
tradition viticole logique. » (LIGNON-DARMAILLAC, Annexe E, entretien n°1).
La Route permet de mettre en évidence les limites du terroir ainsi que ce qui participe de
son unité, à savoir le patrimoine matériel des bourgs, des bâtiments agricoles et des paysages,
et le patrimoine immatériel des savoir-faire et de la culture locale. La destination Chianti
Classico bénéficie d‟une certaine lisibilité, ce qui la rend plus compréhensible pour les
visiteurs. Le festival « Chianti d‟automne », s‟il n‟est pas en relation directe avec le monde de
la viticulture, structure également la destination. Le fait que les manifestations prévues pour
cet évènement aient lieu dans les différentes communes du Chianti conforte l‟idée que l‟offre
en activités ne prend son véritable sens que si elle s‟étend à tout le terroir.
Par ailleurs, la destination est perçue par les différents acteurs impliqués dans
l‟oenotourisme comme un espace dont l‟offre mériterait d‟être développée et améliorée. Les
différents acteurs privés et publics se sont en effet engagés à travailler en réseau dans le cadre
de la Route du vin. Comme nous l‟avons vu, l‟association de la Route fait office d‟organe de
gestion de l‟oenotourisme à l‟échelle du terroir. Ainsi, non seulement l‟offre est structurée
mais elle est l‟objet d‟un suivi permanent et de projets.
Un système gouvernance unique
La conférence permanente des maires du Chianti Classico atteste de l‟existence d‟une
gouvernance publique au niveau du territoire, ce qui signifie que les politiques municipales
sont harmonisées dans le domaine du tourisme. Des projets d‟aménagement et de promotion
touristiques peuvent donc être mis en place, dans les limites des pouvoirs accordés aux
communes, au niveau des deux aree du Chianti. Le terroir apparaît donc comme un territoire
106
touristique dont les protagonistes sont dotés de suffisamment de compétences pour préserver
les ressources locales, améliorer l‟offre et satisfaire les attentes des visiteurs.
Au regard de ces quatre caractéristiques, il semble peu étonnant que le terroir soit
appréhendé comme un espace d‟enquête pertinent. Il constitue un ensemble géographique,
économique et culturel bien délimité, qui attire touristes et visiteurs. Il jouit d‟une offre
diversifié dont les thèmes fédérateurs sont le vin et son environnement physique et culturel.
Enfin il dispose d‟un organe de gestion associant acteurs publics et privés ainsi qu‟un système
de gouvernance publique. Il s‟affirme donc comme un territoire touristique où sont distribués
des flux de visiteurs qui déploient des pratiques spécifiques. Il apparaît également comme un
espace d‟actions concertées et donc comme un territoire ayant un fort potentiel de
développement et de perfectionnement en matière de tourisme viticole.
107
Conclusion
Si le terroir du Chianti Classico s‟étend sur deux provinces, il ne correspond à aucune
réalité administrative. C‟est pourquoi il est difficile de le définir comme un territoire en tant
que tel. Toutefois, en raison des actions menées par le Consortium Chianti Classico pour
développer la qualité et la renommée du vin et pour mettre en tourisme la zone de production,
il semble que cet espace ait acquis une identité économique et culturelle. Le Chianti est
désormais considéré par une destination touristique à part entière par les acteurs privés et
publics locaux comme par les touristes.
Ce phénomène a pour effet d‟amener les collectivités du Chianti à mettre en place une
gouvernance intercommunale, et la province de Florence à envisager des projets et
programmes d‟amélioration de l‟offre incluant les aree des Chianti Senese et Fiorentino. Les
pratiques œnotouristiques prenant un sens à l‟échelle du terroir et non à l‟échelle des
circonscriptions administratives, l‟espace du Chianti a évolué depuis vingt ans. Autrefois
divisé entre deux provinces et effacé au milieu de la diversité des terroirs d‟appellation
Chianti, il a désormais les propriétés, la visibilité et la lisibilité d‟une véritable destination
touristique structurée autour de la découverte du vin et de ses métiers, et d‟un ensemble
géographique faisant l‟objet de politiques et de projets touristiques concertés.
Aussi, si le Chianti peut difficilement être entièrement appréhendé comme un territoire
administratif géré par une autorité régulatrice unique, il peut du moins être qualifié de
territoire agricole et touristique : il correspond à un espace de projet et de gestion agricole et
touristique pertinent, et, du fait de l‟existence de cette gouvernance, il revêt une dimension
territoriale
108
Conclusion de l’étude
L‟étude a permis de vérifier les trois hypothèses que nous avions posées. Elle a en
effet montré que l‟œnotourisme est né grâce à l‟engagement d‟acteurs privés dans le Chianti.
De fait, ce sont les grands producteurs et les nouveaux résidents d‟origine étrangère qui
lancèrent le processus de partrimonialisation de l‟espace viticole et qui introduisirent le
tourisme rural dans les aree du Chianti. Le tourisme viticole reposant sur la découverte du vin
et du patrimoine matériel et immatériel qui lui est associé, ils ont ainsi construit l‟attractivité
de la destination Chianti Classico. Puis, à partir de 1985, les petits producteurs qui se sont
ouverts au tourisme et ont contribué au développement rapide de l‟œnotourisme. Depuis cette
date, le Consortium a multiplié les actions de promotion et d‟aménagement touristique du
Chianti Classico. Il s‟affirme aujourd‟hui comme un acteur de premier plan du processus de
mise en tourisme.
Le rôle important joué par les producteurs, que nous avons souligné tout au long de
ces travaux, est finalement lié à l‟essence même de l‟œnotourisme, qui associe étroitement la
viticulture au tourisme. Les deux activités deviennent complémentaires et dépendantes l‟une
de l‟autre au cours du processus de mise en tourisme : le milieu viticole répond à la demande
des visiteurs amateurs de vin tandis que le tourisme soutien l‟activité des exploitations
agricoles. Les producteurs sont en conséquence amenés à s‟impliquer pour alimenter et rendre
l‟offre touristique du terroir diversifiée et attractive.
L‟étude a également permis de montré l‟influence qu‟ont eu le regard des étrangers et
les imaginaires forgés par les voyageurs dans la mise en valeur touristique du Chianti Senese
et du Chianti Fiorentino. Le Chianti a été reconstitué de façon à satisfaire la volonté exprimée
par les étrangers et les amateurs de vins de retrouver dans le Chianti une campagne idyllique,
renvoyant au paysage toscan typique admiré par les artistes depuis des siècles. L‟exemple
choisi conduit donc à relativiser la notion d‟ « authenticité » mise en avant par les producteurs
pour satisfaire le besoin de patrimoine et de nature des sociétés européennes contemporaines
(DI MEO, 2008). Les paysages et les modèles de réhabilitation adoptés sont en fait le fruit
d‟une construction exogène, soulignant le caractère quelque peu artificiel et illusoire de ce
retour aux valeurs identitaires et aux traditions locales (LEVY, LUSSAULT, 2003).
109
La mise en tourisme du patrimoine viticole du Chianti Classico a été portée par
plusieurs types d‟acteurs aux profils distincts. Là encore, l‟association du vin au tourisme
explique cette situation. Les professionnels du vin et du tourisme, mais également les
collectivités locales sont incités à s‟engager dans le processus, à travers la création d‟une offre
œnotouristique (hébergement, dégustation, restauration, musées etc.), l‟organisation de
manifestations, ou des actions d‟aménagement (Routes des vins, aménagement des voies).
Avec le départ de la population dans les années 1960, puis la crise du secteur viticole, les
acteurs locaux ont pris conscience que les traditions pouvait contribuer à rendre plus solide la
base pour le développement futur (AZZARI, CASSI, MEINI, 2007). Ils ont donc entamé une
démarche de sauvegarde des produits agroalimentaires traditionnels en tant que patrimoine
culturel, démarche qui est moins l‟expression d‟aspirations nostalgiques que l‟effet de
l‟évaluation de la valeur économique de cette ressource. En effet, perçu comme un attrait
touristique potentiel, les propriétaires des grands domaines viticoles produisant du Chianti
Classico y ont d‟abord vu un moyen de reconvertir les bâtiments agricoles existants. Ils ont
ensuite conçu la mise en valeur des produits locaux et le développement d‟une offre
œnotouristique comme un instrument marketing, la découverte du vin et la visite du lieu de
fabrication du produit favorisant le développement des ventes directes et la fidélisation de la
clientèle étrangère. En revanche, les producteurs plus modestes, qui furent davantage touchés
par la crise viticole, trouvèrent plutôt dans l‟œnotourisme une activité complémentaire à leur
activité viticole de base susceptible de créer des revenus supplémentaires et permettant de
dégager des profits. Certes, ils considèrent aussi l‟accueil de touristes comme un moyen de
développer de nouvelles clientèles et d‟augmenter les ventes directes. Toutefois,
contrairement aux grands propriétaires producteurs de vins renommés, il s‟agissait au départ
pour eux de quitter une situation économique précaire.
L‟étude a mis en évidence que cette assimilation du patrimoine viticole à une
ressource économique induit des conflits d‟intérêt. Si le patrimoine est le bien commun de la
communauté locale, son exploitation peut prendre différentes formes. Aussi, son contrôle
devient l‟objet de revendications et de tensions (DI MEO 2008 ; VESCHAMBRES, 2007).
Dans le cas du Chianti, nous avons vu que le Consortium de producteurs de vin Chianti
Classico privilégiait un développement du territoire centré sur la production agricole et le
tourisme rural tandis que les élus locaux défendent une politique moins exclusive et un
modèle économique plus équilibré, associant l‟agriculture, le tourisme, l‟industrie, l‟artisanat
et le secteur tertiaires non touristique. La maîtrise de l‟aménagement touristique des aree du
110
Chianti et de la préservation du patrimoine est en conséquence devenue un enjeu pour ces
deux groupes qui représentent la société locale. Cristallisant les tensions sous-jacentes, ces
domaines d‟actions et de projets font l‟objet de rivalités et de concurrence.
Enfin l‟analyse a permis de souligner l‟enjeu que revêt la mise en tourisme du
patrimoine viticole en termes de construction territoriale. Avec ses paysages et la culture à
laquelle il est rattaché, le vin a été le moteur du renouveau économique des collectivités du
Chianti depuis 25 ans. Il a permis de développer le tourisme, qui fait vendre des produits
associés aux collectivités (huile d‟olive, artisanat), favorisant une véritable dynamique
territoriale intersectorielle. Les deux aree du Chianti constituent donc un espace économique,
social et culturel homogène, et ce en dépit de la présence d‟une limite administrative séparant
le terroir en deux entités administratives distinctes. Il est en outre devenu un espace de projet
à travers notamment les actions de préservation du patrimoine et de valorisation touristique du
terroir menées par le Consortium Chianti Classico (promotion, route des vins, fêtes du vin,
etc.). Il semble ainsi que la patrimonialisation des produits viticoles en vue développer le
tourisme aient engagé le terroir dans un processus de territorialisation (VESCHAMBRES
2007 ; DI MEO). Les références au « territoire » Chianti Classico, ainsi que la convocation de
l‟identitaire dans ces discours participent de la construction d‟un projet territorial. Réactivant
une identité spatialisée, et la matérialisant à travers une série d‟aménagements visant à
améliorer sa visibilité auprès des visiteurs et des amateurs de vin, les producteurs ont doté le
terroir d‟une dimension territoriale (GUMUCHIAN, GRASSET, LAJARGE, ROUX, 2003).
Les aree Chianti sont d‟ailleurs désormais perçues par les touristes comme une destination
unique, celle du Chianti. Enfin, le pouvoir d‟intervention dans la sphère publique dont est
pourvu le syndicat de producteur du fait de son rôle de premier plan dans le secteur viticole a
amené les élus locaux à s‟engager à leur tour dans la construction d‟un territoire Chiantigiano.
En réaction à l‟influence grandissante des producteurs dans les domaines ayant un impact sur
le développement futur de leur territoire, les huit communes du Chianti se sont munies d‟un
organe de gestion commun, lequel réunit plusieurs fois par an les élus locaux. Ainsi, si le
Chianti ne correspond pas à un territoire administratif en tant que tel, certaines compétences
demeurant du ressort des provinces, il dispose d‟un groupe d‟acteurs privés très actif dans le
secteur viticole et dans la filière oenotouristique, et d‟un système d‟harmonisation des
politiques publiques. Il a donc les attributs d‟un territoire agricole et touristique.
111
Il faut toutefois souligner que si la méthodologie adoptée a permis de confronter les
trois hypothèses définies au préalable à la réalité, elle présente des limites. En effet, certains
acteurs interrogés ont montré des réticences à révéler leur position vis-à-vis des autres
acteurs. Il s‟est donc avéré très difficile d‟aller jusqu‟aux bout de l‟analyse des logiques et des
systèmes d‟acteurs en présence. D‟autre part, les travaux de recherche ont été pénalisés par le
manque de collaboration dont a fait preuve l‟APT de Sienne. Le niveau d‟information était
donc déséquilibré. La documentation collectée au sujet du Chianti Fiorentino était beaucoup
plus importante que celle qui portait sur le Chianti Senese.
Néanmoins, ces contraintes n‟ont pas empêché de comprendre quelles sont les enjeux
socio-économiques et territoriaux de la mise en tourisme du patrimoine viticole. Créatrice
d‟identité et de retombées économiques directes et indirecte pour les producteurs et plus
largement la collectivité locale, elle renforce la place de la viticulture dans l‟organisation des
territoires qui composent le terroir. Une dynamique économique nouvelle s‟installe. Le
tourisme participe de la visibilité et de la lisibilité internationale des produits viticoles locaux
et permet le développement des ventes directes. Réciproquement, la fabrication de vins de
qualité ainsi que le maintien de paysages viticoles et de pratiques traditionnelles satisfont le
besoin croissant d‟authenticité et de nature exprimé par les sociétés contemporaines. Surtout,
le développement de l‟œnotourisme peut amener à dépasser les logiques de gestion
institutionnelles traditionnelles. Il contribue de fait à l‟émergence d‟espaces de projets
agricoles et touristiques pertinents ayant en partie les attributs d‟un territoire.
112
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Liste des figures
Figure 1: Carte des appellations de la zone Chianti .............................................................................. 20
Figure 2 : L‟évolution des vignobles de Florence depuis le Moyen Age .............................................. 22
Figure 3 : Photographie du paysage chiantigiano . ................................................................................ 23
Figure 4 : Vue aérienne du bourg de Gaiole in Chianti ......................................................................... 25
Figure 5 : Vue aérienne du bourg de Radda in Chianti ......................................................................... 25
Figure 6: Les fermes en agritourisme en Toscane ................................................................................. 28
Figure 8 : Tableau recensant le nombre d‟agritourismes dans les huit communes du Chianti et dans les
communes voisines................................................................................................................................ 32
Figure 9 : La répartition des arrivées touristiques par commune du Chianti en 2009 ........................... 34
Figure 10: Les principaux motifs de visite des touristes en fonction des communes du Chianti .......... 36
Figure 11 : Le logo du vin Chianti Classico. ......................................................................................... 52
Figure 12 : La bouteille de vin Chianti Classico Verrazzano ................................................................ 55
Figure 13 : La situation du terroir Chianti Classico, localisé entre Florence, Sienne et Arezzo. ......... 62
Figure 14: les principaux sites internet référençant l‟offre en hébergement du Chianti par
circonscription administrative. .............................................................................................................. 84
Figure 15 : Photographie de panneaux de signalisation à un carrefour de Radda in Chianti. ............... 90
Figure 16: Photographie d‟un maillot de cyclisme Chianti Classico vendu dans un magasin de
souvenirs à Radda in Chianti. ................................................................................................................ 93
Figure 17 : Les canaux d‟information consultés par les touristes du Chianti pour se renseigner sur leur
lieu de séjour ......................................................................................................................................... 95
Figure 18 : Les principaux sites internet faisant référence aux limites du terroir Chianti Classico. ..... 96
119
Glossaire
APT: Agenzia Par il turismo
CST: Centro di Studi Turistici
OMT: Organisation Mondiale du Tourisme
PIT : Piano di Indirrizzo Territoriale
PTC : Piano Territoriale di Coordinamento