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CAS CLINIQUE La Lettre du Sénologue • n° 50 - octobre-novembre-décembre 2010 29 Une tumeur bénigne mimant un cancer A rare lesion resembling breast cancer E. Fondrinier*, N. Paillocher**, I. Valo***, V. Verriele*** Observations Les deux cas sont ceux de patientes, sans antécé- dent, de 43 et 46 ans, se présentant chacune avec un nodule palpable, superficiel, centimétrique au niveau du prolongement axillaire (avec une fossette cutanée en regard) pour l’une et à la partie inféro-interne du sein droit pour l’autre. Dans les deux cas, l’image mammographique était celle d’une opacité stellaire ACR 5, attirant la peau pour la première patiente. L’écho- graphie mammaire montrait un nodule périphérique hypoéchogène avec atténuation des échos et adhé- rence sur le plan musculaire pour la deuxième patiente (figure 1). La biopsie n’a pas pu être techniquement faite pour la lésion du prolongement axillaire, seule une ponction cytologique était réalisée : cellules de grande taille présentant des anomalies cytonucléaires. La biopsie de la deuxième lésion révélait la présence de cellules de grande taille, organisées en petits amas ou en travées, avec un cytoplasme abondant, éosino- phile et granuleux et des noyaux ovalaires sans atypie. Compte tenu de la présentation de la première lésion et de l’impossibilité de la biopsier, il a été réalisé une IRM montrant une lésion stellaire “en doigt de gant” se rehaussant discrètement après injection (figure 2). Dans les deux cas, une tumorectomie a été réalisée. Macroscopiquement, les lésions étaient blanchâtres à la coupe, mesurant 10 et 13 mm. Microscopiquement, la première lésion était développée en région hypodermique et la deuxième gagnait en profondeur le tissu musculaire strié. Elles étaient mal limitées, composées d’amas de cellules de grande taille, au cyto- plasme abondant éosinophile et granuleux et aux noyaux petits, ovalaires, réguliers, sans atypie ni mitose (figure 3). L’immuno- histochimie était positive pour l’anticorps anti PS100 et négative pour les cytokératines et les récepteurs hormonaux. Le diagnostic de tumeur à cellules granuleuses est retenu. Aucun traitement ultérieur n’a été entrepris. Discussion La tumeur à cellules granuleuses, aussi appelée tumeur d’Abrikossof (1), est le plus souvent bénigne. D’origine neuro-ectodermique, elle siège préférentiellement au niveau de la peau et de la cavité buccale (2, 4), mais dans 6 % des cas, elle siège au niveau du sein (3) où elle est un piège diagnostique, car elle mime généralement un véritable cancer du sein (2). La tumeur mammaire d’Abrikossof peut survenir à tout âge, avec une moyenne proche de 39 ans (2). La localisation préférentielle est le quadrant supéro-interne du sein (2). La multifocalité, constatée dans les autres localisations peut être retrouvée au niveau du sein (5). Cliniquement, dans près de 60 % des cas, la tumeur se présente sous la forme d’une masse dure, mal limitée, indolore, s’accompagnant d’une fixation sur les plans profonds ou superficiels (2). Elle peut aussi évoquer une tumeur bénigne sous forme d’un nodule ferme, mobile et lisse dans 35 % des cas (2). Le diamètre moyen est de * 5 B, rue Jean-d’Orbais, 51100 Reims. ** Département d’oncologie chirurgicale, centre Paul-Papin, Angers. *** Département de biopathologie, centre Paul-Papin, Angers. Figure 1. Aspect échographique: lésion hétérogène avec cône d’ombre postérieure. Séno50décembre2010 - ok.indd 29 13/12/10 08:21

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  • CAS CLINIQUE

    La Lettre du Sénologue • n° 50 - octobre-novembre-décembre 2010 29

    Une tumeur bénigne mimant un cancer A rare lesion resembling breast cancer

    E. Fondrinier*, N. Paillocher**, I. Valo***, V. Verriele***

    Observations

    Les deux cas sont ceux de patientes, sans antécé-dent, de 43 et 46 ans, se présentant chacune avec un nodule palpable, superficiel, centimétrique au niveau du prolongement axillaire (avec une fossette cutanée en regard) pour l’une et à la partie inféro-interne du sein droit pour l’autre. Dans les deux cas, l’image mammographique était celle d’une opacité stellaire ACR 5, attirant la peau pour la première patiente. L’écho-graphie mammaire montrait un nodule périphérique hypoéchogène avec atténuation des échos et adhé-rence sur le plan musculaire pour la deuxième patiente (figure 1). La biopsie n’a pas pu être techniquement faite pour la lésion du prolongement axillaire, seule une ponction cytologique était réalisée : cellules de grande taille présentant des anomalies cytonucléaires. La biopsie de la deuxième lésion révélait la présence de cellules de grande taille, organisées en petits amas ou en travées, avec un cytoplasme abondant, éosino-phile et granuleux et des noyaux ovalaires sans atypie. Compte tenu de la présentation de la première lésion et de l’impossibilité de la biopsier, il a été réalisé une IRM montrant une lésion stellaire “en doigt de gant” se rehaussant discrètement après injection (figure 2). Dans les deux cas, une tumorectomie a été réalisée. Macroscopiquement, les lésions étaient blanchâtres à la coupe, mesurant 10 et 13 mm. Microscopiquement, la première lésion était développée en région hypodermique et la deuxième gagnait en profondeur le tissu musculaire strié. Elles étaient mal limitées, composées d’amas de cellules de grande taille, au cyto-plasme abondant éosinophile et granuleux et aux noyaux petits, ovalaires, réguliers, sans atypie ni mitose (figure 3). L’immuno-histochimie était positive pour l’anticorps anti PS100 et négative pour les cytokératines et les récepteurs hormonaux. Le diagnostic de tumeur à cellules granuleuses est retenu. Aucun traitement ultérieur n’a été entrepris.

    Discussion

    La tumeur à cellules granuleuses, aussi appelée tumeur d’Abrikossof (1), est le plus souvent bénigne. D’origine neuro-ectodermique, elle siège préférentiellement au niveau de la peau et de la cavité buccale (2, 4), mais dans 6 % des cas, elle siège au niveau du sein (3) où elle est un piège diagnostique, car elle mime généralement un véritable cancer du sein (2). La tumeur mammaire d’Abrikossof peut survenir à tout âge, avec une moyenne proche de 39 ans (2). La localisation préférentielle est le quadrant supéro-interne du sein (2). La multifocalité, constatée dans les autres localisations peut être retrouvée au niveau du sein (5). Cliniquement, dans près de 60 % des cas, la tumeur se présente sous la forme d’une masse dure, mal limitée, indolore, s’accompagnant d’une fixation sur les plans profonds ou superficiels (2). Elle peut aussi évoquer une tumeur bénigne sous forme d’un nodule ferme, mobile et lisse dans 35 % des cas (2). Le diamètre moyen est de

    * 5 B, rue Jean-d’Orbais, 51100 Reims. ** Département d’oncologie chirurgicale, centre Paul-Papin, Angers. *** Département de biopathologie, centre Paul-Papin, Angers.

    Figure 1. Aspect échographique: lésion hétérogène avec cône d’ombre postérieure.

    Séno50décembre2010 - ok.indd 29 13/12/10 08:21

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    2 cm (2). La mammographie est peu spécifique montrant une opacité spiculée (60 % des cas), mimant un cancer, ou une hyperdensité nodulaire bien limitée, arrondie, aux contours réguliers orientant vers une lésion bénigne (26 % des cas) [2]. Il n’a jamais été décrit de microcalcifications (6). La mammographie peut être normale (17 % des cas) [2]. L’aspect échographique est également aspécifique, il évoque typiquement un carcinome objectivant une masse d’échos-tructure hétérogène aux contours irréguliers, hypervascularisée avec parfois une atténuation postérieure des échos et un halo hyperécho-gène (6). L’aspect IRM retrouve un hyposignal T1 homogène avec rehaussement rapide après injection de gadolinium, notamment en périphérie de la lésion suivi d’un washout et un hypersignal T2 dont l’intensité est identique au tissu glandulaire adjacent (7). À l’issue du bilan clinique et iconographique, un cancer est suspecté dans près de 80 % des cas (2). Des investigations complémentaires à visée histopathologique sont nécessaires. Le diagnostic peut être suggéré par l’examen cytologique : grandes cellules ovalaires, présence d’un cytoplasme abondant basophile granuleux, avec des noyaux excentrés, peu atypiques avec un nucléole central (8). L’as-pect macroscopique classique met en évidence une tumeur solide, de couleur blanc-jaune à la coupe plus ou moins bien limitée (5). L’étude microscopique montre une prolifération tumorale constituée de grandes cellules rondes, ovalaires ou polygonales, agencée en plages ou en cordons séparés par des travées fibreuses (2). Le noyau central ou périphérique est de petite taille et peu atypique, le rapport nucléo-cytoplasmique est faible et l’activité mitotique souvent nulle (2) ou faible (9). Le cytoplasme est éosinophile, abondant et granuleux (2, 9). La prolifération peut infiltrer le tissu adipeux et

    Figure 2. Aspect IRM (séquence T1 après injection de gadolinium) : lésion stellaire, en doigt de gant, faible rehaussement après injection.

    » La tumeur à cellules granuleuses ou tumeur d’Abrikossof est une lésion rare. Dans sa localisation mammaire, elle mime généralement par sa présentation clinique et iconographique un cancer. Elle justifie une exérèse chirurgicale pour éviter les récidives et éliminer avec certitude les rares formes malignes.

    Mots-clésTumeur à cellules granuleuses Abrikossof

    KeywordsGranular cell tumor

    Abrikossof

    Figure 3. Aspect histologique typique d’une tumeur à cellules granuleuses observée en microscopie optique à fort grossissement (x 400) après colo-ration à l’hématoxyline-éosine-safran. Présence de grandes cellules à cytoplasme granuleux et éosino-phile, les noyaux sont petits, sans mitose ni atypie.

    Résumé

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  • CAS CLINIQUE

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    glandulaire adjacent ainsi que le tissu musculaire strié. Les cellules granuleuses expriment toujours la protéine PS100 suggérant une origine neuro-ectodermique (2). Elles n’expriment pas la myoglobine ni la desmine, écartant la théorie myogène initialement proposée par Abrikossof (4). L’alpha 1 anti-trypsine, l’alpha 1 anti-chymotryp-sine et le lysozome sont aussi négatifs (4). Enfin, la recherche des récepteurs hormonaux s’est toujours révélée négative (2, 5). Le diagnostic peut donc être réalisé facilement sur des biopsies de bonne qualité. Une biopsie première doit être préférée à l’examen extemporané, chaque fois qu’elle est possible. Celui-ci peut en effet être difficile d’interprétation et aboutir à des erreurs diagnostiques responsables de gestes chirurgicaux inadaptés et mutilants (2). La prise en charge chirurgicale optimale consiste en l’exérèse de la lésion dans sa totalité pour éviter le risque de récidive locale (5, 9). Les lésions d’Abrikossof sont rarement malignes (2 % en général et 1 % au niveau du sein) [2]. Elles se caractérisent alors par un rapport nucléo-cytoplasmique élevé avec nucléole proéminant, par une croissance rapide et par un pléomorphisme cellulaire (2). Le risque de dissémination est ganglionnaire mais aussi métastatique au niveau pulmonaire, hépatique et osseux. Dans ces formes rares, le traitement fait appel à une exérèse chirurgicale large associée à un curage axillaire. Une chimiothérapie à base d’anthracyclines et une radiothérapie peuvent également se discuter mais aucun protocole spécifique n’est disponible (9).L’association d’une tumeur à cellules granuleuses et d’une autre tumeur mammaire est également décrite dans la littérature (3, 9). La forme histologique la plus fréquemment associée est le carcinome canalaire in situ, une seule publication relate un cas de carcinome canalaire infiltrant (3). Cette situation doit être évoquée chez la femme ménopausée (3) et lorsque les lésions mammaires sont multiples (3, 9).

    Conclusion

    La tumeur à cellules granuleuses est une entité clinique rare. Il s’agit d’un diagnostic différentiel des lésions malignes qu’elles miment cliniquement et iconographiquement. Même évoquée sur les biop-sies percutanées, elle doit conduire à une tumorectomie d’exérèse, qui seule permettra d’éviter les récidives et d’éliminer les rares formes malignes. ■

    Références bibliographiques

    1. Abrikossoff A. Uber myome, ausgehend von der quergestreiften willkurlichen musku-latur. Virchows Arch 1926;260:215-33.

    2. Boulat J, Mathoulin MP, Vacheret H, Andrac L, Habib MC, Pelissier JF. Tumeurs à cellules granuleuses du sein. Ann Pathol 1994;14:93-100.

    3. AL-Ahmadie H, Hasselgren PO, Yassin R, Mutema G. Colocalized granular cell tumor and infiltrating ductal carcinoma of the breast: a case report and review of the literature. Arch Pathol Lab Med 2002;126:731-3.

    4. Baes R, Daubresse JL. À propos d’un cas de tumeur d’Abrikossof à localisation double. Étude critique sur l’histogenèse du soi-disant myoblastome à cellules granuleuses. Acta Belg Mil 1956;109:62-71.

    5. Adeniran A, Al-Ahmadie H, Mahoney MC, Robinson-Smith TM. Granular cell tumor of the breast: a series of 17 cases and review of the litterature. Breast J 2004;10:528-31.

    6. Yang WT, Edeiken-Monroe B, Sneige N, Fornage BD. Sonographic and mammogra-phic appearances of granular cell tumors of the breast with pathological correlation. J Clin Ultrasound 2006;34:153-60.

    7. Iglesias A, Arias M, Santiago P, Rodriguez M, Manas J, Saborido C. Benign breast lesions that simulate malignancy: magnetic resonance imaging xith radiologic-pathologic correlation. Curr Probl Diagn Radiol 2007;36:66-82.

    8. Jayaram G, Hoon PB, Har YC. Granular cell tumor of breast: diagnosis by fine needle aspiration cytology. Acta Cytol 2006;50:593-5.

    9. Balzan S, Farina P, Maffazzioli L, Riedner C, Guedes Neto E, Fontes P. Granular cell breast tumour: diagnosis and outcome. Eur J Surg 2001;167:860-2.

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