un profond bonheur

Upload: nalarnaud

Post on 30-May-2018

224 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    1/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/1

    Chris Iwen

    Avec la collaboration de Kessani Iwen

    Un profond

    bonheur

    Roman

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    2/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/2

    L o est ton trsor, l aussi sera ton cur

    Matthieu 6 : 21.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    3/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/3

    Chapitre 1.

    Je mappelle Georges, et je vous prie de bien vous en rappeler, car je naurais

    pas dautres occasions de vous dire mon nom. Cela faisait deux jours que javais

    fait la dcouverte la plus importante de lunivers. Oh, il ne sagissait pas du grand

    univers, cette masse insolente dindiffrence et ce mlange abyssal dtoiles et de

    tnbres. Non, il sagissait seulement de mon petit univers personnel. Cest--dire

    lunivers dun enfant de dix ans qui devait lutter jour et nuit contre la vigilance de

    sa mre pour pouvoir accder quelques friandises et goter un peu de ces

    liqueurs si agrables que son pre protgeait au fond dune malle. Mon univers

    personnel, qui me paraissait parfois bien immense lorsque des inconnus venaient

    la maison et disaient mon nom, comme si javais t une clbrit inconsciente de

    sa renomme. Mais aussi mon univers personnel, qui me paraissait quelquefois

    insignifiant lorsque je perdais mes billes au jeu, parce que le joueur en face tait

    plus adroit et physiquement plus costaud que moi.

    Deux levers de soleil staient donc consums depuis que javais lucid lemystre le plus fascinant de lunivers. Mais avant ce triomphe, que je devais

    absolument garder secret, javais cherch et rflchi pendant des mois. A vrai dire

    de longs mois dagonie au cours desquels javais souvent perdu espoir et fondu en

    larmes. Mais mon agonie ntait plus quun vieux souvenir sans relief. Seule

    lmotion du triomphe habitait mon cur et me donnait le sourire depuis deux

    nuits. Mon sourire perptuel avait fini par veiller les soupons de ma mre. Et

    ctait pour savoir exactement pourquoi je semblais si heureux, quelle mavait faitappeler. Laprs-midi et son soleil de plomb imposaient depuis une heure ou deux

    une ambiance sereine et une atmosphre de torpeur quatoriale. Ma mre tait

    installe dans un fauteuil bascule, sous le grand arbuste ct de la maison.

    Lombre ne la protgeait pas beaucoup du soleil, et il aurait fallu quelle se dcale

    dun ou deux mtres pour chapper la morsure de lastre du jour. Voulait-elle

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    4/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/4

    bronzer ? Elle nen avait pas besoin pourtant, sa peau tait aussi charge de

    mlanine que la mienne.

    Un petit vent si lger quil fallait se concentrer un peu pour le percevoir

    bruissait doucement les feuilles de larbuste et produisait par terre un jeu de

    scintillements qui mimait une danse presque hypnotique. Je narrivais pas

    discerner si ma mre contemplait ces scintillements crs par le mouvement des

    feuilles et les infiltrations des rayons du soleil, ou si elle explorait quelque chose

    dans son esprit. Quand elle entrait dans son monde mental pour y chercher quelque

    chose, son regard prenait parfois une expression absolument trange, une sorte

    dabsence lucide qui me faisait peur et me fascinait en mme temps. Je me tenais

    bien droit, la tte fire et le sourire imperturbable, et jattendais quelle lve les

    yeux sur moi. A cause de la chaleur, je portais seulement une culotte marron, en

    laine, qui marrivait mi-cuisses. Javais le torse nu, et de grosses gouttes de sueur

    perlaient sur ma poitrine, car avant de me pointer devant ma mre, javais jou

    saute-mouton avec dautres enfants qui habitaient quelques pts de maisons plus

    loin. De modestes chaussures en plastique me permettaient de courir sur lesgravillons et dclabousser les flaques deau qui stagnaient ici et l autour des

    sillons des eaux uses qui se dversaient des fontaines publiques. Javais un peu de

    boue sur les chevilles, et de la poussire dans les cheveux. Jtais un peu crasseux,

    mais cela pouvait sarranger en un clin dil, car il y avait une fontaine publique

    pas trs loin de chez nous, et ctait plus amusant dy prendre sa douche qu la

    maison.

    Ma mre ne leva pas les yeux sur moi. Sa voix sadressait pourtant moi et mefrappait en plein visage comme une bourrasque. Javais un peu sursaut, car avant

    quelle ne commence parler, je mtais moi aussi vad dans ma tte. Il me fallut

    quelques secondes pour me ressaisir et dchiffrer le sens de ses mots.

    - Tu es un enfant joyeux, dit-elle, comme tous les enfants ici mais depuis

    quelques jours tu souris tout le temps, sans raison apparente. Jen conclu que cest

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    5/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/5

    dans ta tte quil y a quelque chose de drle, et a doit tre sacrment amusant

    pour te faire sourire sans relche. Nas-tu pas mal aux lvres et aux joues force

    de sourire comme a ?

    Elle avait raison. Javais un peu mal aux joues force de sourire. Mais je ny

    pouvais rien. Jtais heureux davoir fait la plus grande dcouverte de tous les

    temps, et ce bonheur tait incontrlable. Peut-tre que dans quelques semaines, il

    se sera suffisamment coul du temps pour que japprenne vivre avec cette

    importante dcouverte de manire sereine, sans mettre au supplice mes

    zygomatiques. Je portai une main ma joue et me massai doucement. La question

    de ma mre nattendait aucune rponse, donc je nen fis aucune.

    - Tu sais, mon chri, quand on a quelque chose de drle dans sa tte, il faut le

    partager avec les gens, car la joie est faite pour tre partage, et le partage donne

    plus de valeur lobjet de notre bonheur.

    - Non maman, ce nest pas quelque chose de drle cest une super grande

    dcouverte.

    Je naurais jamais d prononcer ces mots. Jaurais d inventer nimporte quoi.Visiblement ma mre sattendait ce que lorigine de mon sourire soit quelque

    chose de drle, peut-tre une blague, peut-tre une histoire insolite propos de

    quelquun quelque chose dans ce genre-l. Ma mre sattendait ce que mon

    sourire soit de la mme nature que le rire qui nous treint devant une histoire drle

    ou devant une situation cocasse. Jaurais d dire que je souriais parce que je

    pensais tout le temps une blague que javais entendue ou lue quelque part

    Certes, jaurais eu bien du mal inventer ensuite une blague drle. Je navaisaucun talent pour ce genre dhumour. Mon humour consistait plutt rire de tout

    et de nimporte quoi, mme quand ce ntait pas drle pour les autres. Une mouche

    qui se posait sur le nez de mon pre alors quil tait en train de jouer aux dames

    avec ses amis, cela pouvait me provoquer un fou rire qui stendait sur de longues

    minutes.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    6/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/6

    Une fois, javais ri pendant des heures, sans pouvoir marrter. Et pourquoi ? A

    cause de lun des amis de mon pre. Ce jour-l mon pre et trois de ses amis

    saffrontaient aux dames tour de rle. Pendant que deux jouaient, les deux autres

    observaient et analysaient silencieusement la partie. Les pions taient en bois, et le

    damier aussi. Mon pre avait lhabitude de dplacer ses pions en les faisant glisser

    sur le damier avec un geste appuy. Cela produisait une espce de petit crissement.

    Les autres joueurs avaient lhabitude de dplacer leurs pions dune autre manire.

    Ils les soulevaient et les reposaient lendroit voulu. Ctait un mode silencieux, et

    ils prfraient sy prendre ainsi parce quils simaginaient que le bruit pouvait

    gner leur concentration. Mais personne nosait demander mon pre dadopter un

    mode plus silencieux. Ce jour-l, il se passa quelque chose qui me fit rire jusqu

    me rendre malade. Lune de mes petites surs, qui avait peine deux ans, jouait

    ct de moi, et moi jessayais dobserver et danalyser la partie qui opposait mon

    pre et lun de ses amis. A un moment du jeu, lami en question commena suer

    abondamment. De grosses gotes de sueur scoulaient sur son visage, et il les

    essuyait dun revers de la main. Ctait peut-tre la tension de la partie, car monpre tait un adversaire redoutable. Mais, quelques minutes plus tard, le joueur

    appuya son doigt sur lun de ses pions, jeta un coup dil presque inquiet sur les

    visages autour de lui, puis dplaa sa pice de bois en faisant le plus de bruit

    possible. Au mme moment, un autre bruit, insolite, retentit. Ctait le bruit

    reconnaissable dun pet. Mais un pet qui avait t aussi bref que possible. Malgr

    tous les efforts du joueur, le bruit du pion navait pas t assez fort pour couvrir

    lautre bruit. Tout le monde se raidit brusquement, car la surprise tait grande. Lesgens jetrent un regard rprobateur au joueur, mais celui-ci dit tout simplement :

    Si ce nest pas le pion qui a fait ce bruit, alors cest la petite, elle doit tre en

    train de faire caca dans ses couches . Cest cette rpliquequi provoqua en moi un

    fou rire irrsistible.

    Mais lincident tait bien loin, et dailleurs je naurais jamais t capable de

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    7/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/7

    rflchir suffisamment vite pour trouver un mensonge convaincant servir ma

    mre. Elle mavait pris de court, ma mre. Ni elle ni mon pre ne devaient rien

    savoir de ma dcouverte. Et dailleurs, ma dcouverte devait rester labri dans

    ma tte, ctait la condition pour que je puisse en tirer un maximum de profit. La

    plus petite confidence, mme celle de mes surs laquelle je faisais le plus

    confiance, aurait rduit nant ma dcouverte, et aurait induit un changement

    regrettable dans le cours de lunivers. Si je voulais que ma dcouverte conserve

    toute son importance, et surtout si je voulais en tirer partie, alors je ne devais rien

    dire.

    - Une grande dcouverte, dis-tu ? Raconte ta maman, mon chri. De quoi

    sagit-il ?

    Elle leva les yeux sur moi. Son regard, doux et imprgn dune profonde

    tendresse, menveloppa comme un nuage de velours. Elle me regardait souvent

    comme a, maman. Avec ses yeux souriants et son visage ouvert au monde, elle

    avait le don denvoyer quelque chose dans lair qui venait toucher au cur et qui

    faisait sentir, dune manire presque palpable, combien son cur dbordaitdaffection pour ses proches. Quand elle posait sur moi son regard qui disait je

    suis heureuse que tu existes , je pouvais tout lui donner, lui donner tout lamour

    dont jtais capable, du haut de mes dix grandes saisons de pluies. Mais voil, je

    ne pouvais pas lui livrer ma dcouverte. Jtais absolument certain quelle en ferait

    mauvais usage. Je navais aucun doute l-dessus. Je baissai donc les yeux, car si je

    soutenais son regard je pouvais succomber tout moment. Jtais simplement

    incapable de rsister tout lamour qui se refltait dans ses yeux.- Ce nest pas grave, mon chri, si tu ne veux rien me dire. Je comprends tout

    fait. Un grand garon comme toi doit avoir ses secrets. Je suis sre que ton secret

    est quelque chose de beau et dimportant, et je comprends que pour que a reste

    beau et important, il faut que a habite dans ton cur, et seulement dans ton cur,

    bien labri du regard des gens.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    8/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/8

    Sa voix avait pris des accents de douceur plus prononcs que dordinaire. Ses

    mots me dlivraient dun immense poids, car je me sentais un peu mal laise

    lide de devoir cacher ma dcouverte ma mre. Avec ce quelle venait de me

    dire, je ne me sentais plus mal du tout. Je me sentais soulag. Je me sentais mme

    un peu plus important, car ma mre avait reconnu que jtais assez grand pour

    avoir mes propres secrets. Elle me saisit par le bras et mattira sur ses genoux.

    Aprs mavoir embrass, elle me rendit mes activits de jeune garon.

    - Tu peux retourner jouer si tu veux. Cest important de jouer, a permet de

    cultiver la joie dans notre cur.

    - Sauf quand on perd, car alors on est triste ou en colre.

    - Cest parce que tu ne sais pas encore perdre.

    Je me blottis contre sa poitrine. Un peu pour sentir ses seins, car a me rappelait

    quand jtais bb et que je ttais. Et un peu pour sentir battre son cur, car

    jaimais beaucoup le son que cela produisait dans mon oreille. Sa rponse mavait

    un peu troubl. Je savais que perdre ne pouvait que susciter de la tristesse ou de la

    colre. Tout le monde le savait. Ctait vident. Quand mes camarades perdaientau jeu, ils ragissaient comme moi-mme quand je perdais. Javais dj vu mon

    pre snerver parce quil avait perdu un contrat ou parce quil avait perdu un

    camion cause de la maladresse de lun des chauffeurs quil employait dans son

    entreprise de construction. Javais dj vu lun des amis de mon pre verser deux

    larmes parce quil avait t battu aux dames alors que mon pre avait promis une

    certaine somme dargent au vainqueur. Il parat que cet ami-l avait besoin de cet

    argent pour pouvoir sduire une femme quil convoitait en linvitant dans unrestaurant chic. Quand les gens perdaient, que ce soit dans le jeu ou dans la vie, ils

    taient tristes ou en colre. Je croyais que cela tait tout simplement la loi de la

    nature humaine.

    - Maman, cest quoi savoir perdre ?

    - On sait perdre et gagner quand on a trouv son trsor inestimable. Il y a

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    9/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/9

    quelque part un trsor inestimable qui attend chacun.

    Je me redressai pour la regarder dans les yeux. Elle avait un petit sourire

    paisible qui me disait quelle tait disponible pour parler si je voulais. Ses paroles

    rsonnaient trangement dans mon esprit. Je ny comprenais pas grand-chose.

    Mais javais dj remarqu que maman ntait pas comme tout le monde. Elle tait

    toujours pleine de joie et daffection, et rien ne semblait pouvoir la rendre triste ou

    la mettre en colre. Je navais jamais cherch connatre son secret, pour la simple

    raison que je ne pensais pas quelle avait un secret. Je me disais quelle tait

    comme a, que ctait sa nature, comme la nature de papa tait de se mettre

    facilement en colre lorsque ses affaires au travail ne se passaient pas comme il le

    dsirait

    - Cest quoi le trsor inestimable ? O est-ce quon le trouve, maman ?

    Comment je peux trouver le mien ?

    - Tu veux vraiment le savoir ?

    - Oui, maman. Je naime pas tre triste quand je perds, et je naime pas me

    mettre en colre quand les choses ne se passent pas comme je veux. Jai enviedtre comme toi, de demeurer dans la joie mme quand lunivers se casse la

    figure. Alors, maman, si tu sais o je peux trouver moi aussi mon trsor

    inestimable, il faut me le dire.

    Elle me passa la main dans les cheveux en riant.

    - Tu sais quoi ? Je connais quelquun qui sy connat trs bien dans cette

    histoire de trsor inestimable. Il ma aid trouver le mien. Il pourra tenseigner

    comment trouver le tien.- Cest qui ?

    - Ah, tu ne vas pas me croire. Cest quelquun de trs spcial.

    - Cest qui, maman ?

    - Cest un homme trs spcial mais aussi trs discret, et quand il se dvoile

    vraiment on dcouvre qui il est en ralit : Dieu.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    10/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/10

    - Dieu ?

    - Oui, Dieu : le crateur de lunivers.

    - Mais, maman, Dieu nexiste pas !

    - Si tu commences comme a, tu ne risques pas de le trouver, et lui seul peut

    taider trouver ton trsor inestimable.

    Je ne savais pas quoi penser. Un jour, mon pre mavait expliqu que Dieu

    nexistait pas. Il mavait parl de choses incomprhensibles comme le bang-bang

    ou encore lvolution de tard ruine, je crois mais je navais pas bien compris les

    mots, et des singes qui mangeaient dabord dans les arbres, et qui taient

    descendus des arbres pour manger par terre avant de savoir faire des tables

    manger sur de grands cailloux plats. Mme si je navais pas tout compris, il avait

    russi me convaincre. Il parlait dune chose quil appelait la science, et qui

    permettait de comprendre que la nature fonctionnait trs bien toute seule, et que

    nulle part on ne pouvait dmontrer lexistence dune puissance surnaturelle

    Javais retenu une phrase simple de toutes les paroles de mon pre : Dieu

    nexiste pas . Ce ntait pas difficile de me convaincre de linexistence de Dieu,car javais une certaine horreur lide dadmettre lexistence des choses que je ne

    pouvais ni voir ni entendre. Dailleurs, mon pre avait eu beaucoup de mal me

    faire croire que les ondes lectromagntiques existaient. Et malgr mes dix ans et

    notre grand tlviseur, cest peine si jy croyais

    Ma mre semblait absolument sre et certaine de son affaire. Mais elle voyait

    trs bien que je navais pas envie de croire en Dieu. A cause de mon pre, je

    mtais mis dans la tte que croire en Dieu ctait quelque chose comme tre unpeu idiot, quelque chose comme croire au pre Nol et dautres choses qui

    nexistaient pas. Il fallait tre un peu bte pour croire en une chose qui nexistait

    pas. Mais maman tait la personne la plus heureuse et la plus intelligente que je

    connaissais. Mon pre lui-mme ne se privait pas de lui demander son avis

    lorsquil avait une affaire difficile son travail. Ma mre expliquait mon pre

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    11/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/11

    comment parler aux gens, comment se comporter avec les gens, et comment crer

    entre lui et ses clients un climat damiti et de confiance qui tait agrable pour

    tout le monde et propice pour de bonnes affaires. Comment une personne comme

    ma mre pouvait-elle croire en Dieu ?

    - Excuse-moi mon chri, ce nest pas grave si tu ne crois pas en Dieu.

    - Mais, maman, tu dis que lui seul peut maider trouver mon trsor

    inestimable.

    - Disons seulement quil y a quelquun de spcial, quelque part, qui peut taider

    trouver ton propre trsor inestimable. Appelons-le monsieur D. Ce monsieur

    existe, comme toi tu existes, comme moi jexiste. Et je te dis que cest lui qui ma

    aide trouver le mien. En fait, monsieur D est prt aider tous ceux qui iront le

    trouver pour dcouvrir o se cache leur trsor inestimable.

    - Maman, est-ce que tu peux me montrer ton trsor inestimable ? O est-ce quil

    est ?

    - Moi seule ai le droit de contempler mon trsor inestimable. Quand tu

    trouveras le tien, toi seul auras le droit de le contempler. Tout ce que je peux tedire, cest que cest un trsor qui nous permet de demeurer dans la joie

    inconditionnelle.

    Je navais pas le droit de la forcer me montrer son trsor. Elle avait respect

    mon secret, et moi je devais respecter le sien. Sa manire de prsenter les choses

    sa manire de passer de Dieu, pour moi inacceptable, monsieur D, nigmatique,

    me plaisait beaucoup. Je ne savais pas trs bien pourquoi, mais je navais aucune

    peine admettre lexistence de monsieur D, alors que lide de lexistence de Dieume hrissait les trois poils que javais sur les bras. Pour moi, monsieur D tait

    simplement un mystrieux personnage, qui habitait je ne savais pas encore o,

    mais maman allait me le dire de suite.

    - Maman, est-ce que tu peux me dire o je peux trouver monsieur D ?

    - Oh mon chri, je suis vraiment dsole, mais chaque chercheur de trsor doit

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    12/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/12

    trouver monsieur D par lui-mme. Je ne peux pas te dire o le trouver, a cest

    quelque chose que tu dois dcouvrir en faisant ta propre enqute. La personne qui

    tenseigne lexistence du trsor na pas le droit de te dire o on peut trouver

    monsieur D. Je peux seulement te dire quil habite quelque part dans cette ville. Le

    reste, tu dois le dcouvrir en faisant tes propres recherches.

    Ma premire raction fut la dception mais je me rappelai aussitt que, deux

    jours auparavant, javais rsolu la plus grande nigme de lunivers. Javais fait la

    plus grande dcouverte du monde. Alors, si javais russi un tel exploit qui devait

    sinscrire en lettres dor dans les annales du cosmos, je pouvais bien trouver o

    habitait monsieur D. Je voulus poser une autre question, mais ma mre me posa un

    doigt sur les lvres et dposa un baiser sur ma joue, puis elle sen alla. Notre

    discussion tait finie, et quelque chose me disait que nous ne reparlerons plus

    jamais de cette histoire tous les deux, sauf si je trouvais mon propre trsor

    inestimable. Finalement, je me sentais un peu dsempar, car le seul indice que

    javais sur monsieur D, ctait quil sagissait de Dieu. Oh bon sang ! Pour trouver

    monsieur D, il me fallait tenir compte de ce dsagrable indice. Je devais admettrecela comme hypothse de recherche.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    13/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/13

    Chapitre 2.

    Je navais aucune ide de ce que pouvait tre le trsor inestimable. Ma mre

    avait sem quelque chose de fort dans mon esprit, mais elle semblait vouloir viter

    toute discussion sur ce thme. Apparemment elle estimait que son rle tait fini,

    ctait moi de jouer prsent. Peut-tre mobserverait-elle discrtement, peut-

    tre ny pensait-elle plus Quest-ce que je savais ? Je savais que le trsor

    inestimable tait dune richesse tellement extraordinaire quil rendait son

    possesseur heureux, et il sagissait-l dun bonheur profond qui ne semblait pas

    varier en fonction des circonstances et des vnements. Comment ma mre avait-

    elle appel ce bonheur ? La joie inconditionnelle. Cela voulait dire une joie qui ne

    dpendait pas des choses, et qui tait toujours vibrante et rayonnante. Il fallait

    vraiment que ce trsor soit extraordinaire pour procurer son dtenteur une telle

    joie. Je voulais moi aussi obtenir une telle joie, et le trsor pouvait mapporter ce

    que je dsirais. Je voulais le trsor inestimable, pour la joie quil procurait.

    En y rflchissant, je me rendais compte que je voulais les choses pour le plaisirquelles mapportaient. Ou alors, je voulais les choses parce quelles pouvaient

    mapporter du plaisir, ou parce quelles pouvaient me soulager dun inconfort.

    Mais le plaisir et le soulagement ntaient jamais dfinitifs, et ctait toujours une

    exprience pnible lorsque la chose si proche mtait finalement inaccessible, ou

    lorsque aprs avoir acquis la chose je la perdais pour une raison ou pour une autre.

    Et quand je disais la chose ctait en fait plus gnral comme prise de

    conscience. La chose qui pouvait mapporter du plaisir ou du soulagement ntaitpas toujours un objet. Ctait nanmoins souvent des objets. Par exemple une barre

    de chocolat ou un paquet de bonbons.

    Ah les bonbons. Jen mangeais trop, et de temps en temps ils me rendaient

    malade. Une fois, javais achet un paquet de bonbons que javais russi cacher

    sous les racines du grand manguier de notre cour. A la tombe de la nuit, aprs le

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    14/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/14

    dner, javais prtext que je voulais respirer le bon air frais du soir pour pouvoir

    minstaller tranquillement au pied du manguier, dans la pnombre, bien labri du

    regard vigilant de ma mre. Le manguier se trouvait une vingtaine de mtres de

    la porte principale de notre maison, et lampoule qui clairait la cour tait

    accroche au-dessus de la porte. Ma cachette tait du ct ombre, et je tournais le

    dos la maison. Comme ma nuque devait tre visible depuis la maison, ma mre

    nallait pas sinquiter, il lui suffirait de jeter un coup dil de temps en temps

    pour constater que jtais toujours l et que tout allait bien. Aprs le dner, elle et

    mon pre restaient table pour discuter paisiblement de tout et de rien, tandis que

    mes petites surs regardaient la tl. Les discussions entre mon pre et ma mre se

    passaient toujours bien, car ma mre nattachait aucune importance au fait davoir

    tort ou raison, et mon pre essayait souvent davoir une pense objective sur les

    choses. Mon pre hsitait se lancer dans la politique, et cette hsitation se

    traduisait rgulirement en des discussions souvent longues o il analysait et

    critiquait le pouvoir en place et la socit dans son ensemble. Ils devaient tre en

    train de discuter de la nouvelle loi sur les exportations du sucre lorsque je portai ma bouche le bonbon de trop. Sur le bonbon prcdent javais senti comme une

    espce de nause et dcurement, mais je navais pas voulu en tenir compte.

    Mais lorsque le bonbon de trop fut suffisamment prs de ma bouche pour envahir

    mon nez de son parfum de fraise, jeus un haut le cur et tout mon dner se

    retrouva tal sur ma poitrine. Alors que je finissais de rgurgiter le dernier

    morceau de poulet que javais mang, ma mre tait dj au-dessus de ma tte, et

    elle avait un seau deau et un torchon. Sa rapidit mimpressionnait toujours,ctait comme si elle avait le don de prvoir les catastrophes.

    - Ce nest pas grave, mon chri, mais il faudra tabstenir de bonbons pendant

    quelques jours.

    - Ce ne sera pas difficile, je crois que je ne pourrais plus supporter de voir un

    bonbon de toute ma vie.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    15/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/15

    - Oh, dans quelques jours tu men reparleras.

    Elle me nettoya avec douceur, me rina la bouche puis me fit boire un grand

    verre deau avant de me donner une douche chaude. Jaimais sa faon de soccuper

    de moi. Elle tait toujours douce et attentionne, et mme si elle mexpliquait

    pourquoi ce que javais fait tait une btise, elle ne snervait jamais. Au contraire

    mes btises semblaient lamuser beaucoup. Ses premires paroles taient toujours

    cest pas grave . Elle ajoutait souvent un mais suivi dune explication des

    risques que je courrais ou des dgts que je causais, et je ressortais de tout a avec

    une accolade affectueuse qui me donnait le sentiment que jtais protg et aim.

    Quand je cassais quelque chose, elle minvitait ramasser les morceaux avec elle,

    et me faisait participer la rparation lorsque ctait possible. Il ny avait en elle

    aucun dsir de punition dans cette attitude, juste un dsir de mapprendre rparer

    mes erreurs dans la bonne humeur. Ma mre navait pas dombre, et ce mcanisme

    mental qui faisait que les gens sattristaient ou se mettaient en colre, semblait

    totalement purifi chez elle. Elle tait pleine de joie, mais aussi pleine daffection.

    Je veux que les gens soient heureux , disait-elle lorsquon la questionnait surson attitude qui paraissait parfois trange, car les gens comprenaient mal comment

    elle pouvait demeurer pleine daffection et de bonne volont devant des personnes

    qui manifestement faisaient nimporte quoi, et parfois du mal. Je savais

    maintenant. Elle avait trouv son trsor inestimable, et ctait grce ce trsor

    quelle vivait dans un tat de bonheur que les autres ne comprenaient pas.

    Mais ctait quoi exactement ce trsor inestimable ? Elle avait refus de me

    montrer le sien. Je me demandais ce que pouvait bien tre un trsor inestimable. Sima mre ne voulait pas me rpondre, alors je devais demander mon pre. Il avait

    une entreprise florissante de construction de maisons et de btiments. Il possdait

    plusieurs maisons et btiments quil louait des gens, et parfois ltat. Mais

    daprs mon pre, ltat tait un trs mauvais payeur. Mon pre avait aussi

    plusieurs voitures et quelques camions. Il tait riche, matriellement et

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    16/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/16

    financirement riche. Mme si toute cette richesse appartenait aussi ma mre,

    parce quelle tait la femme de mon pre, ma connaissance ma mre ne possdait

    pas grand-chose. Et propos de ma mre, il y avait quelque chose de bizarre.

    Malgr tout largent de notre famille, ma mre voulait que nous ayons un mode de

    vie simple. Par exemple, alors que mon pre avait plusieurs chauffeurs, mes surs

    et moi allions toujours lcole pied, et ma mre, qui tait institutrice, tait

    souvent heureuse de marcher avec nous. Lcole ntait pas loin, je dois le

    reconnatre, mais il y avait des enfants qui habitaient encore plus prs de lcole et

    qui pourtant taient dposs en voiture

    Quelquun de riche, comme mon pre, devait forcment avoir une ide de ce

    qutait le trsor inestimable. Javais attendu un jour bien spcial pour poser la

    question mon pre. Une fois par semaine, ma mre allait rendre visite

    quelques-uns de nos voisins. Javais cru comprendre quelle leur apportait de

    temps en temps de la nourriture et de largent. Ctait drle : nous tions riches,

    mais beaucoup de gens dans notre quartier taient extrmement pauvres. Mon pre

    avait tendance considrer que ctait de leur faute sils taient pauvres. Cetteattitude mavait choqu pendant une longue priode, mais un jour je compris

    pourquoi mon pre pensait ainsi. Il avait quitt son village lge de quinze ans,

    sans un sou en poche, et il tait arriv dans la capitale sans connatre personne. Il

    avait boss dur pendant des annes. Il vivait dans de petites et minables bicoques,

    de pauvres cabanes dlabres de la dimension dune chambre. Cela lui permettait

    de faire des conomies. Pendant des annes il stait refus toute distraction, et se

    forait rester clibataire en plus de se priver parfois de nourriture, afin de pouvoirmettre de ct autant dargent que possible. Puis un jour il lana ses propres

    affaires. Avec dtermination, et avec un travail acharn, il stait construit une

    respectable fortune

    Il avait ha la pauvret et voulu la richesse, et il avait engag toute sa force et

    toute son intelligence dans la lutte pour saffranchir de la misre et accder la

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    17/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/17

    fortune. Mon pre tait un ancien pauvre, et il avait vcu dans des conditions qui

    taient pires que celles de certains de nos voisins les plus dmunis. Durant sa

    priode de pauvret, il ne stait jamais plaint, et il navait jamais considr que sa

    misre tait un tat de fait sans espoir. Au contraire, il stait rempli de courage et

    de dtermination, et stait battu sans avoir peur des dfaites et des checs qui ne

    manqurent dailleurs pas de joncher sa route. Ces pauvres qui nous entouraient

    avaient une mentalit qui les maintenait dans leurs conditions misrables, et cest

    cette mentalit que mon pre pointait du doigt. Si tous ces gens avaient vcu leur

    pauvret sans se plaindre et sans attendre des autres quils les sortent de l sans un

    rel effort de leur part, peut-tre que mon pre naurait jamais adopt son attitude.

    Il naimait pas la manire dont ma mre venait en aide ces gens, mais il ne

    pouvait rien empcher. Javais surpris une discussion entre mes parents ce

    propos.

    - Ce sont des paresseux, disait mon pre. Sils voulaient vraiment sen sortir, ils

    le pourraient !

    - Ce nest peut-tre pas aussi simple, rpondait ma mre. Toi, tu as vaincu lamisre et conquis la richesse parce que tu avais un esprit toute preuve. Et pour

    cela tu es digne du respect que tout le quartier te tmoigne. Mais ces gens-l ont un

    esprit affaibli, les accidents de la vie et linhumanit des gens qui ont le pouvoir,

    ont bris leur esprit. Ce nest pas de leur faute, ils nont pas cherch dlibrment

    briser leur esprit. Dans leur volont, ils sont aussi mal en point quune personne

    afflige dune maladie invalidante lest dans sa force physique.

    Je crois que cest cette discussion qui avait un peu adouci mon pre dans sonattitude par rapport aux pauvres de notre quartier. Ma mre lui avait dit ces paroles

    dune voix douce, en lui tenant affectueusement la main. Il y avait de la magie

    dans la voix et dans les yeux de ma mre, et quelque chose dimpalpable mais de

    tangible manait delle et renforait ses paroles en leur donnant une force de vrit

    trs particulire. Mon pre avait presque baiss la tte. Ctait sa faon lui de

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    18/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/18

    reconnatre que ma mre avait raison. Mais, malgr cela, mon pre ne levait pas le

    moindre petit doigt pour aider ma mre dans le soutien quelle manifestait aux

    pauvres voisins. Quand ma mre faisait sa tourne hebdomadaire, mon pre en

    profitait pour laver la plus belle de ses voitures. Et je lavais avec lui, car cette

    voiture me plaisait beaucoup moi aussi, et jaimais normment lorsque mon

    pre la prenait pour nous emmener la plage le dimanche. Mon pre et moi tions

    donc en train de frotter la carrosserie lorsque je me lanai pour obtenir quelques

    claircissements sur le trsor inestimable.

    - Papa cest quoi ton trsor inestimable ?

    Ma question le surprit beaucoup. Apparemment il ny avait jamais pens.

    Quand il me regarda dans les yeux, il saperut que la question tait importante

    pour moi. Il se faisait toujours un point dhonneur rpondre mes questions et

    menseigner les choses de la vie. Peut-tre esprait-il que je serais comme lui,

    cest--dire que je serais quelquun qui aurait une volont capable de renverser

    tous les obstacles qui pourraient se dresser entre moi et mes objectifs. Il minvita

    masseoir avec lui dans les grands escaliers devant la maison. Notre maison taitmonte sur un grand soubassement dau moins un mtre de haut, et il fallait gravir

    quelques marches sur un escalier trs large en bton pour y pntrer.

    - En voil une question intressante. Pour toi, comment on reconnatrait un

    trsor inestimable ?

    - Je ne sais pas, papa cest quelque chose qui nous donne le bonheur sans fin

    une fois quon lobtient.

    Ses yeux se plissrent, et son regard senfona au loin lhorizon. Ilrflchissait.

    - Quand jtais pauvre et que je vivais dans la misre, jtais malheureux. Je

    pensais que la richesse me rendrait heureux. Mais quand je suis devenu riche,

    jtais encore malheureux. Les raisons de mon malheur avaient chang, mais mon

    malheur tait le mme. Il tait mme plus grand, car en tant riche, javais la

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    19/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/19

    dception de dcouvrir que la fortune ne faisait pas le bonheur. La fortune

    mpargne la faim et le froid, et elle me donne accs beaucoup de plaisirs

    diffrents mais ce nest pas le bonheur.

    - Donc le trsor inestimable ne peut pas tre de largent ?

    - En effet, a ne peut pas tre de largent. a ne peut tre ni de largent, ni

    quelque chose que largent peut acheter.

    - Alors quest-ce que cest ?

    - Mon trsor inestimable cest ta mre.

    - Maman ?

    - Oui. Avant de connatre ta mre, jai connu bien des femmes, mais aucune

    delles na pu me rendre heureux. Certaines de ces femmes taient plus intresses

    par mon argent que par moi, et dautres avaient un dsir fougueux caus par mes

    attributs physiques, mais aucune affection vritable pour ce que jtais au-del de

    mon apparence matrielle

    Ctait vrai, mon pre tait non seulement riche, mais aussi beau, et de

    nombreuses femmes lui faisaient la cour sans mme prendre la peine de sinquiterdu fait quil tait dj mari. Leur attitude ntait pas vraiment dplace, car ici un

    homme pouvait pouser plusieurs femmes. Je navais aucune peine comprendre

    que des femmes puissent dsirer mon pre pour sa beaut et pour sa richesse.

    Ctait si courant que ce qui paraissait tonnant ctait une femme non-marie qui

    affichait un manque dintrt total pour mon pre. Et parmi toutes les femmes,

    ctait ma mre qui tait le trsor inestimable de mon pre.

    - Donc, papa, comme tu as trouv ton trsor inestimable, tu dois avoir la joieinconditionnelle.

    Je crus voir une lueur deffroi dans les yeux de mon pre. Le feutr de sa voix

    se transforma en une sorte de murmure presque lugubre, et il y eut comme une

    tension secrte dans son me. Quest-ce que mes mots avaient remu sans le faire

    exprs ? Jaurais d savoir que mon pre ntait pas totalement immerg dans un

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    20/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/20

    ocan de bonheur qui ressemblerait lunivers de joie sereine et imperturbable de

    ma mre. Ma mre tait comme un jour ternel dans lequel le soleil ne dclinait

    jamais, mais restait souverain dans le ciel sans fond. Mon pre tait comme tout le

    monde, cest--dire un bateau ivre qui tait secou ici et l par les remous des

    colres et des tristesses, et par le ressac des plaisirs que le temps ne manquait

    jamais dmousser. Le bonheur de mon pre tait comme lt, cest--dire un

    soleil parfois radieux qui se couchait toujours, et de belles journes qui taient

    parfois troubles par des averses imprvisibles

    - Tu sais, fiston, ta mre me rend heureux, profondment heureux, mais jamais

    aucun tre humain ne connatra la joie inconditionnelle, car les peines et les

    colres font partie intgrante de la vie et enrichissent lexprience humaine. Ce

    serait une autre sorte de pauvret que de ne plus connatre les peines et les colres.

    Ce serait perdre quelque chose de son humanit. Il ny a pas dendroit sans un

    envers pour le faire exister.

    - Papa, est-ce que a veut dire que la joie inconditionnelle nexiste pas ?

    - Oui, cest cela.Mon pre tait le champion pour mapprendre que des choses nexistaient pas.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    21/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/21

    Chapitre 3.

    Je devais me rendre lvidence : mon pre ne savait pas grand-chose du trsor

    inestimable. Ma mre mavait dit que celui qui trouvait son trsor inestimable

    entrait dans la joie inconditionnelle. Non seulement mon pre ne vivait pas dans la

    joie inconditionnelle, mais en plus il ne croyait pas quune telle chose soit

    possible. Heureusement pour moi, je vivais auprs de ma mre et je pouvais voir,

    jour aprs jour, anne aprs anne, quelle demeurait dans une joie et dans un

    amour qui ne connaissaient pas de nuits et mme pas dombre. Certes, ma mre ne

    souriait pas tout le temps. Mais mme lorsquelle ne souriait pas, son regard tait

    toujours rempli dun paisible sourire lorsquil se posait sur quelquun. On pouvait

    ne pas le voir lorsquon tait soi-mme emprisonn dans une motion de peine ou

    de colre, mais ctait bien l, dans ses yeux inbranlables. Quelque chose tait

    toujours en train de sourire dans son me, et je savais, lorsquelle membrassait,

    que ce sourire tait une lumire immortelle dans lternit.

    Le trsor inestimable devait tre quelque chose de vraiment extraordinaire pourapporter un tel bonheur et une telle capacit aimer dun amour invincible qui

    nattendait rien des gens, part un clair de plus dans leurs yeux, quelque chose

    qui tait une vie rendue plus vivante. Jy avais rflchi encore et encore, et je me

    rendais compte au fil des jours que jtais bien incapable de savoir ce qutait le

    trsor inestimable. Je voulais viter daller la recherche de ce monsieur D, mais il

    semblait que pour esprer moi aussi trouver mon trsor inestimable, je devais

    dabord trouver monsieur D.Une aprs-midi, me reposant sous le manguier, je pris ma dcision. Les yeux

    ferms, je prenais conscience de cet insondable ocan de srnit joyeuse qui se

    refltait dans les yeux de ma mre. Mon pre avait tort, la peine et la colre

    ntaient pas une richesse, mais une pauvret de lme, une maladie de lesprit. La

    joie sans fin, toujours solaire, qui dissipait pour toujours les ombres de souffrance

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    22/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/22

    dans la substance de lme, dans la trame chaleureuse du cur, tait une richesse

    indicible laquelle aucune fortune matrielle ne pouvait se comparer. Ma mre

    tait riche dune lumire de vie, et ctait cette richesse que je dsirais. La richesse

    plus prcieuse que de lor quapportait le trsor inestimable. La dcouverte

    extraordinaire que javais faite me paraissait prsent de peu de valeur devant

    lhorizon illimit qui transparaissait derrire le mystre du trsor inestimable. Tout

    le plaisir que mavait apport cette dcouverte sestompait rapidement, et dans

    quelques temps je ny penserais plus quavec cette neutralit blase que procurait

    le recul du temps. Jen rirais encore de temps en temps, puis de moins en moins

    souvent.

    Ma dcision tait daller la recherche de monsieur D, et tant pis si je devais

    commencer par accepter lide quil sagissait peut-tre de Dieu lui-mme. En fait,

    javais ma petite ide l dessus. Monsieur D ntait videmment pas Dieu, car

    Dieu nexistait pas. Monsieur D devait srement se faire passer pour Dieu, et

    jtais un peu triste lide que ma mre ait cru ce mensonge. Mais ce mensonge

    navait pas dimportance ct de ce que cet homme tait capable dapporter. Et simonsieur D tait un genre de fou, qui se trouvait par hasard connatre le moyen de

    dcouvrir o se cachait le trsor inestimable, et qui ne pouvait aider un chercheur

    de trsor que si celui-ci lui faisait le plaisir daccepter sa folie de se croire Dieu ? Il

    sagissait certainement dun personnage dans ce genre. Je ne limaginais pas

    dangereux. Je limaginais simplement un peu fantasque : peut-tre quen dehors de

    sa folie de se croire Dieu, il tait normal dans le reste de sa vie, dans le reste de sa

    personnalit.Mes recherches pour trouver monsieur D ne devaient pas tre bien compliques.

    Ma mre mavait donn trois indices qui pouvaient me permettre de dmarrer mes

    recherches. Dabord il sagissait dun monsieur, pas dune dame. Ensuite ce

    monsieur prtendait tre Dieu. Et enfin ce monsieur habitait dans la ville. En

    somme, tout ce que javais faire, ctait chercher un demi-fou qui croyait tre

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    23/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/23

    Dieu. Un ciel despoir souvrait au-dessus de ma tte, et un lit de facilit se

    prsentait sous mes yeux. Mais la ville tait trs grande, et je ne pouvais pas

    interroger les cinq cent mille personnes qui y habitaient. Heureusement, me dis-je,

    il ne sera pas ncessaire dinterroger tout le monde.

    La premire personne que jinterrogeai fut mon pre.

    - Papa, connais-tu quelquun qui se prend pour Dieu dans cette ville ?

    Ma question lui parut tellement incongrue quil clata de rire. Il tait dans son

    bureau et travaillait sur un tas de papiers, sans doute des contrats ou des factures,

    car son entreprise devait toujours acheter du ciment et dautres matriaux

    importants pour la construction des maisons. Le bureau de mon pre se trouvait

    dans une pice au fond de la maison, bien loigne de la salle de sjour, et une

    porte de la sortie arrire. Il suffisait dy entrer et de fermer la porte derrire soi

    pour se couper des bruits du reste de la maison. Un coussin de cuir habillait la

    porte du bureau, et des grands meubles adosss contre les murs se gonflaient au

    fils des ans de toutes les archives que mon pre classait dedans. Le meuble-bureau

    de mon pre tait large, et des dossiers sy entassaient souvent. Une tasse de caffumant accompagnait trs souvent le travail de mon pre, et la nuit inquitante se

    profilait comme une ombre vanescente travers les carreaux transparents de la

    fentre, juste dans le dos de mon pre. A sa place, je ne me sentirais pas trs

    rassur de porter la nuit dans mes paules. Mon pre aimait beaucoup que je

    vienne faire mes devoirs le soir, assis un petit meuble de travail quil avait

    install pour moi ct de son poste, et pour me mettre plus laise des rideaux

    pais recouvraient ces vitres qui taient comme les yeux de lobscurit. Ctaitdans cet endroit respirant le dlicat parfum du caf que mon pre poursuivait

    chaque soir luvre de ses mains et de son esprit, et consolidait sa fortune dj

    immense.

    Je travaillais mes devoirs depuis une heure sans redresser la tte. La prsence

    proche de mon pre mtait un soutien silencieux qui me donnait plus dentrain

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    24/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/24

    ltude. De temps en temps, lun de mes grands frres venait pour renouveler le

    caf de mon pre, car cette substance apportait dans son encre noire le pouvoir de

    dfier la nuit et dtre libre de diriger tout son esprit dans le travail. Mais malgr

    tout ce caf, mon pre ne se couchait que rarement aprs vingt-trois heures. Pour

    lui ce ntait pas un excitant, mais seulement une boisson dont il aimait le got

    tendre et fort en mme temps, et quil ne pouvait boire que le soir avec la fracheur

    de la nuit, car dans la journe la virulence du soleil imposait dautres rgles. Mes

    grands frres et moi navions que des rapports bien distants. Ils taient deux, issus

    chacun de deux femmes que mon pre avait connues avant de rencontrer ma mre.

    Ils taient aims de ma mre, mais leur ge plus avanc que le mien les portait vers

    des occupations quotidiennes autres que les miennes. Mes occupations et mes

    proccupations ntaient pourtant pas de mon ge, et des garons de dix ans

    sintressaient rarement aux demi-fous qui croyaient tre Dieu. Mon pre rit

    pendant plusieurs minutes, puis il se rendit compte que ma question navait rien

    dune blague.

    - Tu es srieux, fiston ?- Oui papa.

    - Voyons je nai jamais entendu que quelquun dans cette ville disait tre

    Dieu. Mais il y a quelques annes il y a eu un vieux monsieur qui a fait parler de

    lui, car il prtendait avoir rencontr Dieu. Tu navais mme pas encore lge de

    dire ton premier mot lpoque, et depuis je ne sais pas ce quest devenu ce

    mythomane.

    - Comment sappelait cet homme ?- Jai oubli son nom, mais je me rappelle quon lappelait par drision le

    prophte. Il a srement mal fini.

    - Est-ce quil tait fou ?

    - Peut-tre mais il paraissait tout fait normal, mise part son histoire

    absurde davoir rencontr Dieu.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    25/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/25

    - Papa, est-ce que tu peux me dire o il habitait ?

    Le prophte avait habit dans un quartier au nord de la ville. Je ne connaissais

    rien de cette partie de la ville, mais pour moi ctait un espoir de trouver monsieur

    D. La discussion steignit aussi soudainement quelle avait commenc : je

    retournai mes devoirs, mon pre retourna ses dossiers, et la vapeur agrable du

    caf me fit frmir les narines. Javais le droit de me saisir de la tasse et de boire

    quelques gorges, mais aprs je ne devais pas en vouloir mon pre de ne pas tre

    capable de trouver le sommeil avant trois heures du matin. Javais us de mon

    droit une ou deux fois, et chaque fois la torpeur avait dsert mon esprit et les

    brumes du sommeil avaient tard se lever derrire mes paupires. Ce soir-l, je

    bus la moiti de la tasse, car javais la ferme intention de fuir le sommeil pour

    avoir plus de temps pour prparer mon excursion prochaine dans le nord de la

    ville. Ma mre mavait dit quil y avait un trsor inestimable pour chacun, il

    suffisait seulement de le trouver. Je navais aucune indication prcise sur la nature

    du trsor inestimable : sagissait-il de la mme chose pour tout le monde, ou le

    trsor de lun tait-il dune nature diffrente du trsor de lautre ? Que le trsorinestimable ne soit pas de largent, cela mtait vident depuis les explications de

    mon pre. Il ne pouvait pas sagir non plus de quelque chose que largent pouvait

    acqurir, car dans ce cas mon pre naurait srement pas hsit lacheter : je

    savais bien que derrire sa rsignation et son acceptation de la peine et de la colre

    comme lments naturels de lexistence, gisait presque mort, comme chez tout le

    monde, le dsir dun bonheur meilleur. Chez moi, ma mre avait vivifi ce dsir et

    lavait transform en une volont aussi profonde que solide.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    26/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/26

    Chapitre 4.

    Je me rveillai tard le lendemain, le soleil tait quelques millimtres du

    znith. Parce que ma tte tait lourde et mon esprit un peu brumeux, je me frottai

    longuement les yeux, et lorsque je les ouvris enfin, une petite brise me caressa le

    front, et un petit clat de rire memplit dune joie qui tait pour moi bien matinale.

    Les grands yeux doux de ma mre me contemplaient avec affection, et le jeu des

    scintillements entre les feuilles du grand arbuste me montrait des toiles en plein

    jour. Jtais sur les genoux de ma mre, et mes petites surs jouaient sous le

    manguier.

    - Tu as beaucoup dormi aujourdhui, et jai pens que a te ferait plaisir de te

    rveiller sur mes genoux, avec les ppiements de tes surs. Ton pre ma dit que

    tu lui avais pos dtranges questions hier soir. Quand tu auras pris une douche et

    quand tu auras mang, tu trouveras un peu dargent sur la table, ainsi quune petite

    carte blanche o jai inscrit le numro de tlphone du bureau de ton pre, son

    travail. Fais en bon usage mon chri.Nous navions pas le tlphone la maison, ctait pour cela quelle mavait

    inscrit le numro de tlphone du travail de mon pre : de cette manire je pouvais

    le joindre si jamais je me perdais, ou si je rencontrais un problme qui aurait

    ncessit son intervention. Moi, je savais quil suffisait que je dise le nom de mon

    pre pour que les choses saplanissent et pour que les gens se mettent en quatre

    pour maider, car mon pre ntait pas seulement une clbrit dans notre quartier,

    il tait connu et respect dans toute la ville. Ma mre avait devin mes projets, elleavait mme anticip les choses, car javais lintention de lui demander un peu

    dargent, parce que la ville tait bien grande et quil me fallait prendre un taxi pour

    rejoindre le quartier au nord. Jembrassai ma mre, puis je bondis vers lobjectif de

    ma journe.

    Il me fallut quelques minutes peine pour me prparer, et le premier taxi que

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    27/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/27

    jarrtai me pris. Ici, les taxis fonctionnaient dune manire bien particulire.

    Aucun taxi navait le tlphone intgr, il fallait se mettre au bord dune rue et

    tendre le pouce pour signaler un taxi qui roulait vive allure quon avait besoin

    de ses services. Le taxi sarrtait alors, on devait courir quelques mtres, parfois

    quelques dizaines de mtres lorsque le chauffeur avait hsit, et hurler la portire

    la destination que lon dsirait atteindre. Il sagissait toujours du nom dun

    quartier, ou du nom dun immeuble clbre ou dune glise connue, autant de

    points de repres qui apparaissaient au taximan comme des adresses parfaitement

    prcises Le chauffeur disait oui, ou non, en fonction de litinraire quil avait en

    tte, ou en fonction des destinations des autres passagers. On se sentait toujours un

    peu malchanceux lorsquun taxi vide vous disait non. Le taxi qui me prit ntait

    pas vide. Une jeune fille de mon ge sy trouvait dj. Elle tait assise derrire, et

    ctait justement pour viter de me retrouver directement ct delle que je

    montai devant. De cette faon, je pouvais la scruter dans les miroirs de bord et

    essayer de confirmer ou dinfirmer ma premire impression : elle tait

    magnifiquement belle.Je ne mintressais jamais aux filles, pas plus quaux garons. Mais en voyant

    ces yeux grands et clairs, et ce visage au sourire discret mais empreint dune

    certaine force et dune indniable grce, mon regard se sentit subjugu et mon

    esprit vacilla sur le perchoir de son indiffrence habituelle lunivers de la beaut

    et de la sduction. Je pouvais le dire en toute vrit : je navais jamais rien vu

    daussi beau daussi belle ! La pense de lui adresser la parole afin damorcer un

    dbut de contact me traversa lesprit, et cette ondulation fugace dans le tissu de maconscience me glaa le sang et dclencha des tremblements de terreur

    incontrlables. Je me dcouvrais plus timide quun dindon dplum. Javais du

    mal respirer, et mes fonctions respiratoires se drglaient au fur et mesure que

    lide de lui parler grandissait dans ma tte. De grosses gouttes de sueur

    mergrent de ma peau sombre et dvalrent sur mon visage comme des boules de

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    28/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/28

    neige folles. Le taxi engloutissait les distances, et chaque maison qui dfilait sous

    mes yeux signifiait une chance en moins de nouer le moindre contact avec cet ange

    assis larrire.

    - Tu devrais lui dire, petit.

    Ctait la voix du chauffeur. Il avait presque murmur mon oreille, et je mis

    quelques secondes pour comprendre le sens de ses paroles. Ma panique devait lui

    sauter aux yeux, et la cause de cette tempte motionnelle ne lui tait pas cache.

    Cette cause tait assise derrire, la tte penche contre la vitre, le regard presque

    rveur. Cette cause avait les cheveux nous en un chignon presque strict, et une

    robe fleurs qui donnait son jeune organisme la fragilit dune rose, sans noyer

    cette force silencieuse qui se lisait dans une tonique que lon pouvait sentir dans

    ses mouvements conomiss au geste prs. En apparence elle avait mon ge, mais

    quelque chose en elle flottait, serein et pur, au-del du temps et de lespace. Ce que

    javais devant les yeux apparaissait comme la projection dense dun tre la

    dimension autre

    - Je ne peux pas, cest une reine.Le chauffeur carquilla dabord les yeux, puis il acquiesa.

    - Tu as raison petit, rien quen la regardant on sait que cest une reine. Mais tu

    es un roi, a se voit aussi. Ecoute, depuis un moment je roule sans marrter, cest-

    -dire sans prendre de nouveaux passagers, et tout a rien que pour te donner la

    chance de nouer le contact. Je vous trouve mignons tous les deux, et on ne sait

    jamais, il suffit dune parole pour commencer une grande histoire.

    Un coup dil dans le rtroviseur minforma quelle avait tout entendu. Ellesouriait. Et mon Dieu quel sourire ! Il me semblait quelle tait heureuse de savoir

    que je lui portais de lintrt. Est-ce que je rvais, ou alors elle mavait vraiment

    adress un clin dil ? En lespace de quelques secondes, une trange

    communication stait noue entre nous. Peut-tre tait-ce la naissance apeure et

    muette de quelque chose de grand, une rencontre dans lternit, dans le

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    29/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/29

    confinement troit dun taxi. Mais le monde scroula soudainement lorsque ses

    lvres sentrouvrirent et quun mot effroyable sen chappa.

    - Ici !

    Ctait lusage pour signaler au taxi quon tait arriv destination, et quon

    voulait quil sarrte pour nous permettre de descendre. Le taximan sarrta donc

    et me jeta un regard navr. Il tait dsol pour moi. La main de la jeune fille se

    glissa entre le sige du conducteur et le mien, et le taximan attrapa presque au vol

    la pice de monnaie quelle venait de laisser tomber en desserrant les doigts. Puis

    la portire claqua, et il ny eut plus personne. Le taxi redmarra, et la petite

    secousse de la brusque acclration me fit prendre conscience de la tragique

    vrit : elle venait de mchapper, la jeune fille aux yeux clairs comme la pleine

    lune. Quelque part en moi, une tension insoutenable sestompait au fur et mesure

    que le vhicule sloignait de lendroit o lange tait descendu. Mais ce

    soulagement mtait encore plus insupportable que lide de me retrouver face

    face avec celle qui venait de me broyer le cur dun simple sourire. Je ne

    comprenais rien ce qui tait en train de marriver. Le dsir de la tenir dans mesbras et de rire dans ses yeux stait empar de moi aussi soudainement quune

    tempte quatoriale sabattant sans pravis dans des champs quon avait peine

    commenc dfricher.

    - Arrtez-vous, sil vous plat.

    Combien de centaines de mtres le taxi avait-il avales depuis quelle tait

    descendue ? Ma voix tremblait, et mes yeux voyaient un peu flou cause des

    larmes qui essayaient de me noyer dans un ocan de dtresse. Je men voulais deme dcouvrir aussi timide, mais avant cet instant je navais aucun moyen de me

    rendre compte de ce trait de mon caractre. Javais si souvent montr et dmontr

    une totale absence de timidit et une profonde capacit de courage, que jaurais ri

    aux clats si quelquun mavait dit que je serais clou de terreur un jour lide de

    parler une fille, une simple fille. Lange du taxi avait touch quelque chose en

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    30/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/30

    moi, et jtais terroris sans savoir exactement pourquoi. Ce ntait pas ses yeux ou

    son sourire doux comme une musique, et ce ntait pas cette espce de force

    immatrielle qui se lisait dans son maintien et dans ses gestes. Javais vu un tre

    magnifique, dune essence autre, belle et majestueuse, dont lapparence physique

    ntait quune sorte de tmoignage extrieur.

    - Je vais faire mieux que de marrter, me dit le taximan conscient de ma

    dtresse.

    Il fit demi-tour, remonta le cours du temps ou presque, et me dposa lendroit

    o elle tait descendue.

    - Bonne chance.

    Debout sur le trottoir, je dcouvrais un quartier qui mtait totalement inconnu.

    Les gens allaient et venaient sans mme remarquer la prsence dun jeune garon

    de dix ans aux yeux chargs de larmes et au cur perdu dans le dsespoir.

    Soudain, mon cur sarrta de battre, et ma tte explosa. Elle tait l, de lautre

    ct de la rue, et elle me regardait. Son signe de la main me fit comprendre quelle

    mavait attendu, quelle avait espr que je viendrais, quelle avait souhait que jefasse demi-tour Jtais heureux. Plus rien dautre nexistait que ses yeux, et le

    monde tout autour de moi venait de seffacer dans une lumire qui minondait les

    yeux et dbordait de mon cur. Sentant peine le sol sous mes pieds, je mlanai

    pour la rejoindre de lautre ct de la rue. Mais le monde navait jamais disparu,

    ctait seulement ma perception qui avait perdu le contact avec tout le reste pour

    simbiber exclusivement de la prsence irradiante de la jeune fille. Il me sembla

    vaguement quune masse mtallique me projeta dans les airs, et quune surfacerocheuse membrassa le corps dans une treinte soudaine et froide. Puis ce fut le

    nant. La clameur deffroi de la foule et les crissements de pneus svanouirent

    linstant mme de leur naissance dans le creux de mes oreilles

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    31/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/31

    Chapitre 5.

    Javais dormi, mais je ne me souvenais pas de mtre couch. Non, je navais

    pas dormi. Javais eu un accident. Mon pre et ma mre taient assis quelques

    centimtres de mes doigts un peu crisps et me regardaient. Mon pre avait le

    visage inquiet, et ma mre tait toujours le mme soleil de joie sereine, et sa

    prsence illuminait la petite chambre dhpital que je dcouvrais en mme temps

    que le souvenir des derniers vnements me revenait en mmoire. Il y avait deux

    autres personnes dans la chambre : un homme qui devait tre mdecin, et

    quelquun dautre qui affichait un air dsol qui se voulait rassur, mais pas

    ncessairement rassurant. Le mdecin sapprocha et madressa quelques mots, puis

    il se tourna vers mes parents pour leur dire que mes jours ntaient pas en danger.

    - Mais il a plusieurs fractures, il ne pourra se dplacer quen fauteuil roulant

    pendant quelques mois.

    Jentendis que mon pre snervait. Il men voulait : javais t imprudent. Et il

    en voulait ma mre : elle naurait jamais d me laisser partir tout seul larecherche dune absurdit dont elle tait responsable. Je lentendis remercier

    linconnu, et je compris quil sagissait du pre de la jeune fille. Ctait lui qui

    mavait transport lhpital et qui avait appel mon pre, car il avait trouv le

    petit carton blanc avec le numro de tlphone dans lune de mes poches. Dans la

    voix de mon pre je percevais de la colre, mais aussi de la peur. La peur tait la

    vritable racine de sa colre : la peur de me perdre. Ma mre ne disait rien, mais

    elle prit les mains de mon pre et les treignit avec une douceur et un calme quieurent pour effet de dissiper la peur de son mari. Le pre de la jeune fille se tenait

    un peu en retrait, il devait se sentir oblig de rester encore un peu, ne serait-ce que

    le temps de recueillir dans mes yeux un signe de reconnaissance, un remerciement.

    Mon pre et ma mre sapprochrent, et chacun me prit la main.

    - a va aller, me dit mon pre.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    32/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/32

    Je voulus bouger, et je dcouvris que je portais plusieurs attelles : une sur

    chaque jambe, et une au bras gauche. Mon pre minforma que ctait par

    prcaution, je devais encore subir quelques radios et aprs on me mettrait des

    pltres. Il commenait se demander comment on allait sorganiser la maison

    avec un fauteuil roulant, car la demeure familiale navait jamais t construite en

    tenant compte dune telle ventualit. Il y avait des marches un peu partout, et des

    estrades pour souligner le moindre commencement dune salle, dune pice, dune

    chambre Lvocation de toutes ces difficults en perspective raviva sa colre, et

    son regard noir se posa nouveau sur ma mre avec une charge de reproche. Ma

    mre se rendit immdiatement compte de cette humeur, et elle se contenta de dire

    quelques mots de bon sens, de sa voix habituelle la tranquillit ocanique.

    - Tu peux men vouloir si tu veux, mais demande-toi si cest la meilleure chose

    faire, et si cest un sentiment qui te rend heureux.

    Ces mots sadressaient mon pre, mais elle ne lavait pas regard. Elle

    plongea son regard dans le mien, et il se passa quelque chose qui me fit

    comprendre que je ne me trouvais pas en face dune personne ordinaire. Certes, lefait quelle soit si inbranlablement installe dans la joie et la paix intrieures

    faisait dj delle quelquun dextraordinaire. Mais ce que je vis dans ses yeux

    appartenait rellement un autre ordre des choses. Je ne pouvais pas dire

    exactement de quoi il sagissait, mais je sentais bien que derrire ces yeux de

    sereine douceur au rayon aussi pntrant que caressant, se tenait une force qui

    parlait le langage dun autre rapport la ralit. Je ne sais pas comment je le

    compris, mais la clart de cette prise de conscience simposa dans mon esprit avecla puissance dun tonnerre. Le trsor inestimable ne donnait pas seulement la joie

    inconditionnelle, il donnait aussi autre chose

    - Tout ira bien, me dit ma mre.

    Et je savais que ce ntait pas des paroles en lair. Autant les paroles rassurantes

    de mon pre sonnaient avec cette faiblesse toute humaine qui tait le propre dun

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    33/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/33

    aveu dimpuissance qui voulait dfier le monde mais qui ne faisait quimplorer un

    espoir vague de voir le fil incontrlable des vnements prendre un cours

    favorable, autant les mots paisibles de ma mre taient une vraie promesse

    reposant sur la capacit dinfluer sur la ralit avec suffisamment dimpact pour

    plier les vnements ce que lon dsirait. Je nentendis pas le mdecin sortir, et

    linconnu se tenait toujours en retrait. Mon pre ntait plus quune ombre ple

    ct de ma mre, et pourtant il tait physiquement un colosse, tandis que ma mre

    navait disposition quun corps presque frle en comparaison.

    - Clarys est l, me dit ma mre, est-ce que tu veux la voir ?

    Ctait donc son nom, la jeune fille ! Un petit clat de rire rsonna au-dessus

    de ma tte. Je me tortillai. Elle avait toujours t l, au chevet de mon lit,

    quelques dizaines de centimtres derrire mon oreiller. Depuis le dbut, mon

    attention stait dirige au-del de mes pieds et sur les cts de mon lit, et je

    navais pas lev la tte une seconde pour voir ce qui se trouvait au-dessus de mon

    crne. Quand je vis son visage, cette lumire qui annihilait le monde menvahit

    nouveau lesprit, et un enchantement inconnu me transporta dans un autre tatdtre. Le simple fait de la savoir l me remplissait de bonheur. Je la connaissais

    peine, et je la connaissais depuis toujours. Javais rencontr en elle ce qui regardait

    mais qui ntait pas lil, et ce qui touchait mais qui ntait pas la main. Elle vint

    sasseoir plus prs, et nous nous regardmes longtemps sans rien nous dire. Les

    adultes sortirent, sous la calme injonction de ma mre.

    - Cest pour la retrouver quil a travers la rue sans regarder. Nous ferions

    mieux de les laisser un moment.Jtais paniqu et heureux en mme temps. Le bonheur ne mtait pas

    incomprhensible, jen comprenais parfaitement la source. Javais devant les yeux

    une personne que je dsirais ardemment, parce que mon regard et tous mes sens, et

    surtout quelque chose au fond de moi, me disaient que cette personne tait la

    quintessence de la beaut et de la grce, et cette beaut et cette grce illuminaient

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    34/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/34

    ma vie jusque dans les recoins les plus secrets de mon esprit. La panique me

    paraissait plus trange et difficile comprendre. Devant Clarys, tout mon tre

    souvrait en un dsir inn de communion, mais ctait justement parce que tout

    mon tre souvrait que je paniquais, car jtais sans dfense. Pour chapper la

    panique, il aurait fallu quune partie de moi se garde de ragir et se tienne en retrait

    afin de donner mon esprit le sentiment dune rserve de forces protectrices

    susceptibles dintervenir tout moment, au besoin. Quand on se retrouvait sans

    dfense, on se savait vulnrable la moindre variation du monde.

    Clarys semblait aussi impressionne que moi. Dans ce silence fait de joie et

    dangoisse, deux regards se cherchaient les yeux dans les yeux, et un cur tait sur

    le point de se rompre jamais. Elle baissa les yeux, et cela me permit de baisser

    les miens et de respirer un peu. Je voulus me redresser lentement dans mon lit,

    mais mes attelles minterdisaient ce geste simple. En entendant mon rle fluet,

    Clarys leva de nouveau les yeux sur moi, et un sourire sesquissa sur ses lvres

    transparentes. Mon Dieu quelle tait belle, une princesse quhabitait une majest

    intemporelle. Je savais quelle tait unique au monde, et ce ntait pas seulement ledessin dlicat des traits de son visage qui me racontait cela, ctait cette prsence

    immatrielle qui regardait mais qui ne pouvait pas se rduire deux prunelles et

    deux pupilles. Je pouvais la voir. La voir elle, rellement, et pas seulement son

    apparence physique ou son schma gestuel. Je la savais intelligente, je la savais

    gracieuse, je la savais capable dune grande dtermination, je la savais douce et

    enthousiaste par nature Elle concentrait dans son me ces qualits lumineuses

    qui me soulevaient dadmiration, qui me vibraient damour. Jprouvais pour elleun sentiment tellement fort que jen tais accabl.

    - Moi aussi, dit-elle.

    Je navais rien dit, mais jtais certain quelle savait trs bien ce qui se passait

    dans mon cur. Ses paroles membrasrent de plaisir, car elle venait de me dire

    quelle prouvait la mme chose que moi. Elle se pencha un peu et me prit la main.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    35/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/35

    Un lger tremblement faisait frtiller ses doigts fins, et un nuage de larme flottait

    dans ses yeux. Elle ferma les yeux un instant, les ouvrit ensuite pour dissiper

    lcran motionnel qui lui brouillait la vue, puis dposa un baiser sur ma main. Le

    geste avait t tendre et fort, et le contact de ses lvres sur ma peau brisa la

    cohsion magntique qui reliait mes cellules les unes aux autres. Comment tant de

    douceur pouvait-il gnrer une telle tempte intrieure ?

    - Merci, dis-je.

    - Si je tembrassais sur la joue, tu risquerais de tvanouir, et je risquerais de

    meffondrer moi aussi, rpondit-elle.

    Elle avait totalement raison. Et lorsquelle se mit rire, un peu pour dissiper la

    nervosit tremblante qui stait empare de sa voix, je compris pour quelle raison

    mon pre mavait dit que ma mre tait son trsor inestimable. Clarys tait

    devenue, en quelques instants, ou en quelques heures, la richesse la plus prcieuse

    de ma vie. Pour moi elle tait mon trsor, et ctait inestimable. A part cette prise

    de conscience, je ne savais pas ce que nous tions lun pour lautre. Etait-elle une

    amie ? Mon amie ? Ma petite-amie ? On venait peine de rentrer lun dans la viede lautre, et les maigres mots que nous nous tions changs jusqu prsent ne

    disaient rien de toute la profondeur qui nous unissait.

    - Clarys est-ce que tu veux bien tre ma copine ?

    - Oui.

    Que lunivers tait beau ! Que le monde tait magnifique. Un simple mot, et

    toute ma vie prenait une dimension absolue. Avant de la rencontrer, je ne mtais

    jamais rendu compte quelle mavait manqu. Jignorais que javais t seul aumonde jusqu cet instant. A prsent, elle tait dans ma vie, et je faisais partie de

    son existence, et cela justifiait pleinement ma prsence au monde. Elle me parla un

    peu delle, et elle me dvoila surtout la manire dont elle avait vcu notre

    rencontre dans le taxi. En me voyant rentrer dans le taxi, elle stait demande si

    jtais un roi, quelque chose comme un prince perdu dans un monde qui ntait

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    36/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/36

    quun ple reflet de sa demeure originelle. Quelque chose en moi, et qui ntait pas

    mon visage ou ma stature svelte, avait remu son cur et transform sa journe en

    un t de soleil ivre. Elle stait toujours imagin que ce genre de sentiment ne

    pouvait natre que dune longue et riche relation au cours de laquelle toute la clart

    de lautre se dvoilerait plus lentendement quaux yeux. Sa surprise avait t

    grande lorsquelle mavait vu autrement que par le filtre de ses seuls yeux.

    - En te voyant, jai su que je voulais faire partie de ta vie, faire partie de toi.

    Les mots taient sortis de sa bouche, mais ctait les miens. Une entente secrte,

    une intelligence discrte un mystrieux clat entre nous liait fermement nos

    deux sourires et rivait nos yeux sur une ralit qui ntait peut-tre pas de notre

    ge. Quand son pre vint la rechercher, elle massura quelle ne tarderait pas me

    rendre une seconde visite, et surtout elle avait hte que nous puissions passer du

    temps ensemble, jouer toutes sortes de jeux, et discuter de toutes sortes de

    sujets. Avant de partir, elle dfit le collier de perles qui pendait son cou, et me le

    noua au poignet. Jaimais cette faon quelle avait de me faire comprendre que

    nous tions lis ds prsent. Je lui offris un baiser dans le vent pour la remercierde son geste, puis sa prsence physique sloigna, mais sa vie ne se dtacha pas de

    la mienne lorsquelle franchit la porte sous le bras de son pre. Ma mre entra

    presque aussitt, et de la voir me rconforta de labsence de Clarys. Elle

    minforma que mon pre tait parti, car il avait beaucoup de travail aujourdhui.

    Quand elle prit place ct de moi, et quand son regard senfona nouveau

    dans mes yeux, je revis cette luminosit spciale qui racontait lhistoire dune

    femme solaire qui se cachait soigneusement derrire lapparence dun tre humainordinaire. Quelle erreur avais-je faite en pensant que Clarys tait mon trsor

    inestimable. Le trsor inestimable tait une chose mystrieuse qui avait donn

    ma mre la joie sans ombre qui se lisait dans son regard, et cette trange force qui

    me fixait maintenant travers ses yeux. Mme si Clarys memportait de passion

    insoutenable, il me suffisait de regarder ma mre et de sentir limmensit paisible

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    37/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/37

    de sa prsence au monde pour comprendre quaucune passion amoureuse ntait en

    mesure de faire de moi cet tre solaire qutait cette femme assise devant moi.

    - Maman

    - Je sais. Tu as eu le coup de foudre pour Clarys, et elle ressent la mme chose

    pour toi. Lamour dsir est fort entre vous.

    - Lamour dsir ?

    - Oui. Cest le genre damour qui se trouve la base de la relation dite

    amoureuse entre deux personnes. Tu laimes, nest-ce pas ?

    Oui, je laimais, et je ne pouvais pas expliquer comment ce sentiment si fort

    avait fait pour se dployer de manire aussi rapide. Je navais pas besoin de

    rpondre ma mre, elle savait trs bien ce que je ressentais. Elle avait nomm

    cela par lexpression lamour dsir . Mais jaimais aussi ma mre, et je me

    rendais compte que ce que je ressentais pour Clarys tait dune nature diffrente.

    - Maman je taime aussi, mais cest pas la mme chose quavec Clarys.

    - Je sais.

    - Comment on appelle lamour que jai pour toi ?- Il sagit de lamour affection, cest en effet trs diffrent de lamour dsir.

    Je fermai les yeux, pour mieux saisir la diffrence. La prsence de ma mre

    memplissait de paix, et une joie sereine coulait dans mes veines en jaillissant

    dune source inconnue. La seule vocation de la pense de Clarys me faisait bondir

    le cur et me chavirait vers des mondes tranges. Mais le contact de la main de ma

    mre me rappela dautres ralits. Ctait ma premire excursion la recherche

    de monsieur D, avec les indices donns par mon pre et javais trouv Clarys.Elle ntait pas monsieur D, et il aurait t tonnant quelle sache mindiquer

    comment trouver le trsor inestimable. Elle ntait pas le trsor inestimable, et je

    navais aucune ide de ce que pouvait bien tre cette chose qui rendait son

    possesseur heureux comme un soleil immortel. De quoi pouvait-il bien sagir ? Ce

    ntait pas de largent, et comme ce ntait pas de largent, cela ne pouvait pas tre

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    38/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/38

    de lor, des diamants, des bijoux ou dautres choses dont la valeur tait estime en

    fonction de largent. Ce ntait pas le fait pour un homme de trouver la femme

    pour laquelle il prouverait un amour dsir qui le rendrait presque fou

    - Maman, sil te plat, jai failli mourir en allant la recherche de monsieur D.

    - Quest-ce que tu dsires, mon chri ?

    - Je voudrais que tu men dises un peu plus sur le trsor inestimable. Jai bien

    compris que tu navais pas le droit de me dire o je pouvais trouver monsieur D, et

    jai bien compris que tu navais galement pas le droit de me montrer ton trsor

    inestimable. Mais jaimerais quand mme avoir une petite ide, un peu moins

    vague, de ce quest le trsor inestimable.

    Elle parut se recueillir un instant, comme pour rflchir. Mais son geste discret

    avait une telle intensit de concentration que je me crus dans une glise sacre

    vieille de plusieurs milliers dannes. Je ressentis un profond respect, et des

    images fugaces me traversrent lesprit. Ma mre navait pas de bureau personnel

    la maison comme mon pre, mais elle avait nanmoins une pice rserve son

    usage exclusif, et personne ntait autoris rentrer dans cette pice sans sapermission spciale. Curieusement, alors que je me montrais trs dsobissant

    dans beaucoup dinterdictions, je navais jamais song braver cette interdiction

    particulire, et je devais avouer que jprouvais mme une certaine apprhension

    la seule ide de dcouvrir ce qui se cachait dans cette pice trange. Ma mre

    senfermait dans ce local chaque soir pendant au moins une heure, parfois

    plusieurs heures. Les flashs qui venaient de zbrer mon cerveau me rappelaient

    fortement cette pice secrte, mme si je nen avais jamais entrebill la porte.- Quest-ce que tu voudrais savoir ?

    Mon accident mouvrait des portes et me donnait le droit den savoir plus. Je

    devais en profiter, et viter de poser des questions inutiles. Je me calai dans mon lit

    du mieux que je pouvais, puis mon cerveau se mit carburer afin de trouver les

    bonnes questions. Je mtais attendu ce quelle me dise quelque chose du genre :

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    39/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/39

    le trsor inestimable cest ceci, ou cela . Mais sa rplique voulait certainement

    dire que je ne devais pas esprer une rponse sans quivoque, au contraire je

    devais aller chercher la rponse aprs un barrage peut-tre infranchissable de

    questions. Et je navais certainement pas le loisir de poser un nombre illimit de

    questions. Si je navais pas de chance aujourdhui, la discussion pourrait bien se

    clore au bout de deux ou trois questions sans mapporter dinformations nouvelles

    sur le trsor inestimable.

    - Je voudrais savoir Est-ce que le trsor inestimable est un objet ?

    - Disons que cest quelque chose de concret, mais a ne ressemble aucun objet

    de ta connaissance. Si tu veux quelques images pour taider comprendre, je te

    dirais que cest en quelque sorte comme un diamant enfonc dans une gangue de

    pierre. Dieu cest--dire monsieur D, aurait donc cr plusieurs diamants, un

    pour chaque habitant pass, prsent et futur de cette plante. Pour trouver son

    diamant personnel, chacun doit sadresser monsieur D, et monsieur D lui

    indiquera comment faire pour trouver le diamant et pour le dgager de sa gangue

    de pierre. Chacun ne pourrait entrer en possession que de son diamant personnel,et jamais du diamant dun autre. Mais une fois quon a trouv son diamant

    personnel, on ne peut plus jamais le perdre, et il procure son possesseur la joie

    inconditionnelle, mais aussi la force spirituelle.

    - Donc le trsor inestimable est un diamant ?

    - Non, jai pris une image, pour que tu comprennes bien quil sagit de quelque

    chose de concret. Mais sil fallait essayer de dcrire le trsor inestimable, la

    meilleure image serait de dire quil sagirait dune sorte duf pondu par le soleil.Mais cela brille dune lumire qui nest pas de ce monde. Je ne ten dirais pas plus,

    mais je toffre un cadeau. Nen parle personne.

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    40/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/40

    Chapitre 6.

    Elle avait pos les mains sur moi, et quelque chose dincomprhensible stait

    produit. Une trange torpeur mavait comprim les yeux, et un sommeil lourd

    navait pas mis longtemps mengloutir. En quelques secondes seulement, le fil de

    veille qui me reliait mon environnement stait rompu pour se reconstituer

    plusieurs heures plus tard. Ma mre ntait plus l, et dans le vide de ma chambre

    sourdait un dbut dobscurit. La nuit sappropriait le monde, comme chaque jour

    cette heure-l. Un peu de nourriture mattendait sur la petite table de chevet, et

    mon premier mouvement minforma que mon corps ntait plus aussi bris qu

    ma premire prise de conscience aprs laccident. Ma mre mavait fait quelque

    chose, et je navais pas besoin de savoir ce que ctait pour me rendre compte que

    jallais beaucoup mieux.

    La nuit se droula paisiblement, et le lendemain le mdecin se montra presque

    dsempar. Il dcouvrit, en mexaminant, que quelque chose dinattendu stait

    produit, moins quil ne se soit tromp lors de son premier diagnostic. Les radiosconfirmrent ses nouvelles impressions, et mon pre me parut trs excit, sa

    manire, lorsquil se pointa au chevet de mon lit, car le mdecin lavait prvenu

    ds quil avait eu sous les yeux les rsultats des radios. Mon pre et le mdecin

    discutrent pendant quelques minutes, et je pouvais tout entendre puisque la

    conversation se droulait sous mes yeux. Selon le mdecin, je serai compltement

    sur pied dans deux ou trois jours, aussi frais que sil ne mtait jamais rien arriv.

    Ctait une bonne nouvelle, mais lhomme de sant se montrait boulevers car magurison ntait pas esprer avant plusieurs mois. Stait-il tromp dans sa

    premire valuation ? Il aurait pourtant jur que javais les os briss Mon pre

    semblait encore plus retourn que le mdecin, et cest une voix craintive qui

    senquit de mon tat de sant.

    - Fiston, sais-tu pourquoi tu guris aussi vite ?

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    41/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/41

    - Pour pouvoir me remettre aussi tt que possible la recherche de lhomme qui

    se prend pour Dieu.

    Je ne pouvais pas trouver meilleure occasion pour remettre cette histoire sur le

    tapis. La sombre expression du regard de mon pre mapprit quil voyait dun trs

    mauvais il mon intrt pour cette histoire. Pour lui, mon accident ne se serait

    jamais produit si je ne mtais pas mis en tte de rechercher un mythomane qui

    croyait tre Dieu, et bien entendu ctait cause de ma mre si tout cela stait

    produit. Mais ma gurison rapide donnait toute cette affaire une tournure quelque

    peu mystrieuse, comme si la ralit avait un peu adouci ses propres rgles pour

    me permettre de trouver mon chemin jusqu la personne que je recherchais. Le

    mdecin simmobilisa et prta une oreille attentive lorsquil entendit ma rplique.

    Mon pre cherchait ses mots, et il sembla finalement trouver quelque chose me

    rpondre. Son embarras empourprait son visage dj rouge son ordinaire, et ses

    yeux presque oranges sefforaient de mintimider. Son autorit naturelle ne

    mavait jamais paru plus objective que maintenant.

    - Tu devrais oublier cette histoire, seul un fou peut se prendre pour Dieu, et unfou ne peut rien tapprendre de bon.

    Un sourire un peu moqueur et un peu incrdule se dessina sur les lvres du

    mdecin. Chaque impulsion sonore scande par la voix ferme de mon pre lui

    apprenait ce qui se passait. Et un jeune garon qui cherchait rencontrer un fou se

    prenant pour Dieu, cela devait tre pour lui un vnement insolite de nature

    gayer sa journe, et peut-tre mme sa semaine. Sa tte remua, et je reconnus ce

    mouvement de la nuque qui soulignait un mlange dhilarit et dintrt.- Ces enfants ! dit mon pre dun faux air las en se confiant au mdecin qui

    devenait subitement un ami de longue date.

    - Papa, il y a dans cette ville un homme qui dit tre Dieu, et je dois trouver cet

    homme. Sil te plat, papa.

    - Je tai dj dit que je ne connais personne dans cette ville qui se prend pour

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    42/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/42

    Dieu. Et vous ?

    Mon pre stait tourn vers le mdecin pour recueillir la confirmation

    invitable. Mais lhomme en blouse blanche frona un sourcil et se gratta le dbut

    de calvitie quil me fit dcouvrir en penchant un peu trop la tte en avant, comme

    si une marre de souvenirs stait ouverte ses pieds. Lintrospection du mdecin

    nerva un peu mon pre, mais il se garda de le faire sentir. Lorsque lhomme au

    stthoscope revint son environnement immdiat, un mur de gravit stait pos

    sur son visage, et sa voix granulait comme une cascade sourde.

    - Cest que Je ne suis pas tout fait sr que ces histoires soient dignes

    dintrt, mais

    Mon pre lui coupa la parole avec une brusquerie qui se voulait persuasive.

    - Vous tes bien daccord quil ny a personne dans cette ville qui dit tre Dieu,

    nest-ce pas ?

    - Dans cette ville, probablement

    - Et mme si ailleurs des gens se disent tre Dieu, ajouta mon pre qui ne

    voulait pas que le mdecin dvoile la suite de son propos, ces gens ne sauraienttre autre chose que des fous. Dieu nexiste pas, cest un fait, et se prendre pour

    Dieu relve dun problme de drglement psychologique. Nest-ce pas ?

    La force desprit de mon pre, cette structure mentale dune extraordinaire

    solidit qui dployait une dtermination absolue, transparaissait aisment dans son

    regard, dans sa voix et dans la mesure de ses gestes. Le roc quil tait au-dedans de

    sa tte tait une nergie implacable et impeccable qui sincarnait jusque dans sa

    manire de shabiller, et quelque chose dans le feu de ses yeux et le timbre de savoix extriorisait une autorit que lon respectait demble, que lon pouvait

    craindre loccasion. Peut-tre ne le faisait-il pas consciemment, mais mon pre

    pouvait parfois solidifier son autorit jusqu la rendre invitable pour son

    interlocuteur. Le mdecin stait transform en quelques fractions de secondes en

    une victime incrdule de lautorit de mon pre, et le tremblement que je captai

  • 8/9/2019 Un profond bonheur

    43/143

    Tous droits rservs 2005, auteur : Chris IWEN

    http://iwen.free.fr/43

    dans son regard me fit penser un agneau quun lion avait surpris dans la

    pnombre de la jungle urbaine. Il baissa la tte, et je reconnus ce geste de

    soumission que javais dj aperu chez nombre damis de mon pre chaque fois

    quune ombre de conflit avait plan dans leurs rapports.

    - Vous avez srement raison, concda le mdecin.

    Mon pre avait un esprit fort, mais il ntait pas agressif dans le sens primaire et

    gnralement veule de ce terme. Ce qui imposait le respect dans sa personne,

    ctait cette impression vidente quon avait, en le voyant, quil sagissait dune

    personne extrmement solide dont la dtermination froide tait certainement

    capable de renverser le monde sans tremper un seul instant dans ltang ordinaire

    des faiblesses motionnelles du commun des mortels. Le mdecin ne stait

    srement pas senti cras, mais il avait prouv, comme beaucoup avant lui,

    lirrsistible dsir de se ranger du ct de mon pre, car la proximit subjective

    avec un homme de cette force prsent