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Avez-vous de fortes attaches paysannes ? Oui, totalement. Je crois que j’ai été programmé pour être agri- culteur, plus ou moins, sous une forme ou une autre. En tout cas, pour être dans l’agriculture, c’est certain. Les deux gran- des fermes de Villefavent appartenaient à des cousins et l’une d’elles était située à 100 m de l’école ; j’y passais tout mon temps libre, j’étais chez moi. Je n’ai rien connu d’autre, surtout à cette époque-là. Les communications, les voyages, les vacan- ces, n’existaient pas pour moi. Une fois ou deux, je suis parti quelques jours au bord de la mer durant cette période. Quand ma mère a pris sa retraite, mes parents ont fait construire au siège de la commune qui comptait 1 250 habitants et qui depuis ce temps, maintient sa population. J’ai toujours gardé cette maison et c’est là que je passe ma retraite depuis 1986. Avez-vous commencé votre scolarité dans ce village ? J’étais à l’école primaire sous la férule de ma mère. Il n’y avait pas d’autres institutrices, c’était une classe unique où les élè- ves arrivaient à cinq ou six ans et restaient jusqu’au certificat d’études. Je suis passé de cette école de village au lycée de Châteauroux, seul lycée de la région à l’époque. J’ai été demi- pensionnaire pendant deux ans, pensionnaire 5 ans le reste du temps. À l’exception de la seconde, l’année 1939-1940, où le lycée était réquisitionné, les cours ayant lieu au Palais de Justice ou je ne sais où. J’ai donc passé le bac en 1941 et 1942 au lycée de Châteauroux. Que faites-vous après le bac ? Après le bac, dans ma tête, j’avais l’intention de préparer Grignon, c’est-à-dire l’école nationale supérieure d’agriculture. Je ne pensais même pas à l’institut national agronomique (INA Paris) 1 . Cela me paraissait déjà un peu trop dur. J’ai eu des problèmes pour avoir mon bac, je ne sais pas pourquoi mais c’est comme ça. Je n’ai été reçu qu’en octobre. Dans ce temps- là, il y avait une session de repêchage, fort heureusement. Du coup, quand je me suis pointé à Toulouse 2 en 1942 pour en- trer en “fume”, c’est-à-dire la préparation au concours de l’INA Paris, l’année était déjà largement commencée et on m’a fait subir un examen, mais je n’ai pas été pris. Je suis rentré et j’ai passé une année chez moi. Finalement, cela arrangeait un peu les choses, puisque mon père était tombé malade. J’ai pré- paré quand même par correspondance le concours d’entrée aux ENSA (Écoles nationales supérieures d’agronomie), j’ai passé le concours mais je n’ai pas été reçu, bien sûr. À la rentrée scolaire de 1943, je suis parti en “fume” au lycée Saint-Louis à Paris 3 , j’ai raté l’Agro Paris mais j’ai réussi Grignon et j’y suis entré en octobre 1945. Je ne m’en plains pas. Pour l’anecdote, en 1945, l’Agro n’a pris que 102 nou- veaux élèves au lieu des 120 habituels parce qu’il y en avait une vingtaine reçus au concours mais ils n’avaient pas pu inté- grer à cause de la guerre et comme j’étais 107 ème ... J’ai finale- ment eu de la chance car j’ai mieux cassé la croûte à Grignon que si j’étais entré à l’Agro Paris ! Jean Picard Je suis né en 1924, là où j’habite actuellement, à Neuvy-Pailloux dans l’Indre, charmant village de Champagne berrichonne, dans l’arrondis- sement d’Issoudun. À ma retraite, je suis retourné tout à fait à mes racines. Ce n’est peut-être pas très étonnant dans la mesure où mes deux parents et mes quatre grands-parents sont nés dans ce pays, à Neuvy-Pailloux. J’ai des racines assez fortes. Ma mère était institutrice et mon père, représentant de commerce, représentant courtier, mais dans le secteur agricole, dans les semences, pour la Maison Tourneur. Chez mes grands-parents, l’un était petit agriculteur, du côté de mon père, et l’autre charpentier dans la commune, du côté de ma mère. Mon enfance s’est passée dans un hameau de Neuvy-Pailloux, Villefavent, dont ma mère était l’institutrice ; elle y a été nommée à la sortie de l’École Normale et elle est restée toujours au même poste. Nous sommes très sédentai- res. Mon père aurait voulu prendre la suite de ses parents mais dès 1920, il s’est aperçu qu’avec 16 ou 17 hectares, il ne pouvait pas avoir un horizon très souriant et il a opté pour une autre activité. C’est comme cela qu’il est devenu représentant de commerce. Pendant les 17 premières années de ma vie, j’ai vécu dans ce hameau où nous habitions dans la “maison d’école” construite en 1906. Villefavent était un hameau de 200 à 300 habitants, situé à quatre kilomètres cinq du bourg. Nous étions une trentaine de gamins à aller dans la classe unique de ma mère. Je n’allais à Neuvy-Pailloux que le jeudi pour le catéchisme et le dimanche pour la messe. J’ai quitté mon hameau pour aller au lycée à Châteauroux, mais ma résidence était dans ce hameau où il n’y avait rien d’autre que l’agriculture : deux grandes fermes d’environ 200 hectares (avec pour chacune une quinzaine d’employés, vachers, bergers...), deux moyennes, de 50 à 100 hectares et une dizaine de petites que l’on appelait des “loca- tures”. Ces dernières ont disparu vers 1950 mais aujourd’hui enco- re, la seule activité à Villefavent est l’agriculture. J’étais, pendant 17 ans, immergé complètement dans la campagne. 1 À l’époque, il y avait deux concours séparés : celui des ENSA qui formaient des ingénieurs agricoles et celui de l’INA qui formait des ingénieurs agronomes. 2 En 1942 Châteauroux était en zone libre et la “fume” de Toulouse était la plus facile d’accès par le train depuis la gare de Neuvy-Pailloux via Châteauroux. 3 En 1943, toute la France était occupée et c’était donc plus simple d’aller à Paris. Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 109 Un premier recueil du témoignage de Jean Picard a été réalisé le 16 janvier 1996 à Dijon par Denis Poupardin et Jean-Louis Dufour. Il a été repris et complété le 7 juillet 2008 à Neuvy-Pailloux par Claire Mousset-Déclas. Jean Picard en juin 2009 devant sa maison natale, école publique du hameau de Villefavent. Photo : ©INRA Photo : ©INRA

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Page 1: Un premier recueil du témoignage de Jean Picard a … · res à Nancy. De plus, les élèves de Grignon jouaient au foot le dimanche avec l’équipe du village où jouait Jean Rebischung

Avez-vous de fortes attaches paysannes ?

Oui, totalement. Je crois que j’ai été programmé pour être agri-culteur, plus ou moins, sous une forme ou une autre. En toutcas, pour être dans l’agriculture, c’est certain. Les deux gran-des fermes de Villefavent appartenaient à des cousins et l’uned’elles était située à 100 m de l’école ; j’y passais tout montemps libre, j’étais chez moi. Je n’ai rien connu d’autre, surtoutà cette époque-là. Les communications, les voyages, les vacan-ces, n’existaient pas pour moi. Une fois ou deux, je suis partiquelques jours au bord de la mer durant cette période. Quandma mère a pris sa retraite, mes parents ont fait construire ausiège de la commune qui comptait 1 250 habitants et quidepuis ce temps, maintient sa population. J’ai toujours gardécette maison et c’est là que je passe ma retraite depuis 1986.

Avez-vous commencé votre scolarité dans ce village ?

J’étais à l’école primaire sous la férule de ma mère. Il n’y avaitpas d’autres institutrices, c’était une classe unique où les élè-ves arrivaient à cinq ou six ans et restaient jusqu’au certificatd’études. Je suis passé de cette école de village au lycée deChâteauroux, seul lycée de la région à l’époque. J’ai été demi-pensionnaire pendant deux ans, pensionnaire 5 ans le reste dutemps. À l’exception de la seconde, l’année 1939-1940, où lelycée était réquisitionné, les cours ayant lieu au Palais deJustice ou je ne sais où. J’ai donc passé le bac en 1941 et 1942au lycée de Châteauroux.

Que faites-vous après le bac ?

Après le bac, dans ma tête, j’avais l’intention de préparerGrignon, c’est-à-dire l’école nationale supérieure d’agriculture.Je ne pensais même pas à l’institut national agronomique (INAParis) 1. Cela me paraissait déjà un peu trop dur. J’ai eu desproblèmes pour avoir mon bac, je ne sais pas pourquoi maisc’est comme ça. Je n’ai été reçu qu’en octobre. Dans ce temps-là, il y avait une session de repêchage, fort heureusement. Ducoup, quand je me suis pointé à Toulouse 2 en 1942 pour en-trer en “fume”, c’est-à-dire la préparation au concours del’INA Paris, l’année était déjà largement commencée et on m’afait subir un examen, mais je n’ai pas été pris. Je suis rentré etj’ai passé une année chez moi. Finalement, cela arrangeait unpeu les choses, puisque mon père était tombé malade. J’ai pré-paré quand même par correspondance le concours d’entréeaux ENSA (Écoles nationales supérieures d’agronomie), j’aipassé le concours mais je n’ai pas été reçu, bien sûr. À la rentrée scolaire de 1943, je suis parti en “fume” au lycéeSaint-Louis à Paris 3, j’ai raté l’Agro Paris mais j’ai réussiGrignon et j’y suis entré en octobre 1945. Je ne m’en plainspas. Pour l’anecdote, en 1945, l’Agro n’a pris que 102 nou-veaux élèves au lieu des 120 habituels parce qu’il y en avaitune vingtaine reçus au concours mais ils n’avaient pas pu inté-grer à cause de la guerre et comme j’étais 107ème... J’ai finale-ment eu de la chance car j’ai mieux cassé la croûte à Grignonque si j’étais entré à l’Agro Paris !

Jean PicardJe suis né en 1924, là où j’habite actuellement, à Neuvy-Pailloux dans l’Indre, charmant village de Champagne berrichonne, dans l’arrondis-

sement d’Issoudun. À ma retraite, je suis retourné tout à fait à mes racines. Ce n’est peut-être pas très étonnant dans la mesure où mes deux

parents et mes quatre grands-parents sont nés dans ce pays, à Neuvy-Pailloux. J’ai des racines assez fortes.

Ma mère était institutrice et mon père, représentant de commerce,

représentant courtier, mais dans le secteur agricole, dans les

semences, pour la Maison Tourneur. Chez mes grands-parents, l’un

était petit agriculteur, du côté de mon père, et l’autre charpentier

dans la commune, du côté de ma mère. Mon enfance s’est passée

dans un hameau de Neuvy-Pailloux, Villefavent, dont ma mère était

l’institutrice ; elle y a été nommée à la sortie de l’École Normale et

elle est restée toujours au même poste. Nous sommes très sédentai-

res. Mon père aurait voulu prendre la suite de ses parents mais dès

1920, il s’est aperçu qu’avec 16 ou 17 hectares, il ne pouvait pas

avoir un horizon très souriant et il a opté pour une autre activité.

C’est comme cela qu’il est devenu représentant de commerce.

Pendant les 17 premières années de ma vie, j’ai vécu dans ce hameau

où nous habitions dans la “maison d’école” construite en 1906.

Villefavent était un hameau de 200 à 300 habitants, situé à quatre

kilomètres cinq du bourg. Nous étions une trentaine de gamins à aller

dans la classe unique de ma mère. Je n’allais à Neuvy-Pailloux que le

jeudi pour le catéchisme et le dimanche pour la messe. J’ai quitté

mon hameau pour aller au lycée à Châteauroux, mais ma résidence

était dans ce hameau où il n’y avait rien d’autre que l’agriculture :

deux grandes fermes d’environ 200 hectares (avec pour chacune une

quinzaine d’employés, vachers, bergers...), deux moyennes, de 50 à

100 hectares et une dizaine de petites que l’on appelait des “loca-

tures”. Ces dernières ont disparu vers 1950 mais aujourd’hui enco-

re, la seule activité à Villefavent est l’agriculture. J’étais, pendant 17

ans, immergé complètement dans la campagne.

1 À l’époque, il y avait deux concoursséparés : celui des ENSA qui formaientdes ingénieurs agricoles et celui de l’INA qui formait des ingénieursagronomes.

2 En 1942 Châteauroux était en zonelibre et la “fume” de Toulouse était la plus facile d’accès par le traindepuis la gare de Neuvy-Pailloux via Châteauroux.

3 En 1943, toute la France était occupée et c’était donc plus simpled’aller à Paris.

Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �

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Un premier recueil du témoignage de Jean Picard a étéréalisé le 16 janvier 1996 à Dijon par Denis Poupardin et Jean-Louis Dufour. Il a été repris et complété le 7 juillet2008 à Neuvy-Pailloux par Claire Mousset-Déclas.

Jean Picard en juin 2009 devant sa maison natale, école publique du hameau de Villefavent.

Photo :©INRA

Photo :©INRA

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas, D. Poupardin et J.L. Dufour

Etiez-vous dans votre élément à Grignon ?

Oui, à la campagne, et surtout à ce moment-là, à l’automne45, le gros avantage de Grignon, c’était qu’on mangeait à safaim. On sortait d’une période extrêmement dure, de vachesmaigres. Si les études n’étaient pas toujours très captivantes,au moins on était à l’aise à la campagne. Le corps enseignantn’était pas au complet, c’était la reprise de l’après-guerre.

Quels souvenirs gardez-vous de cet enseignement ?

Une partie de l’enseignement était subie et une autre partieétait volontiers très bien acceptée. J’ai apprécié des profes-seurs dans quelques disciplines qui par elles-mêmes, m’inté-ressaient, la botanique, la chimie, où les professeurs étaientquand même d’un très bon niveau. Mais je ne peux pas direque j’ai eu un maître à penser. C’était particulier, nous n’avionsni cours de génétique, ni cours de géologie parce qu’il n’y avaitaucun professeur dans ces disciplines. C’est une formation qui,à mon avis, était remarquable parce que cela ne vous mode-

lait pas. Nous sommes restés complètement libres dans cer-tains domaines. Et pourtant ces enseignements ne nous ontpas manqué.

Avez-vous fait un stage en milieu agricole durant vos études ?

Oui, en deuxième année, un stage qui durait 1 mois. J’ai vouluvoir un peu autre chose -à l’époque je n’avais aucune idéeencore de ce que pourrait être mon avenir- et j’ai fait monstage dans une grosse exploitation de 600 hectares dansl’Aisne à 4 km de Soissons. Une ferme très bien tenue, consti-tuée de plusieurs fermes rassemblées, gérée par le même indi-vidu, essentiellement céréales et betterave. Enfin, pour mapart, j’avais à peine besoin de formation en agriculture, que cesoit sur le plan pratique ou théorique. J’avais déjà fait la mois-son un certain nombre de fois dans les fermes, toujours dansmon hameau d’origine.

Que faites-vous en sortant de Grignon ?

Je ne suis pas sorti de Grignon comme ça. À la fin de la deuxiè-me année, j’ai été recruté par l’INRA en tant que boursier. En1947, c’était une période de recrutement intense parce quec’était la création de l’INRA. Nous étions sept de ma promo-tion, qui comportait une cinquantaine d’étudiants, à postuler àl’INRA et, l’un d’entre nous ayant lâché, nous sommes six àavoir fait une carrière à l’INRA. Il y avait Jacques Ponchet, enpathologie, Pierre Jourdheuil, Jacques Missonnier, René Cayrolet Pierre Robert en zoologie et plus exactement en entomolo-gie. C’était les premiers du classement qui étaient pris et je mesuis retrouvé troisième, sans problème. Boursier, c’était tou-jours bon à prendre. J’ai postulé à l’INRA essentiellement parceque j’avais connu Jean Rebischung. Il était déjà à l’INRA deVersailles puisqu’il avait été recruté deux promotions avantmoi et il habitait Grignon. Et un camarade de promotion, PierreRobert, l’avait rencontré quand il faisait ses classes préparatoi-

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Le domaine d’Époisses en 1956,tel qu’acquis par l’INRA.

Le site INRA de Bretenières en 1999. La ferme du domaine d’Epoisses est en arrière-plan.

Photo :©INRA

Photo :©INRA - Gérard Sim

onin

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res à Nancy. De plus, les élèves de Grignon jouaient au foot ledimanche avec l’équipe du village où jouait Jean Rebischung.C’est ainsi que j’ai discuté avec lui de l’INRA et de son travail.C’est en partie comme ça que je suis entré à l’INRA. Il y avaitun intérêt financier immédiat et l’autre aspect c’était l’intérêtpour le département d’amélioration des plantes.

Pourquoi cette discipline, l’amélioration des plantes, vous plaisait-elle plus que les autres ?

D’abord à cause de la description que Jean Rebischung m’a-vait faite de son travail, et d’autre part à cause de l’embryonde choses que je pouvais savoir sur l’activité dans ce départe-ment. Et puis, avec mon père qui était représentant pour lacompagnie Tourneur, une entreprise de sélection et de ventede semences, j’avais eu l’occasion de discuter avec des respon-sables de la profession et j’avais une petite idée de ce qu’étaitle travail de sélectionneur. Quand j’étais plus jeune, j’avais étémarqué par les expositions agricoles de Châteauroux auxquel-les mon père participait : il y avait de superbes épis de blé etdéjà cela m’avait frappé l’esprit.Voila pourquoi je me suis retrouvé boursier de l’INRA à l’au-tomne 47. J’ai donc fait ma troisième année rue ClaudeBernard à l’INA Paris. Là, nous suivions une formation spécia-lisée selon nos choix. Je me suis retrouvé, avec André Cornu,chez Joseph Lefèvre qui dirigeait la chaire d’agriculture et fai-sait un cours de génétique appliquée à l’amélioration des plan-tes mais pas de recherche. Nous étions payés comme desouvriers agricoles. Tous les mois, l’agent comptable de l’INRAnous apportait une enveloppe. Ce qui fait qu’au moment depréparer ma retraite, je n’ai pas pu faire valider l’année scolai-re 1947-48. Il n’y avait aucune trace dans les papiers de lamaison.

Le statut d’ACS (agent contractuel scientifique) n’existait pas ?

Il n’existait rien ! Cela a existé tout de suite après, peut-être en1948.

Comment cela se passait-il chez Joseph Lefèvre ?

J’ai été affecté à son laboratoire rue Claude Bernard en octo-bre 47 et pendant cette troisième année d’étude j’ai obtenumon certificat de génétique à la Sorbonne. C’était la deuxièmeannée d’existence du certificat de génétique en France et c’était le seul qui existait. Les cours étaient donnés par PhilippeL’Héritier, professeur à Clermont-Ferrand et venu à Paris. Il don-nait les cours de génétique formelle. Georges Teissier faisait lagénétique des populations. Boris Ephrussi faisait la génétiquephysiologique et Georges Rizet était chargé des travaux pra-tiques. Ce qui fait que s’il y avait un numéro d’ordre dans lescertificats délivrés, je dois avoir le numéro vingt environ, car leseffectifs n’étaient pas ceux d’aujourd’hui mais seulement unevingtaine d’étudiants par promotion. C’est vous dire d’où nouspartions et à l’INRA c’était pareil, nous partions de rien.

Et ensuite vous entrez à l’INRA de Versailles ?

Oui, j’y arrive en octobre 1948, car à l’époque, en améliorationdes plantes, tout le monde se formait à Versailles. Les stations

de province n’étaient pas déclarées aptes à finir notre forma-tion. La station d’amélioration des plantes était dirigée parJean Bustarret qui était encore chef de département. Il a étévite remplacé par Robert Mayer, le spécialiste de la luzerne.C’est Jean Bustarret qui m’a accueilli, dans son bureau ; ouplutôt, je suis allé me mettre à ses ordres. Il ne vous présentaitpas à l’équipe et ne vous faisait pas visiter les labos. C’était unaccueil assez froid qui avait un peu glacé le jeune que j’étais.Nous n’avions pas l’aplomb que peuvent avoir les jeunes d’au-jourd’hui. Même au sortir de cette période difficile, les relationsavec les supérieurs n’étaient pas détendues.

Quel a été votre premier travail dans ce laboratoire ?

Tout d’abord j’ai été affecté à des tâches “de saison” : analy-se de la teneur en sucre des betteraves sucrières pour le comp-te de Jacques Margara qui était arrivé un an avant moi. J’aiégalement fait quelques analyses sur le blé. À cette époque jen’avais aucune idée préconçue sur quel type de plante j’avaisenvie de travailler et Jean Bustarret n’était pas vraiment direc-tif là-dessus. Ensuite, je me suis retrouvé dans le labo “plantesfourragères” avec Jean Rebischung parce que nous étionsamis et à l’époque nous n’étions que tous les deux. Et le labo,fallait voir ce que c’était que le labo ! Deux bureaux dans unepièce toute petite dont une partie était occupée par le frigidai-re de la cantine, car la cuisine se trouvait dans la pièce à côté.En effet, l’amélioration des plantes avait fait une cantine avantqu’il n’existe quoi que ce soit au centre. Nous sommes restéslà pendant deux ans, ensuite notre bureau a été transféré dansla salle à manger.

Quels sont les sujets de recherche qui vous étaient proposés ?

Vous savez, en ce temps-là en amélioration des plantes etencore un peu aujourd’hui, peut-être un peu trop, c’était unevision par espèce. J’ai donné des coups de main à JeanRebischung sur les graminées et à Robert Mayer sur la luzer-ne, mais assez vite on m’a attribué le trèfle violet, vers 1950,car personne n’étudiait les trèfles. Ce n’était pas pour medéplaire, comme n’importe quelle plante fourragère. Et à par-tir de ce moment, le labo s’est développé avec l’arrivée d’au-tres personnes.C’était une époque amusante. Avec Jean Rebischung, noussommes allés jusqu’à Jouy-en-Josas, sur demande du secrétai-re général de l’époque, pour régler la charrue d’un entrepre-neur qui labourait un emplacement du domaine de Vilvert oùont poussé les premiers poulaillers. Nous pouvions tout faire,n’importe quoi. Et nous travaillions six jours sur sept. Pendantlongtemps, Jean Bustarret venait tous les samedis après-midialors consacrés à une sorte de séance de formation où unchercheur, plus ou moins jeune, était chargé de développer unsujet, suivi d’une discussion devant toute la station.

La station d’amélioration des plantes avait-elle son domaine propre ?

La station avait le domaine des Closeaux qui est encore àl’INRA de Versailles. Et en 1951, le domaine de La Minière estarrivé dans le giron de l’INRA. Nous avions également desexpérimentations chez des agriculteurs, mais essentiellement 111

Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas, D. Poupardin et J.L. Dufour

sur céréales pour le compte du CTPS 4. Même les stations deprovince animaient un réseau d’expérimentations CTPS. Sinonnous n’avions pas besoin d’expérimenter hors de l’INRA. Nousétions un petit effectif et avec nos quelques ouvriers agricoles,nous réalisions tous les travaux d’expérimentation. Je me sou-viens vers 1952 quand nous allions tous ensemble couper à lafaucille toute une après-midi les pépinières de trèfle blanc oude dactyle. Là, mes connaissances pratiques de l’agriculturem’étaient utiles... pour ne pas se couper les doigts avec la fau-cille. S’il y avait des semis, des plantations, il fallait être surplace pour surveiller un peu le déroulement des opérations.Nous étions quatre ou cinq. Il n’y avait pas encore d’ingénieurà cette époque ; c’est plus tard qu’un ingénieur hongrois quiavait fui son pays avant les événements de 1956, EtienneBorsanyi, nous a rejoints. Il a plus tard gagné le Canada pourrejoindre des compatriotes.

Quelles questions de recherche vous posiez-vous sur le trèfle ?

À cette époque, il n’était pas question de recherche fondamen-tale. J’essayais d’améliorer l’espèce trèfle violet (Trifolium pra-tense L.) et un peu le trèfle incarnat (Trifolium incarnatum L.).Le trèfle incarnat, c’était un peu pour l’amusement, par exem-ple quand nous abordions la génétique de la couleur de lafleur pour faire un trèfle incarnat à fleurs blanches. C’était uneplante cultivée en dérobée pour la production de semences,avec un minimum d’effort technique, et les semences étaienttoutes destinées à l’exportation vers les États-Unis. La récoltese faisait en France aux alentours du 1er juillet à la moissonneu-se-batteuse et partait par bateaux entiers vers les États-Unispour être semée à partir du 1er août. Il y a des gens qui ont bâtiune fortune avec ça et qui ont bu le bouillon aussi vite... Car ledélai était trop court avant l’expédition des semences pourconnaître les résultats de la faculté germinative et si ceux-ciétaient mauvais, les Américains, qui étaient assez raides sur lesnormes, refusaient le bateau. Le trèfle incarnat était une cultu-re mineure en France, donc j’ai vite arrêté.Les légumineuses fourragères étaient la seule source riche enprotéines pour les ruminants en ce temps-là et si la luzerneétait plus cultivée que le trèfle violet, celui-ci avait des atouts,notamment sa résistance à l’acidité du sol. La première étapede mon travail a été de faire l’inventaire des disponibilités enmatériel génétique qu’on pouvait trouver en France d’abordmais également dans des populations d’origine étrangère. Il yavait des observations en pépinière et en essai de rendement.Mais c’était le tout début des essais de rendement. Pour fairenos calculs, et jusque dans les années 60, nous avions en toutet pour tout une machine à calculer mécanique Vaucanson 5

et des tables de carré. C’était très bien pour avoir un fondmusical quand il y avait plusieurs Vaucanson en ordre de mar-che : ding ding vrrr, un tour de manivelle dans un sens pourdiviser et dans l’autre sens pour multiplier. Après nous avonseu des calculatrices électro-mécaniques avec lesquelles nouspouvions inverser des matrices.

Aviez-vous des contacts avec des sélectionneurs privés ?

Oui, un peu, mais c’était très limité parce que le secteur four-rager, et notamment le trèfle violet, dans le privé, n’existait pas.

Il existait à l’époque seulement chez Vilmorin, c’est tout. LaMaison Tourneur avait développé des travaux sur la luzerne. Lepartenariat était donc très limité.

Avez-vous fait une thèse ?

Non, ce n’était pas obligatoire. Avec un double décimètrecomme instrument de travail, ça ne marchait pas beaucouppour faire une thèse. À un certain moment il n’est plus temps,quand on est pris dans la spirale...

Dès 1949, vous passez le concours d’assistant ?

Oui, et celui de chargé en 1953 et ensuite je suis parti à Dijoncomme chargé de recherche, en juillet 1955.

Pourriez-vous parler des raisons pour lesquelles vous avez été affecté à Dijon ?

Les chercheurs partaient, après quelque temps de formation àVersailles, parfois assez vite et peut-être trop vite, renforcer lesstations de province. C’était la norme. J’avais vu partir PierreMadec à Landerneau pour créer la station de recherche sur lapomme de terre, Pierre Perennec qui était un Agro -nous avonsfait la troisième année ensemble- partait aussi à Landerneau.J’en oublie mais il y en avait bien d’autres. Jean Koller qui étaitrentré un an après moi, était parti à Dijon avant. Le chef dedépartement, Robert Mayer, nous proposait des affectationsdans les stations de province.

Auriez-vous pu refuser cette affectation ?

J’aurais pu refuser Dijon, oui, mais je n’avais aucune raison.Quand mon supérieur hiérarchique me l’a proposé, il ne m’apas dit : Tu pars à Dijon demain. La proposition d’une mobili-té à Dijon m’a été faite plusieurs mois avant mon affectationen juillet 1955. Il s’agissait de construire la station de recher-ches fourragères pour le centre est. Pendant l’été 54, je suisallé à Dijon avec mon épouse pour voir les lieux, on m’a laisséle temps de décider. À l’INRA, je n’ai jamais été bousculé, jeme suis toujours senti très libre.

Les chercheurs qui partaient en province, avaient-ils tous le grade de chargé de recherche ?

Non. Assistant sûrement mais chargé de recherche pas tou-jours. Ce n’était peut-être pas le mieux d’ailleurs, il aurait étépeut-être préférable d’attendre que les chercheurs aient legrade de chargé de recherche. Les assistants n’étaient pas suf-fisamment armés pour voler de leurs propres ailes et il n’y avaitpersonne pour vous remettre sur la bonne route. J’ai connu descollègues qui, partis dans les stations de province trop tôt, sesont cassé le nez... Versailles était pratiquement le nec plusultra avec une bonne formation pour l’époque mais assez li-mitée quand même. C’était une formation généraliste, un peuthéorique avec les samedis après-midi dont je parlais tout à l’heure, avec les discussions que l’on peut avoir avec les col-lègues. L’essentiel s’est passé à l’intérieur des labos. Dans le labo, à chaque instant pouvait naître une discussion. Aprèsl’épisode de la cantine, le secteur plantes fourragères grandis-

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4 CTPS : comité technique permanent de la sélection présidé par Bustarret puis Cauderon. Ce comité est chargé de la gestion du catalogue français des espèces et des variétés. Il examine les demandes d’inscription des nouvellesvariétés au catalogue officiel et proposeses décisions au ministère chargé de l’agriculture. Une inscription au catalogue équivaut à une autorisationde mise en marché. Les commissionsd’experts examinent le matériel végétal et les résultats des expérimentations et analyses conduites par le GEVES (groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences).Ces experts sont des personnes de l’INRA, des instituts techniques,et des professionnels de la filière semences.

5 Vaucanson : machine à calculer mécanique et manuelle.

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6 SECOBRAH : société d’encouragement de la culture des orges de brasserie et des houblons en France.

7 Domaine d’Époisses situé sur la commune de Bretenières (Côte-d’Or) à 12 km au sud-ouest de Dijon.

8 Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée.

9 Aujourd’hui l’ancien bâtiment du 14 avenue Victor Hugo à Dijon abrite Sciences Po Dijon.

sant, nous nous sommes retrouvés avec l’équipe d’expérimen-tation extérieure dans une grande salle avec une grande tablequi servait toujours pour le déjeuner de la cantine et de tablede ping-pong pour l’après-déjeuner. À quatorze heures, onnettoyait tout cela et on se remettait au boulot. Il y avait uneatmosphère très conviviale, sans arrière-pensée.

Pourriez-vous parler des conditions dans lesquelles s’est fait votre transfert et de votre accueil à Dijon en 1955 ? Qui y avait-il à Dijon à ce moment-là, en amélioration des plantes ?

Mon transfert à Dijon s’est très bien passé. L’accueil n’a rien euà voir avec celui de Versailles. Je n’étais plus un novice mais unchercheur qui avait acquis des bonnes bases. Personne ne m’amis de bâton dans les roues. À Dijon, il y avait monsieurGeorges Méneret qui travaillait sur le houblon et l’orge,employé par la SECOBRAH 6 avant la création de l’INRA. Ilavait été mis là en sentinelle, en 1944 et ses bureaux étaientinstallés jusqu’en 1947, rue du lycée à Dijon, année où il estparti en mission au Brésil pour y développer la culture du blé,jusqu’en 1948. Il était responsable de la station agronomiquede Colmar avant la guerre et il s’était replié sur Dijon où sonépouse est morte dans la Résistance et lui-même aurait étérésistant, je crois. L’une des raisons principales était de garderun œil sur le domaine d’Époisses 7 qui avait précédemmentabrité la station d’amélioration des plantes du PLM 8 et oùavaient régné Charles Crépin et Jean Bustarret. Cette fermeexpérimentale, qui a existé de 1930 à 1937, était l’une desprincipales d’avant-guerre et plusieurs variétés dignes d’intérêty avaient été créées, comme le blé tendre Étoile de Choisy.Georges Méneret avait un peu comme mission, donnée proba-blement par Charles Crépin qui était le directeur de l’INRA en1946, de surveiller le domaine d’Époisses, redevenu uneexploitation agricole normale, et dirigé par le père Maitre, pouressayer de le récupérer. Pendant deux ou trois ans, les activitéscéréales de l’INRA -l’orge essentiellement et le blé un peu- nese déroulaient pas loin, sur le domaine privé de la Noue àChenôve. En 1952, le domaine d’Époisses -et ses 170 hecta-res- s’est trouvé en vente et l’INRA l’a acheté. De là est partile renforcement de la station d’amélioration des plantes -crééeen 1950 par Méneret- et qui, à l’époque, comptait GeorgesMéneret, Jean Koller, un ingénieur qui s’appelait JacquesGuiolet et un technicien,Alain Heinen. La station d’agronomie,avec madame Suzanne Mériaux, est bien antérieure, car avantl’achat du domaine d’Époisses et du site de la rue Sully à Dijon,l’INRA était installé au 14 avenue Victor Hugo à Dijon 9. Àcette adresse avait été créée la station agronomique départe-mentale de Dijon en 1874, devenue partie intégrante del’INRA en 1946. À mon arrivée, il y avait là l’administration etle régisseur Jean Perrin, le bureau de Georges Méneret et lelabo d’analyse du houblon. C’était l’une des spécialités deMéneret de s’occuper du houblon. Se trouvait également ave-nue Victor Hugo un labo d’analyse qui était tenu par unefemme d’origine russe, mademoiselle Svinaref, repris ensuitepar Guy Sixdenier. Les bureaux de la station d’amélioration desplantes et les labos, je les ai donc connus, pour partie, avenueVictor Hugo où l’INRA était installé de 1946 à 1962, puis ilsont été transférés sur le domaine d’Époisses. La secrétairechargée de la gestion de la station,Andrée Cavatz n’est venue 113

Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �Passation PLM INRA, 1953.

Inauguration, 1953.

Le prieuré du domaine d’Époisses en 1960 avant l’incendie qui a détruit toute la partie droite.

L’ancien pigeonnier, logement de fonction de Jean Picard et sa famille, 1960.

Acte notarié, vente du domaine d’Époisses à l’INRA, 1953.INRA avenue Victor Hugo.

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas, D. Poupardin et J.L. Dufour

à Époisses rejoindre les deux autres secrétaires, Chantal Schiexet Marie Douard, qu’en 1963, après le départ à la retraite deGeorges Méneret. Guy Sixdenier et son labo d’analyse ne sontvenus qu’en 1969, après avoir transité par le bâtiment d’agro-nomie rue Sully car il n’y avait pas assez de place au domained’Époisses avant la construction des nouveaux bâtiments. Audomaine d’Époisses, nous étions installés dans l’ancien prieu-ré.Au rez-de-chaussée, se trouvait le labo “céréales” dirigé parJean Koller avec Roger de Larambergue ; au premier étage il yavait le labo “fourrages” que je dirigeais et où Jacques Schiexétait responsable des analyses et dans les combles il y avaitdes logements. La cantine était d’abord dans ce qui est deve-nu le bureau du responsable de domaine puis dans la sallecapitulaire que l’on a fermée après l’incendie de 1963. Moi-même je logeais avec ma famille dans l’ancien pigeonnier.

La direction de l’INRA avait-elle le projet de développer le secteur amélioration des plantes à Dijon ?

Il existait déjà les stations de Clermont-Ferrand, Montpellier,Bordeaux, Rennes, Versailles bien sûr. La pomme de terre étaitdéjà partie à Landerneau. Il y avait un souci d’occuper un peule territoire. Le centre-est faisait partie de ces projets mais avecune focalisation assez précise, même très précise en l’occurren-ce, sur le domaine d’Époisses.

Au tout début, quelle était votre responsabilité ?

J’étais responsable du secteur fourrages et cela n’a pas varié.À l’époque déjà, j’avais récupéré la féverole qui m’a valu par

la suite d’avoir des responsabilités dans le domaine des pro-téagineux. Le mot “protéagineux” n’existait pas, il n’a été crééqu’après et s’est imposé à la suite de l’embargo sur le soja prononcé en 1973 par les USA, seuls exportateurs de soja àl’époque. C’était donc les fourrages -plus précisément le trèfleviolet, un peu le trèfle incarnat- et la féverole qui était consi-dérée à l’époque comme un fourrage, qui retenaient notreattention. Robert Mayer gardait en charge la luzerne. Trèfle violet et luzerne (Medicago sativa L.) occupaient à l’époqueune surface considérable des productions fourragères assolées -encore appelées prairies artificielles- et jouaient un rôlemajeur dans la fourniture d’azote dans les assolements et danscelle de protéines pour les ruminants et les chevaux. Les aut-res espèces de Medicago étaient quasi inexistantes et les aut-res Trifolium (trèfle blanc, trèfle hybride, trèfle souterrain, trèfleincarnat, ...) peu cultivées. J’avais déjà reçu la féverole en dota-tion à Versailles avant de partir. C’est venu d’une manièreassez originale. C’est après des discussions entre le directeurdes services agricoles de l’Eure-et-Loir et Robert Mayer, quenous avions décidé de nous intéresser à cette plante. La féve-role était utilisée d’une façon relativement bizarre, c’était uneplante considérée comme fourragère -et non comme protéagi-neuse comme aujourd’hui- récoltée sèche à maturité en plan-te entière pour nourrir essentiellement les chevaux de traitdans certaines régions et donc en perte de vitesse. Elle parais-sait réunir certaines caractéristiques intéressantes : composi-tion des graines, port de la plante... Je fus donc chargé de cetteespèce. Pourquoi ? Je ne sais pas trop, parce qu’il fallait quel-qu’un et à l’époque, l’ensemble “fourrages” en améliorationdes plantes, c’était quatre ou cinq individus.

Quelles étaient les demandes de la profession ?

Les demandes de la profession, à l’époque, étaient nombreu-ses, mais elles ne se manifestaient pas tellement dans le sec-teur dont j’avais la charge. Elles se manifestaient plus dans lesecteur des graminées fourragères par exemple. La professionnous demandait de faire des variétés performantes, peu impor-te comment. Il n’y avait pas d’ostracisme comme aujourd’huivis-à-vis des OGM. C’était la période que l’on a appelé la révo-lution fourragère. Il fallait augmenter la production laitière etla production de viande. Nous, chercheurs sur les fourrages,nous y sommes employés pour notre part en exploitant aumieux la variabilité que nous avons mise en évidence chez lesdifférentes espèces, et en utilisant la liaison quasi linéaire quiexiste chez les graminées entre rendement en matière sèche etfertilisation azotée. Là, il n’était plus question de légumineusesfourragères ; ce qui ne me plaisait pas trop car j’ai sans relâ-che défendu ces dernières et notamment les associations légu-mineuses-graminées. J’ai toujours été convaincu que ces asso-ciations légumineuses-graminées pouvaient être une bienmeilleure alternative aux graminées pures avec azote. Tout lemonde s’y retrouve : l’agriculteur, l’environnement et même lesruminants. Je m’étais d’ailleurs rendu en Bretagne, avec AndréCauderon et 4-5 autres, chez André Pochon qui a mis en pra-tique ce système avec succès et l’a toujours défendu jusqu’àaujourd’hui.Mais il m’a fallu courber l’échine en attendant que ça sepasse... J’étais aussi un ambassadeur des plantes fourragèresen général dans la région centre est. Les relations avec l’exté-

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Le prieuré aujourd’hui.

Photos :©INRA

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rieur, praticiens ou techniciens agricoles qui commençaient àse mettre en place un peu dans cette période, n’étaient pas tel-lement basées sur le trèfle. Il fallait participer à des réunions, àdes choses comme cela. Ce qui obligeait à garder une ouver-ture assez grande et qui, peut-être, m’empêchait un peu d’ap-profondir, autant que je l’aurais voulu, les recherches sur le trè-fle et la féverole. Il est vrai qu’il y a encore une trentaine d’an-née, mon ami Jean-Claude Sabin, président de l’UNIP 10 etagriculteur président de la coopérative de Lavaur dans le Tarn,ne savait pas que les légumineuses fixaient l’azote de l’air etdonc qu’il économisait de l’azote en les cultivant...Les possibilités de recrutement de techniciens étaient plus faci-les que ce qu’elles sont devenues par la suite et petit à petit,j’ai eu avec moi, deux techniciens, Claude Sigwalt en 1955 etRené Pelletier peu après. Puis en 1962, un assistant de recher-che et une technicienne qui se sont trouvé rapatriés d’Algérie,Jean et Nicole Berthaut. Cela a aidé un peu. C’était une pério-de où il y avait un fort recrutement.

Mais le maïs fourrage n’est-il pas une belle réussite de l’in-tensification de la production fourragère ?

C’est vrai, le maïs fourrage est une réussite mais avec des limi-tes climatiques quand même. Il ne convient pas non plus à tou-tes les exploitations selon leur situation économique car le maïsfourrage demande un équipement coûteux ou bien de faireappel à une CUMA 11 s’il en existe une équipée à proximité.De plus, la conservation du maïs fourrage sous forme d’ensila-ge ne convient pas partout. Le maïs fourrage c’est une espèceà part, l’homme a bien su l’adapter à ses besoins. C’est uneespèce importante mais ce n’est pas la seule. C’est ce que jereproche : tout a été misé sur le maïs au détriment des autresespèces fourragères et notamment des légumineuses, y comprispar les instituts techniques comme l’ITCF 12 et l’ITEB 13.

Où se décidaient les orientations en matière de recherche sur les plantes fourragères à l’INRA ?

Il n’y avait pas de fortes pressions de la direction dans cedomaine. Les discussions avaient lieu dans les groupes de travail, essentiellement entre les chercheurs du départementde Génétique et d’Amélioration des Plantes et les zootechni-ciens de l’INRA : Robert Jarrige, Guy Fauconneau, Jean-LouisTisserand... André Cauderon, chef du département deGénétique et d’Amélioration des Plantes, n’y participait pasdirectement mais il était tenu bien informé par Marcel Niqueuxqui a développé un programme de sélection sur la fétuque éle-vée à Clermont-Ferrand. André Cauderon avait travaillé àClermont-Ferrand sur le maïs et la fétuque élevée avec MarcelNiqueux. Nous avions une liberté totale dans nos choix scien-tifiques. Le seul objectif était d’augmenter la production four-ragère. Il y avait quelques pistes mais pas de doctrine prédé-terminée. Jacques Poly venait presque toujours aux réunionssur les protéagineux.

En 1963, vous devenez directeur de la station d’amélioration des plantes ?

En 1963, je suis maître de recherche depuis trois ans et je suisnommé Directeur de la station d’amélioration des plantes en

remplacement de monsieur Georges Méneret. Nous étionsencore peu nombreux dans la station, cela n’a guère évolué. Ily avait une unité céréales qui était composée de Jean Koller etde Roger de Larambergue et une unité plantes fourragèresavec Jean Berthaut et moi. Nous étions quatre scientifiques,c’était tout. L’année suivante, en 1964, à la suite de la décisionde décentraliser Versailles en partie à Dijon, nous est envoyé lelaboratoire “mutagenèse” avec Paul Dommergues.Arrive éga-lement André Vincent. Il était à l’origine sélectionneur blé et ilavait viré vers des approches physiologiques qui n’ont jamaisété très fructueuses. Il est resté de ce fait tout seul ou presque.En 1964, nous avons commencé à réfléchir tous ensemble,à ce que pourrait devenir la station. Claude Martin était déjàarrivé en provenance de Toulouse pour monter la station de physiologie végétale. J’ai fait construire les préfabriquéspour remplacer le prieuré qui avait brûlé quelques mois avantet héberger la station en attendant les bâtiments en dur. Nousavons élaboré les plans de ce que pourrait devenir le centre de Dijon. L’emplacement a beaucoup été discuté, entreBretenières-Époisses et Dijon-ville. Nous avons même prospec-té pour trouver une autre implantation dans la couronne dijonnaise pour abriter la technologie et la pathologie végéta-

10 UNIP : Union nationale interprofessionnelle des protéagineux.

11 CUMA : coopérative d’utilisation de matériel agricole.

12 ITCF : institut technique des céréales et des fourrages,devenu aujourd’hui ARVALIS Institut du végétal.

13 ITEB : institut technique de l’élevage bovin, devenu aujourd’hui Institut de l’élevage.

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Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �

Récolte du houblon, 1965.

Jean Picard fait visiter les serres du domaine d’Époisses, 1970.

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le mais sans succès. Bien sûr, pour moi c’était assez clair quecela devrait être à Époisses parce qu’il y avait le domaine de140 ha qui était essentiel à nos activités d’expérimentation.Paul Dommergues a tout à fait accepté cette idée, ClaudeMartin assez vite. Malheureusement le bâtiment de la stationd’agronomie à Dijon avait été inauguré par Edgard Pisani enseptembre 1962. Ce qui faisait déjà un point d’ancrage surDijon-ville. Compte tenu de notre position, le centre s’est retro-uvé implanté sur deux sites distants de douze kilomètres, cequi n’a jamais été très avantageux.Cette période 1962-67 s’est passée dans des conditions assezépouvantables car en plus de l’incendie du prieuré et de lanouvelle station à bâtir, le gérant du domaine d’Époisses,

Xavier Garambois, est parti à Montpellier et n’a pas été rem-placé. Armand Tatu, un technicien de catégorie 2B -à qui jerends hommage- s’est vraiment démené pour m’aider à fairetourner le domaine en attendant que je recrute Jean-PierreBlanchon en 1967. Pour recruter ce dernier, Raymond Février,directeur de l’INRA, m’avait promis un poste 2A mais il n’a paspu le faire avant un an ou deux et Jean-Pierre Blanchon aaccepté d’être payé en ingénieur 3A en attendant. C’est destrucs pour joueurs de bridge...Et puis il y a un autre événement singulier en 1962 : l’écrase-ment d’un avion militaire sur le domaine, à moins de 50 mè-tres des bâtiments, vers la houblonnière. C’était l’un des pre-miers Mirage III de la base aérienne de Longvic. C’était à miditrente, tout le monde était à la cantine et moi-même je déjeu-nais avec ma famille dans mon logement de fonction tout àcôté.Tout à coup, nous avons vu passer une ombre puis enten-du un bruit mais les gens à la cantine ne se sont aperçus derien. Je sors et je vois l’avion planté au bord du bois et un typequi s’avance vers moi. Je lui demande s’il était dans l’avion. Ilme répond : Ah oui. Est-ce que je peux téléphoner à la base ?car personne ne s’en était aperçu à la base aérienne. Tout desuite après les militaires ont rappliqué avec les sirènes et ontgardé l’avion, arme à l’épaule jour et nuit. Secret militaire.L’avion s’était écrasé dans un essai de pâture de luzerne avecmoutons. Tout l’essai était foutu mais pas un mouton n’avaitsouffert. Nous avons présenté une note salée aux militairesmais ridicule par rapport à la valeur de l’avion. Pierre Guy pour-ra vous en dire plus car il faisait son service militaire à la baseà ce moment-là.

Quelles étaient les recherches menées par vos collègues dans votre station ?

Je ne souhaite pas en parler par honnêteté intellectuelle. Celane m’appartient pas. En tant que directeur de la station, j’étaistenu au courant, bien évidemment, mais je n’étais pas l’insti-gateur des programmes de recherche de mes collègues, mêmesi parfois je devais faire des arbitrages financiers.

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Jean Picard entre Madeleine et Max Rives, chef du département GAP.

Ancienne source au colbat -60, 1966.

Photos :©INRA

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Qui a pris la décision de construire les nouveaux locaux de l’amélioration des plantes sur le domaine d’Époisses ?

Je dois dire que Jean Bustarret sentimentalement souhaitaitassez fort que ce soit Époisses. Il avait par rapport à Dijon et àÉpoisses, des souvenirs très marqués. Je rappelle qu’il avait diri-gé la station de recherche PLM d’Époisses avant son achat parl’INRA. Personnellement je l’ai retrouvé plusieurs fois à Dijon enplusieurs circonstances, par exemple dans des réunions dedirecteurs, et ce n’était pas le même homme. À Dijon, il s’expri-mait et se sentait chez lui. L’existence même du domaine expé-rimental était un élément qui était déterminant. C’était la rai-son numéro un. Pour nos activités de recherche, il nous fallaitdes terrains. Par exemple, Paul Dommergues avait un program-me important de mutagenèse sur arbre -qui s’est assez rapide-ment réduit- mais qui nécessitait beaucoup de terrain pourobserver les plantes sorties de l’irradiateur au cobalt 60.L’extension de Dijon-ville en terrain, c’était quelque chose quiétait difficilement envisageable. Quand on avait 140 hectaresd’un côté et de l’autre côté quelques hectares, nous avons tran-ché et cela a conduit à l’éclatement du centre. Ce qui n’est pasune catastrophe. Les gens de Dijon-ville, par contre, ont priscomme argument la proximité de l’université de l’autre côté de la rue Sully. Nous l’avions intégré dans notre réflexion mais nous n’avions pas considéré qu’il pesait assez lourd. À l’époque, l’aspect financier n’était pas primordial. Pour notrepart, nous cherchions à avoir le plus possible de moyens de tra-vail pour la somme qui nous était allouée, tout en nous battantpour l’augmentation de celle-ci. Acquérir des hectares à Dijon-ville aurait pénalisé une partie de nos plans.

La question de la localisation ne cachait-elle pas, en fait, un conflit entre les départements d’Agronomie et d’Amélioration des Plantes ?

Répondre non, serait trop catégorique. Comme dans beaucoupde choses, ce n’est pas toujours noir ou blanc ; il y a beaucoupde choses qui sont plus ou moins grises. Mais pas tellementquand même. Il y avait des collaborations entre l’agronomie et

l’amélioration des plantes. Elles se sont encore bien plus déve-loppées après. L’agronomie avait besoin d’un peu de terrain.Après ils ont profité de l’existence d’Époisses. Nous serionsallés à Dijon-ville, ils ne s’en seraient pas plaints, loin de là,mais dans les faits ils profitaient bien des terrains d’Époisses.Je ne regrette pas cette décision d’installer l’amélioration desplantes à Époisses. Déjà dans ce temps-là et encore plusaujourd’hui, la distance géographique n’est pas à prendre encompte. De toute façon, une station se développe et végèteplus ou moins après, en fonction des hommes qui y sont. Onn’enlèvera jamais de nulle part le poids que peut représenterl’individu et la personnalité de chacun.

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Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �

Bâtiment d’agronomie rue Sully à Dijon, 1970.

Crash du mirage en 1962 au domaine d’Époisses.Au premier plan la houblonnière.

Photos :©INRA

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas, D. Poupardin et J.L. Dufour

Comment ont évolué les problématiques de recherche sur le trèfle et la féverole ?

Sur le trèfle violet, nous avons opté pour la tétraploïdie, qui per-mettait d’améliorer le rendement, la pérennité, la résistanceaux maladies, mais obligeait de s’attaquer à un problèmeconsidérable, celui de la production de semences. Il aurait étéintéressant de s’attaquer à la météorisation chez le trèfle violetmais les bases scientifiques manquaient pour aborder ce sujet.Sur la féverole, nous avons commencé d’abord par essayer debien connaître ce qu’était le mode de reproduction de cetteplante car Vicia faba était surtout appréciée pour l’étudecaryologique de ses chromosomes. Connaître le mode dereproduction constitue en effet l’une des bases nécessairespour définir une méthode de sélection. Nous avons étudié lagénétique de certains caractères simples. C’était autant pours’amuser que pour trouver des marqueurs. Nous avons essayéde développer l’utilisation de la vigueur hybride qui était miseen évidence chez cette espèce allogame. Pour cela nous avonsrecherché des stérilités mâles pour pouvoir faire des variétéshybrides. Nous avons utilisé une stérilité mâle qui est cytoplas-mique et qui nous venait d’Angleterre. Nous en avons cherchéd’autres et cela s’est soldé par un échec, car la stérilité mâlen’était pas aussi fiable que nous l’aurions souhaité. Nousavons perdu beaucoup de temps à maîtriser la stérilité mâle dela féverole et pendant ce temps-là les variétés de populationsbénéficiaient des méthodes de sélection classiques et obte-naient de meilleurs résultats que nos hybrides. Si nous avionssu maîtriser la stérilité mâle de la féverole plus rapidement,nous aurions pu faire des hybrides performants. Dans le mêmetemps, nous avons essayé de déterminer la valeur d’utilisationde cette espèce dans l’alimentation animale et de définir desobjectifs sur le plan qualitatif.

Était-ce des travaux d’expérimentation ou des travaux de laboratoire ?

Les deux en fait. Nous avions des pépinières et des essais sur ledomaine d’Époisses pour observer notre matériel, le décrire etl’évaluer. Mais également nous commencions à développer desanalyses de teneur en protéine pour passer plus tard à des pro-blèmes de tanin, de vicine et de convicine qui limitaient lavaleur d’utilisation de la féverole. Pour l’étude de la stérilitémâle, nous recherchions des marqueurs cytoplasmiques. C’estce que nous avons fait jusqu’en 1975. Cela peut donner un peul’impression d’un ensemble de bricolages. Nous faisions flèchede tout bois, nous cherchions dans 36 directions. Nous étionsencore des généralistes, qui sont une espèce en voie de dispa-rition mais nous étions encore obligatoirement des généralistes.Nous étions amenés à avoir des contacts avec nos collègueszootechniciens, Robert Jarrige, Camille Demarquilly, GuyFauconneau par exemple. Par la suite, Guy Fauconneau s’estretiré dans un autre secteur alors que Robert Jarrige est tou-jours resté dans l’alimentation des ruminants. Nous parlionsavec eux de conservation des fourrages mais également dechoses diverses qui n’avaient pas de lien ni immédiat ni très évi-dent pour la profession. Je me souviens par exemple des bagar-res avec l’ITCF sur la conservation des fourrages. À l’INRA nousdéfendions l’utilisation du séchage naturel au champ, complé-té par un séchage en grange qui permettait de conserver unebonne qualité du fourrage. L’ITCF prônait la déshydratation desfourrages à l’échelle agricole alors qu’il était patent pour toutle monde que l’énergie solaire était gratuite même dans cetemps-là où le pétrole ne valait rien. Bien sûr le séchage engrange nécessite une source extérieure d’énergie mais on reti-rait infiniment moins d’eau que par déshydratation donc çaconsommait beaucoup moins de pétrole. Il faut savoir que ceproblème de conservation des fourrages est important car, avecles intempéries, il peut y avoir beaucoup de perte au champpour le foin jusqu’à perte totale. Je me souviens d’un exemplefrappant qui s’est déroulé sous mes yeux à Issoudun avec unchamp de luzerne coupé vers le 15-20 mai qui a pourri surplace et qui a empêché la repousse suivante. Mais l’ITCF n’arien voulu entendre, tout au moins son directeur de l’époque,même quand nous leur faisions la démonstration comme audomaine d’Époisses où j’avais fait installer un système deséchage en grange. Lors d’une réunion à Longvic avec l’ITCF,j’avais même fait apporter des bottes de foin séché du domai-ne, mais pour eux l’arme absolue était le pétrole. Le séchage engrange s’est développé un peu quand on a su utiliser un systè-me de récupération de la chaleur sous le toit. On y revient tou-jours de temps en temps, c’est toujours d’actualité.

Quand vous parlez de généralistes, n’était-ce pas essentiellement lié à la nécessité de faire un état des lieux car beaucoup de sujets pouvaient être lancés ?

Le sélectionneur doit toujours choisir. Il choisit le sujet de tra-vail, les méthodes de travail, le matériel végétal. Il est obligé dechoisir et de déléguer. Dans un programme de sélection avecun objectif précis, il élimine ce qui ne correspond pas à cetobjectif. Il pourrait y avoir une quasi infinité de sujets de recher-che. Il faut faire avec les moyens que l’on a, il faut équilibrer

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Visite de Morley Young (Université du Manitoba, Canada) dans les parcelles de féveroles du domained’Époisses avec Jean Picard et Gérard Duc,avril 1985.

Photo :©INRA

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avec les demandes de l’extérieur, à travers les discussions avecles collègues.

Parmi les éléments qui vous ont permis de vous orienter, lesquels ont été décisifs ? Y a-t-il eu des incitations venant de la direction ? De la profession ?

C’est sûr qu’il y a toujours eu un nombre d’interactions consi-dérable. Pour répondre à la première partie de votre question,il n’y a jamais eu un ordre en provenance de la direction. Nousavons eu des discussions à travers des réunions de groupes detravail. Des groupes de travail se sont créés, plantes fourragè-res ou protéagineux plus tard aussi, mais plantes fourragèresassez rapidement. Il y a eu des discussions à cette occasion.Mayer était présent à la plupart des réunions de ce groupe. Lesdiscussions ont été libres et parfois vives mais je pense que desordres, il n’y en a jamais eus. Un tout petit cadrage, de tempsen temps. Je me suis entendu dire à un moment donné, à l’oc-casion d’un concours, que mes activités étaient trop pratiques,et à l’occasion d’un autre, que mes activités étaient trop théo-riques. Mais c’est encourageant. C’était le genre de remarquequ’on pouvait trouver mais pas des ordres. De mon point devue, sur beaucoup de sujets, le plus à même de juger de la vali-dité d’une activité de recherche, c’est le chercheur lui-même.Que quelqu’un intervienne après pour dire que ce programmene correspond pas aux objectifs globaux de la maison, d’ac-cord. Mais un chercheur sait à peu près ce qu’il doit faire s’iln’est pas un trop mauvais chercheur.

Est-ce par goût personnel que vous avez choisi d’étudier la tétraploïdisation du trèfle ?

Pas tout à fait, dans la mesure où Yves Demarly, qui travaillaitsur la luzerne à Lusignan, avait développé des idées un peunouvelles sur les problèmes liés à l’hérédité chez les autopoly-ploïdes et où il y avait quelques publications américaines,notamment celles de Myers de Saint Paul (Minnesota). Il y avaiteu des débuts d’applications chez le trèfle, en Suède, à partirde 1939 ou 1940. Le problème était de créer des variétés tétra-ploïdes de trèfle violet, parce que cela améliore les performan-ces agronomiques, mais en maintenant une production desemences acceptable. Cela représente un réel potentiel, d’ex-primer la polyploïdie en valeur de production chez une espècediploïde, avec un challenge important qui était celui de remon-ter le niveau de production de semences. Aujourd’hui, noussommes capables de fabriquer les meilleures variétés avec destétraploïdes mais dans la pratique agricole, pendant longtempsencore, il faudra passer par la semence. Si le meilleur fourragene produit pas de semences ou pas assez, il sera toujours péna-lisé. Il y avait un challenge intéressant à relever.C’est à Dijon dans les années 60 que nous avons mis au point,avec Jean Berthaut et Daniel Maizonnier, une méthode detétraploïdisation au protoxyde d’azote pour le trèfle mais qui aégalement été utilisée pour d’autres espèces comme la bette-rave. Nous avons fait construire une énorme “marmite” danslaquelle les plantes sont placées après pollinisation sous pres-sion de protoxyde d’azote qui s’appelle également gaz hila-rant. Les semences qu’on récolte sur ces plantes sont à 90% 119

Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �

Réunion de travail sur la mutagenèse du pétunia à l’INRA de Bretenières, 1970. De gauche à droite : Yves Demarly, Jean Picard, André Vincent, Dr. Forssati - Euratom (Suisse) et Dr Bezzini (Italie).

Jean Picard devant la marmite à trèfle installée dans les petites serres d’Époisses, octobre 1973.

Installation de séchage en grange au domaine d’Époisses, 1965-67.

Plant de féverole en début de floraison.

Photo :©INRA - Thierry Doré

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas, D. Poupardin et J.L. Dufour

entièrement tétraploïdes ; ce qui est un bien meilleur résultatqu’avec les méthodes classiques à la colchicine avec lesquelleson obtient souvent des chimères mixoploïdes. Ça n’a guère étérepris par nos collègues étrangers qui se sont toujours conten-tés des doublements à la colchicine quand ils faisaient destétraploïdes ; sans doute pour des problèmes de langue car lapublication était en français 14 ; je ne sais pas trop bien.

Vos travaux intéressaient-ils vos collègues en dehors de Dijon ?

Ces recherches s’inséraient dans un ensemble un peu plusvaste que Dijon bien sûr. J’ai cité le groupe de travail “fourra-ges”. Dans les années 1960-80, les fourrages étaient devenusun thème très important à l’INRA. En fait cela dépassait l’amé-lioration des plantes ; il s’agissait d’un ensemble intégré derecherches pour la production fourragère avec méthodes desélection, de conservation, d’exploitation, avec troupeauxexpérimentaux adaptés. En 1962, l’INRA a créé la station d’amélioration des plantes fourragères de Lusignan. Les con-tacts entre eux et nous étaient assez suivis, assez étroits. À lacréation de cette station, c’est Yves Demarly qui en avait prisla direction et quand il est venu à Orsay définitivement dansles années 70, il a été remplacé par Paul Mansat et ensuiteCharles Poisson. La succession de Paul Mansat m’a été offerteet je ne l’ai pas prise. Robert Mayer avait été assez chic de cepoint de vue. Parce que de toute façon, Lusignan était à centvingt kilomètres de mes bases, je me rapprochais donc de chezmoi dans l’Indre. Il pensait sincèrement que je pouvais êtreintéressé, il ne s’était pas senti le droit de mettre quelqu’und’autre sans m’en parler. C’est d’ailleurs autant des raisonspersonnelles que d’autres raisons qui m’ont fait refuser. C’étaità une époque où mon épouse était déjà très malade et je n’avais pas envie de déménager. Plus tard, au début desannées 1980, Poisson m’a écrit pour me demander de mettrele programme trèfle violet à Lusignan. Ma réponse ne s’est pasfait attendre par une lettre à Jacques Poly qui m’a donné rai-son, et le trèfle violet est resté à Dijon.

Les pays voisins suivaient-ils les mêmes stratégies scientifiques ?

Partiellement oui, les problèmes ne sont pas rigoureusementles mêmes et ne sont pas tout à fait non plus vus de la mêmefaçon par des individus différents. Il y avait aussi un certainnombre de points communs. Même si les objectifs ne sont pasidentiques, les méthodes peuvent avoir beaucoup de points encommun.

La génétique animale et la génétique végétale n’ont-elles pas eu des rapports très limités ?

C’est vrai. Elles avaient des approches quand même assez différentes, de toute façon, et de ce fait, des méthodes assezdifférentes, même si la base au niveau de l’ADN est la même.Mes collègues en génétique animale ne faisaient que de lagénétique quantitative, avec des contraintes quand même,tout à fait particulières : des animaux in situ pour contrôler lesfacteurs extérieurs. L’amélioration des plantes essayait de

mesurer des interactions génotype X milieu à travers des essaismultilocaux. En un lieu donné, elle s’efforçait d’avoir toujoursle milieu le plus homogène possible. C’étaient des approchestout de même assez fondamentalement différentes. Il y a eudes rapprochements depuis, un peu dans la mesure où l’amé-lioration des plantes a développé pas mal aussi la génétiquequantitative, mais c’est toujours dans des conditions différen-tes de la génétique animale, malgré tout.

De quelle manière avez-vous géré le problème de la préservation et du stockage des donnéesdans votre secteur où l’aspect observation et notation est extrêmement important ?

Dans ce domaine, le problème le plus important à mon avis,c’est de laisser trace des travaux qui n’ont pas donné lieu àpublication parce que l’on considère que les résultats ne sontpas publiables. Par exemple, le chercheur s’est fait une idée dece que serait le résultat attendu et puis le résultat n’est pasconforme. Ou alors le protocole a varié en cours de route, iln’est plus assez rigoureux pour une publication. On a toujoursdes tas de raisons pour ne pas publier des résultats qui vontrester dans les cartons. Il se passe que quelque part ailleurs, unjour un chercheur refait les mêmes manips et s’il en avait euconnaissance, il en aurait fait l’économie. Même si vous gardezun cahier de laboratoire avec un certain nombre d’apprécia-tions, il sera gardé chez vous. Il faudrait le mettre à dispositiondes chercheurs et à la limite, lancer une publication des résul-tats négatifs. C’est un des sujets qui m’a toujours un peu tur-lupiné. Qu’est-ce que l’on publie ? Vous n’allez pas publierdans Nature ou dans Science vos échecs. Peut-être que lespublications papier, il faut les laisser simplement pour desrésultats transcendants pour les gens qui veulent entrer encompétition pour le prix Nobel. Ce ne serait pas idiot de fairequelque part un recueil de résultats négatifs, qu’il ne faudraitd’ailleurs pas appeler négatifs. On pourrait peut-être soumet-tre ce recueil à une commission. Pourquoi ne pas aussi lesprendre un peu en compte dans l’évaluation et la carrière d’unchercheur ? S’il n’a pas fait de bêtises dans ses manips, s’il n’apas posé des questions saugrenues, ce n’est pas forcément desa faute si le résultat n’est pas bon et ne donne pas lieu àpublication dans le cadre actuel.

Existait-il des dispositifs pour la conservation du matériel génétique ?

Pour moi, cela devient presque le sujet numéro un dans ledépartement Amélioration des Plantes, par rapport à celui dontnous venons de parler. Cela a été pendant longtemps complè-tement négligé ; apparemment, c’est en train de s’organiser pastrop mal. Au plan international, c’est l’IBPGR 15 qui s’en occu-pe. C’est un organisme qui dépend de la FAO 16. Ils définissentdes organismes chargés de maintenir ces ressources génétiquesavec des garanties pour cette conservation. Par exemple, unebanque longue durée au congélateur, de petites quantités avecdoublure en deux lieux, avec précaution d’usage. La France doitavoir la responsabilité d’un certain nombre d’espèces :Medicago, Vicia faba... Pour les plantes fourragères, il y a eu unretard par rapport aux espèces majeures, presque obligatoire-ment, mais c’est en train de bien se mettre en place.

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14 Berthaut J., 1968.L’emploi du protoxyde d’azote N2O dans la création de variétés autotétraploïdes chez le Trèfle Violet(Trifolium pratense L.). Annalesd’Amélioration des Plantes, 18 (4),381-390.

15 IBPGR : International Board for Plant Genetic Resources.

16 FAO : Food and AgricultureOrganization.

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Comment faisiez-vous pour concilier vos activités de recherche avec celles de bâtisseur du centre de Dijon ?

Il faut gérer. Vous avez les pieds dans l’étrier et il ne faut pastomber de cheval. C’est sûr que quand il s’agissait de construi-re le centre, être administrateur n’était pas toujours facile. En1963, Georges Méneret a pris sa retraite. Le jour où il arrosaitson départ, le samedi 2 mars 1963, il avait invité le directeurgénéral de l’INRA, Jean Bustarret, et son chef des affairesfinancières, Marc Ridet, et ils ont été accueillis par un grand feude joie qui a consisté à ce qu’un plombier mette le feu dans lescombles du bâtiment du prieuré du domaine d’Époisses quiservaient de logement. Marc Ridet et Jean Bustarret sont arri-vés pour jeter quelques seaux d’eau et voir brûler la stationd’amélioration des plantes ! Et c’était le jour où je prenais mesfonctions de directeur de la station. C’est quelque chose quim’a marqué.Le développement de la station était déjà décidé à ce moment-là, mais cela a conduit à ce qu’on construise des bâtimentspréfabriqués pour abriter les labos et les bureaux qui ont sur-vécu jusqu’à ce jour. L’un d’entre eux abrite toujours le centreaéré 17 que j’ai mis en place avec l’amicale des personnels vers1959, car de nombreuses familles logeaient au domaine et il yavait beaucoup d’enfants.Au départ, le centre aéré était instal-lé dans le sous-sol de l’ancien logement de Jean Bustarret.Nous avons embauché un jeune de vingt ans, sympa etdégourdi. Un technicien de Jean Koller m’a donné un coup demain pour la gestion. De 1964 à 1968, les nouveaux bâti-ments d’Époisses A et B ont été construits vers la route, à unkilomètre de là avec des serres et la source au cobalt 60 a étéinstallée en 1966. L’amélioration des plantes a quitté ses pré-fabriqués pour s’y installer en janvier 1969, après la physiopa-thologie végétale. Nous avons fait le choix de ne pas construi-re les nouveaux bâtiments vers la ferme à cause du bruit desavions de la base aérienne militaire de Longvic. Il a donc fallus’équiper de quelques vélos (ce qui ne se faisait pas) et le jus-tifier auprès de l’agent comptable qui me demandait pourquoij’achetais des vélos ; ce à quoi j’ai répondu “parce que j’en ai

besoin”, en habillant un peu bien sûr. Peu après, je me sou-viens d’un coup de fil d’André Cauderon, directeur de la sta-tion de Clermont-Ferrand, qui me demandait comment j’avaisfait pour acheter des vélos, parce que lui aussi en avait besoin.

Comment se faisaient les recrutements de techniciens ? Était-ce des personnes venant de Bretenières ?

Certains techniciens étaient de Bretenières et d’autres sontvenus s’y installer. Il y a eu l’héritage aussi de la société PLM.Ce n’était pas des techniciens avec le type de profil habituel àl’INRA. C’est sûr que c’était des gens qui n’avaient aucundiplôme. Encore que certains ont bien évolué. Il y avait parmiceux-là, quelqu’un comme Stanislas Gora par exemple. À monarrivée, il était ouvrier agricole et binait les betteraves, puis ilest passé agent technique 5B et il a fini technicien de la recher-

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Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �

L’incendie du prieuré du domaine d’Époisses, 1963.

Construction des nouveaux laboratoires, 1964.

17 Le centre aéré de l’INRA de Bretenières a fermé définitivementen février 2009.

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas, D. Poupardin et J.L. Dufour

che avec des responsabilités en expérimentation. Il y a eu aussides apports de techniciens avec l’arrivée des équipes deVersailles. Puis il y a eu des recrutements. Le programme muta-génèse était financé par ce qui s’appelait à l’époque Euratom18. Ils avaient des moyens qui étaient hors INRA, qui ont per-mis d’acquérir des équipements. Par exemple la salle d’irradia-tion avec la bombe au cobalt a été payée par Euratom. Deuxingénieurs agronomes de Gembloux en Belgique ont été finan-cés également par Euratom qui les mettait à la disposition dela station, Jacques Gillot et Marc Dalebroux, spécialisés engénétique quantitative. Ensuite leurs postes ont été repris parl’INRA. Jacques Gillot a terminé sa carrière à Bruxelles à la DGVI 19. Marc Dalebroux est resté à Dijon jusqu’à sa retraiteayant en charge des activités extérieures à l’INRA. Des postesde techniciens étaient également financés par Euratom.

Une diminution du nombre des techniciens risque-t-elle d’avoir des répercussions sur la qualité, la nature même des recherches faites en matière d’amélioration des plantes ?

Si l’on parle de recherche appliquée ou d’application de larecherche, oui. Si l’on parle de recherche fondamentale, déjànettement moins. Parce qu’une femme de ménage se trouvefacilement et peut laver des éprouvettes, encore qu’il y ait desmachines. Les manipulations pour la recherche appliquée sontquand même le fait de gens compétents dans des techniquesparticulières. Cela dépend jusqu’où l’on va dans le domainetechnique, si l’on met à part les ingénieurs.

Avez-vous donné à vos travaux une dimension internationaleavec des retombées pour les pays du tiers-monde, par exemple ?

Un tout petit peu en matière de féverole, dans la mesure oùnous avions rencontré des responsables des programmesICARDA 20 et échangé du matériel végétal. Des séjours dansles pays en voie de développement, j’en ai fait un peu après laretraite. Un mois au Maroc pour le compte de la BanqueMondiale, et puis j’ai participé à la revue quinquennale des tra-vaux de l’ICARDA. C’est à ce moment-là que ce type de pré-occupation est arrivé.Peu après ma retraite, en 1990, j’ai effectué une mission enAlgérie d’une semaine avec mon collègue Robert Jarrige, sur la

recherche algérienne. J’ai remplacé au pied levé Paul Mansat.Lors de la dernière réunion en Algérie, Robert Jarrige, qui avaitoublié ses médicaments pour ses problèmes cardiaques etn’en avait parlé à personne, est mort sur mon épaule. C’est undrôle de souvenir... Je suis resté 24h de plus pour faire lesdémarches. Cela m’a marqué.

Au cours de votre carrière, avez-vous été amené à jouer un rôle d’expert ?

Non, il n’y avait pas beaucoup d’occasions, surtout dans ledomaine qui était le mien. Il n’y a pas eu de sollicitation.

Les sélectionneurs privés ne vous demandaient pas conseil ?

Des conseils, oui, mais des conseils gratuits. Même du maté-riel. Parfois un soupçon de conflit parce que, quand il n’y avaitpas la méthode, des fois les poils se mettaient un tout petit peuà rebours. C’était tout à fait passager.

Avez-vous eu d’autres responsabilités au niveau du centre,de votre département de recherche, de l’INRA ?

Je deviens directeur de recherche en 1966 et membre nommédu Conseil scientifique du département d’Amélioration desPlantes à sa création, après 1968. Administrateur, c’était unpeu après. À partir de 1964, la construction du centre est en-treprise. À Époisses, je dirais que j’ai fait fonction d’administra-teur par rapport à certains problèmes mais totalement en rela-tion avec Paul Dommergues et Claude Martin. La directiongénérale n’a pas voulu de moi tout de suite. Il y a eu JeanLouvet. Après cela, je n’ai pas voulu prendre sa suite en réac-tion au refus par la direction générale de ma première deman-de. J’ai laissé passer Pierre Dupuy et j’ai été administrateuraprès lui et avant Pierre Bidan. J’ai fait mes quatre ans de 1971à 1975 avec Robert Divoux puis avec Pierre Darde commesecrétaires généraux. Ensuite j’ai été administrateur-adjointpendant 3 ans. À l’époque, les administrateurs de centre n’étaient pas encore présidents (le titre n’est apparu qu’après).C’était une charge qui était probablement un peu moins lour-de que celle de président aujourd’hui. Cette fonction n’étaitpas toujours ni très intéressante ni vraiment gratifiante dans lamesure où on était un peu pris entre l’arbre et l’écorce. Il y avaitla direction ; si elle n’était pas très exigeante vis-à-vis des cher-

122

18 Euratom ou Communauté européenne de l’énergie atomique(CEEA) a été institué par les traités de Rome en 1957 pour coordonner les programmes de recherche européens sur l’énergie nucléaire.

19 DG VI : direction générale de la commission européenne chargée de l’agriculture.

20 ICARDA : centre international de recherche agronomique pour les pays arides.

Visite de Bernard Pons (secrétaire d’Étatà l’Agriculture), au premier plan,

au centre INRA de Dijon en 1969.On aperçoit derrière lui, Jean Picard

(administrateur du centre),Claude Martin et Jacques Poly.

Photo :©INRA

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21 DPE : direction de la production et des échanges du ministère de l’Agriculture, qui dirige le bureaudes semences qui contrôle lui-même le CTPS.

cheurs sur le plan des programmes, elle l’était davantage sur leplan des résultats et des orientations ; elle était quand mêmede plus en plus attentive au respect des règles administratives.Elle était même de plus en plus attentive.

À un certain moment, a-t-il été question pour vous de devenir chef du département ?

Non. Ce n’est pas un regret. Cela n’a jamais été mon ambition.Mon ambition s’est limitée aux cieux de Dijon, dans ce domaine.J’ai eu d’autres responsabilités. À l’INRA, je me suis retrouvéélu au conseil scientifique national. J’ai fait un mandat. Je n’endirai rien, parce que cela ne servait à rien. Cela ne servait qu’àentériner des décisions qui étaient prises ailleurs. De toutefaçon, il ne pouvait en être autrement. Dans l’ensemble duconseil scientifique, quelles que soient les raisons pour lesquel-les les gens sont là (personnalités extérieures ou membres del’INRA ou représentants syndicaux...) il y a, à tout casser, uneou deux personnes, parfois pas du tout, parfois peut-être qua-tre, qui sont capables de prendre la parole en connaissance decause sur les sujets de l’ordre du jour. On ne peut pas espérerun débat positif, constructif, efficace ; de plus, le temps man-quait souvent. J’ai eu le plaisir d’être invité par Joël Le Guen audernier conseil scientifique de l’INRA qui se tenait sur les pro-téagineux à Lille. Des sujets comme cela, sur une filière,seraient probablement mieux traités et évoqués dans un grou-pe à part, un groupe ad hoc. J’ai également eu la présidencede la section “plantes fourragères” du CTPS dont j’ai démis-sionné, ce dont je tire gloire.

Pourriez-vous préciser les raisons pour lesquelles vous aviez démissionné du CTPS ?

C’est un peu anecdotique mais un peu plus que cela quandmême. J’étais président de la section du CTPS “plantes fourra-gères et à gazon”. C’est une section qui avait été animée etcréée à l’origine par Léon Der Katchadourian, inspecteur géné-ral, agronome et directeur de l’ENSA Grignon et qui était l’undes pionniers de la production fourragère en France. Son héri-tage avait été repris par Jean Rebischung et quand celui-ci aété dans l’incapacité de continuer cette présidence avant sondécès, c’est moi qui ai pris sa place en 1980. Un beau jour, en1985, les membres de la section “fourrages” du CTPS devaientêtre nommés. Avec Michel Simon, secrétaire général du CTPS,nous avions peaufiné notre affaire. J’avais essayé de fairequelque chose qui tenait bien la route, qui était bien bâti pourreprésenter les différentes catégories de la profession, sélec-tionneurs, agriculteurs, les différentes personnalités. J’avais faitun truc qui paraissait carré, quelque chose d’efficace. QuandHenri Nallet écrit à la DPE 21, qu’il fallait faire une place pourune certaine personne que je connaissais... Henri Nallet était àl’Élysée à ce moment-là, conseiller sur les questions agricolesauprès de François Mitterrand. Je connaissais fort bien cettepersonne qu’il nous proposait : Philippe Desbrosses, agricul-teur à Millançay en Sologne. Celui-ci faisait un lobbying trèsactif jusqu’à Bruxelles pour promouvoir le lupin jaune, alorsque Michel Lenoble et moi-même défendions le lupin blanc,plus productif et sans alcaloïdes. Ce garçon qui venait du jour-nalisme de mode ne me paraissait pas particulièrement pré-disposé à entrer au CTPS... J’ai profité de la dernière réunion

de la section “fourrages” avant son renouvellement pourrecueillir l’avis de ses membres, ce qui m’a d’ailleurs confirmédans ma position. Pour moi, il n’avait vraiment pas sa place auCTPS. On a essayé de me le faire avaler. C’était une partie debras de fer qui n’a pas été bien longue. J’ai tout de suite dit auBureau des semences que c’était clair, que ce n’était pas lapeine de perdre son temps autour de cette affaire, que c’étaitlui ou moi. Le directeur des productions végétales au ministè-re, Yves Van Haëcke, a essayé de me convaincre pendant aumoins une heure. J’ai dit : De toute façon, vous avez devantvous quelqu’un qui est parfaitement têtu et vous n’arriverezpas. Le jour où l’arrêté de nomination de monsieur PhilippeDesbrosses paraîtra au Journal Officiel, vous recevrez immé-diatement ma lettre qui est prête. C’est ce que j’ai fait. Je mesuis trouvé parfaitement à l’aise.

Quel rapport aviez-vous avec le CTPS en tant que sélectionneur INRA ?

Les rapports entre l’INRA et le CTPS ont toujours prêté àquelques discussions parce que l’INRA était aussi obtenteur devariétés. Il était donc considéré comme juge et partie. Le prési-dent du CTPS était nommé par le ministère et c’était pratique-ment toujours une personne de l’INRA, ce qui a changé par lasuite. C’est pourquoi il fallait essayer de ménager un peu dif-férentes susceptibilités, de faire des choses équilibrées entresélectionneurs publics et privés, ce que, je crois, j’avais à peuprès réussi. C’est sûr que c’était une chose toujours un peudélicate mais il fallait faire quelques concessions à la profes-sion ; ce qui n’était pas difficile à faire, avec un peu de bonsens. Sans faire de passe-droit. Les seuls légers passe-droits,qui ont peut-être prévalu, c’est de favoriser, un tant soit peu,des variétés françaises par rapport à des variétés étrangères, 123

Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �

Carnet de champs des essais “féverole”

du domaine d’Époisses, 1953.

Première page du carnet des accessionsde trèfle violet qui débute en 1949.

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas, D. Poupardin et J.L. Dufour

c’est-à-dire à inscrire au catalogue les variétés des sélection-neurs privés français au détriment des sélectionneurs étran-gers, à valeur égale. Aux dires des sélectionneurs privés, c’estinfiniment moins que ce qui pouvait être fait à l’étranger vis-à-vis des variétés françaises. Les critères d’inscription dans lescatalogues étrangers étaient moins objectifs. Le cataloguefrançais était reconnu comme un gage de qualité.

Quelles autres missions aviez-vous à l’extérieur de l’INRA ?

J’ai donc été président de la section Plantes Fourragères duCTPS, président de l’Association française pour la productionfourragère (AFPF) pendant deux ans, membre d’un groupe detravail à Bruxelles sur les protéagineux d’abord, qui s’est appe-lé “productivité végétale” ensuite et dont j’ai assuré la prési-dence pendant un temps. J’ai également été animateur dugroupe protéagineux à l’INRA. J’ai terminé la dernière annéede ma vie professionnelle comme président du comité consul-tatif régional de la recherche et du développement technolo-gique en Bourgogne (CCRRDT). Cela n’a pas été la raison demon départ à la retraite mais tout cela faisait un peu trop.Après mon départ en retraite en 1986, j’ai participé à la créa-tion de l’Association européenne pour la recherche sur les pro-téagineux dont j’ai assuré la présidence ; j’étais le présidentfondateur. À un moment également, la direction nous aenvoyés dans les comités départementaux de développementagricole. L’INRA devait être présent dans ces trucs-là aussi. Jecrois que cela n’existe plus. C’étaient encore quelques journéesqui étaient prises sur le travail.

Dans ces différentes instances, étiez-vous l’ambassadeur de l’INRA ?

Nous nous sentions quand même un peu investis d’une cer-taine mission, à l’époque, vis-à-vis de la profession agricole.Le gouvernement d’après-guerre avait créé l’INRA pour remet-tre sur pied une agriculture qui était capable de nourrir laFrance. Je crois que c’était cela l’origine en 1946. Cela a unpeu changé probablement, en particulier du fait que nousavions beaucoup moins d’obligations de publication qu’au-jourd’hui. L’INRA n’avait pas encore acquis pignon sur rue et ilfallait essayer de démontrer le bien-fondé de l’existence d’uninstitut spécialisé dans le secteur agronomique. Je suis presquesurpris que, après un changement important dans l’attitude del’INRA vis-à-vis des professionnels, on continue encore dansbeaucoup de milieux à considérer l’INRA comme un organis-

me de recherche agronomique très impliqué toujours dans lesactivités agricoles et agroalimentaires.

Les sélectionneurs privés ne prétendaient-ils pas parvenir au même résultat mais uniquement par des moyens privés ?

Après-guerre, les sélectionneurs étaient eux aussi sous-déve-loppés, moins nombreux et moins organisés. Ils étaient beau-coup moins puissants qu’ils ne le sont devenus aujourd’hui etabsolument pas dépendants de multinationales et desAméricains. Au début de l’existence de l’INRA, même si nousne savions pas grand-chose, eux ne savaient rien. Nous avionsd’excellentes relations, d’une part, amicales et, d’autre part, detravail, avec bon nombre d’entre eux. Progressivement, il y a eutout un tas de modifications dans le secteur, des regroupe-ments, des concentrations qui font que les relations amicalesse sont plus ou moins perdues. De plus, l’analyse n’a jamais étébien faite, dans ce secteur semences, de ce qu’était la situationde la sélection en France. Je ne dis pas la sélection à l’INRA etla sélection dans le privé mais la sélection en France. Essayerde définir si possible une complémentarité entre les deux. Lesecteur privé de la sélection a évolué progressivement et peut-être justement que des analyses faites périodiquementauraient permis de suivre cela beaucoup mieux. Ce type d’a-nalyse devrait se situer au niveau du département deGénétique et Amélioration des Plantes, avec l’aide éventuelle-ment de quelques spécialistes. Je crois que l’on a un peu loupéle coche. L’INRA aurait pu et aurait peut-être dû se rendreindispensable à la sélection privée en assurant ce transfertentre des connaissances pointues acquises sur des plantesmodèles vers des espèces agronomiques travaillées par lessélectionneurs privés. C’est leur travail d’utiliser les connais-sances fournies par l’INRA pour créer des variétés sur desespèces agronomiques majeures. Et puis dans un mêmetemps, l’INRA doit essayer de conduire quelques activités derecherche sur des plantes, que l’on pourrait dire secondaires,mais qui ont leur place dans la diversification ou même qui nepeuvent pas, par définition, être l’objet des travaux des sélec-tionneurs privés dont la finalité est de gagner de l’argent. Etces connaissances sur ces espèces secondaires, l’INRA est entrain de les perdre.

Que pensez-vous de la création d’Agri Obtentions ?

Je ne veux pas m’étendre sur le sujet mais dans ce domaine,l’INRA n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire. Agri Obtentions selaisse porter par le vent plutôt que d’investir dans l’innovationet fait la politique d’une mauvaise entreprise privée, quellequ’en soit la cause.

Pensez-vous que l’INRA doit faire de la recherche fondamentale ou de la recherche appliquée ?

Personnellement, j’ai surtout fait de la recherche appliquée, iln’y a pas de doute. Je crois quand même qu’il n’y aurait pasde recherche appliquée, ni d’application de la recherche, s’il n’yavait pas de recherche fondamentale. La question est de savoirsi c’est à l’INRA de le faire.Veut-on continuer à s’appeler agro-nomique et le faut-il ? Je crois que c’est la seule question. Sion veut s’appeler agronomique, c’est sûr qu’il ne faut pas se

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Les personnels de la station de génétique et d’amélioration des plantes de Dijon en 1979.

Photo :©INRA

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contenter, même si on a le droit d’en faire un peu, de travauxde recherche sur l’Arabidopsis.

Quelles différences concernant la recherche avez-vous observées entre vos débuts à Versailles et vos dernières années à Dijon ?

Les différences sont monumentales, c’est sûr. Prenons unexemple, les moyens de calcul. Nous sommes passés de laVaucanson et de la table des carrés pour calculer un essai encarré latin, aux ordinateurs d’aujourd’hui qui permettent decalculer des régressions multifactorielles. C’est quelque chosed’extraordinaire. Les connaissances ont également considéra-blement augmenté. C’est le progrès des techniques et desconnaissances qui ont fait avancer la recherche agronomi-que et par conséquent la production agricole. Autre exemple :l’analyse par infrarouge de la teneur en protéines des grainesou des fourrages.Vous pouvez engager un programme d’amé-lioration pour la teneur en protéines très facilement aujour-d’hui, parce que l’analyse infrarouge vous permet d’analyser lateneur en protéine d’une façon précise, rapide et non destruc-tive et sur un très petit échantillon tel qu’une seule graine.Beaucoup plus facilement que vous ne pouviez le faire avec laméthode Kjeldahl.

Comment l’amélioration des plantes est-elle passée de la notation au champ avec un carnet et un crayon à la biologie moléculaire ?

Cela se fait progressivement et surtout cela s’intègre. Je necrois pas que l’on puisse dire qu’il y a eu des ruptures, maisnous avons pu lancer des programmes de recherche que l’onne pouvait pas envisager avant. Il existait quelques techniquesdisponibles mais ces techniques n’étaient pas envisageablespour des questions de durée, de délai ou de moyens financiers.Cela s’est fait progressivement en intégrant des outils qui sedéveloppent, dans une autre discipline au besoin ; les tech-niques évoluent et se banalisent. Je pense à la biologie molé-culaire ou à la microscopie électronique. Par exemple pour étu-dier la stérilité cytoplasmique de la féverole, la mise au pointd’une méthode ELISA nous a permis de pouvoir entreprendreun travail de sélection, pour améliorer la stabilité de cette sté-rilité mâle.

Les plantes modèles que vous utilisiez ont-elles également changé ?

Par exemple le modèle pétunia par rapport au modèleArabidopsis. Le pétunia était utilisé comme plante modèle pourdes études de génétique. C’était une plante qui réunissaitquelques avantages, qui avait déjà un cycle pas très long, troisgénérations par an possibles, qui avait des possibilités d’appli-cation des méthodes que l’on connaissait dans ce temps-làpour la reproduction somatique. On était capable de faire descultures de tissus facilement et puis le pétunia n’était quandmême pas très éloigné d’une plante agricole. L’Arabidopsis enest plus éloigné, mais bien sûr, tout a évolué. Cela peut paraî-tre un peu surprenant de prétendre pouvoir passer de mar-queurs d’Arabidopsis à des possibilités de sélection sur le blé oud’autres plantes cultivées. Je pense que c’est tout à fait possible

aujourd’hui et en tout cas, enrichissant. Les premiers travaux,c’était Mendel sur le pois, mais après le développement de lagénétique, c’était la drosophile. Ce n’était pas non plus uneespèce animale de grande importance zootechnique. À partirde là, les connaissances qui avaient été acquises sur la droso-phile ont quand même bien servi à développer tout le reste.Je crois que cette évolution est bien normale malgré tout. Ilfaudrait qu’il reste quand même dans la maison des gens quigardent le flambeau de la recherche agronomique et qui tra-vaillent un peu plus que d’autres sur le transfert des connais-sances acquises sur un modèle à des espèces d’intérêt agrono-mique. Je ne suis pas sûr qu’on ne fasse pas plus de travauxsur le transfert des connaissances acquises dans le privé qu’àl’INRA. Je me demande si une boîte comme Limagrain, parexemple, n’en fait pas plus que l’INRA. Ce serait peut-être bienet cela me paraît tout à fait la place de l’INRA que de le faireet d’en faire bénéficier un certain nombre de sélectionneursqui n’ont pas la taille, les moyens, la capacité de le faire eux-mêmes. Ce serait justifier la place du département d’Amé-lioration des Plantes qui n’est pas toujours bien compriseaujourd’hui dans le milieu professionnel. Je crois que la spécia-lisation devient à peu près inéluctable. Le transfert, si on nepeut pas le faire faire par des scientifiques parce que les exi-gences de carrière sont là, publications et autres, que l’onessaie de le confier à des ingénieurs.

N’est-ce pas le rôle des instituts techniques justement de se charger d’effectuer ce transfert ?

Ils sont plus au ras du sol que cela. Je parle surtout de l’ITCFparce que c’est ce que je connais le mieux. Mais l’ITEB, c’estprobablement encore pire car leurs moyens sont encore plusfaibles. Ils veulent avoir la reconnaissance de la professionagricole et pour cela, ils évoluent incontestablement, mais ilsessaient de rester assez au ras des pâquerettes. Et puis, ils neveulent pas faire des choses trop risquées. Cela me rappelleune discussion dans le cadre d’un concours de directeur dezootechnie où mon bon copain Alain Rérat, pour défendre soncandidat contre celui que Robert Jarrige m’avait chargé dedéfendre, m’a dit : Mais ce travail, c’est un travail d’instituttechnique. Oui mais à condition que les instituts techniquesfassent le travail de transfert, et s’ils ne le font pas, ne faut-ilpas que l’INRA le fasse ?

Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �

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Domaine d’Époisses, 1957.

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INRA

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas, D. Poupardin et J.L. Dufour

Les chercheurs ont-ils également évolué ?

On ne peut pas ne pas changer, l’évolution est quelque chosede naturel. Cela aussi c’est une évolution continue, même pourmoi. Les chercheurs de ma génération ont commencé par descontacts directs avec les agriculteurs ou des groupes d’agricul-teurs, des CETA 22. Nous participions à des réunions annuelles,copiées sur le thème des entretiens de Bichat ; par exemple auCETA de La Queue-lez-Yvelines. Je me souviens égalementavoir fait, en 1952 ou 1953, une intervention aux journéesCETA qui se tenaient à Montfort-l’Amaury sur la féverole.Aujourd’hui les chercheurs ne participent plus aux journéesCETA ; c’est remplacé par l’assemblée générale de l’UNIP.Concernant les agriculteurs eux-mêmes, je dirais qu’ils ne s’in-téressent plus à nous. L’expansion des services de développe-ment a fait que les liens se sont distendus. Puis de toute façon,il est évident aussi que ce n’est pas le boulot de l’INRA de fairedu développement. Du transfert, oui, mais pas du développe-ment. Ce qui est important, c’est que le transfert puisse biense faire et que ces structures ne soient pas des écrans. Cela aété le cas de l’ITCF par exemple, même si ce n’était pas vraidans tous les secteurs. J’ai eu de bons rapports avec l’ITCFdans le secteur protéagineux, mais beaucoup moins bons dansle secteur fourrages parce qu’ils avaient une attitude impéria-liste. Ils se sont, de nombreuses fois, approprié des publicationsde l’INRA dont ils ont fait leurs choux gras. Nous étions assezconciliants mais il y a des collègues qui ont parfois avalé desacrées couleuvres. L’INRA s’est un peu laissé déposséder.À l’inverse d’ailleurs, l’INRA n’a pas toujours eu que des atti-tudes exemptes de critiques dans ses relations notammentavec les sélectionneurs privés. Je crois, avec le recul, que l’INRAn’a pas vraiment essayé de se rendre indispensable aux sélec-tionneurs privés. C’est facile à formaliser, c’est beaucoup moinsfacile à expliciter, mais l’une des bases pour cela, ce serait déjà

de ne pas être concurrents.A-t-on le droit par exemple de lais-ser tomber, dans le département d’Amélioration des Plantes,certaines espèces sous le prétexte qu’elles sont mineures etrenforcer ses activités assez appliquées dans des domainesque les sélectionneurs privés savent très bien couvrir ? J’ai malquand je vois que, par exemple, des espèces qui ont un poten-tiel important, mais inutilisable aujourd’hui, risquent d’êtrecomplètement abandonnées. Il y a un exemple précis qui esttoujours présent dans mon esprit, c’est le lupin changeant,Lupinus mutabilis, qui a un très fort potentiel grâce à sa teneuren protéines. C’est une espèce parfaitement inadaptée actuel-lement aux conditions de l’agriculture française, et il faudraitune somme considérable de travail pour l’adapter. Mais quandle soja est arrivé aux États-Unis vers 1920, les Américains nesavaient pas quoi en faire. En 1980, il était le roi de la planè-te. Est-il justifié de renoncer ? N’est-il pas envisageable de fairede la prospective à une échelle de 20-30 ans ? Il faut ajusterles moyens dont on dispose aux potentialités imaginées del’espèce. Le gain génétique ne peut jamais se prévoir.

Pouvez-vous nous parler de la crise du soja ? Pourquoi cette culture n’est-elle pas plus développéeen France ?

La crise du soja ou plutôt l’embargo, de toute façon, on ne lareverra pas. Les Américains ont compris qu’ils avaient fait unegrosse erreur en 1973.Mais pourquoi vouloir impérativement imiter les autres ? Cetteattitude est peut-être assez française mais nous avons d’au-tres cordes à notre arc. Le pois protéagineux a pris une trèsbonne place et pourrait en partie concurrencer le soja. Je croisqu’actuellement l’INRA a entrepris des actions qui peuventprobablement payer dans le domaine du pois, mais je ne saispas comment elles seront éventuellement mises à dispositiondes agriculteurs français. De toute façon, l’INRA n’est pas jusqu’à maintenant, tout en voulant concurrencer le privé,compétitif dans le domaine commercial. Pour moi, la pierred’achoppement de la plupart des programmes, c’est de pou-voir rendre service aux sélectionneurs français et surtout à l’agriculture française. Le rôle de l’INRA n’est pas forcémentd’enrichir les sélectionneurs français, mais de faire en sorte quel’agriculture française soit compétitive.

Pouvez-vous nous dire comment les contrats ont pris de l’ampleur dans vos activités de recherche ?

Encore une fois, cela s’est fait progressivement. Quand j’ai com-mencé à avoir la responsabilité de la station de Dijon, nousavions en tout et pour tout un malheureux petit contrat avec lachambre d’agriculture de Saône-et-Loire pour travailler un peusur le millet des oiseaux. L’arrivée de l’équipe “mutagenèse” deVersailles, qui était financée très fortement sur contrat, notam-ment avec Euratom, a tout de suite fait changer les choses.L’Euratom concernant le programme atomique, c’était le débutde la communauté européenne. Ensuite il y a eu des contratsavec Bruxelles, le ministère de la Recherche et les organismesprofessionnels. Je pense par exemple, dans notre secteur desprotéagineux, à l’UNIP qui a beaucoup financé l’INRA sur lesprotéagineux. Les contrats sont bien plus nombreux mainte-nant que de mon temps. À mon époque, il fallait pleurer un peu

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De haut en bas : sarclage de la pépinièrede trèfle violet.Battage micro-essai céréales, machineexpérimentale fabriquée à l’INRA d’Époisses, de gauche à droite : Guy Goriot,Antoine Giraud, Jean Bonin, Ernest Cohn.

22 CETA : centre d’études techniquesagricoles.

Photos :©INRA

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23 EMC : entreprise minière et chimique, anciennement société des potasses d’Alsace.

24 Cellule d’information : ancêtre de la mission Communication de l’INRA.

pour en avoir, maintenant, ils financent. Cela ne va peut-êtrepas durer éternellement avec la PAC. La station a eu un contratmixte entre Pasteur, Elf et EMC 23 sur des problèmes de fixationde l’azote. C’était pratiquement une quête tous azimuts. Quandje suis parti en 1986, c’était arrivé au point où le budget INRApour la station d’amélioration des plantes de Dijon, hors per-sonnel bien entendu, ne représentait déjà plus les 50% auniveau du fonctionnement. C’était largement pire pour l’équi-pement entre les financements de la région Bourgogne et lescontrats de tous ordres, cela devait bien atteindre 80%. À par-tir du moment où cela commence à être trop important, onn’est plus tout à fait maître chez soi, et cela devient difficile d’a-juster les programmes aux exigences des contrats ou récipro-quement. Pour cette quête des contrats, j’ai beaucoup donné àdifférents endroits. Cela a pesé dans ma décision de ne pas pro-longer au-delà de mes 150 trimestres. Mais la principale causede ma décision de quitter l’INRA à partir de soixante ans est lavolonté de laisser la place aux jeunes.

Le financement par contrat est-il favorable à l’INRA ?

Dans certains domaines, l’INRA l’a très bien supporté. Celadépend beaucoup des chercheurs, de leur aptitude à formulerles demandes de contrat, de leur souplesse vis-à-vis de l’inter-prétation des contrats, de la manière de les gérer, de beaucoupde choses. C’est aussi un moyen de rester en contact avec leprivé, pour certains contrats. C’est une manière de compenserun peu cette perte de contact direct avec la profession et ausside rentabiliser un peu le coût du personnel. L’INRA a des fonc-tionnaires qui veulent bien travailler ; il vaut mieux les voir avi-des de moyens. Je me souviens dans ce domaine, d’un jour oùil y a eu des restrictions budgétaires, une fois parmi d’autres,et ça avait beuglé. Cela avait beaucoup surpris un directeurdes affaires financières, qui venait de la préfectorale et queJean-Michel Soupault, directeur général de l’INRA, avaitemmené avec lui à l’INRA. À la préfectorale, s’il y avait une res-triction, ils achetaient moins de papier ou ils n’achetaient pasde gommes cette année-là. Ils ne se seraient jamais battuspour avoir les moyens de travailler, puis à la limite ils n’auraientpas travaillé du tout. Il était tout surpris du comportement deschercheurs de l’INRA, de les voir aussi mal réagir face à unerestriction budgétaire.

Quelles sont les activités que vous avez préférées dans votre vie professionnelle ?

Celles dont on pense qu’elles ont été les plus utiles. Je ne vaispas être modeste ; j’ai créé et animé le groupe protéagineux à l’INRA en 1970, un peu avant la crise du soja en 1973, maisil a été mis en route vraiment après cette crise. Je l’ai fait parceque j’en ai senti le besoin. Les personnes qui ont bien voulu y participer l’ont toujours fait sans retenue, je dirais parce qu’elles trouvaient aussi probablement que cela ne manquaitpas d’intérêt pour elles. C’est une action dont beaucoup degens pensent qu’elle a été très positive, comme GuyFauconneau, comme Claude Calet. Ce dernier a été “MonsieurProtéines” après l’embargo de 1973, chargé par le ministèrede l’Agriculture d’animer un groupe de travail pour augmenterla production de protéines végétales pour l’alimentation ani-male. C’étaient des activités de coordination interdisciplinaireà l’INRA essentiellement. Cela m’a beaucoup aidé et aussi pasmal appris, cela m’a introduit dans certaines activités annexes.Il y a d’autres choses qui m’ont assez plu, mais c’était endehors de l’INRA. C’est l’organisation en tant que président duseizième congrès international des herbages, qui a réuni 1 200personnes à Nice en 1989. Il m’a fallu gérer un budget de 5 millions de francs. C’était la suite de mes activités fourrages.Pour moi, c’était rendre hommage à quelques anciens commeJean Rebischung et Léon Der Katchadourian. Cela n’avait rienà voir directement avec la recherche mais en découlait. Je vou-drais également en profiter pour remercier André Hentgen, dudépartement de recherches sur les Systèmes agraires et deDéveloppement, pour la place qu’il a tenue dans l’organisationet la réussite de ce congrès.Je pourrais aussi vous dire comment par hasard, j’ai pu inter-venir dans la création de la cellule d’information 24 de l’INRA.C’est un peu éducatif. Un jour, je rentrais de Paris sur Dijon parle train dans l’après-midi. Dans ce train, je rencontre unDijonnais, agriculteur, président de la Caisse régionale duCrédit agricole, que j’avais connu à mon arrivée à Dijon. Saferme était avenue Aristide Briand à Dijon. Il était président dela Fédération nationale du Crédit agricole. C’était l’une destrois grandes organisations de l’agriculture, avec la FNSEA, etl’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA).Il rentrait de déjeuner chez Raymond Barre, qui était Premierministre, et il était invité tous les mois ou tous les deux mois à

Jean Picard, Dijon, 1996 - Neuvy-Pailloux, 2008 �

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Jean Picard lors du XVe congrèsinternational grassland congress de Kyoto, Japon 1985.Ph

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas, D. Poupardin et J.L. Dufour

un déjeuner. Il me dit : Tiens, nous avons parlé de l’INRA. Le Premier ministre tient l’INRA en haute estime. Il ajoute : Ahoui parce que du fait de ses activités antérieures à Bruxelles, ila entendu dire énormément de bien de l’INRA par ses collè-gues étrangers. Je lui ai répondu : Le Premier ministre pourraitquand même en entendre dire du bien par les Français. À lasuite de cette conversation, je téléphone à Raymond Février,qui était directeur de l’INRA et je lui dis : La prochaine fois queje viens à Paris, je passe vous voir. Je discute une seconde avecvous. C’est de là, je pense, que pour partie a été créée la cel-lule d’information où il a nommé Bertrand-Roger Lévy. Ce n’estpas possible que le Premier ministre aille chercher ses informa-tions à l’étranger quand même !

Quel regard jetez-vous rétrospectivement sur votre vie professionnelle ?

J’ai eu une vie professionnelle riche et variée. J’ai construit desbâtiments aussi bien que je me suis intéressé à la mutagenè-se et à la génétique moléculaire. J’aurais pu sûrement faire unemeilleure carrière mais j’ai trouvé que c’était intéressant.J’ai essayé de ne pas faire trop de misères à personne, notam-ment quand j’étais administrateur. J’ai de temps en temps, euquelques coups de gueule quand même. Un jour, lors d’uneassemblée générale qui traitait entre autres du fonctionne-ment de la cantine, la discussion m’avait hérissé le poil et j’aigueulé : On n’est pas ici pour bouffer mais pour travailler !!!C’est resté dans les mémoires. Les coups de gueule j’en ai éga-lement poussé quand j’ai viré les deux cantinières, deux sœursqui habitaient à Saulon-la-Chapelle. Puis, il y a eu l’engueula-de à laquelle personne n’a assisté, qui était moins violente, dutoubib d’Ouges, parce que c’était le mien ou bien celui de mafemme, qui leur donnait des arrêts maladies de complaisance.Il s’est fait remonter les bretelles lui aussi, un bon coup.

Vous avez dit avant cet entretien : Il me semble qu’on est un peu oublié en parlant des retraités. Que voulez-vous dire ?

Les anciens, c’est une certaine mémoire du passé. Dès quevous êtes à la retraite, vous n’existez plus. Vous êtes mort, etc’est vrai dans beaucoup de cas. Vous êtes en activité, vousêtes invité à une partie de chasse. Vous ne savez pas si vousêtes invité en tant que président du CTPS ou chercheur àl’INRA. Vous êtes à la retraite, vous n’existez plus. L’INRA,à partir du jour où vous êtes retraité, ne vous envoie pas unseul journal. Rien. Ils passent votre fiche au trésorier payeurgénéral de l’Indre-et-Loire pour moi et puis c’est tout. Quandon a l’impression de n’avoir quand même pas trop mal tenu saplace et que l’on est encore intéressé par la vie de la maison,c’est difficile à vivre. Il ne s’agit absolument pas d’aller se mêlerde la vie en question, mais de savoir un peu ce qui s’y passe.Quelques petits contacts, quelques nouvelles, j’aurais souhaitéen avoir. Ceci dit, quand je retrouve les gens, y compris au plushaut niveau, je suis très bien reçu.J’ai toujours aimé la chasse. Je chassais l’alouette au miroiravec mon père et j’ai hérité de ses gènes dans ce domaine. J’aichassé du gibier de plaine : lièvre, perdrix, outarde canepetiè-re... J’ai aussi chassé sur le domaine d’Époisses avec JeanLouvet. Je me souviens, vers le milieu des années 1980, que 4ou 5 sangliers y ont été abattus à la Noël. D’ailleurs, pour mondépart à la retraite, mes collègues m’ont offert un superbe set-

ter irlandais que j’ai prénommé “AP” pour Amélioration desPlantes (c’était l’année de la lettre A). Mais j’ai négligé de luiapprendre à obéir. Je partais à la chasse avec lui et une boîtede pastilles pour la gorge...Pour l’instant, je cultive mon jardin, je m’occupe de mesabeilles, je taille mes haies. Cela me va bien, cela me suffit.

Parmi les gens que vous avez formés, avez-vous des fils spirituels, qui sont prêts à reprendre le flambeau ?

De toute façon, il faudrait déjà avoir eu des gens à former. Jen’en ai pas eu beaucoup. Je dirai que le seul, c’est Gérard Duc,sur la féverole et ensuite sur le pois. J’ai également récupéréClaire Mousset en cours de route, sur le trèfle violet maisl’INRA a arrêté le programme vers la fin des années 90. Mais,Gérard Duc c’est déjà ancien, c’est quelqu’un que j’ai recrutéà sa sortie de Nancy en 1976 et payé sur des crédits de main-d’œuvre en provenance de Bruxelles. Ce qui a été interdit, paslongtemps après. Je suis toujours resté en contact avec GérardDuc. J’essaie de me tenir toujours informé de ce qui se passedans la filière protéagineux. Je crois quand même que le débutde ma carrière a été surtout “fourrages” mais la fin de ma car-rière a été plus “protéagineux”.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune chercheur qui débarquerait actuellement dans un organisme comme l’INRA ?

De retrousser les manches et de rentrer dedans. Il n’y a pasd’autres conseils à donner. De ne pas trop craindre l’impressionqu’on peut avoir de temps en temps de ramer un peu à con-tre-courant, à condition d’être assez sûr quand même, de l’objectif, pas pour le plaisir. Ne pas trop craindre de ramer àcontre-courant parce que le courant peut changer quandmême. Dans certains cas, je trouve qu’il ne change pas assezvite. J’ai fait toute ma carrière sur les légumineuses et je voistoujours d’un mauvais œil qu’elles ne soient pas utilisées à lahauteur de toutes leurs capacités. Je dirais également à unjeune de se méfier de l’effet de mode. C’est plein d’effets per-vers de la chasse à l’argent, de la chasse aux contrats.

Avez-vous eu l’impression d’avoir été franc-tireur en allant à l’encontre des vues dominantes qui existaient à l’époque ?

Non. Quand même pas. De ne pas me laisser lier les mains, çac’est une certitude, mais franc-tireur, pas du tout. Si j’ai ramé àcontre-courant, cela ne m’a pas empêché d’essayer de monterdans le train : par exemple du gros contrat Pasteur-ELF-EMC etINRA, sur la fixation de l’azote.

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Le chien de chasse AP offert par ses collègues pour son départ à la retraite.

Photo :©INRA

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