un exemple de plurilinguisme
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UNIVERSITE DE BRETAGNE OCCIDENTALE SKOL VEUR BREIZ IZEL
RANSKOL AL LIZIRI HA SKIAΝCHOU AN DUD
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES SOCIALES VICTOR SEGALEN
Un exemple de plurilinguisme. Facteurs sociaux et faits langagiers à Onklou, village du nord
Bénin.
Mémoire de maîtrise de sociologie réalisé par Nadine PALUT
Sous la direction de Madame la Professeur Anne GUILLOU
Janvier 2000
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A tous ceux qui m’ont livré un peu d’eux-mêmes.
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Table des matières Introduction P. 8 I- Le Bénin, mosaïque linguistique. P. 10 A- Géographie linguistique. P. 10
1- Un petit pays au cœur de l’Afrique • L’Afrique et ses langues • Les groupes de langues
2- Le territoire • Géographie • La République du Bénin • La notion de territoire
B- Histoire et langues. P. 12 1- Les peuples
• Du nord au sud • Le Mono • Les « Brésiliens », les Fons et les Gouns
2- La colonisation 3- De l’indépendance à nos jours
• Politique • Religions • Démographie • Education
C- Un répertoire de langues. P. 19 1- Définitions ou précisions langagières
• Langue, langage • Les langues • Les disciplines
2- Présentation sociolinguistique du Bénin • Les familles de langues • Rapports entre langues • Des locuteurs et des langues • Statut des langues
3- La place du français • Dans les faits • Causes • En conséquence
II- Onklou, terrain d’enquête. P. 26 A- Le cadre général. P. 26
1- L’Atacora • Le milieu physique
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• Le milieu humain • La langue et le peuple
2- Onklou • Le milieu physique • Historique • Milieu humain
B- Hypothèses de travail. P. 33 1- Postulat : la pratique de la langue est un fait social
• Le schéma de communication d’après Jakobson • La révolution Saussurienne • La diglossie selon Ferguson • La diglossie selon Fishman • Labov et la fonction sociale • Bernstein, langue et classe sociale • Ce que parler veut dire d’après Bourdieu
2- Hypothèses • Chaque langue est particulière • Il existe des pratiques langagières différentielles
C- Méthodologie. P. 37 1- La pré-enquête
• Recherches bibliographiques • Rencontres • Plan
2- Premiers contacts avec le terrain • Au départ ... • Contacts • La brousse : Onklou
3- L’observation participante • La phase d’exploration • L’installation sur le terrain • Le quotidien • L’observation
4- Sondage et entretiens • Le sondage • Des entretiens longs
III- Présentation des données socio-culturelles de l’enquête. P. 49 A- Les faits sociaux. P. 49
1- L’âge • Les chiffres • Observations
2- Le sexe • Les femmes • Les hommes
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3- L’activité sociale • Les cultivateurs • Les artisans • Les ménagères
B- Les faits culturels. P. 51 1- La religion
• Les Fétichistes • Les Chrétiens • Les Musulmans
2- Les migrations • Le Ghana • Le pays bariba • Le Nigeria • Le Niger • Les causes
3- Les groupes ethniques • Les différents groupes • Les mariages mixtes • Remarques
4- Les Yowas • Histoire • Lignée • Scarifications
IV- Les langues, un phénomène singulier. P. 58 A- Les langues à Onklou. P. 58
1- Le yom • Situation géographique • Situation linguistique • A Onklou
2- Le français • Dans les faits • Représentations
3- Les autres langues en présence • Le dendi • Bariba, yoruba et haoussa, germa, achanti • Les autres
B- La variété de la langue. P. 62 1- Des variations langagières
• Variations structurelles • Des variations externes • L’évolution de la langue
2- Des contextes d’usage • L’usage privé, l’usage public
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• Des contextes d’apprentissage 3- Des rôles
• La cohésion culturelle • La sociabilité • L’affirmation de son identité • La promotion sociale • Chaque langue joue un rôle particulier
4- Statuts et valeurs associées • Chaque langue a un statut particulier • Elle incarne des valeurs • La langue au singulier
C- L’exemple du français. P. 73 1- Les variétés du français
• La francophonie • Le français standard • Le français élémentaire • Le français régional
2- L’usage • Privé • Public
3- Statuts et valeurs • Utilité • Prestige • Absence de concurrence • La négation
V- Des pratiques plurielles. P. 77 A- La socialisation linguistique : entre déterminisme et liberté. P. 77
1- Première socialisation • Langue première et socialisation • La socialisation comme incorporation des habitus • Le rôle de la famille dans l’apprentissage du langage
2- L’interaction sociale, son rôle dans la construction de soi • La socialisation secondaire ou la construction de son identité sociale • Le groupe des pairs • Les institutions • La consolidation de l’identité culturelle
B- Une pratique individuelle ou la mise en place de stratégies. P. 84
1- L’identité pour soi • La théorie interactionniste • Mise en place de stratégies extra-linguistiques : la mobilité géographique • L’acculturation
2- Des Hommes, des stratégies
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• La langue unique • L’atout du véhiculaire • Le plurilinguisme ou l’obligation d’apprendre
C- Entre pratiques et représentations, la construction sociale de la réalité
linguistique. P. 91 1- La langue comme définition
• L’apprentissage • Soi et les autres
2- La langue comme représentation • Conscience des langues • Discours sur les langues
3- Qu’est ce que la réalité linguistique ? • Une construction • Des facteurs • Des pratiques différentielles
Conclusion P. 99 Bibliographie P. 102 Annexes P. 105 1 : Le Bénin, situation géographique P. 106 2 : Carte linguistique du Bénin P. 108 3 : Circonscription urbaine de Djougou P. 110 4 : Cartes du village P. 112 5 : Grille d’entretiens des Béninois rencontrés en France P. 115 6 : Entretien avec Youf P. 117 7 : Entretien avec Foudou P. 137
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D’après la Bible, de la Genèse à Babel, les hommes communiquaient grâce à
la langue que Dieu leur a livrée. Mais, en l’an 2200 Avant Jésus Christ les éléments
se modifièrent.
La tour de Babel construite par les fils de Noé pour atteindre le Ciel fut
anéantie par le Créateur. Et la punition divine de cet effort insensé eut pour
conséquence l’éclatement des langues et l’origine des nations. L’équité était
cependant respectée puisque chaque peuple possédait sa propre langue.
Ce mythe de création nous livre une explication de la présence du
plurilinguisme sur cette terre.
Personnellement, plusieurs expériences ont aiguisé mon attention vers cette
question de langues multiples.
En tant que Bretonne native du Haut-Léon, j’ai des grand-parents de langue
maternelle celtique, des parents qui oscillaient entre breton et français pour ne plus
parler que français et des petits frères qui ne comprennent pas un mot de breton. Au
contraire, mes amis de l’université, qui ont appris le breton, le revendiquent
(politiquement, culturellement) comme marqueur d’identité. Ce recul d’une langue
au profit d’une autre, cette négation de la langue première et l’affirmation d’une
identité par le biais linguistique sont autant de faits que j’ai pu ressentir.
Un séjour en Afrique élargit mon expérience linguistique. C’est l’Ethiopie qui
me révéla le caractère plurilingue du continent. Je fus frappée par la quantité de
langues présentes dans un espace donné, par le nombre de parlers maîtrisés par les
locuteurs que j’interrogeais et par les changements perpétuels de langues. Qu’est-ce
qui justifie l’existence du plurilinguisme ? Comment les locuteurs le gèrent-ils au
quotidien ?
Par la suite, au cours de mes études de sociologie, j’ai eu l’occasion de réaliser
ma licence à La Corogne (ou A Corua) en Galice. Dans cette région espagnole qui
connut une forte présence celtique cohabitent aussi deux langues. Mais, cette
situation diffère de la nôtre. Par exemple, le galicien est une langue encore
majoritairement parlée mais, c’est aussi une langue romane linguistiquement proche
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de l’espagnol. De plus, ce parler est reconnu et employé par l’administration. Le
choix d’une langue, son lien par rapport aux autres, son statut sont autant de
conceptions qui m’attiraient.
Juillet 98, la licence obtenue, je rentrais de Galice avec une envie
démangeante de repartir découvrir d’autres horizons. L’occasion se présenta lorsque
fin juillet, je fis la connaissance d’un ancien professeur de mon père. C’est un
missionnaire issu de la congrégation des Frères de Ploërmel qui officie au Bénin. A
force d’arguments et de patience, je réussis à lui faire accepter ma future présence
au Bénin. Avec son consentement il fut décidé que je lui rendrais visite pendant la
saison des pluies de juin à octobre 1999.
A partir de là je me penchai plus sérieusement sur mon projet de maîtrise en
sociologie. Mon terrain d’enquête serait le Bénin. Mon sujet porterait sur les
langues.
Elargissant mes connaissances en sociologie du langage et en socio-
linguistique, je décidai d’étudier le plurilinguisme en analysant comment il se gère
au quotidien dans un espace restreint. Autrement dit, quels sont les rapports existant
entre le locuteur et sa ou ses langue(s) ? Pour répondre à cette question une enquête
de terrain me permettra d’établir une monographie linguistique du village. Sur cette
base concrète je pourrai par la suite construire une analyse.
Ainsi, par souci d’appréhension globale du sujet, je me suis d’abord attachée à
connaître la situation linguistique de l’Afrique et du Bénin. Onklou, petite commune
du nord s’imposa comme terrain d’enquête. Je présenterai le village avant d’exposer
plus précisément mes hypothèses de travail et ma méthodologie. Une troisième
partie développera les données de l’enquête en s’attachant à présenter les locuteurs.
Ce qui me conduira par la suite à définir la notion de langue et d’analyser ainsi les
pratiques différentielles.
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I- Le Bénin, mosaïque linguistique.
L’objectif de cette première partie est de situer le sujet dans son contexte global.
Pour la rédiger, je me suis essentiellement basée sur trois documents : la brochure
« Découvrir ... le Bénin » de l’ambassade du Bénin en France, l’encyclopédie
Encarta sur Microsoft et le livre de Philippe David Le Bénin.
Ainsi, il s’agira d’aborder l’Afrique d’un point de vue linguistique avant de
présenter le Bénin et sa variété de langues.
A- Géographie linguistique.
1- Un petit pays au cœur de l’Afrique
• L’Afrique et ses langues
Plus de 1000 langues différentes sont parlées en Afrique. A côté de l’arabe,
qui n’est pas limité au continent africain, les langues africaines les plus parlées sont
le swahili (Afrique centrale et orientale) et le haoussa (Tchad, Niger, Nigeria), qui
comptent plus de 10 millions de locuteurs chacune. De très nombreuses langues ne
sont parlées que par quelques milliers, voire quelques centaines de personnes. En
moyenne, une langue africaine compte environ 200 000 locuteurs. Seules une
douzaine de langues sont parlées par plus de 1 million de personnes. Et, si les
langues africaines ayant une littérature écrite sont très peu nombreuses, en revanche,
la majorité d’entre elles possède une riche littérature orale traditionnelle. De plus, de
nombreux Africains parlent plusieurs langues : la leur et celles de leurs voisins ainsi
que celles des anciennes administrations coloniales européennes.
• Les groupes de langues
Selon l’usage le plus récent et le plus largement accepté, les langues d’Afrique
sont classées en 4 familles : la famille afro-asiatique (anciennement appelée
chamito-sémitique), la famille nilo-saharienne, la famille khoisane et la famille
nigéro-kordofanienne. On appelle famille un groupe de langues ayant une origine
commune. Une famille est souvent subdivisée en branches, constituées de langues
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plus étroitement apparentées. Seule la moitié des langues d’Afrique possède un
système d’écriture. A l’exception de l’arabe et de certaines langues d’Ethiopie,
l’alphabet de la plupart des langues africaines écrites consiste en une adaptation de
l’alphabet latin introduit par les missionnaires. D’ailleurs, les premiers Européens à
avoir étudié les langues africaines furent généralement des missionnaires, dont les
buts de prosélytisme rendaient indispensable la communication avec les populations
indigènes.
2- Le territoire
• Géographie
Le Bénin, officiellement appelé République du Bénin, est un pays d’Afrique
occidentale (Cf. Annexe 1). Il est situé dans la zone inter-tropicale et s’étend de
l’océan Atlantique au fleuve Niger sur une longueur de 700 kilomètres. Il est situé
entre le Nigeria et le Togo et se trouve limité au nord par le Niger et le Burkina
Faso. De plus, placé dans le Golfe de Guinée il a l’avantage d’avoir une ouverture
sur l’océan Atlantique au sud sur 125 kilomètres de rivages. Avec une superficie de
112 622 km2, le Bénin est un petit pays à l’échelle de l’Afrique et représente un
cinquième de la France. Comme presque tous les pays du continent, il résulte d’un
découpage colonial.
• La République du Bénin
Colonie française du Dahomey depuis 1894, le Bénin a accédé à
l’indépendance complète en 1960, sous la dénomination de République du
Dahomey, avant de prendre son nom actuel en 1975.
D’un point de vue administratif la République du Bénin comprend 6
départements : l’Atacora, l’Atlantique, le Borgou, le Mono, l’Ouémé, le Zou. Ces
départements sont divisés en 68 sous-préfectures et 9 circonscriptions urbaines,
elles-mêmes divisées en communes rurales et urbaines. La commune comprend
plusieurs villages ou quartiers de ville.
La capitale Porto-Novo partage avec Cotonou, distante de 30 kilomètres, les
ministères et les services.
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La capitale officielle est Porto-Novo ; Cotonou étant la capitale politique et
économique.
Le français est la langue officielle, mais les Béninois parlent aussi des langues
nationales et ethniques.
• La notion de territoire
Les conséquences du découpage arbitraire des frontières sont très présentes sur
un plan humain. En effet, de nombreuses ethnies se sont retrouvées séparées. Ce qui
provoqua et provoque encore quelques conflits.
D’un point de vue linguistique, cette nouvelle frontière engendra quelques
modifications dans l’évolution des langues. Certaines, à cause d’une division des
locuteurs, disparurent peu à peu ; d’autres se métissèrent par les contacts. Ainsi, par
exemple, les Yorubas sont un peuple du sud séparés par la frontière Togo-Bénin. Ils
ont une langue commune qui est elle même dénommée yoruba. Mais, depuis
l’imposition de la frontière on note une évolution de la langue. Du côté béninois, le
yoruba s’enrichit au contact des langues en présence, dont le français, tandis que du
côté Nigérian on note une pénétration de l’anglais tant dans le vocabulaire que la
syntaxe. C’est-à-dire que dorénavant la langue évolue dans un pays, et non plus une
ethnie, et dans un système politique particulier avec une politique linguistique
déterminée. Cependant, pour l’heure, la notion d’ethnie demeure prédominante. Les
Yorubas s’identifient comme Yoruba et non Béninois francophones ou Nigérian
anglophones.
En conséquence, la notion de territoire se justifie pour ces peuples par rapport
à l’espace ethnique et non aux frontières. Or, la notion de territoire pour nous
Occidentaux se borne souvent à celle des frontières.
B- Histoire et langues.
Les langues au Bénin, comme ailleurs, sont le fruit d’une histoire, de l’histoire de
leurs locuteurs. En ce sens une mise au point historique est nécessaire. Tout d’abord,
il s’agira de faire une longue présentation des principaux groupes ethniques du
Bénin. Puis, chronologiquement, je décrirai les périodes de la colonisation et de
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l’indépendance avant de conclure sur un exposé de la société contemporaine
béninoise.
1- Les peuples : situation géographique, histoire et particularités
• Du nord au sud
Les Dendis peuplent le nord. Ils se sont installés au nord-ouest du Bénin dans
les régions de Malanville, Kandi et Djougou et sont actuellement environ 125 000.
Arrivés par la vallée du Niger au XVIème siècle, au XIXème, ils ont été rejoint par
des cavaliers Zarmas. Ce sont eux qui ont, pour l’essentiel, en même temps que les
Peuls et les Haoussas, introduit l’islam par le nord du Bénin actuel.
Les 430 000 Baribas sont venus aux XIIIème et XIVème siècles du nord du
Nigeria actuel fonder plusieurs petits royaumes à Nikki, Kandi, Parakou et Kouandé.
Ils étaient autrefois guerriers. Ils s’occupent aujourd’hui de la culture et de la
cueillette du karité et du kapok.
Au nord-ouest, les 300 000 Sombas ou Bétammaribes (qui signifie les bons
maçons) sont installés dans l’Atacora depuis des temps très anciens et fractionnés en
de nombreux sous-groupes que rien, sinon la frontière, ne sépare de leurs cousins du
Togo, les Tambermas.
Les Peuls, au nombre d’environ 300 000 également, sont arrivés par petites
vagues et se sont bien intégrés, notamment à la société bariba.
Infatigables cavaliers pour les besoins de leur négoce, toujours en va-et-vient
entre les savanes du nord et de la côte, les Haoussas (ou Gamgaris), originaires des
confins du Niger et du Nigeria actuels, sillonnent toute la région Ghana-Togo-Bénin
depuis fort longtemps. A défaut de groupements humains denses, ils ont laissé leurs
marques sur les marchés par les pratiques commerciales et leur langue véhiculaire.
Le sud et le centre sont majoritairement occupés par les Yorubas dont tous les
berceaux historiques sont situés au Nigeria. Ils sont venus eux aussi par vagues
successives à partir du XIIème siècle. Commerçants redoutables, les Yorubas
musulmans règnent aujourd’hui, au besoin par confréries très fermées, sur le
commerce d’import-export officiel et clandestin dans le sud du pays et pèsent donc
très lourd dans l’économie formelle et informelle. Les Yorubas de nos jours
demeurent en grosse majorité nigérians. Ceux du Bénin, environ 600 000, dominent
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fortement dans le sud-est de Porto-Novo à Kétou et Savé. Leur présence est sensible
aussi à Dassa et Savalou. Les groupes du sud les plus occidentaux, submergés par
les migrations adjas aux XVII et XVIIIèmes siècles, n’en ont pas moins fortement
contribué à l’organisation des sociétés fon d’Abomey et goun de Porto-Novo. Sont
aussi Yorubas d’origine les Sohoués du Mono. En revanche, l’unanimité ne s’est pas
faite encore sur l’origine véritable des Aïzos déjà éparpillés dans tout le sud lorsque
les Adjas sont venus s’y installer.
On discute aussi pour savoir s’il faut prendre les noms de Yoruba et Nagot
comme de parfaits synonymes. Par Nagot on désignerait plus particulièrement les
Yorubas musulmans.
De plus, les Yorubas se sont toujours interposés entre le Bénin actuel et le
Bénin historique. En effet, on les retrouve à la fois au Togo, au Bénin et au Nigeria.
Ils représentent actuellement 30% de la population béninoise. Le commerce est leur
domaine de prédilection. Ils constituent la communauté la plus riche du pays.
• Le Mono
Le petit sud-ouest (plus exactement les deux tiers du sud entre l’Ouémé et la
frontière togolaise), c’est-à-dire l’actuel département du Mono, a une situation
ethno-historique particulièrement complexe. Cette région est occupée par des
populations du groupe adja-éwé, à peu près 800 000 personnes, venues par petites
vagues de Tado (au Togo actuel). Ce groupe se compose encore aujourd’hui de dix
peuples ethniquement homogènes.
Les Popos ou Plas se sont fixés à Agbanakin, à l’extrémité sud-ouest du
Bénin. L’endroit sera propice pour le contact avec les Blancs.
Leurs cousins, les Houèdas, se sont d’abord centrés sur Sahè fondée au milieu
du XVIème siècle, puis bousculés et éclatés en sous-groupes difficiles à suivre. Quoi
qu’il en soit, entre 1520 et 1550 ils fondent leur capitale : Savè.
Les Ouatchis, installés autour de Comè sont venus de Notse et demeurent
encore aujourd’hui plus nombreux au Togo qu’au Bénin.
Les Sès sont installés autour du Sè actuel et l’on ne connaît pas encore leur
histoire.
Les Adjas, ancêtres des Fons, ne représentent que 10% de la population. Ils
occupent le sud-ouest du Bénin. Ils sont cultivateurs et pêcheurs.
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Les Dogbos, de Dogbo-Tota et Kouékanmè, « sortis de terre », et les Houés
pourraient ne pas être des Adjas mais des autochtones méconnus par l’histoire.
Viennent aussi trois groupes d’Aïzos dérivant également des Adja-Tados mais
soumis à une forte pression des Aboméens. Ce sont les Gbessis sur la rive droite du
lac Ahémé, les Tchis dans sept villages à l’ouest du Kouffo, les Kotafons entre
Athiémé et le Kouffo.
Les derniers et les seuls à être indiscutablement étrangers à la nébuleuse adja-
éwé-fon-aïzo sont les Sahouès, d’origine nagot-yoruba, venus à l’est s’installer en
pays houèda au début du XVIIIème siècle.
Dans le sud, après une première vague de Guin, du littoral du Ghana actuel,
les Minas se sont accrochés tout au long de la côte du Togo et du Bénin. Cette
minorité active, entreprenante, polyglotte, riche de ses contacts avec les Européens,
est assimilable elle aussi à la nébuleuse adja-éwé sa langue, véhiculaire d’Accra à
Lagos, s’est essentiellement forgée à partir des différents dialectes du groupe éwé et
imposée du même coup dans tout le bas Mono.
• Les « Brésiliens », les Fons et les Gouns
Les « Brésiliens » sont des esclaves affranchis du Brésil qui ont amorcé vers
1830-1835 un spectaculaire mouvement de retour vers l’Afrique. Métissés ou non,
parfois déjà islamisés, relativement instruits et disposants même de capitaux, ces
rapatriés volontaires se taillent vite sur le littoral des situations économiques et
politiques considérables. Ils ont imprimé aussi leur marque spécifique sur
l’architecture civile et religieuse, la gastronomie et la vie socioculturelle.
Au delà des dix petits peuples du Mono, les Fons constituent un groupement
ethnique d’une grande magnitude et le plus important du Bénin : plus de 2 millions
d’habitants, 42% de la population au recensement de 1994. Nous retrouvons
longuement à l’époque coloniale ces héritiers en ligne directe du groupe alladanou
venus s’installer à Abomey vers 1645 et devenus par l’histoire les « Dahoméens »
par excellence. Les Fons ont donc marqué l’histoire et restent très nombreux
aujourd’hui dans la vie politique et artistique du pays. Leur vie religieuse est
dominée par le culte du vaudou.
Comme eux, les Gouns de Porto-Novo descendent des Alladanous fixés à la
fin du XVIIème siècle à Hogbonou, ainsi que les Ouémés/Ouéménous, cultivateurs
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de marais, installés sur les deux rives du bas Ouémé qui a littéralement façonné leur
civilisation. Grands producteurs de manioc, les Gouns exploitent aussi
judicieusement le palmier à huile.
Au groupe fon moderne se rattachent aussi les Gens-de-l’eau Toffinous et
Aguégués (au nombre d’environ 30 000), réfugiés sur le lac Nokouè et ses alentours,
et célèbres pour leurs villages lacustres et leurs activités de pêcheurs.
Cette jeune nation, qu’est le Bénin, est constituée d’une vingtaine de groupes
socio-culturels possédant une assise territoriale. En résumé, on retrouve :
-au sud-ouest : Adja, Watchi, Gen, Xwéda, Xwla, Mina, Popo
-au sud : Fon, Aïzo, Toli, Toffin
-au sud-est : Goun et Yoruba
-au centre : Yoruba, Fon, Mahi
-au nord-est : Bariba, Dendi, Fulbe
-au nord-ouest : Betammaribe, Waaba, Yowa
Ainsi, avec 42% de Fons (et apparentés), 15,6% d’Adjas, 12,1% de Yorubas,
8,6% de Baribas, 6,1% de Betammaribes, autant de Peuls et environ 10% de divers,
au dernier recensement de 1992, le Bénin comprenait donc six grandes familles
ethnico-linguistiques.
2- La colonisation
En 1851, la France signa un traité commercial et d’amitié avec le chef de
Porto-Novo. Dix ans plus tard, en 1861, les Britanniques prirent au Dahomey la ville
de Lagos (l’actuelle capitale du Nigeria). Par les traités de 1868 et de 1878, la région
de Cotonou située entre Ouidah, comptoir français, et Porto-Novo fut cédée à la
France. En 1883, le roi de Porto-Novo, souhaitant se protéger des visées
expansionnistes du Dahomey, signa un traité de protectorat avec la France. Capturé
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en janvier 1894, le roi du Dahomey fut déporté en Martinique et les établissements
français se regroupèrent alors au sein de la colonie du Dahomey.
En 1899, le Dahomey intègre l’Afrique Occidentale française (AOF). Ses
frontières furent fixées en accord avec la Grande-Bretagne, établie au Nigeria, et
l’Allemagne présente au Togo.
Rallié à la France libre durant la Seconde Guerre mondiale, le Dahomey
devint, en 1946, un territoire français d’outremer, puis, en 1958, un � tat autonome
au sein de la communauté française. Le pays accéda à l’indépendance le 1er août
1960 et entra, le mois suivant, aux Nations-Unies.
3- De l’indépendance à nos jours
• Politique
De 1960 à 1972, les gouvernements civils et militaires se succèdent. A la
suite du coup d’Etat militaire de 1972, le Général Mathieu Kérékou a dirigé le pays
à la tête d’un gouvernement militaire et révolutionnaire marxiste. La république
populaire du Bénin est proclamée le 30 novembre 1975.
Depuis la « Conférence nationale des forces vives de la nation », qui s’est
tenue à Cotonou en janvier 1990 :
- Le pays s’appelle « République du Bénin ».
- Les droits de l’Homme ont été affirmés et les prisonniers politiques libérés.
- Le pluralisme syndical et le multipartisme sont de règle.
En 1991, le suffrage universel a porté à la présidence de la République du
Bénin, Nicéphore Soglo, et a permis l’élection d’une Assemblée Nationale. Mais, les
ajustements structurels et la compression des dépenses publiques recommandées par
le Fond Monétaire International ont ravivé le mécontentement. Après avoir perdu sa
majorité au sein de l’Assemblée législative, le président Soglo a été battu par
Mathieu Kérékou à la présidentielle du 17 mars 1996.
• Religions
Plus de la moitié de la population est animiste (ou fétichiste). L’animisme est
pratiqué dans toutes les régions du pays. Il repose sur une conception polythéiste de
l’univers : Dieu ou le « créateur » est en tout et partout. L’ensemble de cette
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conception, composée de divinités diverses, est appelé Vaudou dont le Bénin est
incontestablement le berceau.
Les chrétiens, catholiques et protestants représentent 20% de la population et
vivent essentiellement dans le sud, 15% de la population est musulmane, surtout
dans le nord.
Au Bénin, grâce au phénomène du syncrétisme, catholiques, protestants et
musulmans participent allègrement aux festivités du Vaudou.
• Démographie
La population du Bénin est passée de 1 million d’habitants en 1930 à 2
millions d’habitants en 1960, 3 millions en 1980 et 4 millions en 1990. Le Bénin
compte environ 5,41 millions d’habitants, selon les estimations officielles de 1994.
On prévoit que la population sera de 10 millions d’habitants en 2020 avec un taux de
croissance 1990-2020 de 2,74% par an. De plus, il existe une grande propension à se
rendre à l’étranger chez les Béninois. Mais c’est l’exode rural qui constitue la plus
grande préoccupation des autorités du pays. Les villes de Cotonou, Porto-Novo et
Parakou absorbent la grande partie des migrations rurales vers les villes.
La population béninoise est jeune. Un Béninois sur quatre a moins de 5 ans
et plus de la moitié de la population a moins de 20 ans. Cette population compte
plus de 50% de femmes. La densité moyenne globale est de 48 habitants au km2,
elle est cependant trois fois supérieure au sud, où sont concentrés les trois-quarts de
la population. Seulement 20% des habitants habitent les villes. En 1994, l’espérance
de vie était de 50,6 ans pour les hommes et de 52,4 ans pour les femmes.
Les Fons et les Adjas, communautés très apparentées, représentent 59% de la
population et constituent les groupes les plus importants au sud du pays. Les Baribas
et les Sombas sont les plus nombreux au nord du pays (14% de la population totale).
Les Yorubas, qui regroupent 9% de la population, prédominent au sud-est. A
d’autres petits groupes côtiers comme les Minas il convient d’ajouter les
« Brésiliens », portant des noms portugais, issus des anciens esclaves revenus du
Nouveau Monde.
• Education
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De 1960, année de l’indépendance du Dahomey, à 1975 le système scolaire a
été calqué sur celui de la France. Le 23 juin 1975, une loi d’orientation de
l’Education Nationale transformait l’instruction qui « libérée de toute domination
étrangère » devait « former des hommes politiquement conscients des problèmes
nationaux ».
En 1990, 76,6% de la population au-dessus de 15 ans est analphabète.
C- Un répertoire de langues.
Avant de présenter le Bénin sous un angle sociolinguistique, il s’avère
nécessaire de préciser quelques notions et de nous situer dans le champ des
disciplines du langage.
1- Définitions ou précisions langagières
• Langue, langage
« Par langage, dit Balibar, on désignera l’activité humaine de symbolisation.
Sous la pression directe des réalités, l’animal crie, l’homme crie de la même façon,
mais en outre il s’adresse par la voix à d’autres hommes : il émet des sons par
lesquels des interlocuteurs parlent ensemble, se représentent symboliquement des
réalités absentes ou abstraites [...]. Par langue, ajoute l’auteur, on désignera l’activité
humaine capable de représenter symboliquement, par des écrits, des parlers [...].
L’homme est ainsi passé de la communication intuitive du langage à la
communication réfléchie en langues. » (1993, p. 8).
La langue est avant tout un instrument de communication. De fait, elle relève
aussi bien d’une base linguistique que de l’individu et de la société. Nous nous
intéresserons plus particulièrement à la langue comme activité sociale.
• Les langues
Le Bénin est un pays à la fois plurilingue et multilingue. Selon Marc-Laurent
Hazoumé, linguiste béninois, le multilinguisme représenterait « la coexistence de
langues dont les aires d’emploi concernent plusieurs Etats », c’est le cas par exemple
20
du haoussa qui se retrouve au Bénin, au Niger et au Nigeria. Le plurilinguisme serait
« l’existence de plusieurs langues à l’intérieur d’un même Etat » (1996, p. 31). En ce
sens, on peut affirmer que le Bénin est un pays à la fois plurilingue et multilingue.
Mais, toutes ces langues n’ont pas les mêmes fonctions. Il existe plusieurs
types de parlers. Le français est la langue officielle au Bénin. Les langues nationales
sont celles reconnues par la Constitution. La langue vernaculaire est parlée
seulement à l’intérieur d’une communauté. C’est le cas du yom (prononcer
« ioum ») dans la communauté Yowa. En revanche, les langues véhiculaires
permettent la communication entre des communautés d’une même région ayant des
langues maternelles différentes. C’est le cas du dendi au nord Bénin.
On peut aussi parler un dialecte, c’est-à-dire une variété de langues propre à
un groupe géographique et qui diffère de la langue standard. Le patois étant la
continuité de ce qui s’est parlé au cours des siècles et qui ne s’est pas enseigné à
l’école.
Il existe donc des langues différentes et des langues à fonctions différentes.
Mais, il existe aussi des variétés d’une même langue.
C’est la théorie que Charles Ferguson développa en 1959 après avoir constaté
que dans beaucoup de communautés deux ou plusieurs variétés d’une même langue
sont utilisées. Ses travaux sur les situations sociolinguistiques de la Grèce, les pays
arabophones, la Suisse et Haïti révèlent l’utilisation de deux variétés d’une même
langue. L’une dite « haute » est codifiée et prestigieuse. Elle s’utilise dans des
occasions formelles : enseignement, fonction publique, presse, etc. L’autre, la
variété vulgaire est dite « basse ». Elle sert pour les besoins de communication
inhérente à la vie familiale quotidienne.
A travers ces définitions, nous saisissons déjà les difficultés liées à l’étude des
langues sous un angle humain.
• Les disciplines
« La théorie linguistique a affaire fondamentalement à un locuteur-auditeur
idéal, inséré dans une communauté linguistique complètement homogène,
connaissant sa langue parfaitement et à l’abri des effets grammaticalement non
pertinents. » nous dit le linguiste Américain Chomsky (1973, p. 25). Ferdinand de
21
Saussure fit évoluer la linguistique vers la linguistique sociale puisque selon lui, « la
langue est la partie sociale du langage extérieure à l’individu » (1931, p. 31).
La linguistique sociale étant l’étude de la façon dont les groupes ou
mouvements sociaux se créent leur propre univers linguistique.
La socio-linguistique quant à elle s’occupe de phénomènes très variés : les
fonctions et les usages du langage dans la société, la maîtrise de la langue, l’analyse
du discours, les jugements que les communautés portent sur leur(s) langue(s), la
planification et la standardisation linguistique, etc. L’objectif de la socio-
linguistique est de comprendre comment la langue fonctionne en société et comment
les langues font fonctionner les sociétés. C’est une discipline théorique qui s’articule
autour des deux notions de langue(s) et société.
La sociologie du langage est une science humaine de terrain qui consiste à
découvrir à travers des données linguistiques des faits non linguistiques.
Personnellement, je me situe à cheval entre la sociologie du langage et la
socio-linguistique. Avec une méthodologie sociologique acquise lors de mes études
je récolterai par une enquête de terrain des faits linguistiques et sociologiques pour
les mettre en relation. Autrement dit, dans un espace délimité je chercherai à
connaître les locuteurs et à travers eux les rapports qu’ils entretiennent avec leur(s)
langue(s).
2- Présentation sociolinguistique du Bénin
Nous l’avons vu précédemment, le Bénin actuel est le fruit d’une histoire
culturelle composite. De fait, l’identité ethnique est particulièrement sensible. Elle
se traduit par une expression originale et composite dans tous les domaines.
Ainsi, la situation linguistique du Bénin peut être dénommée plus justement
ethno-linguistique. Le français, fruit de la colonisation, est la langue officielle. Mais,
il n’étouffe pas pour autant les langues nationales encore bien vivantes et difficiles à
dénombrer tant elles sont variées. Nous les regrouperons par familles avant de voir
les rapports que toutes ces langues entretiennent entre elles. Par la suite, nous les
présenterons et analyserons leur statut.
• Les familles de langues
22
Les langues présentes sur le territoire béninois se répartissent en trois familles
linguistiques (Cf. Annexe 2). Quelques langues appartiennent aux familles Nilo-
Saharienne et Afro-Asiatique mais la majorité des langues parlées au Bénin font
partie de la famille Niger-Congo. L’atlas socio-linguistique du Bénin signale 52
langues appartenant à cette famille. Celle-ci se divise en deux groupes linguistiques
dominants. Monsieur Igué, socio-linguiste Béninois, Directeur du CENALA (centre
national de linguistique appliquée) les défini ainsi (1994, p. 107) :
« - le groupe des langues dites gur ou voltaïque localisées dans la partie
septentrionale du pays (16,07% de locuteurs pour l’ensemble du Bénin).
- le groupe des langues kwa comportant deux sous-groupes : le sous-groupe
« gbe » et le sous-groupe « ede » située dans le sud (69,42% de locuteurs pour
l’ensemble du Bénin).
Il faut ajouter à ces deux grands groupes quelques autres langues situées dans
le nord (14,50% de locuteurs) et appartenant à différentes familles ».
• Rapports entre langues
A propos du rapport entre les langues, Monsieur Igué m’apprit lors de
l’entretien que j’ai eu avec lui que « au Bénin nous avons à peu près 110 langues
[ ...] malgré cette petite mosaïque linguistique il y a quand même l’inter-
compréhension ». Ainsi, parmi toutes les langues parlées au Bénin quatre jouent un
rôle véhiculaire inter-étatique. Le haoussa se retrouve également au Niger et au
Nigeria, le yoruba au Nigeria et au Togo, le dendi au Niger et au Mali et le fulfuldé
(ou peul) dans tous les Etats de l’Afrique occidentale, de la Mauritanie au
Cameroun. Pour sa part, le fon est la principale langue véhiculaire utilisée à
l’intérieur des frontières du pays, avec bien sûr le dendi et le yoruba.
• Des locuteurs et des langues
La répartition des locuteurs pour les principales langues s’établirait selon le
site internet (http ://www.tecsult.com/Educmana/ benin/ populat.htm) de la façon
suivante :
23
Fon-gbe 26%
Yoruba 14%
Bariba 13%
Gun-gbe 12%
Aja-gbe 11%
Ayizo-gbe 8%
Ditammari (somba) 5%
Tem 4%
Peul 2%
Dendi 2%
Autres 3%
Ce diagramme illustre déjà la différence dans le plurilinguisme. En effet, on
remarque que le fon est la langue la plus parlée avec 26 locuteurs sur 100 Béninois.
De plus, seules 10 langues sont citées dans ce tableau ; or, selon monsieur Igué il y
aurai au Bénin plus de 110 langues. Autrement dit, 100 langues se retrouvent dans la
catégorie « autres » avec 3% de locuteurs.
24
• Statut des langues
Le français est la langue officielle de la République du Bénin.
En 1974, la politique linguistique du Général Kérékou a opté pour la
promotion et la valorisation des langues nationales. Mais aucune mesure n’a été
prise pour les langues véhiculaires qui sont traitées comme les autres langues.
Sur le territoire il y aurait plus d’une centaine de « parlers ». Mais l’Atlas
socio-linguistique du Bénin signale 52 langues. Sur ces 52 langues nationales, 19
font l’objet de la promotion votée par l’Assemblée nationale et 8 sont enseignées
dans les centres d’alphabétisation. Il s’agit du bariba, dendi, fon, yoruba, adja, yom,
ditammari et goun.
Officiellement toutes les langues ne se valent pas. Nous tâcherons de voir par
une enquête de terrain les statuts que leur accordent les locuteurs.
3- La place du français
• Dans les faits
La constitution actuelle du Bénin (1990) fait du français la langue officielle et
ne confère aucun statut juridique aux langues nationales même si la Charte culturelle
adoptée comme loi les valorise clairement.
Selon Marc-Laurent Hazoumé, linguiste béninois, « Il n’existe pas de situation
conflictuelle entre le français et les langues béninoises bien que cette langue
étrangère soit l’apanage d’une minorité et que le Bénin soit également loin d’une
« pidginisation » du français à l’instar de certains pays africains francophones »
(1994, p. 105).
Cela peut s’expliquer par le fait que les langues nationales et le français ont
des fonctions bien différentes. Le français est la langue officielle, la langue de
l’administration, celle de l’enseignement et celle de la promotion sociale. Les
langues nationales sont les langues des rapports sociaux, de la vie familiale et celles
des activités culturelles.
Mais il semblerait cependant que le français tende à s’imposer dans tous les
domaines de la vie sociale.
• Causes
25
La place du français dans la communication béninoise est issue de la
colonisation. La politique linguistique du colonisateur qui s’est voulue assimilatrice
n’a pas pris en compte les langues nationales.
Ainsi l’école s’est faite en français. Or, Pierre Bourdieu nous dit que « Dans le
processus qui conduit à l’élaboration, la légitimation et l’imposition d’une langue
officielle, le système scolaire remplit une fonction déterminante » (1997, p. 32).
• En conséquence
Les conséquences sont multiples. L’administration a hérité de la langue de
travail du système colonial. Les documents à l’intention des citoyens sont rédigés en
français. L’enseignement scolaire se fait en français.
Alors, le français véhicule les savoirs modernes et par la même occasion jouit
d’un grand prestige. C’est l’instrument obligatoire de la promotion sociale. De fait,
il s’impose peu à peu au détriment des autres langues.
26
II- Onklou, terrain d’enquête.
A- Le cadre général.
La langue étant la résultante d’une convergence de données à la fois
physiques, historiques et socio-culturelles, son étude passe nécessairement par une
connaissance de ces données. Pour ce faire, nous décrirons la province de l’Atacora
et le village d’Onklou.
1- L’Atacora
• Le milieu physique
La province de l’Atacora couvre 31 200 Km2, c’est à dire 30% de la superficie
du pays. Elle est limitée au nord par le Burkina Faso (anciennement la Haute-Volta),
à l’ouest par le Togo, au sud par la province du Zou et à l’est par la province du
Borgou.
L’Atacora compte 65 communes et près de 510 villages.
Elle comprend 14 districts dont un district urbain (Djougou) et 13 districts
ruraux. Djougou fait également partie d’un district rural.
En 1980 la province était peuplée de 560 000 habitants avec une densité
moyenne de 18 habitants par kilomètre carré. Plus du tiers de la superficie est non
habitée en raison des forêts classées, des zones cynégétiques et du parc national de
la Pendjari dans le nord. Selon la commission nationale de linguistique « la
configuration morphologique, les difficultés de communication et le caractère
essentiellement rural de la province lui confèrent une originalité par rapport aux
autres provinces » (1980, p. 2).
La province de l’Atacora, articulée autour de la chaîne du même nom constitue
la région la plus haute du pays. De plus, la chaîne de l’Atacora constitue un château
d’eau d’où naissent les plus grands cours d’eau du Togo et du Bénin.
Le domaine climatique de type saoudien est influencé par l’altitude. Les
températures moyennes sont de 26 degrés à Natitingou, à une centaine de kilomètres
au nord de Djougou.
27
On distingue deux grandes saisons :
- une saison sèche de novembre à mi-mai
- une saison pluvieuse de mi-mai à octobre.
• Le milieu humain
Les habitants de l’Atacora sont d’origines très variées et leur installation court
d’une période très ancienne jusqu’à nos jours. Les sites occupés l’ont été en fonction
des impératifs du moment :
- eau et pâturages
- fertilité des sols et abondance du gibier
- sécurité.
On note trois types de répartition de l’habitat :
- habitat groupé en pays bariba, yowa, yoruba, gulmanché, lokpa, ani et dans
les grands centres urbains
- habitat dispersé en pays betammaribe (ou somba), berba et sola
- habitat en nébuleuses essentiellement en pays natema.
Les populations de la province pratiquent essentiellement des activités
agraires. L’agriculture vivrière et commerciale porte sur les céréales (sorgho, maïs,
petit mil, riz), les oléagineux (arachide, soja), les légumineuses (haricots) et les
potagers (tomates, piments, feuilles). Cette agriculture vivrière est complétée par les
produits de la cueillette (pommes cadjou, noix de karité, fruit de néré).
L’agriculture industrielle porte essentiellement sur le tabac, l’arachide, les
plantations de manguiers et du coton.
L’élevage est une activité présente dans tous les foyers. Il s’agit
essentiellement du petit bétail (cabris, lapins) et de la volaille. L’élevage bovin est
pratiqué par les Peulhs (ou Fulbes), les Gandos et les Betammaribes qui en font une
profession.
Dans les zones rurales les paysans pratiquent des activités artisanales (tissage,
vannerie, forge, cordonnerie, poterie). Les échanges s’opèrent sur les marchés ; ceux
de Djougou, Bassila et Kouandé ayant une envergure internationale.
La diversité des groupes socio-culturels se justifie par l’aspect géographique
assez varié et inégalement hospitalier. Elle s’explique aussi par la multiplicité des
axes et des causes historiques de migrations. Si la fertilité de certains sols et
28
l’installation des grands centres commerciaux favorisent un regroupement de
groupes socio-culturels, ces communautés, en dehors des cas récents et peu
nombreux de brassage, conservent néanmoins un caractère étanche. Même les
manifestations culturelles communautaires n’ont pas permis cette interaction qui
pourrait déboucher sur un recoupement de langues pour la détermination d’une
langue régionale.
• La langue et le peuple
Une diversité culturelle, signe d’une richesse indéniable, caractérise les
groupes socio-culturels de la province de l’Atacora.
Une autre caractéristique principale est que les noms des langues
(glossonymes) et les groupes qui les parlent (démonymes) ne s’appliquent pas
toujours de la même manière.
C’est ainsi que partant d’une classification quasi exhaustive, nous pouvons
distinguer les Betammaribes (ou Sombas) parlant le ditammari, les Yowas parlant le
yom, les Batembus parlant le batenu, les Berbas parlant le biali, les Natemas parlant
le nateni, les Waabas parlant le waama, les Yorubas parlant le nagot, les
Gulmancebas parlant le gulmancema, les Bebelibes parlant le mbelime, les Peulhs
(ou Fulbes) parlant le fulfulde, les Bazences parlant le foodo, les Gisedas parlant le
ani, les Mosis parlant le moore, les Kotokolis parlant le tem et autres minorités
nationales telles que les Loosos, les Solas, les Kabiés, les Zarmas, les Bulbas, les
Lokpas, les Dendis et les Haoussas parlant leur langue respective.
Il convient de souligner que les peuples sont souvent dénommés au travers de
leur langue. Par exemple, on parlera des Ditammaris ou Sombas, des Kotokolis, des
Yoms.
En 1980, le ditammari était parlé par 90 000 locuteurs, le yom 80 000, le
batenu par 50 000 et les autres langues étaient parlées par moins de 50 000
locuteurs.
Toutes ces langues sont présentées comme autonomes et assez hermétiques les
unes par rapport aux autres, ce qui place les populations dans une situation de
plurilinguisme, reflet de la diversité culturelle indéniable.
29
2- Onklou
C’est au village d’Onklou situé dans la province de l’Atacora que je me suis
installée durant un peu plus de deux mois. J’exposerai ici les caractéristiques
physiques du milieu, j’en dresserai un petit historique avant de présenter le milieu
humain.
• Le milieu physique
Onklou est une petite commune rurale située à 93 kilomètres de Parakou et 43
de Djougou. Elle fait partie du département de l’Atacora et de la circonscription
urbaine de Djougou (Cf. Annexe 3) et comprend quatre villages : Onklou, Danogou,
Daringa et Bakou ainsi que trente-trois hameaux. La commune est traversée du nord-
ouest au sud-est par la route goudronnée, appelée « goudron » par les béninois. Elle
est bordée au nord par la commune de Partago et au sud par le département du
Borgou. A l’est du village se trouve la forêt classée de l’Ouémé supérieur, à l’ouest
le marigot Berega et au sud-ouest le mont Adjardja (Cf. Annexe 4).
Le fétiche Béréga est le dieu protecteur du royaume à qui on offre des
sacrifices annuels afin de pouvoir bénéficier de sa protection et de ses faveurs.
L’animisme a toujours été la religion du royaume malgré l’émergence de
l’islam et du christianisme.
Les principales infrastructures sont : la place du marché, la Mairie, le
dispensaire et la maternité, la mosquée et les églises catholique et protestante.
• Historique
J’ai pu obtenir des données historiques par l’intermédiaire des villageois
puisque la tradition orale y est encore très développée. Mes principaux interlocuteurs
ont été mon interprète Souleymane Boukari dit « Pompiste », Djara, pasteur de
l’église protestante méthodiste et monsieur le Maire Zakari Foudou. Voici un extrait
de l’entretien (voir annexe 7) que j’ai eu avec ce dernier :
« Très bien. Et, vous pourriez me faire un court historique maintenant de la
commune de Onklou ?
30
*Oui. La ville de Onklou a été créée en 1917 par Worou Béréga qui est de
Soubouroukou. Dans le conflit avec sa population là-bas, étant roi, il est venu voir
l’administrateur civil de Djougou pour lui demander qu’il voudrait entrer en brousse.
Il a demandé les raisons. Il s’est expliqué, bon, on ne pouvait pas le contrecarrer
pour éviter les dangers. C’est ainsi que l’administrateur civil, Monsieur Mississante,
l’a dirigé vers ici, ne serait-ce que pour favoriser le percement de la voie Djougou-
Parakou. L’administrateur lui présenta le roi de Sérou, le premier village, 7
kilomètres de Djougou. Ils se sont connus et c’est ainsi que le roi, il comprenait un
peu le français, c’était un ancien élève. Mais de ce temps-là, il était le meilleur.
Etant roi, c’est lui qui interprétait (traduisait) la langue sur la ligne (la route). C’est
ainsi qu’on lui a montré la route à suivre. Il a avancé, avancé, avancé. Arrivé au
niveau de Vanhoui, la piste est finie et celui qui est à Vanhoui, là, c’était un, il était
déjà en mésentente avec ses parents de Sérou. Et, dans la colère, il est venu fonder
Vanhoui. Pour abandonner ses parents, quoi, il est parti créer le village de Vanhoui.
Il était là, seul. Donc, Worou Béréga a suivi la piste jusqu'à Vanhoui pour trouver un
seul qui était logé là. Bon, il a avancé, avancé jusqu’au niveau de Onklou II actuel.
C’est au niveau de la forêt, c’est là où il s’est installé. Les bêtes féroces l’embêtaient
de telle manière qu’il est obligé de se retourner pour chercher son confrère de, du
village de Sérou, à côté de Soubouroukou, un grand chasseur qui a des produits
chimiques (magiques) pour renvoyer les bêtes. C’est les bêtes féroces qui
l’embêtaient. Il l’a appelé pour s’installer à côté de lui, pour l’aider à s’installer ici.
Donc, c’est ici qu’ils se sont installés. Lui, grâce à ses produits chimiques il a pu
installer son village qui était dans le temps à Danogou. Le village s’appelait
Danogou. Et, c’est là où actuellement il y a l’église de la foi apostolique. C’est là.
On ne pouvait pas rentrer jusqu’ici. C’était la forêt ici. Ils se sont installés là pour
renvoyer les bêtes. Quand ils ont eu de la paix, ils ont dit « bon, maintenant ça va,
mon frère, comme tu es le plus courageux, on ne peux pas rester côte-à-côte parce
que d’un jour à l’autre il y aura bagarre entre toi et moi. Va t’installer là-bas, je serai
ici ». Et il a mis encore en profondeur pour s’installer là-bas, près de l’école et c’est
là qu’on appelle Séra fonga.
Et ça veut dire quoi Séra fonga ?
*La forêt des fauves. Donc c’est là où il a fait avancer le chasseur, le
courageux, lui, il était là. Un instant après, il a dit « non, ça ne peut pas. Quand je
31
viens de Djougou, quand le roi de Djougou m’invite aux réunions, je mets du temps
à marcher. Si ce n’est pas Vanhoui, je ne trouve pas un village pour me reposer et,
j’ai vu un site là, très intéressant ; il va falloir que tu rebrousses chemin pour
s’installer là-bas. Là, lors de mes voyages, je prendrai repas chez toi ». Et c’est ainsi
qu’il a indiqué Partago. Et effectivement, il est retourné pour construire à Partago,
l’homme de Séra fonga. C’est les gens de Sérou là, c’est eux qui ont de tout.
Et ça veut dire quoi Partago ?
*Partago, ça veut dire « rentre définitivement ». Cora-pata, pata veut dire
« définitivement » et cora veut dire « rentre ». Pata-gora. Bon, dans un premier
temps, il était déjà habitué à Onklou qu’il ne voulait pas s’installer définitivement.
Et ça a donné le nom de « rentre définitivement ». Et c’est ainsi que je connais
l’histoire. »
Grâce à cet extrait, on apprend que la constitution de la commune est récente
et qu’elle s’est développée grâce à un Yom. De plus, on peut percevoir l’importance
du roi et donc de l’organisation sociale traditionnelle.
Concernant la langue on se rend compte que le français du Maire n’est pas le
même que le mien. Le vocabulaire et la syntaxe varient.
• Milieu humain
Actuellement, la population de la commune d’Onklou, selon les prévisions de
Ministère de la santé publique et de la direction départementale de l’Atacora,
atteindrait 11 610 personnes en 1999. Le village abriterait 5 750 habitants.
L’habitat est regroupé dans le centre au bord du goudron.
Les activités sont essentiellement agricoles. On y pratique aussi la cueillette et
la pêche dans le marigot. L’élevage de bovins est uniquement pratiqué dans les
camps peulhs. En revanche, une petite basse-cour est présente dans chaque foyer.
On croise des poules, des pintades et parfois quelques cabris.
L’artisanat est aussi très présent. On rencontre des forgerons, des tisserands,
couturiers, brodeurs, etc.
En raison de la proximité de la forêt on trouve aussi des scieurs et des
menuisiers.
La chasse est également pratiquée.
32
D’un point de vue socio-économique le marché représente un temps important.
Il a lieu tous les quatre jours et ponctue ainsi la vie du village. Le temps social
s’organise par rapport à ce marché. On y vend ses productions : ignames, haricots,
bananes, beignets, beurre de karité, huile d’arachide, etc. et on achète des produits
qui parfois viennent de la ville. Les femmes sont les principales actrices. C’est un
jour de rassemblement. Les habitants des villages alentour et des hameaux se
déplacent. On voit les clients, la famille, les amis. On y boit les boissons locales :
Tchoucoutou (bière de mil), bam (alcool de bambou), sodabi (alcool de palmier) et
on palabre.
D’un point de vue socio-culturel, de nombreuses ethnies se côtoient. J’en ai
dénombré 45. Quantitativement la plus importante, dans le village d’Onklou, c’est le
groupe des Yowas qui représente 83% de la population. Ensuite viennent les
Baribas, les Betammaribes, les Lokpas et les Dendis . Toutes ces ethnies parlent la
langue de leur groupe.
Les Yowas, d’après le Maire, « Ils sont donc originaires de Soubouroukou
et ils sont venus ici avec le roi pour la terre fertile.
*Oui.
Qu’est ce que veut dire Yowa ?
*Yowa veut dire « berceur ».
Berceur ?
*Oui, c’est quelqu’un qui berce. Le Yowa veut dire, en un mot, hein, je
m’explique, à nous d’avoir l’idée pour avoir le vrai mot. Yowa veut dire, « celui qui
berce l’enfant ». Le Yowa, c’est comme ça, c’est le berceur. Le Yowa c’est
quelqu’un qui chérit un étranger qu’il ne connaît pas. N’importe qui, qu’il ne connaît
pas, il l’accueille gentiment.
C’est vrai.
*Voilà, c’est ça le Yowa. Yowa veut dire le berceur. Il berce, qu’il te
connaisse ou pas. C’est ça « ma yowa » veut dire « je le berce ».
Et Yowa c’est le pluriel de Yom ?
*Non. Les Yowas, le Yora. Le Yora c’est le singulier, Yowa c’est le pluriel,
yom c’est la langue.
33
Et que veut dire yom ?
*Yom c’est la langue, c’est tout.
Et yom et pila-pila, c’est la même chose ?
*Non, Pila-pila c’est un surnom. Pila pila c’est une salutation, c’est comme
merci merci. Pila pila c’est comme merci merci. [...]
Est-ce que les Yoms sont de la même famille qu’une autre langue ?
*Ils sont de la même famille que les Tanecas. Le taneca c’est le yom mais
l’expression diffère. On parle la même langue mais, il faut être attentif pour
comprendre le taneca. C’est la même chose.
Et comment ça se fait ? C’était la même famille au début ?
*Oui, je peux même dire, c’est la même famille. Je peux même dire, c’est le
taneca qui a naquit le yom. Le yom même c’est une modération. C’est le taneca qui,
à ma connaissance, en tant qu’alphabétiseur de carrière, toutes les sources de yom
on les retrouve dans le taneca. C’est les Tanecas qui arrivent à nous expliquer
correctement les sources de chaque langue. Donc il semble que l’origine du yom,
c’est le taneca pour moi. ».
Onklou est donc une jeune commune rurale peuplée essentiellement de
Yowas, dont la langue, le yom est apparentée au taneca.
B- Hypothèses de travail.
1- Postulat : la pratique de la langue est un fait social.
Pour cette étude nous nous baserons sur le postulat selon lequel « la pratique
de la langue est un fait social ». Plusieurs auteurs ont déjà tenté de le démontrer.
La fonction principale du langage est la communication. En 1963, Jakobson a
schématisé les composantes de tout acte de communication verbale dans son
ouvrage Essai de linguistique générale. Il y a 6 fonctions fondamentales pour qu’un
message se transmette. Le message est au centre de l’acte de communication : c’est
ce qui est dit. L’émetteur est celui qui envoie le message. Le destinataire est celui à
34
qui le message est envoyé. La transmission a lieu grâce à un contact physique. Le
code linguistique doit être commun aux interlocuteurs ainsi que le contexte culturel.
CODE
� �
� METTEUR � MESSAGE � DESTINATAIRE
� �
CONTACT
CONTEXTE
Ce schéma nous démontre bien à travers toutes ses composantes la fonction et
la nature sociale du langage.
La publication posthume en 1916 des Cours de linguistique Générale du
linguiste suisse Ferdinand de Saussure (1857-1913) révéla une nouvelle approche
linguistique. Ce dernier établissait une distinction entre les concepts de langue et
parole. Il a définit la langue comme un phénomène de société. Mais, pour la
recherche il l’a totalement extraite de son contexte social cherchant ainsi les règles
qui permettent aux interlocuteurs de communiquer. Le système de langue étant ce
qui est totalement obligatoire dans le langage pour se comprendre (grammaire,
vocabulaire, conjugaison, etc.). La parole c’est ce qui relève de l’individu (choix
stylistique, rhétorique, tons, etc.). La langue est donc la partie sociale du langage. A
lui seul l’individu ne peut ni la créer ni la modifier. Elle n’existe qu’en vertu d’une
sorte de contrat passé entre tous les membres de la communauté.
Ferguson plus tard a propagé la notion de « diglossie ». Il fut le premier à
employer le terme par écrit en 1959 sous la forme de « diglossia » dans la revue
« Word ». Il avait constaté que dans beaucoup de communautés deux ou plusieurs
variétés d’une même langue sont utilisées par rapport au contexte. En étudiant
quatre situations (la Suisse allemande, l’Egypte, Haïti, la Grèce) l’auteur définit la
diglossie comme l’utilisation de deux variétés différentes d’une même langue
(exemple : arabes classique et dialectal dans les pays arabophones). L’une dite
« haute » (high) est valorisée, écrite et reconnue mais parlée par une minorité.
35
L’autre, la variété de la langue dite « basse » (low) est « génétiquement » apparentée
mais moins prestigieuse. Ces variétés sont aussi employées par les mêmes locuteurs
avec un fort contraste entre leurs fonctions. Autrement dit, avec la notion de
diglossie Ferguson introduisait des locuteurs, des contextes d’usage, des modes
d’utilisation de la langue et la notion de prestige en linguistique.
Joshua Fishman a montré que cette situation de diglossie pouvait s’appliquer à
des langues non génétiquement associées, c’est à dire des langues différentes. Alors,
le yom et le français, par exemple, rentrent dans ce cadre diglossique. Les deux
langues sont employées avec des différences fonctionnelles.
Labov est un linguiste variationniste. Pour lui, l’intérêt de la langue c’est sa
fonction sociale. En 1962, dans le cadre de sa maîtrise, il a fait une étude sur « les
motivations sociales d’un changement phonétique » dans l’île de Martha’s Vineyard.
Sa méthode se base sur la mise en corrélation de variables linguistiques (formes
centralisées et non centralisées de deux diphtongues) et de causes extra-linguistiques
(habitat, identité sociale) dans une situation sociale. Il démontre ainsi que la
variation n’est pas libre mais explicable par la définition sociale des locuteurs
significative d’une identité sociale. Cette adoption inconsciente, pour Labov, d’un
trait phonétique suffit à marquer une appartenance communautaire. De fait, il met
aussi en évidence la notion de « conflit social » que sous-tend le changement
linguistique. Ses mots-clefs sont : changement, variation et communauté.
Bernstein a étudié le rapport entre langage et classe sociale. Pour lui, nous
intériorisons l’ordre social par l’intermédiaire du langage. Il a travaillé en Grande
Bretagne en partant de l’hypothèse que les enfants des classes populaires parlent
différemment de ceux des classes favorisées. Selon lui, la langue est un code, un
ensemble de règles. C’est le milieu qui conditionne la manière de raisonner tout
comme la façon de parler. De fait, le processus d’apprentissage de la langue parlée
influence jusqu’à la réussite professionnelle, d’ou la fonction sociale du langage.
Selon Bourdieu, les mots n’ont de pouvoir qu’en tant qu’ils représentent le
pouvoir de celui qui les énonce. La variation linguistique distingue entre eux les
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groupes de locuteurs. Les locuteurs qui sont distingués par leur maîtrise de la langue
légitime sont précisément les gens « distingués ». En d’autres termes, il montre le
caractère symbolique des variations linguistiques, leur fonction de distinction.
Ainsi, De Saussure à Bourdieu, le caractère social de la langue s’est révélé.
2- Hypothèses
Nous l’avons vu, l’Afrique est un continent plurilingue et le petit village de
brousse du nord Bénin qu’est Onklou n’échappe pas à la règle. En me basant sur le
postulat que « la pratique de la langue est un fait social » il s’agira d’étudier ce
plurilinguisme du côté des locuteurs.
Qu’est ce que le plurilinguisme ? Telle est ma question de départ. Pour
appréhender le sujet, j’ai choisi de l’étudier au travers des facteurs sociaux et des
faits langagiers. Il s’agira alors de corréler ces variables afin de pouvoir conclure par
une définition du plurilinguisme. Comment se gère-t-il ? Quels sont les rapports
existants entre le(s) locuteurs et leur(s) langue(s) ? Qui sont ces locuteurs ? Quelles
sont leurs pratiques ? Et puis, qu’est ce qu’une langue ?
Afin d’étudier plus rigoureusement tous ces phénomènes, j’ai établi deux
hypothèses principales que je tâcherai de confirmer ou d’infirmer par un travail de
terrain.
• Hypothèse 1 : chaque langue est particulière.
Pour établir la validité de cette hypothèse je me baserai tout d’abord sur les
faits langagiers, fruit de l’enquête de terrain. Ainsi, je présenterai les différentes
langues présentes à Onklou. L’objectif sera alors de montrer que pratiquement il y a
déjà des langues différentes.
Dans un second temps, c’est au travers de la variété de la langue que je
tenterai d’établir la singularité de chaque idiome. Existe-t-il des variations dans la
langue ? Entre les langues ? Y a-t-il des contextes d’usage de la langue ? Des
langues ? Chaque langue joue un rôle particulier ? Et le locuteur, accorde-t-il des
statuts, des valeurs à ses langues ?
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Enfin, si je peux répondre à toutes ces questions, je m’interrogerai alors sur la
place de la langue française à Onklou. Y a t il des variétés du français ? Des
usages ? Quelles valeurs lui sont associées ?
Et alors, chaque langue est particulière ?
• Hypothèse 2 : il existe des pratiques langagières différentielles.
Il existerait une structure sous-jacente au plurilinguisme dans laquelle le
locuteur est l’acteur principal. Autrement dit, j’émets l’hypothèse qu’il existe un
rapport entre le locuteurs et ses langues : suivant ce que l’on est on ne parle pas les
mêmes langues. La pratique de la langue serait variable selon des facteurs
sociologiques. Pour le vérifier j’établirai des corrélations entre des variables externes
et les pratiques langagières des locuteurs. Ces variables sont : l’âge, le sexe,
l’activité sociale, la religion, l’habitat, le parcours de vie et différentes
socialisations. Il s’agira alors de démontrer par une étude de terrain que les pratiques
langagières des locuteurs ne sont pas toutes identiques. Ensuite nous tâcherons de
déterminer quels sont les facteurs qui engendrent ces pratiques différentielles.
C- Méthodologie.
1- La pré-enquête
• Recherches bibliographiques
Dès septembre 98 j’avais décidé que mon mémoire de maîtrise porterait sur les
langues du Bénin. Afin d’affiner ma problématique je commençai des recherches
bibliographiques. Sur le Bénin, je trouvai quelques cartes et deux livres généraux.
Mais sur les langues du Bénin ... rien. Le site « ethnologue », sur internet
(http ://www.sil.org/ethnologue/countries/Beni. html), m’a permis d’obtenir des
informations du CNL, le Centre National de Linguistique. Il dénombre 51 langues
au Bénin.
La pauvreté des connaissances d’ordre sociologique m’a obligée à changer de
méthode de recherche.
• Rencontres
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Je décidais de me tourner vers les acteurs. J’entrepris de rencontrer des
Béninois en Bretagne. La tâche ne fut pas des plus faciles. Après la mairie, la faculté
et les associations je me suis tournée vers la cité universitaire où j’ai enfin rencontré
quelqu’un. Il s’agit de Youf. Grâce à la méthode du « bouche à oreille », j’ai pu
m’entretenir avec Rock et Davy. Je les ai tous vus deux fois. La première fut plus
une prise de contact et la deuxième une collecte de connaissances. Je les ai
interrogés sur la base (directe ou non) d’une grille d’entretien (Cf. Annexe 5). Celle-
ci me permettait d’accéder, dans un premier temps, aux faits de langues à travers les
locuteurs, c’est-à-dire à des connaissances linguistiques du pays. En effet, les
données que j’ai pu recueillir lors des recherches bibliographiques étaient
particulièrement floues. Ensuite, dans un second temps, je me suis intéressée aux
locuteurs et à leurs pratiques. Et, enfin, la troisième partie a porté sur l’imaginaire
linguistique (ou les représentations) des locuteurs quant aux langues en usage dans
leur pays.
Ces entretiens se sont révélés très fructueux. Tout d’abord, il s’agit d’un
complément d’informations sur le pays, son histoire, sa culture et ses coutumes.
D’un point de vue socio-linguistique, grâce aux informations qu’ils m’ont fournies
j’ai pu réaliser une carte linguistique du pays, tout à fait subjective mais qui avait
l’avantage de me livrer quelques points de repères. D’un point de vue tout aussi
pratique j’ai obtenu quelques adresses et lieux de contact au Bénin ainsi que dans le
Finistère.
• Plan
C’est sur la base de ces entretiens que j’ai affiné ma problématique. Je
décidais alors d’étudier les usages différenciés des langues au Bénin et l’influence
que peuvent avoir ces langues sur l’identité personnelle et sociale des locuteurs.
2- Premiers contacts avec le terrain
• Au départ ...
Lorsque je décollais le 2 juin j’emportais au fond de ma valise un plan de
rédaction, un plan de travail, un magnétophone et de nombreuses incertitudes.
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Le plan de rédaction se divisait en trois grandes parties : une sur le Bénin et
ses langues, une deuxième sur la pratique de la langue et enfin, une dernière sur la
place de la langue dans le processus de construction identitaire. Ce plan s’étoffera
tout au long du séjour ainsi qu’à la rentrée mais, il constituait avant tout une base de
travail.
Dans la pratique, le plan de travail s’organisera de façon à fournir tous les
matériaux nécessaire à la rédaction. Ainsi, en plus de l’observation participante au
quotidien pendant quatre mois, j’ai réalisé des entretiens courts semi-directifs, sus la
forme d’un sondage, avec tous les adultes de plus de 15 ans du village d’Onklou. En
outre, j’ai mené quelques entretiens longs afin d’approfondir certaines notions.
• Contacts
Le 2 juin 99 je décollai de Paris via Bruxelles et Lagos pour Cotonou capitale
du Bénin. Vaccinée, une bourse en poche, des fournitures plein la valise je
débarquais en terre inconnue avec deux heures de retard. Le Frère Gabriel
m’attendait. On posa mes 62 kilos de bagages à l’hôtel puis à pied on se dirigea vers
un « maquis », c’est à dire un petit restaurant africain. L’air était moite, la chaleur du
soir lourde, la pollution des gaz d’échappement repoussante. Une fois assis au
calme, le Frère m’exposa son programme : « Tu resteras quelque temps avec moi à
Thian chez les Frères de Ploërmel. Tu y seras nourrie, logée et ainsi tu te reposeras
et découvriras la ville à ton rythme. Puis, je t’ai trouvé une petite maison, à 6
kilomètres de Thian, dans la ville de Parakou. Ça devrait te plaire il y a l’eau
courante et l’électricité. De plus, c’est la plus grande ville au centre du pays tu y
trouveras de tout. Par la suite, si tu le souhaites tu iras en brousse ».
Ainsi je restai une semaine chez les Frères et je m’installai à Parakou pour
trois autres semaines. La vie y est calme. On circule en « zémidjan » ces taxis-motos
qui polluent tant, on y mange du poulet bicyclette (cuisse braisée), on fait des
rencontres. On commence à vivre à l’Africaine malgré la ville ; la chaleur impose le
port du pagne, la moustiquaire c’est une question de survie, la cuisine au réchaud à
pétrole, le ravitaillement au marché ...
A Parakou, j’ai sympathisé avec Danielle. C’est une jeune étudiante
Canadienne. Ensemble on a fait le projet de partir à l’aventure, sac au dos pour
découvrir l’Afrique noire. Ce voyage dura un mois. Il nous a conduites de Parakou à
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Cotonou, de Cotonou à Lomé, du Togo au Ghana. Au Ghana on a longé toute la côte
avant de remonter jusqu’au nord. De là on est allé au Nord Togo. Un vol de papiers
d’identité nous a menées à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Quelques jours
plus tard, on redescendait des souvenirs plein la tête pour Parakou. Danielle repartait
au Canada et moi, une autre expédition m’attendait.
• La brousse : Onklou
De retour je m’attaquai alors au travail de terrain. Le temps pressait.
Cependant, le séjour à Parakou et la découverte de l’Afrique noire n’ont pas
représenté une perte de temps. Je dirai même qu’ils me furent très utiles. En effet, à
Parakou, j’ai découvert la vie quotidienne, les manières de faire. Mais j’ai aussi
appréhendé les réseaux sociaux, les us et coutumes, les réactions et représentations.
Pour résumer je dirai que j’ai affronté les différences culturelles. J’ai appris les
choses à faire et ne pas faire, à gérer la différence. Ce court séjour de trois semaines
m’a permis de ne pas commettre de graves erreurs par la suite.
J’avais donc décidé de m’installer en brousse pour réaliser mon enquête
sociolinguistique. A 93 kilomètres de Parakou vers le nord, au bord du goudron se
trouve le village d’Onklou, à deux kilomètres de là Saint-Hippolyte. Saint-Hippolyte
est un vieux centre de formation agricole. Abandonné, il décrépissait à vue d’oeil
lorsque le Frère Gabriel l’a repris en main, voici deux ans. Avec l’aide de quatre
formateurs dont trois Togolais il forme actuellement deux jeunes du village à la
culture attelée pendant un an.
Je me suis donc installée sous la protection de saint Hippolyte pour deux mois.
En brousse les conditions de vie sont tout autres qu’à la ville. Il n’y a pas
d’électricité, on vit au rythme de la nature. On se lève avec le soleil vers 6H30, on
dîne dehors pendant que ce dernier se couche et, le soir étendu sur des nattes à la
lumière de la lampe à pétrole on reste palabrer, chanter, conter et rire. La première
nuit pour me souhaiter « bonne arrivée » on égorgea deux coqs !
Dès le lendemain, j’allai trouver le Maire, Monsieur Zakari Foudou, afin de
me présenter. L’accueil que je reçus fut particulièrement chaleureux : « c’est un
honneur pour le village que de vous recevoir ; je ferai tout pour vous faciliter la
tâche, si vous avez besoin de quoi que ce soit je serai toujours là ; c’est un honneur
pour nous, etc. ». Lorsque je lui exposai mon étude, il me promit de m’appuyer.
41
Ainsi, je l’entretenais de la nécessité de trouver un interprète jeune, multilingue et
sociable. Il me parla d’un bachelier mais qui, justement, passait ses examens. On me
présenta alors « Pompiste » afin de le remplacer dans les premiers jours puisque
j’étais pressée. Ce dernier, nommé ainsi en raison de sa fonction antérieure d’unique
vendeur d’essence du village, me dirigea dans Onklou toute l’après-midi. Une foule
d’enfants nous suivit. On me présenta plusieurs personnalités. Et, on visita le Roi,
chef traditionnel.
Par la suite, étant donné les qualités du Pompiste, je poursuivis l’enquête avec
lui. Curieux, multilingue et très sociable il me fut très utile. Détenteur de l’unique
« magasin » du village il en retirait un certain prestige et une respectabilité de fait.
Gentil et toujours serviable, intéressé par une nouvelle expérience il assuma sa
nouvelle fonction d’interprète avec beaucoup de sérieux. Ensemble, on travaillait
tous les jours de 8H00 jusque la nuit, vers 20H00, avec beaucoup de rigueur. Nos
seules pauses nous permettaient de nous restaurer à midi et, de 15 à 17H00 je
donnais des cours de français aux 6èmes les lundis, mardis et aux 5èmes les
mercredis, jeudis. Dans les foyers, on m’a toujours très bien accueillie. En ce sens, il
me faut noter la participation du Maire qui, le jour de notre présentation employa un
« tam-tameur » afin d’annoncer ma prochaine visite dans tous les foyers. Il fut
notifié que chaque citoyen se devait de participer positivement à mon travail pour le
développement du village.
3- L’observation participante
La langue étant un objet d’étude hautement culturel, le fait de me trouver dans
une société différente de la mienne était un avantage. Le travail de mise à distance
du sujet n’était pas à faire, mais, en revanche il me fallait me rapprocher du sujet, ce
qui implique la compréhension de la culture étrangère. Ainsi l’observation
participante s’est imposée comme méthode permettant de pénétrer le groupe et d’en
comprendre les comportements, les institutions, les valeurs. Cette méthode
d’observation participante permet lors de l’analyse de replacer par la suite les faits
langagiers dans leur contexte. Dans la pratique, trois phases se détachèrent. Il y eut
d’abord l’exploration puis l’installation sur le terrain et la gestion du quotidien.
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• La phase d’exploration
Elle s’est réalisée en trois temps. En Bretagne elle me permit d’appréhender le
sujet sous forme d’entretiens, en Afrique de l’ouest le voyage me mit en contact
avec la réalité culturelle. Le troisième temps d’exploration se concrétisa lors de mes
premiers jours à Onklou.
Durant cette longue période qui s’étala sur presque un an j’ai utilisé différents
outils de travail. Il y eut tout d’abord la recherche de documents, des prises de
contacts, les premiers entretiens, une auto-analyse et, dès mon arrivée au Bénin la
rédaction d’un journal de bord.
• L’installation sur le terrain
L’installation à Onklou représentait à mes yeux une étape charnière. A la fois
angoissée et enthousiaste, j’attendais ce moment dans une certaine nervosité.
Vais-je réussir à assumer ma nouvelle fonction ? La population ne sera-t-elle
pas réfractaire ? Et le logement, la nourriture seront-ils supportables ? La solitude ne
pèsera-t-elle pas trop ?
Mon logement se situait à deux kilomètres du village. Un lit de cordes tressées
et des meubles en bambou assuraient mon confort. Quant à mon intimité elle était
préservée par les deux kilomètres qui m’éloignaient du village. Je pouvais travailler
tranquillement et entreposer mon matériel (journal de bord, livres, cassettes, photos)
à l’abri des regards. Cette distance me permit de me préserver et de ne pas susciter
l’envie.
Quant à la nourriture, je me suis très vite rendu compte que c’est un attribut
hautement culturel. Et, à vrai dire, l’aliment, la préparation, la cuisson et
l’assaisonnement n’étaient pas vraiment de mon goût. Lorsque l’on voit le poulet se
faire égorger, le bœuf devenu noir de mouches et tranché avec un couteau rouillé, la
pâte préparée avec de l’eau de pluie et les sauces très pimentées ... on préfère se
gaver de biscuits. Avec un peu d’organisation ce ne fut plus qu’un détail mais qui
aurait pu compromettre le travail.
Pour le transport, j’avais loué une mobylette qui me rendait libre dans les
déplacements jusqu’au village. Je la garais chez le Pompiste et toute la journée nous
circulions à pied.
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En vue de m’adapter à cette nouvelle situation j’ai dû oublier mes activités
quotidiennes, modifier mes horaires, transposer les codes de politesse, changer de
cadre et me tisser de nouvelles relations. Mais, tous ces changements je ne les ai pas
ressenti comme un bouleversement plutôt comme un besoin, une nécessité.
Revenant d’un mois de voyage au cours duquel chaque jour nous bougions et
dormions dans des conditions non conventionnelles pour des jeunes filles
occidentales (taxis-brousse, autobus bondés, nuits à même le sol, etc.) j’arrivais à
Onklou avec une envie de me poser, de prendre des habitudes, des repères et de
travailler.
A mon arrivée, j’hésitais encore pour le terrain d’enquête. Onklou ou
Partago ? C’est un entretien avec le Frère Gabriel qui me fit choisir Onklou. « La
ville est plus petite, le Maire intelligent et coopérant » me dit-il. Je fis alors l’effort
d’aller le trouver seule. Par la suite, il me présenta de nombreuses personnes dont le
Pompiste, mon interprète. La population intriguée par ma venue était très souriante
et curieuse. Les bébés pleuraient en me voyant alors que leurs aînés me suivaient
partout. Quant aux adultes, ils étaient partagés : on m’ignorait ou on venait me
saluer. Mais, l’accueil fut toujours très agréable et courtois. Les contacts se nouaient
facilement grâce à la différence qui provoquait curiosité et intérêt.
• Le quotidien
Les jours de marché ponctuaient le temps quotidien. En effet, tous les quatre
jours se tient sur la place du village le marché. On y vend les productions locales
brutes ou transformées (ignames, beignets, beurre de karité, condiments, etc.), des
produits manufacturés (conserves, médicaments, tissus, etc.). Mais, le marché c’est
surtout un lieu de rencontres. Les populations des hameaux alentour se déplacent et
on retrouve ainsi la famille, les amis. On discute beaucoup. Les hommes se
retrouvent autour d’une calebasse de tchoucoutou tandis que les femmes discutent
autour des étals. C’est le jour extra-ordinaire, le repère dans un temps monochrone.
Quant à ma semaine (puisque personnellement je réagissais toujours en terme
de semaine), elle s’organisait comme suit :
Lever à 6H30 suivi d’une douche au seau d’eau, d’un petit déjeuner de tapioca
et de la préparation des cours de français.
8H00 départ pour Onklou et début du travail de terrain.
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12H00 pause (repas, sieste, prises de notes)
15H00-17H00 cours
17H15-20H00 enquête socio-linguistique
20H30 prises de notes, repas et cours de yom.
Les vendredis, samedis et dimanches je faisais une journée continue, sans les
cours aux élèves. Les jours de marché, de 15 à 17H00 personne n’était à son
domicile, j’en profitais pour faire mes courses, discuter et me changer les idées. Ces
jours-là, j’étais la fierté des villageois. On me présentait, me louait, on m’offrait à
manger, à boire.
J’avais décidé d’adopter une attitude neutre. Fidèle à cet engagement, je
plaisantais, j’enseignais mais je fuyais toujours les sujets polémiques, je ne dévoilais
jamais le fond de ma pensée. Gentille, ferme et joyeuse tel fut mon comportement.
Je ne voulais pas m’attirer le moindre ennui, tout mon travail en dépendait.
Le plus difficile à gérer fut ma relation avec les hommes. Tous les jours,
quatre fois par jour, on me demandait en mariage ! Au début je plaisantais,
j’expliquais ma situation sentimentale, mais ces hommes polygames n’ont que faire
du partenaire unique. Lassée je n’écoutais plus et dès que j’en avais l’occasion je
tâchais d’expliquer à chacun que la seule chose qui me décevait au village c’était ce
comportement des hommes. Je crois que c’est la technique qui paya le plus. C’est
ainsi que j’avais agi dès le début avec le Pompiste. Et, il n’y eut aucun problème
bien qu’on passait toutes nos journées ensemble.
Les bonnes relations que j’entretenais avec mon interprète furent capitales. Et
je me rends compte de la chance que j’ai eue d’avoir Pompiste pour cette fonction.
Très gentil et serviable il m’était d’une grande utilité. Libre de son emploi de
vendeur qu’il avait laissé à Julien son employé il m’accompagnait toute la journée.
Mes consignes avaient été strictes sur la traduction, je voulais de la justesse, de la
rigueur. La première semaine, j’enregistrais tous les entretiens. Je lui expliquais le
travail à faire, pourquoi je le faisais et l’intérêt de la rigueur. Sur la même longueur
d’onde nous pouvions commencer le travail. Chaque jour on se communiquait nos
impressions, remarques et conseils.
• L’observation
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« L’observation elle-même, triple travail de perception, de mémorisation et de
notation relève du savoir-faire et de la technique » nous dit Le guide de l’enquête de
terrain (1997, p. 139). Ainsi, exploitant les fruits de mon apprentissage,
l’observation me fut très utile. Chaque soir, et dans la journée lorsqu’il m’était
permis, je prenais des notes. Puis, je confrontais mes observations aux acteurs. Par
exemple, lorsque je notais l’absence d’expression verbale de la femme en présence
du mari ou du beau-père je le notais. Puis, le soir à Saint-Hippolyte je m’entretenais
avec Frédéric, seul Béninois présent et formateur agricole au centre. Il me donnait
son point de vue. Lorsque je voyais le Frère je lui en parlais aussi pour qu’il me livre
ses remarques en tant qu’Européen vivant au contact permanent des autochtones.
J’en discutais aussi avec Pompiste qui, lui, avait l’avantage d’être dans l’enquête. Ce
séjour prolongé m’a permis de recueillir une foule d’observations, mais ce n’est
qu’une partie du travail qui par la suite a pu être approfondie par les entretiens.
4- Sondage et entretiens
• Le sondage
Le village d’Onklou, nous l’avons vu précédemment selon les prévisions de
Ministère de la santé publique et de la direction départementale de l’Atacora, est
peuplé de 5 750 habitants. J’avais décidé d’interroger toutes les personnes de plus de
15 ans. Ne connaissant pas le milieu dans lequel j’officiais, une recherche
exhaustive s’imposait. Je commençai le 29 juillet. Il s’agissait avant tout de savoir
qui parle quelle langue et pourquoi. L’objectif était de confronter avec des données
empiriques ces questions et de confirmer la validité des hypothèses. Pour garantir
l’objectivité, à tous je posais les mêmes questions.
On commença par l’ouest. Plusieurs problèmes se présentèrent. Tout d’abord
les hommes étant aux champs, je devais sans cesse revenir sur mes pas pour les
interroger. Ensuite, certaines femmes n’osaient pas me dire leur nom parce que leur
mari n’est pas là ; « elles ont honte » me dit le Pompiste. Quant aux dates de
naissances elles sont très approximatives. Je dus accorder mon emploi du temps à
celui des paysans ainsi j’allais les voir tôt le matin, le soir à partir de 17H00, les
vendredis (jour de repos des Musulmans) ou le dimanche. Tous ces efforts
m’épuisaient je n’arrêtais pas de marcher pour les trouver. Au bout de deux
semaines, les cours de vacances commençaient et mon emploi du temps s’accordait
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un peu mieux à celui des travailleurs. Mais, je pris la résolution, à contre-cœur,
d’interroger conjointement deux familiers lorsqu’une personne manquait dans le
foyer.
J’ai ainsi recueilli dans cinq carnets de terrain les réponses de 1382 personnes
à mes questions. Elles ont été posées sous forme de sondage. L’entretien est
structuré et composé de questions fermées ou semi-fermées. Mon objectif était de
savoir : qui parle quoi, à qui, pourquoi, quand et quelles sont les langues en présence
au village. Etant donné la faiblesse de mes moyens (financier, temporel, humain), je
décidai d’établir une grille d’entretien courte et précise. Ainsi, j’économiserai sur la
durée de passation et celle du traitement. Il convenait dès lors de poser des questions
appropriées, c’est-à-dire des questions dont les réponses fournissent des
informations pertinentes par rapport à mes interrogations. C’est pourquoi j’ai porté
une attention particulière à la formulation de ces questions me rendant bien compte
que la construction de cette grille représentait une étape décisive dans le
déroulement de l’enquête. Par la suite avec mon interprète on l’a traduite en faisant
bien attention de conserver la rigueur que peut avoir le français. De même lorsque
l’on pose la question « tu parles quelle(s) langue(s) ? » on s’est très vite aperçu que
les interlocuteurs omettent les langues vernaculaires (ex : le yom) quand on leur
pose la question. De fait, on les laissait répondre et par la suite on énonçait les
langues en usage ou connues dans le village. Quant à l’ordonnancement des
questions j’ai suivi un ordre qui m’était logique. D’abord se connaître puis travailler
sur des questions fermées et engager la discussion par le biais de questions plus
ouvertes.
Voici mon guide d’entretien :
Talon sociologique : nom, âge, sexe, nombre d’enfants, activité sociale.
Questions fermées : Tu parles quelle(s) langue(s) ? Où l’as-tu apprise ? Avec
qui ? Quand parles-tu telle langue ?
Questions ouvertes : Quelle(s) langue(s) parles-tu à tes enfants, à ton
conjoint ? Pourquoi ?
Tout le monde savait pourquoi j’étais là suite à l’annonce du Maire. Mais, il
est arrivé qu’on me pose la question. Dans ces cas-là j’expliquais que j’étais
47
étudiante « toute la classe a un travail à faire et moi j’ai décidé de le faire en
Afrique, j’ai choisi Onklou comme terrain. M’intéressant aux langues, je voudrais
connaître les langues du village ». Ajoutant à cela quelques mots de yom, j’étais
bien vite acceptée. Et, à chaque fois que l’occasion se présentait j’engageais la
conversation afin de saisir les représentations des locuteurs sur leurs langues.
Ces entretiens courts passés sous forme d’un sondage m’ont fourni des
données quantitatives qui me permettront d’appuyer mes observations.
Je me suis aussi entretenue de manière informelle avec le directeur d’école, les
maîtres Emmanuel et Séssé, l’infirmier, le père Claude, Luc étudiant en linguistique,
Comlan étudiant en sociologie et Alassan un jeune Député originaire du village. Ces
entretiens à questions ouvertes m’ont ouvert l’esprit sur certaines notions que je
n’avais pas perçues.
• Des entretiens longs
Afin d’approfondir mes connaissances je réalisai quelques entretiens longs
enregistrés (Cf. Annexe 5 et 6). En France, j’en ai fait trois. Ils m’ont permis
d’appréhender le terrain.
Au Bénin, j’ai rencontré monsieur Igué, Directeur du CENALA (centre
national de linguistique appliquée) et Professeur de sociolinguistique à l’Université
du Bénin. Il a répondu très courtoisement à toutes mes interrogations techniques. Il
me parla aussi de sa thèse sur « La situation sociolinguistique au Bénin et
l’introduction des langues nationales dans le système éducatif ». Puis, il me présenta
la bibliothèque du CENALA qui fut pour moi une révélation. Enfin j’avais des
documents, des chiffres, des confirmations.
A Onklou j’ai réalisé quatre entretiens longs enregistrés.
Le premier je l’ai fait auprès du Roi le 1er septembre. Ce fut très laborieux en
raison de la traduction et de l’état de fatigue du vieux chef. Je n’y ai pas appris
grand chose du point de vue des représentations sur la langue.
Le 3 septembre je m’entretenais avec le pasteur Djara. C’est un vieux sage
réputé pour son érudition et son excellente mémoire. Intéressé par l’histoire, les
coutumes il m’apprit beaucoup de choses sur les Yowas et leur histoire, sur Onklou,
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sur l’importance des fétiches, sur les exodes. L’entretien dura près de deux heures et
fourmille de détails.
Le 5 septembre j’interrogeai le Maire, Zakari Foudou sur la même grille
d’entretien. L’entretien dura 50 minutes, les mêmes faits furent cités mais dans un
style plus direct et condensé (Cf. Annexe 7).
Le 19 septembre c’est au tour de Pompiste de répondre à mes questions. Je lui
demandai d’abord de me raconter son parcours de vie en le mettant toujours en
relation avec les langues. Puis, il m’exprima ses réflexions quand aux langues
(migrations, apprentissage, utilisations, stratégies, influence sur l’identité, etc.). Et, il
conclut sur ses représentations quand au village d’Onklou et au peuple Yowa.
Ces entretiens longs m’ont apporté des connaissances subjectives sur
lesquelles j’ai pu me baser pour produire une analyse qualitative.
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III- Présentation des données socio-culturelles de l’enquête.
L’application sur le terrain de la méthode développée ci-dessus m’a permis de
recueillir des informations concrètes. Ces données de l’enquête seront analysées par
la suite en relation avec les hypothèses émises. Pour lors, il s’agira de présenter les
faits sociaux et culturels.
A- Les faits sociaux
1- L’âge
• Les chiffres
Afin d’obtenir des données sur l’âge de mes interlocuteurs, je le leur
demandais tout simplement. Mais, très peu le connaissaient, surtout parmi les plus
âgés. Dans ce cas, ils allaient chercher leur carte d’électeur sur lequel l’âge est
indiqué. Parfois elle était égarée alors, avec Pompiste on évaluait l’ancienneté de la
personne tout en sachant que pour les élections, ceux qui ont réalisé ces cartes ont
aussi jugé de l’âge des électeurs potentiels. Ce chiffre me permit par la suite
d’établir des catégories pour le traitement des données. Ainsi, les 1382 personnes
interrogées furent réparties en trois classes d’âge. 747 individus appartenaient à la
catégorie 15-35 ans, soit 54% de la population. Les 36-65 ans représentaient 31,6%
de la population c’est à dire 437 personnes. Et, les plus de 65 ans au nombre de 198
représentent 14% de la population.
• Observations
Ces chiffres sont en accord avec ceux, généraux, du pays et de la province.
On y voit la jeunesse de la population et on en déduit une espérance de vie
faible. Les données linguistique seront donc à mettre en relation avec cette
répartition spécifique de la population qui est inversement proportionnelle à nos
schémas habituels d’Occidentaux.
2- Le sexe
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• Les femmes
Les femmes sont au nombre de 713 dans le village d’Onklou. Elles
représentent 51,6% de la population totale.
• Les hommes
J’ai recensé 669 hommes c’est à dire 48,4% de la population.
3- L’activité sociale
• Les cultivateurs
Par entretien j’ai pu dénombrer 446 cultivateurs. En sachant que les femmes
restent toujours au foyer 66,7% des hommes se disent cultivateurs ; quant aux
autres, ils allient souvent un métier d’artisanat avec la possession de quelques lopins
de terre. Nous sommes donc dans une zone rurale où l’activité principale des
hommes est l’exploitation de la terre.
• Les artisans
Ils sont peu nombreux mais représentent le reste de la population masculine.
Ils travaillent toujours des matériaux locaux : bois, cuir, coton, etc.
• Les ménagères
Toutes les femmes sont ménagères. Elles sont chargées de préparer les repas,
de s’occuper des enfants. Mais ce sont elles aussi qui transforment les aliments en
les pilant, les mélangeant, etc. Alors, on les retrouve sur la place du marché derrière
leurs étals.
Il y a en outre quelques veuves et jeunes femmes célibataires qui sont
couturières ou tisserandes.
Mais il m’a été signalé plusieurs fois que c’est l’homme qui doit subvenir aux
besoins du ménage et que plus l’homme est riche, plus il a de femmes.
B- Les faits culturels
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Il est souvent difficile de percevoir l’importance des phénomènes culturels
dans l’étude du fonctionnement d’une langue. C’est pourtant au cours de ces
manifestations et à travers elles que se réalisent les contacts de peuples et de
langues. C’est pourquoi, il m’a paru essentiel de présenter les productions culturelles
des gens d’Onklou.
1- La religion
• Les Fétichistes
Il y a à Onklou 91 personnes qui se disent fétichistes (ou animistes). Toutes
ont plus de 55 ans. C’est la religion traditionnelle. Les jeunes ont adopté des
croyances « modernes » mais ne nient pas pour autant les fétiches dans leurs
pratiques. Par exemple, bien plus de la moitié de la population porte des gris-gris
pour éloigner les mauvais esprits et il y a au village plus de 10 marabouts qui
communiquent avec les fétiches.
Le fétichisme découle de la croyance en un Dieu grand, lointain et
difficilement accessible mais que l’on peut joindre par l’intermédiaire des forces de
la nature ou divinités. Entre l’homme et ces divinités (ou fétiches) se sont créés des
rapports d’interdépendance.
Ces divinités sont le plus souvent les éléments naturels qui ont joué un rôle
déterminant dans la migration des peuples et dans la fondation du village.
A Onklou, c’est le marigot Béréga qui a déterminé la fondation du village et
qui abrite la divinité protectrice du même nom. Dans la forêt sacrée, il y a aussi de
nombreux fétiches.
Les cérémonies qui honorent ces divinités consistent surtout en offrandes,
sacrifices et prières chaque fois que le village et les hommes sont menacés par des
dangers (maladies, mauvais esprits, guerres, etc.).
L’apparition relativement récente des religions importées a énormément
modifié le calendrier des fêtes. Mais, ces nouvelles religions ont aussi introduit un
système d’écriture des langues nationales et l’utilisation de langues autres telles que
le français et l’arabe.
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• Les Chrétiens
Il y a au village une église catholique et un temple protestant. 7% de la
population de plus de 15 ans est protestante c’est à dire 99 individus, tandis que 46
personnes se disent catholiques. Les célébrations se font en français avec quelques
chants en yom.
La prédominance de l’islam est un frein sérieux au développement de ces
religions.
• Les Musulmans
Il y a dans le village d’Onklou 1119 musulmans de plus de 15 ans. Cela
représente 81% des adultes.
La proportion d’hommes musulmans est supérieure à celle des femmes.
D’ailleurs, mes notes d’observations me font remarquer que ce sont aussi en
majorité des hommes qui fréquentent la mosquée.
La religion musulmane est apparue au Bénin au début du XXème siècle par le
nord où elle est toujours plus présente. Ces sont des Africains du nord Maliens,
Burkinabés, Nigériens qui ont amené l’islam au Bénin. D’après les chiffres officiels
de 1992 15% de la population béninoise est musulmane or, à Onklou il s’agit de
81% des habitants. Quant à cette grande différence je noterai tout d’abord que
l’islam est ici une religion continentale. De plus, le nord du pays est essentiellement
musulman. J’ajouterai que c’est une religion en pleine expansion au détriment du
fétichisme.
A Onklou, les langues employées à la mosquée sont le dendi et l’arabe.
2- Les migrations
Il est difficile de parler avec précision des dates et périodes des différentes
migrations. En conséquence, je ne les énoncerai que lorsque plusieurs éléments
concordants me le permettront.
• Le Ghana
144 personnes de plus de 15 ans du village ont été au Ghana pour une période
de plus d’un an continu. Il s’agit de 71 femmes et 73 hommes. Beaucoup d’entre eux
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y sont nés. C’est dans la tranche d’âge 65 ans et plus que l’on retrouve en majorité
ces voyageurs.
Au début du siècle le Ghana, colonie britannique appelée à l’époque Gold
Coast (la Côte d’or), regorgeait de richesses. Il connut au cours du XXème siècle
une expansion économique remarquable qui s’appuyait sur l’exploitation des
ressources minières et de la culture du cacaoyer. Le travail était tel que la main
d’œuvre locale fut insuffisante. Des ouvriers se déplacèrent en masse de toute
l’Afrique de l’Ouest, les Béninois en firent largement partie. Au début des années
70, il y avait énormément d’expatriés au Ghana or le travail s’amenuisait si bien que
le Général Acheampong, Président de la République du Ghana à l’époque, expulsa
tous les étrangers aux frontières. C’était la fin d’une époque.
• Le pays bariba
Le pays bariba se situe sur les plaines du Borgou, province située à l’est de
l’Atacora. C’est une région où la culture de la terre est très développée.
113 personnes ont travaillé en pays bariba. Il s’agit de 88 garçons et 25 filles.
A travers ces chiffres on se rend compte que c’est un exode essentiellement
masculin. L’âge moyen de ces hommes est actuellement de 37,5 ans. Les femmes
qui sont parties ont accompagné leur mari. C’est un exode de jeune homme qui se
fait essentiellement entre 14 et 25 ans et dure en moyenne de 1 à 5 ans.
En pays bariba ces jeunes gens travaillent la terre et principalement les champs
de coton. En effet, c’est le pays qui a bénéficié de la culture industrielle du coton
grâce aux financements de projets européens. Cette demande de main-d’oeuvre
salariée trouve réponse auprès des jeunes de l’Atacora avides d’argent et
d’expériences.
• Le Nigeria
Le Nigeria, pays anglophone, a accueilli 145 habitants actuels du village
d’Onklou ; 79 hommes et 66 femmes. Les femmes y étaient bonnes ou cuisinières
tandis que les hommes cultivaient des terres. C’est un exode souvent de jeunes
mariés ou d’hommes célibataires. Le Nigeria étant actuellement en guerre civile
beaucoup en reviennent.
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• Le Niger
Ce sont surtout des filles qui se sont dirigées vers le Niger. Dans le village
d’Onklou 143 personnes y sont restées suffisamment longtemps pour apprendre la
langue. Il s’agit pour 91% de filles. Ce sont des jeunes filles puisque en moyenne
elles ont actuellement 23,6 ans. Au Niger elles étaient principalement à Niamey où
elles servaient comme bonnes. Payées à la fin du mois, elles reviennent au pays se
marier au bout de 2 ou 3 ans.
• Les causes
Pourquoi les acteurs sociaux ont-ils choisit l’exode ? Les causes que j’ai pu
relevé sont diverses. Il y a tout d’abord les guerres qui provoquent la fuite des
populations. Mais il y a aussi des raisons économiques comme l’attrait du salariat en
zone urbaine. Pour les ruraux il s’agit surtout de la recherche des terres fertiles,
l’intérêt de la région giboyeuse et des pâturages pour les Peulhs.
Mais, on peut aussi noter les querelles, les épidémies et l’adultère.
Ces migrations ont eu des conséquences sur le plan culturel et en particulier à
propos des langues et des coutumes.
3- Les groupes ethniques
• Les différents groupes
Dans le village d’Onklou j’ai pu dénombrer 46 groupes ethniques différents.
Par groupe ethnique je veux dire qu’au moins deux personnes appartenant à un
même ensemble socio-culturel constituent un groupe. Numériquement les Yowas
sont les plus imposants. Ils représentent 83% de la population. Autrement dit, 83
personnes sur 100 ont leurs deux parents Yowas. Puis suivent les Baribas, les Fons,
les Lokpas, les Kotokolis, les Solas, les Peulhs, les Betammaribes, etc.
Il me semble important de signaler que la commune d’Onklou est réputée
« uni-ethnique » en comparaison avec sa voisine de Partago. Quant au village, par
rapport à la commune, il est encore plus uniforme, ethniquement parlant. En effet,
on retrouve dans la commune plusieurs localités où se rassemblent les habitats d’un
groupe donné. Par exemple, Wéwé II est peuplé essentiellement de Lokpas et de
Sombas, à un kilomètre de là se trouve un camp Peulh, Massi abrite surtout des
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Ditammaris. Sur le même plan on peut retenir que le village d’Onklou est un village
Yowa. Les habitants parlent d’ailleurs de village yom, village monolingue.
• Les mariages mixtes
Dans ce même courant d’homogénéité on retrouve beaucoup de mariages
endogames. En ce sens j’ai pu observer que les Sombas se marient entre eux, les
Kabiés aussi, il n’y a pas de mariages hétéroclites. Chaque groupe socio-culturel
constitue une entité culturelle autonome. Néanmoins, certains cas de mariages
mixtes sont à signaler. J’ai relevé pour le village 78 mariages mixtes. Pour 68
d’entre eux un des concubins était Yowa. Dans 75% des cas, c’est la femme. Cela
entraîne des alliances culturelles qui conduisent aussi à des situations de
plurilinguisme.
• Remarques
Chaque groupe socio-culturel constitue une entité autonome et presque
étanche sur le territoire national. Mais, ici, on peut l’affirmer uniquement pour les
Yowas. Les autres groupes étant en sous-effectif, leurs manifestations culturelles en
sont logiquement réduites. Je noterai même un certain conformisme de la part des
migrants, surtout ceux de la deuxième génération. Je peux l’affirmer puisque les
acteurs issus de cette deuxième génération se disent pour la plupart Yowa alors que
leurs parents ne le sont pas.
4- Les Yowas
• Histoire
Selon le vieux sage Djara le groupe ethnique Yowa est le fruit de la réunion de
plusieurs peuples de différents pays. Ces derniers se sont réunis dans le nord du
Bénin et ont formé un groupe qui s’appelle aujourd’hui Yowa. D’un point de vue
linguistique il y a intercompréhension entre les Yowas et les Tanecas. Selon la
tradition orale exprimée par Djara ce sont deux peuples qui ont vécu ensemble dans
les montagnes « après les enfants se sont multipliés et les langues là se sont
mélangées ».
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D’après l’article parut dans Etudes Dahoméennes, il n’y a jamais eu de
royaume « Pila-Pila », de royaume Yowa. C’est un certain nombre de chefferies qui
se partageaient le territoire. Elles exerçaient des suzerainetés sur des petits groupes
de villages. C’est sous cette forme que se créa le village d’Onklou en 1917 sous
l’autorité du chef Yowa Worou Béréga. Depuis, tous les délégués ou chefs du
village sont Yowa. La succession au trône se fait de père en fils. Depuis 1986 Sa
Majesté Bio Takpara est le chef traditionnel du village d’Onklou.
• Lignée
Les femmes portant un bracelet de cuivre ont été désignées dès la naissance
comme futures épouses du Roi et ce en dépit du phénomène de lignée parce qu’elles
ont été choisies par les fétiches.
Cependant, malgré leur diversité, toutes les familles en République du Bénin
se reconnaissent d’une lignée. Il s’agit là de faits qui déterminent les liens naturels
que les groupes sociaux conservent entre eux. Le système qui régit ces groupes c’est
la patrilinéarité si bien que l’enfant est presque toujours rattaché à la lignée de son
père.
Les gens d’une même lignée vivent groupés dans un même quartier. Un
quartier est formé d’une série de maison dont chacune abrite les descendants mâles
(et les enfants des deux sexes) d’un vieillard. D’ailleurs, autrefois chez les Yowas
les enfants étaient élevés non par leur père mais par un oncle maternel.
D’une manière générale, la femme épousée reste étrangère à la famille de son
mari au début de la vie conjugale. En principe elle demeure chez ses parents jusqu’à
son premier accouchement. Si elle n’est pas capable de s’occuper seule de son
enfant elle y restera encore et ne rejoindra définitivement son mari qu’ensuite.
L’étude du phénomène de la lignée peut permettre de déceler le degré
d’intercompréhension de certaines langues et d’analyser les modifications qu’une
langue peut avoir subi du fait des contacts avec d’autres peuples.
• Scarifications
La plupart des groupes socio-culturels de la commune portent sur le visage des
scarifications qui signalent aux habitués leur appartenance ethnique. Chez les Yowas
on peut observer des différences justifiées par le sexe et la position sociale de
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l’individu. En général les garçons arborent trois grands traits de chaque côté du
visage qui partent du haut du crâne jusqu’au menton. Les filles en ont quatre.
Photographiée par l’auteur
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IV- Les langues, un phénomène singulier.
Tout au long de cette quatrième partie, je développerai une argumentation
autour de la variabilité de la langue. L’hypothèse étant que toutes les langues « ne se
valent pas », il s’agira de démontrer que les langues sont toutes différentes tant dans
la pratique que dans les représentations des locuteurs. Ainsi, dans un premier temps
j’énumérerai les langues présentes sur le terrain d’enquête, Onklou. Puis, dans une
deuxième partie plus théorique je tâcherai de démontrer qu’il existe des variations
linguistiques au sein d’une même langue avant de définir les contextes d’usage des
langues en présence, leurs rôles et statuts associés. Pour illustrer le tout, je
développerai enfin l’exemple du français.
A- Les langues à Onklou.
1- Le yom
• Situation géographique
Appartenant à la famille des langues dites « Gur ou Voltaïque » le Yom est
essentiellement usité dans la province de l’Atacora. Il est localisé dans les deux
districts de Djougou et se parle dans toutes les communes du district rural. Les
locuteurs s’appellent Yowa (ou Yoowa et Yora ou Yoora au singulier) et nomment
Yogu leur territoire.
En 1994, dans l’introduction de son mémoire de maîtrise intitulé Esquisse
grammaticale du yom, Jacques Aurélien Bio nous apprenait que « le yom est
actuellement parlé par plus de 300 000 personnes. Un cinquième de cette population
vit dans la sous-préfecture de Glazoué [Département du Zou]. Disons aussi qu’un
grand nombre de Yowa vit à Parakou et à Cotonou ».
• Situation linguistique
Sur le plan linguistique, il est important de noter la parenté du yom avec le
taneca. Le taneca est un dialecte du yom parlé dans la région de Copargo, au nord
ouest de Djougou. Entre le yom et le taneca l’intercompréhension est complète. Les
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deux populations ont, ensemble, standardisé l’orthographe du yom et
l’alphabétisation se fait en cette langue.
D’après la « Note sur les « PILA-PILA » et les « TANEKA » » paru dans
� tudes Dahoméennes la langue des Yowas et des Tanekas « est réputée très difficile
à acquérir par leurs voisins. Sa phonétique est très particulière parmi celle des
langues du Nord-Dahomey, caractérisée par la présence de nombreuses palatales
[son qui a son point d’articulation située dans la région du palais dur] et la fréquence
de la voyelle sourde. C’est une langue à classes nominales marquées par des suffixes
exclusivement. Il y a eu un certain nombre d’emprunts de vocabulaire au Bariba et
au Dendi » (1950, p. 64).
Selon Luc Korongo, étudiant en maîtrise de linguistique travaillant sur
« l’enrichissement lexical en yom » à l’Université Nationale du Bénin, si la langue
est très difficile à apprendre c’est « par rapport à l’accent et à sa morphologie [la
forme de chaque mot] fait d’une combinaison de sons sourds et sonores ». Et il
rajoute que « le Yowa est moqueur donc, de honte, l’étranger ne parle pas yom. Il
n’y a pas d’influence des autres langues sur le Yowa qui a un complexe de
supériorité. Pour le Yom, le Lokpa et le Somba surtout sont des sous-hommes.
Parler leur langue c’est s’abaisser ».
• A Onklou
Dans le village 1149 (83,14%) habitants de plus de 15 ans ont les deux parents
Yowa. Si on ajoute à cela les 68 personnes qui ont un des parents Yowa (17 ont le
père, 51 la mère) et les 131 qui ont appris le yom, on se retrouve avec 1348
locuteurs. Ce qui veut dire que tout le village sauf 34 personnes parle yom. Dès lors
on peut déjà se poser la question de l’intérêt des autres langues en présence sur le
territoire. A cela il convient de rajouter que 410 personnes c’est à dire 29, 5% de la
population ne parle que yom.
2- Le français
• Dans les faits
A Onklou 256 personnes parlent français, ce qui représente 18,52% de la
population totale du village. Le français langue officielle du pays est donc pour
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l’heure loin d’être la langue majoritaire. Ce sont en général les jeunes qui parlent
français et essentiellement les garçons. En effet, les trois quarts (74,6%) des
personnes parlant le français au village sont de sexe masculin. L’apprentissage de
cette langue s’est fait par le biais de l’école. Les cinq anciens qui parlent français
l’ont appris à l’armée. Quant aux filles qui le parlent elles l’ont appris à la ville
(Cotonou ou Parakou) alors qu’elles servaient comme bonnes.
• Représentations
Contentons-nous de noter pour l’instant que dans le domaine des
représentations, le français est survalorisé : langue de prestige, d’unité, de travail et
de promotion ; et aussi langue de possible émigration. Le français représente un
capital important pour les jeunes générations.
Une coupure s’opère entre les jeunes générations scolarisées en masse et les
précédentes. Les jeunes sont suspectés d’acculturation. On leur reproche parfois
l’usage du français à la maison et on les accuse de ne plus bien parler la langue
maternelle. Il est clair que ce conflit de génération recouvre un conflit linguistique
net entre le français et les langues indigènes.
3- Les autres langues en présence
• Le dendi
Entre le yom et le français le dendi est la langue la plus connue au village. 641
personnes la parlent, ce qui représente près de la moitié de la population (46,38%).
Lorsque Monsieur Igué, spécialiste Béninois de socio-linguistique répondit à
mes questions il m’apprit par exemple que « il y a 110 parlers au Bénin (...) malgré
cette petite mosaïque linguistique il y a quand même intercompréhension. Par
exemple, dans le nord les gens se débrouillent avec le dendi qui constitue une langue
véhiculaire ». Dans son article sur « les langues véhiculaires du Bénin » il écrivit
ceci : « Le Borgou et l’Atacora, les deux départements du nord comptent beaucoup
plus de langues que les quatre autres départements du sud. Si le Borgou ne comporte
environ qu’une dizaine de langues, l’Atacora en est une véritable mosaïque
linguistique. On y dénombre une vingtaine de langues pour une population de moins
d’un demi-million d’habitants. (...) Dans les deux départements, on aura recours
61
plutôt au dendi dont les locuteurs maternels ne sont pas majoritaires. Il convient de
préciser que c’est dans les villes que le dendi est véhiculaire. » (1994, p. 109).
Autrement dit, le dendi est la langue des communications inter-ethnique.
Ainsi, j’ai pu observer qu’au marché elle est très employée. C’est une langue de
contacts. Dans le sud du pays c’est le fon qui remplit cette fonction. Au village 83
personnes de plus de 15 ans parlent le fon.
• Bariba, yoruba et haoussa, germa, achanti
Ces cinq langues sont celles de l’exode.
Le bariba est parlé au village par 194 personnes c’est à dire 14,34% de la
population. Or, 113 personnes ont été en pays bariba pour travailler. Ils y ont appris
la langue locale, c’est à dire le bariba, et utilisaient en plus le dendi, langue
véhiculaire. En raison d’un exode essentiellement masculin il y a plus d’homme que
de femme à parler bariba. Ce sont surtout des jeunes gens.
145 personnes de plus de 15 ans du village ont été au Nigeria. C’est un pays
anglophone où parmi les langues nationales on parle entre autres le yoruba et le
haoussa. A Onklou, le yoruba est parlé par 164 personnes tandis que 105 individus
connaissent le haoussa.
146 personnes parlent le germa, soit 10,56% de la population. Deux personnes
au village appartiennent à l’ethnie Germa tandis que 143 personnes sont restées
suffisamment longtemps au Niger pour maîtriser la langue. Il s’agit pour 91% de
filles, surtout des jeunes filles.
135 personnes au village parlent l’achanti. Tous l’ont appris au Ghana.
Beaucoup d’autres le connaissaient mais l’ont oublié du fait de sa non-utilisation
dans la vie quotidienne.
• Les autres
Les autres langues en présence dans le village sont au nombre de 37. 8 langues
comptent entre 100 et 20 locuteurs, il s’agit dans l’ordre décroissant du fon, du
lokpa, le kotokoli, le sola, le peulh, le somba, l’aiwé, le taneca. Entre 10 et 20
locuteurs il y a l’anglais, l’adja et le sémérois (ou séméré ou fodo). Les langues
ayant moins de 10 locuteurs de plus de 15 ans au village sont le kabié, le savé, le
berba, le nagot, l’arabe, le ocouocou, le gurmantché, le yoabu, le waama, le mina, le
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boco, le cocoroma, le natemba, le batcha-dassa, le cura, le losso, le bambara, le
kula, le crobo, l’aïobé, l’ani, le ibo, le taniaba, le cobom, le bassare et le tchiron.
B- La variété de la langue.
Onklou est un village au sein duquel se côtoient 45 langues. Il s’agira
dorénavant de démontrer que chaque langue est différente du point de vue de son
utilisation, son rôle, son statut.
1- Des variations langagières
Les variations langagières sont de deux ordres ; soit elles relèvent de la
structure même du parler, soit du contexte dans lequel elles s’expriment.
• Variations structurelles
De nombreux linguistes, sociolinguistes et quelques sociologues se sont
penchés sur la notion de variation interne à la langue. Il a ainsi été démontré qu’il
existe des changements dans la structure même de la langue.
Ainsi, Basil Bernstein, spécialiste anglais de la sociologie de l’éducation, s’est
intéressé aux variétés d’une même langue. Il est parti de la constatation que les
enfants des classes populaires ont une moindre réussite scolaire par rapport à leurs
collègues des classes supérieures. De là, il a émis l’hypothèse selon laquelle les
enfants des classes populaires parlent différemment de ceux des classes favorisées
en conséquence de quoi l’échec scolaire est dépendant. Bernstein a ainsi comparé
les productions linguistiques de ces deux groupes au niveau des enfants. Il est
ressorti de l’étude qu’il existe au sein d’une même langue différents codes. Le code
restreint c’est le seul code que dominent les enfants des milieux défavorisés en
revanche le code élaboré est dominé par les enfants de classes aisées qui maîtrisent
aussi le précédent. Ces deux codes se distinguent en outre du point de vue des
formes grammaticales. Le code restreint se caractérise par des phrase brèves, sans
subordination, ainsi que par un vocabulaire limité.
63
Autrement dit, la construction de la phrase, le vocabulaire mais aussi l’accent,
la prononciation sont autant de traits particuliers au locuteur et qui ponctuent son
expression. On parlera alors de style. Chaque locuteur a un style personnel qui est le
fruit de la combinaison de variables internes à la langue.
On remarquera alors que le locuteur agit sur sa langue en se l’appropriant.
Mais ce style est aussi le fruit de variables externes.
• Des variations externes
A Onklou, on remarquera le poids qu’exerce le milieu social sur la langue par
divers facteurs.
On m’a ainsi fait remarquer que « il y a des différences dans la langue entre
les jeunes et les vieux ». D’après Luc Korongo, étudiant en maîtrise de linguistique à
l’Université Nationale du Bénin et travaillant sur le yom « les vieux parlent une
langue plus pure. Elle est plus structurée et, il y a plus de non-dit ». De même il me
dit que « les femmes ont plus le respect de la tradition linguistique ainsi que les
cultivateurs qui sont plus conservateurs et moins bavards ». Le sexe, l’âge et
l’activité sociale sont donc des facteurs qui influent sur la structure langagière.
Autrement dit la langue, comme le yom par exemple, varie d’après des facteurs
sociaux.
De même, les musulmans sont reconnaissables par leur langage. En effet, ils
font abondamment référence à l’arabe, au Coran, à Dieu dans leur vocabulaire.
On distingue aussi au niveau de l’expression des emprunts dus au contact des
langues. Les jeunes, par exemple, parlent en mêlant du dendi, du français et du
yoruba. La combinaison se fait dans le vocabulaire, la syntaxe et la morphologie.
Il existe aussi des variations spatiales de la langue. Pour l’illustrer, je prendrais
un extrait de l’entretien que j’ai réalisé auprès du Maire Onklou, Zakari Foudou :
« Le dendi du Niger est très fin et celui de Malanville est un peu ouvert parce
que il y a un peu de bariba qui rentre. (...) Et au fur et à mesure le dendi de Parakou
n’est pas trop près(...). Et le dendi de Djougou est un peu plus clair rapprochant du
yom. Et c’est le yom qui a pu modérer le dendi de Djougou. Et c’est clair, c’est le
yom. (...)
Donc le dendi c’est une langue qui change.
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*Il y a des différences mais, c’est le même dendi. C’est l’expression, le
langage qui diffère.
Le dendi de Djougou, il y a du yom dedans.
*C’est plus clair, c’est plus transparent. Le dendi de Parakou il y a un peu de
... de sons là. Or le dendi de Malanville c’est un dendi qu’il faut parler dans les
narines. C’est pas, ça ne sort pas comme ça, le son n’est pas clair. On ne sait pas
quelle langue qui intervient. C’est un dendi de narines. Et à Parakou c’est un petit
peu plus transparent. Mais le dendi de yom, heu de Djougou, c’est clair. C’est pas
avec des, ça ne se parle pas avec le nez. On n’entend pas le vent, l’air qui sort du
nez. C’est clair et on a su que le dendi de Djougou c’est le dendi de Yom. Le dendi
de Parakou c’est le dendi de Bariba. Le dendi de Malanville c’est un dendi de Bariba
encore.
Très bien. Et le dendi du Niger c’est le germa ?
*C’est le germa, c’est le même dendi, c’est le même dendi. »
Cette variation spatiale s’exprime aussi, entre autre, au travers des patois,
dialectes, idiomes, ainsi que dans les jargons et l’argot.
D’autres variables peuvent encore se révéler pertinentes pour rendre compte de
la diversité à l’intérieur d’une langue, mais, je n’ai pas eu l’occasion de les observer.
En général, ce sont toutes les variables sur lesquelles les individus fondent leur
identité : âge, sexe, ethnie, religion, activité sociale, etc.
• L’évolution de la langue
De par les variations dans la structure même de la langue et les variations
externes, on se rend bien compte de la malléabilité de la langue.
Onklou est une micro-société où se côtoient 46 langues. Les contacts et
changements de langues sont donc des phénomènes courants. Juliette Garmadi, dans
son livre de synthèse intitulé Sociolinguistique nous dit que « Lorsque des systèmes
linguistiques sont en contact, l’interférence peut intervenir à tous les niveaux : au
niveau de plus faible structuration qu’est le lexique aussi bien qu’au niveau
grammatical, où la syntaxe sera tout aussi concernée que les inventaires de formes,
et son étroite structuration ne protégera pas non plus le niveau phonologique »
(1982, p. 150). Autrement dit, ici, c’est le milieu qui agit sur la langue.
65
La langue évolue donc selon les locuteurs et le contexte.
Pour Ferdinand de Saussure il y a deux extrêmes dans l’évolution linguistique.
D’un côté « l’esprit de clocher » qui s’exprime par l’intérêt pour notre communauté,
le conservatisme et de l’autre la « force d’inter-course » qui démontre que les
communautés ont besoin de communiquer. C’est une tendance à l’évolution pour la
communication.
D’ailleurs, selon Renée Balibar la langue ne saurait exister socialement
comme telle sans se représenter comme différente des autres et définir ses rapports
d’exclusion-complémentarité avec d’autres langues.
La langue est donc un fait social qui évolue intrinsèquement sous la pression
des locuteurs et du milieu dans lequel elle s’exprime.
2- Des contextes d’usage
Au travers des contextes d’usage je tâcherai de démontrer que dans une société
plurilingue, chaque langue a une application qui lui est singulière. Dans un article
intitulé « Parité et disparité : sphère publique et sphère privée de la parole », Jean Le
Dû et Yves Le Berre l’ont parfaitement justifié en prenant l’exemple de l’usage du
breton et du français.
• L’usage privé, l’usage public
L’usage privé d’une langue se réalise dans un cadre restreint, empreint de
sentiments. De fait, il s’agit essentiellement de la langue première.
La langue première est celle dans laquelle s’est organisée la fonction
langagière elle-même, en tant que fonction symbolique primordiale, et celle qui a
accompagné la construction de la personnalité.
Or, il semblerait que cette langue première soit aussi la langue du cœur d’après
ce que dit Youf par rapport à l’éducation langagière de ses enfants : « Ah, si, on
veut, on veut leur apprendre ... Disons que, voilà ... Ce qui s’est passé, c’est ... (8
secondes de silence) Vivant dans un milieu où on veut, où nos langues ont cours, et,
il y a des enfants qui sont obligés d’aller apprendre le français en fait à l’école, donc
qui apprennent en fait comme une ... Ils vont travailler toute leur vie si tu veux en
français. C’est la langue du travail. Moi je me suis dit que, de toutes les façons, le
66
milieu va s’imposer aux enfants. Donc, les enfants vont apprendre forcément au
contact du milieu les langues locales. Ce qui n’est pas forcément le cas du français.
Donc, du coup, la maison était devenu un peu comme une seconde école pour lui
permettre en fait de mieux assimiler le français. Mais je crois que je n’avais pas
raison de parler français parce que, finalement ... Bon, j’aurai été plus heureux si tu
veux, j’aurai été plus en ... j’aurai été plus heureux si en fait ils avaient travaillé dans
mon milieu à moi. Parce que je crois que ce serait, je regretterais beaucoup que mes
enfants n’arrivent pas à parler ma langue. Parce que, j’estime qu’elle véhicule des
richesses, qu’elle véhicule une culture et que, qu’on ne peut saisir que dans la
mesure ou on comprend, cette langue là. C’est vrai que la théorie quelque part était
juste puisque élevés dans un milieu fon, mes enfants spontanément parlent fon,
comprennent fon, ils savent parler fon. Ils savent parler aussi goun qui est leur
langue maternelle, mais qui est proche en fait du fon. (...) Donc, le seul effort qui me
reste à faire, c’est que moi, qui suis seul à parler nagot à la maison, leur apprenne à
parler nagot ».
Au travers de ce témoignage, on remarque l’opposition fait par le locuteur
entre la langue de travail et sa langue maternelle. De même, on notera que la langue
maternelle de ses enfants n’est pas la même que la sienne. Or, cette dernière touche
l’affectif du locuteur voilà pourquoi Youf ressent un manque au niveau de la
transmission comme patrimoine culturel. Il l’exprime en me disant « Vers le nagot.
L’affectif va vers le nagot. Je connais ça par, si tu veux, profondément. Je connais le
nagot, je connais ses richesses, je connais ses racines. Je connais ... Je trouve à
travers les chants, à travers les complaintes, à travers le quotidien, la façon
d’exprimer les choses. Je trouve en fait qu’il y a une richesse commune dans le
yoruba. Je suppose qu’il y en a aussi dans d’autres langues ... ».
L’usage privé de la langue est donc marqué par un investissement affectif de la
part du locuteur. Ainsi, lorsque je pose à Zakari Foudou, Maire d’Onklou, la
question :
« Et, est ce qu’ils vous parlaient dendi ? Quelles langues ils vous parlaient
[vos parents] ?
Ils me parlent notre langue, de mon origine.
Et donc vous vous parlez la langue de là-bas que votre père vous parlait.
67
Jusqu’ici oui. Même tous mes enfants, on les force à parler la langue. Tous
parlent ».
La famille du Maire est la seule à parler cura à Onklou. Ils sont deux locuteurs
de plus de 15 ans au village : lui et son père. Les femmes du Maire sont Yowas et ne
parlent pas cura. Autrement dit, cette langue n’a de sens que dans l’affectif
puisqu’elle n’est d’aucune utilité sur la sphère publique quotidienne.
En effet, l’usage public d’une langue est marqué par le côté utilitaire. C’est la
langue de travail, la langue nationale, la langue d’adoption. C’est à dire ces langues
que l’on utilise dans des cas institutionnels de communication.
Ainsi, il semblerai que pour Youf le français soit bien assimilé comme langue
nationale. En effet, il me dit « Quand j’y suis [en France]. Je parle la langue de là-
bas, je parle le français ».
Aussi, pour Youf, l’arabe est la langue sacrée : « A l’église, bon, à la mosquée,
justement, à la mosquée, rien ne se fait, presque dans aucune mosquée, on ne prêche
dans, dans une mosquée maintenant à Cotonou à ma connaissance. Mais parce que il
comprend bien français, il essaye de faire un sermon en français. Mais, mais dans
ma région, c’est en arabe. On n’a pas essayé de traduire. Ce qui à mon avis était
plutôt mieux, parce que, il y a beaucoup de gens qui, à l’église catholique regrettent
la messe en latin. Aujourd’hui parce que ça avait quelque chose de vivifiant, ça avait
quelque chose de, de solennel. Donc, quelqu’un de musulman, on fait la prière en
arabe. Les sermons, les communiqués se font dans les langues locales. Donc, si dans
un quartier il y a une mosquée, on utilisera dans cette mosquée la langue de la
majorité des gens ».
Pour mon interprète le fait de parler plusieurs langues « ça m’apporte
beaucoup de choses. Qu’est-ce-que je dis beaucoup de choses ? Ça m’apporte la
connaissance des gens ... le bonheur, pourquoi pas même l’argent. Chez moi la
langue, d’abord comprendre beaucoup de langues c’est aussi de l’argent ».
On notera donc des contextes d’usage des langues différents. L’usage privé est
marqué par l’affectif tandis que la langue dans le domaine public est plutôt utilitaire.
• Des contextes d’apprentissage
68
L’apprentissage d’une langue dépend du contexte dans lequel elle s’exprime.
Il convient déjà de proposer deux substituts au terme de langue maternelle.
Louise Dabène nous propose ainsi « le terme de parler vernaculaire, entendu comme
l’ensemble des moyens d’expression acquis lors de la toute première socialisation,
au sein de la cellule familiale. Ce terme est en effet, utilisé pour désigner dans des
communautés fortement plurilingues, les langues endogènes propres à chacun des
groupes ethniques et généralement acquises par voie lignagère » (1994, p. 55).
Ainsi, chaque ethnie a une langue qui lui est propre. C’est en ce sens que
Youf me dit « La langue s’appelle le yoruba, et l’homme s’appelle aussi le yoruba.
D’accord. La langue s’appelle le yoruba, et l’homme s’appelle le Yoruba et il
appartient à l’ethnie Yoruba ». De même, j’ai pu m’apercevoir que la carte
géographique des ethnies se superpose avec celle des pratiques linguistiques. Ainsi,
l’agent social parle tout d’abord la langue de son groupe socio-culturel.
Par la suite, il apprendra le français qui est la langue nationale et
d’enseignement. Puis, si il réside sur un territoire autre que celui de son ethnie, il
apprendra la langue des ethnies présentes sur le lieu donné.
C’est le cas, par exemple du père de Davy qui, tout petit, a vécu à Tchaourou
où on parle le bariba. Il a donc dû apprendre cette langue. Plus tard, à l’école
primaire il fréquentait des jeunes fons et minas. Il a appris ces langues en plus du
français.
Pour pouvoir s’exprimer et communiquer l’acteur social doit connaître la
langue de son ethnie d’origine, la langue de son lieu de résidence, la langue de ses
amis, la langue officielle de l’institution étatique, etc. Ainsi, la connaissance des
langues relève aussi des relations sociales.
Alors, on peut dire que l’apprentissage d’une langue, au Bénin, dépend du
territoire et des interactions.
3- Des rôles
Il règne sur notre terrain d’enquête, le village d’Onklou, un plurilinguisme de
fait. Il existe des variétés de langues tout comme des variations dans la langue. De
même, nous voyons que les langues se particularisent aussi dans leur contexte
69
d’usage. Il s’agira maintenant d’analyser quels sont les rôles dévolus à ces activités
langagières plurielles. Nous exposerons ici les faits observés sans tenir compte des
représentations des locuteurs.
• La cohésion culturelle
La langue est tout d’abord celle d’un peuple, d’une culture. C’est alors un
symbole de mobilisation ethnique. Elle a le pouvoir de représenter le groupe de ses
locuteurs.
La transmission de ces savoirs langagiers se réalise par le canal
intergénérationnel. Il a pour conséquence de créer dès l’apprentissage une cohésion.
De même son utilisation a pour effet d’identifier et de regrouper les locuteurs. Ainsi,
pour prendre un exemple, j’évoquerai celui des Solas installés à Onklou, ils se
retrouvent par le biais de la langue, vecteur de culture. En ce sens, on peut affirmer
que la langue joue un rôle dans le phénomène de cohésion culturelle.
• La sociabilité
La langue en général revêt le rôle de code de communication. Elle met en
présence deux ou plusieurs individus et permet l’interaction. Ainsi, l’un des rôles de
la langue se situe sur la scène sociale. En tant que vecteur de communication elle
favorise l’échange.
Une autre aptitude de la langue est sa fonction d’intégration. En effet, le fait
d’apprendre une langue permet au nouveau locuteur de s’intégrer plus facilement
dans une société qui lui est étrangère. La langue permet alors l’entrée dans le
groupe.
De même, si elle joue un rôle dans la cohésion culturelle, elle se retrouve aussi
dans celui de cohésion sociale. Elle lie les acteurs entre eux. Les femmes parlant le
haoussa s’en servent ainsi pour ne pas se faire comprendre des autres. On retrouve
ici la fonction de cohésion sociale.
• L’affirmation de son identité
De par sa ou ses langues, le locuteur se trouve catégorisé. Il appartient, il est.
Autrement dit, d’un point de vue personnel la langue a aussi son rôle à jouer. Cette
identité linguistique individuelle est déterminée par la combinaison de divers
70
facteurs qui individualisent alors le locuteur. Cette réalisation de soi s’élabore par le
processus social de construction de son identité. Ainsi, tout au long de sa vie l’acteur
se construira sur la base des ses interactions. Et c’est sur ces mêmes bases qu’il
revendiquera son identité, ses appartenances. La langue est un des moyens utilisés
dans ce cadre revendicatif.
• La promotion sociale
Le français, dans cette société rurale, joue le rôle d’instrument pour la
promotion sociale. Il s’acquiert et se perfectionne par le biais de l’école. Cette
langue française permettra par la suite à l’étudiant francisant de trouver un travail de
fonctionnaire s’il le souhaite. Cette fonction de promotion sociale que revêt le
français est parfaitement illustrée dans le récit autobiographique écrit par Camara
Laye, L’enfant noir. Il raconte sa vie d’enfant qui représente la promotion sociale
dont rêvaient ses parents.
• Chaque langue joue un rôle particulier
On distingue la langue maternelle, vernaculaire, la langue d’appartenance, la
langue d’adoption, etc. Autrement dit, chaque langue est particulière. Elle l’est dans
le sens où elle est le reflet de son locuteur ou de ses locuteurs. Symbole du groupe,
symbole de diverses affiliations, la langue est un instrument de cohésion, un vecteur
identitaire. Ainsi, si chaque langue joue un rôle particulier, il semble bien que ce soit
celui que l’acteur veut bien lui conférer.
4- Statuts et valeurs associées
Le statut d’une langue est lié à la fois à son contexte d’usage et au rôle qu’elle
joue. Puis par l’analyse des représentations que les locuteurs ont sur leur(s) langue(s)
il s’agira de prendre en compte également la façon dont l’individu se situe par
rapport aux langues concernées ainsi que le regard qu’il jette à la fois sur celles-ci et
sur lui-même.
• Chaque langue a un statut particulier
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Le statut d’une langue est lié à la fois à son contexte d’usage, au rôle qu’elle
joue ainsi qu’à la valeur sociale conférée à ses fonctions. Or, nous l’avons vu,
chaque langue joue un rôle particulier. On peut donc supposer que de fait, chaque
langue a un statut particulier.
Pour Youf, par exemple, le français, « c’est la langue du travail ». Le nagot,
c’est la langue de l’affectif « je regretterais beaucoup que mes enfants n’arrivent pas
à parler ma langue. Parce que, j’estime qu’elle véhicule des richesses, qu’elle
véhicule une culture et que, qu’on ne peut saisir que dans la mesure où on
comprend, cette langue là ». Le goun, c’est la langue de sa femme, la langue
maternelle de ses enfants. Le fon, c’est la langue du milieu « le milieu dans lequel je
vis tous les jours est un milieu fon et donc, effectivement, ils ont appris à parler le
fon comme tout le monde, à parler le fon comme tout le monde ». L’arabe c’est la
langue de la religion « donc, quelqu’un de musulman, on fait la prière en arabe. (...)
Je ne comprends pas l’arabe. C’est-à-dire, je ne comprends pas l’arabe, heu ... pour
en parler. Je connais les prières en arabe qu’on m’a apprises quand j’étais enfant.
Que je récite sans pour autant les comprendre, mais, je récite avec la, la, comment
dire, la , la foi, voilà. C’est vrai que en grandissant, j’ai essayé, tu vois de, par le
biais des traductions de comprendre en fait ce que ... mais, les traductions ne me
disent rien ».
A travers ces extraits, on se rend compte que les statuts des langues sont
étroitement liés à leurs conditions d’emploi. Ils sont également le fruit des
circonstances au cours desquelles s’est déroulée leur acquisition.
A Onklou, dans l’esprit des gens, les représentations sont les mêmes. Ainsi,
pour un Yowa le yom est la langue de cœur, de tradition et de culture, le dendi c’est
la langue du commerce, le français c’est la langue officielle, l’arabe, c’est la langue
de la religion, le bariba, yoruba et haoussa, germa, achanti sont les langues de
l’exode, etc.
• Elle incarne des valeurs
Chaque langue a un statut mais, les discours des locuteurs sont aussi ponctués
de valeurs.
La langue « basse » s’apprend au foyer. Elle se révèle être le symbole de
l’univers familier. En revanche, la langue « haute » est transmise par les réseaux de
72
communications formels et particulièrement l’école. La langue « haute » est ainsi
envisagée comme une norme fortement idéalisée. C’est ce qui pousse Youf à dire
que « tout scientifique aujourd’hui qui ne programme pas sa mort intellectuelle doit
apprendre l’anglais ». L’anglais a pour lui une valeur scientifique. Ainsi, c’est une
langue dont la connaissance est jugée nécessaire pour qui veut s’imposer dans ce
milieu. De même, le français langue officielle joue un rôle important dans le cadre
de la promotion sociale. De fait, c’est une langue prestigieuse.
Mais, des propos négatifs sont aussi formulés. Ainsi le dendi, quoique
largement employé ne reçoit pas la faveur du Maire d’Onklou : « Le dendi est un
peu éparpillé. Je l’ai apprise mais c’est une langue facile à apprendre. Disons que
tout le monde parle dendi parce que c’est la région. La circonscription urbaine de
Djougou, c’est dendi.
Et pourquoi c’est dendi ?
*C’est la colonisation ...
Comment ça ?
*C’est les ... les musulmans, la religion musulmane qui a gagné toute la région.
Voilà. Et, tout ceux qui ont colonisé parlent dendi et c’est des étrangers. Sinon c’est
les Yom qui ont Djougou, la région de Djougou. Mais par manque d’instruction ils
ont laissé le terrain aux colonisateurs qui sont des Dendi, des étrangers ».
Le dendi serait une langue de colonisation, une langue facile, une langue
régionale. En d’autre termes, c’est un parler structurellement dévalorisé mais
fonctionnellement apprécié.
• La langue au singulier
Au fil de cette approche de la langue, il est ressorti qu’il existe des variations
langagières. Ainsi, au cœur même de la langue, dans sa structure il existe des
registres, des niveaux issus du parler du locuteur. Puis, il y a des variations externes
qui, elles, sont le reflet du contexte dans lequel la langue s’exprime. Autrement dit,
une même langue se singularise déjà au niveau de son expression par le biais de
l’acteur et du contexte. Par la suite, dans une conjoncture plurilingue, on a enregistré
des contextes d’usage des langues différents. Il y a un pôle privé dans lequel on
retrouve la langue première puis, sur le versant public s’expriment les autres langues
apprises par la suite. Ces dernières endossent toutes un rôle différent : la promotion
73
sociale, langue de l’institution, le commerce, langue de religion, etc. De même,
chaque langue est associée à des valeurs en fonction de ces rôles.
En conséquence, on peut dire que toutes les langues sont différentes, qu’elles
ne se valent pas tant dans la pratique que dans les représentations des locuteurs. On
peut donc affirmer que chaque langue se conjugue au singulier.
C- L’exemple du français.
1- Les variétés du français
• La francophonie
Qu’est ce que la francophonie ? Il semblerait que sur ce thème les définitions
soient aussi diverses que variées. On peut tout de même admettre que la
francophonie actuelle est composée d’� tats qui ont le français en partage. Au niveau
des locuteurs, un francophone est quelqu’un qui parle français. Mais, la
francophonie n’est pas une communauté culturelle liée à une communauté
linguistique. Autrement dit, il existe d’importantes différences et de profondes
inégalités dans le rapport des sociétés membres de la francophonie à la langue
française. En conséquence, on peut dire que la francophonie et un espace culturel
hétérogène, on parlera dès lors de francophonies au pluriel.
Le français d’Afrique est une de ces variétés, bien qu’il soit lui-même
composite.
• Le français standard
Le français standard c’est cette langue qui fonctionne comme norme de
référence. Ainsi, elle se démarque par rapport à des variétés qui n’ont pas été
normalisées comme les dialectes, par exemple.
Cette langue standard n’existe pas à Onklou sous la forme d’oralité. La
présence de marqueurs linguistiques autochtones est trop vivace. Il s’agit de
l’accent, le lexique, la syntaxe, etc. En revanche, elle se trouve codifiée sous sa
forme écrite. La référence en la matière étant encore pour l’heure l’Occident.
• Le français élémentaire
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A Onklou, les formes les plus simples de communication en français peuvent
être classées en « français élémentaire ». C’est cette langue comportant des
analogies avec le français mais construite selon des structures grammaticales et un
système phonologique empruntés aux langues maternelles. Le vocabulaire est aussi
mixte. Du point de vue de l’apprentissage, ce français élémentaire est le résultat
d’une scolarisation sommaire. Pour les filles, c’est souvent le résultat d’interactions
répétées avec des francophones de la ville.
• Le français régional
C’est dans cette variété que les particularismes lexicaux sont les plus
nombreux. Mais, il n’y a pas de prise de conscience chez les locuteurs d’une
différence réelle avec le français standard. Ce français recouvre un répertoire
fonctionnel beaucoup plus large que les variétés précédentes. En effet, il peut
assurer les fonctions de langue véhiculaire entre Béninois francophones. On
remarquera qu’il fonctionne aussi comme marqueur de catégorisation sociale en
raison du prestige attaché à son usage. Ses locuteurs sont des individus ayant suivi
un parcours scolaire suffisamment long, au moins jusqu’au secondaire et ils se
retrouvent ainsi chez les fonctionnaires ou les jeunes les plus scolarisés.
2- L’usage
• Privé
L’usage du français est encore absent dans la société rurale que représente
Onklou. Au village, 256 personnes connaissent le français, ce qui représente 18,52%
de la population. Nous l’avons vu, ce sont en général les jeunes qui parlent français
et ce sont essentiellement des garçons. En effet, les trois-quarts (74,6%) des
personnes parlant le français au village sont de sexe masculin.
De fait, dans le cadre familial de communication intergénérationnel, l’usage en
est exclu. Au sein du groupe des pairs ce sont encore les langues locales qui
prédominent. Ainsi, à l’école, par exemple, lors des récréations la langue en usage
est le yom.
L’usage privé du français n’est donc pas encore établi dans la société rurale.
• Public
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En revanche, sur la scène publique, en tant que langue officielle, la langue
française est largement employée. Par exemple, tous les documents administratifs
sont à rédiger en français. Et, malgré les efforts des politiques d’alphabétisation, le
français demeure la langue de l’écrit. C’est aussi la langue d’enseignement. De fait,
elle reste encore l’apanage d’une élite minoritaire. Mais, la démocratisation de
l’enseignement qui se développe contribue à la diffusion du français et par
conséquent le cercle des locuteurs tend à s’élargir.
De fait, cette langue française aujourd’hui encore minoritaire chez les
locuteurs et dans la pratique quotidienne pourrait s’étendre dans l’avenir à un usage
plus globalisé.
3- Statuts et valeurs
• Utilité
Par sa fonction parfois de langue véhiculaire le français représente un outil
utile pour ses locuteurs. Ils s’agit surtout des agents dont la profession évolue par le
biais de l’interaction. Ainsi, la langue dominante est le résultat d’une situation
économique. Elle est adoptée par ceux qui sont proches du pouvoir ou le
représentent et par ceux qui traitent avec lui (gros commerçants ... ). Autrement dit,
c’est une langue que les élites parlent par besoins et intérêts. Mais, le français trouve
aussi son utilité auprès des acteurs sociaux pour le rôle qu’elle peut jouer dans le
cadre de la mobilité sociale. C’est aussi la langue qui pourra être utilisée dans le
cadre d’une possible émigration.
Le français en Afrique représente donc un outil de promotion.
• Prestige
La langue française jouit d’un certain prestige. Ce prestige est évidemment le
résultat de la richesse culturelle attachée à la langue, de ce que l’on sait de son
histoire, et aussi de la considération que l’on a pour ses locuteurs. Le français est
associé aux usages valorisés : administrations, presse écrite ou domaine technique.
• Absence de concurrence
76
De l’analyse des éléments statutaires du français il ressort que cette langue
n’est pratiquement pas concurrencée : il en va ainsi pour tous les usages officiels et
écrits.
Il véhicule les savoirs modernes, par l’école principalement mais aussi par les
médias. C’est ainsi la seule langue évoluant dans ces domaines exclusifs. Les autres
langues se partagent des domaines fortement concurrentiels.
• La négation
La langue dominante, de prestige c’est le français. La langue dominée est celle
du colonisé. Et, ces représentations sont encore dans l’esprit des locuteurs. Voici ce
que me livre Youf : « Ça m’aurait gêné autant que ... le français si tu veux, dans une
certaine mesure. Encore que le français, bon, ben écoute, le français permet quand
même d’accéder à, si tu veux au conseil des nations, à la communauté internationale
et tout ça ».
En prenant l’exemple du français, on s’est bien rendu compte que la langue
est un phénomène singulier. Chaque langue est particulière. En effet, elle s’exprime
dans un contexte, avec des variations, des rôles et des statuts mais toujours au
travers du locuteur.
Il s’agira donc dorénavant d’analyser les pratiques de ces locuteurs.
77
V- Des pratiques plurielles.
Par la présentation des données langagières de l’enquête et l’analyse de la
place de la langue nous avons constaté qu’il existe au sein de cette société donnée
des pratiques différentielles. Pourquoi et comment se différencient-t-elles ?
Pour le savoir, nous chercherons tout d’abord dans les socialisations des agents
sociaux avant d’analyser le rôle de l’acteur. On conclura alors sur la dualité
pratiques-représentations afin de définir la construction sociale de la réalité
linguistique.
A- La socialisation linguistique : entre déterminisme et liberté.
1- Première socialisation
• Langue première et socialisation
« L’individu qui entre par la naissance dans le groupe en acquiert le langage
d’abord au sein d’un entourage restreint, dont il gardera plus ou moins la marque
plus tard, et sur lequel d’autre part ses particularités peuvent agir plus ou moins »
(1971, p. 86) ainsi comme l’écrit Marcel Cohen l’enfant acquiert en premier lieu le
langage au sein d’un groupe restreint. A Onklou, par les scarifications, l’enfant Yom
est dès ses premiers jours identifié comme appartenant à une communauté donnée.
Par la suite, il assimilera la langue par imprégnation puis il la maîtrisera afin de
pouvoir s’exprimer à travers elle. Dès lors, on peut situer l’apprentissage de la
langue et du langage dans le phénomène général de socialisation de l’enfant. A ce
stade la socialisation linguistique est imprégnation et conditionnement.
Conditionnement car l’individu naissant est déterminé à parler de telle manière
puisqu’il n’a pas encore d’autres choix. C’est ce que l’on appelle la socialisation
primaire ou première.
Au niveau linguistique, l’acquisition de la langue première se fait lors de cette
étape de la socialisation. L’agent social naît dans un monde dont il est tributaire et
qu’on lui impose. L’enfant s’identifie à ses « autruis significatifs » (significant
others) selon le vocabulaire de George Herbert Mead. Il se reconnaît par eux et
78
« prend en charge » leurs rôles et attitudes, non en les imitant de façon passive, mais
en recréant leurs répertoires au cours de jeux. C’est ainsi qu’au Bénin comme
ailleurs on apprend à parler la langue première. Donc, dans un premier temps on
peut dire que l’individu est linguistiquement socialement construit.
Dans La distinction (1979) Pierre Bourdieu développe une théorie selon
laquelle le milieu social d’origine engendre des dispositions qui vont structurer tous
les aspects de la pratique sociale, dispositions qu’il appelle habitus.
• La socialisation comme incorporation des habitus
Dans Le sens pratique, Pierre Bourdieu définit les habitus comme « systèmes
de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à
fonctionner comme structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principes
générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations » (1980, p. 88). En
appliquant cette définition à la socialisation linguistique les habitus seraient ces
signes inhérents au langage. Linguistiquement, il s’agit de la syntaxe, la grammaire,
les règles de conjugaison, etc. Ces structures qui ordonnent et normalisent l’échange
et qui se retrouvent dans toutes les langues. Sociologiquement ce sont des facteurs
externes à la langue qui interviennent dans l’échange. Ces facteurs sont les habitus
intériorisés par l’individu au cours de la socialisation. Ils permettent l’adaptation au
monde de l’autre par une soumission inconsciente aux règles du social. Ainsi dans
ses postures corporelles, dans sa façon de s’exprimer comme dans son vocabulaire
tout agent est le produit d’une condition d’origine, de sa socialisation primaire.
• Le rôle de la famille dans l’apprentissage du langage
La famille est une des premières instances qui interviennent dans le processus
de socialisation. Or, dans les sociétés traditionnelles, comme à Onklou, le réseau
familial est très important et imposant. Si l’on considère l’organisation globale de la
société, on remarque que les rapports de l’enfant avec son père sont réduits au
minimum pendant les premières années de vie. Durant ces années-là, l’enfant se
trouve au quotidien dans un milieu féminin. Le foyer est l’univers de la femme.
Dans cette société polygame, elles se retrouvent à plusieurs dans ce même espace.
L’enfant dans ses premières années a un contact physique permanent mais indirect
avec sa mère. En effet à Onklou, comme sur tout le continent, les enfants se trouvent
79
maintenus dans le dos de leur mère. De fait, celle-ci ne parle pas directement à son
enfant. Lors du bain quotidien en revanche, elle s’adresse directement à lui. Si la
mère a plusieurs enfants en bas âge, ses filles aînées prendront à leur tour leur cadet
sur le dos. Il s’agit même d’un des jeux préférés des petites filles. De cette relation,
mère-enfant on retiendra donc la parole indirecte et le poids de la présence
permanente de féminité autour du nourrisson. Lorsque ce dernier grandira il jouera
alors avec ses frères et soeurs (au sens large) ainsi que les co-épouses de son père.
On peut en déduire que lors de cette socialisation primaire l’enfant acquiert les traits
langagiers de sa mère au détriment de ceux du père.
Mais, le système qui régit ces groupes c’est la patrilinéarité si bien que
l’enfant est presque toujours rattaché officiellement à la lignée de son père. Celui-ci
exerce un pouvoir traditionnel sur sa descendance. Ainsi, lors de mariages mixtes
des femmes m’ont avoué qu’elles parlaient leur langue à leurs enfants mais, lorsque
le mari est là elles s’expriment toujours dans la langue de leur conjoint à leurs
enfants. Et ce pouvoir indirect qu’exerce le père a une influence tout aussi
imposante que celle du quotidien. En effet, les enfants une fois adultes se
reconnaissent toujours dans l’ethnie du père et parlent cette langue au détriment
parfois de celle de la mère. Il s’agit là d’un trait culturel.
Par la suite, si c’est un garçon il accompagnera son père pour les travaux des
champs. Si c’est une fille, avec les autres femmes de la maisonnée, elle s’occupera
des tâches domestiques. Dans ce cas, si la langue de la mère est différente, la fille
l’acquiert toujours. On notera alors que les filles parlent toujours la même langue
maternelle que leur mère. Quant aux garçons, c’est par le travail qu'ils appréhendent
les traits langagiers de leur chef de famille. En ce sens, on peut dire qu’il y a une
division sexuelle de la langue. Les filles expriment la langue maternelle tandis que
les garçons reproduisent la langue paternelle. La langue première varie donc suivant
le sexe.
Puis, à l’âge adulte (vers 16 ans) les fils restent dans la maison du père alors
que les filles s’en vont chez leur mari où elles devront apprendre, peut-être, une
autre langue.
Ainsi, à Onklou l’enfant s’imprègne progressivement, par l’observation et
l’imitation de la culture, de la langue de son groupe. Et, c’est ce processus
d’incorporation progressive qui défini l’appartenance sociale de base.
80
2- L’interaction sociale, son rôle dans la construction de soi
• La socialisation secondaire ou la construction de son identité sociale
Si le processus de socialisation est particulièrement intense pendant l’enfance
il faut tout de même ajouter qu’il se déroule durant toute la vie. Ainsi, plusieurs
instances interviennent, au premier rang desquelles on compte la famille. Parmi les
autres agents de socialisation, il faut citer entre autres les groupes des pairs, les
institutions et le poids de la culture ethnique.
Peter Berger et Thomas Luckmann dans leur ouvrage La construction sociale
de la réalité prolongent l’analyse de la socialisation en introduisant le concept de
socialisation secondaire. Pour eux, l’individu construit le monde social en même
temps qu’il est construit dans et par ce monde ainsi « La socialisation secondaire
consiste en tout processus qui permet d’incorporer un individu déjà socialisé dans de
nouveaux secteurs du monde objectif de sa société » (1996, p. 179). Appliquant cette
théorie à l’acquisition des langues on peut en déduire que l’apprentissage de langues
est un moyen qui permet de se re-socialiser, linguistiquement et socialement, sur la
base de la langue première. Autrement dit, les premiers apprentissages structurent
les nouveaux. Et si un individu doit intégrer une nouvelle culture à langue différente,
il s’appuiera sur ce qu’il connaît déjà suite à la socialisation première. Il construira
donc ses identités futures sur son identité de fait. Et, par ses socialisations
successives l’individu sera un être socialement et linguistiquement identifiable.
• Le groupe des pairs
Dans une perspective interactionniste il m’a semblé que, par ordre
d’importance, après la famille, c’est le groupe des pairs en général qui pèse sur
l’acquisition des langues par socialisation.
Qu’est ce que le groupe des pairs ? Il s’agit de toutes ces personnes du même
âge qui gravitent autour d’un sujet et qui sont reconnues par lui. Or dans une petite
société rurale comme c’est le cas à Onklou les voisins sont souvent les amis. Le
cercle des relations se trouve limité par le village mais aussi étendu à tout le village.
Les contacts sont donc quotidiens et les langues s’entrechoquent. Suivant quelle
logique ?
81
Sachant que les gens d’une même lignée vivent groupés dans un même
quartier ils parlent la même langue. En famille la langue, attribut culturel de
l’appartenance et donc de la famille, la plus usitée est celle de la communauté
d’origine. Elle soude le groupe à la fois familial et culturel. La langue de la famille
est celle de la communauté d’origine du patriarche. Les voisins étant
traditionnellement de la même lignée, ils parlent cette même langue.
Ainsi, on peut repérer à Onklou des hameaux que l’on pourrait différencier par
rapport aux langues. On aperçoit donc des regroupements ethniques. L’habitat étant
marqué par la promiscuité des cases la cohabitation avec d’autres ethnies est
quotidienne. Même si physiquement les relations de face à face peuvent être
inexistantes la langue a ce pouvoir d’écoute. Elle surpasse les murs ou autres
frontières physiques. Voilà pourquoi j’ai pu entendre « Bon, le fon on peut pas dire,
je connais juste les salutations et quelques mots ». Dans ces cas-là, je le notais dans
mon cahier mais je n’y prêtais pas d’attention pour l’élaboration des statistiques.
Cependant, il est important de noter que la population connaît les bases ; salutations,
mots du quotidien, pour s’exprimer dans de nombreuses langues. Ces notions sont
intégrées par le simple fait de cohabitation.
Quand aux amis ils sont aussi sources d’apprentissages langagiers. Par
exemple Angelo, jeune Ditammari de 15 ans a appris le waama avec ses amis à
Onklou. Mais le plus souvent c’est le français, le dendi ou le yom (pour les
immigrés) que l’on apprend par le biais de l’amitié. Ce sont les langues les plus
usitées.
• Les institutions
Parmi les autres lieux de socialisation secondaire on peut distinguer le travail,
la religion, l’administration et l’école.
Le dendi étant une langue véhiculaire elle est essentiellement parlée lors des
transactions. De fait, au marché c’est la langue de base. Ainsi les femmes devant
leurs étals négocient et conversent en dendi avec les clientes s’étant déplacées pour
l’occasion. Quant aux cultivateurs ils travaillent souvent des terres louées par des
Djougois (de la ville de Djougou). Les propriétaires parlant dendi les locataires se
doivent de le comprendre, au moins pour leurs intérêts personnels.
82
Les religions, nous l’avons vu, se répartissent en trois groupes au village. Les
fétichistes ont tous plus de 55 ans et ils parlent essentiellement yom ; en
conséquence, on peut affirmer que les langues traditionnelles sont l’apanage des
fétichistes. A Onklou, le yom est la langue des cérémonies fétichistes. Les
célébrations chrétiennes se font en français avec quelques chants yom. Tandis qu’à
la mosquée c’est le dendi qui domine. 81% des adultes de plus de 15 ans du village
s’affirment comme musulmans. On perçoit dès lors le poids que représente le dendi
dans le milieu religieux. C’est la conséquence d’une politique linguistique de la part
des acteurs dirigeants puisqu’on a fait croire aux pratiquants que parler dendi c’est
être un homme de Dieu. On disait que leur langue, c’est à dire le yom ou toutes les
langues vernaculaires, est satanique, que seul l’arabe et le dendi sont reconnus par
Dieu. De plus dans les mosquées on parle dendi. Dès lors on perçoit mieux la
prégnance du dendi dans le milieu social.
Le français est la langue de l’administration. Tous les documents officiels
doivent être rédigés en français. C’est aussi la langue de l’instruction scolaire. Au
CEG (Collège d’enseignement général) d’Onklou où j’ai enseigné le français
pendant deux mois les enfants parlaient parfaitement français. Mais leur expression
écrite est très confuse et laborieuse. A Onklou, nous l’avons vu, 256 personnes de
plus de 15 ans emploient le français, ce qui représente 18,52% de la population
totale du village. Ce sont en général les jeunes qui parlent français et ce sont
essentiellement des garçons. En effet, les trois-quarts (74,6%) des personnes parlant
le français au village sont des garçons. Ceci s’explique par l’histoire de la
scolarisation au village que l’on retrouve à travers les statistiques et les récits
biographiques. Le fait que les filles parlent moins le français se justifie par une plus
faible scolarisation. Elles étaient plus utiles au foyer pour « préparer » (cuisiner en
français de « là-bas ») ou s’occuper de leurs frères et soeurs. Encore aujourd’hui
tous les enfants ne vont pas à l’école, les niveaux sont disparates et l’échec scolaire
impressionnant sans oublier que beaucoup de ces scolarisés quittent les bancs avant
la 6ème une fois qu’ils savent lire, écrire et compter. Malgré cela l’école en tant
qu’institution a toujours un rôle à jouer dans la construction de son identité. Mais,
chacun en fonction de ce qu’il est déjà et ce à quoi il aspire en disposera à sa guise.
• La consolidation de l’identité culturelle
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L’approche culturaliste des sociétés s’attache à décrire la construction de soi
comme l’incorporation progressive de la culture d’appartenance. Elle est le
prolongement de la socialisation primaire pour les natifs alors que pour les immigrés
elle peut faire office d’une autre identité. Le poids du milieu s’impose alors comme
révélateur de soi. Or, la langue est un de ces modes d’expression. Dans son ouvrage
L’identité culturelle Sélim Abou nous dit que la langue « tout en étant un élément
entre autres de la culture, elle transcende les autres éléments dans la mesure où elle
a le pouvoir de les nommer, de les exprimer et de les véhiculer » et il ajoute « il y a
un culte de la langue qui est une juste défense des valeurs et de la personnalité
culturelle de l’ethnie » (1981, p. 33). Autrement dit, la langue est une composante
essentielle de l’identité culturelle c’est le lien par lequel les acteurs s’expriment et
par là même il exprime ce qu’ils sont, leur identité culturelle. A l’âge adulte l’acteur
social fait le choix de sa ou ses appartenance(s). Ainsi à Onklou 29, 5% de la
population parle uniquement le yom. Mais il y aussi ceux qui sont d’une autre ethnie
et qui parlent le yom au quotidien sauf dans la cadre familial où la langue
d’appartenance domine. Personne ne parle que français. En effet, cette langue n’est
pas encore adaptée au milieu : trop peu de monde la maîtrise, elle n’est pas
culturellement intégrée. Le yom représente la langue de la communauté avec 1348
locuteurs, c’est à dire 97,5% de la population. On notera en plus que 131 personnes
ont apprit le yom. A cela il convient de rajouter que 410 personnes c’est à dire 29,
5% de la population ne parle que yom. On aperçoit donc la forte pression coercitive
du milieu qui s’exerce entre autres sur le plan linguistique.
« Dans les sociétés primitives et isolées, la conscience de soi ethnique
n’émerge pas, parce qu’il existe (du moins en théorie) une totale homogénéité de
race, de langue et de culture » nous dit Richard Pipes (1975, p. 454). Or, dans le cas
présent une forte identité Yowa s’exprime. On peut l’expliquer par la présence
d’autres groupes ethniques sur le territoire. Autrement dit là où apparaît la différence
on prendrait conscience de son état. De plus, la conscience du soi ethnique contribue
à resserrer la cohésion culturelle.
Dorénavant, on comprend mieux ce que voulait dire Marcel Cohen par ses
« plus ou moins » lorsqu’il écrivit que « L’individu qui entre par la naissance dans le
groupe en acquiert le langage d’abord au sein d’un entourage restreint, dont il
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gardera plus ou moins la marque plus tard, et sur lequel d’autre part ses
particularités peuvent agir plus ou moins » (1971, p. 86). Autrement dit l’hypothèse
selon laquelle la pratique est différente par rapport au contexte semble d’ores et déjà
validée. En effet, il semblerait que différents facteurs influent sur la pratique
linguistique des locuteurs. Tout d’abord la famille a un rôle primordial qui s’affirme
lors de la première socialisation. Puis, par l’interaction sociale qui se réalise par
contacts avec le groupe des pairs, les institutions (travail, religion, administration,
école) et la culture ethnique, l’acteur social agira en fonction de son héritage et de
ses nouvelles acquisitions.
B- Une pratique individuelle ou la mise en place de stratégies.
1- L’identité pour soi
• La théorie interactionniste
L’identité pour soi c’est ce que l’on se construit plus ou moins consciemment
à partir de ce que l’on a, c’est à dire son identité de base. Si l’individu est
socialement construit, il participe également à la construction du monde social. Or,
la théorie interactionniste développe l’idée selon laquelle les individus (au minimum
deux) agissent et se comportent en fonction de l’autre. L’interactionnisme permet
d’interpréter les faits sociaux « de l’intérieur » et cherche à établir les catégories
sociologiques qui ont une réalité pour les acteurs en examinant les interactions entre
les membres de la société. Dans cette optique, une entité comme le langage, n’a pas
de réalité indépendamment de la société dans laquelle elle s’exprime. Ainsi, les faits
langagiers seraient une réponse apportée par les membres de la communauté à la
situation particulière de communication dans un processus interactif de construction,
c’est ce qu’on appelle la conversation. Or, pour Anselm Strauss « Qui étudie
l’identité doit nécessairement examiner à fond l’interaction ; c’est en effet au cours
du face-à-face interactionnel, et grâce à lui, que l’on évalue le mieux et soi-même et
les autres » (1992, p. 47). L’interaction s’exprime selon sa propre logique mais sur la
base des acquis primaires. C’est par elle que l’acteur social adaptera ses conduites et
négociera rôles et identités.
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Or nous l’avons analysé précédemment, l’usage de la parole est un acte social.
Par le langage on objective sa personne, son être, en même temps que sa
subjectivité, son moi, dans des situations de relations à autrui. La vie quotidienne
s’exprimant grâce à l’interaction par le langage avec mes semblables. Une
expression exacte du langage est donc essentielle à toute compréhension de la réalité
de la vie quotidienne. On discerne alors les enjeux qu’implique la compréhension
linguistique.
• Mise en place de stratégies extra-linguistiques : la mobilité géographique
La mobilité géographique ou exode permet aux acteurs de fuir leur
socialisation primaire, voire de se reconstruire par le biais d’une socialisation
secondaire. Ainsi, lorsque les filles vont au Niger, par exemple, j’ai supposé que ce
voyage leur permettait d’échapper à une pression familiale parfois étouffante à
l’adolescence. Cette hypothèse a été confirmée par des entretiens. Mais c’est aussi
une occasion de voir autre chose et de se procurer de l’argent avant le mariage.
D’après le pasteur Djara, l’exode est un phénomène récent : « Maintenant
quand la civilisation est venue, alors, on a commencé un peu, un peu jusqu’à ce que
les gens viennent à apprendre la langue des autres jusqu'à, les gens, des ghanas,
soient avec la difficulté mais quand même, ils vont.
Et pourquoi les gens avant allaient au Ghana ?
-Pour aller chercher toujours l’argent parce que on va là pour trouver les
choses, les bonnes choses. ».
C’est donc au cours de ces migrations que les travailleurs apprennent la langue
du pays comme l’achanti au Ghana ou le yoruba au Nigeria.
Je posais alors la question au Maire : « Très bien. Donc, vous êtes Cura, vous
parlez yom, vous parlez aussi le dendi parce que vous êtes musulman. Et les autres
langues. Pourquoi est ce que vous parlez plein de langues comme ça ? J’ai du mal à
comprendre.
*Heu.
Parce que quand j’interroge les gens, je vois qu’ils parlent 4, 5, 6 langues.
*Bon, actuellement, bon, vous avez vu, la plupart de nos parents bon
l’ignorance a fait que quand ils savent que vous êtes aventurier hein, quand vous
êtes aventurier, c’est vous qui êtes civilisé. Quand on a manqué la civilisation c’est
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l’aventure qu’on préfère. Voilà. Nous qui ont été à l’école, on peut pas être
aventurier. Mais ceux qui ont manqué l’école, hein, pour se faire civiliser il faut
qu’ils aillent à l’aventure. Si bien qu’il va au Nigeria pour se cultiver, il revient avec
la langue du Nigeria, le yoruba. D’autres, pour les filles, c’est le Niger. Elle revient
au bout d’un an ou deux ans et elle est civilisée, la civilisation nigérienne et, elle
parle le Germa. C’est pourquoi il y a une multitude de langues. (...)
Ça veut dire quoi être civilisé ?
*Ben, être civilisé c’est être, ben, elle comprend la vie, l’hygiène, bon,
l’habillement. Elle vient là gaie, propre. Elle n’est plus une paysanne. Quand elles
vont là-bas, elle est engagée dans des activités ménagères pour une bourgeoise. Elle
berce les enfants, on la paie à la fin du mois, elle mange là, elle est payée par mois
pour garder les enfants, pour faire tout, pour faire ci. Mais à la fin de l’année on la
paie mois par mois elle est éduquée là-bas. Elle revient ici propre, avec son habit,
avec une petite somme. Il semble que c’est elle alors qu’elle était illettrée ici. Elle
vient là, on la classe parmi les civilisés. Les civilisés c’est ceux qui ont été un peu à
l’école pour être instruit. C’est ça que j’appelle civilisé, ceux qui sont instruits. Ceux
qui ont manqué l’inscription il faut aller au Niger pour gagner l’éducation et revenir.
Bon elle est belle, hein, mais nous sommes des agriculteurs ici. Pour ne pas aller aux
champs, les activités champêtres, il faut aller en aventure pour gagner l’instruction
civile.
Très bien. Et pourquoi les vieux ils ont été au Ghana ?
*C’est la même chose. C’est le premier chemin d’abord. Quand quelqu’un
allait au Ghana, quand il vient mais il, pour dire qu’il va au Ghana mais il se
retourne avec dix femmes, hein. (Rires). Non, ah, non, celui qui a fait le Ghana dans
le temps, bon, pour enlever une fille il faut la dire que tu vas au Ghana, dans le
temps. « Mais si tu m’aimes on ira au Ghana, et c’est fini ! ». Et c’est une nuit qu’ils
s’en vont à pied. Mais ils reviennent un jour là, on dit que vraiment ils reviennent
civilisés. Alors qu’on les a engagés pour garder les plantations et les payer mois par
mois. Il revient là gai, propre, civilisé. Mais les gens l’enviaient comme ça. Si bien
que un jour qu’il dit qu’il se retourne il y a des filles qui le suivent, hein. Telle dit
« je vais aller avec toi », telle dit « je vais aller ». Si il ne dit pas non, il emportera
plusieurs femmes. Non, c’est le Ghana d’abord ».
87
Dès lors on comprend mieux ce que représente la pression du milieu et quelles
sont les stratégies que mettent en œuvre les acteurs pour se donner une image
valorisante et valorisée. Mais, pour vivre dans l’exode, ces jeunes ont du s’adapter à
une autre culture au prix sans doute d’une forte acculturation.
• L’acculturation
D’après Guy Rocher, « La transplantation de l’immigrant dans un pays
d’adoption constitue probablement la plus difficile épreuve de resocialisation qu’il
soit donné de vivre à l’âge adulte ; elle n’est d’ailleurs subie avec succès ni par tous,
ni à tout âge, ni en n’importe quelles conditions, ce qui fait que l’acculturation de
l’immigrant, c’est à dire sa socialisation à une nouvelle société et à une nouvelle
culture, ne se complètent généralement que sur deux ou même trois générations. »
(1968, p. 134). L’acculturation est donc un processus qui s’élabore dans
l’interaction.
L’effet premier de la migration est de contraindre les migrants à élaborer une
série de rôles nouveaux. Pour ce faire des emprunts, des échanges et des
réinterprétations ont lieu entre les deux cultures. Aucune ne s’imposera
complètement à l’autre bien que leurs apports soient, évidemment, inégaux.
A Onklou, le facteur décisif dans les phénomènes de migration comme
d’immigration est le travail. Ce choix de déplacement fait par les acteurs nous
permet de qualifier l’assimilation culturelle qui suivra comme « acculturation
spontanée ». Autrement dit elle se déroulera dans un climat volontariste et positif.
Cet état d’esprit est très important dans les conséquences qu’a l’acculturation sur
l’individu voire le groupe culturel étranger. En Bretagne par exemple cette
acculturation qu’il y a eu au niveau culturel et de la langue en particulier a été très
mal vécue par les acteurs et les conséquences en sont lourdes : perte de la langue,
identité négative, sentiment de honte, etc. Sur le terrain africain la situation est tout
autre. Ce sont les acteurs qui se sont déplacés, ils ont fait l’effort d’intégrer la
culture locale et pour ce faire ils ont appris la langue. En effet, nous l’avons vu, la
langue est un facteur primordial de l’intégration sociale. En tant que mode de
communication la langue permet l’échange d’information indispensable à la vie en
société, au travail. Elle permet la compréhension et l’action commune, l’intégration
mais aussi l’acculturation, phénomène social dans lequel elle a donc un rôle actif.
88
2- Des Hommes, des stratégies
• La langue unique
Au village sur une population de 1382 habitants âgés de plus de 15 ans 1348
locuteurs parlent le yom. Or 29, 5% de la population ne parle que yom. Ce sont des
gens qui ont fait le choix de l’immobilité. On peut même qualifier ces personnes
n’ayant pas voyagé de « conservatrices ». En effet, ce sont des familles entières qui
sont monolingues. Elles observent un immobilisme géographique et ethnique. Les
mariages sont toujours endogames et les enfants ne vont pas à l’école. Les femmes
sont ménagères, les hommes cultivateurs et ils suivent des pratiques fétichistes ou se
disent athées. Les relations sociales sont limitées à la communauté ethnique,
linguistique.
Représentants des valeurs et de la personnalité culturelle de l’ethnie ils
l’expriment au travers de leur langue.
• L’atout du véhiculaire
A Onklou chaque communauté utilise sa langue au sein de la famille et pour
les communication intra-ethnique. Ensuite c’est le dendi, langue véhiculaire, qui
prendra le relais dans les autres types de discussion. Le dendi est une langue
largement utilisée alors que les locuteurs maternels ne sont pas majoritaires.
Plusieurs facteurs font du dendi une facilité d’usage :
♦ Son prestige dans le domaine religieux. En effet, à Onklou 81% des adultes
sont musulmans. Or, à la mosquée le dendi est largement employé.
♦ L’attirance des villes pour des raisons économiques. A Parakou et Djougou,
les deux villes les plus proches d’Onklou, on parle dendi.
♦ La qualité de ses locuteurs en tant que personne. Les Djougois, par exemple
possèdent beaucoup de terres qu’ils louent à des paysans du village. De plus,
possesseurs de moyens financiers, ils sont aussi très présents sur les marchés en tant
qu’acheteurs. Le dendi est donc devenu une langue commerciale obligatoire dans les
négociations. De même, les Dendis ont constitué pendant longtemps l’élite à
laquelle les autres groupes ethniques voulaient s’assimiler.
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♦ Le caractère composite de la langue dans lequel se retrouvent des emprunts
aux divers parlers locaux.
♦ Sa fonction utilitaire. Dans les grandes villes lorsque la population rurale se
déplace pour y travailler, elle apprend une langue véhiculaire. En effet, c’est celle
qui est comprise par le plus d’interlocuteurs, donc la plus utile dans le cadre d’une
intégration.
Ainsi, la langue véhiculaire est une excellente manière de satisfaire les besoins
de communications inhérents à toute société et qui sont parfois difficiles du fait de
situation d’hétérogénéité linguistique. Alors, le multilinguisme ne constitue plus un
frein au développement mais peut désormais être un atout.
Au marché, par exemple, on aperçoit son utilité. Lieu hétéroclite par
excellence du fait des populations qui le composent et qui le créent en conséquence
les parlers se mêlent. Une enquête menée dans plusieurs marchés au Bénin par
Marc-Laurent Hazoumé et Zéphirin Tossa dans le cadre d’un projet dénommé :
« Les langues des marchés en Afrique », fait ressortir que, quelle que soit la langue
maternelle des enquêtés, qu’ils soient marchands ou clients, et quel que soit leur lieu
d’origine, les langues d’échange demeurent bien les langues véhiculaires propres
aux différents marchés parce que soumises à des variations suivant les lieux et
suivant également la région. « Mais si elle sert de moyen d’échange dans les
marchés et autres lieux de concentration de groupes linguistiques divers, elle
demeure néanmoins une langue étrangère au sein des familles ou de ces mêmes
groupes linguistiques » nous dit Marc-Laurent Hazoumé dans son ouvrage
Plurilinguisme et communication démocratique (1996, p. 44).
• Le plurilinguisme ou l’obligation d’apprendre
Avec l’exemple du dendi on comprend l’atout que peut représenter la maîtrise
d’une langue véhiculaire. Mais on voit aussi qu’elle est un outil de travail pour les
commerçants.
Il en va de même pour le français. Langue officielle elle véhicule ainsi les
savoirs modernes et les valeurs qui lui sont associées. Elle doit donc être connue de
tous ceux qui prétendent à une ascension sociale.
90
De même ; les travailleurs qui s’exilent s’attachent généralement à apprendre
la langue du pays. Sans la langue la communication s’avère délicate et c’est toute la
sociabilité qui est alors réduite à néant. A Onklou, j’ai pu m’apercevoir que lorsque
les parents restent dans un pays, leurs enfants parviennent à maîtriser totalement la
langue d’adoption. Dans un même souci de sociabilité et d’intégration on comprend
ce qui pousse les femmes allant chez le mari à apprendre la langue de celui-ci.
Dès lors, nous pouvons déjà catégoriser la diversité des langues en présence
selon les acteurs : les cultivateurs autochtones sont souvent monolingues, ceux qui
ont exercé à l’étranger parlent la langue du pays, les commerçantes s’expriment en
dendi, ceux qui ont été à l’école parlent le français.
En conséquence, on peut émettre l’hypothèse que les acteurs, conscients de ce
que représente la maîtrise d’une langue élaborent des stratégies. Youf, cardiologue
béninois, a fait des choix pour l’éducation de ses enfants. Il me dit « ils vont en
vacances chez mes parents, chez mes tantes et tout ça, essayer, essayer en fait.
Aujourd’hui, je crois qu’ils comprennent, mais ils ne veulent pas toujours
s’exprimer. De temps en temps, je les amène en fait à parler leur langue ». Et il
rajoute « Et puis quand on doit avoir du personnel domestique, je préfère toujours
donner la priorité à quelqu’un qui peut parler effectivement le nagot pour qu’ils
puissent comprendre. Malheureusement, comme les enfants parlent spontanément
français et que bon, comprenant le français aussi, quelque part, on peut gagner des,
on peut avoir des, un emploi ... ». Ainsi, par l’intermédiaire de médiateur (agent de
service, famille) Youf apprend à ses enfants sa langue maternelle. De plus, il
légitime le parler français par son usage pratique.
Et, il rajoute « Ça m’aurait gêné autant que ... le français si tu veux, dans une
certaine mesure. Encore que le français, bon, ben écoute, le français permet quand
même d’accéder à, si tu veux au conseil des nations, à la communauté internationale
et tout ça. Et je vis déjà mal ça. Je vis déjà mal de ne pas pouvoir ... Je vis déjà mal
en fait quelque part notre assimilation au français. Alors, j’aurai vécu en fait qu’on
impose une autre langue à mes enfants comme une seconde domination ».
Ainsi, on voit donc le poids que reflète une langue en société pour les acteurs
sociaux dans leurs représentations.
Voici ce qu’il me dit à propos de l’éducation langagière de ses enfants : « Vivant
dans un milieu où on veut, où nos langues ont cours, et, il y a des enfants qui sont
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obligés d’aller apprendre le français en fait à l’école, donc qui apprennent en fait
comme une ... Ils vont travailler toute leur vie si tu veux en français. C’est la langue
du travail. Moi je me suis dit que, de toutes les façons, le milieu va s’imposer aux
enfants. Donc, les enfants vont apprendre forcément au contact du milieu les langues
locales. Ce qui n’est pas forcément le cas du français. Donc, du coup, la maison était
devenue un peu comme une seconde école pour lui permettre en fait de mieux
assimiler le français.».
De par cet extrait, on remarque bien les stratégies mises en place par l’acteur sur
le plan linguistique.
C- Entre pratiques et représentations, la construction sociale de la réalité
linguistique.
1- La langue comme définition
• L’apprentissage
La langue maternelle ne s’apprend pas. Elle s’assimile. Au cours de la
socialisation primaire l’individu adopte les manières de faire, de penser et de dire de
son groupe d’appartenance. Alors par le double processus d’imprégnation et
d’imitation l’enfant assimile et perpétue le parler de son entourage familier. Cette
phase de connaissance s’établit par le lien affectif qui unit l’enfant au milieu. Elle
s’inscrit aussi dans la continuité. Depuis le ventre de sa mère l’enfant est déjà
conditionné. Puis l’assimilation de cette première langue se réalise totalement par
une imprégnation au quotidien et une approche par l’écoute.
Dans nos sociétés occidentales, les langues étrangères nous sont enseignées.
On les apprend. Et c’est l’écrit qui en constitue le vecteur d’enseignement le plus
utilisé. C’est une méthode en rupture avec la socialisation première basée sur
l’oralité. En revanche, les personnes que j’ai interrogées à Onklou ont intégré leurs
autres langues par cette méthode d’imprégnation. Dans nos deux sociétés la
démarche est donc bien différente en termes d’acquisition. On notera alors que
l’apprentissage d’une langue est un phénomène culturel. Ici, l’écrit n’a pas sa place.
C’est pourquoi on n’évoquera pas l’apprentissage mais plutôt l’assimilation comme
lors de la socialisation primaire.
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Détenteur d’un moyen d’expression par le biais de sa langue maternelle
l’acteur en assimile d’autres. Elles répondent à de nouveaux besoins. Et la langue
maternelle joue un rôle primordial dans l’acquisition des autres langues. Elle
structure les nouvelles pratiques linguistiques en tant que modèle. Alors, on acquiert
une deuxième langue en la construisant sur la réalité connue, sur le modèle de la
langue maternelle. Voilà pourquoi lors de des entretiens j’ai pu noter que mes
interlocuteurs ne structuraient pas leur discours comme moi. On calque un modèle
théorique (grammaire, vocabulaire, conjugaison, etc.) sur un nouvel acte socio-
culturel, le fait de parler. En conséquence, la maîtrise d’une autre langue représente
une tâche laborieuse. Elle nécessite une nouvelle socialisation langagière basée sur
l’effacement des repères pré-existants. Or, à Onklou une multitude de langues sont
connues des locuteurs. Et, si les acteurs se sont donné ce mal ce n’est pas pour
apprendre, c’est pour comprendre. L’intérêt se trouve dans l’acte de communication.
Il s’agit d’un choix permettant d’élargir son réseau de sociabilité. Dès lors, le
locuteur potentiel devient acteur. L’apprentissage de la langue représente dans ce
cadre une phase importante de la construction de soi ou plutôt de son « self » au sens
de George Herbert Mead. L’emploi d’une langue est alors le reflet d’une stratégie
basée sur la compréhension et l’interaction. Elle est constitutive de l’identité du
locuteur.
• Soi et les autres
Tout individu qui apprend une langue doit s’investir. Il réalise par là un acte
personnel et complexe. En effet, c’est lui et lui seul qui fournira l’effort nécessaire
d’assimilation des concepts grâce auxquels ils sera compris. Cela représente donc
une démarche personnelle importante. De plus, par cette attitude volontariste
l’individu accepte d’intégrer à sa personnalité de base un référent identitaire, la
langue, qui lui est étranger ; et ce, par le biais de l’interaction. Or, sachant qu’en
Afrique chaque groupe culturel se rapporte à un parler particulier le futur locuteur
entre ainsi en contact avec une autre structure socio-culturelle dont il percevra les
manières de faire, de penser et de s’exprimer. Pour intégrer la langue il devra
multiplier les contacts. Pourtant dans son expression il s'entretiendra non sur la base
des règles pré-établies (grammaire, syntaxe, morphologie, etc.) qu’il connaît mais
sur la reproduction de l’exemple de ses interlocuteurs. On perçoit dès lors
93
l’importance de l’interaction grâce à laquelle l’acte d’assimilation est rendu possible
et celui d’expression aussi. Pour s’exprimer à travers une autre langue il faut
obligatoirement être en contact avec un groupe. Mais si on assimile la langue, il faut
savoir aussi que l’on assimile d’autres faits culturels.
L’acteur devient alors dépositaire de divers savoirs culturels autres. A partir de
là, l’individu se définit. Il est toujours un être identifiable comme porteur d’une
entité culturelle spécifique mais ils est aussi instruit d’identités multiples. Alors, il se
particularise par rapport à la fois à son groupe d’origine et à celui, ou ceux, qu’il a
intégrés à un moment donné de sa « biographie ». Ainsi, un Fon installé à Onklou
depuis des années restera Fon pour les autochtones mais, lorsqu’il visitera sa
famille, il sera identifié comme Yowa.
De même, tout individu en contact avec plusieurs langues ne peut manquer
d’adopter face à chacune d’entre elles une attitude particulière. Cette attitude relève
de facteurs subjectifs. Dans ce cadre, l’investissement affectif est décisif. Au cours
de son histoire personnelle l’individu créé des contacts et la langue a le pouvoir de
symboliser cet univers relationnel. C’est le cas, par exemple, des langues apprises
dans le cadre de l’amitié. Mais la langue, c’est aussi au sein du groupe un moyen
d’exprimer son rattachement en s’alignant sur les pratiques communautaires
Néanmoins, les conduites langagières marquent aussi la différence avec
d’autres groupes. A l’intérieur même de la micro-société que représente le village
d’Onklou il existe une série de comportements langagiers qui fonctionnent comme
des marqueurs identitaires : blagues, devinettes, mythes, légendes, etc. On aperçoit
par là une pression coercitive du milieu qui définit l’appartenance. Alors les mots
ont le pouvoir de donner existence au sujet qui les prononce et par la parole
l’individu se constitue comme sujet parlant.
Cependant, il n’existe pas de liens entre pratiques et représentations. On peut
affirmer son identité ethnique sans pour autant en parler la langue. Autrement dit, la
conscience ethnolinguistique peut ne pas être corrélée avec les pratiques langagières.
Le fait pour un sujet de la posséder à un degré élevé n’implique pas de sa part une
maîtrise équivalente de la langue. Et, en effet, il est arrivé que des individus se
définissent comme Kabiés, par exemple, mais ne maîtrisent pas la langue.
2- La langue comme représentation
94
• Conscience des langues
Nous l’avons vu, les acteurs mettent en œuvre des stratégies langagières pour
diverses raisons (identitaires, économiques, promotion, etc.). Il s’agit donc de choix
conscients de la part des locuteurs. En conséquence, on peut déduire que la langue a
une signification pour l’individu qui se donne le mal de l’apprendre. Elle représente
tout au moins un atout.
Or, lorsque un individu met en relation sa langue et son identité on peut dire qu’il
a conscience de ce que représente pour lui sa langue. La langue est un élément
constitutif de sa personnalité.
Pour l’acteur, la langue communautaire est aussi le symbole visible de
l’appartenance au groupe et elle peut même devenir le symbole de l’identité du
groupe. Dans cette perspective connaître ou non une des langues en présence,
l’utiliser dans des circonstances déterminées, l’adopter comme langue personnelle
revêt une valeur symbolique et morale d’intégration et de fidélité au groupe
considéré. La langue d’appartenance désigne le parler à travers lequel le sujet
effectue cet acte de reconnaissance.
Ce phénomène de langues multiples est une réalité quotidienne. De fait c’est
un sujet qui alimente largement les discutions. Alors les plaisanteries, références aux
langues étrangères, aux politiques linguistiques sont très largement exprimées. Les
gens parlent des langues, réfléchissent sur elles.
On peut donc affirmer qu’il existe chez les acteurs une conscience des langues.
• Discours sur les langues
Les représentations langagières sont constitutives des faits langagiers. Les
notions de représentation et d’imaginaire langagiers désignent l’ensemble des
images que les locuteurs associent aux langues qu’ils pratiquent.
Ainsi, j’ai souvent entendu de la part des nouveaux locuteurs yom, de ceux qui
ont appris la langue « c’est une langue compliquée, le yom est difficile à
apprendre ». Quand au dendi, d’après le Maire, « le dendi est un peu éparpillé. Je
l’ai apprise mais c’est une langue facile à apprendre. Disons que tout le monde parle
dendi parce que c’est la région ».
95
A partir de là, j’ai émis l’hypothèse que la langue représente le peuple qui la
parle. Pour les acteurs il existe une hiérarchie des langues. « On pense que certaines
langues sont supérieure à d’autres » me dit un habitant. En haut de l’échelle il y
aurait le yom accompagné du taneca puis, suivrai le bariba. En troisième position
vient le peulh. A la suite on trouve le lokpa, le yoruba et le nagot, le berba, etc. Et,
en bas de l’échelle se trouvent les fons (et les langues appartenant à la même famille
linguistique) ou les ditammari. Or, le taneca est de la même famille linguistique que
le yom, il est donc aussi de la même lignée. Quand au bariba, c’est la langue des
plus proches voisins. De plus, ils détiennent des moyens de productions et des
ressources financières supérieurs à ceux des Yowas. De fait ils ne peuvent pas être
bien inférieurs. Quand aux Peulhs, ils sont considérés comme cohabitants directs. Ce
sont eux qui gardent le bétail des cultivateurs Yowas. Les autres ethnies n’ayant pas
de liens généraux (famille, économie, politique, etc.) directs avec les Yowas elles
sont jugées selon des critères avant tout personnels et affectifs. Quand aux langues
fon (et associées) et ditammari, cette présentation négative relève des liens inter-
ethniques. Les Fons, détenteurs des moyens de production du pays, exploitaient
largement les campagnes durant la colonisation. Les Ditammaris sont un peuple
autonome qui vit reclus. Les relations avec les autres sont rares. En outre, ils ont des
moeurs différentes de celles des Yowas. En exemple, on me disait toujours « et c’est
les Sombas qui mangent du chien ».
Les discours sur les langues symbolisent donc la formulation des
représentations sur les relations sociales et ethniques. De même, la langue a le
pouvoir de situer l’interlocuteur. Youf en a conscience puisqu’il me dit « Tu vois, tel
mot au lieu de le prononcer comme ça, ils le prononcent d’une autre manière. On dit
« ah ! », dès que tu parles comme ça, on dit « ah ! celui là, c’est un nagot de tel
endroit, c’est un nagot de tel endroit ça, regardez ! ».
3- Qu’est ce que la réalité linguistique ?
• Une construction
La réalité linguistique se présente comme la somme des acquis de chaque
individu. Elle évolue donc tout au long de la vie.
96
La base se révèle lors de la socialisation primaire. Durant cette étape on
intègre des habitus linguistiques qui organiseront nos pratiques et représentations.
Ainsi, dès ses premières années de vie l’enfant intègre les principes structurants du
milieu restreint dans lequel il évolue.
Par la suite il va se heurter aux autres. Il évoluera dans un monde social et non
plus familial. C’est au travers de cette interaction qu’il prendra alors en main sa
construction personnelle. Dans ses différents rapports avec le groupe des pairs, les
institutions il établira des choix qui marqueront son chemin biographique. Et, à
partir de ces choix, plus ou moins conscients, divers facteurs lui permettront de se
créer une identité pour soi. Or, les éléments linguistiques sont marqueurs de cette
identité qui se constitue chez chaque acteur. En ce sens on peut dire que la réalité
linguistique se construit.
• Des facteurs
Les facteurs qui interviennent dans cette construction de la réalité linguistique
sont divers. Ils peuvent se classer en deux catégories. Les facteurs internes sont
représentés par l’âge, le sexe et l’ethnie d’origine. Les facteurs externes sont
l’activité sociale, l’éducation scolaire, la religion et la mobilité.
Les pratiques et représentations de chaque individu dépendent du degré
d’appropriation de ces facteurs. Ainsi, on a pu voir que les filles et les garçons
présentent des divergences linguistiques dues à l’éducation. De même, les acteurs
suivant leur âge ont plus de probabilités d’avoir migré dans tel ou tel pays et donc
d’en avoir acquis la langue. Quand à l’ethnie d’origine, elle est plus ou moins
ouverte et de là dépendra les apprentissages futurs de ses membres. De même
l’activité sociale engendre chez les commerçants, les fonctionnaires, etc. des
pratiques langagières spécifiques. D’ailleurs, toute personne qui entre dans la
structure scolaire se doit d’apprendre son outil de communication, le français.
Ainsi, le monolinguisme, bilinguisme ou plurilinguisme dépend de
l’intégration à la personnalité et à sa vie sociale de ces facteurs.
• Des pratiques différentielles
En raison de ces facteurs les pratiques divergent.
97
L’existence de groupes socio-culturels divers est la principale cause des
pratiques linguistiques divergentes. Chaque groupe par sa langue se démarque. De
fait, le locuteur se reconnaît comme acteur d’une entité linguistique.
Au sein même d’un groupe il existe des différences sexuelles. Les filles,
grandissant dans un entourage féminin perpétuent les réalités langagières de ce
milieu. Par la suite, elles apprennent majoritairement le germa, le haoussa et le
yoruba, c’est à dire les langues véhiculaires des pays dans lesquels elles ont émigré
durant un moment de leur vie. Dans les faits on remarque que au village, 129 filles
parlent le germa contre 18 garçons. De plus, il est à signaler que les femmes parlent
plus de langues que les hommes. Cela s’explique par une mobilité accrue et un
réseau de sociabilité plus étendu. Les garçons quand à eux apprennent surtout le
bariba et maîtrisent mieux le français. Jusqu'alors l’école était encore un lieu
masculin et le vecteur principal de la langue française. En conséquence, très peu de
filles parlent cette langue et, lorsqu’elles l’ont appris c’est dans un cadre moins
formel. En effet, c’est à la capitale ou lorsqu’elles servaient comme domestique
qu’il leur est arrivé de côtoyer cette langue.
On peut aussi noter des pratiques différentielles suivant l’âge du locuteur. En
effet, les individus connaissant l’achanti se retrouvent dans la tranche d’âge « plus
de 65 ans ». L’âge moyen des hommes qui ont travaillé avec les Baribas et appris
leur langue est actuellement de 37,5 ans. Quand aux filles qui parlent le germa en
moyenne elles ont actuellement 23,6 ans.
La pratique varie aussi selon la religion. On a vu que les musulmans parlent
surtout le dendi alors que les chrétiens savent tous s’exprimer en français. Les
fétichistes sont en majorité monolingues.
De même l’activité sociale engendre des apprentissages langagiers nécessaire
à la communication. On a vu que les commerçantes se doivent de comprendre le
dendi. Les professions de contacts (infirmiers, artisans, etc.) trouvent leurs intérêts
dans le plurilinguisme et la maîtrise de la langue véhiculaire que représente le dendi.
Quant aux cultivateurs indépendants ils sont souvent monolingues. Les instituteurs
parlent couramment le français.
A l’école, en effet le français est la langue d’enseignement. Au lycée on
enseigne aussi l’anglais.
98
La réalité linguistique est donc une construction sociale. Des facteurs entrent
en compte et en conséquence les pratiques divergent suivant les individus.
99
Conclusion
Quarante-cinq langues se côtoient au village d’Onklou. Cette situation
linguistique que l’on peut qualifier de « babélique » ne relève plus pour moi de
l’ordre du sacré.
En allant sur le terrain au contact de la population j’ai pu analyser ce
phénomène sous un angle plus scientifique. Ainsi, sur la base d’une méthodologie
acquise lors de mes études en sciences sociales j’ai appréhendé ce fait langagier
qu’est le plurilinguisme par un regard sociologique.
Ma démarche fut double ; à la fois fonctionnelle et causale. Dans un
premier temps, je me suis interrogée sur le rôle de ce plurilinguisme au sein du
système. C’est en ce sens que je me suis penchée sur les langues au singulier. Et,
dans une deuxième partie, inspirée par la démonstration de Durkheim dans Le
suicide, j’ai alors mis en relation ce phénomène avec un certain nombre de facteurs
tel que le sexe, l’âge, l’activité sociale, la religion, l’habitat, le parcours de vie et les
différentes socialisations.
Si la démarche fut double, la méthode est triple. Elle s’est d’abord
constituée autour de l’observation participante. Le terrain d’enquête m’étant
inconnu, il m’a semblé que je ne pouvais passer outre. Et, en effet, il me semble que
la richesse de l’expérience se trouve dans la participation. Par la suite, le sondage a
provoqué un contact « direct » avec chaque membre de la communauté. Mais c’est
aussi un outil qui se révéla pertinent lors de l’analyse. Grâce à son exhaustivité (dans
ses limites) j’ai appréhendé objectivement un phénomène dans sa globalité. Quant
aux entretiens longs, ils m’ont permis d’entrevoir les représentations des locuteurs.
Au final, mes deux hypothèses principales ont été validées.
Tout d'abord, je me suis rendu compte que chaque langue est particulière et
ce, tant dans la pratique que dans les représentations des locuteurs. Ainsi, le yom est
100
la langue locale. Le dendi est utilisé dans les communications extérieures, il a une
fonction véhiculaire. C’est aussi la langue associée aux musulmans du nord. Bariba,
yoruba, haoussa, germa et achanti sont les cinq langues de l’exode. Cependant, elles
ont toutes des singularités. Le bariba représente ces jeunes hommes partis travailler
la terre dans le département voisin. Yoruba et haoussa sont deux langues qui
évoquent le Nigeria. C’est un pays d’exode, la langue nationale est l’anglais et les us
et coutumes, d’après les Béninois, divergent de leur culture d’origine. Le germa
symbolise l’exode des jeunes filles vers le Niger. L’achanti, c’est la langue apprise
par les vieux (terme non péjoratif pour les Béninois) qui ont migré à un moment de
leur vie vers le Ghana. L’arabe, c’est la langue sacrée. Le fon, c’est une langue
développée, c’est la langue du sud. Le peul, c’est ces nomades qui paissent nos
bœufs. Et caetera. Ainsi, on se rend compte que chaque langue est particulière.
Mais, il existe aussi des variétés au sein d’une même langue. Les variations
se développent dans le niveau de langue, dans son utilisation, dans ses évolutions.
Mais, il y a aussi des variations dans ses contextes d’usage. Ainsi, par exemple, le
dendi tout comme le français sont utilisés dans la sphère publique. En revanche, le
yom, pour les Yowas, le ditamari pour les Sombas, etc., représentent la langue
première. C’est la langue de l’affectif, celle de l’appartenance. Et elle s’emploie
dans un cadre restreint celui de la communauté, de la famille. On note donc des
variations dans les contextes d’usage, dans l’apprentissage. Mais on distingue aussi
que chaque langue tient un rôle. Celui que le locuteur lui assigne. Statuts et valeurs
sont alors formulés à l’égard de chaque langue.
Tout parler a une fonction, un rôle et des statuts qui lui sont associés. Ainsi,
les langues à Onklou sont comme toutes les autres, elles répondent à des besoins
spécifiques. On peut donc dorénavant affirmer que la langue est un phénomène qui
se conjugue au singulier.
En revanche, les pratiques sont à mettre au pluriel.
En effet, il existe des pratiques langagières différentielles. C’est ce qui
constitue la réalité linguistique. Au Bénin, comme sur tout le continent africain,
cette réalité se présente au quotidien sous la forme d’un plurilinguisme. Le
plurilinguisme, c’est cette réponse apportée par les acteurs à un état de fait qu’est le
multilinguisme. Ainsi, lorsqu’on observe ce phénomène avec rigueur, on se rend
101
compte que l’individu est au cœur de cette aventure linguistique. En effet, la langue
est avant tout un objet de communication, un outil. L’homme agit sur ce vecteur
comme sur tout objet social. C’est ce qui explique l’évolution des langues. Cette
Afrique multilingue a trouvé une réponse à ses besoins de communication
grandissant par le biais du plurilinguisme et des langues véhiculaires. Le
plurilinguisme est donc avant tout un phénomène de société.
Etudier les langues, c’est alors appréhender les rapports plus vastes qui les
englobent, d’où la difficulté du sujet. En me basant sur le postulat que la langue est
un fait social, je me suis vite heurtée à un « fait social total ». Une démarche
pluridisciplinaire a donc été de mise et sur ce point particulier j’ai bien senti mes
limites tout comme la nécessité de ce type de raisonnement qui m’a permis de faire
de la langue un phénomène d’appréhension globale de la société.
En transposant cette analyse à la place du breton dans notre société
contemporaine je peux dire qu’aujourd’hui, cette langue est doublement singulière.
Elle répond à deux besoins. D’un côté, elle est la langue maternelle d’un groupe
d’individus vieillissant et ne l’utilisant plus que dans la sphère des communications
privées. D’un autre côté, elle est l’apparat de la sphère publique. Objet de
revendication et d’identification elle correspond donc à d’autres fonctions. En
conséquence, les pratiques de la langue bretonne sont différentielles par rapport aux
locuteurs.
Tout au long de l’analyse je n’ai pas traité des politiques linguistiques.
Cependant, on peut dorénavant s’interroger sur le poids que représentent les
décisions du pouvoir dans la pratique sociale de la langue. L’enrichissement d’une
langue dépend-elle de facteurs politiques ? Son ouverture à de nouveaux locuteurs
est-elle conditionnée par des frontières idéologiques ?
102
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103
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Sites internet :
http ://www.sil.org/ethnologue/countries/Beni. html
105
http ://www.tecsult.com/Educmana/benin/populat.htm
106
ANNEXES
107
1 : Le Bénin, situation géographique
108
Extrait de la brochure publiée par l’ambassade du Bénin en France intitulée
« Découvrir ... le Bénin », Ed. CAEB, Paris, 1996.
109
2 : Carte linguistique du Bénin
110
CONFEMEN, Promotion et intégration des langues nationales dans les systèmes
éducatifs : Bilan et inventaire, Vol. 2, Ed. Gouvernement du Québec, Ministère
de l’éducation, Montréal, 1983.
111
3 : Circonscription urbaine de Djougou
112
La « Carte sanitaire du département de l’Atacora » est extraite de l’ouvrage publié par le Ministère de la santé publique et la direction départementale de l’Atacora. Cette deuxième version a été publiée à Natitingou en octobre 1998.
113
4 : Cartes du village
114
115
116
5 : Grille d’entretiens des Béninois
rencontrés en France.
117
« Pratiques et représentations des locuteurs quand aux langues en usage dans leur
pays d’origine : le Bénin : »
I- Les faits de langues.
A- Description de l’état général linguistique du pays.
B- Où les parle t on (pays, régions, villes, ethnies) ?
II- Les pratiques.
A- Les différentes langues du locuteur.
B- Les différents usages (géographiques, sociaux, générations ...).
C- Les contextes d’usages (famille, école, religion, administration, travail ...).
III- Les représentations.
A- Niveau de conscience des langues du locuteur (intérêts, goûts, pourquoi ?
...).
B- Guerre des langues (conscience, description, pourquoi ? ...).
C- Les politiques linguistiques (présentation, pourquoi, réponse à quoi ? ...).
118
6 : entretien Youf
119
Le 12 mars en fin d’après midi j’ai enfin rencontré Youf.
Trois semaines auparavant, j’avais consulté les fichiers de la Cité universitaire de
Lanredec à perte, il n’y avait personne de nationalité béninoise. Alors, je m’étais
dirigé vers Kergoat où la concierge me dit qu’il y avait un Béninois. Je vais frapper à
la porte de sa chambre : personne. Au secrétariat le personnel me dit que c’est le
seul Béninois dans la cité. Je lui laisse un message. Il me contacte le soir même. On
prend rendez-vous.
L’accueil fut cordial. Il m’ouvrit grand la porte de sa petite chambre et me serra
la main. Je lui explique mon projet de voyage, comment j’en suis venue là ainsi que
mon plan de maîtrise.
Et, il se mit à parler posément avec un accent très prononcé : « commençons par
un petit peu de géographie ... ». Prenant un papier et un stylo il me schématisa
l’Afrique, y plaça le Bénin et les pays frontaliers. Il enchaîna sur les grandes villes
m’en disant quelques mots à chaque fois. Ceci étant fait, il me dessina le Bénin « et
un petit peu d’histoire ... ». Je fus donc rapidement au courant de la colonisation, des
départements administratifs et du contexte politique. On en vint alors à parler des
langues. Il me présenta brièvement l’état linguistique de sa région. 19H00
approchant, et malgré le grand intérêt de la discussion, chacun de nous devait vaquer
à ses occupations. De fait, on fixait un rendez-vous pour un entretien enregistré.
Le 17 mars, je passais ma soirée de Saint Patrick avec Youf. L’entretien dura 45
minutes.
Il faut tout d’abord savoir qui est Youf. Il a 38 ans. Il est marié et père de famille.
Il a rencontré sa femme alors qu’ils étudiaient tous deux la médecine. Lui est
cardiologue. Youf est actuellement en France pour une durée de 4 mois. Il fait un
stage de perfectionnement à l’Hôpital de la Cavale Blanche. Il habite Cotonou et
travaille à Abomey, dans le centre. Il est musulman, d’origine nagot, donc, yoruba,
c’est-à-dire de l’est du pays.
• L’entretien
Nadine :L’entretien va porter sur les pratiques et représentations des locuteurs
quant aux langues en usage dans leur pays d’origine, donc au Bénin. Et, j’aimerais
120
que tu me présentes dans un premier temps l’état linguistique du Bénin. Si tu sais
quelles langues on parle là-bas.
Youf : Quelles langues au pluriel puisque en fait si tu veux, grossièrement, on
peut distinguer le nord-le sud. En sachant que dans l’actuel découpement territorial
il y a 4 départements dans le nord et il y en a 6 dans le sud. C’est ça ? Non. Il y en a
4 dans la nord et puis 4Χ2, 8 dans le sud. Ce qui fait 8+4, il y a 12 départements.
Bon, disons que ... au sud ... la plupart des langues tournent autour d’une langue
principale que l’on appelle le fon. D’accord. Et puis ... les autres langues que l’on
rencontre au sud sont plus ou moins des dérivés de cette langue principale qu’est le
fon. Donc, on va considérer comme langue principale du sud le fon. Maintenant, à
ma connaissance, mais je ne suis pas linguiste, donc ce que je dis ça peut prêter à
caution dans une certaine mesure, parce que en fait, ce que je dis je le tiens de la
culture et de la connaissance que j’ai du pays ...
C’est ce qui m’intéresse.
Youf : Donc, de ce fait découlent en fait ces autres langues qui sont considérées
comme langues du sud. Donc, la première langue qui découle de ça, c’est le « gon ».
Le gon, ça s’écrit G-O-U-N. D’accord. Donc, on trouve le goun au sud. On va
trouver également le « aisok ». A-Ï-Z-O. On va trouver le aïzo. On va trouver
également le « oli ». H-O-L-I. Et, je crois qu’à ma connaissance, c’est en gros les
langues qui dérivent un peu du fon. Bon, je dis « qui dérivent un peu du fon » parce
que en fait je crois que il y a des ... si tu veux des, une communauté linguistique.
Cette langue-là est le fon. J’ai déjà dit que, en fait, le fon pouvait être considéré
comme la langue principale et autour de ce fon gravitent certaines autres langues
comme celles que je viens de parler. Mais également au sud il y a une autre langue
que on appelle le « mina » qui est relativement importante, qui est relativement
différente du fon, qui est moins proche du fon que les autres langues que j’ai déjà
citées ; donc qui peut être considérée comme une entité à part entière d’autant que
cette langue-là, le mina elle est connue au Bénin et au Togo voisin. D’accord.
Ça s’écrit comment ?
Youf :M-I-N-A. Maintenant le mina, il y a quelques autres langues qui
s’apparentent au mina et qui dans ma classification peuvent être inféodées au mina
comme les autres langues qui ont été inféodées au fon. Donc, ce sera par exemple, le
« watchi ». W-A-T-C-H-I. Ce sera le watchi, ce sera le « adja ». A-D-J-A. Ce sera le
121
« kotofon ». K-O-T-A-F-O-N. Voilà, comme le fon. Bon, en gros, voilà à peu près
ce que je sais par rapport aux langues du sud. Donc, si tu veux, en disant ça, on
regroupe à peu près les principales langues du sud. Maintenant, en dehors de ces
langues-là. Au sud, ils ont voulu séparer le sud du nord, les Européens sont venus.
Ils étaient mal à l’aise en disant le sud, le centre et le nord puisque en fait, le fon est
basé au centre. Maintenant, le centre comme je l’ai déjà dit, il est divisé en centre
nord et en centre sud. En fait le fon c’est en centre sud. Dès que tu vas en centre
nord, tu vas avoir, au centre nord et puis dans tout l’est, tu vas avoir en fait d’autres
langues qui vont avoir comme langue maîtresse le « yourouba ». « Yourouba », Y-O,
comme mina, yorouba, voilà, Y-O-R-O-U, c’est comme ça qu’on écrit en français
B-A. Sinon en yorouba, puisque le yorouba est écrit, la Bible est même traduite en
yorouba, en yorouba, on écrit : Y-O-R-U-B-A. Maintenant donc, le yoruba c’est un
peu la langue mère comme le fon, comme le mina à laquelle vont se satelliser
d’autres langues qu’on va appeler le « nago », d’autres langues qu’on va appeler le
« nago ». J’ai dit « d’autres langues », et puis j’ai dit le « nago », puisque en fait, le
« nago » varie selon les régions. Tu vas à Savé, tu vas avoir le « nago » de Savé, tu
vas à « Bambé », tu vas avoir le « nago » de « Bambé », tu vas à Dassa, tu vas avoir
le « nago » de Dassa, à « Kétou » ... Donc en fait il y a des « nagos » qui sont
inféodés plus ou moins au yoruba. Plusieurs « nagos » qui sont T, T, j’écris nagoT,
c’est T, voilà, nagot, c’est ça. Voilà un peu pour les langues. Donc, j’ai regroupé en
fait le sud, en prenant le sud entièrement, en prenant le centre aussi. Maintenant
dans les 2 nords, il y a 2 langues principales. Deux langues principales au nord.
C’est le « déli » D-E-N-D-I, et puis la deuxième langue principale c’est le « bariba ».
B-A, voilà, bariba, c’est le plus simplement bariba. C’est le plus simplement
possible. Et donc le bariba est le ... le dendi et le bariba en fait, c’est les 2 langues
principales du nord. Mais, il y a des variétés de dendi suivant la région où l’on se
trouve. Parce que la langue évolue en fait avec la région où l’on se trouve. Mais, il y
a beaucoup d’autres langues qui sont parlées également dans le nord. Surtout dans le
nord, nord-ouest, donc d’autres langues dont je ne connais pas de liens avec ces
deux langues.
D’accord.
Youf : Et je vais citer en vrac, comme ça, c’est par exemple le « ouama ». W-A-
M-A. C’est par exemple le wama. C’est le, c’est le « ditamali ». C’est le, c’est le
122
« ditamali ». D-I, le plus simplement possible « ditamari ». Voilà, ditamari. Et, il y a
le « berba », c’est pas comme bariba, c’est « derba ». D-E-R-D-A. Bon, et, à ma
connaissance, le ditamari, le derda, il y a également le « youm » Y-O-M. Le wama,
le derda, le ditamari, le yom ... De l’autre côté, du côté du Niger ... Sachant bien que
le dendi se parle également au Niger voisin. (...)
Donc, en gros, à chaud, comme ça, sur le vif, voilà ce que je peux te dire par
rapport aux langues qui existent dans le pays.
Et est -que ces langues sont rattachées à des ethnies ?
Youf : Oui les langues , en fait, au Bénin les langues sont toutes rattachées à des
ethnies. Et ce qui fait que pour, par exemple, quand tu prends l’exemple du yoruba
qu’est celui que je connais le mieux.
Hum.
Youf : La langue s’appelle le yoruba, et l’homme s’appelle aussi le Yoruba.
D’accord. La langue s’appelle le yoruba, et l’homme s’appelle le Yoruba et il
appartient à l’ethnie Yoruba. Comme Wole Soyinka, le prix Nobel de littérature.
Voilà. Comme Fela Randsome, le chanteur, célèbre chanteur que tout le monde
connaît et qui chante « Chshkara ». Il est Yoruba. Donc, l’homme est yoruba, la
langue est yoruba et la culture est yoruba. Donc, les langues se rattachent la plupart
du temps à des ethnies.
Et, les ethnies se rattachent au territoire.
Youf : Heu ..
A la ville ou à la région ...
Youf : Oui, à la ville. Les ethnies se rattachent à la ville parce que en fait, comme
je t’ai expliqué la dernière fois, le découpage territorial est un découpage en fait que
nous avons hérité de la colonisation. Et le colon blanc quand il est venu il a fait un
découpage qui répondait en fait à ses besoins à lui. Ses besoins d’administration, ses
besoins de contrôler éventuellement les rebellions. Donc ils ont fait des découpages,
ils ont fait des découpages qui correspondaient à un intérêt particulier qui ne
correspondait pas forcément aux regroupements, en fait d’aires ethniques. Et,
aujourd’hui, le gouvernement, la prise de conscience fait qu’on essaye, dans une
certaine mesure de créer, en fait des territoires administratifs qui soient un peu le
reflet des aires culturelles. Pour que les gens, pour que les gens en fait, si tu veux,
unient une solidarité nationale, pour créer une nation. Une nation est bâtie sur un
123
certain nombre de points communs : la culture, les hommes c’est vrai, le territoire
où ils gravitent c’est vrai, mais également la culture. Donc pour essayer de renforcer
en fait cette, ce sentiment de solidarité entre les gens. Les réformes administratives
essayent aujourd’hui de prendre en compte les aires culturelles en fait pour créer des
aires administratives. C’est vrai que d’un autre côté aussi il y a un inconvénient.
L’inconvénient c’est que, d’un autre point de vue ça exacerbe le régionalisme parce
que ça empêche en fait les gens d’avoir un brassage entier. C’est comme avec le
breton. En Bretagne, il n’y a que des Bretons, et du coup, ils ont un sentiment, ils
ont comme l’impression en fait ils appartiennent à une entité à part et rien ne les
unit. Ça c’est un détail mais, c’est sûr que les gens en fait, quand ils se retrouvent
entre eux ils se sentent peut-être certainement mieux. Ils ont l’impression qu’ils ont
quelque chose à partager ensemble. Voilà.
Et, maintenant, en ce qui te concerne, quelles langues tu parles ?
Youf : Moi je parle le nagot. Le nagot est ma langue maternelle.
Et tu ne parles que le nagot ?
Youf : Ah non ! Je parle le nagot mais, je crois que je parle, que je peux
suffisamment m’exprimer en fon, qui est la langue véhiculaire dans le pays.
Oui, d’accord. Plus le français.
Youf : Plus le français.
Et qu’est-ce que tu parles comme autres langues ?
Youf : Heu, comme autre langue du Bénin ?
Hum.
Youf : Heu, non, je crois. Bon, je balbutie, ma femme étant goun, je parle un peu
le goun. Et, quand tu sais qu’il y a une similitude entre le fon et le goun, on peut dire
que j’ai même pas beaucoup de mérite. Ça me sert de parler le goun mais je parle et
je crois que je peux passer du fon au goun sans difficultés.
Ça, ça m’intéresse. Et, comme tu peux passer encore d’autres langues comme
ça ? Ça t’arrive de discuter avec d’autres, avec quelle autre ...
Youf : Avec quelles autres langues ? Bon, discuter vraiment, pas loin, mais je
peux dire bonjour, je peux par exemple identifier quelqu’un qui parle une autre
langue. Identifier. Mais, parler, je ne crois pas.
124
Hum. D’accord. Et, est ce que, selon toi, il y a des usages différents des langues.
Tu parles une langue suivant un contexte. Bon, on l’a vu géographiquement, par
rapport aux ethnies aussi ...
Youf : Hum, hum.
Et, est ce que par rapport aux classes sociales ou par rapport à l’âge, est ce que tu
crois qu’il y a des usages différents ?
Youf : Non. Je crois pas. On ne parle aux gens, que aux gens qui comprennent.
Les langues ne sont pas liées ni à l’âge ni au contexte social. Non.
Elles sont liées à l’ethnie.
Youf : Elles sont liées aux ethnies. Donc, tu parles à quelqu’un ... Ecoute, nous
sommes 6 millions d’habitants et sur les 6 millions d’habitants il y a à peu près 2
millions qui sont à Cotonou où la langue véhiculaire que tout le monde sait, que tout
le monde parle couramment est le fon. Donc il y a de grandes chances que si tu te
retrouves en fait à Cotonou tu ... te ... tu saches bien que si tu ne peux pas balbutier
un mot du fon tu es peut-être un peu quelque part pénalisé. Tu te feras pas
comprendre. Donc, en arrivant à Cotonou, tout le monde essaye si tu veux , la
langue qu’on parle spontanément à quelqu’un qu’on ne connaît pas, c’est le fon.
D’accord.
Youf : Ce qui fait que, bon, écoute, je peux rencontrer quelqu’un qui est de chez
moi, parce que je ne le savais pas de chez moi, je serai amené à lui parler fon en
croyant qu’il est fon, parce que en fait, la plupart des gens qui se trouvent dans cette
grande ville qui est la mégalopole un peu parle fon. Si tu veux, c’est l’utilisation de
la langue liée au contexte dans lequel on trouve ça. Avant de m’apercevoir peut-être
que l’intéressé en fait, on a une langue commune. Commune. Heu, ici, en France, on
a tendance, spontanément à s’adresser à quelqu’un en français parce que on est
français. Mais, quand je vois un noir, j’ai tendance à l’apostropher aussi en français
alors que lui alors que lui peut être parfaitement ( ?), alors que lui peut être par
exemple de chez moi. Je l’aborderai en français quitte à me rendre compte que après
que en réalité il est de la même région que moi. Donc on pourra parler après.
Hum, hum.
Youf : Donc, voilà le seul aspect lié en fait aux circonstances.
Et quelles langues tu parles encore ?
Youf : Où ?
125
Là-bas. Au Bénin. Chez toi. Quand tu y es.
Youf : Quand j’y suis. Heu, je parle la langue de là-bas, je parle le français.
Oui.
Youf : Et, quand je suis en famille, je parle le fon, heu, je parle le nagot. Et,
quand je suis avec des amis, ou quand je suis avec des autres qui ne connaissent ni
français ni nagot, et qui sont fon, je parle fon avec eux.
Et avec ta femme ?
Youf : Avec ma femme je parle, la plupart du temps je parle français.
Hum, hum.
Youf : La plupart du temps je parle français. La plupart du temps je parle
français. Il m’arrive de lui parler ma langue, à cause des enfants. Mes enfants ne
parlent pas très bien ma langue. Ils comprennent un certain nombre de choses parce
que, bon, pendant, pendant, vivant donc dans le noyau, dans la famille, nucléaire,
comme on dit, heu ... la tendance spontanée était de parler français. Donc, quand je
suis à la maison, je parle, je m’exprime très facilement en français. Et tout le monde
s’exprime facilement en français. Maintenant, il y a une bonne à la maison, elle ne
comprend pas forcément le français. Il faut lui parler la langue qu’elle comprend.
Dans la plupart des cas, on parle le fon.
Elle comprend le fon ?
Youf : Oui. C’est la langue véhiculaire que tout le monde essaye de comprendre.
Maintenant, une de mes soeurs vient, bon, naturellement je ne parle plus ni français
même si, quand bien même elle comprend français. Je ne parle plus ni français ni
fon. Je parle nagot parce que spontanément, quand je vois un de mes parents, je
parle spontanément ma langue maternelle.
Et dans quels cas tu ne parles pas français alors en fait ?
Youf : quant je me retrouve par exemple avec mes parents qui ne parlent pas
français. Tu vois la tendance naturelle, ma tendance naturelle déjà était de ne pas
parler français quand je me trouve en famille. A plus forte raison quand je me trouve
avec quelqu’un de mes parents qui ne comprennent pas du tout français. Donc, je
parle pas français.
Et avec ta femme, tu parles français.
Youf : (signe de tête affirmatif)
Avec tes enfants aussi.
126
Youf : Avec mes enfants aussi.
Tout le temps ?
Youf : A non, pas tout le temps. Il m’arrive de leur parler nagot.
Dans quelles ..
Youf : Dans quelles circonstances ? Non, il n’y a pas de circonstances
particulières ...
Quand tu es en colère ?
Youf : Comment ?
Quand t’es en colère ?
Youf : Heu ... non, quand je suis en colère, non. Quand je suis en colère, non, je
parle toujours français. Mais, plutôt quand je suis content.
Oui.
Youf : Oui, quand je suis content, quand j’ai envie de ressasser en fait ma culture,
quand j’ai envie d’exprimer des choses que je ne peux pas exprimer en français.
Oui.
Youf : Parce que il y a des choses que je ne peux pas exprimer en français, parce
que quand je les exprime en français, ça perd quelque chose. Et dans ces cas-là, je
m’exprime nagot quitte à chercher à essayer d’expliquer ce que je dis.
D’accord. (7 secondes de silence.). Très bien. Et ta femme, et à tes enfants, tu
leur parles français.
Youf : Oui, à mes enfants, je leur parle français.
Ta femme aussi.
Youf : Oui, ma femme aussi leur parle français.
Et, vous ne voulez pas leur apprendre votre langue ...
Youf : Ah, si !
... les éduquer dans ...
Youf : Ah, si, on veut, on veut leur apprendre ... Disons que, voilà ... Ce qui s’est
passé, c’est ... (6 secondes de silence) Vivant dans un milieu où on veut, où nos
langues ont cours, et, il y a des enfants qui sont obligés d’aller apprendre le français
en fait à l’école, donc qui apprennent en fait comme une ... Ils vont travailler toute
leur vie si tu veux en français. C’est la langue du travail. Moi je me suis dit que, de
toutes les façons, le milieu va s’imposer aux enfants. Donc, les enfants vont
apprendre forcément au contact du milieu les langues locales. Ce qui n’est pas
127
forcément le cas du français. Donc, du coup, la maison était devenue un peu comme
une seconde école pour lui permettre en fait de mieux assimiler le français. Mais je
crois que je n’avais pas raison de parler français parce que, finalement ... Bon,
j’aurais été plus heureux si tu veux, j’aurai été plus en ... j’aurais été plus heureux si
en fait ils avaient travaillé dans mon milieu à moi. Parce que je crois que ce serait, je
regretterais beaucoup que mes enfants n’arrivent pas à parler ma langue. Parce que,
j’estime qu’elle véhicule des richesses, qu’elle véhicule une culture et que, qu’on ne
peut saisir que dans la mesure ou on comprend, cette langue-là. C’est vrai que la
théorie quelque part était juste puisque élevés dans un milieu fon, mes enfants
spontanément parlent fon, comprennent fon, ils savent parler fon. Ils savent parler
aussi goun qui est leur langue maternelle, mais qui est proche en fait du fon.
Hum.
Youf : Donc, le milieu dans lequel je vis tous les jours est un milieu fon et donc,
effectivement, ils ont appris à parler le fon comme tout le monde, à parler le fon
comme tout le monde. Par contre, comme on n’a jamais vécu dans la région qui est
la mienne, cette théorie n’était plus valable en fait pour qu’ils apprennent le nagot.
Donc, le seul effort qui me reste à faire, c’est que moi, qui suis seul à parler nagot à
la maison, leur apprenne à parler nagot. Et, dans ce cadre-là bon, ben, ils vont en
vacances chez mes parents, chez mes tantes et tout ça, essayer, essayer en fait.
Aujourd’hui, je crois qu’ils comprennent, mais ils ne veulent pas toujours
s’exprimer. De temps en temps, je les amène en fait à parler leur langue. Et puis
quant on doit avoir du personnel domestique, je préfère toujours donner la priorité à
quelqu’un qui peut parler effectivement le nagot pour que ils puissent comprendre.
Malheureusement, comme les enfants parlent spontanément français et que bon,
comprenant le français aussi, quelque part, on peut gagner des, on peut avoir des, un
emploi ... Malheureusement, ce qu’il passe c’est l’inverse. Vis-à-vis des enfants, le
personnel domestique est embauché pour pouvoir leur apprendre à parler nagot,
c’est plutôt ces gens qui essayent de parler, qui essayent de comprendre, qui
essayent d’apprendre le français. Mais, je désespère pas et j’espère qu’ils vont
l’apprendre.
C’est très bien. Et, à l’école, quelle langue tu parlais ?
Youf : A l’école je parlais, heu, le français. Et, pour te dire jusqu'à quel point on
a été aliéné, c’est qu’il nous était interdit de parler le nagot. Il nous était interdit.
128
Parce que j’ai été à l’école dans ma région. Donc, la plupart des enfants de l’école
parlaient, donc étaient de souche nagot, donc parlaient nagot à l’école. Mais, il nous
était formellement interdit de parler nagot à l’école. Parce que quand on parlait
nagot, on était puni. Et, pour te raconter une anecdote, il y avait ce que l’on appelait
un « signal ».
En Bretagne, tu connais l’histoire ?
Youf : Ah, non, je connais pas l’histoire.
C’est exactement la même chose.
Youf : Absolument. Pour là au moins où j’ai été à l’école, c’était, quand tu as
parler un mot nagot, on te donne le signal.
Ici, c’est pareil. [Je lui conte l’expérience scolaire de mes 4 grands-parents dont
la langue maternelle est le breton et l’usage du « symbole » en Basse Bretagne.]
Youf : Ah, ben oui, c’est exactement ça, sauf que nous, on appelle ça le signal.
C’est comme ça en fait que le colon blanc, c’est comme ça que nous on dit, que le
colon blanc à réussi à faire de nous des peaux noires-masques blancs. Et, tellement
c’est que dans certaines familles, moi je ne fais pas la lutte contre le fait que mes
enfants parlent français. Je t’ai expliqué dans quelles conditions. Mais il y a des
familles de cadres surtout ceux qui ont été à la transition c’est-à-dire, à partir de la
colonisation à l’indépendance il y avait des gens qui interdisaient complètement à
leurs enfants de parler leur langue, de parler leur langue sous prétexte que, en fait, ça
ne leur apporterait rien. C’est qu’il faut parler français, c’est en parlant français que
vous pouvez trouver du boulot, que vous pouvez devenir fonctionnaire. Et, à l’école,
il y a des maîtres qui étaient austères, ils te donnent le signal. C’était, sous forme de,
de, on prenait le fémur de, de d’un bœuf, on allait à l’abattoir prendre le fémur d’un
bœuf. Donc on a attaché une ficelle autour comme un collier. Donc, dès que l’on se
voit, on se dit « voilà ».
Donc, à l’école, tu étais obligé de parler français.
Youf : Ah oui.
Obligé. Et, ça, c’était durant toute ta scolarité ?
Youf : Oui, bien sûr.
Et, à l’université aussi ?
Youf : A l’université non. Bon, ma scolarité, uniquement durant le primaire. Au
secondaire, ce n’était plus obligatoire. Au secondaire, si tu veux, on était devenu un
129
peu, on avait réussit à nous inculquer que de toute façon, on avait intérêt à parler
français. Donc, plus personne n’était occupé. Mais, c’était plus obligatoire. On
pouvait discuter, et, dans la langue que tu voulais.
Et, au travail, tu parles tout le temps français.
Youf : Ah, non. Au travail, quand je dois répondre officiellement. C’est-à-dire,
dans le cas des responsabilités qui sont les miennes, je dois parler à un Allemand, je
parle effectivement français. Mais, j’exerce sur la personne, sur des êtres humains
et, il faut qu’ils me comprennent. Donc, j’accède à leurs langues. J’essaye de parler
leurs langues.
Où est ce que tu exerces ? A Cotonou ?
Youf : Non, pas à Cotonou. A Abomey, dans le centre d’Abomey. Donc, on parle
le fon là-bas. Donc, c’est surtout là où j’ai appris à, à améliorer mon fon. Donc,
parce que tout ceux qui viennent, je ne sais pas quelle est la proportion de gens qui
parlent français au Bénin, mais, ça doit pas être, ça ne doit pas être très important.
Peut être 25, 20, 25%
C’est vrai !
Youf : Oh, oui. Peut être 20, 25%. Qui parlent, oui, ça doit pas être plus que ça.
Je ne sais pas, mais ça ne doit pas être loin de là.
Ah, bon, moi je pensais que tout le monde parlait français.
Youf : Ah, non.
Ah, ben, c’est bien ça. Et, donc, suivant les personnes tu changes de langue.
Youf : Je parle la langue que la personne comprend. Dans la mesure que je
comprends cette langue. Maintenant, si je comprends pas, et bien, j’appelle un
interprète. Un interprète qui comprend français, ou qui comprend une des langues
que moi je comprends.
Et tu as fait l’armée ?
Youf : Oui.
Et quelle langue on parle à l’armée ?
Youf : A l’armée on parle le français.
Obligatoire.
Youf : Obligatoire.
Et dans les administrations : le français.
Youf : Obligatoire. C’est la langue de travail. Donc, c’est la langue du pays.
130
Et à l’église ? Tu es catholique ?
Youf : Non, je suis musulman.
Musulman.
Youf : A l’église, bon, à la mosquée, justement, à la mosquée, rien ne se fait,
presque dans aucune mosquée, on ne prêche dans, dans une mosquée maintenant à
Cotonou à ma connaissance. Mais parce que il comprend bien français, il essaye de
faire un sermon en français. Mais, mais dans ma région, c’est en arabe. On n’a pas
essayé de traduire. Ce qui à mon avis était plutôt mieux, parce que, il y a beaucoup
de gens qui, à l’église catholique regrettent la messe en latin. Aujourd’hui parce que
ça avait quelque chose de vivifiant, ça avait quelque chose de, de solennel. Donc,
quelqu’un de musulman, on fait la prière en arabe. Les sermons, les communiqués
se font dans les langues locales. Donc, si dans un quartier il y a une mosquée, on
utilisera dans cette mosquée la langue de la majorité des gens.
Et, tu parles, tu comprends l’arabe ?
Youf : Je ne comprends pas l’arabe. C’est-à-dire, je ne comprends pas l’arabe,
heu ... pour en parler. Je connais les prières en arabe qu’on m’a apprises quand
j’étais enfant. Que je récite sans pour autant les comprendre, mais, je récite avec la,
la, comment dire, la , la foi, voilà. C’est vrai que en grandissant, j’ai essayé, tu vois
de, par le biais des traductions de comprendre en fait ce que ... mais, les traductions
ne me disent rien.
Et est-ce-que tu vois d’autres circonstances dans lesquelles tu changes de
langue ? Tu parles pas français, tu parles pas ... Je ne sais pas, peut être quelque
chose que j’aurai oublié.
Youf : D’autres circonstances ? Heu, non, je vois pas, sauf si je rencontre moi-
même des Anglais parce que nous sommes à, nous sommes au Nigeria.
Tu parles anglais ?
Youf : J’essaye. J’ai appris l’anglais au secondaire mais, bon, ne pratiquant pas
toujours, on oublie. Mais, bon, écoute on essaye, on cherche ses mots et, on fini
toujours par les trouver pour exprimer ce que l’on veut.
Et est ce que il y a d’autres langues que tu parles ?
Youf : Oui, un peu l’espagnol, j’ai fait l’espagnol pendant deux ans. Je dis
« bonjour » mais, en dehors de ça ...
131
Bon, c’est très bien. Et, donc ton, ton goût, ton affectif va vers le, vers le fon, ou
plutôt vers le nagot.
Youf : Vers le nagot. L’affectif va vers le nagot. Je connais ça par, si tu veux,
profondément. Je connais le nagot, je connais ses richesses, je connais ses racines.
Je connais ... Je trouve à travers les chants, à travers les complaintes, à travers le
quotidien, la façon d’exprimer les choses. Je trouve en fait qu’il y a une richesse
commune dans le yoruba. Je suppose qu’il y en a aussi dans d’autres langues ...
Dans le yoruba ?
Youf : Dans le yoruba, dans le nagot. Tu vois, le nagot et le yoruba sont
apparentés.
Le nagot ... J’ai pas trop compris. Le nagot dérive du yoruba.
Youf : Oui, tu peux le dire.
Ta langue maternelle c’est le yoruba.
Youf : Ma langue maternelle, si tu veux parler en terme de langue.
Oui.
Youf : Du coup, c’est le yoruba.
Mais, c’est le nagot que tu parles.
Youf : C’est le nagot que je parle. On peut dire que je suis nagot.
Oui.
Youf : On peut dire que je suis nagot. Mais on peut dire aussi que je suis yoruba.
C’est-à-dire que si on veut me classer dans un grand groupe, on me classera parmi
les yoruba.
D’accord.
Youf : Mais si on veut être plus spécifique, on dira que je suis nagot.
D’accord. Et tu parles aussi yoruba.
Youf : Oui, je peux passer moi, du nagot au yoruba. Il va avoir peut être un
accent.
Hum, hum.
Youf : Mais, je peux passer du nagot au yoruba. Et je comprendrai, tout, je
comprendrai en général tout ce que le yoruba dit. Quand un yoruba chante, j’ai pas
besoin d’interprète pour comprendre ; ou quand un yoruba s’exprime, j’ai pas besoin
d’un interprète pour comprendre. Par contre, si moi je m’exprime, le yoruba pourrait
132
avoir des difficultés nées de ce que certains mots nagot peuvent se glisser dans ce
que je vais dire.
Et, quant aux intérêts, ton intérêt à été d’apprendre le français.
Youf : Bien sûr, bien sûr.
Et, tu n’as pas d’intérêts particuliers pour d’autres langues ?
Youf : Pour l’anglais aujourd’hui.
Ouais.
Youf : Ben, forcément parce que c’est la première langue. Ecoute, moi je dis aux
Français : vous avez créé la francophonie, mais, en réalité, personne en France ne
parle français pour dire des choses sérieuses, pour dire des choses scientifiquement
sérieuses. Quand il s’agit de faire des publications scientifiques, les Français se
mettent à parler anglais ; parce qu’ils estiment que le français, bon... Et pendant ce
temps-là, on nous demande, nous Africains de porter haut le flambeau de la
francophonie et d’abandonner nos langues. Et, je pense que toute personne, tout
scientifique aujourd’hui qui ne programme pas sa mort intellectuelle doit apprendre
l’anglais. T’as qu’à regarder les ordinateurs, tous les programmes sont fait en
anglais. Naturellement. Quitte à être traduit ensuite secondairement en français.
Donc, il y a un intérêt majeur à apprendre l’anglais.
Et par rapport aux langues de ton pays, le fon pour toi, c’est important.
Youf : C’est important parce que, bon, il y a quand même une bonne, un bon
pourcentage, c’est la langue véhiculaire.
Oui. Et, est-ce que, personnellement, tu as l’impression qu’il y a des conflits
entre les langues ?
Youf : Entre les langues de chez moi ?
Hum.
Youf : Des conflits entre les langues non. Des conflits entre les ethnies, peut être.
Pas des conflits ouverts. Mais du fait du poids de l’histoire, du fait de l’histoire, et
de la façon dont les uns se sont comportés par rapport aux autres, il n’y a pas
toujours bonne intelligence entre les différentes ethnies du pays.
Et toi, dans les langues que tu parles, est-ce que il y a des conflits entre les
ethnies ? Est-ce que tu sens qu’il n’est pas bon de parler une certaine langue parce
que toi tu es yoruba ou nagot. Est ce que, par exemple, tu es nagot, ça ne pose aucun
problème que tu parles yoruba ?
133
Youf : Non, pas du tout, nagot et yoruba, on peut les assimiler.
D’accord.
Youf : Nagot et yoruba, on peut les assimiler. Si on fait pas attention, ça ne
choquerait personne, ça ne se remarque même pas à la limite qu’un nagot parle
yoruba, ça ne se remarquerait même pas. Tu comprends.
Hum.
Youf : Je ne sais pas comment je pourrais ...
Si, si, c’est ...
Youf : Tu comprends.
Oui, oui. Oui, oui.
Youf : Ça ne, c’est normal ...
Mais, moi, en fait ...
Youf : Par contre ... quelqu’un, qu’un nagot aille parler fon ...
Oui.
Youf : ... dans un milieu nagot, ce serait pas bien vu.
Bien sûr.
Youf : Voilà.
Par ce que, en fait, je pensais au breton. En breton, tu as plusieurs dialectes et,
moi je suis du nord ouest, je suis léonarde. Et, à côté de nous, on a le bigouden, dans
le sud, le trégorois à l’est.
Youf : Oui.
Et, on se comprend sans problème ...
Youf : Oui.
... même si c’est pas tout à fait la même chose
Youf : Oui.
Mais, quand il y a des blagues à faire, c’est tout le temps sur les bigoudens, quoi.
Youf : Voilà.
Ah, les bigoudens ils sont radins, les bigoudens ils sont fourbes ...
Youf : Voilà. Oui, ça, ça existe, mais pas entre nagot et yoruba. Ça existe entre
fon et nagot par exemple. Bon, mais ça, je crois que ce n’est pas lié à la langue, ce
n’est pas lié au voisinage, c’est lié à l’histoire. C’est comme si tu dis, le royaume
d’Abomey. C’est un royaume qui était relativement plus grand au 17ème siècle et
qui a cherché la guerre à plusieurs régions du pays, dont la région nagot. Donc,
134
forcément, on ne cohabitait pas. Il y a une ethnie, il y a une langue que j’ai oublié là,
qu’on peut assimiler au fon, dans le sud, à laquelle je pense maintenant. C’est le
« mai ». M-A-H-I.
Et du yoruba il n’y a que le nagot.
Youf : Il n’y a que les nagots.
Ah oui, les nagots, c’est vrai. Les nagots.
Youf : Voilà. Et comme tu dis tout à l’heure, les léonards, les bigoudens ... c’est
pareil ; voilà.
Mais, c’est pour ça, j’ai l’impression de comprendre. C’est pour ça, c’est ma
culture la Bretagne, et puis je vois, je vois que le modèle peut se transposer.
Youf : Tout à fait.
Oui, et ça ne vient pas de la langue, ça vient de l’histoire.
Youf : Ça vient de l’histoire.
D’accord.
Youf : Maintenant il y a des relations de ce genre aussi qui viennent de la langue,
qui viennent de la langue. Parce que, par exemple, quand tu prends un nagot. Tu
peux avoir des variétés, comme les variétés de breton. Et de ce côté-là on peut se
chamailler un petit peu. Tu vois, tel mot au lieu de le prononcer comme ça, ils le
prononcent d’une autre manière. On dit « ah ! », dès que tu parles comme ça, on dit
« ah ! celui-là, c’est un nagot de tel endroit, c’est un nagot de tel endroit ça,
regardez ! ».
(rires). Nous c’est comme ça. C’est comme ça aussi.
Youf : Voilà exactement.
Même dans le Léon, il y a des endroits, nous, moi j’habite à Plouvorn, c’est un
petit village. Juste à côté, d’un bord il y a Landivisiau, et de l’autre Guiclan. Et ben
d’un côté on dit un mot, et de l’autre côté on le prononce différemment.
Youf : Voilà.
Alors on dit « Ah, les chel ...
Youf : ils viennent de là-bas. Pour bien dire, on dit « Ah, c’est nos amis de là-
bas ! ».
(Rires). Oui. d’accord, et, une dernière. C’est par rapport aux politiques. Est-ce-
que il y a des politiques linguistiques, au Bénin ? Est-ce-que tu en connais, est ce
que ...
135
Youf : Oui. Je sais qu’il y a une politique linguistique. Je t’ai dit qu’il y en a un
centre qu’on appelle le CEBELAE. Le centre béninois de linguistique.
Le directeur m’a écrit, j’ai reçu une lettre ce week-end.
Youf : Ah bon.
En fait, il m’a répondu parce que je lui avais écrit.
Youf : Il s’appelle Akofa quelque chose ?
Oh, je sais plus, peut être.
Youf : Il s’appelle Akofa, je le connais.
[Discussion par rapport à cette correspondance.]
Oui, et donc, les politiques linguistiques.
Youf : Je dis, il doit y en avoir certainement une. Heu, très élaborée dans le cadre
du centre là, dont on a parlé. Mais il faut dire qu’il y a des efforts aussi dans le cadre
de l’alphabétisation. C’est-à-dire, qu’on veut alphabétiser les gens dans leur propre
langue. Donc, il y a une politique qui est faite de la part de la direction nationale de
l’alphabétisation. Donc, et à un moment donné même, malheureusement, ça n’a pas,
ça n’a pas abouti. A un moment donné, on avait imposé que dans les écoles
maternelles la langue enseignée ne soit pas le français. Donc, suivant les régions ...
C’est très moderne.
Youf : Oui, suivant les régions, mais, malheureusement, ça a échoué parce que,
ceux qui avaient intérêt à ce que ça échoue n’ont pas ménagé leurs moyens. Et parce
que en fait si les langues locales prenaient de l’importance, ce serait au détriment en
fait du français. Et, de ce côté-là, on n’a pas beaucoup de chance. Malheureusement
les nationaux aussi, peut être n’ont pas fait ce qu’il fallait non plus pour faire
avancer les choses. Donc, à un moment donné, pendant des années, on a, pendant les
3 années que j’étais en maternelle, c’était obligatoire, on appelle ça les CESE, les
centres d’éveil et de stimulation de l’enfant. Donc, c’est une façon d’appeler ça
maternelle, c’est les CESE. Et tout se faisait dans les langues locales, ça se passait
dans la langue de la région, même si vous n’êtes pas de la région. Et les enseignants
avaient été recrutés en fonction de leur capacité, de leur ethnie pour pouvoir parler
en fait ces langues. Malheureusement, ça n’a pas été, ça n’a pas marché.
Et tes enfants ont ...
Youf : Mes enfants, justement, au moment ou mes enfants allaient à l’école,
c’est-à-dire que c’est depuis 14 ans à peu près qu’on a changé à nouveau. Donc, on
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n’a pas pu bénéficier de ça. Et quand bien même en fait, heu, ils auraient pu
bénéficier de ça, n’étant pas dans ma région d’origine, ils auraient appris une autre
langue, celle de la région où je travaille moi. Donc, ils auraient appris le fon. Tu
comprends.
Oui, oui.
Youf : Parce que pour qu’ils apprennent le nagot qui est la langue de chez moi, il
aurait fallu vivre, tu vois.
Et, ça t’aurais gêné qu’ils apprennent le fon au lieu du nagot ?
Youf : Oui, ça m’aurai gêné. Ça m’aurait gêné parce que je ... je me dis, je ne
suis pas fon et je ne vois pas pourquoi mes enfants en fait. Déjà la rue leur apprenait
le fon. Et, moi je, dans mon intime conviction, ça m’aurai gêné un peu ... J’aurais
pas aimé que mes enfants apprennent le fon, à l’école ; parce que je ne me sens pas
fon ...
D’accord.
Youf : Ça m’aurait gêné autant que ... le français si tu veux, dans une certaine
mesure. Encore que le français, bon, ben écoute, le français permet quand même
d’accéder à, si tu veux au conseil des nations, à la communauté internationale et tout
ça. Et je vis déjà mal ça. Je vis déjà mal de ne pas pouvoir .. Je vis déjà mal en fait
quelque part notre assimilation au français. Alors, j’aurais vécu en fait qu’on impose
une autre langue à mes enfants comme une seconde domination.
Et toi tes parents parlaient nagot.
Youf : Les deux.
Tes deux parents parlaient nagot.
Youf : Oui. Mes parents étaient nagot de souche.
Et tes grands-parents aussi.
Youf : Aussi.
Et nagot, c’est un territoire, heu ...
Youf : Heu ...
C’est grand ?
Youf : Oui, si tu prends le nagot de Savè, oui, c’est un territoire. Ça correspond à
un territoire géographique.
Et, il est assez vaste comme territoire ?
137
Youf : Heu, il doit faire ... Je ne connais pas l’étendue mais, en fait, je sais que du
sud au nord, ça doit faire 40 sur à peu près 60 kilomètres. 60 kilomètres. Si tu
multiplies 60 kilomètres par 40 kilomètres, ça fait à peu près 2400 kilomètres carrés.
Et t’as pas rencontré ta femme dans le territoire nagot.
Youf : Ah non, je l’ai pas rencontré dans le territoire nagot. Je l’ai rencontré au
sud. Parce que en fait, allant à l’école, j’ai été à l’école au sud.
Où tu as fait tes études ?
Youf : Dans le centre, dans la région d’Abomey, pour le premier cycle. Le second
cycle, je l’ai fait à Porto-Novo. J’ai fait le second cycle là. Et ma femme, elle est
native de là. Porto-Novo.
D’accord. Le second cycle, c’est le collège ?
Youf : Oui, seconde, première, terminale.
Et la faculté ?
Youf : La faculté, je l’ai faite à Cotonou pour la médecine générale. Et puis j’ai
fait la spécialisation en Côte d’Ivoire.
Ah oui ! Et tu n’as pas appris des langues de Côte d’Ivoire ?
Youf : Oh, en Côte d’Ivoire, de toute façon, il y a quasiment 60 langues, peut être
plus, différentes. Et il y a une langue véhiculaire aussi qu’est le dioula.
Bon, et bien c’est très, très bien.
Youf : Si j’ai pu être utile quelque part ...
Tout est clair, c’est vraiment parfait. Je crois qu’on a tout vu. Tu aurais quelque
chose à rajouter ?
Youf : Non, sauf si tu me demandes de développer autre chose. Mais, il me
semble que l’on a tout vu. [fin de la cassette].
Nadine : Bon, et bien alors, merci pour tout.
Cet entretien m’a apporté énormément de choses. Tout d’abord un complément
de connaissances sur le pays, son histoire et sa culture. D’autre part, l’exposé de
Youf m’a permis d’appréhender le Bénin d’un point de vue purement
sociolinguistique, de vérifier quelques hypothèses et d’en élaborer d’autres avant de
me rendre sur le terrain.
138
7 : entretien Foudou
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Alors, d’abord, je vais vous poser les questions que je pose à tout le monde dans
le village. Ensuite, je vous poserai des questions sur votre rôle, sur le Maire, ensuite
des questions sur Onklou, sur les Yowa et enfin, des questions sur les langues.
Voilà, donc d’abord les questions que je pose à tout le monde. Comment vous
appelez-vous ?
• Je m’appelle Foudou Zakari.
Quel âge ?
• Oh, je suis de 65. Mais actuellement je suis né en 65 puisque j’ai été à l’école
un peu âgé. Bon, mais mon acte, je suis de 58.
Religion ?
• Bon, je suis Yowa.
Non, l’église.
• Ah, bon, je suis ... Vous avez parler de quoi ?
Religion.
• Ah, je suis musulman.
Vous avez combien de femmes ?
• Deux.
Combien d’enfants ?
• Six.
Et, c’est quoi votre activité, votre travail ?
• Je suis cultivateur.
Quelle langue est ce que vous parlez ?
• Je parle le yom, le dendi, le cura, le français.
Est ce que vous avez fait le Ghana ?
• Jamais.
Où est ce que vous avez appris le yom ? Vos parents sont Yom ?
• Non, ils sont Cura, mais je suis né ici. Quand ils ont fait l’exode rural ils sont
venus ici.
Cura, c’est d’où ?
• Cura ? C’est de Pélébina.
Très bien. Où est ce que vous avez appris le dendi ?
140
• Le dendi est un peu éparpillé. Je l’ai apprise mais c’est une langue facile à
apprendre. Disons que tout le monde parle dendi parce que c’est la région. La
circonscription urbaine de Djougou, c’est dendi.
Et pourquoi c’est dendi ?
• C’est la colonisation ...
Comment ça ?
• C’est les ... les musulmans, la religion musulmane qui a gagné toute la région.
Voilà. Et, tout ceux qui ont colonisé parlent dendi et c’est des étrangers. Sinon c’est
les Yom qui ont Djougou, la région de Djougou. Mais par manque d’instruction ils
ont laissé le terrain aux colonisateurs qui sont des Dendi, des étrangers. Et le Dendi
dit « celui qui a traversé ». Den-di. J’ai traversé. Ça veut dire « j’ai traversé ». C’est
des gens qui ont traversé, qui ont gagné du terrain et ils sont des musulmans ceux
qui ont traversé là. Ils ont traversé le fleuve Niger, ils sont rentrés par Malanville.
Et ils viennent du Niger ?
• Non, ils viennent du Mali. Et avec la religion musulmane, ils ont gagné
Parakou. Dès qu’ils ont traversé le fleuve Niger, c’est de là-bas qu’on leur a
demandé leur religion, heu, leur langue. Ils ont dit qu’ils sont des « den-di ». Ils ont
traversé.
Très bien, très bien. Et vos parents, ils parlaient dendi ?
• Tous.
Et, est ce qu’ils vous parlaient dendi ? Quelles langues ils vous parlaient ?
• Ils me parlent notre langue, de mon origine. Je viens de Yarakéou plus
précisément. Mon père et mon grand-père sont venus de Yarakéou. Mon père, mon
grand-père le transportait sur l’épaule pour arriver ici parce que il paraît qu’il a
perdu sa femme quand il était très jeune si bien que mon père est parti en aventure
comme ça. Il est venu ici transportant mon père sur l’épaule. Donc, c’est ici que
mon père à marier une femme et que je suis né ici. Et ma mère est morte au moment
où j’allais au CP en 1970. Si bien que moi je sais que je suis d’ici. Ma mère est
Yom. Mon père est de Yarakéou mais j’ai tout fait, on m’a reconnu là-bas.
Ah, bon.
• Ah, hey, sinon on ne connaît pas là-bas.
Et donc vous vous parlez la langue de là-bas que votre père vous parlait.
141
• Jusqu’ici oui. Même tous mes enfants, on les force à parler la langue. Tous
parlent.
D’accord. Et vos parents parlaient aussi dendi.
• Ils parlent dendi.
Et yom.
• Correctement.
Bon, et jusqu'à quelle classe vous avez fréquenté ?
• J’ai fait la seconde.
Où ça ?
• A Cotonou.
Est ce que vous parlez le fon ?
• Un peu.
Très bien. Depuis quand êtes-vous Maire ?
• Depuis 90.
C’est quoi votre travail de Maire, votre rôle ?
• Mon rôle c’est de résoudre ... En tout cas, j’embrasse un peu de tout. Bon, je
fais un peu la sécurité. Quand ça me dépasse je transmets à mon chef supérieur.
Bon, en tout cas j’embrasse un peu de tout mais je rends compte à mon supérieur de
la circonscription urbaine de Djougou.
Très bien. Et, la commune de Onklou...
• Tout d’abord, Onklou veut dire « tout est caché dedans », dans le sous-sol. Les
bonnes choses sont dans le sous-sol, c’est dans le sous-sol.
Et ça veut dire quoi ça ?
• Il faut se baisser, fouiller, le trésor est caché dedans. Voilà que le trésor est
dedans, sous le sous-sol. Ça veut dire que si vous venez ici, il faut labourer, faut
travailler ; vous savez, vous allez rentrer bien dans le sous-sol et l’argent est en
dessous. Si il faut interpréter la langue « l’argent est enterré ».
Très bien. Et, vous pourriez me faire un court historique maintenant de la
commune de Onklou ?
• Oui. La ville de Onklou a été créée en 1917 par Worou Béréga qui est de
Soubouroukou. Dans le conflit avec sa population là-bas, étant roi, il est venu voir
l’administrateur civil de Djougou pour lui demander qu’il voudrait entrer en brousse.
142
Il a demandé les raisons. Il s’est expliqué, bon, on ne pouvait pas le contrecarrer
pour éviter les dangers. C’est ainsi que l’administrateur civil, Monsieur Mississante,
l’a dirigé vers ici, ne serait-ce que pour favoriser le percement de la voie Djougou-
Parakou. L’administrateur lui présenta le roi de Sérou, le premier village, 7
kilomètres de Djougou. Ils se sont connus et c’est ainsi que le roi, il comprenant un
peu le français, c’était un ancien élève. Mais de ce temps-là, il était le meilleur.
Etant roi c’est lui qui interprétait (traduisait) la langue sur la ligne (la route). C’est
ainsi qu’on lui a montré la route à suivre. Il a avancé, avancé, avancé. Arrivé au
niveau de Vanhoui, la piste est finie et celui qui est à Vanhoui, là, c’était un, il était
déjà en mésentente avec ses parents de Sérou. Et, dans la colère, il est venu fonder
Vanhoui. Pour abandonner ses parents, quoi, il est parti créer le village de Vanhoui.
Il était là, seul. Donc, Worou Béréga a suivi la piste jusqu'à Vanhoui pour trouver un
seul qui était logé là. Bon, il a avancé, avancé jusqu’au niveau de Onklou II actuel.
C’est au niveau de la forêt, c’est là où il s’est installé. Les bêtes féroces l’embêtaient
de tel manière qu’il est obligé de se retourner pour chercher son confrère de, du
village de Sérou, à côté de Soubouroukou, un grand chasseur qui a des produits
chimiques pour renvoyer les bêtes. C’est les bêtes féroces qui l’embêtaient. Il l’a
appelé pour s’installer à côté de lui, pour l’aider à s’installer ici. Donc, c’est ici
qu’ils se sont installés. Lui, grâce à ses produits chimiques il a pu installer son
village qui était dans le temps à Danogou. Le village s’appelait Danogou. Et, c’est là
où actuellement il y a l’église de la foi apostolique. C’est là. On ne pouvait pas
rentrer jusqu’ici. C’était la forêt ici. Ils se sont installés là pour renvoyer les bêtes.
Quand ils ont eu de la paix, ils ont dit « bon, maintenant ça va, mon frère, comme tu
es le plus courageux, on ne peux pas rester côte à côte parce que d’un jour à l’autre
il y aura bagarre entre toi et moi. Va t’installer là-bas, je serai ici ». Et il a mis
encore en profondeur pour s’installer là-bas, près de l’école et c’est là qu’on appelle
Séra fonga.
Et ça veut dire quoi Séra fonga ?
• La forêt des fauves. Donc c’est là où il a fait avancer le chasseur, le
courageux, lui, il était là. Un instant après, il a dit « non, ça ne peut pas. Quand je
viens de Djougou, quand le roi de Djougou m’invite aux réunions, je mets du temps
à marcher. Si ce n’est pas Vanhoui, je ne trouve pas un village pour me reposer et,
j’ai vu un site là, très intéressant ; il va falloir que tu rebrousses chemin pour
143
s’installer là-bas. Là, lors de mes voyages, je prendrai repas chez toi ». Et c’est ainsi
qu’il a indiqué Partago. Et effectivement, il est retourné pour construire à Partago,
l’homme de Séra fonga. C’est les gens de Sérou là, c’est eux qui ont de tout.
Et ça veut dire quoi Partago ?
• Partago, ça veut dire « rentre définitivement ». Cora-pata, pata veut dire
« définitivement » et cora veut dire « rentre ». Pata-gora. Bon, dans un premier
temps, il était déjà habitué à Onklou qu’il ne voulait pas s’installer définitivement.
Et ça a donné le nom de « rentre définitivement ». Et c’est ainsi que je connais
l’histoire.
C’est très bien. Et quelle population il y a à peu près à Onklou ?
• Au moins 11 000, au moins.
Combien d’ethnies ?
• Les ethnies. Oh, d’abord les Yom, le Dendi, le Lokpa, le Ditammari, le Peulh,
le Yoruba et le Soroba.
Et au départ, c’était un Yom qui a fondé Onklou.
• Oui.
Pourquoi est ce que il y a d’autres ethnies qui sont venues ?
• Bon, ils sont à la conquête de la terre fertile, de la terre fertile. Ce n’est pas
pour rien qu’il y a la forêt classée à Onklou. Jusqu’ici la forêt classée, là, grâce à
elle, parce que il y a le PGRN qui gère la forêt classée ...
Le PGRN ?
• Le PGRN c’est un projet chargé des ressources naturelles, qui gère maintenant
la forêt classée. Donc maintenant, il faut que les paysans soient dedans avec les
structures adéquates organisées. Donc ce sont ces paysans qui sont dedans, on les a
délimité une part pour cultiver. Et c’est cette portion qui fait envier la plupart des
populations qui viennent s’installer au niveau, autour de la forêt classée pour
l’exploiter. Bon, voilà, la terre est fertile. Il y a des scieurs, les charbonniers, les
cultivateurs ... En tout cas, il y a tout dedans pour exploiter la forêt classée. C’est
pourquoi il y a une multitude de races qui entoure maintenant aujourd’hui la
commune pour pouvoir exploiter.
Très bien. Ça parle donc yom, tout ceux-là parlent yom.
• Oui. (5 secondes de silence)
144
Heu, alors, les Yowa, ils sont donc originaires de Soubouroukou et ils sont
venus ici avec le roi pour la terre fertile.
• Oui.
Qu’est ce que veut dire Yowa ?
• Yowa veut dire « berceur ».
Berceur ?
• Oui, c’est quelqu’un qui berce. Le Yowa veut dire, en un mot, hein, je
m’explique, à nous d’avoir l’idée pour avoir le vrai mot. Yowa veut dire, « celui qui
berce l’enfant ». Le Yowa, c’est comme ça, c’est le berceur. Le Yowa c’est
quelqu’un qui chérit un étranger qu’il ne connaît pas. N’importe qui, qu’il ne connaît
pas, il l’accueille gentiment.
C’est vrai.
• Voilà, c’est ça le Yowa. Yowa veut dire le berceur. Il berce, qu’il te connaisse
ou pas. C’est ça « ma yowa » veut dire « je le berce ».
Et Yowa c’est le pluriel de Yom ?
• Non. Les Yowa, le Yora. Le Yora c’est le singulier, Yowa c’est le pluriel, yom
c’est la langue.
Et que veut dire yom ?
• Yom c’est la langue, c’est tout.
Et yom et pila-pila, c’est la même chose ?
• Non, Pila-pila c’est un surnom. Pila pila c’est une salutation, c’est comme
merci merci. Pila pila c’est comme merci merci. Si bien que au sud, là-bas, quand
les Pila-pila, les Yowa sont partis là-bas, ils se saluent, ils disent « pila pila », merci
merci. Et les Fon les ont surnommés là-bas, Pila-pila. C’est tel que le littéraire Jean
Pliya. Son nom, il a quitté ici pour s’inscrire à l’école, auprès de ces parents. Mais, il
a été naquis à Djougou. C’est un Fon son papa. Son papa c’est Jean. Et lui-même,
bon, sa maman est une Yom, d’ici, parce que son papa a œuvre pour les activités, les
travaux de l’ancien temps, quoi. Les travaux de percement de la route venant du sud.
Bon, c’est ainsi qu’il s’est connu avec la maman de Jean, heu, la maman de Pliya.
Et, il a granditquand il a l’âge d’aller à l’école son papa l’a expédié, disons à ses
parents pour fréquenter parce qu’ici, il n’y avait pas d’école. Et il voudrait que son
enfant fréquente. Il est parti là-bas et arrivé là-bas, pour l’inscrire, les parents là-bas
savaient que c’est l’enfant de Jean. Et comme ils savent que il est parti là-bas, il ne
145
parle que le pila, le yom. Ils ont dit que c’est l’enfant de Jean. On dit « quel Jean ? ».
On dit que cet enfant-là c’est Pila, Pila, merci. Et ça a été Jean Pliya, au lieu de
répéter Pila pila.
D’accord, donc pila pila c’est une salutation qui veut dire merci merci. Et c’est
un surnom pour les Yom.
• Oui, c’est une salutation, c’est un surnom.
Est ce que les Yom sont de la même famille qu’une autre langue ?
• Ils sont de la même famille que les Taneca. Le taneca c’est le yom mais
l’expression diffère. On parle la même langue mais, il faut être attentif pour
comprendre le taneca. C’est la même chose.
Et comment ça se fait ? C’était la même famille au début ?
• Oui, je peux même dire, c’est la même famille. Je peux même dire, c’est le
taneca qui a naquit le yom. Le yom même c’est une modération. C’est le taneca qui,
à ma connaissance, en tant qu’alphabétiseur de carrière, toutes les sources de yom
on les retrouve dans le taneca. C’est les Tanecas qui arrivent à nous expliquer
correctement les sources de chaque langue. Donc, il semble que l’origine du yom,
c’est le taneca pour moi.
Et le dendi par rapport au yom, ce n’est pas de la même famille ?
• Non, non, non, non. Le dendi vient du Mali en passant par Malanville. Arrivé
à Malanville c’est là où on lui a dit « den-di ». Dendi veut dire traverser. Ils ont
« dendi », ils ont traversé le fleuve Niger pour arriver à Malanville. C’est pourquoi le
dendi du Niger est très fin et celui de Malanville est un peu ouvert parce que il y a
un peu de bariba qui rentre. Quand il a traversé, on a dit « d’où viens-tu ? ». Il a dit
« den di ». C’est de là qu’on l’a surnommé au Bénin, ici dendi, le traversé. Ça veut
dire celui qui a traversé, le dendi. Et au fur et à mesure le dendi de Parakou n’est pas
trop près et le dendi de Djougou c’est un empereur, un empereur. C’est un empereur.
Un empereur ?
• Oui, c’est quelqu’un, quand j’appelle empereur, quelqu’un qui est venu
conquérir la population pour la convertir en une religion. C’est un religieux. Il faisait
son petit chemin, l’homme, venant du Mali et il est parti à Djougou. Il a pu
conquérir Djougou à sa religion. C’est pourquoi la religion musulmane en majorité,
c’est le dendi. Et, ils ne font que parler sa langue, le dendi, le traversé, là. Et le dendi
de Djougou est un peu plus clair rapprochant du yom. Et c’est le yom qui a pu
146
modérer le dendi de Djougou. Et c’est clair, c’est le yom. Le Yom c’est un étranger
et c’est pourquoi à Djougou, les Dendi en yom ils ont leur nom partout. Le fondateur
de Djougou c’est un yom. Il était à Killir. Killir veut dire « celui qui court ». Avant
de l’installer là on l’a chaîné sinon il vient, il court, il rentre à Bullum. Il vient, il
court, il rentre à Bullum et on est obligé de l’attacher. C’est pour ça, on appelle
Killir, celui qui court. On l’a attaché parce qu’il était jeune. Il s’est installé dans la
forêt. Et c’est ainsi que l’empereur là qui est venu il a vu le roi pour s’installer. Le
roi dit « non, comme vous êtes des étrangers installez-vous là-bas ». C’est là où la
ville de Djougou est. Il s’est installé là en tant qu’étranger. « Moi je suis dans ma
ville ici à Killir en paix ». Il a montré là-bas et quand les administrateurs sont venus
ils ont demandé « comment on appelle ici ? ». Il a dit non que lui n’a rien à dire que
lui est étranger « celui qui appartient la ville il est là-bas, il est dans « Zougou » ». Et
l’administrateur, les Blancs ont écrit « Djougou ». Mais zougou veut dire « la forêt »
alors que le fondateur est dans la forêt à Killir. Il est là-bas. Et le blanc écrit
« Djougou » ça dit forêt. C’est ainsi que l’administrateur a écrit « Djougou » pour
faire la plaque et venir placer ça « Djougou forêt ».
Donc le dendi c’est une langue qui change.
• Il y a des différences mais, c’est le même dendi. C’est l’expression, le langage
qui diffère.
Le dendi de Djougou, il y a du yom dedans.
• C’est plus clair, c’est plus transparent. Le dendi de Parakou il y a un peu de ...
de sons là. Or le dendi de Malanville c’est un dendi qu’il faut parler dans les narines.
C’est pas, ça ne sort pas comme ça, le son n’est pas clair. On ne sait pas quelle
langue qui intervient. C’est un dendi de narines. Et à Parakou c’est un petit peu plus
transparent. Mais le dendi de yom, heu de Djougou, c’est clair. C’est pas avec des,
ça ne se parle pas avec le nez. On n’entend pas le vent, l’air qui sort du nez. C’est
clair et on a su que le dendi de Djougou c’est le dendi de Yom. Le dendi de Parakou
c’est le dendi de Bariba. Le dendi de Malanville c’est un dendi de Bariba encore.
Très bien. Et le dendi du Niger c’est le germa ?
• C’est le germa, c’est le même dendi, c’est le même dendi.
Très bien. Et ça va jusqu’au Mali.
• Oui.
Au Burkina aussi ?
147
• Burkina non. Moi je sais que l’origine c’est du Mali vers ici et ça se modifie.
Et c’est venu avec les Musulmans.
• Oui.
Très bien. Donc, vous êtes Cura, vous parlez yom, vous parlez aussi le dendi
parce que vous êtes musulman. Et les autres langues. Pourquoi est ce que vous
parlez pleins de langues comme ça ? J’ai du mal à comprendre.
• Heu.
Parce que quand j’interroge les gens, je vois qu’ils parlent 4, 5, 6 langues.
• Bon, actuellement, bon, vous avez vu, la plupart de nos parents bon
l’ignorance a fait que quand ils savent que vous êtes aventurier hein, quand vous
êtes aventurier, c’est vous qui êtes civilisés. Quand on a manqué la civilisation c’est
l’aventure qu’on préfère. Voilà. Nous qui ont été à l’école, on peut pas être
aventurier. Mais ceux qui ont manqué l’école, hein, pour se faire civiliser il faut
qu’ils aillent à l’aventure. Si bien qu’il va au Nigeria pour se cultiver, il revient avec
la langue du Nigeria, le yoruba. D’autres, pour les filles, c’est le Niger. Elle revient
au bout d’un an ou deux ans et elle est civilisée, la civilisation nigérienne et, elle
parle le Germa. C’est pourquoi il y a une multitude de langues.
Et pourquoi, j’ai remarqué que les jeunes hommes vont en pays Bariba.
Pourquoi en pays Bariba ? pourquoi pas ailleurs ?
• Bon, ils ont compris que le pays Bariba, au nord, ici c’est le pays qui a
bénéficié de la culture industrielle avant l’Atacora, la culture de coton. Et bon, à la
fin de l’année, les Bariba, les Bariba gagnaient fortement le prix de leur coton. Et
nos parents ont commencé par aller là-bas pour cultiver avec les Bariba et à la fin de
la campagne ils gagnent globalement une forte somme pour revenir ici et construire.
C’est tout à l’heure, ça ne fait pas plus de deux ans que la culture du coton est venue
ici. Voilà, c’est à cause de la culture du coton.
Et pourquoi les jeunes femmes vont au Niger ou au Nigeria ?
• Non, c’est la même chose. Elles vont là-bas, hein, c’était la civilisation qui
manquait ici. Et la première personne qui est partie au Niger et au Nigeria est
revenue civilisée alors qu’elle n’a pas été à l’école. Elle revient gaie, elle marche,
non, tout le monde sait ... En deux ans elle est civilisée ... venant du Niger.
Ça veut dire quoi être civilisé ?
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• Ben, être civilisé c’est être, ben, elle comprend la vie, l’hygiène, bon,
l’habillement. Elle vient là gaie, propre. Elle n’est plus une paysanne. Quand elles
vont là-bas, elle est engagée dans des activités ménagères pour une bourgeoise. Elle
berce les enfants, on la paie à la fin du mois, elle mange là, elle est payée par mois
pour garder les enfants, pour faire tout, pour faire ci. Mais à la fin de l’année on la
paie mois par mois elle est éduquée là-bas. Elle revient ici propre, avec son habit,
avec une petite somme. Il semble que c’est elle alors qu’elle était illettrée ici. Elle
vient là, on la classe parmis les civilisés. Les civilisés c’est ceux qui ont été un peu à
l’école pour être instruit. C’est ça que j’appelle civilisé, ceux qui sont instruits. Ceux
qui ont manqué l’inscription il faut aller au Niger pour gagner l’éducation et revenir.
Bon elle est belle, hein, mais nous sommes des agriculteurs ici. Pour ne pas aller aux
champs, les activités champêtres, il faut aller en aventure pour gagner l’instruction
civile.
Très bien. Et pourquoi les vieux ils ont été au Ghana ?
• C’est la même chose. C’est le premier chemin d’abord. Quand quelqu’un allait
au Ghana, quand il vient mais il, pour dire qu’il va au Ghana mais il se retourne avec
dix femmes, hein. (Rires). Non, ah, non, celui qui a fait le Ghana dans le temps, bon,
pour enlever une fille il faut la dire que tu vas au Ghana, dans le temps. « Mais si tu
m’aimes on ira au Ghana, et c’est fini ! ». Et c’est une nuit qu’ils s’en vont à pied.
Mais ils reviennent un jour là, on dit que vraiment ils reviennent civilisés. Alors
qu’on les a engagés pour garder les plantations et les payer mois par mois. Il revient
là gai, propre, civilisé. Mais les gens l’enviaient comme ça. Si bien que un jour qu’il
dit qu’il se retourne il y a des filles qui le suivent, hein. Telle dit « je vais aller avec
toi », telle dit « je vais aller ». Si il ne dit pas non, il emportera plusieurs femmes.
Non, c’est le Ghana d’abord.
Et pourquoi le Ghana ?
• Ben, je dis, la civilisation.
Mais pourquoi pas le Burkina ou le Niger ?
• Non le Ghana, hein, le Ghana, c’est un pays, je peux dire, tel que je dis, on
revient à Onklou. Pourquoi les gens viennent à Onklou ? Et bien il paraît que au
Ghana il y a des plantations, il y a des terres fertiles. C’est à la conquête, terres
fertiles, plantations, les pays industrialisés. C’est ça il y a les cacaotiers, tout, tout,
tout, tout. Quand ils allaient là-bas ils font pas les champs comme ici. Ils gardaient
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les plantations et on les paye. Ils étaient là-bas comme gardiens alors que le
Ghanéen lui, il a sa plantation, lui il veut trouver un gardien et il faut un courageux
et le Yom est courageux. On le met là avec sa femme pour garder la plantation de
cacaotiers. C’est tout.
Et j’ai remarqué qu’ils sont tous revenus à une certaine date, pourquoi ?
• Bon, il y avait tellement, l'exode rural, là que il n’arrivait pas à contrôler son
pays. Les étrangers avaient envahi le pays. Il ne contrôlait même plus son pays, il y
avait du désordre.
Qui ça ?
• C’était Achampon.
Achampon ?
• Oui, Monsieur Achampon.
Qui était à l’époque Président de la République du Ghana.
• Oui, il a tout fait. Mais il y a eu pas mal de morts. Non, on a enterré au moins
cinq ici. C’était dans les années 69, 70. Hum, on voyait les 10 tonnes là qui
transportaient des gens qui étaient entassés comme des sardines, les enfants anémiés
mouraient dedans. On s’arrête pour enterrer et il continue. C’était comme ça le long
de la route. On entassait les gens comme ça.
Très bien. Je crois que l’on a fait le tour. Vous avez quelque chose à rajouter ?
• Non, c’est bon.