tumeur à cellules géantes des gaines des tendons extenseurs des orteils (à propos d’un cas et...

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Résumé : Les auteurs rapportent une observation d’une tumeur à cellules géantes des gaines des tendons exten- seurs des orteils et en étudient les caractéristiques cliniques ; radiologiques ; thérapeutiques et pronostiques à la lumière d’une revue de la littérature. Mots clés : Tumeur – Cellules géantes – Gaine synoviale Giant cell tumour of the tendon sheath of the toe (a case report and literary review) Abstract: The authors report a case of a giant cell tumour of the tendon sheath of the toe. With a review of the lite- rature on this subject they study the clinical and radiolo- gical signs, as well as the treatment and prognosis of this condition. Keywords: Giant cell – Tumor – Tendon sheath Introduction La localisation de la tumeur à cellules géantes des gaines des tendons extenseurs orteils est rare, nous en rappor- tons une observation avec analyse des aspects diagnos- tiques, thérapeutiques et pronostiques de cette tumeur. Observation Monsieur J.M. âgé de 36 ans sans antécédents patho- logiques notables, présentait depuis 2 ans une tuméfaction de la face dorsale du 2 e orteil droit, qui augmentait pro- gressivement de volume, devenant douloureuse et gênante lors du chaussage. À l’examen, la tuméfaction siégeait à la face dorsale de la première phalange du 3 e orteil, elle était de consistance ferme, adhérente au plan profond, sans signes inflamma- toires en regard (Fig. 1) ; par ailleurs il existait une autre tuméfaction en regard de la face dorsolatérale de la pre- mière phalange du gros orteil. La radiographie standard montrait une érosion de la corticale interne de la première phalange du 3 e orteil (Fig. 2). Une exérèse chirurgicale a été pratiquée, par une voie d’abord dorsale sinueuse, la tumeur était en rapport avec le tendon extenseur et présentait des prolongements laté- raux, de coloration brunâtre (Fig. 3). Au niveau du gros orteil, la tumeur se développait à la face profonde du tendon extenseur en se prolongeant du côté latéral sans envahis- sement du pédicule. La dissection a été soigneuse en ménageant les pédicules vasculo-nerveux, la résection a été large en suivant tous les prolongements latéraux (Fig. 4). L’étude histologique avait montré une tumeur à cellules géantes des gaines tendineuses. Les suites opératoires furent simples. Nous n’avions pas noté de récidives après un recul de 13 mois. Discussion La tumeur à cellules géantes des gaines tendineuses est fréquente au niveau de la main. Elle est rare au niveau du pied où elle peut se rencontrer indifféremment dans les synoviales articulaires, les gaines tendineuses et les bourses séreuses [2]. Plusieurs appellations ont été attri- buées à cette affection : cancer des gaines tendineuses, xanthome, xanthogranulome, xanthome fibreux, myélome des gaines tendineuses [10], tumeur à myéloplaxes, tumeur à cellules géantes [12], synoviome bénin [17]. Le terme de synovite villonodulaire pigmentée introduit par Jaffe [11] en 1941 est actuellement le plus largement utilisé dans la littérature. L’affection peut revêtir deux formes anatomo- cliniques [7] : soit la tumeur à cellules géantes est localisée (téno- synovite nodulaire) survenant chez l’adulte entre 30 et 50 ans ; elle apparaît sous l’aspect d’un nodule adhérent à un tendon ; non douloureux ; à croissance lente comme le cas de notre observation ; Med Chir Pied (2004) 20: 49-51 © Springer 2004 DOI 10.1007/s10243-004-0008-x CAS CLINIQUE/CASE REPORT Tumeur à cellules géantes des gaines des tendons extenseurs des orteils (à propos d’un cas et revue de la littérature)* K. KOULALI IDRISSI, M. RAFAI, A. LARGAB, M. TRAFEH Service de traumato-orthopédie, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc Correspondance : K. Koulali Idrissi, Immeuble 17, Appt. 5, Cité Almountazah, Hay Fath, Rabat, Maroc, e-mail : [email protected] * Les figures de cet article sont disponibles en couleur sur le site springerlink.com

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Résumé : Les auteurs rapportent une observation d’unetumeur à cellules géantes des gaines des tendons exten-seurs des orteils et en étudient les caractéristiques cliniques ;radiologiques ; thérapeutiques et pronostiques à la lumièred’une revue de la littérature.

Mots clés : Tumeur – Cellules géantes – Gaine synoviale

Giant cell tumour of the tendon sheath of the toe (a case report and literary review)

Abstract: The authors report a case of a giant cell tumourof the tendon sheath of the toe. With a review of the lite-rature on this subject they study the clinical and radiolo-gical signs, as well as the treatment and prognosis of thiscondition.

Keywords: Giant cell – Tumor – Tendon sheath

Introduction

La localisation de la tumeur à cellules géantes des gainesdes tendons extenseurs orteils est rare, nous en rappor-tons une observation avec analyse des aspects diagnos-tiques, thérapeutiques et pronostiques de cette tumeur.

Observation

Monsieur J.M. âgé de 36 ans sans antécédents patho-logiques notables, présentait depuis 2 ans une tuméfactionde la face dorsale du 2e orteil droit, qui augmentait pro-gressivement de volume, devenant douloureuse et gênantelors du chaussage.

À l’examen, la tuméfaction siégeait à la face dorsale dela première phalange du 3e orteil, elle était de consistanceferme, adhérente au plan profond, sans signes inflamma-toires en regard (Fig. 1) ; par ailleurs il existait une autretuméfaction en regard de la face dorsolatérale de la pre-mière phalange du gros orteil.

La radiographie standard montrait une érosion de lacorticale interne de la première phalange du 3e orteil(Fig. 2).

Une exérèse chirurgicale a été pratiquée, par une voied’abord dorsale sinueuse, la tumeur était en rapport avecle tendon extenseur et présentait des prolongements laté-raux, de coloration brunâtre (Fig. 3). Au niveau du grosorteil, la tumeur se développait à la face profonde du tendonextenseur en se prolongeant du côté latéral sans envahis-sement du pédicule. La dissection a été soigneuse enménageant les pédicules vasculo-nerveux, la résection aété large en suivant tous les prolongements latéraux(Fig. 4). L’étude histologique avait montré une tumeur àcellules géantes des gaines tendineuses.

Les suites opératoires furent simples. Nous n’avionspas noté de récidives après un recul de 13 mois.

Discussion

La tumeur à cellules géantes des gaines tendineuses estfréquente au niveau de la main. Elle est rare au niveaudu pied où elle peut se rencontrer indifféremment dansles synoviales articulaires, les gaines tendineuses et lesbourses séreuses [2]. Plusieurs appellations ont été attri-buées à cette affection : cancer des gaines tendineuses,xanthome, xanthogranulome, xanthome fibreux, myélomedes gaines tendineuses [10], tumeur à myéloplaxes, tumeurà cellules géantes [12], synoviome bénin [17]. Le terme desynovite villonodulaire pigmentée introduit par Jaffe [11]en 1941 est actuellement le plus largement utilisé dans lalittérature.

L’affection peut revêtir deux formes anatomo-cliniques [7] :

– soit la tumeur à cellules géantes est localisée (téno-synovite nodulaire) survenant chez l’adulte entre 30 et50 ans ; elle apparaît sous l’aspect d’un nodule adhérent àun tendon ; non douloureux ; à croissance lente comme lecas de notre observation ;

Med Chir Pied (2004) 20: 49-51© Springer 2004DOI 10.1007/s10243-004-0008-x

CAS CLINIQUE/CASE REPORT

Tumeur à cellules géantes des gaines des tendons extenseurs des orteils(à propos d’un cas et revue de la littérature)*

K. KOULALI IDRISSI, M. RAFAI, A. LARGAB, M. TRAFEH

Service de traumato-orthopédie, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc

Correspondance : K. Koulali Idrissi, Immeuble 17, Appt. 5, Cité Almountazah, Hay Fath, Rabat, Maroc, e-mail : [email protected]* Les figures de cet article sont disponibles en couleur sur le site springerlink.com

– soit la tumeur à cellules géantes est diffuse et repré-sente l’équivalent dans les gaines tendineuses ou lesbourses séreuses de la synovite villonodulaire pigmentéearticulaire. Elle concerne des sujets plus jeunes ; elle seprésente pratiquement toujours comme une masse para-articulaire volumineuse ; souvent douloureuse avec desantécédents d’épanchements articulaires ou d’hémar-throse.

Les signes radiologiques se caractérisent sur les clichésstandards par l’association d’images au niveau des partiesmolles et de l’os : les parties molles sont épaissies déter-minant une opacité sans calcification. Les lésions osseusesexistent dans 15 % des cas [5, 8]. Elles associent des éro-sions corticales et des géodes pseudo-kystiques simulantune tumeur maligne. Souvent il existe une atteinte dégé-nérative des articulations voisines.

La scintigraphie montre une hyper fixation ; l’angio-graphie peut montrer l’absence de néovascularisation. Sile scanner et la RMN sont de peu d’intérêts dans lesformes nodulaires isolées, ils apparaissent utiles pour pré-ciser l’extension dans une forme diffuse ou en cas de réci-dive [13].

Le diagnostic positif est établi par la clinique et laradiographie et il est affirmé par l’examen anatomo-pathologique où la tumeur est caractérisée sur le planmicroscopique par une prolifération de cellules géantesmultinuclées ; associée à une prolifération active d’histio-cytes montrant une activité macrophagique avec phago-cytose d’abondants pigments sanguins (hémosidérine) etlipidiques [2, 4, 8].

Le diagnostic différentiel se pose avec le kyste synovial,le lipome, le fibrome, la chondromatose synoviale, lasynovite rhumatoïde et le synovialosarcome [3]. L’évolutionde la tumeur se fait en principe sur le plan local. Même sielle donne parfois des aspects d’envahissements des struc-

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Fig. 1. Tumeur des faces dorsales des 3e et 1er orteils

Fig. 2. Radiographie del’avant-pied : érosion de lacorticale de P1 du 3e orteil

Fig. 3. Aspect per-opératoire

Fig. 4. Pièce de résection

tures voisines en particulier ostéo-articulaires, cettetumeur reste bénigne. Cependant quelques cas de méta-stases pulmonaires, rachidiennes, viscérales, ganglion-naires ont été rapportés dans la littérature [1, 14] ; demême la possibilité de transformation maligne de latumeur a été évoquée [6, 18]. La tumeur est réputée réci-divante (25-45 %) [9, 15, 16].

Le traitement est chirurgical et consiste en l’exérèsecomplète de la tumeur pour prévenir les récidives. Latumeur présente souvent des prolongements en parti-culier à la face profonde des tendons. Quand il existe uneérosion de la corticale osseuse ou une pénétration intra-osseuse, il est nécessaire de pratiquer un curetage soigneuxde l’os.

La radiothérapie complémentaire est inutile si l’exérèsea été complète, cependant Prakash [15] a rapporté unediminution nette des récidives après radiothérapie, il l’arecommandée chaque fois que l’exérèse complète n’est paspossible.

Conclusion

La tumeur à cellules géantes des gaines tendineuses dupied pose des problèmes thérapeutiques. La résectioncomplète est souvent difficile, ce qui augmenterait le tauxdes récidives.

Références

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5. Davis S, Lawton G, Lowy M (1975) Pigmented villonodularsynovitis: bone involvement of the finger. Clin Radiology 26:357-61

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9. Granowitz SP, D’Antonio J, et al. (1976) The pathogénis andlong term end results of pigmented villonodullar synovitis.Clin Orthop 114: 335-51

10. Hoen JG, Davis DT (1978) Multiple fibrous xanthomas oftendon sheath. The hand 10: 306-8

11. Jaffe HL, Lichtenstein L, et al. (1941) Pigmented vilonodularbursitis and tenosynovitis. Arch Path 31: 731-65

12. Jones FE, Soule EH, Coventry LB (1969) Fibrous xanthomaof synovium (giant cell tumor of tendon sheath): a study of118 cases. J Bone Joint Surg 51A: 76-86

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14. Kobak MW, Perlows S (1949) Xanthomatous giant cell tumorsarising in soft tissue. Report of an instance of malignantgrowth. Arch Surg 59: 909

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18. Wu NL, Siao PF, Chen BF, et al. (2004) Malignant giant celltumor of the tendon sheath. Int J Dermatol 43 (1): 54-7

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